3-1849/2

3-1849/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

17 AVRIL 2007


Proposition de résolution concernant l'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse

Rapport de la Commission nationale d'Évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse (loi du 13 août 1990) à l'attention du Parlement (1er janvier 2002 — 31 décembre 2003)


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR

MME ZRIHEN


I. INTRODUCTION

Au cours de la présente législature, la commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse, créée par la loi du 13 août 1990, a rédigé deux rapports à l'intention du Parlement: le premier a été déposé le 1er septembre 2004 et portait sur la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 (doc. Sénat, nº 3-836/1) et le deuxième a été déposé le 26 septembre 2006 et concernait la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 (doc. Sénat, nº 3-1849/1).

La commission des Affaires sociales du Sénat a procédé chaque fois à l'audition des coprésidents de la commission nationale d'évaluation. Le 17 novembre 2004, MM. Alfons Van Orshoven et Jules Messine, coprésidents de la commission, ont, conjointement avec Mme Trees Dehaene, future coprésidente, commenté le rapport relatif à la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003. Le 11 octobre 2006, Mme Trees Dehaene et M. Jules Messine, coprésidents de la commission, ont commenté le rapport relatif à la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005. Les exposés en question ont chaque fois été suivis d'un échange de vues. Ils font l'objet du chapitre II du présent rapport.

Au cours de sa réunion du 11 octobre 2006, la commission des Affaires sociales a décidé à l'unanimité, conformément à l'article 22.3 du règlement du Sénat, d'élaborer une proposition de résolution concernant l'application de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption volontaire de grossesse.

L'article 22.3 du règlement du Sénat dispose ce qui suit:

« Lorsque, dans une discussion, les commissions concluent à la nécessité de légiférer ou d'exprimer le point de vue du Sénat, elles peuvent rédiger elles-mêmes une proposition de loi ou de résolution, l'examiner, la mettre aux voix et faire rapport à son sujet, sans que le Sénat la prenne préalablement en considération.

Cette procédure ne peut être engagée qu'avec l'accord écrit de deux tiers des membres de la commission, et moyennant l'assentiment préalable du président du Sénat. En cas de doute sur la recevabilité, ou sur la compétence de la commission, celui-ci consulte le bureau. »

Mme Van de Casteele, présidente de la commission des Affaires sociales, a demandé, par courrier du 16 novembre 2006, l'assentiment préalable de la présidente du Sénat, qui l'a donné le même jour. La majorité requise des membres de la commission a marqué son accord écrit sur la procédure suivie.

Ensuite, un groupe de travail informel de la commission a élaboré un projet de résolution, qui a été examiné au cours des réunions des 7 et 28 février et 21 et 28 mars 2007 (voir chapitre III).

Enfin, le 28 mars 2007, à la suite des discussions menées en la matière, la commission des Affaires sociales a adopté une résolution (doc. Sénat, nº 3- 1849/3).

II. AUDITIONS

A. Période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003

1. Exposé introductif de M. Alfons Van Orshoven, coprésident de la commission nationale d'évaluation

La lecture des rapports annuels successifs de la commission d'évaluation permet de distinguer plusieurs tendances étonnantes concernant la nature et l'ampleur de la problématique de l'interruption de grossesse.

Tout d'abord, on a enregistré depuis le 1er octobre 1992 environ 200 000 interruptions de grossesse. Ce chiffre très interpellant donne matière à réflexion. D'une part, environ 200 000 vies n'ont pas pu éclore pour des raisons plus ou moins importantes. D'autre part, environ 200 000 femmes relativement jeunes se sont retrouvées dans une situation à ce point pénible qu'elles ne voyaient pas d'autre issue que le recours à l'avortement.

Le président a par ailleurs l'impression que le nombre d'interruptions de grossesse est en lente augmentation, surtout si l'on compare les chiffres au nombre de naissances. Tout le monde ne partage pas cette conclusion. La commission d'évaluation n'a toutefois pas encore étudié cette question plus avant. C'est pourquoi elle souhaite que l'on réalise une enquête multidisciplinaire dans le cadre de laquelle toutes les données en sa possession seront couplées à celles des autres services ou organismes publics ainsi qu'à celles du secteur privé. C'est la seule manière d'arriver à se faire une idée plus précise de la problématique de l'interruption de grossesse. En attendant, la commission a décidé d'organiser une enquête interne en demandant à chacun de ses membres de faire part de leurs réflexions et de leur point de vue sur la question. Les réponses seront consignées dans un rapport de synthèse qui sera discuté au printemps de l'année prochaine. La commission devra alors décider quelle suite elle réserve à cette enquête, par exemple la communiquer au Parlement.

Enfin, la commission d'évaluation a pour mission notamment de formuler des recommandations en vue de faire diminuer le nombre d'interruptions de grossesse. Dans un passé récent, un comité interministériel a également formulé une série de recommandations, mais celles-ci concernaient surtout la contraception. Le coprésident est personnellement d'avis que l'on ne fait pas assez d'efforts pour aider les jeunes femmes qui se retrouvent enceintes et qui se sentent contraintes de recourir à l'interruption de grossesse. Les personnes et les institutions qui se soucient du sort de ces femmes devraient être mieux soutenues.

2. Exposé introductif de M. Jules Messinne, coprésident de la commission d'évaluation

Les données dont dispose la commission sont des données dont elle n'a pas la maîtrise. La commission n'a pas la possibilité de contrôler ses sources, à savoir les rapports d'enregistrement transmis par les médecins, les centres de planning familial et les hôpitaux. La commission ne connaît donc pas le nombre réel d'interruptions de grossesse pratiquées. Elle ne connaît que le nombre qui lui est communiqué.

Or, il doit y avoir une différence. Pour l'illustrer, il suffit de constater que le nombre d'hôpitaux qui ont transmis des rapports en 2003 n'était pas le même qu'en 2002. Nous savons également que des hôpitaux ne communiquent rien.

Par conséquent, les chiffres transmis ne permettent pas une étude scientifique sérieuse sur le phénomène social de l'IVG.

En fait, s'il est vrai qu'en 1993, il y avait 13 474 IVG portées à la connaissance de la commission, s'il y en a eu 16 707 en 2003, cela ne signifie pas qu'il y a 25 % d'augmentation d'IVG en réalité.

Une des hypothèses formulées par la commission pour expliquer cette augmentation est qu'un certain nombre de médecins et d'hôpitaux ont une confiance grandissante en la commission, qu'ils ne considèrent pas comme une instance de dénonciation. La commission est donc mieux informée aujourd'hui qu'il y a 10 ans.

Il est même possible qu'il y ait moins d'IVG réellement pratiqués aujourd'hui par rapport à 1993. Tout est possible et la commission ne peut formuler que des hypothèses.

Dans les rapports de 2004 et de 2002, le souhait avait été formulé que si on veut malgré tout se lancer dans une étude scientifique du phénomène, il faudra que cette étude soit pluridisciplinaire: elle devra aller au-delà des données dont dispose la commission.

L'orateur se dit en outre frappé par le nombre d'avortements pratiqués sur de très jeunes femmes de 11 ans et plus. Il y en a peu mais ce phénomène touche des adolescentes et des pré-adolescentes. Les centres ont fait, à cet égard, des propositions très pertinentes et importantes. Elles visent à limiter le nombre d'IVG. Certaines de ces propositions échappent à la compétence du pouvoir fédéral.

Il regrette que ces propositions ne suscitent pas davantage d'intérêt auprès des instances concernées.

3. Discussion

Mme Nyssens éprouve un sentiment d'impuissance suite à l'exposé des coprésidents de la commission Nationale. Le rapport insiste sur le fait que la commission dispose finalement de peu de pouvoirs et qu'elle est totalement tributaire des données qu'on veut bien lui transmettre. De plus, les coprésidents ont annoncé une discussion interne imminente pour examiner la manière dont ils pourraient approfondir leur travail.

L'intervenante souhaiterait dés lors savoir si la commission désire que le législateur réfléchisse à une extension des pouvoirs de la Commission nationale. Ou l'étude pluridisciplinaire annoncée impliquerait-elle la compétence d'autres instances et d'autres personnes ? Il faut en effet tenir compte de ce constat de manque de pouvoirs tout en respectant les compétences du fédéral et des communautés en la matière.

Tout ceci crée un sentiment de malaise auquel il faut remédier.

La commission des Affaires sociales a examiné dans le courant de la matinée le premier rapport sur l'euthanasie. Ceci permet de faire un parallélisme intéressant avec le dossier actuel: le nombre de cas d'euthanasie et d'IVG ne correspondent sans doute pas à la réalité puisque les deux commissions dépendent du nombre de formulaires que les médecins traitants veulent bien rentrer.

Les commissions d'évaluations ont donc un rôle très important mais savent-elles, par définition, appréhender plus que ce qu'elles font actuellement puisque leurs données de travail dépendent totalement des acteurs sur le terrain ?

L'intervenante a également certaines questions sur le rapport: le rapport fait allusion à des étrangers en Belgique et des Belges qui vont à l'étranger. Qu'en est-il plus particulièrement du Luxembourg et des Pays-Bas ? Pourquoi certaines femmes se dirigent-elles vers ces pays plutôt que la Belgique ?

Le rapport constate également que le nombre d'IVG est en augmentation. Cette constatation pourrait résulter du fait que l'on transmet plus fréquemment les données à la commission. Mais le nombre d'IVG pourrait-il croître parce que la sociologie de notre société change ? Le rapport cite souvent les jeunes et les très jeunes: existe-t-il une évolution sociologique vers un phénomène de très jeunes femmes qui ont recours à l'IVG ?

Concernant les propositions relatives aux centres et aux hôpitaux, l'intervenante estime que la commission des Affaires sociales doit effectivement servir de relais auprès d'autres instances, comme les régions et communautés, pour que des actions soient entreprises. Les co-présidents ont cité une conférence interministérielle: faut-il en discuter au sein de la commission sénatoriale ou faut-il laisser cette discussion aux parlements régionaux ?

M. Messinne précise clairement que la commission nationale n'est pas demandeuse de nouveaux pouvoirs. Une extension de pouvoirs serait plus embarrassante qu'autre chose.

En revanche, il est vrai que les conclusions du rapport révèlent une forme de frustration qui s'est davantage révélée cette année qu'au cours des années précédentes. En effet, la commission a été sensiblement renouvelée et ses nouveaux membres se satisfont assez peu de la frustration de constater qu'ils veulent construire quelque chose de solide sur des fondations solides et que ces dernières n'existent pas.

D'autre part, la commission a été saisie d'une proposition tendant à vérifier s'il est possible de formuler une réflexion approfondie sur l'ensemble de la période de 1993 à 2003. L'examen de cette proposition a été entamé. C'est une tâche difficile qui prendra du temps: des notes ont été déposées ou le seront pour le 15 décembre prochain et des réunions ont été mises à l'agenda.

Ce travail est interne à la commission et est né à la demande de certains membres de la commission, insatisfaits des données incertaines dont ils disposent. En outre, certains membres ont cru voir dans les chiffres transmis une forme d'échec des politiques de contraception. Les chiffres donnent en effet à réfléchir: plus de la moitié des IVG est faite à la demande de femmes qui déclarent ne pas avoir utilisé de moyen de contraception. La commission tente donc de réfléchir sur ce phénomène afin d'en discerner les causes.

L'étude pluridisciplinaire n'a rien à voir avec ce qui précède: il s'agit d'une étude beaucoup plus générale qui vise à confronter les chiffres dont la commission dispose avec des phénomènes sociaux généraux de type démographique.

Concernant l'IVG chez les très jeunes, il a constaté à sa grande surprise qu'il existe effectivement des cas d'IVG chez de très jeunes femmes de 12 à 13 ans. La commission a été informée relativement tôt de l'existence de tels cas. Dire qu'il y a une tendance à la hausse de ces cas serait cependant prématuré.

M. Van Orshoven déclare que le mécontentement de la commission résulte non pas de son incapacité à résoudre les problèmes, mais de la constatation que la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse est rédigée de telle manière que le Parlement ne peut pas compter sur la commission pour régler les problèmes. La commission ne fait qu'attirer l'attention sur certains problèmes.

La commission est divisée sur la question de savoir si le nombre d'avortements a augmenté. Sans pouvoir en apporter la preuve, M. Van Orshoven a l'impression que ce nombre est bel et bien légèrement en hausse, certainement si l'on prend en compte le nombre de grossesses et de naissances. Les différences marquantes dans le nombre d'interruptions de grossesse par province constituent un autre indicateur de cette augmentation (doc. Sénat, nº 3-836/1, pp. 11-12). Il concède toutefois qu'il n'est pas exclu que l'obligation de déclaration soit aujourd'hui respectée par un plus grand nombre de médecins. En revanche, il y a toujours des médecins qui pratiquent l'avortement sans le déclarer. L'intervenant déplore que les parquets n'interviennent pas pour réprimer cette négligence.

La même observation peut d'ailleurs être faite pour le premier rapport aux chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie (22 septembre 2002 — 31 décembre 2003) (doc. Sénat, nº 3-864/1). Cette commission établit, elle aussi, un rapport fondé sur les données qui lui sont fournies, sans qu'elle n'ait la possibilité de vérifier si l'apport des données est complet.

M. Van Orshoven répète qu'il faut effectuer un examen plus approfondi des causes et des raisons qui poussent certaines femmes à interrompre une grossesse. Il insiste également pour qu'un accompagnement et un accueil satisfaisants soient prévus pour les femmes qui désirent interrompre leur grossesse pour l'une ou l'autre raison.

Ensuite, le nombre d'avortements pratiqués aux Pays-Bas sur des femmes habitant en Belgique et au grand-duché de Luxembourg a baissé sur une période de douze ans. Ce n'est pas étonnant. La raison la plus évidente est que l'avortement n'est plus punissable en Belgique depuis 1990 (doc. Sénat, nº 3-836/1, p. 9).

Trois raisons expliquent le fait qu'il y ait toujours des femmes belges et un petit nombre de femmes luxembourgeoises qui se rendent aux Pays-Bas pour y subir une interruption de grossesse.

Primo, beaucoup de femmes habitant principalement le nord du pays se rendent, par facilité, dans un des trois centres des Pays-Bas qui sont situés juste au-delà de la frontière.

Secundo, des femmes qui ne peuvent plus se faire avorter en Belgique en vertu de l'article 350 du Code pénal sont envoyées aux Pays-Bas par leur médecin, où, contrairement à la Belgique, l'interruption de grossesse après le délai de douze semaines n'est pas soumise à des conditions supplémentaires (par exemple, un danger grave pour la santé de la femme).

Tertio, certaines femmes préfèrent subir une interruption de grossesse aux Pays-Bas, notamment pour des raisons liées à leur vie privée.

En ce qui concerne la question de l'augmentation du nombre d'interruptions de grossesse chez les très jeunes filles (o.c., pp. 8-9), il convient d'être très prudent dans l'interprétation des chiffres. En effet, il faut tenir compte non seulement du pourcentage d'une hausse éventuelle, mais aussi des chiffres absolus.

Enfin, M. Van Orshoven souhaiterait encore formuler deux remarques pratiques concernant le secrétariat de la Commission nationale d'évaluation.

Premièrement, ce secrétariat a également travaillé pour la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, malgré le fait que celle-ci devrait disposer de son propre secrétariat. Cela élargit certes l'horizon du secrétariat de la Commission nationale pour l'évaluation de la loi relative à l'avortement, mais cela ne peut pas compromettre l'exécution de la mission de cette dernière.

Deuxièmement, l'intervenant désire que l'on vérifie si l'arrêté royal fixant le cadre du secrétariat en question est bien conforme à la législation linguistique.

M. Cornil déclare que son parti n'est pas favorable à une modification des compétences de la commission nationale: la loi précise clairement le rapport de nature statistique. Ceci ne signifie pas qu'il ne serait pas intéressant de disposer d'un certain nombre d'éléments qualitatifs comme la motivation des femmes qui ont recours à l'IVG, mais ceci pourrait s'inscrire dans le cas d'une étude interuniversitaire.

L'intervenant estime qu'on ne peut qu'être favorable aux politiques de prévention, même si elles relèvent des communautés. Il est en effet frappé par les deux tableaux C 7 et C 8 de la page 15 du rapport concernant les données médicales sur la méthode de contraception la plus utilisée et les causes d'échec de la contraception. Sur les 15 000 cas transmis, il existe 4 500 cas d'utilisation incorrecte de la contraception, 2 300 cas d'inefficacité et 763 cas où l'on ne sait pas. Ces chiffres sont désastreux dans notre société de communication et ils démontrent que les campagnes de prévention et d'information doivent être considérablement accrues.

Sa seconde question porte sur le rapport à la page 44. On y soulève 2 problèmes, le premier étant les IVG chez la population étrangère. Le rapport cite les nationalités (arabes, turques, congolaises ..) et les instances interpellées insistent sur la nécessité d'une information spécifique pour ces communautés, qui tienne compte de leurs appartenances religieuses et philosophiques.

Cet aspect est intéressant: existe-t-il une catégorie statistique sur la base de la nationalité ou de l'origine des femmes qui pratiquent une IVG ? Existe-t-il une catégorie statistique sur le statut de séjour de ces femmes et ne serait-il pas utile, le cas échéant, de la créer ?

Enfin, il aimerait davantage de renseignements sur la non-couverture sociale d'une partie croissante de la population. Il semblerait que dans certains cas, l'on doive même prévoir un plan d'étalement des dettes pour pouvoir financer une IVG. L'intervenant est assez surpris de ce constat et voudrait connaître le sentiment de la commission par rapport à ce phénomène qui semble surtout se produire à Bruxelles.

M. Messinne signale que les dispositions légales actuelles prévoient que l'on connaisse le domicile de la femme mais pas sa nationalité. La commission avait jusqu'à présent toujours fait une distinction entre les personnes habitant dans un des États ressortissants de l'UE et celles habitant dans des États non UE. Elle vient de renoncer à cette distinction parce qu'elle avait perdu de sa pertinence, l'Europe ayant changé de dimension depuis mai 2004.

Pour le reste, les documents d'enregistrement remplis par les médecins ne contiennent que les questions telles qu'elles sont prévues par la loi. Ils ne contiennent donc aucune demande relative à la nationalité.

En revanche, il constate que des réflexions très pertinentes sont formulées surtout par les centres: les hôpitaux n'appliquent la loi que de manière marginale en raison d'autres urgences et les femmes préfèrent visiblement aller dans les centres qui sont plus conviviaux. Les propositions faites par les centres sont donc une richesse considérable et l'orateur regrette qu'elles n'aient pas plus d'échos. Cela pourrait inciter la commission nationale à approfondir cette question dans le cadre des discussions futures et à arriver à des recommandations nouvelles.

M. Van Orshoven est entièrement du même avis.

S'agissant de la question de savoir s'il faut modifier la loi, il estime qu'il n'y a rien à changer à celle-ci sur le fond. Les rapports annuels gagneraient toutefois en consistance si la commission d'évaluation avait davantage d'informations à sa disposition. Ainsi ne peut-elle pas connaître la nationalité des femmes. Tout ce qu'elle peut savoir à cet égard, c'est leur lieu de résidence. C'est pourquoi, dans le rapport, les femmes d'origine étrangère ayant subi une interruption de grossesse en Belgique sont classées suivant le continent dont elles sont orginaires (o. c., p. 12). Toutefois, la commission d'évaluation ignore, par exemple, si ces femmes séjournent légalement ou non dans le pays. Elle ne dispose pas non plus de données sur la nationalité ou l'origine des femmes qui, par exemple, ont subi une interruption de grossesse à Bruxelles (23,8 % du total). C'est au législateur qu'il appartient de déterminer si ces données doivent également être enregistrées.

M. Messine ajoute que tout dépend de ce que l'on veut savoir. Si la commission sénatoriale veut davantage de renseignements, il faut autoriser la commission nationale à rédiger des documents où elle pose davantage de questions.

M. Van Orshoven donne un exemple. La commission d'évaluation ne dispose pas de données concernant le nombre d'interruptions de grossesse qu'une femme a déjà subies car c'est une question qu'on ne peut pas lui poser. Or, pour le médecin traitant, il est important de savoir si la femme est confrontée pour la première fois à cette délicate situation ou si, pour le dire en exagérant quelque peu les choses, il s'agit pour elle plutôt d'une habitude.

Si la commission pouvait incorporer pareilles données dans ses rapports, elle pourrait dresser un tableau plus complet de la problématique de l'interruption volontaire de grossesse.

Une autre donnée que la commission ignore, d'après Mme Dehaene, est la situation de vie de la femme. À l'heure actuelle, la seule information communiquée est l'état civil, c'est-à-dire le fait d'être marié ou pas. Dans le contexte social actuel, cette classification n'est pas suffisante. En effet, il est important de savoir si une femme non mariée vit ou non avec un partenaire fixe (o. c., p. 10).

M. Vankrunkelsven aimerait savoir si la campagne d'information de grande ampleur et quelque peu controversée que la ministre Vogels a lancée en Flandre il y a quelques années à propos de la contraception, sous le slogan « eerst blablabla, dan boemboemboem », a eu un impact mesurable sur le nombre d'avortements.

Il constate ensuite que la commission d'évaluation relève dans son rapport qu'un grand nombre de femmes préfèrent une interruption de grossesse par voie médicamenteuse, c'est-à-dire par l'absorption de Myfegine (o.c., p. 51). Mais vu son coût, elles n'y ont pas recours. S'agit-il d'une suggestion implicite à l'adresse des pouvoirs publics afin qu'ils prennent des initiatives en la matière, par exemple en prévoyant un meilleur régime de remboursement ?

Il serait également intéressant, du point de vue de la prévention, de pouvoir disposer de davantage de données sur les différences régionales. Celles-ci sont-elles dues à des facteurs démographiques ou ont-elles d'autres causes ? La commission possède visiblement des informations à ce sujet, mais elle ne les publie pas.

Enfin, le rapport souligne l'importance d'une bonne information en matière de contraception. Il s'agit là d'une compétence communautaire. Que fait concrètement la commission pour attirer l'attention des communautés sur le rapport qui fait l'objet de la présente discussion, de manière que celles-ci puissent affiner et ajuster leur politique de prévention ?

En ce qui concerne la question de l'impact de certaines campagnes d'information, Mme Van de Casteele attire l'attention sur le fait que les autorités fédérales ont décidé de rendre la pilule du lendemain plus accessible. Existe-t-il des statistiques démontrant l'utilité que la mesure en question a pu avoir ?

Selon M. Van Orshoven, les campagnes d'information et la distribution de nouveaux produits pharmaceutiques sont toujours utiles. Quant à savoir si elles sont réellement suivies d'effets, c'est une autre question. Comme les statistiques en matière d'avortement sont en légère hausse ou, si l'on préfère, au statu quo, force est de constater que les campagnes spécifiques qui ont été menées n'ont pas apporté de grands changements. Elles n'en restent pas moins utiles, même s'il ne faut pas oublier que la contraception requiert une grande discipline de la part des personnes concernées. Fort de sa longue expérience en tant que médecin traitant, M. Van Orshoven a pu constater que même des femmes très attentives à la contraception oublient parfois de prendre la pilule. Ce fait devrait être une incitation à développer de meilleures méthodes contraceptives qui, par exemple, ne nécessiteraient plus l'absorption quotidienne d'une pilule.

M. Van Orshoven souligne également que la prévention va au-delà du simple souci d'éviter les grossesses. La prévention devrait aussi attirer l'attention des jeunes sur le respect du partenaire et sur la valeur de la vie. Il faut accorder plus d'attention à cet aspect, et ne pas se limiter à la question de la protection des rapports sexuels. La nature humaine étant ce qu'elle est, il est naturel de douter qu'une telle approche puisse se traduire immédiatement par une diminution du nombre d'avortements.

M. Messinne illustre le caractère régional du problème, étant entendu que les chiffres dont il dispose sont des chiffres en rapport avec le domicile. Pour l'ensemble des provinces flamandes, il y a 42,89 % d'avortements en 2003. Pour l'ensemble des provinces wallonnes, il y a 31,26 % d'IVG. Pour Bruxelles-capitale, il y a 23, 41 % d'IVG.

On ne peut cependant tirer trop de conclusions de ces chiffres en raison de la démographie: il y une population plus importante en Flandre qu'en Wallonie et Bruxelles représente 10 % de notre population nationale.

Selon lui, dans un pays de 10 000 000 d'habitants, il ne doit pas y avoir de différences de comportements fondamentales selon que l'on se trouve dans une partie ou une autre du pays. C'est évidemment une impression et non pas une certitude scientifique.

Concernant la préférence manifestée par les femmes pour l'IVG médicamenteuse, ce fait est probable parce que grâce aux médicaments, l'intervention devient moins lourde. La pilule du lendemain est importante puisqu'elle empêche la grossesse de se développer sans être déjà réellement une IVG. Elle permet d'éviter une procédure lourde où la femme doit consulter dans un hôpital, respecter un délai de réflexion de 8 jours, et finalement subir une intervention en général sous anesthésie locale.

La Commission nationale n'a aucun contact avec les communautés, d'une part parce qu'elle doit faire rapport au parlement fédéral et d'autre part parce que les communautés ne lui demandent rien.

En ce qui concerne l'interruption de grossesse médicamenteuse, M. Van Orshoven explique que l'usage de la mifepristone gagne en popularité, non pas parce que les femmes le demandent mais parce que les médecins ont adopté cette nouvelle méthode, qui devrait toutefois être appliquée plus tôt.

Si le recours à la pilule du lendemain était si évident, il ne faudrait pratiquement plus procéder à des interruptions de grossesse. En effet, toute femme qui craindrait d'être fécondée sans l'avoir désiré pourrait échapper au risque d'une grossesse en absorbant simplement cette pilule. Mais la pratique nous apprend que les choses sont loin d'être aussi simples.

Pour ce qui est des différences régionales, M. Van Orshoven ne partage pas tout à fait le point de vue défendu par son coprésident. Il souhaite prendre comme point de référence non pas le nombre total d'habitants par région — Flandre: 48 % des interruptions de grossesse pour 59 % de la population totale de la Belgique —, mais le nombre total de grossesses et d'avortements. À cet égard, il existe bel et bien des différences entre les diverses régions du pays. Il existe en outre une grande divergence entre les types de situations de détresse que les femmes invoquent pour justifier une interruption volontaire de grossesse. Ainsi, dans certaines régions, on invoque davantage des raisons économiques, ce qui ne signifie pas nécessairement que cette situation de détresse soit effectivement la plus fréquente dans la région en question. Il se peut que cette raison soit alléguée parce qu'elle y est plus facilement acceptée. Dans d'autres régions, des femmes souhaitent avorter pour des raisons plutôt familiales ou personnelles. Mais à ce jour, cette question n'a pas encore fait l'objet d'une étude approfondie.

Ce qui est sûr, c'est que le nombre d'interruptions de grossesse a augmenté dans les grandes villes tant en Wallonie qu'en Flandre. Et c'est Bruxelles qui décroche la palme. Bruxelles est un creuset sur lequel la commission dispose de (trop) peu d'informations. Il serait dès lors judicieux d'adapter le mode d'acquisition des données à la réalité des grandes villes. Cela permettra aux communautés d'adapter leur politique en matière de prévention.

Mme Dehaene ajoute que la commission d'évaluation devrait prendre contact elle-même avec les communautés et leur présenter son rapport annuel. De cette manière, les recommandations de la commission trouveront un prolongement dans les politiques menées.

Les campagnes d'information restent un outil important. Elles ont une excellente visibilité, mais elles simplifient le message. De ce fait, on ne cerne pas toujours leurs effets secondaires. Elle souscrit dès lors au plaidoyer de M. Van Orshoven qui prône de travailler aussi sur le long terme et en profondeur. Cela permettra d'éviter la simplification et les effets secondaires indésirables de certaines campagnes tapageuses.

En ce qui concerne l'avortement par voie médicamenteuse, l'intervenante réfute la thèse selon laquelle cette méthode conviendrait mieux aux femmes d'un point de vue émotionnel. Cette méthode cause au contraire des problèmes énormes pour un certain nombre de femmes parce qu'elles ont l'impression de pratiquer l'avortement elles-mêmes. C'est pourquoi elles préfèrent subir une intervention. Les centres d'avortement consultent donc les patientes pour savoir de quelle manière elles souhaitent interrompre leur grossesse.

M. Messinne, pour revenir sur les aspects régionaux, explique que si l'on examine les situations de détresse matérielle de la femme, on constate qu'il s'agit de la province d'Anvers, du Hainaut et de Bruxelles-Capitale.

Lorsque la femme invoque une détresse personnelle, il s'agit en général de la province d'Anvers, du Hainaut, de Bruxelles-Capitale et de la Flandre orientale.

Il y a donc des régions du pays où des femmes se trouvent davantage en détresse que dans d'autres. Ces régions, ce n'est pas contradictoire, peuvent être particulièrement florissantes d'un point de vue économique sans pour autant résoudre les problèmes sociaux d'une partie des habitants.

Par ailleurs, concernant les institutions néerlandophones qui communiquent des renseignements à la commission nationale, il y a eu 7 centres en 2003 (8 en 2002), 11 hôpitaux et cliniques en 2003 (12 en 2002). On sait avec certitude qu'il n'y a pas plus de centres que les chiffres cités mais par contre, il est évident qu'il y a bien plus que 11 ou 12 hôpitaux ou cliniques en Flandre.

Concernant les institutions francophones ayant communiqué des renseignements, il y a eu 29 centres en 2003 (27 en 2002), 26 hôpitaux en 2003 (23 en 2002). Ici vaut le même constat: il est évident qu'il y a bien plus que 26 hôpitaux en Wallonie.

Il y a donc des différences à l'égard des renseignements recueillis. Pourtant, de manière curieuse, ces différences ne se reflètent pas de manière significative dans les chiffres globaux.

Mme Zrihen craint qu'un questionnaire de plus en plus fouillé et pointu ne réduise la quantité d'informations qu'on obtiendra.

De toute façon, quels que soient la forme, le lieu, l'âge, les méthodes, on est dans une situation extrêmement difficile. Quel est le but que nous poursuivons: connaître les statistiques dans les détails ou bien faire en sorte que les chiffres se réduisent, quelle que soit la méthode d'investigation que nous appliquons ?

Il est bien plus important de savoir, à l'ère de la communication, de l'information et de l'accessibilité aux soins de santé, pourquoi on atteint des chiffres pareils. Il faut cesser d'évaluer, examiner et croiser des données statistiques et se demander pourquoi le nombre d'IVG reste aussi conséquent.

Il serait plus intéressant de se poser un certain nombre de conclusions sur l'amont du problème que de continuer à s'appesantir sur des données mathématiques, par ailleurs incertaines.

M. Van Orshoven partage ce point de vue. Les statistiques ne sont pas un objectif en soi. Mais les données que la commission a collectées devraient ouvrir les yeux des responsables politiques. Le nœud du problème, c'est que les jeunes femmes sont confrontées à des problèmes tels qu'elles décident de ne pas laisser naître l'être humain qu'elles portent en elles. Le président est d'avis qu'il faut tendre vers le meilleur accompagnement possible de ces femmes. Fort de son expérience de médecin, il sait que beaucoup d'avortements pourraient être évités. Certaines femmes sont reconnaissantes au médecin plus tard de les avoir convaincues de ne pas avorter.

M. Messinne lit une question voilée dans l'intervention de Mme Zrihen, qui consisterait à se demander si la commission nationale, telle qu'elle existe maintenant, a encore une certaine utilité.

Sur le plan statistique, elle présente, selon lui, une utilité évidente. Pour autant que nous sachions le nombre plus ou moins exact d'IVG, la Belgique ne fait pas partie des pays qui appliquent cette méthode comme moyen de contrôle de la natalité.

D'un autre coté, les rapports donnés par des centres et des hôpitaux contiennent des suggestions et des propositions très intéressantes. Il est fort probable qu'ils ne feraient pas ces suggestions à une autre instance que la commission nationale. La commission joue donc un rôle de relais.

M. Brotchi voudrait savoir si la commission nationale pense que le nombre d'avortements a réellement augmenté ou s'il est envisageable que le nombre d'avortements clandestins ait diminué, ce qui augmenterait le nombre d'IVG déclarées ?

Où se situe le pourcentage d'IVG de la Belgique par rapport aux pays voisins ? Y a-t-il davantage de cas en Hollande ?

L'intervenant est surpris du manque de collaboration des hôpitaux et cliniques, d'autant plus que l'avortement est autorisé en Belgique. La commission s'est-elle demandé pourquoi ? Le parlement peut-il faire quelque chose pour que la commission dispose de meilleurs renseignements ?

M. Messinne précise que la commission ignore le nombre d'avortements clandestins et ne dispose pas de moyens pour le connaître. Mais il est vrai qu'il partage l'impression qu'il y a moins d'avortements clandestins qu'avant 1990.

Il ignore également la raison du manque de motivation des hôpitaux à participer au travail de la commission. On ne peut tenter d'améliorer la situation qu'en rappelant sans cesse qu'ils doivent renvoyer les formulaires.

M. Van Orshoven indique que la commission n'a aucune idée du nombre d'avortements clandestins, c'est-à-dire des avortements pratiqués en dehors du milieu médical. En outre, il y a toujours certainement des interruptions de grossesse pratiquées dans les règles de la médecine qui ne sont pas déclarées.

En ce qui concerne la comparaison avec les Pays-Bas, l'intervenant a déjà souligné que des femmes belges étaient parfois dirigées vers les Pays-Bas, où l'interruption de grossesse est encore autorisée après douze semaines de grossesse. La commission ne dispose pas de données plus précises à ce sujet, étant donné qu'en Belgique, il n'est pas permis de se renseigner sur la durée de la grossesse. Certains instituts signalent uniquement qu'ils ont dirigé vers les Pays-Bas des femmes enceintes de plus de douze semaines.

Au sujet du manque de collaboration des hôpitaux et des cliniques, M. Van Orshoven constate que les parquets n'agissent pas contre ce phénomène. Ils affichent la même inertie en ce qui concerne le défaut d'enregistrement des cas d'euthanasie. Le ministère public considère manifestement que grâce à la suppression de la répression de l'interruption de grossesse et à l'instauration d'une obligation de déclaration, toutes les interruptions de grossesse sont désormais enregistrées.

Mme Dehaene fournit une liste comparative du nombre d'interruptions de grossesse dans quelques autres pays (par 1000 femmes âgées entre 15 et 44 ans):

— Belgique: 7,9

— Allemagne: 7,8

— Suisse: 8,2

— Pays-Bas: 8,7

— Angleterre: 16,2

— États-Unis: 21,3.

Selon M. Van Orshoven, si ce chiffre est particulièrement bas en Belgique, c'est parce que l'usage de la contraception y est le plus répandu.

M. Germeaux attire l'attention sur le fait que le tableau reprenant les méthodes de contraception les plus utilisées pendant le dernier mois (o.c., p. 15) montre clairement que l'écrasante majorité des femmes ayant subi une interruption de grossesse n'éprouvaient pas de désir d'enfant. Cela éclaire d'un jour nouveau la problématique de l'interruption de grossesse.

Mme Dehaene répond que la politique de prévention menée a entraîné une évolution des mentalités, où fécondité et sexualité ont été dissociées. C'est la raison pour laquelle beaucoup de personnes ressentent la grossesse comme un événement totalement inattendu. Il s'agit donc de considérer la fécondité comme une partie de l'identité sexuelle. L'homme et la femme auront ainsi une attitude plus réfléchie vis-à-vis de la contraception.

La présidente, Mme Van de Casteele, déclare que le rapport annuel et l'échange de vues ont largement donné matière à réfléchir. La femme y a toujours été au centre des préoccupations, mais le rapport annuel souligne qu'il faut également responsabiliser les garçons (o.c., p. 52).

B. Période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005

1. Exposé de M. Jules Messinne, coprésident de la Commission d'évaluation

M. Messinne déclare qu'il s'agit du neuvième rapport de la commission nationale d'évaluation depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 août 1990. Comme le précédent rapport, celui-ci doit être appréhendé avec certaines précautions qui tiennent à la manière dont les chiffres sont recueillis. Ces chiffres n'ont pas de valeur scientifique car la commission est tributaire des données qui lui sont fournies et ne contrôle pas ses sources.

Première constatation, le nombre d'IVG communiquées à la commission d'évaluation a continué à augmenter par rapport aux années précédentes. Cette augmentation correspond-elle à une augmentation du nombre des IVG dans notre pays ou s'explique-t-elle autrement ? Il y a certainement d'autres causes, qui tiennent notamment à ce que la communication faite par les médecins et les centres qui pratiquent des IVG s'améliore. En 2004, onze nouveaux hôpitaux étaient apparus dans les déclarations; en 2005, on en compte encore treize de plus. Ces chiffres ne justifient pas totalement l'augmentation mais ils font partie de l'explication.

Les chiffres reçus par la commission sont spécifiques aux IVG. Ils ne sont comparés qu'avec les données recueillies par la commission elle-même. Ces chiffres pourraient certes être interprétés à la lumière d'autres données, à l'intervention de l'Institut national des statistiques, mais la commission, elle, n'est pas outillée pour opérer des comparaisons. C'est pourquoi les conclusions du rapport mettent en garde contre le danger qu'il y aurait à tirer de ces chiffres des conclusions de type démographique, socio-économique, politique, culturel, etc.

Cela étant, le rapport montre qu'un quart des IVG pratiquées en Belgique le sont dans l'arrondissement de Bruxelles-Capitale et près de 30 % des femmes s'y déclarent en situation de détresse matérielle. Or, la région de Bruxelles-Capitale connaît précisément le taux de chômage le plus important du pays. Il pourrait donc y avoir un rapport entre la situation matérielle des femmes et un taux élevé d'IVG.

La commission reçoit les données via les médecins et les hôpitaux, qui posent aux femmes les questions qu'ils peuvent poser en vertu de la loi. Certaines données tiennent plus à des situations de droit que de fait. Ainsi, on saura si la femme est mariée ou célibataire (état civil), mais cela ne donne pas d'indication sur le fait qu'elle vit ou non en couple. Or, pour mener une politique de prévention, il serait sans doute plus utile de savoir si les femmes qui demandent une IVG vivent en couple. De même, la commission ne recueille aucune donnée sur la situation socio-économique de l'intéressée: a-t-elle un emploi ou est-elle au chômage, vit-elle dans une situation de précarité ? On pourrait envisager aussi de l'interroger sur sa nationalité: la demande d'IVG est peut-être liée à une fragilisation parce que la personnes est en situation irrégulière sur le territoire.

La loi autorise la commission d'évaluation à formuler des suggestions en vue de faire baisser le nombre d'IVG. Celles-ci sont détaillées dans les conclusions, à la page 78 du rapport.

2. Exposé introductif de Mme Trees Dehaene, coprésidente de la Commission nationale d'évaluation

Mme Trees Dehaene, coprésidente de la Commission nationale d'évaluation, donne quelques explications qui contribueront à une meilleure compréhension des chiffres qui figurent dans le dernier rapport. Ainsi, il peut être intéressant de comparer les chiffres de l'année 2005 avec le nombre total de femmes en âge de procréer et avec le nombre total de grossesses connues. Lorsqu'on compare le nombre d'avortements au nombre de femmes en âge de procréer, on obtient un taux d'avortement de 8,59, soit un chiffre comparable à celui des Pays-Bas et de l'Allemagne, qui place la Belgique dans le groupe des pays où le taux d'avortement est le moins élevé. La deuxième comparaison qui peut être faite est celle du rapport entre le nombre d'avortements et le nombre de grossesses. Ce calcul donne un ratio d'avortement de 13,15 pour 100 grossesses. Comme on le voit, il s'agit quand même d'un nombre d'avortements significatif.

M. Messine a mis en exergue le grand nombre d'avortements pratiqués en Région bruxelloise. Depuis quelques années, on procède à un enregistrement distinct pour le Brabant flamand, le Brabant wallon et la Région de Bruxelles-Capitale. En termes absolus, c'est en Flandre que les avortements sont les plus nombreux (41 %); viennent ensuite la Wallonie (32 %) et Bruxelles (25 %). Toutefois, si l'on compare les statistiques en matière d'avortement aux chiffres de la population, on obtient un tableau différent: Bruxelles arrive en tête avec un taux d'avortement de 18,29, suivie de la Wallonie (7,92) et de la Flandre (5,86). En ce qui concerne le ratio d'avortement, le classement est identique: Bruxelles (20 avortements pour 100 grossesses), suivie de la Wallonie (12,13 pour 100) et de la Flandre (9,85 pour 100).

Enfin, Mme Dehaene attire l'attention sur quelques chiffres. L'âge moyen des femmes qui procèdent à un avortement est de 27 ans. La moitié de ces femmes n'ont pas encore d'enfants. Le groupe des femmes les plus jeunes, c'est-à-dire toutes les femmes de moins de 20 ans, représente 14 % du nombre total des femmes subissant un avortement. Au sein de ce groupe, on constate qu'actuellement, environ la moitié des grossesses sont interrompues, soit une proportion plus importante qu'auparavant. Dans la catégorie des femmes plus âgées — les plus de 40 ans — on observe une évolution remarquable. Les avortements sont un peu plus nombreux, mais il y a surtout nettement plus de grossesses qu'auparavant. Cela signifie que, dans ce groupe d'âge, le nombre d'avortements par rapport au nombre de grossesses a diminué. L'on pourrait expliquer cette augmentation du nombre de grossesses par le remboursement des opérations de fécondation médicalement assistée, qui permet également aux femmes de cette catégorie de réaliser une grossesse. Il est frappant de constater que 4 femmes sur 10 affirment encore n'avoir pas utilisé de moyens contraceptifs au cours du mois précédant la conception.

3. Discussion

Mme De Schamphelaere est intéressée non seulement par les données chiffrées disponibles à présent mais aussi par les suggestions faites par la commission d'évaluation. Elle constate que cette dernière demande de modifier la loi pour obtenir de meilleures données chiffrées, par exemple au sujet de la situation familiale de fait de la femme. Demander uniquement si elle est mariée ou non ne permet évidemment pas de voir clairement quelle est sa situation familiale. Des questions au sujet de la situation économique et de la nationalité peuvent aussi être utiles, certainement dans le cadre d'une meilleure prévention.

Elle se demande également si les chiffres fournis dans le rapport sont comparés aux chiffres de l'INAMI. Un remboursement est en effet prévu pour le premier entretien et pour l'intervention en tant que telle. Cette comparaison est-elle possible et a-t-elle eu lieu ?

En outre, elle peut marquer son accord sur la nécessité d'accorder de nouveau davantage d'attention au risque de grossesse et d'insister sur la responsabilité des garçons, après des années de campagnes de prévention principalement axées sur le SIDA. Développer la conscience de la fertilité est certainement aussi important que de souligner les autres risques inhérents à toute relation.

Quant à la liberté de la femme, elle souhaite mettre l'accent sur le fait que l'on ne peut procéder automatiquement à l'intervention après le premier entretien. Celui-ci doit rester une donnée à part entière dans le cadre de laquelle il faut accorder l'attention et l'espace suffisants aux soins et à l'accompagnement psychosocial. Il convient également de maintenir la période de réflexion. L'intervenante a l'impression que certains centres qui pratiquent l'avortement exercent des pressions pour réduire progressivement la période de réflexion.

À Bruxelles, le taux d'avortement élevé et les raisons invoquées par les femmes qui veulent une interruption de grossesse sont des constats pénibles. En effet, l'enseignement que l'on en retire est que l'avortement sert à résoudre une problématique sociale et non une problématique relationnelle, médicale ou psychologique. Elle en conclut qu'il faut davantage se pencher sur d'autres solutions et l'accueil des femmes ayant des enfants en bas âge. Il est certain que les femmes qui se trouvent dans l'illégalité recourront plus rapidement à l'avortement parce qu'elles n'ont pas d'autre choix eu égard à leur situation précaire. Dans ce cadre, l'intervenante souhaite plus d'informations sur les avortements répétés. Dispose-t-on de chiffres concernant des femmes qui subissent plusieurs avortements en raison de problèmes sociaux ? En effet, il n'est pas impensable que des femmes qui sont tombées involontairement enceintes, par exemple parce qu'elles n'ont pas utilisé de moyen de contraception, risquent moins d'avoir une grossesse non désirée après avoir reçu les informations requises. Cependant, cela pourrait être plus difficile avec les femmes qui subissent un avortement en raison de leur situation sociale. Il n'est pas facile d'organiser des actions préventives pour elles.

M. Cornil se réjouit de l'amélioration de la communication des données à la commission d'évaluation. Sur le plan des chiffres, le membre est frappé par le nombre d'IVG pratiquées sur des jeunes filles de moins de vingt ans (14 % des IVG), et ce d'autant plus qu'on estime que ce chiffre correspond à la moitié des grossesses en dessous de cet âge.

La compétence en matière de prévention ayant été essentiellement confiée aux communautés, l'organisation de campagnes de sensibilisation, la distribution de brochures, l'inclusion d'un cours d'éducation sexuelle dans le programme scolaire, etc., relèvent des communautés. Peu de mesures concernent directement le niveau fédéral: remboursement du stérilet, remboursement de la pilule du lendemain. C'est pourquoi le rapport signale que la commission a pris la liberté de communiquer le rapport aux assemblées communautaires. Ce rapport a-t-il suscité un débat au Parlement de la Communauté française et de la Vlaamse Gemeenschap ?

À la page 78 du rapport, la commission affirme que « la liberté de la femme de choisir entre poursuivre sa grossesse ou l'interrompre doit être garantie à tout moment ». Les présidents de la commission peuvent-ils préciser ce qu'ils entendent par là ?

Enfin, le membre déplore les limitations apportées par la loi à la collecte de certaines données. Il faudrait réfléchir aux moyens de collecter des données supplémentaires, telles que la nationalité, la situation sur le territoire, la vie en couple, etc. Il est évident que les critères socioéconomiques sont importants pour mieux ajuster les politiques communautaires et fédérales.

Mme De Roeck attire l'attention sur la manière tout à fait différente dont les médias interprètent les chiffres du rapport à l'examen. Ne pourrait-on pas indiquer comment collecter les données, afin que l'on puisse interpréter les chiffres de façon plus précise et qu'il n'y ait plus de discussion sur leur signification effective ?

L'intervenante aimerait également savoir s'il est possible de voir dans quelle mesure la prévention et l'avortement sont liés. Peut-on observer dans les chiffres, à certains moments, une influence des campagnes de prévention ? La Commission d'évaluation a-t-elle également un avis sur les campagnes de prévention ? Selon cette commission, en effet, 40 % des femmes qui subissent un avortement n'ont pas utilisé de moyen contraceptif. La prévention a donc encore certainement un rôle à jouer en l'espèce.

L'intervenante s'est également laissé dire qu'il n'existe pas de statistiques concernant les fausses couches. Pourrait-on donner des éclaircissements à ce sujet et cela a-t-il un impact considérable sur les chiffres ?

Enfin, l'oratrice constate que les chiffres n'indiquent que superficiellement la nationalité de la femme. Cette remarque a déjà été faite par le passé, et elle espère que la commission des Affaires sociales formulera cette fois un avis à ce propos.

Mme Van de Casteele confirme que la commission a l'intention de formuler un certain nombre d'avis concrets.

Elle dit s'étonner qu'il faille modifier la loi pour autoriser les intervenants à poser une série de questions supplémentaires. En outre, il faut tenir compte de la vie privée des femmes concernées et il faudra sans doute demander l'avis de la Commission de la protection de la vie privée.

En ce qui concerne les données supplémentaires, l'intervenante aimerait savoir si l'on interroge aussi les femmes sur d'éventuels avortements subis antérieurement. Peut-on déjà déduire cette information des chiffres disponibles ou n'est-elle pas encore recueillie actuellement ? Il lui semble important de savoir si une personne considère ou non l'interruption de grossesse comme un moyen contraceptif.

Bien que la politique de prévention soit par essence une compétence des communautés, l'autorité fédérale possède aussi certaines compétences importantes dans ce domaine, comme la possibilité de rembourser la pilule contraceptive. Peut-on observer une influence, selon que la pilule est remboursable ou non ? Le remboursement de la pilule a-t-il un impact sur les jeunes ? À première vue, l'intervenante a l'impression qu'aucune évolution positive ne se dessine. Elle renvoie également à la discussion sur la délivrance de la pilule du lendemain sans prescription médicale. Le fait qu'autant de femmes ne recourent toujours pas à la contraception ou l'utilisent mal montre qu'un meilleur accompagnement est toujours possible et souhaitable.

Les problèmes qui se posent à Bruxelles sont sans doute également liés, en partie, à la mixité de la population des grandes villes, à l'anonymat et au contrôle social moins strict. À Anvers, on peut également constater un taux plus important qu'ailleurs. L'intervenante estime que c'est aller un peu vite en besogne que d'expliquer le problème par le seul aspect matériel. Elle aimerait qu'on lui précise si l'« aspect matériel » signifie uniquement que la femme ne peut pas subvenir à l'éducation d'un enfant (supplémentaire) ou si l'on veut dire aussi qu'elle ne peut pas se permettre de contraception.

Sa dernière question concerne les interruptions de grossesse pratiquées au-delà du délai de 12 semaines. Bien que cela ne concerne qu'un groupe restreint, on peut quand même constater une hausse significative. Y a-t-il une explication à cela, comme de meilleures possibilités de diagnostiquer de graves malformations ?

En réponse à cette dernière question, Mme Dehaene précise qu'il subsiste un gros problème de transmission des données pour les interruptions de grossesse au-delà de 12 semaines. L'augmentation des cas de 2004 à 2005 reflète sans doute plus un plus grand nombre de communications de cas qu'une augmentation réelle des cas.

M. Messinne confirme l'envoi du rapport aux assemblées communautaires en raison des compétences des communautés en matière de prévention. Les rapports précédents étaient déjà connus des communautés et les deux présidents de la commission d'évaluation ont été, dans le passé, invités à une audition devant la commission des Affaires sociales du Parlement de la Communauté française. À sa connaissance, un tel débat n'a pas eu lieu dans les assemblées des communautés flamande et germanophone.

La commission d'évaluation est convaincue de l'utilité de ne pas empêcher l'accès à la contraception car cette dernière permet certainement d'éviter une part des grossesses non désirées. On n'a certes pas la démonstration que l'utilisation d'un contraceptif a un effet sur le nombre des IVG pratiquées mais on peut raisonnablement le penser.

La commission insiste sur la liberté de choix des femmes car elle a le sentiment que certaines subissent des pressions de leur milieu social ou familial, dans un sens ou dans l'autre, en cas de grossesse non désirée. La femme doit pouvoir choisir librement car elle est la première intéressée. La commission estime donc qu'il faut assurer sa liberté de choix par des moyens visant éventuellement à soustraire la femme à ces pressions. À titre d'exemple, une adolescente pourrait être prise en charge par un service social qui l'aiderait à réaliser ce qu'elle ressent comme son besoin à elle.

Les données ne peuvent être collectées que dans la mesure où la loi les autorise. La commission d'évaluation ne demande pas expressément une modification de la loi pour autoriser la collecte d'autres renseignements, mais elle signale qu'il serait intéressant de disposer d'autres éléments.

En ce qui concerne la pression exercée sur les femmes, Mme Dehaene indique que l'on peut distinguer entre la pression due aux circonstances, comme la situation matérielle de la femme, et la pression intérieure qu'une femme peut ressentir. La société doit essayer de remédier autant que possible au premier type de pression, pour éviter qu'il ne puisse être une cause d'avortement. Le deuxième type est généralement une pression provenant de l'extérieur que les femmes intériorisent et invoquent ensuite comme justification. Il est conseillé d'engager une discussion poussée avec ces femmes, car elles peuvent éprouver des problèmes à surmonter le traumatisme de l'avortement ou à assurer la poursuite de la grossesse.

Au niveau de Bruxelles, les chiffres montrent effectivement que les femmes y subissant un avortement évoquent plus souvent des raisons matérielles et financières que celles qui y ont recours dans les autres provinces. Cependant, les raisons personnelles et relationnelles figurent partout à la première place des causes citées, les considérations financières occupant partout la troisième place.

Il ressort des rapports des hôpitaux que les demandes d'avortement émanant de femmes d'origine étrangère sont en augmentation. Il serait utile de pouvoir identifier l'origine des femmes concernées, notamment parce que la problématique peut être différente en fonction de la nationalité, ce qui est vrai aussi d'ailleurs pour les femmes qui subissent des avortements répétés. On ne pose pas actuellement de questions allant dans ce sens, mais plusieurs centres soulignent que la présence accrue de femmes issues de pays d'Europe de l'Est et d'autres continents augmente le nombre d'avortements répétés auxquels ils sont confrontés. Ces femmes peuvent avoir une expérience de la contraception et de l'avortement totalement différente de la nôtre en Belgique. Dans certains pays de l'Europe de l'Est, l'utilisation de moyens contraceptifs est taboue, alors que l'avortement est considéré comme une manière normale de réguler la fécondité. Lors du premier entretien avec les femmes belges, l'accent est mis fortement sur l'utilisation d'une bonne contraception pour éviter que le problème ne se répète. Naturellement, il faudrait adopter une autre approche pour les femmes ayant une culture différente.

Les jeunes de moins de 20 ans, qui représentent 14 % du nombre total d'avortements, constituent encore effectivement un groupe important. Dans ce groupe, la moitié des grossesses est interrompue. Il importe d'adapter la prévention à ce groupe. Les jeunes faisant partie de cette catégorie d'âge assument plus facilement leur sexualité qu'auparavant, mais ils sont encore à un âge où le rationnel est moins intégré. Pour eux, connaître un principe et l'appliquer réellement sont encore deux choses très différentes. Il ne faut pas non plus perdre de vue que toutes ces grossesses ne sont pas forcément non désirées. En effet, au sein de ce groupe, il y a une grande différence entre les jeunes filles de 15 ans et celles âgées de 18 ou 19 ans qui choisissent souvent délibérément d'être enceintes, et ce d'autant plus lorsqu'elles ne vont plus à l'école. Étudier et faire carrière sont les principales raisons qui poussent la plupart des jeunes femmes à reporter la venue d'un enfant. Dès lors, les jeunes filles qui n'ont pas cette perspective ne voient aucune raison de remettre une grossesse à plus tard. Pour ce groupe de jeunes filles, la prévention devrait être axée sur les possibilités d'éviter les problèmes sociaux liés à une grossesse précoce plutôt que sur les moyens d'empêcher une grossesse.

Les chiffres montrent que les campagnes de prévention ont eu pour effet de diminuer le nombre d'avortements chez les jeunes filles durant la période 2002-2003. Cette tendance ne s'est pas poursuivie en 2004-2005. La pilule du lendemain est disponible depuis 2001, mais il est difficile de déterminer si elle a eu un impact. Une chose est sûre: de nombreux centres demandent de fournir plus d'informations à ce sujet. Le remboursement de la pillule aux jeunes filles a commencé en 2004. Dès lors, un effet de cette mesure n'est perceptible qu'à partir de 2005. Aucun chiffre de 2005 ne révèle un impact, ce qui ne signifie pas que le remboursement de la pillule n'a eu aucune influence. En effet, beaucoup d'autres facteurs entrent en jeu et manifestement les ventes de la pillule aux jeunes filles ont bel et bien augmenté.

La comparaison des chiffres avec les données de l'INAMI ne fait pas directement partie des missions de la commission d'évaluation et elle n'a pas eu lieu non plus. Par contre, certains membres de la commission d'évaluation ont fait la comparaison, à titre personnel, et les chiffres sont relativement semblables selon eux.

M. Messine signale que la commission d'évaluation souhaiterait ne plus être tenue de remettre son rapport le 15 août. La commission reçoit en effet des données tardives et s'il faut terminer le rapport pour le 15 août, ces données ne peuvent plus y être intégrées. L'idéal serait de reporter l'échéance au 15 octobre.

Mme Zrihen souscrit tout à fait à cette proposition. De la sorte, le Parlement aura la primeur du rapport au lieu d'en découvrir le contenu pendant les vacances dans la presse.

Mme de Schamphelaere aimerait disposer des chiffres de l'INAMI, ce qui permettrait éventuellement de mettre en lumière certains élements qui n'ont pas été remarqués jusqu'à présent.

Par ailleurs, elle fait remarquer que, selon la loi, le premier entretien doit être consacré notamment à l'accompagnement psychosocial et qu'une proposition d'alternatives doit être formulée, compte tenu de la liberté de la femme et dans le but d'éviter les problèmes psychologiques qui pourraient éventuellement se poser par la suite. Est-il envisageable de déterminer plus en détail la teneur de cet entretien en faisant référence, par exemple, à un acceuil possible de l'enfant ou aux possibilités financières ?

Mme Dehaene souligne que le premier entretien est pris très au sérieux, en particulier dans les centres qui pratiquent l'avortement. Cependant, pour beaucoup de femmes, cela reste un entretien unique, qui est suivi d'un rendez-vous au cours duquel l'avortement est déjà pratiqué. Les centres qui remarquent une indécision inviteront toujours à un deuxième ou à un troisième entretien. Le problème se pose surtout chez les femmes qui n'expriment pas les doutes qu'elles pourraient avoir. Il est évidemment difficile de savoir si un deuxième entretien est utile pour ces femmes. En plus d'un entretien, on propose aussi un encadrement et la femme est informée des autres possibilités pour lui permettre d'envisager éventuellement de garder l'enfant. Il peut être utile d'examiner si les informations fournies sur les possibilités existantes sont suffisantes.

Elle signale que les chiffres de l'INAMI ne figurent pas dans le rapport mais qu'ils sont accessibles à tous. Toutefois, la commission d'évaluation a estimé que l'examen de ces chiffres n'était pas sa tâche prioritaire.

Selon M. Messine, toutes les informations que reçoit la commission d'évaluation indiquent que les centres et les hôpitaux effectuent correctement leur travail, y compris en ce qui concerne les entretiens préliminaires. C'est pourquoi il est important de se baser sur l'expérience de ces centres pour élaborer des mesures préventives. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la décision d'interrompre ou non la grossesse doit être prise à bref délai. On ne peut donc pas demander aux centres et hôpitaux de se livrer à ce stade à une véritable psychothérapie.

C. Conclusion

Mme Van de Casteele demande au représentant du ministre de fournir les derniers chiffres de l'INAMI à la commission. Elle propose ensuite que sur la base des procès-verbaux des deux réunions consacrées au rapport de la commission d'évaluation, un petit groupe de travail, coordonné par Mme Zrihen, dégage des lignes directrices et rédige des recommandations qui pourront être discutées ensuite au sein de la commission et transmises à l'assemblée plénière.

III. DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

1. Procédure

Mme Zrihen rappelle qu'un groupe de travail s'est réuni pour le compte de la commission des Affaires sociales afin d'examiner les deux rapports d'évaluation et de préparer une proposition de résolution. Le groupe de travail a dressé un inventaire des recommandations formulées par la Commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse. Sur la base de cet inventaire, il a rédigé une proposition de résolution contenant une série de recommandations adressées au gouvernement fédéral, aux gouvernements des communautés et des régions et à la commission d'évaluation.

La commission décide, en application de l'article 22.3 du règlement du Sénat, de se fonder, pour la suite de la discussion, sur le projet rédigé par le groupe de travail et d'adopter sur cette base une résolution concernant l'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse.

2. Projet de résolution

Le texte du projet de résolution, qui a été rédigé par un groupe de travail à la demande de la commission, s'énonce comme suit:

« Commission des Affaires sociales — Groupe de travail chargé de rédiger des recommandations dans le cadre de l'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse

Depuis 1992, la Commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse établit tous les deux ans un rapport qui, conformément à la loi qui l'institue, est communiqué au Parlement fédéral.

Or, la compétence de prendre des mesures préventives en vue de diminuer le nombre des interruptions de grossesse a été en grande partie attribuée aux communautés. La Commission a d'ailleurs pris la liberté de communiquer son rapport aussi aux Parlements communautaires (2006).

Le groupe de travail qui s'est penché sur les rapports d'évaluation de 2004 et 2006 dans le cadre de l'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption volontaire de grossesse demande au gouvernement, en collaboration avec les entités fédérées, d'être attentif aux recommandations suivantes:

1. Assurer davantage de cours d'éducation sexuelle et affective dans les écoles secondaires (tous réseaux), les inclure dans le programme scolaire. Ces formations à l'éducation sexuelle peuvent être suivies d'un relais par le centre de planning.

2. Intégrer l'éducation sexuelle et relationnelle dans les programmes de formation des futurs enseignants.

3. Encourager les personnes qui utilisent le préservatif pour se prémunir contre les maladies sexuellement transmissibles à utiliser conjointement une autre contraception. Il conviendrait d'orienter les campagnes de prévention dans ce sens.

4. Prévoir des campagnes de prévention avec des documents d'information pour les plus défavorisés, et dans la langue d'origine. Par ailleurs, il serait intéressant de prévoir également une telle campagne dans un langage touchant les jeunes gens.

5. Insister sur la nécessité d'une information claire avec des conseils pratiques par dépliants à remettre lors de l'IVG.

6. Installer des distributeurs de préservatifs dans les espaces fréquentés par les jeunes.

7. Favoriser l'accès à la contraception pour les personnes en difficultés financières et en situation précaire dans notre pays. Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d'une procédure administrative d'urgence leur permettant d'avoir accès aux soins nécessaires. Il faut également veiller à rendre encore plus accessibles les moyens contraceptifs par le remboursement total ou dégressif de ces moyens.

8. Responsabiliser surtout les garçons par rapport aux moyens contraceptifs et informer l'ensemble de la population sur l'emploi correct de la pilule, sur les risques liés à l'oubli et sur la baisse de son efficacité lorsqu'elle est utilisée avec certains médicaments.

9. Examiner la possibilité d'organiser une mise à disposition élargie et gratuite de la pilule du lendemain. Organiser également l'information en la matière.

10. Établir un dialogue en vue de subventionner davantage les services d'accueil chargés de la contraception.

11. Médiatiser l'accès à la contraception. Utiliser des médias tels que la télévision, la presse écrite, l'internet, pour toucher aussi bien les femmes adultes que les plus jeunes.

12. Mettre sur pied une campagne d'information quant aux nouvelles méthodes contraceptives (implantons, stérilet longue durée) et leur remboursement par la sécurité sociale.

13. Intensifier la publicité quant à l'existence des centres de planning.

14. Inciter les acteurs de la santé à accorder plus de temps pour expliquer et répondre aux questions de leurs patientes relatives à l'IVG.

15. Favoriser le développement de la recherche dans le domaine de la contraception masculine et féminine. »

3. Discussion du projet de résolution

a. Respect des compétences du pouvoir fédéral et des communautés

Mme De Schamphelaere fait remarquer qu'il est question, dans la proposition de résolution, de très nombreuses matières relevant de la compétence des communautés. Le Sénat ne peut évidemment pas adresser des recommandations directes aux gouvernements qu'il ne contrôle pas. Le libellé doit dès lors être adapté dans ce sens.

Mme Van de Casteele est d'accord pour dire qu'on peut uniquement demander au gouvernement fédéral de se concerter avec les communautés. Elle suggère d'adapter le texte de telle manière qu'il établisse une distinction entre, d'une part, les recommandations adressées directement au gouvernement fédéral et, d'autre part, celles qui invitent le gouvernement fédéral à mettre en place une collaboration avec les communautés.

M. Cornil propose d'adresser l'ensemble des recommandations au gouvernement fédéral, qui devra il est vrai se concerter avec les Communautés afin que les recommandations puissent être mises à exécution au niveau de pouvoir approprié. Cette formulation permet d'éviter d'avoir à classer les recommandations de manière précise en fonction de l'autorité compétente car c'est sans doute irréalisable.

La commission acquiesce.

b. L'utilisation de moyens de protection

M. Mahoux n'est pas d'accord avec la formulation du point 3 de la proposition de résolution, selon lequel les personnes qui utilisent le préservatif pour se prémunir des maladies sexuellement transmissibles doivent également utiliser une autre contraception. En effet, le préservatif constitue la protection la plus efficace; il ne faut pas semer la confusion à ce propos. Recommander l'usage du préservatif en combinaison avec la pilule reviendrait à mettre injustement en doute les qualités contraceptives du préservatif.

Autre chose est de souligner que l'utilisation de la pilule seule induit un certain risque de grossesse, ce qui peut être le cas, par exemple, lorsque les partenaires restent fidèles l'un envers l'autre, réduisant ainsi fortement ou annihilant le risque de maladies sexuellement transmissibles, et ne souhaitent pas, dès lors, utiliser le préservatif. Peut-être faudrait-il modifier la recommandation en ce sens.

Mme Van de Casteele fait remarquer que le but n'est pas de mettre en cause le rôle contraceptif du préservatif. Toutefois, elle renvoie au rapport de la commission d'évaluation (doc. Sénat, nº 3-1849/1, p. 138) qui recommande « davantage de séances au cours d'information à l'école, portant sur l'usage adéquat des contraceptifs et sur la levée du tabou entourant la sexualité; l'information prodiguée sur les préservatifs devrait souligner la nécessité d'un contraceptif supplémentaire ».

M. Vankrunkelsven pense que cette recommandation doit être interprétée comme un avertissement destiné à faire savoir que la seule utilisation du préservatif ne donne pas une sécurité suffisante pour exclure le risque de grossesse. Le préservatif est cependant un moyen très efficace pour éviter la contamination par une maladie sexuellement transmissible.

M. Mahoux conteste ce point de vue. Il pense que, strictement parlant, le risque de grossesse est à peu près aussi faible si on utilise la pilule ou si on emploie le préservatif. Cependant, la pilule est généralement considérée comme plus risquée parce que les femmes ne l'utilisent pas toujours de façon régulière et oublient parfois de la prendre.

M. Vankrunkelsven estime que l'on ne peut pas donner comme message qu'en plus du préservatif, il faut également prendre la pilule comme moyen contraceptif. La pilule n'est en effet pas entièrement dénuée de risque. Lorsqu'il s'avère qu'il y a eu fécondation malgré l'utilisation du préservatif, il est toujours possible de prendre la pilule du lendemain ou éventuellement la pilule abortive. Il conteste d'ailleurs le fait qu'il existerait une preuve scientifique de la nécessité de prendre la pilule en plus de l'utilisation du préservatif.

Mme Zrihen estime que si la recommandation figurant au point 3 du projet est ambiguë, il convient de la réécrire. Le but est que les campagnes de prévention des autorités soient efficaces et que l'utilisation du préservatif et des autres moyens contraceptifs soit encouragée en cas de relations sexuelles. Le débat consistant à savoir quel est le moyen contraceptif le plus efficace n'a pas sa place ici.

Mme De Roeck partage cet avis. Il apparaît en effet que de nombreux jeunes n'utilisent pas de moyens contraceptifs lors de leurs relations sexuelles. Une sensibilisation est nécessaire. Beaucoup de jeunes filles prennent certes la pilule, mais cela n'exclut pas totalement le risque de grossesse. Il faut également responsabiliser les garçons. C'est la raison pour laquelle l'utilisation du préservatif est conseillée. En outre, le préservatif protège contre les maladies sexuellement transmissibles.

Mme Van de Casteele conteste que cette recommandation ressorte du rapport de la Commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse, qui a pour objet non pas les maladies sexuellement transmissibles, mais la prévention des grossesses non désirées.

Toutefois, elle aussi est d'avis qu'il convient de reformuler la recommandation figurant au point 3 du projet.

M. Vankrunkelsven estime qu'il doit en tout état de cause ressortir du texte que le préservatif offre une excellente protection contre les maladies sexuellement transmissibles et aussi une assez bonne protection contre les grossesses indésirées. Il faut attirer l'attention des jeunes sur le fait que pour se protéger de manière optimale contre les grossesses indésirées, il faut utiliser le préservatif correctement et qu'en cas de défectuosité du préservatif, il y a lieu de prendre des mesures supplémentaires. Mais affirmer que les filles doivent prendre systématiquement la pilule en plus de l'utilisation du préservatif, c'est aller trop loin.

M. Vankrunkelsven propose le texte suivant en remplacement du point 3 du projet:

« 3. Organiser des campagnes pour attirer l'attention des personnes qui utilisent le préservatif pour se prémunir des maladies sexuellement transmissibles sur le fait que, dans certaines circonstances, l'usage incorrect peut entraîner une grossesse. »

M. Cornil propose le texte suivant:

« 3. Encourager les personnes à utiliser le préservatif comme contraceptif et pour se prémunir des maladies sexuellement transmissibles. Il conviendrait également d'orienter les campagnes de prévention sur les différents moyens de contraception disponibles. »

Il fait remarquer que ce texte laisse tomber le mot « conjointement » dans la proposition initiale.

Mme Van de Casteele se demande pourquoi, selon ce texte proposé, la pillule ne peut pas être utilisée comme contraceptif. Elle est d'avis que le texte de la résolution devrait montrer que, lorsque des personnes utilisent un contraceptif, autre que le préservatif, il faut qu'elles soient également attentives aux maladies sexuellement transmissibles.

Mme Zrihen propose le texte suivant:

« 3. Encourager les personnes à utiliser le préservatif comme contraceptif et pour se prémunir des maladies sexuellement transmissibles et orienter également les campagnes de prévention sur tous les différents moyens de contraception possible. »

Alternative possible:

« 3. Encourager l'usage correct et adequat des moyens contraceptifs pour réussir une contraception efficace et se prémunir des maladies sexuellements transmissibles. »

M. Vankrunkelsven propose de compléter cette dernière phrase par la phrase suivante:

« Pour certains groupes cibles, il peut être indiqué d'utiliser un moyen contraceptif supplémentaire. »

La commission acquiesce.

c. Interruption de grossesse pour raisons sociales et financières

Mme De Schamphelaere propose d'insérer, après le point 7, une recommandation relative à l'interruption de grossesse pour raisons sociales et financières et suggère le texte suivant:

« Il y a lieu de prendre des mesures politiques en vue de réduire les raisons sociales et financières qui incitent certaines femmes à recourir à l'avortement. Il convient de faire mieux connaître et de soutenir davantage les centres qui proposent des alternatives ou qui accompagnent les femmes dans cette démarche. »

Mme De Schamphelaere rappelle que la situation de détresse est liée dans la plupart des cas à des problèmes d'ordre social (37,5 %) et financier (7,7 %). Les catégories de problèmes qui ont été à l'origine des idées libérales sur la nécessité de l'avortement et de la modification de la loi (à savoir la santé physique ou mentale de la mère ou de l'enfant à naître, mais aussi les grossesses consécutives à un viol ou un inceste) sont à l'origine de moins de 4 % du nombre d'avortements pratiqués.

Les raisons de nature sociale et la situation de détresse financière sont très sérieuses, parce qu'elles indiquent avec certitude que les femmes en question n'ont pas pu faire leur choix librement, mais qu'elles s'y sont senties contraintes de par leur situation sociale ou financière.

Les femmes doivent être suffisamment informées de l'offre réelle d'alternatives à une interruption de grossesse. Le recours à un avortement fait souvent traverser à la femme une phase psychologique très difficile au cours de laquelle elle est abandonnée à son triste sort. Le syndrome post-avortement est un phénomène que l'on ne peut pas ignorer en l'espèce.

Des études étrangères (notamment l'étude finlandaise Stakes) ont mis en évidence que l'avortement est un facteur suicidogène. Recourir à l'avortement pour résoudre des problèmes sociaux et financiers fait donc courir à la femme concernée un risque grave de suicide. La véritable réponse à une grossesse inattendue qui pose problème à la femme concernée, c'est un réseau d'accompagnement social bien organisé avec, en première ligne, l'appui de la solidarité familiale. Il est bon de chérir l'enfant à naître et le nouveau-né car cela offre une protection contre le comportement autodestructeur de ces femmes.

Mme Van de Casteele est d'accord d'insérer une recommandation sur l'interruption de grossesse pour des raisons sociales et financières. Mais elle ne peut toutefois pas souscrire à la deuxième phrase du texte proposé. Il faut plutôt tenter d'éviter, au travers de la politique socioéconomique, que des personnes ne se retrouvent dans des situations telles qu'elles décident d'avoir recours à l'avortement pour des raisons d'ordre financier.

Mme Zrihen estime que les recommandations adressées au gouvernement sont à considérer comme un rappel. Tout doit être mis en œuvre pour éviter le recours à l'avortement. C'est pourquoi il convient de donner la priorité à la prévention et d'agir en conscience en ce qui concerne les actes liés à l'interruption de grossesse proprement dite. Une attention particulière doit être accordée aux groupes cibles les plus faibles de notre société, auxquels il est d'autant plus important de faire prendre conscience de cette problématique. Pour elle, le projet de résolution que le groupe de travail a rédigé à la demande de la commission des Affaires sociales répond suffisamment aux préoccupations qui sont celles de la société et elle propose de n'ajouter aucun nouveau point.

La commission décide de ne pas inscrire la recommandation proposée dans la résolution.

d. Vérification du libre arbitre de la femme

Mme De Schamphelaere propose d'insérer une recommandation relative au libre choix de la femme par rapport à l'interruption de grossesse et présente le texte suivant:

« La femme doit toujours pouvoir décider librement si elle souhaite ou non interrompre sa grossesse. La volonté autonome de la femme et sa liberté de choix doivent être respectées. Cela nécessite de prévoir un délai suffisant pour vérifier si la femme agit selon son libre arbitre. Dans ce cadre, il lui sera proposé une offre réelle d'alternatives, le délai de réflexion de six jours devra être respecté et il y aura de la place pour un accueil objectif. »

Mme De Schamphelaere considère que l'intervention par laquelle on réalise l'interruption de grossesse ne peut pas être un automatisme. Il convient de prévoir suffisamment de temps pour vérifier ce que la femme veut vraiment. Ce délai de réflexion de six jours donne du temps et de la marge pour sonder la volonté de la femme et pour assimiler son choix. Cela permet aussi d'accorder une attention suffisante à toutes les alternatives. Les informations fournies dans les centres d'avortement doivent répondre aux critères de prudence de l'INAMI. D'après les centres d'avortement, 16 % des femmes décident de ne pas avorter au centre, alors que l'on peut déduire des chiffres de l'INAMI que seulement 3,5 % des femmes décident de garder leur enfant. Il ne peut pas y avoir d'écart entre ces chiffres et les centres d'avortement ne peuvent donc pas se faire passer pour plus objectifs qu'ils ne le sont réellement.

Mme Van de Casteele trouve que la législation existante contient suffisamment d'éléments garantissant le libre choix des femmes.

La commission décide de ne pas inscrire la recommandation proposée dans la résolution.

e. Mise à disposition de la pilule du lendemain

Mme De Schamphelaere propose de compléter le point 9 du projet, qui concerne la mise à disposition de la pilule du lendemain, par ce qui suit:

« La pilule du lendemain ne peut être délivrée que sur ordonnance. La recherche devra se pencher sur les risques sanitaires de la pilule du lendemain. »

Mme De Schamphelaere est d'avis que la pilule du lendemain n'est pas envisageable sans un accompagnement médical. Avant la première grossesse menée à terme, l'avortement accroît considérablement le risque de cancer du sein. La pilule du lendemain entraîne des risques de santé similaires. La recherche devrait donc certainement s'intéresser davantage aux conséquences d'un avortement (risque accru de suicide et de cancer du sein) et de la pilule du lendemain (cancer du sein).

Mme Van de Casteele est absolument opposée à cette proposition. L'expérience nous apprend qu'il faut pouvoir agir très rapidement. Il n'en reste pas moins vrai que l'utilisation de la pilule du lendemain devra faire l'objet d'une évaluation et qu'il faut surtout être attentif aux éventuels effets secondaires et risques pour la santé. En effet, certaines personnes considèrent malheureusement la pilule du lendemain comme une forme de contraception ordinaire plutôt que comme une solution d'urgence.

Elle pense toutefois que les risques pour la santé ne sont pas aussi importants que ne l'a laissé entendre la préopinante, étant donné que la pilule du lendemain provoque un déséquilibre hormonal de courte durée, alors que c'est surtout l'utilisation prolongée et chronique de médicaments qui provoque à terme des maladies. Il n'y a vraisemblablement aucun pharmacien qui délivre la pilule du lendemain sur simple demande, sans nouer un dialogue avec l'intéressée.

La commission décide de ne pas inscrire la recommandation proposée dans la résolution.

f. La conscience de la fertilité

Mme De Schamphelaere estime qu'il n'y a pas que l'éducation relationnelle et sexuelle qui doit bénéficier d'une plus grande attention, mais qu'il faut aussi davantage mettre l'accent sur la conscience de la fertilité, tant chez les filles que chez les garçons. À cet égard, il faut en effet aussi stimuler la coresponsabilité. Il s'avère en effet que beaucoup de garçons savent que le préservatif protège contre les maladies sexuellement transmissibles, mais qu'ils n'ont pas toujours conscience des effets de leur activité sexuelle sur la fertilité. Les campagnes traitent principalement du SIDA et d'autres maladies sexuellement transmissibles, mais on ne communique pas assez à propos du risque de grossesse. Elle propose de compléter le point 11 du projet par la phrase suivante:

« Ces cours stimuleront la prise de conscience de la fertilité et apprendront aux jeunes, garçons et filles, à avoir une attitude responsable à ce niveau. »

Mme De Schamphelaere déclare que généraliser la prise de conscience par rapport à la fertilité est une tâche importante qui a été trop longtemps négligée, comme le souligne aussi le présent rapport de la commission d'évaluation. Si les 44 % de femmes qui n'ont utilisé aucun moyen de contraception avaient eu l'occasion de vivre leur fertilité en pleine conscience et si elles avaient pu intégrer l'acceptation de leur fertilité dans le champ de leur conscience, elles auraient sans doute fait preuve de moins de légèreté à cet égard.

Mme Van de Casteele peut se rallier au texte proposé, bien qu'elle pense qu'il ne soit pas vraiment nécessaire.

La commission décide de ne pas inscrire la recommandation proposée dans la résolution.

g. L'interruption de grossesse chez les femmes allochtones

Mme De Schamphelaere propose d'ajouter un nouveau point relatif à l'interruption de grossesse chez les femmes allochtones et propose le texte suivant:

« Il y a lieu de lancer une campagne d'information spécifique qui soit adaptée à la langue et à la culture des migrants et des demandeurs d'asile. Durant leur parcours d'intégration, cette problématique devra bénéficier d'une plus grande attention, sous des formes adaptées aux différentes générations d'allochtones. »

Selon les chiffres de la Commission nationale d'évaluation chargée d'évaluer l'application des dispositions relatives à l'interruption de grossesse, 40 % des interruptions de grossesse sont pratiquées sur des femmes allochtones. Parmi les femmes allochtones de la première génération, cela s'explique surtout par l'absence de contraception. Elles n'y ont pas recours en raison du prix trop élevé ou par ignorance des moyens contraceptifs modernes. La barrière de la langue est un autre frein. Quant aux femmes allochtones de la deuxième génération, elles prennent la pilule ou utilisent un autre moyen contraceptif, mais souvent pas de la bonne manière ou elles répugnent à se rendre chez le médecin pour demander des explications ou une prescription. La résistance énorme que l'on rencontre chez ces femmes s'explique par le fait que la sexualité est encore souvent un sujet tabou au sein de leur communauté. Toutes ces raisons font donc qu'il est nécessaire de lancer une campagne d'information s'adressant spécifiquement aux femmes allochtones.

Mme Van de Casteele trouve que le point 4 du projet traite déjà le problème des femmes allochtones de manière adéquate. Il lui semble quelque peu excessif d'aborder la problématique de l'interruption de grossesse dans le cadre des parcours d'intégration.

La commission décide de ne pas inscrire la recommandation proposée dans la résolution.

h. La nécessité de modifier la loi du 13 août 1990

Mme De Schamphelaere estime qu'il y a lieu de modifier la loi du 13 août 1990 afin de donner plus de liberté d'action à la Commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse. La commission est demandeuse à cet égard. Mais cela nécessite une proposition de loi car une résolution ne va pas assez loin.

Mme Van de Casteele acquiesce et plaide également en faveur d'une modification de la loi du 13 août 1990 visant à créer une commission d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à l'interruption de grossesse, en vue de fournir plus de données chiffrées aux membres de cette commission afin qu'ils puissent mettre en œuvre leur politique de prévention et pour leur donner la possibilité de prendre des sanctions lorsque des données insuffisantes leur sont transmises. En effet, les données publiées via d'autres canaux ne correspondent pas toujours à celles qui sont fournies à la commission, de telle sorte que les statistiques peuvent être faussées.

L'intervenante renvoie à cet égard à la proposition de loi nº 3-2066, que le Sénat a décidé, en séance plénière, de renvoyer aux commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales. Peut-être est-il quand même utile d'ajouter la recommandation suivante:

« 16) Élargir les possibilités dont dispose la Commission nationale d'évaluation chargée d'évaluer l'application des dispositions relatives à l'interruption de grossesse en ce qui concerne les demandes de données. La commission devrait pouvoir disposer de plus de données statistiques sur des sujets tels que la forme de vie commune, l'activité professionnelle, la nationalité et le nombre d'interruptions de grossesse déjà subies. La commission doit aussi pouvoir comparer les données dont elle dispose aux données statistiques de l'INS et du SPF Santé publique. »

Mme Van de Casteele indique que cette proposition de recommandation reprend les principes de la proposition de loi nº 3-2066, basée notamment sur des études parues après la publication du rapport d'évaluation. Ces études ont montré que certains groupes sociaux perçoivent tout à fait différemment la problématique de l'interruption de grossesse et qu'au vu de ce constat, il y a lieu de mener une action spécifique. C'est notamment le cas de la population allochtone et des femmes de nationalité étrangère qui viennent se faire avorter dans notre pays. Toutefois, on ne dispose pas de statistiques suffisantes pour pouvoir entreprendre une action spécifique en matière de prévention. Il faut remédier à cette situation. Bien entendu, il s'agira dans ce cas de données anonymes, qui permettront de dégager des statistiques et d'identifier des tendances, dans le respect intégral de la protection de la vie privée.

Mme De Schamphelaere partage ce point de vue. Elle souligne que pas moins de 40 % des interruptions de grossesse pratiquées dans notre pays concernent des femmes qui n'ont pas la nationalité belge et qui, dans de nombreux cas, résident dans notre pays depuis moins de 5 ans. C'est là un chiffre considérable. Des campagnes d'information spécifiques sont absolument nécessaires.

Mme Zrihen estime que cette proposition de recommandation n'ajoute rien au projet de résolution tel qu'il a été élaboré, à la demande de la commission des Affaires sociales, par le groupe de travail et qui se limite à faire des constatations à partir des différents rapports d'évaluation et à les traduire en une série de recommandations à l'adresse du gouvernement.

Mme Van de Casteele réplique que le texte proposé par elle est bel et bien le résultat des discussions menées en commission et de l'audition des coprésidents concernés. Il est essentiel de disposer d'un maximum de données, sur la base desquelles une politique pourra ensuite être élaborée. L'intervenante cite l'exemple de la différence entre femmes mariées et cohabitantes. On peut facilement savoir si une femme est mariée, mais pas si elle cohabite, puisque l'intéressée est officiellement considérée comme isolée. Dans la problématique de l'interruption de grossesse, il est impératif de disposer également de ces données.

Mme Zrihen ne voit pas pourquoi les campagnes de prévention devraient varier en fonction du public visé. On courrait le risque de faire naître des préjugés à l'encontre de certains groupes de femmes qui recourent à l'interruption volontaire de grossesse. Toute femme — quelle que soit sa situation — a le droit de faire ses choix et ne peut être entravée à cette occasion par des critères de toute sorte, tels que la religion, l'origine ethnique ou la situation socioéconomique. La multiplication des statistiques pourrait nuire à cette liberté et à ce droit personnel de la femme et risque d'engendrer des discriminations. En faisant évoluer les recommandations dans ce sens, on risque de réduire à néant le travail accompli par la commission des Affaires sociales.

Mme Van de Casteele conteste formellement que l'objectif poursuivi soit de restreindre la liberté de procéder ou non à une interruption volontaire de grossesse. Il a été créé une commission chargée d'évaluer l'application sur le terrain de la loi en la matière et la commission des Affaires sociales souhaite simplement faire, à partir de ces constatations, quelques recommandations au gouvernement. Celles-ci pourront concerner par exemple les conditions économiques, qui peuvent obliger une femme à interrompre sa grossesse et en raison desquelles le libre choix de l'intéressée est sérieusement entravé par des critères financiers. L'audition des coprésidents de la commission d'évaluation montre à présent que les données disponibles sont insuffisantes et que le nombre exact des interruptions de grossesse pratiquées n'est pas connu. La commission d'évaluation aimerait pouvoir disposer de statistiques plus complètes qui lui permettraient de fournir un travail de meilleure qualité, et il n'y a là aucune volonté de restreindre la liberté des femmes concernées.

La commission décide de ne pas inclure la recommandation proposée dans la résolution.

IV. VOTES

La résolution de la commission (voir le doc. 3-1849/3) est adoptée par 7 voix contre 1 et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

La rapporteuse, La présidente,
Olga ZRIHEN. Annemie VAN de CASTEELE.