4-1358/1

4-1358/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

12 JUIN 2009


Proposition de résolution relative à l'impact, sur la politique en matière de VIH/sida menée en Afrique, des propos tenus par le Pape le 17 mars 2009

(Déposée par Mme Marleen Temmerman et M. Patrik Vankrunkelsven)


DÉVELOPPEMENTS


Le 17 mars dernier, le Pape Benoît XVI a entamé sa première visite sur le continent africain depuis son élection comme souverain pontife. Lors de cette tournée de sept jours à travers le Cameroun et l'Angola, il comptait présenter le document de travail d'un synode sur l'Église en Afrique prévu pour le mois d'octobre.

Au cours de sa visite au Cameroun, pays très catholique, le Pape s'est exprimé dans la presse à propos du mal qui ravage l'Afrique depuis des années: l'épidémie de sida. Il a qualifié le VIH/sida de « fléau que l'on ne peut régler uniquement avec de l'argent ou en distribuant des préservatifs ». Selon Benoît XVI, les préservatifs ne sont pas une solution contre le virus mortel. Au contraire, « la distribution de préservatifs aggrave le problème », d'après le chef religieux mondial. Selon lui, la véritable solution au problème réside dans « un renouveau spirituel et humain » et une « amitié pour ceux qui souffrent ».

Selon des chiffres de l'ONUSIDA, on dénombre 2,5 millions de nouvelles infections chaque année en Afrique noire. Les personnes ainsi infectées s'ajoutent aux 22 millions de personnes déjà contaminées par le VIH. En 2007, le sida a tué 1,5 million de personnes dans cette partie de l'Afrique.

Le sida est donc toujours l'une des épidémies les plus meurtrières dans le monde, et en particulier en Afrique. Cela fait des années que des organisations des Nations unies telles que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et ONUSIDA ainsi que des organisations belges telles que l'Institut de médecine tropicale (IMT), le Centre international de santé reproductive (ICRH), Médecins sans frontières, Sensoa et d'autres essaient par tous les moyens de lutter contre le virus et soulignent l'importance cruciale de la prévention en vue d'induire des changements de comportement et ce, dans le respect de l'autre et au moyen de l'utilisation de préservatifs.

Les déclarations du Pape montrent qu'il ne connaît pas parfaitement et/ou sous-estime l'ampleur du problème. Ce n'est pas une question de divergence d'opinions, de religion ou d'éthique; c'est une négation mortellement dangereuse de faits prouvés scientifiquement. Dans de nombreux pays, il existe déjà une résistance à l'utilisation du préservatif et ce, pour toutes sortes de raisons; dans certaines régions, des chefs religieux exploiteront les récentes déclarations du Pape pour renforcer encore leur rejet du préservatif, contribuant ainsi à une plus grande propagation du virus. Tout le travail effectué durant des années par les nombreuses organisations caritatives est réduit à néant par une seule déclaration complètement erronée. Les déclarations d'un chef religieux aussi influent que le Pape, selon lesquelles la distribution de préservatifs aggraverait l'épidémie de sida, pourraient avoir des conséquences tragiques et entraîner la mort de nombreuses personnes, dont des femmes et des enfants.

Le 15 avril, l'ambassadeur de Belgique au Saint-Siège à Rome a transmis, au nom du gouvernement belge, la condamnation officielle des propos tenus par le Pape. En réaction, le Vatican a fait savoir que les déclarations du Pape avaient été sorties de leur contexte et utilisées à mauvais escient, mais il n'a pas rectifié l'erreur d'interprétation ni clarifié le point de vue du Pape au sujet de l'utilisation des préservatifs comme l'un des principaux moyens de prévention dans la lutte contre le VIH/sida et d'autres affections sexuellement transmissibles.

Afin de protéger la santé publique et de stopper l'épidémie de VIH/sida, il est capital de diffuser des informations correctes et scientifiquement prouvées. À ce jour, on ignore toujours quel est le point de vue du Pape au sujet de l'utilisation des préservatifs dans la lutte contre le VIH/sida ni comment il faut interpréter au juste ses déclarations.

Marleen TEMMERMAN.
Patrik VANKRUNKELSVEN.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. compte tenu des récentes déclarations du Pape Benoît XVI au sujet de la dramatique épidémie de sida en Afrique, selon lesquelles « ... la distribution de préservatifs aggrave le problème ... »;

B. compte tenu de la résolution adoptée par la Chambre des représentants le 4 avril 2009 (doc. nos 52-1907/1 à 6), qui demande au gouvernement de protester officiellement auprès du Saint-Siège;

C. compte tenu du fait que la résolution de la Chambre des représentants ainsi que celle du Sénat sont nées d'une préoccupation sérieuse en matière de santé publique et que les textes en question ne visent nullement à intimider qui que ce soit;

D. compte tenu de la condamnation officielle des propos tenus par le Pape, que l'ambassadeur de Belgique a transmise au Saint-Siège à Rome au nom du gouvernement, le 15 avril, donnant ainsi suite à la résolution adoptée par la Chambre des représentants;

E. eu égard au communiqué diffusé par le Vatican le 17 avril 2009, dans lequel celui-ci « déplore qu'une Assemblée parlementaire (belge) ait cru bon de critiquer le Saint-Père à partir d'un extrait d'interview tronqué et isolé de son contexte, qui a été utilisé par certains groupes avec une claire intention intimidatrice, comme pour dissuader le Pape de s'exprimer sur certains thèmes, dont les implications morales sont pourtant évidentes, et d'enseigner la doctrine de l'Église »;

F. considérant qu'un parlement démocratiquement élu est en droit de critiquer les propos d'un chef d'État lorsque ceux-ci sont inacceptables en raison du danger qu'ils représentent pour la santé publique;

G. compte tenu du fait qu'il y a 22 millions de personnes contaminées par le VIH en Afrique et que l'on y dénombre 2,5 millions de nouvelles contaminations chaque année;

H. compte tenu de l'énorme impact de ces déclarations pour la vie de millions de personnes dans le monde entier;

I. compte tenu de l'importance, scientifiquement prouvée, de promouvoir l'utilisation du préservatif dans le cadre de la prévention contre le VIH;

J. compte tenu du fait que le ministre de la Coopération au Développement, le ministre des Affaires étrangères et la ministre de la Santé publique et des Affaires sociales ont condamné les propos du Pape relatifs au préservatif;

K. compte tenu des réactions émanant de différents États membres de l'Union européenne, dont celle du ministre espagnol de la Santé, qui a déclaré que « les préservatifs étaient essentiels dans la lutte contre la propagation du sida », et celle du ministre français des Affaires étrangères, qui a officiellement protesté contre les déclarations du Pape;

L. compte tenu de la condamnation des propos du Pape par M. Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme;

M. compte tenu de la réaction d'ONUSIDA qui a qualifié les propos du Pape d'erronés et a confirmé que le préservatif est un élément essentiel et efficace dans la lutte contre la maladie;

N. compte tenu de la réponse de l'Organisation mondiale de la santé, selon laquelle ces déclarations incorrectes au sujet du préservatif et du VIH sont très dangereuses dès lors qu'il s'agit d'une pandémie qui a déjà tué 20 millions de personnes et qui en contamine actuellement quelque 42 millions »;

O. compte tenu de la Déclaration du Millénaire de 2000 dans laquelle sont adoptés huit objectifs du millénaire pour le développement, dont le 6e est intitulé « Combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies »;

P. compte tenu de la déclaration d'engagement des Nations unies sur le VIH/sida intitulée « À crise mondiale, action globale » que l'Assemblée générale a adoptée le 27 juin 2001 au cours de sa 26e session extraordinaire;

Q. compte tenu de la réunion de haut niveau de la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies (UNGASS) du 2 juin 2006 sur le VIH/sida et de la déclaration politique adoptée durant cette réunion;

R. compte tenu des conclusions de la XVIIe Conférence internationale sur le sida de l'Union interparlementaire, qui s'est tenue à Mexico du 3 au 8 août 2008, durant laquelle on a souligné l'importance de la prévention au moyen de l'utilisation du préservatif;

S. compte tenu du fait que le Vatican considère que les déclarations du Pape ont été sorties de leur contexte, mais qu'il n'a apporté aucune rectification ni défini clairement une position;

Demande au gouvernement fédéral:

1. d'informer le Parlement de la réaction du Saint-Siège à la condamnation, par les autorités belges, des propos tenus par le Pape;

2. de demander au Saint-Siège de préciser clairement le point de vue du Pape en ce qui concerne le rôle du préservatif dans la lutte contre le VIH/sida;

3. à l'avenir, de réagir rapidement et efficacement à l'encontre de personnes ou d'organisations qui ne considèrent pas l'utilisation du préservatif comme un moyen nécessaire et efficace pour lutter contre le VIH/sida;

4. d'organiser un colloque en vue de prouver l'efficacité de l'utilisation du préservatif dans la lutte contre le VIH/sida et ce, dans le cadre de la préparation d'une politique cohérente de lutte contre le sida en Belgique.

13 mai 2009.

Marleen TEMMERMAN.
Patrik VANKRUNKELSVEN.