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Mme Fatiha Saïdi (PS). - Mon attention a été attirée par un article de presse qui relayait l'autorisation accordée à un citoyen par le procureur du Roi de Bruxelles d'inscrire deux épouses sur le même registre national. Je ne dispose pas d'informations complémentaires mais, en l'état, cette décision reconnaît de fait la polygamie, ce qui est évidemment intolérable. Elle porte en effet atteinte à l'égalité, elle représente une véritable discrimination et annihile notre solidarité à l'égard de millions de femmes qui luttent pour voir éradiquer des pratiques discriminatoires comme la répudiation et la polygamie.
Pourtant, la codification du droit international privé dont les effets sont d'application en Belgique depuis le 1er octobre 2004 mentionne expressément l'interdiction de l'inscription, dans le registre de la population et le registre des étrangers, de faits incompatibles avec l'ordre public belge.
Par ailleurs, d'autres dispositions légales peuvent être mises en exergue en la matière. Ainsi, l'article 147 du Code civil belge énonce : « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier » ; l'article 391 du Code pénal dispose : « Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent, sera puni de la réclusion de cinq ans à dix ans ». Dans son arrêt du 3 décembre 2007, la Cour de cassation précisait que l'ordre public international belge s'oppose à la reconnaissance en Belgique des effets d'un mariage polygame validement contracté à l'étranger.
Au contraire, pour parer à des discriminations, la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 26 juin 2008 et la Cour de cassation en date du 14 février 2011 reconnaissaient des effets à un mariage validement contracté à l'étranger conformément à leur loi nationale, pour éviter des discriminations par exemple en matière d'allocations familiales ou de pension de survie.
Face à ces informations paradoxales, madame la ministre, je souhaite savoir quelles suites juridiques vous donnerez à cette double inscription afin que ces pratiques discriminatoires soient impraticables dans notre pays.
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - La polygamie est interdite par la loi dans la plupart des pays. Certains systèmes juridiques prévoient néanmoins la possibilité de contracter plus d'un mariage. C'est le cas notamment au Maroc, au Cameroun, en Égypte, au Pakistan et en Inde. En Belgique, la polygamie est interdite, et un mariage polygame contracté à l'étranger ne peut être reconnu.
La circulaire du 23 septembre 2004 relative au Code de droit international privé souligne que la création d'une telle union est manifestement contraire à notre ordre public international, ce qui interdit à une autorité belge de procéder à la conclusion d'un tel mariage ou de reconnaître la validité d'un tel mariage. Par conséquent, un mariage polygame ne peut être transcrit dans les registres de l'état civil ni inscrit au registre de la population.
La circulaire dispose toutefois que la non-reconnaissance n'empêche pas le juge d'accorder certains effets au mariage polygame. Il peut estimer qu'à défaut de ces effets, l'épouse serait victime de la non-reconnaissance de son mariage polygame. Nous pensons en l'occurrence à l'octroi d'une pension de survie pour la veuve, d'une pension alimentaire après une répudiation ou de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice subi. Le juge devra apprécier au cas par cas. L'attribution de tels effets est considérée comme non contraire à notre ordre public international.
L'inscription dans le registre national ainsi que le contrôle effectué par la police sur la contradiction ou la non-contradiction avec l'ordre public relèvent de la compétence de la ministre de l'Intérieur. Je vous renvoie dès lors à ma collègue Mme Milquet pour des précisions complémentaires.
Mme Fatiha Saïdi (PS). - Je vous remercie, madame la ministre, pour vos réponses qui touchent à vos compétences, mais il reste toujours, à mon sens, un problème en ce qui concerne l'appréciation des juges.
Puisque vous m'y avez invitée, je vais donc m'adresser à Mme Milquet.