5-297/1

5-297/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

12 OCTOBRE 2010


Proposition de loi modifiant l'article 524 du Code judiciaire en ce qui concerne la suppléance des huissiers de justice

(Déposée par M. François Bellot)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 26 octobre 2007 (doc. Chambre, nº 52-281/1).

La naissance du mécanisme de la suppléance des huissiers de justice remonte à une quarantaine d'années, avec l'adoption de la loi du 5 juillet 1963, réglementant la fonction d'huissier de justice. Cette loi a connu à son tour une refonte majeure avec la réforme intervenue le 6 avril 1992 (1) , à l'occasion de la réorganisation du statut de l'huissier de justice.

Si le principe même de la suppléance, désormais prévu à l'article 524 du Code judiciaire, relève d'une logique assez élémentaire, il n'en demeure pas moins qu'il contribue de manière certaine à la bonne administration de la justice, en optimalisant le fonctionnement des études des huissiers de justice, véritables chevilles ouvrières de notre organisation judiciaire.

En effet, pour peu qu'un huissier de justice décide de prendre congé ou tombe subitement malade sans avoir la possibilité de se faire remplacer, l'étude serait purement et simplement paralysée, prenant ainsi en otage le justiciable. Une telle situation étant inacceptable, l'article 524 du Code judiciaire oblige l'huissier de justice à se faire suppléer le temps nécessaire à la reprise normale de ses fonctions. Ainsi, non seulement ce procédé évite que la gestion des dossiers n'accumule un retard injustifié mais, en plus, il offre la possibilité aux candidats-huissiers de justice, en attente d'une nomination, de se forger une expérience probante tout en augmentant la disponibilité et l'efficience de l'huissier de justice qui, avec le temps, se voit contraint de faire face à de nouveaux impératifs, notamment en termes de gestion organisationnelle, administrative et juridique (2) .

Pour toutes ces raisons, il serait, à l'heure actuelle, inconcevable de s'imaginer le droit judiciaire et l'organisation judiciaire belge sans l'huissier de justice suppléant. Ceci est à ce point vrai que l'on peut dire sans crainte que ce dernier est devenu une des pierres angulaires de l'efficacité de l'intervention de l'officier ministériel et public.

Une preuve supplémentaire, s'il en fallait, du caractère incontournable de ce système réside dans l'adoption d'un procédé assez similaire par le corps notarial (3) dont les membres, d'un point de vue statutaire, sont relativement proches des huissiers de justice.

Toutefois, ce principe de suppléance pourrait se voir vidé de sa substance suite à l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 4 février 2005 (4) .

Il était question, en l'espèce, pour un huissier de justice de réaliser un constat d'adultère sur ordonnance du président d'un tribunal de première instance. Cette ordonnance faisait également état du nom du confrère qui serait appelé à remplacer l'huissier de justice désigné en cas d'empêchement, dans le chef de ce dernier.

Il s'est avéré que l'huissier de justice, requis à titre principal, a dû faire appel à ce suppléant pour réaliser le procès-verbal d'adultère, motivant son désistement en raison de l'heure matinale à laquelle il était nécessaire d'accomplir le constat; ce qui constituait un facteur de danger pour sa santé en raison de sa charge de travail. Sur la base de cet élément de fait, le juge de première instance a prononcé la nullité de l'acte ainsi posé. Après avoir été débouté en tierce opposition et en appel de la décision de nullité rendue, l'huissier de justice suppléé a introduit un pourvoi auprès de la Cour de cassation sans plus de succès. La Cour a, en effet, fait sienne l'interprétation de la notion d'« empêchement » adoptée par le juge de première instance disant pour droit qu'il ne ressortait nullement des circonstances de fait que le demandeur avait pris « congé » ou était « empêché » d'exercer ses fonctions au sens de l'article 524 du Code judiciaire; et la Cour de cassation de préciser que l'empêchement pouvait reposer sur des raisons de santé mais pas sur des raisons de confort personnel ou de souhait d'alléger sa charge de travail, de telle sorte qu'en l'espèce le demandeur n'était pas personnellement empêché de faire lesdites constatations.

Accessoirement, remarquons tout de même qu'il serait tout à fait acceptable que l'huissier de justice puisse prendre « congé », comme le lui permet l'article 524 du Code judiciaire, pour des raisons de confort personnel, voire pour alléger sa charge de travail (5) .

Cette jurisprudence ouvre, malgré tout, une brèche qui pourrait bien avoir des répercussions néfastes à différents niveaux.

Frapper ainsi de nullité le constat d'adultère revient à pénaliser, en premier lieu, le justiciable en lui faisant perdre le bénéfice de l'intervention de l'huissier de justice. Une perte qui s'avèrera très certainement définitive puisque l'effet de surprise, condition sine qua non de ce type de constat, sera définitivement anéanti, rendant tout à fait illusoire de recourir à nouveau à cette mesure dans l'espoir de pallier l'invalidation prononcée ab initio. Autrement dit, une certaine incertitude pourrait planer désormais sur la légalité du constat d'adultère, générant ainsi une réelle insécurité juridique, préjudiciable au justiciable.

Une insécurité juridique que cherchait justement à combattre le législateur en adoptant la loi du 6 avril 1992, qui a eu notamment pour effet de retirer au procureur du Roi le pouvoir de juger de l'opportunité de l'empêchement ou du congé demandé au profit d'une prise de décision sur le remplaçant proposé par l'huissier concerné. À présent, le procureur du Roi n'est donc en mesure de se prononcer que sur la réunion des conditions nécessaires dans le chef d'un candidat-huissier de justice pour remplacer un titulaire. C'est, également, dans ce même esprit de vouloir gommer toute trace d'arbitraire, que le refus du procureur du Roi d'accepter la candidature proposée peut, à son tour, faire l'objet d'une requête auprès du président du tribunal de première instance.

Cette décision sévère va également à l'encontre de l'acception large des termes de « congé » et d'« empêchement » voulue par le législateur. Les travaux préparatoires sont à ce sujet éloquents lorsqu'ils énoncent que l'empêchement de l'huissier de justice pouvait avoir différentes causes (6) , non nécessairement en lien direct avec l'exécution de ses activités professionnelles, sous peine d'aller à l'encontre de l'esprit du texte de loi.

De plus, comment concevoir que le juge puisse faire usage d'un pouvoir que le législateur avait lui-même retiré au procureur du Roi, estimant qu'il ne permettait pas de garantir la sécurité juridique et le fonctionnement optimal de la corporation des huissiers de justice dans un arrondissement judiciaire donné ? Comment faire, dès lors, pour percevoir cette jurisprudence autrement que comme un dangereux retour en arrière, d'une part, en privant l'huissier de justice du pouvoir d'apprécier la nécessité de se faire suppléer et, d'autre part, en posant un examen sur sa légitimité non plus a priori mais a posteriori ?

L'interprétation restrictive adoptée en l'espèce revient, en définitive, à sacrifier la souplesse et la facilité du système voulu par le législateur de 1992, la viabilité des études ainsi que la bonne administration de la justice au profit d'une application littérale, rétrograde et inadaptée de la disposition législative en cause.

C'est pourquoi, l'auteur propose de modifier l'article 524 du Code judiciaire.

François BELLOT.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 524 du Code judiciaire, remplacé par la loi du 6 avril 1992, est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 524. — Même dans les cas où la désignation de l'huissier de justice résulte d'une décision de justice, ce dernier doit se faire remplacer par un confrère ou se faire suppléer par un huissier de justice suppléant dès l'instant où il se trouve dans l'incapacité d'exercer ses fonctions, quel qu'en soit le motif. »

21 septembre 2010.

François BELLOT.

(1) Loi du 6 avril 1992 modifiant le Code judiciaire, Moniteur belge du 13 mai 1992.

(2) Il est en effet impossible pour un huissier de justice titulaire de tout faire seul: il ne peut signifier des actes, en particulier quand il s'agit d'affaires urgentes, en même temps qu'il analyse les dossiers juridiques délicats et difficiles; faire les recherches nécessaires et répondre à la correspondance reçue; tenir la comptabilité journalièrement et vérifier les pièces préparées sans oublier de ménager des créneaux horaires pour recevoir le justiciable à son bureau. En parallèle, il est nécessaire que l'huissier de justice suive une formation permanente et assiste aux réunions des organes professionnels s'il y siège.

(3) Voir les articles 63 à 67 de la loi organique sur le notariat.

(4) Cass., 4 février 2005, http://www.cass.be.

(5) E. Brewaeys, « Over vermoeide gerechtsdeurwaarders en overspelige echtgenoten », De Juristenkrant, 9 maart 2005, nr. 105, blz. 10.

(6) Doc. Sénat, no 489-1, 1988/1989, p. 8.