5-2278/1

5-2278/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

7 OCTOBRE 2013


Proposition de loi portant modification du Code civil et de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 concernant le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante

(Déposée par M. Louis Ide et consorts)


PRÉAMBULE


Ce texte a vu le jour à la suite de diverses auditions qui ont eu lieu devant la commission des Affaires sociales du Sénat, durant la période 2012-2013, concernant la problématique de l'indemnisation des victimes de l'amiante en Belgique et à l'étranger. Il ressort clairement des explications des experts que les différentes propositions de loi déposées en vue de modifier la législation existante ont besoin d'être affinées.

Tous les groupes politiques concernés ont confirmé la nécessité d'adapter la réglementation actuelle et exprimé leur volonté d'agir dans cette matière pour que des résultats concrets puissent encore être enregistrés pendant l'année parlementaire en cours.

Ce texte tient compte de l'avis des divers experts et respecte les objectifs des propositions de loi des divers groupes politiques.


DÉVELOPPEMENTS


1. Cadre

Le terme asbeste, autre terme désignant l'amiante, vient du grec « asbestos » qui veut dire « ininflammable, imputrescible ».

L'amiante est un terme générique qui couvre plusieurs minéraux silicatés possédant un certain nombre de propriétés utiles, telles qu'un pouvoir d'isolation élevé, ininflammabilité, résistance à la chaleur, résistance aux produits chimiques, résistance à l'usure et résistance élevée à la traction.

La combinaison unique de ces propriétés a permis de lui trouver une utilisation dans nombre d'applications industrielles. Dans nos régions, l'amiante importée a essentiellement été utilisée pour la production de fibrociment (canalisations d'égouts, tôle ondulée, bacs à fleurs et ardoises). L'amiante a également été employée pour la production de freins et de disques d'embrayage de voitures, matériaux isolants ignifuges utilisés dans les bureaux et bátiments publics (comme le Berlaymont et le bátiment Flagey), matériaux d'isolation acoustique et thermique pour les logements privés et revêtements de sol, vêtements ignifuges, etc.

L'amiante a également été exploitée à grande échelle par les entreprises agricoles et horticoles et par les particuliers. Les voisins des entreprises utilisant l'amiante pouvaient emporter gratuitement des chargements entiers de déchets d'amiante pour le revêtement de leurs sentiers et chemins.

À la fin du XIXe siècle, il est néanmoins apparu clairement que l'amiante était en réalité un loup impitoyable déguisé en agneau (1) .

En 1898 déjà, un rapport annuel de l'Inspection du travail du Royaume-Uni met en lumière les dangers majeurs de l'amiante pour la santé. « The sharp, glass-like jagged nature of the particles » est considérée comme la cause des graves problèmes pulmonaires dont souffrent un certain nombre d'ouvriers. En 1906, un rapport du même organisme indique que « of all the dusty trades none surpassed asbestos in injuriousness to the workers » (2) .

En 1906, un médecin britannique (Henri Montaigne Murray) décrit le décès d'un ouvrier du textile ágé de trente-trois ans, ayant travaillé quatorze ans dans une usine: « Of the ten men who worked in the room when he went into it, he was the only survivor (3) . »

La littérature était si univoque et la perception des risques pour la santé liés à l'amiante était si évidente que, après la création du marché privé de l'assurance au début du siècle dernier, les assureurs privés américains et canadiens ont, dès 1918, refusé de continuer à couvrir le risque de décès et d'incapacité de travail pour les ouvriers de l'industrie de l'amiante. Le scientifique américain Hofman, qui travaillait en tant que statisticien pour la Prudential Insurance Company, écrivait à ce sujet en 1918: « It may be said, in conclusion, that practice of American and Canadian life insurance companies, asbestos workers are generally declined on the account of the assumed health injurious condicions of the industry (4) . »

À partir des années trente, il existe un consensus dans la littérature scientifique internationale concernant le lien entre l'exposition à l'amiante et le risque de développer une asbestose (5) .

Les premières discussions scientifiques du tableau clinique de l'asbestose ont été publiées dans la littérature médicale néerlandaise vers le début des années quarante du siècle passé (6) .

À partir des années cinquante-soixante, le lien avec l'apparition du cancer du poumon est clairement établi et, depuis les années soixante-septante, il existe un consensus concernant le lien entre l'exposition à l'amiante et l'apparition du virulent cancer de l'amiante: le mésothéliome. Le médecin sud-africain Wagner décrit en 1960 pour la première fois le lien causal entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome, jusque là encore très rare (7) . La publication de J.C. Wagner, C.A. Sleggs et Paul Marchand dans le British Journal of Industrial Medicine de 1960 peut être considérée comme le début de la reconnaissance objective du lien entre l'amiante et le mésothéliome (même si, au cours de la période précédente, les scientifiques avaient déjà une très bonne connaissance de ce lien). Parallèlement à l'exposition professionnelle à l'amiante déjà connue, il est apparu que l'exposition indirecte pouvait aussi provoquer la maladie. La nouvelle du lien entre l'exposition à l'amiante et le développement d'un mésothéliome s'est rapidement diffusée dans la littérature scientifique.

Lors de la première conférence internationale sur l'amiante, organisée à New York sous les auspices de la New York Academy of Sciences (1964), un consensus se dégage parmi les scientifiques présents sur l'existence d'un lien entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome. « Quatre principes d'une bonne gestion du risque lié à l'amiante » sont mis en avant:

— les personnes occupées dans l'industrie de l'amiante présentent un risque accru de développer un cancer du poumon;

— les mesures de protection contre l'exposition à l'amiante sont efficaces pour prévenir l'asbestose, mais pas pour prévenir le mésothéliome;

— même en dehors du cadre professionnel, l'exposition à l'amiante peut provoquer des cancers;

— les méthodes de contrôle de la gestion de l'exposition à l'amiante dans les entreprises ne conviennent pas pour toutes les formes d'exposition.

En 1963 déjà, l'anatomopathologiste Thomson (USA) publie une étude sur l'incidence de la présence de particules d'amiante dans les poumons de personnes décédées sans avoir été exposées à cette substance dans le cadre de leur profession. Au Royaume-Uni, Newhouse et Thompson publient une étude majeure dans le British Journal of Industrial Medecine dans laquelle ils arrivent à la conclusion que le mésothéliome peut être causé par une exposition aussi bien professionnelle que domestique (8) . Ces constatations sont confirmées par des études similaires menées au Canada, en Finlande, en Italie, en Irlande et en Belgique (9) .

En 1969, une thèse rédigée par le Dr. Stumphius est publiée aux Pays-Bas. Il y fait rapport de l'étude qu'il mène depuis 1962 et décrit sur la base d'une enquête empirique l'impact incontestablement néfaste de l'amiante sur la population industrielle, ainsi que sa nocivité pour la population active en général (10) .

Le recueil belgo-néerlandais « Beroepsziekten van het ademhalingsstelsel » (1971) fait amplement référence à la thèse du Dr. Stumphius. Le professeur belge Gyselen souligne de manière explicite et étayée le danger de l'exposition environnementale (11) .

En Belgique, l'asbestose a été ajoutée à la liste des maladies professionnelles en 1953. Le mésothéliome y a été inscrit en 1982.

Néanmoins, nous constatons qu'en Belgique:

— l'utilisation de l'amiante a encore connu une forte croissance au milieu des années septante. Une enquête démontre que, de tous les pays industrialisés, la Belgique est proportionnellement le pays qui a enregistré la plus forte consommation d'amiante au cours de la période 1960-1970. En Belgique (et au Luxembourg), 53 790 tonnes de produits à base d'amiante auraient été commercialisées durant les années soixante et septante pour une population totale d'environ dix millions d'habitants (12) ;

— l'amiante a été produite et utilisée dans l'industrie jusqu'à la fin des années nonante.

La Belgique applique depuis 1998 une interdiction totale d'utilisation, de réutilisation et de commercialisation de produits contenant de l'amiante (arrêté royal du 3 février 1999 et arrêté royal du 23 octobre 2001) (13) . Dans l'Union européenne, l'interdiction complète de la commercialisation des matériaux contenant de l'amiante est entrée définitivement en vigueur en 2005 (directive 1999/77/CE du 26 juillet 1999) (14) .

Depuis lors, les entités fédérées ont fait usage de leurs compétences pour légiférer:

— les communautés pour la prise de mesures préventives en vue de protéger et de préserver la santé publique;

— les régions, en matière de protection de l'environnement et de politique des déchets.

Il est néanmoins clair que les autorités sont longtemps restées en défaut de légiférer et que l'industrie de l'amiante a fait passer ses intérêts financiers avant la santé publique. L'optimisme lié au progrès industriel et à la prospérité ont amené les autorités et le secteur de l'amiante à ne pas tenir compte de la souffrance causée par l'amiante aux individus.

Les conséquences de cette négligence coupable sont terribles. Les maladies liées à l'amiante sont causées par l'inhalation de fibres d'amiante. Ces fibres pénètrent directement dans les voies respiratoires et se fixent dans les poumons. Les premiers symptômes de la maladie ne se manifestent souvent que des dizaines d'années après l'exposition.

L'exposition à l'amiante peut entraîner plusieurs formes de maladies liées à cette substance. Les plus courantes sont l'asbestose et le mésothéliome. En ordre secondaire, d'autres cancers peuvent aussi se développer, tels que le cancer des poumons et du larynx, le cancer de l'œsophage, etc., ainsi que des affections « bénignes » comme un épaississement de la plèvre (plaques pleurales) et un épanchement de liquide entre les feuillets de la plèvre (pleurésie de l'amiante) (15) .

L'asbestose est la plus ancienne maladie connue liée à l'amiante. Des fibres d'amiante pénètrent dans le tissu pulmonaire par le tissu conjonctif. Les poumons perdent ainsi leur élasticité, provoquant une gêne respiratoire. Les patients souffrant d'asbestose peuvent souffrir d'infections aigues ou d'inflammations pulmonaires. Ces infections ou inflammations peuvent être combattues avec des antibiotiques et des corticostéroïdes. Les corticostéroïdes sont des hormones synthétiques qui atténuent les réactions physiques en cas d'infection et d'inflammation. L'essoufflement est un autre symptôme fréquent. En cas d'insuffisance grave en oxygène, un apport d'oxygène peut s'avérer nécessaire.

Le mésothéliome est un cancer provoqué par l'amiante. Une tumeur se forme sur la membrane revêtant les cavités anatomiques telles que la plèvre. La maladie est également appelée cancer de la plèvre. Les fibres d'amiante avalées peuvent provoquer un mésothéliome du péritoine. Le mésothéliome peut être causé par une seule et unique exposition à l'amiante. Il s'écoule en moyenne trente ans entre l'exposition et la manifestation de la maladie. Les seuls traitements qui existent pour l'asbestose soulagent seulement les symptômes. Aucun traitement ne permet de guérir la maladie ou d'assurer la survie à long terme du patient.

Les personnes exposées à l'amiante courent également un risque accru de souffrir d'un cancer du poumon, du larynx et de l'œsophage, etc.

Les victimes peuvent être réparties en trois catégories. L'on distingue:

— les victimes primaires de l'amiante: les personnes exposées aux poussières d'amiante dans le cadre de leur travail. La plupart des victimes sont des ouvriers exposés à l'amiante dans les années septante;

— les victimes secondaires de l'amiante: les personnes exposées directement à des poussières d'amiante (dans le cadre de leur travail) ne sont pas les seules à courir des risques sanitaires. Le groupe à risque comprend également le groupe moins visible des personnes entrées indirectement en contact avec cette substance (par exemple: les épouses des ouvriers lavant les vêtements de travail pollués par l'amiante);

— les victimes environnementales: l'exposition à l'amiante peut intervenir en dehors du cadre de l'activité professionnelle, par exemple lors de travaux de bricolage domestiques (scier dans des tôles ondulées en fibrociment, forer dans des plaques d'amiante ou enlever l'isolation en amiante de canalisations). En outre, les fibres d'amiante peuvent se retrouver dans l'environnement via d'autres sources d'émission (par exemple l'effritement de bátiments contenant des matériaux à base d'amiante, rejets non contrôlés des entreprises, etc.) et y être inhalées ou avalées.

2. La solution belge — le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante

En 2002 ont été formulées les premières propositions visant à mettre en place un fonds chargé d'indemniser les victimes de l'amiante. L'on a longuement discuté de points comme le statut du Fonds, le type de maladies pouvant donner lieu à une indemnisation, le financement, les montants de l'indemnisation, l'immunité des employeurs et les catégories (non exhaustives) de maladies ouvrant un droit à une indemnisation. Le dossier a connu une accélération à l'approche des élections en 2007. Le gouvernement belge a laissé de côté les propositions parlementaires et a formulé lui-même son propre projet de fonds dans le cadre d'une loi-programme.

Un régime a été instauré rapidement et sans réel débat de société. Alors que, dans les propositions de loi déposées au Parlement, l'instauration d'un Fonds amiante est expressément justifiée par la responsabilité des pouvoirs publics et de l'industrie de l'amiante dans l'apparition de cette problématique, cette motivation n'a pas été reprise explicitement dans les développements du projet de loi du gouvernement (16) .

Depuis le 1er avril 2007, le Fonds pour l'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) indemnise toutes les victimes de problèmes de santé liés à l'amiante (loi-programme (I) du 27 décembre 2006). Les personnes indemnisées sont non seulement les victimes ayant subi une contamination directe ou indirecte par l'amiante pour avoir travaillé dans une usine fabriquant des produits à base d'amiante ou pour avoir été exposées à l'amiante par transfert des vêtements des membres de leur famille, mais aussi les « victimes environnementales » ayant développé une maladie liée à l'amiante selon un autre mode de contamination. Il s'agit par exemple des riverains d'une usine d'amiante qui ont reçu gratuitement des déchets d'amiante pour empierrer leurs sentiers et chemins.

Le Fonds d'indemnisation a été organiquement intégré au Fonds des maladies professionnelles, afin de bénéficier de l'expérience de cette institution et d'assurer une cohésion maximale entre les deux fonds.

Le FIVA est financé par les pouvoirs publics, les employeurs, la gestion financière globale dans le statut social des travailleurs indépendants et au moyen de dotations, legs et subrogations. Même si, au départ, le législateur avait décidé que le Roi pouvait, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, déterminer les catégories d'employeurs redevables de cotisations, l'on n'a finalement opéré aucune sélection des employeurs qui, du fait de leurs activités spécifiques, ont accru le risque de maladies liées à l'amiante. Tous les employeurs doivent donc contribuer au régime comme s'il s'agissait d'une cotisation de sécurité sociale, à concurrence de 0,01 % de la masse salariale de leur entreprise. Cet aspect mérite d'être souligné dès lors que cette manière de procéder fait que, contrairement aux Pays-Bas et à la France, on n'applique pas le principe du « pollueur payeur ». L'auteur observe que l'application de ce principe irait pourtant dans le sens des avis internationaux invitant la Belgique à décaler la pression fiscale du travail vers l'environnement.

Le régime prévoit:

a) une indemnisation forfaitaire pour les victimes (uniquement pour deux types bien définis de mésothéliome et d'asbestose);

b) une immunité civile complète du secteur (et, indirectement, de l'État qui, en mettant en place ce système, voulait éviter que, sous la pression d'innombrables procédures en responsabilité, la justice ne rende possible les recours contre l'État belge) (17) .

Le régime est particulièrement favorable pour les entreprises qui fabriquaient autrefois des produits à base d'amiante et leurs assureurs en responsabilité. Alors que, sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles, en payant leur cotisation générale au régime des maladies professionnelles, elles étaient déjà assurées contre les recours d'anciens travailleurs, le régime FIVA les protégeait également, moyennant le paiement d'une cotisation générale au fonds d'indemnisation, contre les recours de tous les tiers qui font appel au Fonds pour obtenir une indemnisation de dommages personnels liés à l'amiante. En d'autres termes, ces entreprises n'avaient (et n'ont) aucun surcoût par rapport aux autres employeurs redevables de contributions identiques au Fonds des maladies professionnelles ou au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Le Conseil national du travail (CNT) fait référence au régime des maladies professionnelles pour consacrer le principe de l'immunité civile de l'industrie de l'amiante. Le CNT a souligné dans divers avis au fil des ans que le principe de l'immunité civile en cas de maladies professionnelles est le résultat d'un compromis social historique. Ce compromis permet, d'une part, à la victime d'une maladie professionnelle d'obtenir une indemnisation forfaitaire suivant une procédure relativement simple, et accorde, d'autre part, une immunité à l'employeur à l'origine de cette maladie professionnelle.

Le régime de solidarité entre les employeurs pour les dommages causés par l'amiante est néanmoins singulier étant donné qu'il ne s'agit pas d'un risque futur et incertain qui peut toucher quiconque. De plus, le principal argument justifiant l'immunité inscrite dans le régime des maladies professionnelles est de « préserver la paix sociale dans les entreprises ». Les auteurs relèvent cependant que cet objectif n'est pas pertinent dans le cadre d'un fonds amiante auquel tout le monde peut s'adresser (même les victimes secondaires et les victimes environnementales).

Le FIVA indemnise les malades soit sous forme d'une rente mensuelle, soit sous forme d'un capital versé en une seule fois. Les victimes touchent une rente mensuelle de 1 689 euros pour un mésothéliome et de 16,89 euros par pour cent d'incapacité physique pour l'asbestose. En cas de décès, les ayants droit touchent un montant unique fixé en fonction du degré de parenté avec la victime, allant de 16 893 euros à 33 786 euros pour un mésothéliome et de 8 446 euros à 16 893 euros dans le cas de l'asbestose (indemnisations indexées en vigueur au 29 février 2012).

Victime Partenaire Ex-partenaire Enfants
Mésothéliome 1 689,30 € (par mois) 33 786 € (unique) 16 893,00 € (unique) 28 155,00 € (unique)
Asbestose 16,89 euros par % incapacité physique (par mois) * 16 893,00 € (unique) 8 446,50 € (unique) 14 077,50 € (unique)

* si la personne touche une indemnisation du FMP pour la même affection: 7,5 euros par % d'incapacité physique (par mois).

Le fait est que la loi permet d'ajouter, par arrêté royal, des nouvelles maladies à la liste des maladies liées à l'amiante reconnues par le FIVA. Jusqu'à présent, aucune nouvelle maladie n'a été ajoutée. Le secrétaire d'État aux Affaires sociales a récemment pris l'engagement de mener une étude visant à établir si d'autres maladies sont imputables à l'amiante.

Entre avril 2007 et la fin février 2012, 1505 victimes de l'amiante ont été indemnisées: 887 pour le mésothéliome et 618 pour l'asbestose. Dans certaines régions, comme Kapelle-op-den-Bos et Mons, le nombre de décès liés à l'industrie de l'amiante est particulièrement élevé.

Force est hélas de constater aussi que beaucoup de victimes ne font pas appel au FIVA soit parce qu'elles ne sont pas au courant de l'existence de ce fonds, soit parce qu'elles redoutent la lenteur du traitement de leur dossier (rapport de la FIVA à l'occasion de son cinquième anniversaire).

Vu la période de latence importante de la maladie, la majeure partie des sinistres est escomptée au cours de la période 2015 à 2020. En outre, le profil de la « victime de l'amiante » va changer. Alors qu'autrefois, il s'agissait essentiellement d'anciens ouvriers exposés pendant des années à l'amiante, l'on enregistre une force hausse du nombre de victimes environnementales ou de proximité, n'ayant jamais travaillé avec l'amiante. À terme, le nombre des victimes parmi les travailleurs sera réduit au minium.

3. Intentions des auteurs

Pour les auteurs de la présente proposition de loi, il est évident que la création du FIVA et l'indemnisation forfaitaire des victimes de l'amiante et de leurs ayants droit ne sont qu'une première étape dans l'instauration d'un règlement compensatoire satisfaisant.

Les auteurs reconnaissent l'avantage d'une indemnisation relativement rapide des victimes via le FIVA, mais déplorent l'immunité du secteur et de l'État, la limitation des indemnités allouées et la limitation du nombre d'affections ouvrant droit à une indemnisation.

a. Levée de l'immunité civile

Les exploitants d'activités industrielles ont un devoir de prudence et d'investigation. Outre la législation et les usages, le critère de la prudence sociale entre également en ligne de compte. L'absence de normes légales ou d'usages ne constitue pas un blanc-seing qui dédouane un individu de toute responsabilité.

Les auteurs veulent donc avant tout lever l'immunité civile du tiers responsable. L'immunité est une exception injustifiable aux règles normales de la responsabilité. Pouvoir ester en justice malgré une indemnisation du FIVA est d'ailleurs une des exigences fondamentales des victimes.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent également que les victimes ou leurs ayants droit aient la possibilité d'engager une action en vue d'obtenir une indemnisation intégrale au titre de la responsabilité civile d'une pollution ou d'une intoxication à l'amiante. La victime (ou ses ayants droit) doit avoir la faculté d'ester en justice pour réclamer aux responsables économiques un dédommagement du préjudice non seulement financier, mais aussi moral.

Les auteurs soulignent le fait que la levée de l'immunité civile a uniquement pour but d'indemniser le préjudice subi par la victime et de donner réparation à la partie lésée. Il va sans dire qu'une double indemnisation d'un même préjudice est à exclure.

Le droit belge prévoit en effet que toute personne ayant subi un préjudice à la suite d'un acte illicite commis par autrui peut prétendre à une réparation à charge de l'auteur. Un fait générateur d'un préjudice peut toucher non seulement les victimes directes, mais aussi sa famille, ses amis, ses collègues, ... Ce sont des victimes indirectes qui, en droit belge, peuvent aussi demander réparation des dommages patrimoniaux et non-patrimoniaux qu'elles ont subis. Le juge dispose d'un vaste pouvoir d'appréciation pour la constatation du préjudice et de son ampleur.

Pour lever l'immunité civile de l'employeur, les deux premiers alinéas de l'article 125, § 1er, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 sont abrogés.

b. Éviter la prescription de l'action civile avant la naissance du dommage

La problématique de la prescription des actions en indemnisation des victimes de l'amiante requiert une attention particulière. Dans le cas de l'asbestose, le temps de latence peut aller jusqu'à vingt ans. Il est de vingt à trente ans pour le cancer du poumon et de vingt à quarante ans pour le mésothéliome. En raison de cette période d'incubation extrêmement longue, il n'est pas aisé, au regard des règles actuelles en matière de prescription, d'engager une action en indemnisation sur la base de la responsabilité extracontractuelle au titre de maladies liées à l'amiante.

Vu le délai de prescription « absolu » de vingt ans, tel qu'il est prévu à l'article 2262bis du Code civil, une action en réparation du préjudice résultant des lésions corporelles dus à l'amiante peut être frappée de prescription avant même de pouvoir être introduite.

Les auteurs estiment que l'application stricte de l'expiration du délai de prescription absolu selon le droit belge constitue une violation du droit d'accès à la justice énoncé à l'article 6 de la CEDH et à l'article 13 de la Constitution. En effet, la victime qui n'a jamais eu la possibilité de saisir la justice dès lors que son action a été frappée de prescription avant qu'elle ait connaissance du préjudice se voit refuser de facto le droit à un accès utile à la justice. Bien que le droit d'accès à la justice ne soit pas un droit absolu et puisse donc être soumis à des restrictions légales, une restriction ne peut pas rendre impossible l'exercice de ce droit (18) .

Dans un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu que l'application stricte du délai de prescription absolu peut, dans certaines circonstances, constituer une atteinte au droit d'accès à la justice. La Cour a considéré que le droit d'accès à la justice est violé dans les cas où le débiteur peut invoquer l'expiration du délai de prescription, tandis que le créancier ne peut engager son action qu'après l'expiration du délai de prescription en raison de circonstances spécifiques (19) .

Il convient de remarquer que la Cour de cassation s'est déjà rangée à ce point de vue dans le passé. Dans son arrêt du 13 janvier 1994, la Cour a confirmé que l'équité requiert que, pour que la prescription puisse commencer à courir, il faut que la victime ait eu raisonnablement connaissance de son droit d'action (20) .

Pour tenir compte de la problématique de la prescription en cas de préjudice sous-jacent caché, les auteurs désirent inscrire un délai de prescription spécifique dans le Code civil. Cette modification, qui doit également s'appliquer pour le passé, consiste à prévoir un délai de prescription court (cinq ans) qui commence à courir dès l'instant où la victime a connaissance de la lésion corporelle.

Les auteurs tiennent à souligner qu'un régime similaire est en vigueur aux Pays-Bas (article 3:310, alinéa 5, du Code civil, qui dispose qu'une action en réparation d'un préjudice résultant d'une lésion corporelle ou d'un décès se prescrit seulement par cinq ans à compter du jour suivant celui où la victime a eu connaissance tant du préjudice que de l'identité de la personne qui en est responsable), mais aussi en France (article 2270-1 du Code civil français: « Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ») (21) .

c. Extension des maladies indemnisées par le Fonds

Les auteurs souhaitent que les victimes de l'amiante puissent également obtenir une intervention du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante pour d'autres cancers s'il existe une preuve d'une exposition réelle. Une fois que la condition du seuil est remplie, le montant de l'indemnisation sera établi en tenant compte de facteurs imputables à la victime, comme le fait de fumer, etc. De cette manière, le facteur « circonstances propres à la personne préjudiciée » constitue un poste de déduction imputable à la « faute propre ».

Les auteurs souhaitent également faire référence à une étude scientifique récente démontrant qu'il sera bientôt possible de faire une distinction claire entre un cancer du poumon causé par l'amiante et les autres cancers du poumon.

À l'heure actuelle, une étude internationale est en cours sur les effets synergétiques d'une exposition professionnelle à des substances dangereuses (amiante, hydrocarbure polycyclique aromatique ou HPA, nickel, chrome et silice), étant donné qu'il semble possible de distinguer les cas de cancers du poumon causés par ces différentes substances et d'établir si un cancer du poumon est, dans un cas spécifique, causé par un facteur professionnel ou trouve son origine dans la sphère privée (comme la cigarette). L'étude est menée par l'International Agency for Research on Cancer (IARC), l'Institut für Prävention und Arbeitsmedizin der Deutschen Gesetzlichen Unfallversicherung (IPA) et l'Institute for Risk Assessment Sciences de l'Université d'Utrecht. Voir les données sous http://synergy.iarc.fr/synergy_researchprj.php.

Les auteurs veulent compléter en ce sens l'article 118 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006.

d. Rectification d'une référence erronée dans le texte original

Par la présente proposition de loi, les auteurs entendent corriger une anomalie dans la loi qui institue le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Il s'agit plus spécifiquement de modifier l'article 116, 5º, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 qui fait erronément référence à l'article 125, § 2, de la même loi. En réalité, il faut faire référence à l'article 125, § 3, puisque c'est dans cette disposition qu'est prévue la subrogation du Fonds des maladies professionnelles dans les droits de la victime.

Louis IDE.
Elke SLEURS.
Veerle STASSIJNS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 116, 5º, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, modifiée en dernier lieu par la loi du 23 décembre 2009, les mots « l'article 125, § 2 » sont remplacés par les mots « l'article 125, § 3 ».

Art. 3

L'article 118 de la même loi est complété par un 4° rédigé comme suit:

« 4° de cancers provoqués par l'amiante. Le cancer est réputé avoir été provoqué par l'amiante si la victime a été exposée au risque de l'amiante et peut en apporter la preuve selon les modalités fixées par le Roi. Le montant de l'indemnisation est établi de la manière fixée par le Roi en tenant compte des facteurs imputables à la victime. »

Art. 4

À l'article 125 de la même loi, les §§ 1er et 2 sont abrogés.

Art. 5

L'article 2262bis, § 1er, du Code civil est complété par un alinéa rédigé comme suit:

« Par dérogation à l'alinéa précédent, une action en réparation du préjudice résultant de lésions corporelles ou d'un décès se prescrivent par cinq ans à compter du jour suivant celui où la victime a eu connaissance du préjudice et de la personne qui en est responsable. Si la victime était mineure le jour où le préjudice et la personne responsable ont été connus, l'action ne se prescrit par cinq ans qu'à compter du jour suivant celui où la personne préjudiciée a atteint l'áge de la majorité. »

Art. 6

Le Roi peut fixer l'entrée en vigueur de l'article 3, au plus tard au 1er janvier 2014.

27 mai 2013.

Louis IDE.
Elke SLEURS.
Veerle STASSIJNS.

(1) Pour un aperçu détaillé de l'évolution de la perception sociale et scientifique, voir Evelien de Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid. Ontwikkelingen in het aansprakelijkheidsrecht, Intersentia, 2013, chapitre 2.

(2) Chief inspector of Factories and workshops, Annual report for 1906, cité par G. Tweedale, Magic Mineral to Killer Dust, New York, Oxford University Press, p. 17 et 723-734.

(3) M. Greenberg, « Knowlegde of the health hazard of asbestos prior to the Merewether and Price Report of 1930 », Soc. Hist. Med., 1994, p. 493-516.

(4) F. L. Hoffman, « Mortality from respiratory diseases in dusty trades (Inorganic dust) », US Department of Labor, Bulletin of the United States Bureau of Labor Statistics, n° 231, Washington D.C., 1918, p. 176-180.

(5) Marewether and Price, Report on the effects of asbestos dust on the lungs and dust suppresion 1930, H.M. Stationery Office.

(6) J. Hampe, Stof en stoflongen, in het bijzonder over silicose en silicatose, Assen, Van Gorcum, 1942.

(7) J. C. Wagner e.a., « Diffuse Pleural Mesotheliomas and Asbestos Exposure in the North Western Cape Province », in British Journal of Industrial Medecine, 1960, p. 260-271.

(8) M. L. Newhouse et H. Thompson, « Mesothelioma of pleura and peritoneum following exposure to asbests in the London area », Br. J. Ind. Med., 1965, p. 261-269.

(9) A. Gyselen, « Asbestose en neoplasmata », dans L. Billiet, A. Gyselen, D. Lahaye e.a., 1971, p. 64-80. Pour la Belgique, voir également l'étude de 1968 de Lauwereyns qui constate une augmentation alarmante de la pollution environnementale due à l'amiante.

(10) J. Stumphius, Asbest in een bedrijfsbevolking, Assen, Van Gorcum, 1969.

(11) A. Gyselen, « Asbestose en neoplasmata », dans L. Billiet, A. Gyselen, D. Lahaye e.a., 1971, p. 64-80.

(12) T.S. Nawrot, G. Kersschaever, E. Van Eycken et B. Nemery, « Belgium: historical champion in asbestos consumption », The Lancet. 2007, p. 1692.

(13) En 1993 aux Pays-Bas et en 1996 en France.

(14) Hélas, nous devons constater que, ces dernières années, la production mondiale d'amiante augmente à nouveau.

(15) R. Doll et J. Peto, Effects on health of exposure to asbestos, Report for the health and safety commission, HSE Books, 1985; R. Kiviluoto, « Pleural plaques and asbestos: further observations on endemic and other nonoccupational asbestosis », Ann. NY Acad. Sci., 1965, p. 235-239; H.C. Hoogsteden et J.P. Meerbeeck, « Longafwijkingen door asbest », in M. Desmedts e.a. (red), Longziekten, Assen, Van Gorcum 1999, p. 1210.

(16) E. de Kezel, o.c., p. 527.

(17) Le CNT souligne le fait qu'il faut éventuellement pouvoir poursuivre les employeurs au pénal (avis n° 1 826 du 27 novembre 2012). Cette suggestion ne tient selon nous pas compte de la réalité. Elle ne peut être considérée que comme hypothétique tout au plus. Sur le plan pénal, les délais de prescription spécifiques vont de vingt à trente ans. Vu le temps de latence pour que la maladie se déclare, les poursuites au pénal sont impossibles dans la plupart des cas. Une adaptation de ces délais de prescription pénaux ne nous semble pas opportune et n'aura dans tous les cas aucun effet sur la « charge du passé ». En outre, aucun élément de preuve n'a jamais été rassemblé concernant cette « charge du passé ». Il n'y avait à l'époque aucun service d'inspection menant des enquêtes, prélevant des échantillons, effectuant des auditions, ... En bref, la solution proposée par le CNT est complètement hypothétique et pourrait, tout au plus, avoir un effet pour les cas les plus actuels de travaux de démolition effectués de nos jours.

(18) J. Van de Lanotte et G. Goedertier, Overzicht van het publiek recht, Brugge, Die Keure, 1997, p. 284.

(19) CEDH 9 juillet 2009 (Stagno/Belgique), www.echr.coe.int; E. de Kezel, « la CEDH prononce un arrêt de principe relatif au délai de prescription », Juristenkrant 009, afl. 199, p. 3.

(20) Cass., 13 janvier 1994, Arr. Cass., 1994, p. 27.

(21) E. de Kezel, o.c., p. 274.