3-1686/5

3-1686/5

Sénat de Belgique

SESSION DE 2006-2007

30 JANVIER 2007


Proposition de loi relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat

Proposition de loi modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le remboursement des frais de justice

Proposition de loi modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle, en ce qui concerne le remboursement des frais non compris dans les dépens

Proposition de loi modifiant les articles 1018, 6º, et 1022 du Code judiciaire


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE

PAR M. WILLEMS


Table des matières

I. Introduction

II. Exposés introductifs des trois premières propositions de loi

A. Proposition de loi modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le remboursement des frais de justice (de Mme Clotilde Nyssens) (nº 3-51)

B. Proposition de loi modifiant les articles 1018, 6º, et 1022 du Code judiciaire (de MM. Hugo Vandenberghe et Jan Steverlynck) (nº 3-1342)

C. Proposition de loi modifiant les articles 1018, 6º, et 1022 du Code judiciaire (de M. Alain Destexhe) (nº 3-204)

III. Début de la discussion générale

IV. Demandes d'avis au Conseil supérieur de la Justice et au Conseil d'État

V. Auditions

VI. Questionnaire adressé par la commission de la Justice aux barreaux

VII. Suite de la discussion générale

VIII. Réponses de l'OBFG et de l'OVB au questionnaire leur adressé par la commission

IX. Suite de la discussion générale

X. Dépôt de la proposition de loi de Mme Talhaoui et M. Koninckx (doc. Sénat, nº 3-1686/1)

XI. Dépôt par le gouvernement des amendements nos 8 à 20 à la proposition de loi nº 3-1686

XII. Discussion des articles

XIII. Votes

Annexes — Auditions


I. Introduction

La commission de la Justice a examiné les propositions de loi en discussion lors de ses réunions des 26 octobre, 16 novembre, 7 et décembre 2005, 15 mars, 2 et mai, 6 et 12 décembre 2006, et 30 janvier 2007, en présence de la ministre de la Justice.

La commission était initialement saisie de trois propositions de loi: nº 3-51, nº 3-204 et nº 3-1342.

La proposition de loi nº 3-1686, de Mme Talhaoui et M. Koninckx, déposée le 4 mai 2006, et prise en considération le 11 mai 2006, a été envoyée à la commission de la Justice le même jour, et jointe à la discussion.

C'est cette dernière proposition de loi qui a servi de base au texte adopté par la commission.

II. Exposés introductifs des trois premières propositions de loi

A. Proposition de loi modifiant le Code judiciaire et le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le remboursement des frais de justice (de Mme Clotilde Nyssens) (nº 3-51)

L'auteur de la proposition de loi fait remarquer que la proposition de loi à l'examen reprend le texte d'une proposition qu'elle avait déjà déposée au Sénat le 29 novembre 1999 (doc. Sénat, nº 2-207/1), bien avant que la Cour de cassation rende son arrêt du 2 septembre 2004. La position prise récemment par la Cour de cassation ouvre la voie à un système de répétibilité des honoraires d'avocats. L'arrêt de la Cour de cassation suscite cependant de nombreuses questions et discussions et il est clair qu'une initiative législative s'impose.

La proposition de loi part du constat que de nombreux citoyens ne comprennent pas pourquoi, lorsque la justice leur donne raison, ils doivent cependant supporter une série de frais. La Belgique dénote par rapport aux pays voisins qui connaissent des systèmes de répétibilité des honoraires des avocats. De tels systèmes sont souvent liés à une tarification des honoraires des avocats.

L'oratrice ne partage pas l'idée que la répétibilité des honoraires soit un système difficilement acceptable pour le citoyen peu nanti.

La solution qu'elle propose est calquée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile français qui pratique la répétibilité des frais de justice, avec, comme particularité, le fait que le système laisse une marge d'appréciation au juge.

C'est le juge qui tranche, sur demande des parties, lesquelles produisent des pièces justifiant leurs frais de justice en dehors des dépens. Les frais de justice peuvent couvrir les honoraires des avocats mais aussi les frais de déplacement, les dépenses exposées pour obtenir des pièces, etc.

En fin de procès, le juge statue sur les dépens et les frais qu'il apprécie avec une certaine latitude. Le juge condamne, en équité, la partie qui succombe à payer à l'autre partie, la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

L'article 2 de la proposition prévoit que le juge tient compte de la situation économique de la partie condamnée et de l'équité pour limiter, le cas échéant, le montant des frais non compris dans les dépens.

Mme Nyssens précise que le régime proposé a vocation à s'appliquer de manière générale à toutes les procédures, tant sur le plan civil que sur le plan pénal.

L'auteur signale qu'elle a en outre déposé un amendement (doc. Sénat, nº 3-51/2) afin de compléter sa proposition de loi par un nouvel article 5. Cet article donne une délégation au Roi pour qu'Il fixe les montants maxima auxquels le juge peut condamner la partie succombante. L'idée est de limiter le pouvoir d'appréciation du juge en plafonnant le montant des frais non compris dans les dépens.

B. Proposition de loi modifiant les articles 1018, 6º, et 1022 du Code judiciaire (de MM. Hugo Vandenberghe et Jan Steverlynck) (nº 3-1342)

M. Hugo Vandenberghe fait l'exposé suivant.

Dans son arrêt retentissant et largement commenté du 2 septembre 2004, la Cour de cassation a admis le principe de la répétibilité des frais de l'aide juridique et technique dans une affaire de responsabilité contractuelle (Cass. 2 septembre 2004, JT 2004, 684, note de B. De Coninck, « Répétibilité et responsabilité civile: un arrêt de principe »; JLMB 2004, 1320, note de M. Gouden et D. Philippe, « Les honoraires d'avocat et les frais d'expert constituent un élément du dommage »; NjW 2004, 953, note RDC; RW 2004-05, 535, concl. A. Henkes, note de B. Wilms et K. Christiaens, « Erelonen en kosten van advocaten kunnen op een schadeverwekkende partij worden verhaald als onderdeel van door een slachtoffer geleden schade »; Rev. Not. b. 2004, 471, note de D. Sterckx, « Des frais et honoraires d'avocat et de conseil technique comme élément du dommage »; RGDCB 2004, 461; RGAR 2005, nº 13946, concl. A. Henkes; RABG 2005, 212, concl. A. Henkes, note de N. Clijmans, « De verhaalbaarheid van het honorarium en de kosten van de advocaat »).

Les conséquences pratiques de cet arrêt ne sont cependant pas tout à fait claires et soulèvent pas mal de discussions. En d'autres termes, l'arrêt donne une bonne idée des difficultés et des limites d'une politique judiciaire, qui rendent nécessaire l'intervention du législateur. L'arrêt pose en effet un principe général, mais il laisse une grande marge d'appréciation et soulève de nouvelles questions, comme celle de l'évaluation des honoraires d'avocat par le juge.

Il y a, d'une part, la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation concernant l'évaluation ex aequo et bono du dommage et, d'autre part, l'extrême réticence du barreau à présenter des états d'honoraires, eu égard au respect de l'indépendance de l'avocat et à la protection du secret professionnel. En effet, il faut souligner le problème de l'érosion continue du secret professionnel; l'avocat est systématiquement sommé de se justifier, ce qu'il ne peut faire qu'en trahissant son secret professionnel. En outre, l'avocat devient dès lors partie au litige, ce qui entraîne une confusion de rôles inacceptable. Un tel phénomène entraînera en même temps des retards de procédure. On admet pour ainsi dire d'organiser un procès dans un procès.

Il est exact qu'un avocat est également tenu de communiquer son état d'honoraires devant la Cour européenne de Strasbourg. Mais à Strasbourg, il est alloué pour les frais une indemnité forfaitaire, conformément à la jurisprudence de la Cour.

Un règlement s'avère donc également nécessaire pour mettre un terme à la grande insécurité juridique qui régnera encore pendant au moins les 5 années à venir.

L'intervenant fait référence au livre « Magistratuur en Maatschappij » de MM. Evers et Lefranc.

En outre, le principe de la répétibilité des frais d'aide juridique trouve son origine dans les règles concernant la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou propres à certains autres systèmes d'indemnisation.

Il n'est applicable dès lors que dans les cas en question. Pour ce qui est des autres catégories de litiges, comme les litiges concernant le droit familial, le droit du travail, la sécurité sociale, le domaine fiscal, etc., il n'existe aucun élément permettant de fonder le principe de la répétibilité des frais d'aide juridique, du moins à première vue. En cas de procédure devant le Conseil d'État, il n'y a pas non plus d'indemnité de procédure.

L'inégalité de traitement qui en résulte pour les parties en procès est à rejeter.

Ce résultat imparfait est inévitable, vu le fondement choisi: le droit qui fonde la répétibilité ne concerne que le rapport de droit matériel entre les parties. Il n'a rien à voir avec le rapport de droit procédural entre celles-ci.

Il convient de régler la répétibilité des frais d'aide juridique exposés pour un procès dans le cadre de cette relation de droit procédural.

Cette solution est celle qui est appliquée en droit allemand et en droit néerlandais. Dans ces deux systèmes juridiques, la répétibilité des frais d'aide juridique exposés dans le cadre d'un procès est régie par des dispositions de droit procédural: en revanche, la répétibilité des frais extrajudiciaires d'aide juridique est réglée par le droit d'indemnisation.

En France, le juge condamne la partie succombante, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, au paiement des frais qui ne font pas partie des dépens énumérés à l'article 695 et qui sont dès lors qualifiés de « frais irrépétibles », et ce, bien que l'article 700 précité prévoie une indemnisation pour les frais en question. À cet égard, le juge tient compte du principe d'équité et de la situation économique de la partie condamnée.

L'inconvénient de cette procédure est qu'elle peut créer un procès dans le procès.

Le manque de transparence de ce système est inversement proportionnel à sa souplesse.

Les Pays-Bas appliquent un système de tarification.

En Allemagne, les frais d'avocat, qui font partie des dépens, sont intégralement répétibles en vertu du § 91 (2) du Zivilprossesordnung.

Outre le fait que le droit de la responsabilité a un champ d'application limité, il ne fournit donc pas non plus le fondement le plus approprié au principe de la répétibilité des frais d'aide juridique exposés dans le cadre d'un procès.

C'est pourquoi, avant l'arrêt du 2 septembre 2004, M. De Temmerman défendait déjà l'idée selon laquelle la répétibilité des frais de justice exposés dans le cadre d'un procès — qui est une matière relevant du droit procédural — devait être réglée par le Code judiciaire et que la réglementation en question (et aussi, à l'heure actuelle, la réglementation qui limite la récupération à l'indemnité de procédure) faisait obstacle à la répétibilité des frais en question sur la base d'autres règles (comme celles relatives à la responsabilité contractuelle et extracontractuelle) (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1056-1058, nos 28-29).

La présente proposition de loi s'inscrit dans cette optique.

Conformément au point de vue de l'« Orde van Vlaamse Balies », on opte pour un relèvement des indemnités de procédure existantes, qui vont dépasser dès lors l'indemnité relative aux actes purement matériels (voir H. Lamon, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 25).

La définition actuelle de l' « indemnité de procédure », selon laquelle celle-ci correspond aux « sommes formant dépens recouvrables, justifiées par l'accomplissement de certains actes matériels », est étendue de manière à mieux correspondre aux frais réels auxquels s'expose une partie ayant obtenu gain de cause, pour obtenir l'aide d'un avocat dans le cadre de la résolution d'un litige.

Dans le cadre de la présente proposition, l'indemnité de procédure exclut toute autre forme d'indemnisation pour honoraires de l'avocat; elle ne constitue qu'une intervention dans les frais et dans les honoraires et elle n'est donc certainement pas assimilable aux honoraires mêmes. Il est évident que le droit de l'avocat de fixer librement ses honoraires est intégralement préservé.

La présente proposition de loi ne vise nullement à établir un tarif des honoraires. La fixation des honoraires est réglée entre l'avocat et le client, abstraction faite de la partie récupérable auprès de la partie adverse (voir H. LAMON, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten »: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 25).

Pour prévenir toute décision arbitraire et imprévisible, on limite le rôle du juge, contrairement à ce que fait l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile français, qui laisse au juge une plus grande marge d'appréciation.

Il faut éviter que la discussion relative aux honoraires ne devienne un procès dans le procès.

L'octroi d'une indemnité forfaitaire implique une distinction entre les causes qui sont évaluables en argent et celles qui ne le sont pas.

En ce qui concerne la fixation du montant de l'indemnité forfaitaire, la procédure existante est maintenue. Le Roi établira donc les montants de base de l'indemnité de procédure, après avoir pris l'avis de l'Ordre des barreaux francophones et germanophones et de l'Orde van Vlaamse Balies.

Comme une application automatique des indemnités de procédure majorées peut entraîner des situations inéquitables, l'Orde van Vlaamse Balies plaide pour que l'on donne au juge la possibilité d'adapter, dans une certaine mesure, le montant de base à la baisse ou à la hausse.

Le juge ne peut toutefois que diminuer de moitié ou doubler l'indemnité de base, et ce, lorsque l'application de l'indemnité de procédure normale conduirait à une « situation manifestement déraisonnable ».

M. Hugo Vandenberghe conclut que la proposition de loi à l'examen permet d'amorcer la discussion, mais qu'elle ne règle pas tout.

Comme indiqué précédemment, aucun recours n'est ouvert devant le Conseil d'État. Faut-il prévoir ici un forfait ?

En matière sociale, les dépens sont toujours à charge de l'État, même lorsque le citoyen perd son procès. Est-ce à dire que tous les honoraires d'avocats dans les litiges ayant trait au droit du travail et à la sécurité sociale seront pris en charge par l'État ?

Enfin, il y a aussi le problème du contentieux fiscal.

C. Proposition de loi modifiant les articles 1018, 6º, et 1022 du Code judiciaire (de M. Alain Destexhe) (nº 3-204)

Il est renvoyé aux développements précédant la proposition de loi (voir doc. nº 3-204/1).

III. Début de la discussion générale

M. Mahoux formule plusieurs remarques quant à la manière dont il faut appréhender la question de la répétibilité des frais d'assistance juridique.

Le premier principe, c'est qu'il est logique que la partie perdante dans un procès supporte les dépens. En ce qui concerne le contenu des dépens, il semble normal que la partie perdante contribue à couvrir des dépenses qui visent d'autres postes que des prestations purement matérielles du conseil de l'autre partie.

La deuxième remarque vise les conséquences de l'application du premier principe sur l'accessibilité à la justice. Cette dernière question peut être envisagée sous deux angles distincts. Il y a la situation de la partie qui est convaincue de son bon droit mais qui peut voir ses prétentions freinées face aux frais qu'occasionne un recours en justice. L'autre aspect vise la situation de la personne qui perd son procès et qui peut se voir condamnée à supporter les frais de la partie adverse.

L'intervenant pense que la réflexion sur la répétibiltité des frais d'assistance juridique peut également être l'occasion de réfléchir à la mise en place de normes d'honoraires. Cette piste a été envisagée lors de débats menés sur la mutualisation des coûts de la justice.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que cela n'est pas compatible avec les règles européennes sur la libre concurrence. Les barèmes indicatifs instaurés par les barreaux ont dû être retirés.

M. Mahoux demande si les avis du Conseil d'État et du Conseil supérieur de la Justice ne devraient pas être sollicités.

M. Hugo Vandenberghe n'y est pas opposé, à condition que cela ne retarde pas le bon déroulement des travaux parlementaires. Il propose de demander que les avis soient rendus dans un délai ne dépassant pas trois semaines. Entre-temps, la commission pourrait procéder à une série d'auditions.

Mme Defraigne confirme que l'arrêt du 2 septembre 2004 de la Cour de cassation suscite de nombreux problèmes d'interprétation. On constate que pour chaque affaire plaidée, on a un procès dans le procès sur la question de la répétibilité des frais d'assistance juridique.

Le régime de répétibilité ne peut avoir pour conséquence que le coût de la justice devienne insupportable pour la partie succombante. Il ne faut pas rendre la justice plus chère pour 50 % des justiciables. Derrière la question de la répétibilité se pose, en filigrane, le problème de l'accès à la justice.

Plusieurs intervenants ont évoqués la piste des barèmes d'honoraires. Il faut rappeler que les barreaux ont été contraints par la Cour de Justice de retirer les barèmes qu'ils avaient établis, même si ceux-ci s'avéraient être des outils bien pratiques. Certains avocats continuent d'ailleurs à les appliquer spontanément. L'intervenante renvoie également au travail de codification par type d'affaire qui avait été effectué par le barreau de Liège. Même si la piste des barèmes est intéressante, il n'est pas certain qu'elle apporte une solution à la question de la répétibilité car les barèmes fixent des fourchettes d'honoraires. La latitude entre le minimum et la maximum laisse des zones d'interprétation.

Mme Defraigne pense que la solution à la question de la répétibilité se trouve dans la mise en place de forfaits. Elle partage l'avis de l'OBFG qui plaide pour un forfait modulable avec un pouvoir d'appréciation qui est laissé au juge.

Mme Nyssens déclare être favorable à l'idée d'une tarification des honoraires des avocats. Dans les pays qui connaissent de tels tarifs, ceux-ci sont fixés par une mesure de l'autorité. Ainsi, en Italie, les tarifs sont fixés par un décret du ministre de la Justice, sur proposition des avocats. Dans les pays où des tarifs existent, il y a des fourchettes entre minima et maxima, sans que cela mette en péril l'indépendance des avocats. Si l'on veut mettre en place un système de répétibilité qui n'est pas basé sur l'indemnité de procédure forfaitaire, il est, dans ce cas, indispensable de disposer d'une tarification.

Si on laisse au juge un pouvoir d'appréciation concernant les sommes à payer par la partie succombante, il est nécessaire d'avoir une mesure sous la forme d'un tarif d'honoraires.

Mme Defraigne estime que l'on se trouve dans une situation d'urgence. Face à l'inflation de procès dans le procès, il faut que le législateur intervienne rapidement. Si l'on fixe un cadre dans l'attente d'une hypothétique tarification, cela ne permet pas de faire œuvre utile car les problèmes sur le terrain ne seront pas réglés. Il faut une approche pragmatique, c'est-à dire prévoir des forfaits avec une marge d'appréciation laissée au magistrat.

M. Mahoux trouve que la position des autorités européennes concernant les barèmes prévus par les barreaux est assez critiquable étant donné le caractère spécifique de la profession d'avocat qui ne rentre pas dans un cadre strictement commercial.

Il devrait dès lors être possible d'admettre que les barèmes des avocats ne relèvent pas de la libre concurrence.

M. Hugo Vandenberghe répond que la position européenne est un fait. Même la nomenclature forfaitaire des notaires est mise en cause sur le plan européen au nom de la libre circulation des services.

Position du gouvernement

La ministre pense que la question de la répétibilité doit à la fois être examinée sous l'angle de l'accès à la justice et celui d'une justice plus équitable. Ces deux objectifs doivent être gardés en perspective.

Par ailleurs, on ne peut se limiter à une réflexion sur le seul plan civil. Que se passera-t-il sur le plan pénal ? Le suspect qui est acquitté aura-t-il droit, à charge de l'État, à une indemnité de procédure majorée ? Les conséquences budgétaires d'un tel système seraient importantes. De même, il serait intéressant, dans le cadre des auditions, de connaître le point de vue des partenaires sociaux pour tout le contentieux de la sécurité sociale.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer qu'aujourd'hui déjà des jugements condamnent l'État en cas d'acquittement au pénal.

La ministre le confirme. Le gouvernement est conscient qu'il faille mettre un terme à l'insécurité juridique qui règne sur le terrain. Il est cependant important que tous les acteurs judiciaires aient conscience des conséquences de la mise en place d'un régime de répétibilité des frais d'assistance juridique, pour que chaque question trouve une réponse adéquate.


Au terme de cette première discussion, M. Hugo Vandenberghe suggère de solliciter l'avis du Conseil d'État et du Conseil supérieur de la Justice dans un délai de trois semaines. Dans l'intervalle, la commission pourrait procéder à des auditions groupées de représentants des barreaux, de représentants des justiciables, des victimes, etc.

La commission se rallie à ces suggestions.

IV. Demandes d'avis au Conseil supérieur de la Justice et au Conseil d'État

L'avis du Conseil supérieur de la Justice et du Conseil d'État a été demandé le 26 octobre 2005 pour les propositions de loi nos 3-51, 3-1342 et 3-204.

L'avis du Conseil d'État a été demandé le 18 mai 2006 pour la proposition de loi nº 3-1686.

Pour le texte de ces avis, il y a lieu de se reporter aux documents nos 3-51/3, 3-204/2, 3-1242/3, 3-1686/3 (avis du Conseil d'État), et 3-51/4 (avis du Conseil supérieur de la Justice).

V. Auditions

Pour le compte rendu des auditions, on se reportera aux annexes au présent rapport (doc. Sénat, nº 3-1686/5, p. 44).

VI. Questionnaire adressé par la commission de la Justice aux barreaux

Au terme des auditions, la commission a décidé de dresser une liste des questions principales soulevées par les propositions de loi et de la soumettre à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et à l'Orde van Vlaamse balies.

Cette liste est rédigée comme suit:

Indemnité de procédure — montant forfaitaire — points à règler

— litiges devant le tribunal du travail en matière de sécurité sociale. Faut-il exclure les litiges en matière de sécurité sociale dans lesquels l'autorité publique est condamnée à payer les frais ? Qu'en est-il de la défense par un délégué syndical; faut-il dans ce cas octroyer une indemnité de procédure ?

— action civile en matière pénale

— contentieux fiscal

— Conseil d'État

— Cour d'arbitrage

— la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales prévoit une indemnité équitable pour tous les frais de récupération.

Questions complémentaires

— pouvoir d'appréciation du tribunal. Le tribunal peut-il moduler l'indemnité de procédure, et dans quelle mesure ?

— quid en cas d'abus procéduraux ?

— quid de l'indemnité de procédure complémentaire (réouverture des débats, reprise d'instance, etc.) ?

— la valeur de la demande est-elle le seul paramètre à prendre en compte ?

— quid pour les demandes non évaluables en argent ?

— aide juridique. Que faut-il prévoir pour les personnes qui bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne ? Adaptation de l'article 508 du Code judiciaire ?

— uniquement les frais et honoraires d'avocats ou également les autres frais de défense en justice ?

— en matière pénale, indemnité de procédure en cas d'acquittement ?

— que se passe-t-il dans les litiges où l'on est contraint d'assigner plusieurs parties (par exemple en matière de droit de la construction ou de responsabilité médicale) ?

VII. Suite de la discussion générale

M. Hugo Vandenberghe renvoie au questionnaire qui a été envoyé sur le projet de loi à l'examen. Le gouvernement va maintenant faire part de son point de vue sur ce questionnaire. Lors d'une prochaine réunion, les groupes pourront ensuite faire connaître leur point de vue, à la lumière notamment de la position adoptée par le gouvernement.

La ministre communique à la commission la position adoptée par le gouvernement:

« L'arrêt de principe qu'a rendu la Cour de cassation le 2 septembre 2004 constitue un revirement important de jurisprudence en matière de répétibilité des honoraires d'avocats.

Selon la décision de la Cour, ceux-ci peuvent faire partie du dommage indemnisable dans le cadre de la responsabilité contractuelle. La doctrine est cependant unanime pour admettre que cet enseignement vaut également en matière de responsabilité extra-contractuelle.

Une grande insécurité juridique règne depuis cet arrêt. La jurisprudence est très disparate, allant du rejet parfois pur et simple du principe, à l'octroi de montants élevés sans motivation particulière. De plus, cet arrêt a souvent pour conséquence de créer un procès dans le procès, tant à propos du principe même de la répétibilité dans tel ou tel cas d'espèce, que sur le montant qui peut être octroyé à ce titre. C'est ainsi que l'on a vu des montants forfaitaires alloués à une partie, tandis que dans d'autre cas, les états de frais et honoraires détaillés des conseils sont versés aux débats, ce qui pose des questions de principe fondamentales en ce qui concerne le secret professionnel.

Très peu de temps après que la Cour de cassation eut rendu son arrêt, la ministre de la Justice a sollicité l'avis des Ordres d'avocats sur cette question fondamentale en termes d'accès à la justice. Ceux-ci ont élaboré une proposition conjointe, qui ne diffère que sur un point. Globalement, la solution proposée est la majoration du montant de l'indemnité de procédure en la définissant comme « l'intervention forfaitaire dans les frais et les honoraires de l'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause. »

Aucune partie ne pourrait être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat d'une autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure.

Le Roi serait chargé de définir le montant de base de l'indemnité de procédure, montant qui pourrait varier en fonction de l'enjeu du litige.

La proposition de l'Orde van Vlaamse Balies a été déposée par MM Vandenberghe et Steverlynck. La proposition de l'Ordre des Barreaux francophones et germanophone a quant a elle été déposée par Mme Nyssens sous forme d'amendement à la proposition de loi nº 3-51 qu'elle avait elle-même déposée précédemment.

Une autre proposition de loi a quant à elle été déposée par MM. Destexhe, Cheffert et Collas, mais cette dernière ne s'inspire pas des principes dégagés par les Ordres.

De nombreuses auditions ont déjà eu lieu au sein de cette commission. Le Conseil d'État et le Conseil supérieur de la Justice ont par ailleurs également rendu des avis sur les propositions de loi à l'examen. Le dernier avis a été approuvé par l'assemblée générale du Conseil supérieur de la Justice le 26 janvier 2006.

Sur la base de ces avis et des auditions qui ont eu lieu, le Conseil des ministres a adopté une position de principe lors de sa séance du 24 février 2006.

L'insécurité juridique créée par l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 est réelle. Il importe d'y mettre fin au plus vite.

Les avis divergent sur la question de savoir si la répétibilité va ou non constituer un moyen de favoriser l'accès à la justice.

Il apparaît au gouvernement que la répétibilité ne constituera pas automatiquement et nécessairement un outil permettant de favoriser l'accès à la justice et d'assurer l'égalité des armes. Au contraire, elle pourrait même constituer un réel frein pour certaines catégories de justiciables.

La répétibilité peut en effet avoir comme effet néfaste d'entraver l'accès à la justice des plus démunis. Plutôt que de se sentir encouragés à faire appel à la justice, les justiciables risquent en effet d'être paralysés, même s'ils s'estiment dans leur bon droit, par la perspective éventuelle de devoir prendre en charge les honoraires de l'avocat de leur adversaire. Un procès n'est pas une science exacte, et il est dès lors impossible d'être certain de son issue au début de la procédure.

Pour les personnes économiquement les plus fragilisées, le risque de devoir supporter, en cas d'échec de leurs prétentions, les honoraires de l'avocat de la partie adverse augmenterait de manière considérable le niveau du risque financier déjà lié aux seuls « dépens » actuels, et ce risque financier accru pourrait contraindre nombre de justiciables à s'incliner face à des prétentions peut-être abusives ou à ne pas chercher à obtenir la reconnaissance de droits potentiels.

De manière plus générale, toute procédure présente un risque financier pour les parties. La répétibilité des honoraires d'avocat ne fera pas disparaître ce risque, mais l'aggravera au contraire dans certains cas, puisque au final, les frais de procédure pourraient s'avérer bien plus élevés qu'à l'heure actuelle. Cela pourrait ainsi à terme mener à une Justice de classes.

Néanmoins, la répétibilité ne doit pas pour autant être exclue en tant que telle. Elle existe par ailleurs déjà aujourd'hui d'une certaine manière, sous la forme des indemnités de procédure.

Afin d'éviter les effets pervers en matière d'accès à la justice, le gouvernement propose dès lors que la répétibilité des honoraires d'avocat soit strictement encadrée.

Il est ainsi proposé d'articuler la répétibilité sur deux grands axes.

D'une part, conformément à la suggestion des Ordres, le système actuel des indemnités de procédure en constituerait le cadre général étant entendu que le montant des indemnités de procédure serait légèrement revu à la hausse.

L'indemnité de procédure sera dorénavant définie comme étant: « l'intervention forfaitaire dans les frais et les honoraires de l'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause », ce qui est la solution proposée par les Ordres.

Néanmoins, et pour les considérations d'accès à la justice qui viennent d'être évoquées, le gouvernement ne souhaite pas une augmentation substantielle du montant des indemnités de procédure, seulement une légère adaptation à la hausse.

D'autre part, il faut également tenir compte des hypothèses où une partie adopte un comportement déraisonnable dans le cadre de la procédure, et contraint l'autre partie à exposer de frais de défense inutiles par ce comportement abusif. Le juge pourrait ainsi condamner une partie qui a commis un abus de procédure à payer à l'autre tout ou partie de ses frais d'avocats, déterminés sur la base d'un barème d'honoraires établi par le Roi, différent de celui des indemnités de procédure. Dans ces hypothèses en effet, en raison de l'attitude abusive d'une partie, et partant fautive, une partie est contrainte d'engager des frais de procédure supplémentaires. En fonction des éléments propres à chaque affaire, le juge pourrait accorder tout ou partie du montant prévu par le barème. Une marge d'appréciation lui serait ainsi laissée.

Pour le surplus, il convient de préciser expressément dans la loi que le juge ne pourra jamais condamner une partie au paiement des frais d'avocat et de défense de l'autre partie.

L'adaptation du montant des indemnités de procédure se fera bien entendu après avoir recueilli l'avis des Ordres d'avocats, comme le prévoit déjà la loi à l'heure actuelle.

En conclusion sur ce point, le gouvernement s'oriente résolument vers un ancrage de la répétibilité dans le droit procédural, et non pas dans le droit de la responsabilité, comme le suggéraient les ordres et de nombreux intervenants lors des auditions.

Par ailleurs, dans le cadre de ce débat, la barémisation des honoraires d'avocat doit également être prise en considération.

Il n'existe actuellement aucun barème de référence pour la taxation des honoraires d'avocat. Seul l'article 459 du Code judiciaire précise que: « Les avocats taxent leurs honoraires avec la discrétion que l'on doit attendre de leur ministère. Tout pacte sur les honoraires lié au résultat de la contestation leur est interdit ».

En pratique, cela place le justiciable dans l'impossibilité d'estimer de manière précise ce que va lui coûter une procédure judiciaire.

La barémisation doit permettre au justiciable d'avoir une vision plus claire de la charge financière que va représenter un litige. Il doit pouvoir savoir d'emblée combien va lui coûter une procédure, ou à tout le moins avoir des éléments tangibles lui permettant d'en évaluer le coût. Cette information sera dans bien des cas fondamentale pour déterminer si oui ou non il va entamer une procédure judiciaire ou se défendre en justice.

Il ressort de différentes études que la barémisation est juridiquement envisageable dans la mesure où elle est imposée par une autorité publique (et n'est donc pas imposée par une organisation professionnelle), qu'elle fixe des critères d'intérêt public, et dans laquelle l'État conserve son pouvoir de décision en dernier ressort.

Il est cependant proposé de recourir à un système de barèmisation non contraignante des honoraires d'avocats, qui permettra au justiciable d'être mieux informé du coût d'une procédure, sans pour autant s'imposer automatiquement dans la relation contractuelle entre l'avocat et son client, mais seulement en cas d'accord entre eux.

Ainsi, le justiciable disposera d'un moyen plus fiable d'évaluer le risque financier que représente une procédure judiciaire.

Ce barème servira également au juge pour l'appréciation de l'indemnité complémentaire à octroyer en cas d'application du principe de la répétibilité pour abus de procédure.

Le gouvernement propose de confier au Roi la mission d'établir ce barème après consultation des Ordres d'avocats.

Enfin, dès lors que dans le système proposé, la question de la barémisation des honoraires est étroitement liée à la question de leur répétibilité, il est également proposé que ces deux réformes entrent en vigueur simultanément.

Le gouvernement a la conviction que de la sorte, il pourra être mis fin de manière adaptée à l'insécurité juridique actuelle, tout en garantissant que l'accès à la justice pour le citoyen ne sera pas mis en péril, mais au contraire facilité, conformément aux objectifs qu'il s'est fixé dans l'accord de gouvernement de juillet 2003.

En ce qui concerne la liste de questions pratiques et théoriques relatives à la répétibilité qui ont été soumises à cette commission par le président, les deux Ordres d'avocats mènent actuellement une réflexion commune à leur sujet. Cette réflexion devrait aboutir dans les prochains jours sur l'ensemble des questions. Il serait bien évidemment utile de connaître les réponses que proposent les Ordres avant que la commission prenne position par rapport à ces questions. »

M. Mahoux estime que la solution proposée par le gouvernement, qui concerne les indemnités de procédure, règle une série de questions qui n'avaient pas trouvé de solution au cours des présents débats, et doit être soutenue.

La répétibilité stricte aurait imposé la définition d'une série d'exceptions, ce qui s'avérait fort complexe.

En ce qui concerne les indemnités de procédure, toutes les exceptions sont déjà prévues.

Le principe de l'augmentation des indemnités de procédure est donc posé, mais on n'en connaît pas encore le montant, le gouvernement faisant preuve à cet égard d'une prudence compréhensible.

D'autre part, un pas est fait en direction de la barémisation. Un barème sera établi, qui ne sera opposable à la partie perdante que dans un cas particulier. Ce barème aura à tout le moins le mérite d'exister. L'intervenant suppose qu'après consultation des barreaux, il concernera toute une série de matières. Il s'agit en tout cas d'un vaste programme, et aussi d'une étape importante.

Le gouvernement a indiqué que ce barème n'était pas obligatoire, et qu'il ne s'agit donc, dans sa détermination, que de considérer ce qui est imputable à la partie perdante dans le cas de procédures abusives. Il n'empêche que cela constitue pour la première fois une référence et une clarification pour les justiciables.

L'intervenant aimerait savoir quelle différence on fait entre une procédure abusive telle que visée par le gouvernement, et une procédure téméraire et vexatoire.

Enfin, l'orateur entendra avec intérêt l'avis des membres de la commission par rapport à ce que vient d'exposer le gouvernement, car cet avis déterminera la technique légistique qui sera choisie pour traiter le problème.

M. Collas précise tout d'abord qu'il a introduit à la proposition de MM. Vandenberghe et Steverlynck un amendement cosigné par Mme Defraigne, qui traduit la position de l'OBFG en la matière. L'orateur s'étonne ensuite de la grande réticence manifestée à l'égard de la répétibilité, alors que celle-ci est fort pratiquée dans les pays voisins. Il se réfère à cet égard à un colloque organisé sur ce sujet en communauté germanophone.

Il s'étonne également que l'idée de la barémisation l'emporte, alors qu'elle n'est pas vue d'un bon œil par les autorités européennes.

M. Cheffert relève que la ministre a fait état d'un accord de gouvernement sur les deux points qu'il a évoqués. L'intervenant s'étonne de cette affirmation, qui contredit les informations dont il dispose lui-même.

L'accord de gouvernement initial, que reprend la note au Conseil des ministres, prévoit qu'il faudra également réfléchir, en collaboration avec les barreaux, à l'instauration d'une barémisation des honoraires d'avocats, et à la répétibilité des honoraires auprès de la partie succombante.

Pour l'orateur, il s'agit donc de deux dossiers différents.

Sur la répétibilité, il constate un très large recul par rapport à ce qui était envisagé et par rapport aux avis sollicités auprès des barreaux. Il comprend les arguments avancés. Effectivement, le système qui avait été prévu par les ordres peut aboutir à freiner l'accès à la justice, car les sommes en question sont très élevées.

Mais pourquoi lie-t-on la barémisation au problème de la répétibilité ?

Comme indiqué par le précédent orateur, la barémisation suscite des difficultés au niveau européen.

Des barèmes indicatifs existent déjà, de même que la possibilité de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire.

Le dépôt par les avocats de leurs états de frais et honoraires soulève quant à lui le problème du secret professionnel, notamment en matière pénale.

De plus, on travaillerait par le biais d'un arrêté royal qui, en outre, ne serait pas contraignant.

L'intervenant croit savoir qu'il n'y a pas, sur ce point, d'accord de gouvernement.

Il demande dès lors que les deux dossiers soient traités séparément.

De plus, les modifications envisagées aux propositions déposées sont telles que les amender n'a guère de sens, et qu'il vaudrait mieux que le gouvernement dépose un nouveau texte.

Mme de T' Serclaes constate que, par rapport aux auditions que la commission a organisées, et par rapport aux autres pays, la position adoptée par le gouvernement est extrêmement minimaliste.

Considérer que la répétibilité comporte le risque de freiner l'accès à la justice est une manière d'aborder le problème.

Cependant, d'autres pays, comme l'Allemagne, adoptent un point de vue différent, et l'on n'a pas entendu dire que les justiciables s'y sentaient lésés. Le niveau de confiance en la justice ne semble pas non plus y être aussi bas.

On peut donc aborder le problème d'une autre façon et il n'est pas en soi anormal, pour mettre un frein au « tout aux tribunaux » que l'on constate aujourd'hui, de vouloir responsabiliser toutes les parties, et de mettre, dans certaines conditions, à charge de celui qui succombe, un certain nombre de frais.

L'intervenante s'interroge, comme de précédents orateurs, sur la différence qu'il convient de faire entre procédure abusive et procédure téméraire et vexatoire.

Enfin, la question des barèmes n'est pas neuve, et se pose du reste aussi pour d'autres professions. Ainsi, des barèmes ont été fixés il y a des années par l'Ordre des architectes, mais ils ne sont pas obligatoires.

Les instances européennes ont une position très claire à ce sujet.

L'État n'a pas cru devoir prendre un arrêté royal pour conforter ces barèmes. L'intervenante ne voit pas pourquoi il devrait en être autrement ici. Il n'est pas normal que l'État s'immisce dans ce genre de dispositions.

Mme Nyssens se réjouit qu'une concertation avec les barreaux ait lieu, et qu'elle se prolonge.

Leur avis sera un élément essentiel du dossier, étant donné qu'ils sont en première ligne par rapport au justiciable et que les barèmes seront éventuellement arrêtés sur leurs propositions.

L'intervenante aimerait également que l'existence d'un accord de gouvernement soit confirmée sur les deux points évoqués.

Elle indique par ailleurs qu'elle avait prévu dans un amendement que le Roi, sur proposition des barreaux, arrêterait des montants maxima que le juge pourrait mettre à charge de l'une des parties dans le cadre d'une espèce de « répétibilité ».

L'oratrice est convaincue qu'on ne peut pas légiférer en donnant au juge le pouvoir d'imposer à une partie de payer certains montants, si ces derniers ne font pas l'objet d'une tarification.

On peut discuter des modalités, mais l'intervenante aimerait des indications précises sur le droit européen. Il semble que le principe même d'une tarification ou de barèmes, même décidés par l'autorité, soit contesté. Des procédures seraient en cours à ce sujet, mais l'oratrice ignore si elles ont déjà abouti.

La ministre a émis des considérations de nature idéologique sur la justice. Si l'oratrice peut, jusqu'à un certain point, comprendre la crainte que la répétibilité ne soit un frein à l'accès à la justice, il est vrai également que le droit comparé permet de tempérer quelque peu ces craintes.

Il ne semble pas y avoir un lien direct de cause à effet, mais il est vrai que, là où la répétibilité existe, ce système est amoindri par une série d'autres règles, ne fût-ce qu'en matière de procédure abusive.

L'oratrice pense que la solution proposée par le gouvernement va dans le bon sens, mais elle ne comprend pas en quoi elle diffère radicalement de celle des barreaux, à part en ce qui concerne les montants de l'indemnité.

Elle rappelle que, voici dix ans, tous les barreaux avaient leurs barèmes de référence. Aujourd'hui, on ne les emploie plus (bien que certains barreaux les utilisent toujours à titre indicatif) en raison de la position des instances européennes en la matière.

M. Hugo Vandenberghe souligne que l'indemnité de procédure n'est pas applicable en matière pénale ni en matière administrative. Le barème proposé par le gouvernement concernera donc uniquement les procédures dans le cadre desquelles l'indemnité en question est applicable. En effet, seules ces procédures peuvent donner lieu à un abus de procédure. À moins que le gouvernement ne souhaite instaurer le principe juridique de l'abus de procédure pour toutes les procédures et prévoir ainsi un barème pour toutes les procédures judiciaires ?

La barémisation des honoraires d'avocat pour toute intervention dans une procédure, d'une part, et une légère adaptation de l'indemnité de procédure dans les cas où celle-ci est prévue, d'autre part, sont deux choses différentes, et le gouvernement prend l'option politique de les associer.

L'intervenant souligne par ailleurs que, lors de l'estimation de l'indemnité de procédure et donc des efforts faits en faveur de la défense, il faut tenir compte de l'importance du dossier. On ne peut pas présenter une simple indexation nominale complémentaire pour toutes les procédures comme une indemnisation des frais d'avocat. En effet, une telle indemnisation doit être proportionnée aux efforts de l'avocat.

Des intérêts civils qui sont réglés devant une juridiction pénale ne donnent pas lieu à une indemnité de procédure, contrairement à des intérêts civils réglés devant une juridiction civile, même si l'objet de la demande est identique. Comment va-t-on expliquer cette distinction devant la Cour d'arbitrage ?

En ce qui concerne le ralentissement de la procédure, l'intervenant fait référence au système de l'aide juridique et aux interventions précédentes, d'où il ressort que l'on applique, là aussi, un système de vases communicants. On ne peut donc pas affirmer a priori que l'indemnisation des frais d'avocat dans le cadre de l'aide juridique réduira les moyens de celle-ci.

À cet égard, l'intervenant précise également qu'on introduit en fait un nouveau frein, l'abus de procédure. L'abus de procédure existe déjà au Conseil d'État et il n'est presque jamais appliqué, à juste titre d'ailleurs, car son application systématique entraverait indirectement l'accès à la justice. Toutes les parties au procès doivent avoir l'occasion de présenter leurs arguments. On risquerait de déclencher une réaction conservatrice en affirmant qu'une plaidoirie qui va à l'encontre de la jurisprudence établie serait qualifiée d'abus de procédure. L'avocat bénéficie de l'immunité de la plaidoirie et a droit à la liberté d'expression; la créativité de la jurisprudence s'explique par certaines prises de position « osées » des avocats. Il est évidemment question d'un abus de procédure manifeste lorsqu'un avocat présente au juge un récit tout à fait mensonger. Si l'on introduit la notion d'abus de procédure, il faut en tout cas en donner une bonne définition. Il y a également un risque de divergence d'un juge à l'autre dans l'appréciation de l'abus éventuel.

On affirme également que les autorités publiques peuvent fixer les barèmes par arrêté royal. L'intervenant souligne que les ordres sont aussi une autorité publique.

La question se pose par ailleurs de savoir si l'Europe acceptera le régime proposé. Le gouvernement répond à cela que la réglementation en question n'est pas contraignante. L'intervenant souligne toutefois que le barème est contraignant pour le juge qui statue sur l'abus de droit. L'opposabilité aux tiers est contraignante; ceux qui détiennent une position de monopole, comme les assureurs, tireront habilement parti du barème imposé aux avocats.

La barémisation est prévue dans les Codes judiciaires néerlandais et allemand. En outre, plusieurs barreaux belges y ont également recours.

Toutefois, l'intervenant estime qu'en assimilant la barémisation du barreau à la nomenclature des prestations de santé, on fausse le raisonnement de départ.

La nomenclature est une description technique des prestations des médecins. Or, une intervention d'un avocat, comme la rédaction de conclusions ou un acte d'appel, ne peut pas être qualifiée de prestation technique. La nature de la contestation joue un rôle en l'espèce, de même que la responsabilité de l'avocat, et elle ne se prête pas à l'application d'un barème uniforme.

L'intervenant souligne enfin que l'on donne ici une délégation très étendue au Roi en l'habilitant à élaborer le barème après avoir consulté les ordres. Selon lui, il est impossible de voter sur la proposition gouvernementale de barémisation sans savoir exactement comment le système sera élaboré. On ne dispose d'aucun élément indicatif à cet effet.

M. Mahoux pense qu'il est nécessaire d'établir des critères sur la base desquels les barèmes vont être élaborés.

L'intervenant demande confirmation du fait que ce que l'on détermine en cas de procédure abusive, c'est la part des honoraires qui sera à charge de la partie succombante.

Il pourrait s'agir de la totalité, avec un maximum fixé par le barème. Au-delà de cela, on est libre d'appliquer des tarifs différents, mais on disposera d'un ordre de grandeur.

L'intervenant trouve ce système assez positif. Il demande quelle est l'appréciation du juge dans ces cas. S'agit-il d'une appréciation en deux étapes, à savoir la détermination de l'existence d'un abus de procédure, puis la détermination, dans le barème, de ce qui fera l'objet d'une contribution de la partie succombante ?

Enfin, tout en jugeant les propositions formulées par le gouvernement très intéressantes, l'orateur se demande comment on peut apprécier les conséquences sur la procédure.

La ministre répète que, le 24 février 2006, le gouvernement, dans la note qui lui est soumise, décide de lier deux thématiques.

Il est clair, d'autre part, que les décisions prises sont avant tout de nature politique.

Répondant à M. Cheffert, l'oratrice indique que ce dernier a opéré une confusion entre la déclaration de 2003 et la notification de la décision de février 2006.

Il est vrai qu'en 2003, cette thématique est abordée dans le chapitre « accès à la justice ».

En 2006, on parle bien de répétibilité.

M. Hugo Vandenberghe a souligné, à juste titre, le caractère non contraignant de la barémisation.

Cette barémisation non contraignante a un double intérêt: elle va donner une grille indicative qui va servir pour déterminer le montant que devra payer la partie condamnée aux dépens, mais elle va aussi, en amont, donner au justiciable une information dont il ne dispose pas aujourd'hui.

En ce qui concerne l'abus de procédure, il va falloir unifier cette expression et celle de procédure téméraire et vexatoire.

Il est exact que le juge portera une double appréciation, d'abord sur l'existence d'un abus, puis sur le montant.

Quant à la comparaison avec d'autres professions libérales, et en particulier avec celle des architectes, l'oratrice souligne que, dans ce dernier cas, on se trouvait dans une hypothèse différente, puisqu'il s'agissait d'une barémisation imposée par l'Ordre.

Répondant à Mme Nyssens, la ministre déclare qu'il est vrai que la position adoptée par le gouvernement est très proche de celle des barreaux, mis à part l'augmentation, qualifiée par le gouvernement de légère, des indemnités de procédure, et la barémisation.

Il est vrai aussi que, dans la déclaration dont il a été donné lecture, certaines questions, rappelées par M. Vandenberghe, n'étaient pas abordées, notamment à propos des procédures pénales.

Cela fait partie des questions posées aux ordres des avocats, dont le gouvernement attend les réponses. Il en va de même en ce qui concerne les intérêts civils devant le juge pénal.

En ce qui concerne le risque que l'abus de procédure soit un frein au développement de positions originales ou avant-gardistes, l'intervenante déclare que, dans cette conception, c'est la répétibilité même qui constitue le frein. Ce n'est pas propre à la position défendue par le gouvernement.

Quant au fait que la barémisation serait mal vue sur le plan européen, il faut bien préciser dans quel cadre on se situe. L'intervenante se propose de revenir plus tard sur ce point.

M. Mahoux demande confirmation que les deux décisions du juge dont il a été question sont chacune susceptible d'appel, de manière disjointe. Compte tenu des implications très lourdes d'un tel système, ne peut-on envisager de réunir ces deux décisions en une seule ?

M. Hugo Vandenberghe répond que l'on ne peut jamais mettre de frein à l'accès au juge, dès qu'une condamnation est prononcée. Dès qu'il y a abus de procédure, l'appel doit être possible.

M. Mahoux comprend qu'il soit utile de laisser au juge une appréciation quant au montant, mais cela contribue à rendre la procédure plus complexe. Tout dépendra des montants fixés dans les barèmes, et de leur caractère dissuasif.

VIII. Réponses de l'OBFG et de l'OVB au questionnaire adressé par la commission

Les réponses de l'OBFG et de l'OVB au questionnaire susmentionné sont ainsi libellées:

« Indemnité de procédure — montant forfaitaire — points à régler

1. « Litiges en matière de sécurité sociale portés devant le tribunal du travail

Faut-il exclure du principe de la répétibilité les litiges en matière de sécurité sociale dans lesquels l'autorité est condamnée aux dépens ?

Octroi d'une indemnité de procédure en cas de défense par un délégué syndical »

L'OVB et l'OBFG estiment qu'il n'y a aucune raison de modifier, sur la base de leur proposition de modification légale, l'article 1017, 2e alinéa, du Code judiciaire qui prévoit que l'autorité ou l'institution est toujours condamnée aux dépens dans certains litiges en matière de sécurité sociale.

L'OVB et l'OBFG proposent toutefois de mentionner dans l'arrêté royal que l'indemnité de procédure équivaut à l'indemnité de base pour les choses non évaluables en argent (250,00 euros dans la proposition de l'OVB et de l'OBFG) au cas où l'autorité, partie gagnante, est condamnée aux dépens.

Le système de la répétibilité de l'indemnité de procédure ne doit pas être étendu aux situations dans lesquelles la défense est assurée par un délégué syndical. En effet, le client ne paie ni à l'organisation syndicale ni au délégué des sommes dont la nature et le montant sont comparables aux frais et aux honoraires d'un avocat. Ce principe a déjà été consacré par la Cour d'arbitrage dans un arrêt clair (nº 113/99 du 14 octobre 1999).

2. Action civile en matière pénale

Contentieux fiscal

En ce qui concerne l'action civile en matière pénale et le contentieux fiscal, il y a unanimité pour dire que le système des indemnités de procédure peut leur être étendu.

Quant aux actions pénales proprement dites, l'OVB et l'OBFG ne pensent pas qu'il soit souhaitable de condamner l'État ou la partie civile à une indemnité de procédure, dans la mesure où l'affaire a été introduite par un magistrat (procureur ou juridiction d'instruction), lequel agit toujours dans l'intérêt général. Une indemnité de procédure pourrait être attribuée uniquement en cas d'acquittement lorsque l'affaire a été introduite par voie de citation directe à la requête d'une partie civile. Un professeur de droit constitutionnel a examiné la constitutionnalité de la solution proposée, et estime qu'elle est conforme au principe d'égalité.

3. Cour d'arbitrage

En ce qui concerne les procédures portées devant la Cour d'arbitrage, il faut opérer une distinction entre les procédures engagées à la suite d'une question préjudicielle d'une part, et les autres procédures d'autre part.

Dans le cadre des procédures intentées à la suite d'une question préjudicielle, il ne faut pas octroyer d'indemnité de procédure, l'affaire étant renvoyée au juge du fond. On applique donc ici le même principe que dans les procédures civiles.

En revanche, pour les autres procédures, il est possible d'attribuer une indemnité de procédure correspondant au montant pour les choses non évaluables en argent.

4. Conseil d'État

En ce qui concerne les procédures devant le Conseil d'État, on peut également opter pour l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il sera nécessaire de modifier encore d'autres lois en vue d'instaurer le système de l'indemnité de procédure dans le cadre des procédures devant le Conseil d'État et la Cour d'arbitrage. Cela ne peut toutefois pas ralentir la mise en œuvre de la solution proposée pour les indemnités de procédure existantes. Point n'est besoin de modifier toutes les procédures en même temps.

5. Remarque: articulation avec la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales:

L'OBFG et l'OVB proposent de modifier la loi du 2 août 2002.

L'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales pourrait être modifié comme suit:

1) Compléter la première phrase de l'article 6, alinéa 1er, par le membre de phrase suivant:

« , autres que les frais d'avocats, qui sont calculés conformément aux articles 1018, alinéa 1er, 6º, et 1022 du Code judiciaire ».

2) Supprimer la deuxième phrase de l'article 6, alinéa 1er, qui est libellée comme suit: « L'application de cet article exclut l'attribution au créancier des sommes prévues aux articles 1018, alinéa 1er, 6º, et 1022 du Code judiciaire. »

Cette modification est compatible avec la directive 2000/35/CE, pour autant que les indemnités de procédure permettent l'octroi d'un « dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement ». Tel ne sera pas le cas si les indemnités de procédure, telles qu'annoncées par la ministre de la Justice, ne sont que légèrement adaptées.

Questions supplémentaires

1. S'agissant du point relatif au pouvoir d'appréciation du tribunal, il peut être renvoyé aux propositions respectives de l'OBFG et de l'OVB.

2. Détournement de procédure: l'alinéa 3 de l'article 1022 nouveau du Code judiciaire (proposition Vandenberghe) exclut l'octroi d'une indemnité supérieure à l'indemnité de procédure pour l'intervention d'un avocat. Cette règle vaut aussi en cas d'application de l'article 1382 du Code civil dans le cadre du détournement de procédure. En pareil cas, le juge a cependant la faculté de doubler l'indemnité de procédure. Cela doit suffire. Il n'est pas souhaitable d'adapter le texte proposé de l'article 1022 du Code judiciaire pour résoudre le problème marginal du détournement de procédure. Il convient aussi d'éviter que des parties n'arguent à tout bout de champ d'un détournement de procédure pour obtenir une indemnité plus élevée. La proposition de loi à l'examen a précisément pour but de prévenir ce type de procès dans le procès. Il n'existe d'ailleurs aucun critère objectif permettant de définir la notion de « détournement de procédure », ce qui risque d'engendrer une jurisprudence arbitraire.

3. Dans la proposition de l'OBFG et de l'OVB, il n'est plus question d'une indemnité de procédure complémentaire.

4. En ce qui concerne la valeur de l'action comme seul paramètre et le sort réservé aux choses non évaluables en argent, l'OBFG et l'OVB renvoient aux propositions qu'ils ont transmises précédemment.

5. S'agissant de l'aide juridique de deuxième ligne, l'OBFG et l'OVB ont rédigé conjointement une proposition de modification de la loi, qui est jointe en annexe.

6. L'article 1022 du Code judiciaire, tel qu'il est proposé par l'OBFG et l'OVB, prévoit uniquement la répétibilité des frais exposés pour la défense par un avocat. En ce qui concerne les autres frais de défense, comme l'assistance technique, ce sont les règles de droit commun qui restent d'application.

7. L'OBFG et l'OVB proposent d'ajouter une règle prévoyant que, lorsque l'indemnité de procédure est attribuée à plusieurs bénéficiaires, le montant total de l'indemnité de procédure que la partie succombante est condamnée à payer ne peut jamais excéder le double du montant maximal (donc doublé) de l'indemnité de procédure à laquelle chacun des bénéficiaires aurait pu prétendre et que le juge répartit la somme en question entre tous les bénéficiaires. »

IX. Poursuite de la discussion générale

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 19 avril 2006. L'intervenant a toujours été d'avis qu'à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004, le législateur se devait de régler la problématique des honoraires. Mais puisqu'il n'a toujours pas légiféré, on se trouve actuellement dans l'impasse la plus totale. C'est d'autant plus vrai depuis l'arrêt de la Cour d'arbitrage.

Dans son arrêt, la Cour d'arbitrage examine la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les honoraires d'avocat sont un élément constitutif du dommage, en application de l'article 1382 relatif à la responsabilité civile. D'après la jurisprudence de la Cour de cassation, la partie succombante peut être condamnée à rembourser ces honoraires.

La Cour d'arbitrage déclare en revanche que le défendeur qui obtient gain de cause dans une action en responsabilité, c'est-à-dire après que la demande introduite contre lui en application de l'article 1382 a été rejetée, ne peut faire valoir aucun droit à un remboursement des frais d'avocats. En effet, l'article 1382 ne s'applique pas à son égard. Une telle situation donne lieu à un traitement discriminatoire. Dans un cas, les frais d'avocats sont considérés comme un élément constitutif du dommage alors que dans l'autre, il est nécessaire de démontrer le caractère téméraire et vexatoire de la procédure.

La Cour d'arbitrage estime que le législateur se doit de régler cette problématique. En l'absence de dispositions légales permettant de mettre les frais et honoraires d'avocat à charge de la partie demanderesse ou de la partie civile qui a été déboutée de son action en responsabilité civile, on viole les articles 10 et 11 de la Constitution, de même que l'article 6 de la CEDH. La discrimination prend sa source non pas dans les articles 1149, 1382 et 1383 du Code civil, mais dans l'interprétation qui est faite desdits articles. Il convient de mettre un terme à la confusion actuelle.

M. Cheffert est également d'avis qu'il faut légiférer en la matière. En effet, même avant l'arrêt de la Cour d'arbitrage, les décisions judiciaires allaient en sens divers.

Aujourd'hui, on dispose en outre de l'arrêt de cette Cour, qui complexifie encore le problème, puisqu'il remet en cause l'interprétation de la Cour de cassation.

C'est là une raison supplémentaire pour légiférer.

Dans une matière comme celle-là, le point ce vue des ordres professionnels est important.

Il ressort d'un récent contact que l'orateur a eu avec des membres de l'OBFG que ceux-ci, tout en reconnaissant l'urgence d'une intervention législative, souhaiteraient que les travaux puissent faire l'objet d'une courte suspension, afin qu'ils puissent, si possible en accord avec l'OVB, peaufiner leurs propositions, en prévoyant d'autres garde-fous et en revoyant, le cas échéant, les grilles qu'ils avaient proposées.

Compte tenu du fait que le problème existe depuis de nombreux mois, cette demande ne paraît pas déraisonnable.

Il faudra voir également si, en fonction de la position définitive des ordres, celle de la ministre de la justice n'évoluera pas.

M. Mahoux souhaiterait connaître le point de vue du gouvernement sur ce qui vient d'être dit.

Au cours des débats, les ordres ont déjà été entendus. On a pu constater aussi à quel point il était difficile de trouver des solutions linéaires dans le cadre d'une approche allant dans le sens de la répétibilité, compte tenu du nombre d'exceptions à définir dans ce cas.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il faut agir de façon constructive. Les procédures sont dans l'impasse et il est impératif que le législateur intervienne d'urgence. Chaque question posée appelle une réponse différente suivant le système pour lequel on a opté. Le gouvernement a fait une déclaration de principe mais n'a pas encore déposé de nouveaux textes.

La ministre rappelle qu'elle a, le 15 mars 2006, exposé devant la commission, la position du gouvernement, arrêtée quelques jours auparavant.

Une liste de questions a été adressée aux ordres des avocats. Ceux-ci ont communiqué leurs réponses, qui ont été examinées en réunions intercabinets.

Les discussions continuent sur certains points, et notamment sur l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 19 avril 2006.

Les ordres ont effectivement fait savoir qu'ils souhaitaient disposer d'une quinzaine de jours supplémentaires pour peaufiner leur avis.

La ministre n'a pas d'objection à cet égard, mais elle souhaite avancer, pour mettre un terme à l'insécurité juridique actuelle.

En ce qui concerne le gouvernement, sa position ne changera pas. Les choix politiques qui ont été posés répondent en effet en grande partie à l'arrêt de la Cour d'arbitrage précité.

Certaines questions restent encore en discussion, comme celle de savoir à qui doit bénéficier la répétibilité. Doit-elle ou non jouer dans les deux sens ?

Quid des contentieux fiscal et social, du contentieux devant le Conseil d'État et devant la Cour d'arbitrage, etc. ?

Le gouvernement souhaite qu'une solution aussi complète que possible soit formulée, pour mettre fin à l'incertitude actuelle.

La ministre renvoie à la réponse qu'elle a donnée à une interpellation de M. Hugo Vandenberghe, où elle a précisé que le gouvernement pouvait présenter des amendements, mais qu'elle était ouverte à des initiatives parlementaires en la matière, dans le cadre de la voie politique retenue.

X. Dépôt de la proposition de loi de Mme Talhaoui et M. Koninckx (doc. Sénat, nº 3-1686/1)

Mme Talhaoui et M. Koninckx ont déposé, le 4 mai 2006, une proposition de loi « relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat » (doc. Sénat, nº 3-1686/1).

Cette proposition de loi, prise en considération et envoyée à la commission de la Justice le 11 mai 2006, a servi de base à la discussion des articles reproduite ci-après.

Pour l'exposé introductif relatif à cette proposition de loi, on se reportera aux développements qui la précèdent (voir doc. Sénat, nº 3-1686/1).

Voir également, pour l'avis du Conseil d'État, doc. Sénat, nº 3-1686/3.

XI. Dépôt par le gouvernement des amendements nos 8 à 20 à la proposition de loi nº 3-1686

La ministre rappelle que la question de la régulation de la répétibilité s'est posée de manière aiguë suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 qui admet que les honoraires des avocats puissent faire partie du dommage indemnisable dans le cadre de la responsabilité contractuelle. Cet arrêt a engendré une insécurité juridique pour le justiciable nécessitant une intervention législative.

Les amendements nos 8 à 19 (doc. Sénat, nº 3-1686/4) que le gouvernement vient de déposer constituent la réponse que le gouvernement propose de donner à cette question, en se basant sur la position des Ordres d'avocats et du Conseil supérieur de la Justice.

Initialement, le gouvernement avait émis des craintes relatives aux effets pervers possibles en matière d'accès à la justice si la répétibilité n'était pas strictement encadrée. Notamment, la majoration importante des indemnités de procédure pouvait représenter un risque en la matière, et il a d'abord été envisagé de ne procéder qu'à une majoration limitée de leur montant.

La concertation avec les Ordres d'avocats s'est poursuivie, en particulier sur les moyens de limiter les effets négatifs de la répétibilité en matière d'accès à la justice. Au terme de celle-ci, le gouvernement a pris la décision d'adopter pour l'essentiel la position des Ordres, mais en l'entourant des garanties nécessaires, de manière à préserver et favoriser l'accès à la justice.

Cette mesure devait également s'accompagner de l'établissement concomitant d'une barémisation non contraignante des honoraires d'avocats. Après concertation avec les Ordres, il a été décidé de dissocier la discussion relative à la répétibilité de celle de la barémisation.

Pour ce qui concerne la question de la répétibilité, son principe sera consacré dans la loi. La répétibilité trouvera son ancrage dans le droit de la procédure, en l'occurrence par le biais des indemnités de procédure, c'est-à-dire des montants forfaitaires déterminés par le Roi, notamment en fonction de la nature ou de l'importance du litige. L'indemnité de procédure est redéfinie et devient « « une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause ».

Une des garanties essentielles prévue est que le juge disposera d'un pouvoir d'appréciation large: ces montants pourront être majorés ou diminués jusqu'à un maximum ou un minimum que le Roi devra déterminer.

Une seconde garantie fondamentale consiste à prévoir des critères précis pour guider cette appréciation, à savoir:

— la capacité financière de la partie perdante, pour diminuer le montant de l'indemnité de procédure;

— la complexité de l'affaire;

— l'importance des indemnités contractuelles convenues pour la partie qui obtient gain de cause;

— le caractère manifestement déraisonnable de la situation.

Pour l'essentiel, il s'agit des critères suggérés par le Conseil supérieur de la Justice.

Grâce à ce pouvoir d'appréciation encadré, le juge sera en mesure de moduler les effets de la répétibilité si elle peut mener à des situations manifestement inéquitables pour les personnes qui se trouvent dans des situations financières difficiles.

De même, et toujours dans un souci de préserver l'accès à la justice pour les plus faibles, il est prévu que si la partie qui succombe bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, l'indemnité de procédure sera fixée au minimum prévu par le Roi. Une exception est cependant prévue pour les situations manifestement déraisonnables.

Les amendements proposés envisagent également l'articulation de la répétibilité avec l'aide juridique de deuxième ligne.

Il est ainsi prévu que l'avocat pourra percevoir l'indemnité de procédure allouée au bénéficiaire de l'aide juridique de deuxième ligne, mais qu'il devra en faire état dans le rapport qu'il adresse au bureau d'aide juridique. Par la suite, le montant de cette indemnité sera déduit du montant des indemnités qu'il percevra en rémunération de ses prestations dans le cadre de l'aide juridique.

La question de l'application de la répétibilité devant les juridictions répressives a été soulevée. À l'heure actuelle, le système des indemnités de procédure est inapplicable devant ces juridictions.

Néanmoins, et bien que les deux types de procédures, pénale et civile, présentent des caractéristiques différentes, il apparaît plus conforme aux principes d'égalité et de non-discrimination de traiter de manière identique les justiciables qui sollicitent la réparation d'un dommage devant une juridiction civile ou une juridiction répressive.

Conformément à l'avis des Ordres d'avocats et du Conseil supérieur de la Justice, il est proposé d'étendre le système de la répétibilité aux relations entre le prévenu et la partie civile. Dès lors, si le prévenu est condamné à indemniser la partie civile, il sera également condamné à l'indemnité de procédure prévue à l'article 1022 du Code judiciaire, laquelle sera liquidée dans le jugement.

Au contraire, si le prévenu est acquitté, c'est la partie civile qui sera condamnée à lui payer cette indemnité. Néanmoins, un tempérament important a été prévu en la matière, lié à la nature particulière de la procédure pénale. La partie civile ne pourra être condamnée à l'indemnité de procédure que si c'est elle-même qui a mis l'action publique en mouvement au moyen d'une citation directe. En effet, lorsque c'est le ministère public qui intente l'action publique, la partie civile ne fait que se greffer à la procédure et n'est pas la cause de celle-ci. Si elle échoue dans ses prétentions, elle ne peut pas être tenue pour responsable de celles-ci à l'égard du prévenu et ne peut par conséquent pas être condamnée à l'indemniser pour les frais de procédure engendrés à cette occasion. De même, si l'action publique est mise en mouvement au moyen d'une constitution de partie civile entre les mains d'un juge d'instruction, et que la chambre du conseil décide du renvoi devant une juridiction de fond, la partie civile ne pourra pas non plus être condamnée à l'indemnité de procédure si elle échoue devant la juridiction de fond. Dans ce cas en effet, si la partie civile est à l'origine de la procédure, ce n'est pas elle qui a décidé de sa poursuite, mais bien une juridiction.

Par contre, toujours dans cette même hypothèse, si la chambre du conseil (ou la chambre des mises en accusation) estime qu'il n'y a pas lieu à poursuite, la partie civile pourra être condamnée à l'indemnité de procédure envers l'inculpé puisque, ici, elle a précisément mis l'action publique en mouvement, mais sans succès.

Enfin, vu la nature particulière de la cour d'assises, de même que la manière dont elle peut-être saisie, il n'est pas non plus prévu de permettre la condamnation de la partie civile qui succombe à l'indemnité de procédure devant cette juridiction.

La répétibilité ne jouera par ailleurs pas dans les relations entre le prévenu et l'État, représenté par le ministère public, et ce toujours conformément à l'avis des Ordres et du Conseil supérieur de la Justice. Il faut ici relever que le ministère public, en exerçant les poursuites, représente l'intérêt général et ne peut dès lors être mis sur le même pied qu'une partie civile qui mettrait seule en mouvement l'action publique pour la défense d'un intérêt particulier.

L'amendement nº 16 est consacré à l'application dans le temps de la future réglementation. Il est ainsi proposé de rendre la future loi applicable aux affaires en cours dès son entrée en vigueur. En effet, l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 a créé une grande insécurité juridique, qui touche tant les nouvelles affaires que les affaires qui étaient en cours au moment de son prononcé. Depuis lors, les parties demandent de manière systématique l'application de la répétibilité au juge, sans pour autant que celui-ci, ni les parties, ne disposent de règles claires et précises en la matière. Tel est précisément l'objet de la présente proposition. Dès lors, et dans un souci d'égalité et de non-discrimination, il apparaît opportun de prévoir que les parties seront traitées de manière identique relativement à la question de la répétibilité, indépendamment de la date à laquelle l'affaire a été introduite. Il importe en tout état de cause de mettre fin au plus vite à l'insécurité juridique générée par l'arrêt de septembre 2004.

C'est là l'objectif des amendements qui ont été déposés par le gouvernement.

M. Hugo Vandenberghe déduit de l'intervention de la ministre que le gouvernement demande le rejet des propositions de loi nos 3-51, 3-204 et 3-1342. Il n'est donc tenu compte que de la dernière proposition de loi, laquelle émane, cela va sans dire, d'un membre de la majorité. Une fois de plus, le point de vue de la majorité est le seul à être pris en considération. L'intervenant s'interroge sur la pertinence du critère majorité-opposition dans une démocratie parlementaire, particulièrement à la lumière de l'application de la législation antidiscrimination. Les membres des partis de l'opposition sont clairement considérés comme des parlementaires de seconde zone.

Mme Nyssens constate que les amendements qui viennent d'être déposés constituent un changement radical de point de vue dans le chef du gouvernement. Sur le fond, elle s'en réjouit.

Le gouvernement était au départ très frileux quant à l'introduction du concept de répétibilité. Elle constate que le dialogue avec les ordres a permis d'arriver à une position qui est celle des ordres d'avocats. La solution proposée se base sur l'idée d'un forfait assorti de critères et d'un pouvoir d'appréciation pour le juge.

Les propositions de loi de départ et les amendements déposées sur celles-ci allaient dans le même sens.

M Hugo Vandenberghe confirme que c'était l'optique défendue dans la proposition de loi nº 3-1342 qu'il a déposée avec M Steverlynck.

La proposition de loi nº 3-1686 de Mme Talhaoui et M. Koninckx repose par contre sur une autre logique. Il est dès lors assez curieux de déposer des amendements sur la proposition nº 3-1686 pour faire adopter un texte qui n'aura plus rien à voir avec la philosophie de base de la proposition initiale.

Pour Mme Nyssens, peu importe que le gouvernement décide d'amender la proposition de loi déposée par des membres de la majorité plutôt qu'une des propositions déposées antérieurement sur le même sujet par l'opposition. L'essentiel est que le dossier de la répétibilité aboutisse avant la fin de la législature.

Les amendements du gouvernement confirment des pistes de solution qui ont déjà été évoquées depuis bien longtemps: l'idée d'un forfait modulable en fonction de critères tels que la capacité financière, la complexité de l'affaire, etc. L'oratrice soutient ces idées, qui figuraient déjà dans les propositions de loi de départ.

Elle demande des précisions concernant le fonctionnement du régime de répétibilité proposé lorsque l'une des parties bénéficie de l'aide juridique.

D'autre part, le juge peut-il, dans des cas exceptionnels, ne pas appliquer le forfait légal et descendre en dessous des montants minima prévus par le Roi ?

Enfin, que couvre la notion d'honoraires et frais des avocats ?

M. Willems s'efforce d'appréhender les amendements déposés d'une manière positive et estime qu'ils sont le résultat de la discussion qui a été menée et de la situation d'insécurité générée par l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004. Ils sont également de l'ordre du réalisable dans le cadre du système juridique belge. L'intervenant juge positif qu'un débat ait également été consacré à la barémisation éventuelle des honoraires d'avocats; il est certain qu'il faut davantage de transparence dans ce domaine, mais il ne faut pas confondre répétibilité et barémisation. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des règles du droit européen en matière de concurrence.

Mme Talhaoui constate que la proposition de loi qu'elle a déposée a effectivement servi de base aux amendements mais qu'elle a subi de très profondes modifications.

M. Hugo Vandenberghe indique que la proposition de loi déposée par Mme Talhaoui et M. Koninckx plaide nettement, dans ses développements, en faveur d'une barémisation alors que les amendements du gouvernement défendent une toute autre option.

Mme Talhaoui le confirme. Il était cependant urgent de trouver une solution en matière de répétibilité en tenant compte du droit européen. L'intervenante signale aussi que, si sa proposition de loi se cantonnait au droit civil, les propositions du gouvernement vont plus loin.

M. Hugo Vandenberghe maintient que sa proposition de loi a été déposée à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de cassation, que toute la discussion en commission de la Justice a été menée sur la base de sa proposition de loi et que celle-ci a donné lieu à une demande d'avis auprès du Conseil supérieur de la Justice et du Conseil d'État.

La proposition de loi de Mme Talhaoui et M. Koninckx a été déposée postérieurement à la discussion et propose une solution fondée sur une liaison à la barémisation des honoraires. Les deux options politiques sont donc, d'une part, une liaison à l'indemnité de procédure, comme prévu dans les propositions de loi des partis de l'opposition, et, d'autre part, une liaison à la barémisation, comme prévu dans la proposition de loi de Mme Talhaoui.

Bien qu'il opte clairement pour l'indemnité de procédure, le gouvernement n'en amende pas moins la proposition de loi de Mme Talhaoui et M. Koninckx, qui défend pourtant une autre option. Ce n'est pas logique. Le gouvernement refuse à l'évidence de prendre pour base une proposition de loi de l'opposition.

Mme Nyssens demande si le régime de répétibilité proposé par le gouvernement est conforme à la jurisprudence récente de la Cour de Justice de Luxembourg. Une affaire y est pendante concernant le système italien dans lequel le conseil de l'ordre propose des minima et des maxima.

La ministre répond, en ce qui concerne l'articulation du système de répétibilité et l'aide juridique de seconde ligne, que les amendements prévoient que si la partie qui succombe est bénéficiaire de l'aide juridique de deuxième ligne, l'indemnité de procédure sera fixée à un minimum. Ce principe est tempéré par une exception, lorsque l'on se trouve dans une situation manifestement déraisonnable.

Dans l'hypothèse inverse, si c'est la partie triomphante qui bénéficie de l'aide juridique, l'avocat perçoit l'indemnité de procédure mais il doit la déclarer. L'indemnité de procédure est ensuite imputée sur les honoraires que l'avocat peut obtenir par la suite.

L'intervenante précise qu'il y aura toujours un montant minimum d'indemnité de procédure. Comme cela se passe déjà à l'heure actuelle, le juge pourra compenser les dépens.

En ce qui concerne la notion de « frais et honoraires », elle couvre majoritairement les honoraires de l'avocat ainsi que les quelques frais qui ont été exposés. Il y a en plus les dépens qui couvrent les frais d'huissier, d'expertise, etc.

L'intervenante précise que lors de la préparation des amendements, le gouvernement a toujours recherché une solution privilégiant l'accès à la justice.

Or, c'est dans la proposition de loi nº 3-1686 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat de Mme Talhaoui et M. Koninckx que cette préoccupation est la plus présente.

C'est pour cette raison que le gouvernement a décidé d'amender ce texte.

XII. Discussion des articles

Article 1er

Cet article n'appelle pas d'observation.

Art. 2

M. Cheffert et Mme Defraigne déposent un amendement (doc.Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 1), tendant à supprimer cet article. Il est renvoyé à la justification de l'amendement nº 7.

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 8), tendant à remplacer l'article 2.

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 2bis (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 9), tendant à insérer un article 2bis nouveau dans la proposition de loi.

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 3

Cet article n'appelle pas d'observation.

Art. 4

M. Cheffert et Mme Defraigne déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 2), tendant à supprimer cet article.

L'amendement se justifie par le fait que l'article 1021 du Code judiciaire renvoie aux notions « d'indemnités de débours et de procédure », qui sont clairement définies dans l'arrêté royal du 30 novembre 1970. Il n'y a pas lieu de les modifier.

Art. 5

Mme Defraigne dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3- 1686/2, amendement nº 3), tendant à modifier l'article 5. Il propose de remplacer l'alinéa 1er de l'article 1022 du Code judiciaire par ce qui suit: « L'indemnité de procédure couvre, de manière partielle mais significative, le montant des frais et honoraires de l'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause. ».

Il est proposé également de remplacer, à l'alinéa 2, les mots »1017bis » par les mots « 1024bis ».

En effet, l'indemnité de procédure ne couvre pas la totalité des honoraires et frais de l'avocat. Il s'agit d'un forfait qui sert, entre autres, à indemniser pour l'accomplissement de certains actes matériels.

Par ailleurs, on ne peut laisser au juge la possibilité de diminuer d'office le remboursement de frais qui sont fixés par arrêté royal.

M. Cheffert et Mme Defraigne déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 4), tendant à insérer, entre le 3º et le 4º de l'article 1022bis proposé, un nouvel alinéa, rédigé comme suit: « Au-delà de 5 000 euros, l'indemnité ne sera plus forfaitaire mais représentera un pourcentage de 3 % du montant accordé in fine définitivement en instance ou en appel par le juge du fond sans pouvoir être inférieur à l'indemnité de procédure forfaitaire prévue pour les litiges évaluables entre 2 500 et 5 000 euros ».

Pour les litiges d'un certain montant, l'indemnité de procédure ne sera pas forfaitaire mais représentera un pourcentage du litige. Une indemnité forfaitaire apparaît comme « dérisoire » dans des litiges représentant de tels enjeux financiers.

M. Cheffert dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 5), tendant à apporter plusieurs modifications à l'article 5.

L'indemnité de procédure couvre uniquement les actes matériels (et non les prestations intellectuelles) accomplis par des avocats au cours de la procédure (Cour d'arbitrage, 14 octobre 1999 (nº 113/99).

En outre, l'article doit être adapté à la création d'un nouveau titre IVbis dans le Code judiciaire.

Enfin, la notion de « situation manifestement déraisonnable » est susceptible d'être interprétée de façon différente selon l'arrondissement judiciaire ou le tribunal en charge de l'affaire. Le juge n'a pas à apprécier le montant de l'indemnité de procédure fixé par arrêté royal.

Le gouvernement dépose également un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 10), tendant à remplacer l'article 5.

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Chapitre II (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat,nº 3-1686/4, amendement nº 18), tendant à insérer, avant l'article 6 nouveau (voir infra), un chapitre II (nouveau), comprenant les articles 6 à 10 (amendements nos 6, 7, 13, 14 et 15), intitulé: « Chapitre II — Modifications du Code d'instruction criminelle ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 6 (nouveau)

M. Cheffert et Mme Defraigne déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 6), tendant à insérer un article 6 nouveau dans la proposition de loi. Il est renvoyé à la justification de l'amendement nº 7.

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 11), tendant également à insérer un article 6 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 6. — L'article 128 du Code d'instruction criminelle est complété par l'alinéa suivant:

« Dans ce cas, si l'instruction a été ouverte par constitution de partie civile en mains du juge d'instruction, la partie civile est condamnée envers l'inculpé à l'indemnité prévue à l'article 1022 du Code judiciaire ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 7 (nouveau)

M. Cheffert et Mme Defraigne déposent un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/2, amendement nº 7), tendant à insérer dans la proposition de loi un article 7 (nouveau), libellé comme suit:

« Art. 7. — Il est inséré dans le même Code un article 1024bis (nouveau), libellé comme suit:

« Art. 1024bis. — Sans préjudice de l'article 1022, en cas de demande téméraire et vexatoire, le juge peut condamner la partie qui a succombé à un montant forfaitaire égal à deux fois l'indemnité de procédure prévue à l'article 1022. Ce montant peut être supérieur à deux fois l'indemnité de procédure en fonction des circonstances de la cause. Il ne pourra jamais être inférieur. »

La notion « d'injustice manifeste » est beaucoup trop floue. Elle risque de faire perdurer l'insécurité juridique existante suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004.

En effet, certains magistrats pourront considérer que le fait de devoir exposer une somme d'argent pour assurer sa défense en justice est, dans certains cas, une injustice manifeste.

Par ailleurs, il existe déjà des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire. Ceux-ci doivent être appliqués. Pour ce faire, on donne un juge un seuil minimal en dessous duquel il ne pourra pas descendre pour indemniser la partie victime d'une procédure abusive.

Le dédommagement (dommages et intérêts) obtenu dans le cadre d'une demande téméraire et vexatoire ne fait pas partie des dépens. Il y a donc lieu d'insérer un titre spécifique à ce sujet dans le Code judiciaire.

Toute idée de barème doit être proscrite de notre Code judiciaire. Le barème va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes car, même s'il émane d'une autorité étatique, il est en passe d'être considéré comme contraire au droit de la concurrence.

En outre, un barème que l'on dit non contraignant va immanquablement créer une justice à deux vitesses. Certains cabinets d'avocats, parmi les plus chers, souvent anglo-saxon, pourront continuer à pratiquer des tarifs parfois exorbitants, car leurs clients pourront se permettre de les payer. Par contre, l'avocat de PME ou du simple citoyen devra, au risque de disparaître, s'aligner sur des barèmes calculés au rabais. En outre, si la profession demeure une profession libérale, indépendante, exerçant comme il se doit un contre-pouvoir en vue d'assurer le maintien de la démocratie, il n'appartient pas au pouvoir exécutif de fixer le montant de leur rémunération.

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 12), tendant également à insérer un article 7 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 7. — Il est inséré dans le Code d'instruction criminelle, un article 162bis, rédigé comme suit:

« Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction les condamnera envers la partie civile à l'indemnité de procédure visée à l'article 1022 du Code judiciaire.

La partie civile qui aura lancé une citation directe et qui succombera, sera condamnée envers le prévenu à l'indemnité visée à l'article 1022 du Code judiciaire. L'indemnité sera liquidée par le jugement. »

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 8 (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 13), tendant à insérer un article 8 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 8. — L'article 194 du même Code, inséré par la loi du 25 octobre 1950, est complété par les mots « et sur l'indemnité visée à l'article 1022 du Code judiciaire, conformément à l'article 162bis ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 9 (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 14), tendant à insérer un article 9 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 9. — À l'article 211 du même Code les mots « et à l'indemnité visée à l'article 1022 du Code judiciaire » sont insérés entre les mots « frais » et « ainsi que les peines ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Art. 10 (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 15), tendant à insérer un article 10 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 10. — Il est inséré dans le même Code un article 369bis, rédigé comme suit:

« La Cour condamnera l'accusé qui succombe envers la partie civile à l'indemnité prévue à l'article 1022 du Code judiciaire. »

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Chapitre III (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 19), tendant à insérer, avant l'article 11 nouveau (voir infra), un chapitre III (nouveau) comprenant cet article et intitulé: « Chapitre III — Disposition transitoire ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant et à la justification de l'article 11 nouveau (amendement nº 16).

Art. 11 (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 16), tendant à insérer un article 11 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 11. — Les articles 2 à 10 sont applicables aux affaires en cours au moment de leur entrée en vigueur. »

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

Chapitre IV (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/ amendement nº 20), tendant à insérer, avant l'article 12 nouveau (voir infra), un chapitre II (nouveau) comprenant cet article et intitulé: « Chapitre IV — Entrée en vigueur ».

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant, et à la justification de l'article 12 nouveau (amendement nº 17).

Art. 12 (nouveau)

Le gouvernement dépose un amendement (doc. Sénat, nº 3-1686/4, amendement nº 17), tendant à insérer un article 12 nouveau dans la proposition de loi. Cet article est ainsi libellé:

« Art. 12. — Le Roi fixe la date d'entrée en vigueur des dispositions de la présente loi, laquelle a lieu au plus tard le 1er janvier 2008. »

La ministre renvoie à son exposé reproduit ci-avant.

XIII. Votes

L'article 1er est adopté par 9 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 1 est retiré.

L'amendement nº 8 et l'article 2 ainsi amendé sont successivement adoptés par 9 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 9 est adopté par 9 voix et 1 abstention.

L'article 3 est adopté par 9 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 2 est retiré.

L'article 4 est adopté par 9 voix et 1 abstention.

Les amendements nº 3, 4 et 5 sont retirés.

L'amendement nº 10 et l'article 5 ainsi amendé sont successivement adoptés par 9 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 18 est adopté par 9 voix et 1 abstention.

Les amendements nº 6 et 7 sont retirés.

Les amendements nº 11 à 20 sont successivement adoptés par 9 voix et 1 abstention.

L'ensemble de la proposition de loi amendée a été adopté par 9 voix et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Luc WILLEMS. Hugo VANDENBERGHE.


Annexes — Auditions


Annexes — Auditions

A. Audition de représentants de la magistrature

1. Exposé de M. Guy Hermans, juge au tribunal de commerce de Tongres

M. Hermans dépose la note suivante, dont il commente oralement les points 1 et 3.

« 1. Aperçu de la situation

La Cour de cassation a ouvert le débat sur la répétibilité des frais de conseil technique et juridique, en prenant deux arrêts en la matière.

Bien que ces arrêts aient été prononcés dans des domaines spécifiques, ils sont (généralement) élevés au rang de principe général.

(a) Cass. 28 février 2002: la situation de l'article 1382 du Code civil: les frais de conseil technique peuvent constituer un élément du dommage subi par la victime.

La Cour de cassation jugeait déjà le 28 février 2002 que l'article 1382 du Code civil n'exclut pas que l'obligation de réparer de la personne responsable s'étende aux frais que la personne lésée a dû exposer en vue de la constatation de l'existence et de l'étendue du dommage. (Cass. 28 février 2002, R.W. 2002-2003, 19, avec note de S. Mosselmans; Bull. Ass. 2002, 701, note de P. Graulus; R.G.A.R. 2003, nº 13 754, note de F. Glansdorff).

La cour a énoncé « qu'en vertu de l'article 1382 du Code civil, quiconque cause par sa faute un dommage à autrui est tenu de réparer celui-ci intégralement; que cette disposition n'exclut pas que l'obligation de réparer s'étende aux frais que la personne lésée a dû exposer en vue de la constatation de l'existence et de l'étendue du dommage. »

Cet arrêt ne concerne que le dommage subi dans le cadre de l'article 1382 du Code civil. Il s'agit des frais exposés par la victime d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, pour évaluer l'étendue du dommage (Bruxelles, 16 janvier 2003, R.G.A.R. 2003, nº 13 755; Civ. Louvain, 20 janvier 2005, RG 04 2717 A, inédit; Pol. Bruges, 7e chambre, 10 décembre 2004, jugement nº 2004/12696 — dossier nº 04B010365, inédit).

Cet arrêt traitait en fait uniquement des frais liés à la constatation de l'existence et de l'étendue du dommage. Une partie de la doctrine a déduit de cet arrêt que non seulement les frais du conseil technique, mais également les frais et les honoraires d'un conseil juridique pouvaient être récupérés auprès de la partie succombante. Voir notamment Bruxelles, 11 juin 2003, JLMB 2003, 1691; Civ. Bruxelles, 20 juin 2002, J.T. 2003, 69; W. Geldof et B. Claessens, Advocatenhonoraria. Vergoedbare schade ?; NJW 2002, 342-346; P. Graulus, Kosten van de verdediging: het Hof van Cassatie neemt een bocht van 180 graden, Bull. Ass. 2002, 704 — 707; K. Maenhout, Verhaalbaarheid van erelonen en kosten inzake handelstransacties na de wet van 2 augustus 2002, R.W. 2002-03, 615; A. Van Oevelen, Kan een belastingplichtige het aan zijn advocaat of adviseur betaalde honorarium als een schadepost terugvorderen van de fiscus ?, R.G.F. 2003, 229-233.

Tout le monde ne consent pas à appliquer sans restriction les principes de cet arrêt:

— Anvers, 24 juin 2003, NJW 2003, 1299; Liège, 6 janvier 2005, JLMB 2005/16, 714 (deux cas d'expropriation).

— La cour d'appel de Mons a rejeté les frais de conseil et de médecin personnel durant l'expertise médico-légale au motif qu'ils n'étaient pas la conséquence nécessaire de la faute de l'auteur (Mons, 12 novembre 2003, Bull. Ass. 2004-4, p. 778).

— Tribunal de police de Bruges, 7e chambre, 10 décembre 2004, jugement nº 2004/12696 — dossier nº 04B010365, inédit: le tribunal a rejeté les frais d'avocats dans cette affaire, avec la justification suivante: « Ce tribunal affirme comme B. De Temmerman que se baser sur la répétibilité des frais pour l'évaluation du dommage par des experts pour consacrer le principe de la répétibilité générale des frais d'avocats semble constituer une démarche prématurée, en se référant à: B. De Temmerman, Critique de l'ouvrage « Buitengerechtelijke kosten. Vijf visies op de redelijkheid. » T.P.R. 2002, 2071, et: B. De Temmerman, Schade en schadeloosstelling — recente rechtspraak inzake schade en schadevergoeding, Formation de l'Ordre judiciaire, Bruxelles 12 juin 2003, p. 50.

Plusieurs jugements amplement motivés du tribunal de police de Bruges ont également rejeté l'action en remboursement des frais d'avocats (Pol. Bruges, 15 mars 2005, 8e chambre, dossier nº 02B009183, jugement nº 200/3423, inédit; Pol. Bruges, première chambre civile, 21 mars 2005, affaire RG 04194, inédit; Pol. Bruges, première chambre civile, 4 avril 2005, affaire RG 02A378, inédit; Pol. Bruges, quatrième chambre civile, affaire RG 03A644, inédit).

(b) Cass. 2 septembre 2004: la sphère contractuelle: en cas d'inexécution fautive d'un contrat (synallagmatique), les frais de conseil technique et juridique peuvent constituer un élément du dommage donnant lieu à indemnisation.

Dans son arrêt du 2 septembre 2004 (R.W. 2004-2005, 535, avec conclusion de l'avocat général A. Henkes et note de B. Wilms et K. Christiaens: erelonen en kosten van advocaten kunnen op een schadeveroorzakende partij worden verhaald als onderdeel van de door een slachtoffer geleden schade), la Cour de cassation a jugé que:

« Attendu qu'en vertu de l'article 1149 du Code civil, en cas d'inexécution fautive d'une obligation contractuelle, le débiteur de l'obligation doit entièrement répondre de la perte subie par le créancier et du gain dont celui-ci a été privé, sous réserve de l'application des articles 1150 et 1151 du Code civil;

Qu'en application de l'article 1151 du Code civil, les dommages et intérêts dus au créancier ne doivent comprendre que ce qui est une suite nécessaire de l'inexécution de la convention;

Que les honoraires et frais d'avocat ou de conseil technique exposés par la victime d'une faute contractuelle peuvent constituer un élément de son dommage donnant lieu à indemnisation; »

Cet arrêt a également été publié dans le NJW, nº 81 du 22.9 2004, 953, avec note RDC, JLMB 2004, 1130; et J.T. 2004, 684, avec note de B. De Coninck.

Voir entre autres: H. Lamon, The winner takes it all, Juristenkrant nº 94, 22 septembre 2004, 8; P. Van Orshoven, The loser's standing small ?; Juristenkrant nº 94, 22 septembre 2004; B. De Coninck, Répétibilité et responsabilité civile: un arrêt de principe, J.T. 2004, 684; M. Gouden et D. Philippe, Les honoraires d'avocat et les frais d'expert constituent un élément du dommage, JLMB 2004, 1324; F. Glansdorff, La prise en charge des honoraires d'avocat: un important arrêt de la Cour de cassation, Jour. Proc. 2004, 24 septembre 2004; G. Closset-Marchal et J.-F. Drooghenbroeck, La répétibilité des honoraires d'avocat à l'aune du droit judiciaire, R.G.A.R. 2005, 13945; Nico Clijmans, De verhaalbaarheid van het honorarium en de kosten van de advocaat, note sous Cass. 2 septembre 2004, RABG 2005/03, 230; voir aussi: K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW, 2005, 182.

(c) L'extension de la jurisprudence de la Cour de cassation au cas de la responsabilité extracontractuelle.

Dans l'arrêt du 2 septembre 2004, la Cour de cassation se prononce uniquement sur la répétibilité des frais d'avocat pour autant qu'il soit question d'une responsabilité basée sur l'inexécution fautive d'une obligation contractuelle; elle ne statue donc pas sur le cas de la responsabilité extracontractuelle. La justice de paix de Meise a jugé, à cet égard, que le fait que les deux parties aient un avis différent sur la teneur juridique de leurs obligations contractuelles (motif du procès en question) ne peut d'ailleurs pas être considéré comme une faute contractuelle donnant lieu à indemnisation. (Justice de paix, Meise, 23 décembre 2004, RG.04A492, inédit).

Toutefois, selon les auteurs précités, il est généralement admis que le principe formulé dans l'arrêt trouve également à s'appliquer dans des cas de responsabilité extracontractuelle (voir également, dans le même sens: G. Closset-Marchal et J.-F. Drooghenbroeck, La répétibilité des honoraires d'avocat à l'aune du droit judiciaire, R.G.A.R. 2005, 13945 et suiv., nº 4, lesquels affirment, dans le nº 8, que les principes relatifs à l'abus de procédure peuvent offrir une solution dans l'attente d'une intervention légale; Nico Clijmans, De verhaalbaarheid van het honorarium en de kosten van de advocaat, note sous Cass. 2 septembre 2004, RABG 2005/03, 231, nº 4; F. Glansdorff, Recommandations aux avocats à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004, J.T. 2004, 786; B. De Coninck, Répétibilité et responsabilité civile: un arrêt de principe, J.T. 2004, 685, nº 4).

K. Van Kildonck justifie cela par le fait que la jurisprudence explique de la même façon la condition de causalité des articles 1151 et 1382 du Code civil (K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW 2005, 187, nº 19)

2. La situation en droit commercial (loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales): le droit à un dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement pertinents, parmi lesquels les frais d'aide juridique.

La loi du 2 août 2002 (Moniteur belge du 7 août 2002) a instauré une série de mesures en vue d'engager la lutte contre les retards de paiement importants dans les transactions commerciales.

La façon dont cette loi est appliquée dans la pratique fournira sans doute des indications intéressantes quant à la manière d'aborder la problématique de la répétibilité des frais d'avocat dans d'autres matières.

Sauf s'il en a été convenu autrement par les parties elles-mêmes, tout paiement doit être effectué dans un délai de trente jours, en principe à partir du jour qui suit celui de la réception de la facture. Au terme de ce délai, des intérêts sont dus automatiquement sans qu'une mise en demeure doive encore être adressée au préalable.

La loi prévoit aussi qu'en plus du capital et des intérêts, le créancier a droit à un dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement pertinents encourus par suite du retard de paiement. La loi dispose que le Roi fixe, dans un arrêté royal distinct, le montant maximal de ce dédommagement raisonnable pour les frais de recouvrement et ce, en fonction du niveau de la dette (article 6, in fine, de la loi du 2 août 2002). Il n'a pas encore été fait usage de cette possibilité, bien que deux questions parlementaires aient été posées à ce sujet à deux ministres de la Justice différents.

Le plus souvent, c'est le tribunal qui estime les frais de recouvrement en question sur une base forfaitaire, qui est de 10 % du montant réclamé.

Les frais de recouvrement doivent répondre au principe de transparence et être raisonnables, pertinents et proportionnés à la dette en question (K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW 2005, 190, nº 37).

Par frais de recouvrement, il faut entendre aussi bien les frais judiciaires que les frais extrajudiciaires tels que les frais liés aux mises en demeure, les envois recommandés, les frais de constitution d'un dossier, les frais de téléphone, les frais de déplacement ainsi que les frais et honoraires de l'avocat. La formulation générale de l'article 6 impose cette conclusion. (K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW 2005, 189, nº 34; W. Geldof et M. Tison, U zal uw facturen op tijd betalen. Nieuwe wetgeving rond de bestrijding van betalingsachterstand, in: Gandaius permanente vorming, Anvers, Kluwer, 2003, 24; S. Ongena et V. Vanpeteghem, Betalingsachterstand bij handelstransacties. De wet van 2 augustus 2002, NJW 2003, 372).

Cette loi ne s'applique qu'en cas de retard de paiement dans les transactions commerciales.

3. Les problèmes que rencontre le tribunal pour établir une estimation concrète des frais d'aide juridique (état des frais et honoraires de l'avocat).

(a) Les directives permettant aux avocats d'estimer leur état de frais ont été supprimées.

En premier lieu, il convient de faire remarquer que la recommandation émise en 1991 par l'Ordre national des avocats de l'époque a été retirée au nom du droit de la concurrence. Du point de vue du droit des cartels, il est strictement interdit de fixer des tarifs fixes. Seuls les pouvoirs publics sont autorisés à en imposer car, dans ce cas, il ne s'agit pas d'accords entre entreprises ou de décisions émanant d'un groupement d'entreprises (K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW 2005, 193, nº 57; D. Blommaert, De begroting van advocatenhonoraria en aspecten van mededinging, in X, éd., Gandaius Actueel III, Anvers, Kluwer 1998, 117; H. Lamon, Een advocaat in de spiegel, Bruges, La Charte, 2004, 103).

La suppression des tarifs (conseillés) pour les avocats a pour conséquence que le tribunal a plus de difficultés à établir une estimation concrète des frais.

Dans la pratique, les avocats appliquent des tarifs horaires qui varient entre 100 et 600 euros à l'heure.

En outre, le tribunal n'est pas lié par les recommandations ou les règlements émanant de l'Ordre des avocats (R. Witmeur, La déontologie des avocats a-t-elle force de loi ? Cah. Dr. Jud. 1995, nº 18; G. Closset-Marchal et J.-F. Drooghenbroeck, La répétibilité des honoraires d'avocat à l'aune du droit judiciaire, R.G.A.R. 2005, 13945, nº 23).

(b) Le tribunal ne dispose pas d'un droit de regard sur les frais effectifs et les accords conclus entre le conseil et son client.

Le tribunal ne peut pas prendre connaissance des frais et honoraires réels qui sont dus aux conseils et qui, dans les faits, ont été ou sont payés, de sorte qu'aucune pièce n'est produite, qui permette d'attester que le montant réclamé apparaît à tout le moins justifié.

Le pendant francophone de l'Ordre des Barreaux flamands, l'OBFG, affirme que tout débat concret sur l'état d'honoraires d'un conseil va à l'encontre du secret professionnel, qui est d'ordre public (Recommandation en matière de répétibilité des honoraires d'avocat, J.T. 2004, 785 — 786). Il en conclut qu'il faut éviter tout débat sur la justification concrète d'un état de frais et honoraires.

Dans une recommandation entrée en vigueur le 15 novembre 2004, il est affirmé qu'un avocat se doit de s'abstenir de produire son état de frais et honoraires ou celui de son prédécesseur.

À cet égard, il convient de souligner que lorsque le conseil juridique réclame les frais de correspondance, il doit en prouver le montant et est donc forcé de produire la correspondance (laquelle, servant de pièce probante, doit au préalable être communiquée à la partie adverse), si bien que le tribunal peut prendre connaissance de la correspondance et même des lettres confidentielles.

L'évaluation des honoraires de l'avocat constitue une forme de décision unilatérale instaurée par la loi, qui ne peut être soumise qu'à l'évaluation marginale du juge (L. Decaluwe, Het beleid inzake erelonen, p. 11, in: Investir dans la Justice, symposium organisé par l'Ordre national des avocats de Belgique, Anvers, 2 février 1990).

Le tribunal de commerce de Tongres a évalué forfaitairement les frais d'avocat (frais de recouvrement) à la clause pénale usuelle de 10 %, en précisant ce qui suit:

« En principe, il n'appartient pas à un tribunal d'évaluer les frais d'un avocat. En effet, ces frais font l'objet d'une convention entre une partie et son conseil, dont le tribunal ne connaît pas le contenu et qui n'est pas non plus soumise à son évaluation. Le conseil n'est pas partie en la cause. » (Trib. Comm. Tongres, en cause R.G. A/04/1897, 21 juin 2004, inédit). Ce jugement est antérieur à l'arrêt de Cassation du 2 septembre 2004 et examinait la situation d'une partie qui s'était engagée conventionnellement à supporter les frais d'avocat de la partie adverse.

Le tribunal de commerce de Hasselt a rendu une décision dans le même sens (Trib. Comm. Hasselt, 19 janvier 2005, en cause R.G. 05/114).

(c) Le critère du raisonnable

Le critère du raisonnable vise à éviter d'imputer au débiteur des frais exorbitants.

Il n'est pas acceptable que la partie lésée puisse purement et simplement répercuter sur la partie responsable des frais d'avocat exorbitants. D'autre part, la victime est tenue de prendre toutes mesures raisonnables pour limiter son préjudice (Justice de paix, Bree, 6 janvier 2005, en cause R.G. 04A649, inédit).

Le principe est sans doute clair mais son application, notamment l'évaluation du caractère excessif dans un cas concret, semble beaucoup plus délicate.

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'il est difficile de définir ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas. Les affaires simples et les affaires complexes n'ont rien de comparable.

(d) Le mode de présentation (de formulation) de la demande

Il est clair que la manière dont les avocats demandent le remboursement des frais d'aide juridique au tribunal n'est pas uniforme et identique pour tous.

La taxation concrète

Parfois, le conseil étaye la demande de remboursement des frais d'aide juridique en produisant un relevé détaillé des frais et honoraires, qui renvoie aux différentes prestations fournies. Il arrive parfois que le tribunal estime que les prestations fournies sont suffisamment justifiées et qu'il les accueille favorablement. (Trib. Comm. Turnhout, 27 septembre 2004, RW 2004-2005, 551).

Une autre jurisprudence a également accepté une taxation concrète pour autant qu'elle soit raisonnable et transparente (Com. Hasselt, huitième chambre, 3 novembre 2004, inédit, affaire RG. 04/3324; Com. Hasselt, première chambre, 27 octobre 2004, inédit, affaire RG. 04/3780; Com. Hasselt, première chambre, 20 octobre 2004, inédit, affaire RG. 04/3767), et a déclaré qu'elle n'est pas cumulable avec une indemnité de procédure.

Certains avancent que la remise d'un état de l'avocat permet de chiffrer exactement et intégralement le préjudice (G. Closset-Marchal et J.-F. Drooghenbroeck, La répétibilité des honoraires d'avocat à l'aune du droit judiciaire, R.G.A.R. 2005, 13945, nº 25, référence à Cass. 12 novembre 1997, JLMB 1998, 5, avec une note de R. Rasir: une défaite pour le secret professionnel).

Dans ce cadre, rappelons que les tarifs conseillés pour les frais d'avocats (et leurs honoraires) ont été supprimés (cf. supra, point 3, a).

La taxation forfaitaire (taxation ex aequo et bono).

Au cours d'une procédure, il arrive qu'un montant forfaitaire, qui, de surcroît, est généralement provisionnel (à titre d'acompte) soit réclamé, sans motivation ou presque. Le montant réclamé concrètement varie fortement d'un cas à l'autre.

Il est inutile de préciser qu'une telle situation ne favorise pas l'uniformité des décisions judiciaires.

Enfin, il convient de signaler à ce sujet que les prestations du conseil juridique ne prennent pas fin au moment où la demande de répétibilité du coût desdites prestations est examinée devant le tribunal. Un jugement doit encore être exécuté, ce qui peut donner lieu à des discussions, des procédures et, par conséquent, des prestations et des frais supplémentaires.

(e) Éviter un procès dans le procès.

Il faut prévenir des discussions entre avocats au sujet de leur état, qui peuvent aboutir à un procès (délicat) dans le procès.

Il convient d'éviter de s'en remettre au tribunal pour trancher les discussions concernant l'efficacité de l'intervention de l'avocat, la durée et la nature des prestations qu'il a facturées, le tarif horaire appliqué, etc., d'autant plus que ce débat regorge d'émotions exprimées par les plaidants.

D'ailleurs, ce genre de discussion met rapidement en péril l'indépendance de l'avocat (qui doit soudainement assurer sa propre défense).

Une proposition de solution érigée en principe — points importants

À la lumière de ce qui précède, il n'est pas étonnant que les divers tribunaux donnent actuellement une réponse différente à la demande de remboursement des frais d'avocats, et que l'on aspire à une directive (législative) qui constituera une balise érigée en principe, modulable dans une certaine mesure, selon des critères donnés.

Ajoutons à cela qu'un tel système permettra une meilleure estimation du risque financier d'une procédure.

Citons quelques points nécessitant une attention particulière:

(a) Les tribunaux du travail

Le tribunal du travail est compétent pour tous les conflits du travail impliquant ouvriers et employés, ainsi que pour toutes les affaires de sécurité sociale (litiges relatifs aux CPAS, aux pensions, aux allocations familiales, à l'assurance-maladie, etc.), les affaires concernant les handicapés et le reclassement social, la sécurité sociale des travailleurs indépendants, les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Le tribunal du travail intervient également en ce qui concerne les élections sociales, les conseils d'entreprise et les comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail ... (énumération non limitative).

Pour les litiges en matière de sécurité sociale, il faut apparemment tenir compte malgré tout des éléments suivants:

— l'instance qui a pris la décision dont il est fait appel, informe le justiciable de la faculté d'introduire un recours, du délai de recours, de la juridiction compétente et des modalités d'introduction du recours;

— dans les litiges de ce type, les formalités sont souples et elles sont aussi interprétées souplement (le recours peut être formé par simple lettre, de sorte que le justiciable n'est pas tenu de faire appel à un huissier);

— l'auditorat du travail entame une instruction, c'est-à-dire qu'il constitue le dossier.

En d'autres termes, le justiciable est aiguillé dans la bonne direction, il risque moins de se heurter à des formalités strictes et il dispose, au travers de l'auditorat, d'une instance qui conduit une instruction objective.

Cela ne signifie toutefois pas que l'assistance d'un conseil ne soit pas ou ne puisse pas être nécessaire pour activer la procédure, pour contrôler et compléter l'instruction réalisée par l'auditorat, pour prendre position à l'issue de cette instruction en vue de la suite de la procédure, pour plaider la cause, pour former un recours contre le jugement du tribunal du travail, ...

Dans des cas pareils, l'Autorité est en principe condamnée aux dépens, ceux-ci pouvant donc aussi englober les frais d'avocats. Cela pourrait avoir un impact considérable sur le budget des autorités concernées.

Un autre problème peut se poser devant le tribunal du travail lorsque c'est le délégué de l'organisation syndicale qui assure la défense d'un affilié qui est partie à un litige.

La question se pose alors de savoir si ce délégué peut, oui ou non, exiger une indemnité de procédure. Cette question a déjà reçu, à juste titre, une réponse négative.

Selon K. Van Kildock, dans les litiges relevant du droit du travail, le travailleur ne pourra pas prouver la nécessité de faire appel à un avocat s'il a pu se faire représenter par un délégué syndical (K. Van Kildonck, Verhaalbaarheid advocatenhonorarium, NJW 2005, 186, nº 16).

Ce point de vue ne saurait emporter l'adhésion, dès lors que l'on ne peut pas dénier à un justiciable le droit de consulter un conseil, pour autant qu'il n'abuse bien sûr pas de ce droit.

(b) Matières pénales

La victime devrait également avoir le droit de récupérer auprès de l'auteur (responsable) tout ou partie des honoraires de l'avocat qu'elle a désigné. Ce point suscitera sans doute moins de discussions.

Reste cependant à savoir si une personne poursuivie à tort au pénal doit, à ce titre, recevoir de l'État belge une intervention lui permettant, avec l'assistance d'un conseil juridique, de se défendre contre les poursuites intentées.

Voir: F. Van Hende, Verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand in strafzaken, dans: De verhaalbaarheid van de kosten van verdediging: en wat met de toegang tot de rechter ?; F. Evers et P. Lefranc, eds., La Charte, 2005, p. 151 e.s., qui fait une distinction entre les actes d'instruction (pour lesquels il ne doit y avoir aucune intervention) et les poursuites effectives devant le tribunal correctionnel.

(c) L'obligation d'imputer l'indemnité de procédure

Si l'on opte pour une adaptation des indemnités de procédure, il est certainement à envisager d'insérer dans le texte une disposition selon laquelle l'indemnité de procédure attribuée doit soit être versée par l'avocat au client soit être imputée sur les montants facturés à ce dernier.

Il arrive en effet parfois, aujourd'hui, que cela ne se fasse pas, au motif que cette indemnité de procédure dédommage personnellement l'avocat pour une partie de ses frais, de sorte qu'elle ne doit pas être imputée sur les montants facturés par l'avocat à son client, dans la mesure où aucun texte de loi ne l'exige.

(d) Distinction entre frais effectifs et intervention (forfaitaire)

Si l'on opte pour une adaptation des indemnités de procédure, il serait peut-être bon de préciser clairement que l'indemnité en question comporte une intervention forfaitaire dans l'état des frais et honoraires de l'avocat, mais qu'elle ne constitue pas une indemnisation du coût réel de ce conseil.

Il doit aussi être précisé clairement qu'il s'agit d'une intervention forfaitaire et que donc il n'est pas possible de cumuler cette indemnité de procédure avec une demande en intervention dans l'état des frais et des honoraires de l'avocat.

(e) Possibilité d'appréciation

Il semble indiqué d'habiliter le tribunal à moduler (réduire de moitié, doubler, compenser, ...) l'indemnité de procédure, selon certains critères.

À la demande d'une des parties, et pour autant que la cause l'exige manifestement, le juge pourrait, conformément à la suggestion de l'Orde van Vlaamse Balies (OVB), doubler ou réduire de moitié le montant de l'indemnité de procédure obtenue.

Il pourrait se laisser guider par les éléments suivants:

— l'importance de la cause;

— le degré de difficulté du dossier concret;

— l'urgence de la cause;

— la bonne foi de la partie succombante;

— la situation économique de la partie succombante.

(f) Les causes non évaluables en argent

Il y a lieu de prévoir des règles pour les causes non évaluables en argent (affaires familiales, ...).

Pour les causes de cette catégorie, l'Orde van Vlaamse Balies souhaite voir adopter un système qui soit le plus proche possible de celui des affaires évaluables en argent et qui distinguerait trois catégories: les affaires simples, les affaires présentant un degré de difficulté normal et les affaires difficiles.

2. Exposé de M. Pierre Lefranc, juge au tribunal de première instance de Gand

M. Lefranc renvoie à ses deux notes, reproduites ci-après, dont il explicite certains aspects.

« (traduction) Quelques priorités épinglées dans les diverses contributions des auteurs précités à l'ouvrage publié à l'occasion de la journée d'étude organisée à Gand le 30 septembre 2005 par l'association de magistrats Magistratuur & Maatschappij: F. Evers et P. Lefranc, De verhaalbaarheid van de kosten van verdediging: en wat met de toegang tot de rechter ?, Bruges, La Charte, collection Tegenspraak-cahier, nº 25, 2005, 356 p.

La journée d'étude s'est poursuivie à Louvain le 24 novembre 2005; à cette occasion a été publié un addendum à l'ouvrage précité, contenant sept nouvelles contributions d'auteurs sous l'angle de l'entraide/assistance judiciaire/aide juridique.

Par facilité, on suivra les subdivisions de l'ouvrage, auquel on se référera pour ce qui est des contributions des membres du barreau, de divers groupements d'intérêts et des partis politiques. En ce qui concerne la contribution du collègue G. Hermans, on se reportera à la note que celui-ci a rédigée en vue de la présente audition.

LE CONTEXTE EUROPÉEN: l'approche fondée sur les droits de l'homme — E. Brems

— les partisans et les adversaires du système de « fee shifting » invoquent des arguments liés aux droits de l'homme (accès à la justice);

— le droit d'accès à la justice est une condition préalable essentielle (mais non un droit absolu) à la tenue d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la CEDH;

— les frais d'une procédure judiciaire peuvent entraver l'accès à la justice: parfois, la récupération des frais de défense peut conduire à une violation du droit d'accès à la justice;

— (intenter) un procès est le plus souvent le fruit d'une supputation. Un régime de récupération des frais en accroît l'enjeu: préférera-t-on prendre le risque d'intenter l'action s'il y a plus à gagner ou s'il y a moins à perdre ?

Celui qui bénéficie d'une assistance judiciaire gratuite ressentira uniquement l'impact négatif d'un régime de récupération des frais.

Il n'est pas acceptable dans un État de droit d'être contraint, pour des raisons liées aux frais, de se résigner à une « injustice manifeste ».

L'auteur doute que dans leur état actuel, la législation et la jurisprudence ne soient pas discriminatoires.

Approche fondée sur le droit (européen et belge) de la concurrence — L. Parret

— les avocats et leurs organisations professionnelles sont soumis au droit de la concurrence européen et au droit de la concurrence belge: la régulation de la profession par le secteur lui-même et par les pouvoirs publics relève dès lors du droit de la concurrence (interdiction des cartels);

— un régime de répétibilité des frais n'est pas ipso facto une restriction interdite: si le régime en question avait indirectement un impact sur le niveau des prix des prestations juridiques fournies, il relèverait de l'interdiction des cartels; dans ce dernier cas, des justifications (protection des consommateurs, transparence, accès à la justice) sont envisageables.

Approche fondée sur le droit comparé — B. De Temmerman

— recherche, dans les droits néerlandais, français et allemand, de plusieurs pistes de réflexion concernant la répétibilité des frais d'aide juridique;

— dans les trois systèmes juridiques en question, la répétibilité de ces frais est réglée légalement, plus précisément dans le cadre du droit procédural. La condamnation aux dépens est liée non pas à la responsabilité ou aux dommages mais bien aux risques (financiers) de la procédure et à la gestion de celle-ci;

— une condamnation aux dépens n'implique pas ipso facto une répétibilité intégrale des frais en question; il n'y a pas de possibilité de récupérer les dépens sur la base du droit matériel; on peut invoquer l'abus de procédure pour récupérer l'intégralité des dépens;

— le système d'aide juridique mis en place par les pouvoirs publics ne contribue pas à solutionner le problème de l'effet dissuasif que représente la condamnation aux dépens;

— l'insécurité juridique actuelle et le manque d'unité dans le droit, qui sont la conséquence de l'arrêt rendu en septembre, doivent déboucher sur une intervention qui ne soit pas simplement esthétique;

— le simple fait d'avoir gain de cause ou non est déterminant pour l'imputation des dépens.

ÉTAT DE LA JURISPRUDENCE ET DE LA DOCTRINE

Recouvrement de frais — P. Lefranc

— le recouvrement des frais de justice: en matière civile et en matière pénale (devant le juge ordinaire), en matière administrative (Conseil d'État), en matière législative (Cour d'arbitrage);

— le recouvrement des frais de défense: en matière civile et en matière pénale (devant le juge ordinaire), en matière administrative (Conseil d'État), en matière législative (Cour d'arbitrage);

— une justice plus accessible ?

Jurisprudence — G. Hermans

GROUPES D'INTÉRÊTS (cf. livre)

Barreau — H. Lamon

Barreau — M. Schouteden

Mutualité — R. Van Der Veken

Organisation de défense des consommateurs — G. Coene

Assurance défense en justice — G. Daemen

POINTS DE VUE SPÉCIFIQUES

Droit pénal — F. Van Hende

— l'arrêt rendu en septembre et la proposition des barreaux n'auront aucune incidence sur le traitement des affaires pénales;

— la répétibilité des frais de défense par la victime est prioritaire mais entraînera en même temps l'acceptation d'une indemnité pour le prévenu acquitté ou l'inculpé ayant bénéficié d'un non-lieu;

— distinction à opérer entre les actes d'instruction et les poursuites effectives; les actes d'instruction ne peuvent être entravés par des considérations pécuniaires; en cas d'acquittement, tout défendeur doit pouvoir recouvrer, à l'issue des poursuites effectives, les frais d'aide juridique sur l'État de droit ou sur la demanderesse par citation directe.

Droit fiscal — S. De Raedt

— applicabilité de l'arrêt de septembre au contentieux fiscal;

— la déductibilité fiscale des frais de défense — conditions: les frais doivent se rapporter à l'exercice de l'activité professionnelle et doivent avoir été exposés pour acquérir des revenus imposables ou les conserver; cette déductibilité fiscale ne dépend pas de l'issue du procès;

— interactions complexes entre la déductibilité fiscale et la répétibilité des frais de défense;

— conséquences de la répétibilité des frais de défense sur l'imposition à charge des conseils juridiques et techniques.

Droit d'expropriation — F. Mertens

— l'exproprié doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un conseil technique et juridique

Droit des assurances — P. Colle & S. Zegers

— l'arrêt de septembre impliquera des hausses de coûts pour l'assureur en responsabilité civile, qui ne doit payer les frais de la partie adverse qu'à concurrence de la couverture maximale convenue; les primes actuelles ne tiennent pas compte de cette hausse de coûts: une augmentation des primes n'est donc pas à exclure (alternative: exclusion); l'assureur RC recherchera sans doute davantage les transactions amiables;

— l'arrêt rendu en septembre offre à l'assureur en assistance juridique la possibilité de récupérer ses dépenses en frais et honoraires auprès du tiers responsable; un recours subrogatoire requiert une intervention volontaire ou un nouveau procès; quid lorsque les deux parties au procès ont le même assureur en assistance juridique ?

Droit social — W. Van Eeckhoutte

— applicabilité de l'arrêt de septembre dans les affaires de droit du travail et de sécurité sociale;

— le régime ordinaire des frais de justice s'applique en droit du travail et dans les litiges en matière de cotisations de sécurité sociale;

— le régime spécial des frais de justice (à charge des pouvoirs publics ou d'une institution) est applicable dans les affaires de prestations de sécurité sociale dans le régime des travailleurs salariés et des travailleurs indépendants, ainsi qu'en matière d'assistance sociale;

Droit social — B. Lietaert

— le droit social est, en grande partie, un droit d'indemnisation qui fonctionne souvent au moyen d'indemnités forfaitaires exclusives;

— en droit social, la notion de faute est largement absente;

— attention aux particularités de la procédure en matière sociale: entre autres, régime de frais (de justice) distinct, représentation;

— la nécessité de la répétibilité des frais d'avocat se pose avec beaucoup moins d'acuité dans le cadre de la procédure en matière sociale.

RÉFLEXIONS CRITIQUES

P. Schollen et P. Van Orshoven

— La législation belge ne contient aucune indication en faveur d'un principe général de répétibilité des frais de défense;

— L'arrêt rendu en septembre est un signal pour le législateur, et non pour le juge du fond;

— L'arrêt rendu en septembre a recours à une notion de causalité extensive et il limite l'accès à la justice (effet dissuasif).

E. Brewaeys

— la procédure doit mettre un terme à la contestation: du fait de l'arrêt de septembre, la procédure se termine par un litige en matière d'honoraires;

— de par l'arrêt rendu en septembre, le rôle de l'avocat est encore remis davantage en question par le juge;

— le recouvrement des honoraires de l'avocat en tant qu'élément du dommage donne lieu à une relation triangulaire singulière (une seule et même dette, avec deux créanciers et deux débiteurs);

— la proposition de loi De Groote ne réduit pas le coût de la procédure, alors que la société souhaite un assouplissement du système de l'assistance judiciaire;

— pourquoi s'intéresse-t-on uniquement au coût individuel de la procédure, et non au coût social du service judiciaire ?

F. Evers

— refus de la solution qui consiste à augmenter simplement l'indemnité de procédure: en raison du contexte dans lequel cette augmentation a été instaurée et, surtout, en raison du caractère fondamentalement injuste du système; tel est le cas, entre autres, de l'indemnité de procédure qui est fixée proportionnellement au montant de l'action formulée (plutôt qu'en fonction du jugement), et en fonction de la somme des demandes principales, des demandes incidentes et des demandes reconventionnelles (plutôt qu'en fonction du jugement en faveur de chaque partie); tel est également le cas de l'indemnité de procédure complémentaire et de l'indemnité de débours (en cas de reprise du procès, de réouverture des débats, d'ordre de dépôt des pièces, d'expertise, de descente sur les lieux, de référence aux arrêts du tribunal, de jugement rectificatif ou interprétatif);

— le législateur doit éviter que des états de frais et d'honoraires astronomiques ne deviennent récupérables et que les juges ne soient saisis de litiges supplémentaires concernant la partie indemnisable; le législateur doit partir du principe que chacun a droit à l'aide juridique;

— la liaison de l'indemnité à l'importance (financière) de la cause est un problème de principe parce que cette liaison ne prévoit aucun lien de proportionnalité avec les efforts déployés par l'avocat dans le dossier en question;

— points d'attention: faut-il prévoir, dans certaines matières (par exemple en droit de la famille, en cas de défaut de comparution, dans les affaires simples, pour les demandes qui ne sont pas évaluables en argent), une indemnisation réduite ou nulle ? Pourquoi ne pas accorder une indemnité au citoyen qui se défend sans l'aide d'un conseil ? Qu'en est-il d'une indemnité après (l'échec d') une tentative obligatoire de conciliation ? Quid des autres frais exposés pour la défense (huissier de justice pour les constatations matérielles, conseil technique) ? Rapport avec l'indemnité pour action téméraire et vexatoire et système de fee shifting ?

— Le nouveau système d'indemnité est dissuasif: il n'entraînera vraisemblablement pas un afflux de dossiers: il n'y a pas d'indemnisation intégrale, l'issue de la procédure est incertaine, le « one shoot player » sera moins à même d'évaluer ses chances de réussite que le « repeat player »; (la promotion de) l'assurance assistance juridique n'est pas une solution (rémunération du conseil de celui qui sait se permettre ce type d'assurance).

— La problématique des clauses pénales est indissociable d'un régime de répétibilité des frais de défense; il faut être attentif aux interférences entre un nouveau régime et la loi du 2 août 2002.

Il faut dissuader les justiciables d'engager des procédures à la légère: mise en demeure obligatoire par lettre recommandée (à peine de perte de l'indemnité), encouragement de la procédure sommaire, limitation des recours par l'obligation de réfuter les arguments du premier juge.

K. Raes

— le droit à l'aide juridique est aussi fondamental que le droit aux soins de santé, mais il n'a jamais été assorti des mêmes mécanismes de solidarité;

— le système du fee shifting paraît logique, mais ce n'est pas toujours le cas: l'inculpé acquitté, le requérant qui obtient l'annulation devant le Conseil d'État, doivent pouvoir répéter leurs frais de défense auprès de la partie succombante; ce principe peut aussi s'appliquer en matière civile, mais des problèmes se posent: la réalité est généralement plus nuancée que l'alternative « gagnant-perdant », il y a un rapport de force inégal dans la société (les socialement faibles contre les socialement forts);

— rendre les frais de défense récupérables n'est qu'un des aspects de la nécessité de réformer l'aide juridique.

B. Bouckaert et J. De Mot

— dans la plupart des États de droit démocratiques: la plus grande partie des frais judiciaires est prise en charge par les finances publiques; paiement par la partie succombante de la partie des frais judiciaires qui lui incombe individuellement;

— en ce qui concerne la condamnation aux frais de défense dans ces États: nettes divergences, débat étayé par des arguments d'efficacité et d'équité, examen;

— approche du problème sous l'angle du modèle économique de base des règles de procédure;

— les dépenses liées au procès selon la règle anglaise (fee shifting) sont plus élevées (l'enjeu du procès est plus important) que selon la règle américaine (no fee shifting);

— (examen) la règle anglaise stimule uniquement les demandes très fondées et rend la procédure plus difficile pour les autres demandes; l' « effet d'optimisme » (le demandeur pense avoir de plus grandes chances d'obtenir gain de cause) a plus de poids dans la règle anglaise, ce qui entraîne moins de compromis;

— l'examen ne fournit aucun argument solide et univoque en faveur de l'une ou de l'autre solution;

— l'introduction d'un système fee shifting (en vue de la réduction du nombre de procès, de la maîtrise des frais de justice et de l'arriéré, de l'amélioration de la qualité de la justice) donne lieu à une réduction du nombre de procès, bien que leur coût augmente, ainsi qu'à une amélioration qualitative des jugements; il faut y associer une répercussion au niveau de l'accès à la justice et rehausser les niveaux de revenus en ce qui concerne l'aide juridique;

— conclusion: politique prudente: ex. introduction du système de fee shifting avec les mesures d'accompagnement requises (limitation des frais de défense, hausse du seuil de l'aide juridique) dans plusieurs domaines bien définis du droit au cours d'un délai pertinent afin d'évaluer ses effets ultérieurement sur la base d'une étude empirique.

POINTS DE VUE DES PARTIS POLITIQUES (cf. livre)

CD&V

Groen !

N-VA

SP.A

SPIRIT

VLD

ÉPILOGUE

W. VAN GERVEN

ADDENDUM: ASSISTANCE JURIDIQUE (à paraître)

— Répétibilité des frais de défense vs assistance juridique — P. Van Caenegem

— Répétibilité des frais de défense et assistance juridique (abordable): la question d'une formation des prix transparente et correcte — B. Hubeau

— Un point de vue sociologique. Aide juridique en l'an 2005: l'absence d'une tradition ? — S. Gibens

— L'assurance de protection juridique comme solution — H. Smeyers

S. Parmentier

— La répétibilité des frais de défense, l'accès à la justice et la problématique de la répartition et de la redistribution — H. Willekens

— La répétibilité en cas d'insolvabilité ? (De la répétibilité des honoraires et de l'aide juridique de deuxième ligne) — Creyf

Thèmes prioritaires communs

Par ailleurs, l'intervenant souhaite renvoyer de manière concise à quelques thèmes prioritaires communs à divers auteurs de l'ouvrage édité par F. Evers et P. Lefranc et intitulé De verhaalbaarheid van de kosten van verdediging en wat met de toegang tot de rechter ? (Bruges, La Charte, série Tegenspraak Cahier, nº 25, 2005, 356 pp).

La base qui sous-tend le débat sur la répétibilité des frais de défense est très ténue.

1. La prestation de services juridiques occasionne évidemment des frais.

Certains auteurs distinguent deux types de coûts dans ce domaine:

— le coût pour la société (le « gros des frais de justice »)

— le coût individuel (la « partie des frais de justice imputable individuellement »)

Bouckaert et De Mot se contentent de constater que, dans la plupart des États de droit démocratiques, le premier type de frais est financé par les finances publiques et le deuxième type de frais relève du principe selon lequel « le perdant paie ».

Brewaeys demande pourquoi le deuxième type de frais focalise toute l'attention.

2. La grande majorité des auteurs confirment que la discussion sur la répétibilité touche le droit fondamental qu'est l'accès (égal) à la justice. Elle représente (uniquement) un aspect de ce droit fondamental.

On empiète dès lors sur le domaine de l'aide juridique (assistance judiciaire & aide juridique).

Van Gerven confirme que le débat sur la répétibilité soulève des questions de société fondamentales.

3. Nous vivons dans un système pluri-juridictionnel: certaines affaires sont portées devant le juge ordinaire (affaires civiles, commerciales, du travail et pénales), d'autres le sont devant les juridictions administratives (affaires administratives), d'autres encore sont de nature législative (Cour d'arbitrage).

Lorsque la question de la répétibilité des frais de défense est débattue, on se limite habituellement aux affaires ressortissant au juge ordinaire et souvent même aux affaires civiles (cf. la critique de maître Van Hende).

4. Lorsque le débat concerne les frais de défense, il se limite généralement aux frais d'avocat.

Le justiciable qui assure sa défense devant le juge sans faire appel à un avocat s'expose également à des frais.

L'assistance (nécessaire) d'un conseil technique (dans des affaires d'expropriation, cf. également Cour d'arbitrage nº 160/2005 du 26 octobre 2005) et des constatations matérielles par un huissier de justice peuvent aussi occasionner des frais de défense.

Absence d'études (empiriques)/relèvement du seuil d'accès à la justice

1. Le baromètre de la justice (étude qualitative récente, à grande échelle) montre que le citoyen trouve particulièrement coûteux de faire valoir ses droits devant une juridiction. À cet égard, les honoraires d'avocats représentent une part importante du problème.

Lorsqu'il a introduit le Code judiciaire, le législateur a formellement exprimé la volonté (à l'opposé de M. Van Reepinghen) d'introduire un système de « no fee shifting ».

M. Van Orshoven souligne que la législation belge ne contient aucune disposition en faveur d'un système de « fee shifting » (ni pour les matières civiles, ni pour les autres).

Dans son avis du 18 décembre 2002, le Conseil supérieur de la justice propose d'étudier s'il y a lieu d'introduire en Belgique le système du « fee shifting ».

2. M. Van Gerven affirme qu'il n'y a en Belgique aucune étude empirique expliquant ou permettant d'expliquer les avantages et les inconvénients d'un système de « fee shifting ».

Même le domaine « droit et économie » n'est d'aucun secours: MM. Bouckaert et De Mot ont émis un avis politique dans lequel ils suggèrent de réaliser une expérience de « fee shifting » en prévoyant les mesures d'encadrement nécessaires (limitation des frais de défense, relèvement du seuil d'accès à l'aide juridique), dans quelques domaines du droit faciles à délimiter (par exemple en matière de divorces) par exemple, pendant une période de cinq ans.

M. Willekens affirme également qu'à l'heure actuelle, personne ne sait comment s'équilibrent entre eux les effets positifs et négatifs qu'un système de répétibilité aurait sur l'accès à la justice; dans l'état actuel de nos connaissances, personne ne peut dire si un tel système permettra de faciliter globalement l'accès à la justice. »

M. Hugo Vandenberghe demande comment concilier la proposition formulée par MM. Bouckaert et De Mot avec la jurisprudence de la Cour de cassation. Devra-t-on voter une loi excluant l'application de l'arrêt de la Cour de cassation ?

M. Lefranc répond que l'arrêt rendu en septembre par la Cour de cassation n'apporte une solution que dans une branche restreinte du droit. Il s'agit d'une solution vue sous l'angle du droit matériel. L'auteur renvoie à ce propos à l'analyse de droit comparé de M. Bart de Temmerman, qui offre une solution procédurale.

M. Hugo Vandenberghe souligne que l'arrêt en question a fait l'objet d'une médiatisation à outrance. M. De Temmerman est d'avis qu'il n'est pas pertinent de subordonner le remboursement des frais de justice, y compris les honoraires d'avocats, à l'application d'une norme matérielle.

La seule option pertinente est de lier le règlement des frais de justice à une norme de droit judiciaire, de droit procédural. Si l'on veut suivre ce point de vue, le législateur sera forcé d'intervenir.

3. Certains auteurs sont pourtant convaincus que l'introduction d'un système de « fee shifting » aura pour effet de relever le seuil d'accès à la justice.

M. Brems souligne qu'un régime de répétibilité des honoraires accroîtra l'enjeu (d'un procès).

MM. Van Orshoven et Schollen ne sont pas convaincus que ce relèvement du seuil soit bénéfique pour le maintien de l'État de droit.

À ce propos, M. Brewaeys souligne que, dans le contexte de notre société actuelle, on plaide justement pour un système plus souple d'assistance judiciaire.

M. Evers partage lui aussi cette conviction.

MM. Bouckaert et De Mot arrivent à la même conclusion sur la base des études effectuées à l'étranger (ce qui les incite à proposer une expérience limitée).

M. Van Caenegem plaide dès lors, dans le cadre de l'instauration d'un régime de répétibilité, pour l'élargissement des frais et dépens pour lesquels le justiciable peut obtenir l'assistance judiciaire.

M. Willekens pense pouvoir affirmer avec une quasi-certitude qu'un régime de répétibilité accroît l'inégalité des chances en ce qui concerne l'accès à la justice puisqu'il redistribue ces chances de bas en haut.

3. Exposé de M. Dewaert, conseiller à la cour d'appel de Liège

M. Dewaert pense que la Cour de cassation a pris le temps avant de trancher la question de la répétibilité des frais de justice car c'est une matière très délicate.

Deux systèmes sont possibles. Le premier est celui qui a longtemps été appliqué en Belgique: les frais d'avocat payés par une partie ne sont pas récupérables et seul un montant forfaitaire couvrant une série de prestations matérielles peut être alloué à titre d'indemnité de procédure.

Dans un second système, tel qu'il existe en Allemagne, l'État fixe le montant des honoraires des avocats. La partie perdante, supportera, en plus des honoraires de son avocat, ceux de l'avocat de la partie adverse ainsi que les frais de justice. La conséquence d'un tel système est que l'on recourt massivement à des assurances privées pour la défense juridique car le fait d'aller en justice est fort onéreux.

À la suite de la jurisprudence récente de la Cour de cassation, on peut conclure que le système belge de l'indemnité de procédure ne tient plus. Il n'y a cependant pas de juste milieu entre un système où la partie triomphante n'a droit à rien et celui où l'on réglemente les honoraires des avocats.

La situation actuelle débouche sur une insécurité juridique importante, qui nécessite une intervention du législateur. Il faut en effet éviter le procès dans le procès. Si l'on veut lutter contre l'arriéré judiciaire, il faut régler la question de la répétibilité des frais d'assistance juridique pour éviter des discussions sur le caractère nécessaire des prestations des avocats, sur le montant des honoraires, etc.

Il faut en outre garantir l'accessibilité à la justice. Du point de vue de la partie qui veut faire valoir ses droits, il faut qu'elle sache déterminer à l'avance ce que lui coûtera son recours en justice. Or, si comme c'est le cas dans l'ancien système belge, elle supporte seule les honoraires de son avocat, même si elle obtient gain de cause, on peut considérer que c'est injuste. À l'inverse, une partie, même convaincue de son bon droit, ne va-t-elle pas renoncer à aller en justice de peur de perdre et de devoir supporter tous les frais d'assistance juridique ?

L'intervenant pense que le juste milieu qui doit être recherché en matière de répétibilité des frais d'assistance juridique peut résulter d'une intervention législative pour créer une base autonome, en réglant le problème dans la loi.

Le législateur doit poser des choix de société, pour régler la question en matière civile, sociale, pénale, etc.

L'idée d'allouer une forme d'indemnité de procédure qui couvre non seulement des actes matériels de l'avocat mais également des actes intellectuels, est une piste médiane intéressante. On crée une base légale qui permet au magistrat d'accorder des montants sans qu'il soit nécessaire de procéder à une tarification des honoraires des avocats.

En créant une base autonome, on fixe, pour différents types de procédure, le montant auquel a droit la partie qui obtient gain de cause. Il est possible de prévoir que le système ne s'applique pas à certaines matières — par exemple, le contentieux de la sécurité sociale — ou que les montants sont différents pour certains contentieux.

Lors du colloque qui s'est tenu à Eupen en septembre dernier, des montants ont été proposés par les barreaux. M. Dewaert fait remarquer que dans les tableaux proposés, les montants alloués varient en fonction de la valeur de la demande. Dans le système allemand, c'est chaque acte matériel de l'avocat qui est pris en compte. Les barreaux proposent, pour des demandes dépassant 1 000 000 d'euros, une indemnité de procédure allant jusqu'à 30 000 euros. C'est un montant relativement important, même s'il est modulable. L'orateur invite le législateur à réfléchir sur les montants maxima qui peuvent être alloués à titre d'indemnité de procédure.

Le système allemand, basé sur la barémisation des honoraires des avocats, n'est pas rigide. Le client et l'avocat peuvent convenir d'honoraires supérieurs au barème. Cependant, ces suppléments ne seront pas supportés par la partie condamnée aux dépens. On évite de la sorte toute discussion sur le choix de l'avocat et le montant des honoraires puisque c'est le montant barémisé qui sert de base.

En ce qui concerne le droit européen, M. Dewaert rappelle que si les honoraires d'avocats barémisés par les Ordres ne sont pas acceptés en raison des règles de concurrence, une tarification des honoraires par l'État ne pose pas de problèmes sous l'angle de l'article 81 du Traité. Il ne faut cependant pas que l'État se contente d'entériner les barémisations prévues par les barreaux. Les décisions de l'État doivent être prises dans l'intérêt public.

Or, l'intérêt public est justement la question qui doit guider les commissaires dans leur réflexion: quel type de justice veut-on ? Jusqu'où veut-on aller dans la répétibilité des honoraires d'avocats ? Derrière cette question se profile un débat de société et il appartient au pouvoir politique de trancher la question.

4. Échange de vues

M. Mahoux prend acte du fait que le droit européen ne rend pas impossible toute forme de barémisation des honoraires d'avocats. Tout dépend de l'autorité qui effectue la barémisation, de la manière d'effectuer celle-ci et des motifs visés. Si des distinctions sont opérées par le législateur en fonction des affaires en cause, n'y a-t-il pas de risque de contrariété par rapport au droit européen ? Il ne faudrait pas que le débat sur la répétibilité des frais d'assistance juridique aboutisse à une remise en cause de la gratuité du recours en justice dans une série de contentieux, même lorsque le requérant est débouté de sa demande.

L'intervenant fait une comparaison avec ce qui existe en matière d'assurance maladie. Dans le cas de recours en justice, ce ne serait pas l'État qui prend en charge les honoraires des conseils mais la partie perdante, sans qu'il y ait d'assurance préalable. Dans l'assurance maladie, tout le monde est remboursé de la même manière, mais certains avantages sont donnés à ceux qui pratiquent les tarifs Inami.

M. Dewaert répond que si la finalité de la barémisation des honoraires est d'ordre public, à savoir prendre une position sur l'accessibilité à la justice, les autorités européennes ne s'opposeront pas à ce que l'on légifère. La barémisation ne limite pas la concurrence ou la libre prestation des services. C'est une intervention d'un État national dans un domaine d'ordre public qui lui appartient. L'intervenant doute du fait que les autorités européennes s'immiscent dans le débat pour vérifier si certains aspects de la législation proposée ne sont pas inégalitaires. Les autorités européennes se contentent de limiter le champ de ce que l'État ou les barreaux peuvent faire. Elles ne se soucient pas du contenu de la législation, dès lors que celle-ci répond à la finalité d'accessibilité à la justice. Évidemment, une censure par la Cour d'arbitrage reste possible si le principe d'égalité n'est pas respecté.

M. Mahoux demande comment la Cour d'arbitrage appréciera un régime de répétibilité des frais d'assistance juridique où des distinctions sont opérées selon les affaires en cause. L'intervenant n'est pas disposé à adopter un texte qui aurait pour conséquence qu'une personne handicapée qui introduirait un recours devant le tribunal du travail contre la décision refusant de reconnaître son handicap s'expose à être condamnée aux frais et honoraires.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la législation actuelle connaît déjà des régimes différents pour les frais et dépens, selon le type de contentieux. Pour le contentieux de la sécurité sociale, les dépens sont à charge de l'État. Le régime pour les procédures devant le Conseil d'État est différent de celui du Code judiciaire. La coexistence de règles différentes selon les contentieux ne pose pas de problème de discrimination.

M. Dewaert partage cette analyse. Il pense par ailleurs que le régime de répétibilité qui sera mis en place peut être un premier pas vers une mutualisation de la justice. Dans le système actuel, la partie qui obtient gain de cause a droit à l'indemnité de procédure. Dans l'exemple cité par M. Mahoux, pour le contentieux de la sécurité sociale, c'est l'État qui supporte ce coût. Or, si l'on prend en compte les montants proposés par les barreaux, les répercussions budgétaires ne seront pas minimes, à moins que l'on ne légifère de manière spécifique pour ce type de contentieux.

L'orateur ne pense pas que des différenciations puissent poser problème devant la Cour d'arbitrage, à condition que les objectifs soient clairement définis, que les moyens soient proportionnés aux objectifs et que les catégories utilisées se justifient objectivement.

Mme Nyssens constate que la Belgique est un des seuls pays européens qui ne dispose pas d'un système organisant la répétibilité des frais d'assistance juridique. Il serait intéressant de pouvoir disposer d'une étude comparative des systèmes existant chez nos voisins.

L'oratrice renvoie à la proposition des barreaux, qui s'inspire de l'indemnité de procédure et qui se présente sous la forme d'un tableau comprenant des fourchettes. Quel est le point de vue des orateurs par rapport à cette proposition ?

M. Dewaert fait remarquer que la formule des barreaux prévoit un parallélisme entre le montant des indemnités répétibles et la valeur de la demande. Il a voulu attirer l'attention des membres de la commission sur ce point et plus particulièrement sur la question de savoir jusqu'où ce parallélisme peut être suivi. À quel niveau faut-il fixer le seuil maximum ?

D'autre part, va-t-on baser la grille sur un seul critère — la valeur de la demande — ou faut-il réfléchir à un système basé également sur le critère des prestations effectuées ? La question se pose d'autant plus que dans une série de domaines, il est difficile d'évaluer en argent le montant de la demande.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'on ne voit pas toujours clairement ce que le législateur peut faire en vertu du droit européen. Il existait auparavant des barèmes indicatifs des différents barreaux pour calculer les honoraires, mais ils ont été supprimés. Dès lors, l'intervenant s'étonne qu'il soit apparemment redevenu possible d'instaurer des barèmes. Pourquoi les avait-on supprimés à l'époque ?

L'intervenant évoque l'internationalisation des bureaux d'avocats. Ceux-ci assurent de plus en plus un service transfrontalier en fonction de la spécialisation. À quel régime est soumis un avocat allemand qui plaide à Eupen ? Faut-il appliquer dans ce cas le système allemand ? Il est difficile de savoir ce qui est autorisé précisément par l'Europe et ce qui ne l'est pas.

Pour M. Lefranc, qui n'est pas un spécialiste du droit européen, c'est une question très difficile. À ce propos, il renvoie à l'ouvrage de Mme Parret. Il est vrai que la régulation par l'État des activités du barreau relèverait du droit de la concurrence. Il faut donc également tenir compte ici de l'interdiction des cartels. Après un examen approfondi du sujet, Mme Parret affirme néanmoins qu'un régime de répétibilité des frais ne constituerait pas ipso facto une restriction interdite, du moins tant que ce régime n'a pas d'impact sur le niveau des prix des prestations juridiques. Même si l'on s'appliquait le principe de l'interdiction des cartels, on pourrait encore justifier le régime de répétibilité, en invoquant par exemple la protection des consommateurs, la transparence ou l'accès à la justice.

M. Hugo Vandenberghe en déduit que la réponse n'apporte aucune certitude. Il renvoie également au problème de la barémisation des prestations notariales, qui fait l'objet du même débat au niveau européen.

M. Mahoux pense que si l'on fixe dans la loi un forfait de remboursement, ce montant risque d'être rapidement considéré comme un honoraire normal. Un tel système apportera une certaine transparence pour le justiciable. La question la plus délicate est de savoir s'il faut que le montant de l'indemnité de procédure soit uniquement lié au montant de la demande ou s'il faut également tenir compte des prestations livrées.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la proposition qu'il a déposée fixe un cadre qui permet au ministre de la Justice d'arrêter les modalités pour fixer le montant de l'indemnité allouée. Il suffirait de préciser dans la loi les critères que le ministre doit prendre en compte pour fixer le tableau des montants de l'indemnité de procédure.

M. Lefranc renvoie à l'exposé de M. Freddy Evers qui analyse le système d'indemnisation actuel et qualifie certains critères d'injustes.

B. Audition de représentants des barreaux

1. Exposé de M. Hugo Lamon, administrateur de l'Ordre des barreaux flamands

L'intervenant se reporte à l'arrêt du 2 septembre 2004, qui suscite de nombreuses discussions. Selon l'Ordre des barreaux flamands, il est plus que temps d'agir. En effet, la situation kafkaïenne à laquelle les hommes de terrain sont confrontés actuellement nuit à la sécurité juridique et à la crédibilité de la Justice; cette situation inacceptable n'est plus tenable. L'intervenant constate qu'une initiative législative est annoncée depuis des mois, mais que sa concrétisation se fait attendre.

Il presse donc le législateur d'agir très rapidement.

Une première remarque concerne la question de la définition précise de l'avocat, étant donné qu'il y a beaucoup de conceptions erronées à ce propos. Notre pays compte environ 13 000 avocats, qui travaillent sur un marché entièrement libre, où les honoraires ne sont pas imposés. En effet, les recommandations formulées auparavant par les Ordres des avocats ont été retirées, après que des pressions invoquant le droit de la concurrence eurent été exercées. L'avocat fixe ses honoraires d'un commun accord avec son client, sans être limité à un minimum ou à un maximum. Cela crée naturellement une grande diversité sur le marché des services juridiques fournis par les avocats. On pourrait dire que les honoraires sont calculés de différentes manières, par exemple en fonction de la valeur du litige, à un tarif horaire ou forfaitaire.

Le tarif horaire fluctue entre 70 et 700 euros. Cette diversité apporte bien entendu aussi une plus-value au service. L'intervenant estime donc qu'il ne faut pas instaurer une barémisation, mais qu'il convient de communiquer davantage au sujet des honoraires. Les ordres, de part et d'autre de la frontière linguistique, ne ménagent pas leurs efforts dans ce sens. Il faut plus de transparence; c'est là le vrai débat. Tous les justiciables doivent pouvoir avoir accès à la justice. Les plus démunis peuvent recourir au système de l'aide juridique de deuxième ligne. La question de savoir s'il faut réguler davantage la grande diversité des honoraires relève d'un choix politique. Des barèmes d'honoraires sont en vigueur en Allemagne et en Italie par exemple. En Allemagne, le système complexe a été réformé l'année passée. En Italie, l'ordre formule des propositions de réforme.

À cet égard, l'intervenant renvoie à l'arrêt Narbuno de la Cour européenne de justice, dans lequel celle-ci a estimé que, dans les limites du contexte italien, aucun problème ne se posait du point de vue du droit de la concurrence. L'intervenant se demande toutefois si cette jurisprudence est encore actuelle. Il se réfère à un autre arrêt de la Cour européenne de justice, qui impose aux pouvoirs publics une obligation plus importante en matière de contrôle, y compris lorsque ceux-ci prennent eux-mêmes des initiatives. La Cour de justice a également été saisie de deux questions préjudicielles concernant la situation italienne. Le débat qui est mené en Belgique sur la question des honoraires ne diffère donc pas fondamentalement de ceux qui ont lieu dans d'autres pays.

Cependant, si l'on se place dans l'optique du marché, on constate qu'en Belgique, les avocats appliquent des tarifs particulièrement bas. Il est évidemment difficile de comparer des systèmes juridiques aussi différents.

Le débat qui a lieu au Sénat aujourd'hui porte sur la répétibilité des honoraires et, plus particulièrement, sur la question de savoir quelle partie de ceux-ci peut être récupérée auprès de la partie adverse. La question de la transparence et de la communication relève d'un autre domaine et dépend de la relation contractuelle qui lie le client et son avocat. S'agissant de la partie récupérable des honoraires, la question est de savoir dans quelle mesure une partie de ceux-ci peut être récupérée auprès d'une partie adverse, en application de l'arrêt de la Cour de cassation. C'est un point que les responsables politiques devront trancher. Il est effectivement exact que la situation créée par la Cour de cassation appelle une solution légale; l'intervention du législateur devra mettre un terme à l'insécurité existante.

En Flandre et en Wallonie, les barreaux ont choisi une solution identique pour rétablir la sécurité juridique, à savoir les indemnités de procédure. Le système de l'indemnité de procédure existe déjà et fut instauré à l'époque dans le but de couvrir les frais d'actes matériels. Toutefois, elle a fini par être perçue comme une indemnité permettant de couvrir les frais d'avocat. Sur le terrain aussi, tous les acteurs s'accordent à dire que les tarifs actuels très bas de l'indemnité de procédure ne répondent en fait plus à la réalité économique et sociétale. De plusieurs côtés, on réclame une adaptation de l'indemnité de procédure.

Un autre avantage de cette indemnité est qu'elle est connue de tous et qu'elle permet d'introduire plusieurs facteurs correctifs. Ainsi, pour les contentieux en matière sociale, les affaires liées à la jeunesse ou les divorces, l'indemnité de procédure a un statut spécial. On peut donc dire que, si le système de l'indemnité de procédure présente plusieurs lacunes, son application dans la pratique permet néanmoins de remédier à un très grand nombre de problèmes.

De plus, si l'on décidait d'étendre ce système, il ne faudrait pas légiférer de manière radicale. L'Ordre est favorable à un système qui se situe à mi-chemin entre ce que propose l'arrêt de la Cour de cassation et l'ancienne indemnité de procédure forfaitaire. Il n'est donc pas partisan de l'instauration d'une répétibilité complète (on devrait alors s'entendre aussi sur ce qu'est exactement un honoraire; de surcroît, il faudrait également que le justiciable ait le choix de se faire aider par plusieurs conseils, ce qui pourrait difficilement être mis à charge de la partie adverse.). L'Ordre est favorable non pas à une répétibilité intégrale, mais à une intervention qui soit supérieure à l'indemnité de procédure actuelle. Aussi a-t-il élaboré une proposition visant à créer un cadre légal, dans laquelle les chiffres sont même indiqués (voir proposition). On propose donc des critères qui sont proches du système actuel de l'indemnité de procédure. Pour les choses évaluables en argent, la valeur de la chose demeure déterminante.

Toutefois, pour les choses non évaluables en argent, une proposition est également formulée. L'intervenant estime qu'elle est équilibrée.

Les deux Ordres ne sont pas d'accord à propos du rôle du juge. L'« Ordre des barreaux flamands » souhaite instaurer une sécurité juridique maximale et limite le rôle du juge. Ce dernier ne pourra pas décider librement quelle partie sera récupérable. L'intervenant renvoie aux aberrations actuelles et à la diversité de la jurisprudence. En outre, une norme en blanc pourrait susciter un « shopping juridictionnel » ou créerait un procès dans le procès.

L'« Ordre des barreaux flamands » propose toutefois de donner au juge la possibilité de moduler. Il semble important pour le justiciable de pouvoir aussi estimer le coût d'une procédure.

2. Exposé de M. Luc Maréchal, administrateur à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone

M. Maréchal souhaite réagir concernant la fourchette des tarifs horaires cités par M. Hermans. Sur la base de son expérience, l'orateur est convaincu que la majorité des avocats inscrits au barreau de Liège réclament des honoraires inférieurs au montant de 100 euros annoncé comme limite inférieure. Il est convaincu que les tarifs horaires appliqués par les avocats inscrits au barreau de Charleroi ou dans les barreaux de la province de Luxembourg sont encore inférieurs à ceux pratiqués à Liège.

Il pense que la discussion ne porte cependant pas sur la question des honoraires des avocats, même si cette dernière mérite une réflexion approfondie dans le cadre d'un débat sur l'accès à la justice. La question centrale est de déterminer à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation dans quelle mesure il y a lieu à répétibilité des frais d'assistance juridique.

L'orateur se rallie à l'intervention de M. Lamon, qui a mis en exergue les points qui nécessitent l'intervention du législateur.

Deux points méritent une attention particulière.

Le premier est celui de l'arriéré judiciaire. Si, dans chaque affaire, l'état d'honoraires de l'avocat doit être produit, cela nécessite une réouverture des débats. Il faudra d'abord que le juge ait décidé dans un premier jugement qui est la partie gagnante avant que l'on puisse lui soumettre la question de la répétibilité, qui sera traitée lors d'une audience subséquente.

L'orateur évoque une seconde réflexion, relative au secret professionnel. Si, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, une partie réclame la réparation de l'intégralité du dommage, son conseil produira tout le dossier. Cela posera un problème majeur de secret professionnel car le caractère contradictoire des procédures civiles a pour corollaire que l'avocat de la partie adverse peut vérifier l'ensemble du dossier. Que se passera-t-il si, à l'occasion du débat sur les honoraires au niveau de l'instance, l'avocat de la partie perdante trouve, dans le dossier de l'avocat adverse, des éléments qui pourront lui servir au niveau de l'appel.

M. Maréchal conclut que le caractère forfaitaire de l'indemnité couvrant les frais d'assistance en justice est nécessaire pour garantir le respect du secret professionnel, mais aussi pour des raisons d'efficacité.

En octobre 2004, la ministre de la Justice a consulté les barreaux sur la question de la répétibilité des honoraires d'avocats. L'OBFG et l'OVB ont travaillé de concert et adopté des positions pratiquement identiques. C'est sur le plan du pouvoir d'appréciation du juge qu'une légère divergence existe entre les propositions des deux ordres.

Les barreaux veulent éviter que la question de la répétibilité aboutisse à des discussions sur la hauteur des honoraires de l'avocat car chaque citoyen a le libre choix de son conseil. La contrepartie du libre choix est la responsabilité dans le chef du client.

La répétibilité telle qu'elle est proposée par les barreaux, sous forme tarifaire, offre l'avantage de la lisibilité. La personne qui va engager une procédure sait évaluer à l'avance ce que lui coûtera la procédure. Depuis le 1er mai 2005, un règlement de l'OBFG oblige l'avocat à informer son client de la manière dont l'état d'honoraires sera établi. D'autre part, le régime de répétibilité proposé permet au justiciable d'évaluer ce qu'il devra payer s'il perd le litige. En d'autres termes, le justiciable sait évaluer combien il devra potentiellement payer à son avocat et combien il devra, le cas échéant, payer à l'autre partie s'il perd son procès.

Dans la grille proposée par les barreaux, le juge a le pouvoir de réduire ou de doubler le montant des sommes récupérables à titre d'intervention dans les frais et honoraires d'avocats. Dans la proposition de l'OBFG le juge peut aller jusqu'au doublement de l'indemnité de base ou décider de la réduire jusqu'à un montant minimum fixé par le Roi. Dans la proposition de l'OVB, le juge peut doubler l'indemnité de base ou la réduire de 50 %.

Le système proposé par l'OBFG donne une plus grande latitude au juge. Cette marge d'appréciation est justifiée par un souci d'accessibilité à la justice. M. Maréchal cite l'exemple d'un consommateur qui aurait un litige avec une banque à la suite de contrat de crédit. La valeur du litige serait supérieure à 15 000 euros. Le consommateur introduit une demande de termes et délais mais il est débouté. Est-il raisonnable que ce consommateur supporte le montant total de l'indemnité de base qui est fixé à 1 250 euros en application de la grille OBFG/OVB ? Il est proposé de permettre au juge de réduire l'indemnité à 625 euros. À titre de comparaison, l'indemnité de procédure actuelle s'élève à 349,78 euros.

L'orateur reconnaît que pour des litiges d'une grande ampleur, l'écart entre le montant actuel de l'indemnité de procédure et celui qui est prévu par la grille des barreaux est plus substantiel. L'indemnité maximale s'élève à 30 000 euros, pour les litiges au- delà de 1 000 000 d'euros, si le juge considère que les circonstances économiques justifient le doublement de l'indemnité de base. C'est vraiment une hypothèse extrême.

Pour ce qui concerne les matières sociales, l'orateur précise que ce n'est pas de la répétibilité. Ce n'est pas la partie gagnante qui obtient l'indemnité de procédure, mais c'est le justiciable qui a droit à une indemnité dans ces matières. Lorsqu'un justiciable introduit par exemple une action contre l'ONEM et que sa demande n'est ni téméraire ni vexatoire, il bénéficie de l'indemnité de procédure. Toutes les matières visées aux articles 581 et 582 du Code judiciaire pourraient être exclues du régime de répétibilité et resteraient soumises aux actuelles indemnités de procédure. Dans une telle hypothèse, il n'y aurait pas de conséquences budgétaires pour l'État puisque les indemnités resteraient les mêmes pour ce contentieux.

En matière pénale, il est proposé d'accorder l'indemnité de procédure à la partie civile, à charge du prévenu condamné. Si on ne le prévoit pas, le nouveau régime ne résistera pas à un recours devant la Cour d'arbitrage. M. Maréchal illustre ce risque en citant l'exemple d'un accident de roulage qui ferait l'objet d'un classement sans suite. La partie A va devant le tribunal de police, section civile et gagne son procès contre la partie B. Dans cette hypothèse, la partie gagnante a droit à l'indemnité forfaitaire. Si l'accident n'avait pas fait l'objet d'un classement sans suite, le même accident aurait été soumis à la section pénale du même tribunal. Il serait illogique que dans une telle hypothèse, la partie A, qui se serait constituée partie civile contre B, n'aurait pas droit à l'indemnité de procédure.

L'orateur reconnaît que la question de l'indemnité forfaitaire de défense peut se poser dans l'hypothèse de l'acquittement d'un prévenu. L'OBFG et l'OVB estiment qu'il n'y a pas lieu d'accorder l'indemnité à la partie qui a bénéficié d'un acquittement. La répétibilité peut s'analyser de façon différente selon que l'on est dans l'hypothèse d'un litige entre citoyens ou d'un litige entre un citoyen et le ministère public. M. Maréchal pense qu'il existe une possibilité de trouver un critère de différenciation lorsque l'on parle de la répétibilité d'un prévenu vis-à-vis de l'État, par rapport à la question de la répétibilité de la partie civile vis-à-vis du prévenu.

3. Échange de vues

M. Mahoux note que les barreaux sont favorables à une indemnité forfaitaire, mais que celle-ci ne peut pas correspondre à un honoraire. Cela traduit une réticence fondamentale à déterminer un montant moyen de ce que peut être un honoraire. Pourquoi ne pas envisager que le montant dû par la partie perdante corresponde à un forfait d'honoraires ? L'intervenant ne comprend pas la réticence des barreaux à lier la discussion sur la répétibilité à celle sur les honoraires.

L'intervenant rappelle ensuite que les barreaux n'ont cesse de mettre en avant le caractère spécifique de la profession d'avocat, qui n'est pas une profession de commerce et qui ne serait dès lors pas soumise aux règles classiques du droit européen. Il est dès lors quelque peu contradictoire d'invoquer les règles européennes pour justifier l'impossibilité d'imposer des barèmes pour les honoraires des avocats.

En ce qui concerne le problème de l'accès à la justice, l'orateur pense que l'on ne peut se limiter à une analyse in ultimo du coût de la procédure. Il faut élargir le débat car il est également important de savoir si le justiciable est capable de préfinancer ce que lui coûtera la procédure. Pour le contentieux résultant d'une erreur médicale, la partie qui doit réclamer la réparation de son préjudice doit souvent faire face à de très grosses dépenses pour faire valoir son bon droit, même si, à l'issue du procès, une grande partie de ces frais sont mis à charge de la partie perdante. Comment peut-on régler ce problème d'accessibilité à la justice ?

M. Mahoux s'interroge également sur le lien qui est souvent fait entre la compétence d'un avocat et le taux des honoraires qu'il applique. A contrario, cela fait croire au public qu'un avocat dont les honoraires ne sont pas élevés n'est pas compétent. Le libre choix de l'avocat est tout à fait fondamental. Que des différences existent quant aux honoraires réclamés est une chose normale; il ne faut cependant pas véhiculer l'idée que c'est le montant des honoraires qui garantit la compétence de l'avocat.

Sur la question du pouvoir d'appréciation laissé au juge, M. Mahoux déclare être sensible à l'argument de la lisibilité du système. Il est bon que les parties sachent à quoi elles s'engagent. Ne serait-il pas possible de fixer les exceptions dans la loi plutôt que d'attribuer au juge la compétence d'apprécier les différentes situations ?

Mme Nyssens est convaincue que la solution forfaitaire est la voie la plus indiquée pour mettre en place un régime de répétibilité. Elle insiste pour que le dossier avance rapidement. Même si ces questions sont liées à la problématique de la répétibilité, l'intervenante pense qu'il ne faut pas ouvrir tout le débat sur la tarification des honoraires des avocats et la question de l'accessibilité à la justice car cela empêchera de trouver rapidement une solution aux problèmes qui se posent à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation.

En ce qui concerne la proposition des barreaux, elle demande quels sont les éléments du régime de répétibilité qui doivent être fixés dans la loi et quels sont les points qui doivent être réglés par le Roi.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il n'est effectivement pas nécessaire de traiter de l'ensemble du problème des honoraires. Tout remettre en question est le meilleur moyen de ne rien régler. Aujourd'hui, en raison de l'internationalisation de la profession d'avocat, le problème des honoraires des avocats se pose dans un tout autre contexte que celui des honoraires des médecins lors des discussions qui ont eu lieu dans les années 60 au sujet de la loi relative à l'INAMI. Les cabinets d'avocats internationaux ont certainement les honoraires les plus élevés et les barreaux organisés internationalement (par exemple, Londres, New York, Amsterdam) imposent ces honoraires aux cabinets d'avocats qu'ils ont achetés en Belgique, par exemple. Il en résulte un système juridique à plusieurs vitesses.

L'intervenant peut souscrire à une approche forfaitaire, à court terme du moins. Cependant, il n'est pas convaincant de retenir exclusivement le paramètre de la demande évaluable en argent. En effet, l'avocat pourrait augmenter de son propre chef le montant réclamé dans la demande. Qu'en est-il si le défendeur est un commerçant au bord de la faillite ? Les frais de justice sont en effet privilégiés. Si l'on considère les honoraires des avocats comme des frais de justice, les avocats ont une priorité absolue sur tous les autres créanciers.

M. Lamon souligne que ce n'est pas le barreau qui a institué le droit de la concurrence. Il ne peut que s'y soumettre et constater que la Commission européenne a demandé aux autorités nationales d'accorder une attention prioritaire aux professions libérales. Le barreau doit évidemment apprendre à vivre le mieux possible avec la jurisprudence en place.

On ne peut pas se retrouver dans une situation où le législateur suggère certains tarifs et où la Commission européenne inflige des amendes aux Ordres par la suite. La grande diversité des prestations de services juridiques est une réalité et elle peut également être un atout. Grâce à cette diversité, tout justiciable est en mesure de trouver l'avocat qui lui convient. Il est faux d'affirmer que, par définition, les mauvais avocats sont ceux dont les honoraires sont peu élevés.

De même, l'intervenant accepte difficilement la comparaison avec les honoraires des médecins. En effet, ces derniers sont fixés par les pouvoirs publics. Personne ne propose que les pouvoirs publics financent les honoraires des avocats.

En ce qui concerne la manipulation éventuelle de l'indemnité forfaitaire par l'augmentation artificielle des sommes réclamées dans la demande, l'intervenant signale que le système de l'indemnité de procédure existe déjà depuis 35 ans et qu'il n'a jamais suscité de discussions sur ce point. L'on a toujours admis que l'indemnité pour les affaires évaluables en argent soit déterminée par l'enjeu du litige. On adhère dès lors au système en place en vue d'aboutir à un système dont la complexité est raisonnable, qui puisse être appliqué rapidement et qui soit connu de tous.

Lorsque les sommes réclamées dans la demande sont gonflées artificiellement et passent de 100 à 1 000, on pourrait affirmer que, si l'on obtient seulement 100, on perd l'affaire pour les neuf dixièmes.

M. Hugo Vandenberghe trouve qu'il est intéressant d'abandonner ce procédé sans nuance. La situation est claire et nette uniquement si l'on émet une facture qui n'est pas contestée.

M. Lamon estime que cela réduirait le nombre de demandes non fondées. Par conséquent, la personne qui saisit un tribunal sera tenue de définir et de préciser davantage sa demande.

En réponse à la question de Mme Nyssens sur le rôle du législateur, M. Maréchal précise que le législateur devrait adapter l'article 1022 du Code judiciaire pour remplacer l'indemnité de procédure « ancienne formule » par l'indemnité forfaitaire de défense. Il faudrait également définir dans la loi le pouvoir d'appréciation qui est confié au juge.

En ce qui concerne les modalités d'exécution, celles-ci seraient définies par un arrêté royal qui fixerait également la grille et le régime à suivre pour les affaires non évaluables en argent. L'intervenant précise que dans leur proposition, les barreaux tiennent compte indirectement des prestations livrées par l'avocat puisque, pour les affaires non évaluables en argent, le montant de base de l'indemnité, soit 1 200 euros, peut être réduit à 250 euros pour les affaires simples et être porté à 6 000 euros pour les affaires complexes comportant des développements de procédure, chaque fois avec possibilité de réduire à 3 000 euros ou de doubler à 12 000 euros. Le caractère forfaitaire de la grille proposée en fait nécessairement une cotte mal taillée. C'est cependant un outil qui permet de répondre de manière équilibrée aux problèmes résultant de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004.

L'intervenant insiste pour que le législateur intervienne rapidement afin de mettre fin à la confusion qui règne sur le terrain à la suite de l'arrêt précité. Il cite un exemple particulièrement criant d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Mons dans lequel la cour ne reconnaît pas l'existence du critère de nécessité au sens de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004 dans le chef d'une fille de dix huit ans, victime d'un viol et qui avait recouru aux services d'un avocat pour assurer sa défense. La Cour a estimé que la victime était en mesure de se défendre seule.

M. Hugo Vandenberghe pense que dans l'exemple évoqué, le critère de nécessité est mal appliqué. Le critère de nécessité, c'est le rappel de la causalité. Or, il est évident que la présence d'un avocat aux côtés de la victime d'un viol, âgée de dix huit ans, est la condition sine qua non d'une défense effective de la victime. L'intervenant regrette que l'on politise la notion de causalité pour apprécier, a posteriori si l'intervention d'un avocat était nécessaire.

L'intervenant a encore une question au sujet de l'assistance judiciaire. Que se passe-t-il lorsqu'une personne qui bénéficie d'une assistance judiciaire est condamnée ? Le cas échéant, cela représente une énorme dépense supplémentaire pour l'État.

Concernant l'aide juridique de deuxième ligne, M. Lamon estime que l'article 508 du Code judiciaire devra faire l'objet d'un certain nombre de modifications. Il faudra y apporter un certain nombre de précisions. L'Ordre des barreaux flamands a déjà élaboré une proposition dans ce sens. Elle sera publiée dans l'addendum de l'ouvrage de MM. Evers et Lefranc. Par exemple, on essaie de mettre au point un système d'imputation dans le cas où un avocat pro deo gagne l'affaire.

M. Hugo Vandenberghe pense qu'il serait utile d'avoir une idée du nombre d'affaires remportées par des avocats pro deo.

M. Lamon estime qu'il faut procéder par étapes. Tout d'abord, il revient aux sénateurs de voter une législation relative à la répétibilité et à l'indemnité forfaitaire, qu'elle soit ou non. Par la suite, il faudra, le cas échéant, adapter l'article 508.

M. Maréchal répond que dans le système du Bureau d'aide juridique à Liège, l'avocat qui gagne doit ristourner l'indemnité de procédure au client sauf s'il a demandé une taxation. C'est le bureau d'aide juridique qui peut ou non accorder l'indemnité de procédure à l'avocat ou la restituer à son client.

L'intervenant ne pense pas que la situation dans laquelle le client du Bureau d'aide juridique perd son procès fasse problème. La proposition de l'OBFG, qui donne un pouvoir d'appréciation plus large au juge, permet à ce dernier de tenir compte de la situation économique de la partie perdante en réduisant le montant de l'indemnité à un montant de 1 000 euros, quelle que soit la valeur de la demande.

M. Hugo Vandenberghe demande quelle est la différence entre la proposition de l'OBFG et celle de l'OVB en ce qui concerne le pouvoir d'appréciation qui est donné au juge.

M. Maréchal répond que pour les affaires jusqu'à 40 000 euros, les deux systèmes sont identiques. La grille fixe une indemnité de base dont le montant peut être réduit de moitié ou doublé en raison de circonstances exceptionnelles. Par contre, pour les litiges dépassant ce seuil, l'OVB prévoit que le juge peut réduire, dans des circonstances exceptionnelles, le montant de l'indemnité jusqu'à 50 % du montant de l'indemnité de base. L'OBFG permet au juge, quel que soit l'enjeu de la demande, de réduire le montant minimal de l'indemnité à 1 000 euros. Le juge peut ainsi réduire l'indemnité à un montant inférieur à la moitié de l'indemnité de base.

M. Lamon répond que l'OVB réduit toujours à la moitié. Les litiges représentant une somme très importante sont assez rares dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne.

M. Maréchal revient à la situation de l'avocat qui agit dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. Lorsque le client du bureau d'aide juridique gagne son procès, la question se pose de savoir à qui revient le montant de l'indemnité payée par la partie perdante. Il faut soit raisonner en termes de solidarité soit en termes d'individualité.

L'intervenant cite l'exemple d'une affaire dans laquelle l'indemnité forfaitaire serait de 500 euros. Dans une approche individualiste, l'avocat désigné par le bureau d'aide juridique, qui aurait par exemple droit à 25 points soit 625 euros, encaisserait le montant de l'indemnité forfaitaire et ne réclamerait plus des points qu'à concurrence de 125 euros. Une autre possibilité, plus solidaire mais plus complexe à mettre en place, consisterait à verser le montant de l'indemnité forfaitaire à un fonds qui viendrait s'ajouter à l'enveloppe de l'aide juridique. L'avocat réclamerait dans cette dernière hypothèse l'ensemble des 25 points auxquels il a droit, sans défalquer le montant de l'indemnité forfaitaire.

L'indemnité forfaitaire doit revenir au client de l'avocat désigné par le bureau d'aide juridique. La question de savoir si ce montant lui revient directement ou par l'intermédiaire d'une majoration de l'enveloppe pour l'aide juridique, est de nature politique.

C. Audition de représentants d'Assuralia

Les orateurs déposent les notes ci-après:

a. Position d'Assuralia

« Pour rappel, la Cour de cassation a consacré le principe de la répétibilité des frais d'avocats en matière de responsabilité contractuelle dans son arrêt du 2 septembre 2004. La jurisprudence l'a étendu au domaine de la responsabilité extracontractuelle. Pour le reste, la jurisprudence postérieure à l'arrêt est très disparate (par exemple en ce qui concerne les conditions de la répétibilité, le montant des frais pouvant être alloués ...).

Enjeux différents pour les assureurs RC et PJ

La position d'Assuralia tient compte des situations différentes dans lesquelles se trouvent les assureurs de la responsabilité civile (RC) et les assureurs protection juridique (PJ).

En assurance RC, le revirement opéré par l'arrêt du 2 septembre 2004 a pour conséquence d'augmenter les coûts. La reconnaissance de la répétibilité correspond en effet à l'ajout d'un poste de dommage supplémentaire à la liste de ceux dont, contractuellement, l'assureur s'est engagé à assumer le paiement au bénéfice du tiers lésé à la suite d'un manquement de l'assuré.

En assurance PJ, par contre, l'assureur peut, à la suite de l'arrêt, récupérer auprès du tiers responsable les frais d'avocats de son assuré, lorsque ce dernier intervient comme demandeur en réparation. L'assurance PJ est en effet une assurance indemnitaire à laquelle s'applique le mécanisme de la subrogation légale régi par l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (LCAT).

Assuralia plaide pour un régime forfaitaire, prévisible et transparent

Compte tenu de ces situations différentes, Assuralia estime que, à l'instar de ce que prévoit la proposition de règlement européen relative aux demandes de faible importance, la répétibilité ne devrait pas être systématique et ne pas porter sur des frais qui se révèlent inéquitables ou déraisonnables. Elle ne devrait s'appliquer que dans certains cas, par exemple lorsque l'action judiciaire a dû être intentée en raison du refus de la partie adverse d'une proposition de règlement amiable qui aurait dû être acceptée.

D'une manière générale, Assuralia prône encore davantage le règlement amiable afin de réduire les coûts.

Par ailleurs, face aux multiples questions posées par l'arrêt du 2 septembre 2004, et à la jurisprudence très disparate à laquelle il donne lieu, Assuralia estime qu'une intervention rapide du législateur est indispensable. Une telle intervention doit par exemple permettre d'éviter le « procès dans le procès » au sujet de l'évaluation des frais pouvant être récupérés ou de la portée du secret professionnel de l'avocat, qui ne ferait qu'allonger les procédures et alourdir les coûts.

Assuralia plaide pour que la nouvelle législation à adopter se fonde sur la proposition formulée par les Ordres des Barreaux (OBFG et OVB). Cette proposition consiste à améliorer le régime actuel de l'indemnité de procédure allouée à la partie gagnante, en augmentant substantiellement son montant. Un tarif de base de 150 à 15 000 euros a ainsi été établi pour les affaires évaluables en argent. La loi préciserait que cette indemnité serait la seule indemnisation autorisée en faveur de la partie gagnante pour ses frais d'avocats.

Aux termes de la proposition des Ordres des Barreaux, le juge accorderait en principe le montant prévu par le barème. Il disposerait toutefois d'une certaine marge pour diminuer ou augmenter le montant, à la demande d'une partie, et pour des raisons manifestes d'équité (par exemple situation économique des parties, comportement de celles-ci au cours du procès, ...). Les barreaux néerlandophones (OVB) et francophones (OBFG) divergent quant à l'étendue du pouvoir à accorder au juge: les premiers sont plus restrictifs que les seconds. Selon l'OVB, le juge pourrait soit doubler l'indemnité, soit la réduire de moitié. Pour l'OBFG, le juge doit avoir davantage de latitude, étant entendu que le montant accordé ne pourrait pas dépasser le double de l'indemnité prévue par le barème.

Assuralia estime à cet égard que le pouvoir du juge doit être circonscrit le plus possible afin de respecter le caractère forfaitaire du régime en projet et de garantir au maximum sa transparence et sa prévisibilité. Cette préoccupation est notamment liée à la nécessité pour les assureurs RC d'évaluer les provisions pour sinistres en cours. »

b. Aperçu de la jurisprudence à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004

Analyse de la Commission d'Études juridiques et de Contrôle (CEJ)

« Par son arrêt du 2 septembre 2004, la Cour de cassation a décidé que les frais et honoraires d'un avocat ou de conseil technique, exposés par la victime d'une faute contractuelle, peuvent constituer un élément de son dommage à condition qu'ils aient été nécessaires pour la défense. De quelle manière les juridictions de fond appliquent-t-elles cet arrêt ?

Dans le cas d'une responsabilité extracontractuelle, la répétibilité des frais d'avocat est accordée. En matière répressive, la jurisprudence refuse la répétibilité, la partie civile n'étant pas obligée d'avoir recours aux services d'un avocat. Le ministère public exerce en effet l'action publique.

Les frais ne peuvent être récupérés que si l'intervention de l'avocat ou de l'expert était nécessaire. Les juges examinent au cas par cas l'existence de cette nécessité. On ne décèle toutefois pas de ligne claire dans la jurisprudence quant à l'acceptation ou non du caractère de nécessité.

En l'absence d'un barème officiel, une partie de la jurisprudence fixe ex aequo et bono le montant des frais qui peut être récupéré. Une autre partie de la jurisprudence demande au demandeur de produire l'état de frais et honoraires de son avocat.

Trois questions préjudicielles similaires ont été posées à la Cour d'arbitrage. Il est demandé s'il est discriminatoire que le défendeur, lorsqu'il succombe, doive prendre en charge les frais d'avocat du demandeur, tandis que lui-même, lorsqu'il obtient gain de cause, ne peut récupérer auprès du demandeur les frais de son avocat. La Cour d'arbitrage doit encore statuer.

Par son arrêt du 2 septembre 2004, la Cour de cassation a décidé que les frais et honoraires d'un avocat ou de conseil technique, exposés par la victime d'une faute contractuelle, peuvent constituer un élément de son dommage à condition qu'ils aient été nécessaires pour la défense. L'arrêt a toutefois soulevé différentes questions qui ont été analysés dans une circulaire antérieure de la Cej (1) . L'objet de la présente analyse est d'examiner de quelle manière les juridictions de fond appliquent l'arrêt et abordent ces questions.

1. Champ d'application

La Cour de cassation ne s'était prononcée que sur un cas de responsabilité contractuelle. D'une manière générale, la jurisprudence applique également l'arrêt aux litiges de responsabilité extracontractuelle, mais non en matière répressive.

— Le tribunal de première instance et la cour d'appel de Liège (2) sont d'avis que la répétibilité des frais d'avocat est également possible pour les litiges extracontractuels. Le principe de l'indemnisation intégrale prévaut en effet. Le tribunal de police de Huy (3) , le tribunal de première instance de Bruxelles (4) et le tribunal correctionnel de Hasselt (5) suivent le même raisonnement. Le tribunal correctionnel d'Ypres (6) n'est pas du même avis et interprète de manière stricte l'arrêt de la Cour de cassation: l'arrêt est à situer uniquement au niveau de l'inexécution du contrat.

— Selon le tribunal correctionnel d'Ypres, la répétibilité des frais ne trouve pas application en matière répressive. Selon ce tribunal, si la récupération auprès de la partie succombante des honoraires d'avocat devait être appliquée de manière automatique, le risque financier de la procédure augmenterait considérablement et diminuerait de cette manière le droit d'accès à la justice. L'application automatique de ce principe impliquerait également la création d'une responsabilité sans faute. La répétibilité porterait également préjudice à la présomption d'innocence et au droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même. La seule manière pour le prévenu d'éviter la sanction de l'indemnisation des frais d'avocat est d'indemniser au préalable la partie lésée. Le juge pénal pourrait difficilement interpréter cette indemnisation préalable autrement que comme une reconnaissance de la faute. Selon le juge, la victime peut choisir de se constituer partie civile, ce qui lui permettra de profiter au maximum de l'exercice de l'action publique par le ministère public.

La cour d'appel de Mons (7) se rallie à ce dernier argument: la victime ne doit pas recourir aux services d'un avocat pour obtenir l'indemnisation de son dommage dans la mesure où elle peut se constituer partie civile.

— Le juge des référés peut uniquement prendre des mesures provisoires et ne condamne pas à payer des indemnités. La faute, le dommage et le lien de causalité font l'objet d'un examen de fond. Le juge des référés ne peut par conséquent pas condamner au paiement des frais d'avocat de la partie adverse (8) .

— Selon la cour d'appel de Liège, une action en révision des indemnités allouées aux personnes qui font l'objet d'une mesure d'expropriation ne relève pas de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. L'exproprié n'a, dès lors, pas droit à la répétition des honoraires de l'avocat qui l'a assisté dans le cadre de la procédure (9) .

2. Caractère de nécessité des frais

Les frais d'avocat ou d'expert ne peuvent être récupérés que si l'intervention de l'avocat ou de l'expert s'est révélée nécessaire. Les juges vérifient dans chaque cas distinct l'existence de ce caractère de nécessité. À défaut de ce caractère de nécessité, la répétibilité est refusée.

A. Caractère de nécessité accepté

— La désignation d'un avocat est raisonnable lorsque le dossier est devenu complexe en raison, par exemple, de la survenance au cours de la procédure de problèmes juridico-techniques tels que la déclaration d'incompétence du tribunal et le recours au principe non bis in idem (10) . Selon le tribunal de première instance de Nivelles (11) , le coût de l'assistance d'un avocat peut être considéré comme une composante du dommage lorsque la complexité du litige rend cette assistance nécessaire. Si, en revanche, seule une assistance procédurale d'un avocat est nécessaire pour obtenir une indemnisation, les frais résultant de cette intervention sont couverts intégralement par les indemnités de procédure.

— La technicité d'un litige portant sur le calcul d'une indemnité compensatoire de préavis, d'une prime de fin d'année et d'un pécule de vacances, et le principe de l'égalité des armes justifient la nécessité du recours aux services d'un avocat (12) .

— Selon la cour d'appel de Liège (13) , le refus fautif de payer une facture oblige une partie à introduire une demande en justice et à consulter à cette fin un avocat. Les frais et honoraires de cet avocat constituent dès lors un élément du dommage résultant de l'inexécution du contrat. L'indemnisation forfaitaire prévue dans le contrat en cas de non-paiement ne consiste pas en la couverture des frais d'un avocat. Au moment de la conclusion du contrat, il n'est, en effet, pas possible pour une partie à un contrat de tenir compte des frais éventuels d'un avocat étant donné qu'un non-paiement n'entraîne pas chaque fois l'introduction d'une action. En outre, l'article 1023 du Code judiciaire interdit toute augmentation contractuelle d'une créance si celle-ci est réclamée en justice.

— Une personne lésée est obligée de consulter un avocat lorsque l'auteur du dommage tente par différents moyens de ralentir la procédure. Les frais constituent dès lors une composante du dommage subi (14) .

— La nullité d'un contrat ne peut être obtenue que devant un juge. Les frais d'avocat sont dès lors nécessaires (15) .

— Une personne est obligée de consulter un avocat lorsque la commune persiste dans son refus de délivrer la carte d'identité sous le prétexte d'une irrégularité dans la signature (16) .

— Le propriétaire d'un immeuble est obligé de consulter un avocat afin de pouvoir engager une procédure en référé contre l'ordre d'une commune de cesser des travaux à son bâtiment. Selon le juge, on peut difficilement imaginer qu'un particulier sans assistance juridique puisse connaître les moyens légaux pour s'opposer à un tel ordre, ainsi que la procédure à suivre (17) .

B. Caractère de nécessité non accepté

Il ne peut être tenu compte que des conseils juridiques qui étaient nécessaires dans les circonstances données, et non des frais supplémentaires qui ne présentaient aucune nécessité tels que ceux résultant du choix d'un avocat dont les honoraires sont plus élevés en raison de sa réputation, sa spécialisation, ... (18)

— Le tribunal de première instance de Gand (19) a refusé d'accorder la répétibilité des frais d'un avocat parce que le nécessaire lien de causalité faisait défaut. Le tribunal a rendu cet arrêt quelques jours après l'arrêt de cassation du 2 septembre 2004, mais le demandeur n'avait fondé sa demande de répétibilité que sur l'arrêt de cassation du 28 février 2002. Cet arrêt ne traitait que des frais de constatation de l'existence du dommage et de son étendue. Le tribunal a considéré que le demandeur avait donné une trop large interprétation à l'arrêt de cassation. Les frais nécessaires à la fixation du dommage et de son étendue ne doivent pas être assimilés aux frais relatifs à la défense des intérêts de la personne pouvant prétendre à la récupération de ces frais. La cause de ces frais réside dans la convention signée entre l'avocat et son client. Le rapport juridique spécifique entre le client et son conseiller exclut la répétibilité des frais de défense dans le cadre de l'article 1382 du C. civ.

— Selon le tribunal de première instance de Liège (20) , toute action en justice rend nécessaire la consultation d'un avocat en raison de l'existence de règles de procédure et de règles de droit qui ne sont que peu accessibles au citoyen. Ce n'est pas ce caractère de nécessité, mais plutôt la nature et la complexité du litige que la Cour de cassation prend en compte. Le tribunal refuse la répétibilité des frais d'avocat parce qu'il ne s'agissait pas d'une affaire complexe, que la partie adverse avait bien collaboré et qu'une argumentation juridique sophistiquée n'était pas nécessaire. Cette affaire portait sur une demande de remboursement du prix de vente en raison d'un vice caché affectant le bien vendu.

— Le juge de paix de Tournai (21) a estimé que l'arrêt de cassation ne peut s'appliquer en matière de recouvrement de créances, l'article 1153, alinéa premier, du Code civil ne prévoyant en pareil cas que les intérêts légaux comme dommages et intérêts, sauf les exceptions établies par la loi. A supposer même que le principe consacré par la Cour de cassation dans son arrêt puisse trouver application en matière de recouvrement de sommes, les frais d'avocat exposés ne pourraient pas être récupérés dans la mesure où ils ne présentent pas de caractère de nécessité. Selon le juge de paix, tout individu peut intenter une action en paiement d'une créance non constestée.

— La consultation d'un avocat est utile, mais pas nécessaire pour demander le paiement d'une facture non contestée (22) .

3. Montant des frais recouvrables

Les tribunaux appliquent deux méthodes différentes pour déterminer le montant des frais à récupérer: soit ils fixent le montant ex aequo et bono, soit les juges demandent aux demandeurs de produire les états de frais et honoraires de leur avocat.

A. Ex aequo et bono

— En l'absence d'un barème officiel et contraignant et à défaut de critères précis et incontestables, certains tribunaux fixent ex aequo et bono le montant recouvrable. Le juge vérifie ce que le client paie normalement en tenant compte des éléments du litige (23) .

— Le tribunal de première instance de Liège fixe ex aequo et bono le montant des frais à récupérer, mais se base à cette fin sur l'état de frais du géomètre et sur les prestations fournies par l'avocat (24) .

— Selon la cour d'appel de Liège (25) , les indemnités de procédure sont insuffisantes à couvrir les frais d'avocat car elles n'envisagent qu'une partie des prestations de l'avocat, à savoir les actes matériels. Pour la détermination du montant que la partie peut récupérer, il convient de tenir compte du fait que seuls les frais non couverts par les indemnités de procédure peuvent être pris en considération.

Le tribunal de commerce de Huy (26) estime qu'une partie ne peut pas en même temps récupérer les frais de son avocat et obtenir des indemnités de procédure. Les actes matériels de l'avocat qui sont couverts par les indemnités de procédure, sont, d'après le tribunal, déjà compris dans le montant que la partie entend récupérer.

B. États d'honoraires

— Le tribunal de première instance de Bruxelles (27) détermine le montant de l'indemnité à attribuer sur la base des états d'honoraires que le client a reçus de son avocat. Le tribunal demande ces états non pas à l'avocat, celui-ci étant soumis au secret professionnel, mais au client qui n'est pas tenu par le secret professionnel. C'est la règle chaque fois qu'il existe un désaccord au sujet du montant des honoraires.

Selon la cour d'appel de Liège, le demandeur qui n'a pas produit les états de frais de son avocat ne peut pas se retrancher derrière le secret professionnel auquel est soumis son avocat. Cette argumentation n'est pas pertinente, une telle approche n'existant pas auprès des cours européennes. La Cour européenne des droits de l'homme peut, en vertu de l'article 41 de la Convention européenne des droits de l'homme, accorder à la personne lésée le remboursement des frais de son avocat, mais la personne lésée doit alors démontrer l'existence du caractère nécessaire et raisonnable de ces frais (28) .

Le tribunal n'est pas lié par la règle déontologique qui interdit à un avocat de produire ses états de frais. Si le demandeur refuse de produire ces états de frais au tribunal, il doit présenter d'autres éléments de preuve permettant d'évaluer concrètement le dommage (29) .

— Dans une affaire dont a été saisi le tribunal de commerce de Turnhout (30) , l'avocat avait lui-même produit un état détaillé de frais et honoraires renvoyant aux diverses prestations fournies. Le tribunal a estimé que les prestations fournies étaient suffisamment justifiées et raisonnables et a accordé l'intégralité du montant. Le demandeur ne pouvait cependant plus prétendre aux indemnités de procédure dans la mesure où l'état intégral de frais et honoraires a été pris en considération comme dommage indemnisable.

— Le tribunal ne peut pas envoyer le dossier à la commission des honoraires du Conseil de l'Ordre des avocats pour déterminer le montant des frais à récupérer. Il n'existe, en effet, aucune procédure prévoyant un tel renvoi « préjudiciel ». En outre, un tribunal ne peut pas déléguer son pouvoir de juridiction à un ordre professionnel. Le tribunal demande dès lors au demandeur de produire tous les états de frais et honoraires ainsi que toutes les pièces probantes concernant les provisions déjà versées (31) .

— Le tribunal de première instance de Liège (32) a rouvert les débats afin de donner l'occasion aux parties de s'exprimer sur le montant des frais de l'avocat. La partie demanderesse avait demandé une indemnisation forfaitaire sans expliquer comment elle était arrivée à ce montant.

4. Les frais d'avocat du défendeur

Trois questions préjudicielles ont été posées à la Cour d'arbitrage concernant la répétibilité des frais d'avocat du défendeur.

Aussi bien le tribunal correctionnel (33) que le tribunal de première instance (34) de Louvain demandent s'il est discriminatoire que le défendeur, lorsqu'il succombe, doive prendre en charge les frais d'avocat du demandeur, tandis que lui-même, lorsqu'il obtient gain de cause, ne peut récupérer auprès du demandeur les frais de son avocat. Pour le tribunal correctionnel, il s'agit d'une constitution de partie civile; pour le tribunal de première instance, d'une responsabilité contractuelle.

La troisième question a été posée par la cour d'appel de Liège (35) dans un cas de responsabilité extracontractuelle. La cour demande s'il est discriminatoire que le défendeur qui obtient gain de cause soit obligé, pour obtenir l'indemnisation des frais d'avocat exposés par lui, et après avoir assumé victorieusement sa défense au fond, de faire une seconde démonstration de la faute du demandeur. Le seul fait d'avoir intenté une procédure judiciaire non fondée n'est en effet pas constitutif d'une faute.

La Cour d'arbitrage a joint ces trois affaires et doit encore statuer.

M. Hugo Vandenberghe souligne que la question de l'assistance judiciaire a déjà été abordée tout au long de la discussion. Les pouvoirs publics ou les assurances privées de protection juridique avancent les dépens aux personnes qui bénéficient de l'assistance judiciaire, qu'il s'agisse ou non d'un pro deo. Comment le règlement s'effectue-t-il lorsque quelqu'un gagne son procès ?

M. Daemen répond que pour l'instant, les assurances récupèrent déjà une partie de l'argent qu'elles avancent. Elles paient les frais d'expertises judiciaires, avancent les frais de justice et, depuis peu, doivent aussi payer les indemnités directes pour les procédures en cours. La clôture d'un dossier est toujours suivie d'un règlement. L'avocat envoie son état des honoraires et des frais et d'autre part, en cas de victoire, il transmet un montant qu'il a récupéré de la partie adverse. Si à cette occasion les honoraires de l'avocat sont aussi récupérés, cela peut être réglé en une fois. L'intervenant met en garde vis-à-vis de procédures particulières telles que le prête-nom, ou de procédures distinctes que l'assureur de la protection juridique devrait encore lancer dans le cadre de son droit de subrogation. Cela complique inutilement les choses et peut même engendrer un accroissement du nombre de procédures devant les tribunaux. Bref, ce n'est certainement pas positif pour l'administration de la justice, notamment parce que cela n'ajoute aucune valeur. Régler cela de la même manière qu'aujourd'hui, avec les frais de justice, les frais d'experts judiciaires, etc., nous semble être une méthode transparente et la meilleure.

L'intervenant voudrait enfin encore ajouter une chose à l'exposé au demeurant fort complet de son collègue Jean Rogge. Les assureurs de protection juridique doivent aussi prendre à leur charge les frais supplémentaires en cas de perte. Une nouvelle réglementation ne jouera donc certainement pas uniquement en faveur des assureurs. Pour les citoyens qui sont assez prévoyants pour contracter une assurance de protection juridique, il est rassurant de savoir qu'en cas de résultat final négatif, l'assureur prendra les frais de procédure à sa charge.

Les assureurs de la protection juridique plaident pour une solution aussi pragmatique que possible, comme le fait la proposition de loi Vandenberghe-Steverlynck. L'OVB et l'OBFG soutiennent cette proposition, avec, de préférence une marge d'appréciation aussi étroite que possible pour le juge.

M. Rogge ajoute que, si le juge procède à un examen sur la base de la situation économique des parties, l'assureur, s'il y en a un, prendra toujours les frais à sa charge. Il faudrait qu'on juge équitablement et qu'on veille à ce que les montants proposés restent raisonnables.

M. Hugo Vandenberghe comprend la préoccupation des préopinants. Si un juge se base sur les possibilités financières de la partie perdante qui se pourvoit devant lui sans assureur, il modérera, mais si cette partie est assurée, elle devra payer le prix plein. C'est un problème qui se pose aussi pour l'application de l'article 1386bis du Code civil, relatif à l'attribution de l'indemnité et à l'équité dans le cas des incapables. On doit alors tenir compte des moyens financiers mais, si la personne concernée est assurée, tout paraît tout à coup payable.

M. Rogge renvoie à la proposition de règlement du Parlement européen visant à instaurer une procédure européenne pour les demandes de faible importance. L'article 14 relatif aux frais de justice stipule que « la partie qui succombe supporte les frais de la procédure, sauf si cela se révèle inéquitable ou déraisonnable. Dans ce cas, la juridiction statue en équité sur le paiement des frais. »

M. Hugo Vandenberghe demande si les honoraires des avocats sont également compris dans ces frais.

M. Rogge répond par l'affirmative.

Il peut fournir aux membres de la commission de la Justice la note relative aux divergences de la jurisprudence à ce sujet.

M. Daemen demande ce que pense la commission des constitutions de partie civile pour lesquelles l'indemnité directe n'est pas d'application puisqu'il s'agit d'une procédure pénale.

M. Hugo Vandenberghe répond que ce problème doit effectivement encore être examiné. Il y en a d'ailleurs beaucoup d'autres.

La constitution de partie civile dans une procédure pénale aurait pour effet que les honoraires des avocats pour la partie civile ne seraient pas honorés, bien qu'il s'agisse d'un délit, alors que dans une simple action civile, ils le seraient. Selon l'intervenant, cette conception ne résiste pas à l'épreuve de l'égalité.

Reste encore la question de savoir que faire des affaires fiscales en droit social et administratif. Dans l'un il existe l'indemnité de procédure mais pas dans l'autre. Il n'est pas si difficile de poser le principe pour une responsabilité extracontractuelle mais le généraliser est une opération très délicate parce que les situations peuvent être très différentes.

M. Willems souhaiterait que le secteur des assurances précise encore quel type d'assureur doit finalement prendre les frais à sa charge. Est-ce l'assureur de la protection juridique ou l'assureur de la responsabilité ? L'intervenant imagine que cela fait une différence.

On peut aussi se demander si une application presque sans limite de l'article 1382 ne finira pas par peser très lourd sur le secteur des assureurs de la protection juridique. C'est pourquoi l'intervenant voudrait encore demander à M. Daemen qui écope finalement si une partie est condamnée au paiement des frais de justice.

M. Daemen répond qu'il y a plusieurs cas. S'il s'agit d'une action en responsabilité dans laquelle la victime reçoit une indemnité, l'assureur de la responsabilité est condamné à payer les honoraires. Lorsqu'il s'agit d'un différend contractuel pour lequel la partie a une assurance de protection juridique et perd le procès, l'assureur de la protection juridique prend les frais à sa charge.

L'assureur spécifique de la protection juridique a l'avantage que la loi offre la possibilité de régler les affaires à l'amiable par le biais d'un service juridique propre. Cela se fait dans près de 80 % des dossiers. Les autres dossiers sont transmis aux avocats pour qu'ils les soumettent aux tribunaux. Un certain filtrage est ainsi déjà effectué. Les affaires présentant très peu de chances de succès en sont déjà retirées. Il n'existe pas de statistiques spécifiques à ce sujet mais on estime que les trois quarts des affaires qui sont tranchées par un juge sont remportées. La répétibilité serait donc une bonne chose pour l'assureur de protection juridique alors qu'elle engendrerait une augmentation des indemnités des assureurs de la responsabilité.

M. Daemen estime que la proposition qui a été déposée et qui porte sur l'indemnité de procédure est transparente et permet de savoir à l'avance quels seront les éventuels frais plus élevés et de les répercuter dans la prime.

M. Rogge estime que, selon la nouvelle clause d'objectivité, davantage de personnes s'adresseront à l'assurance de la protection juridique.

M. Daemen indique que c'est là que joue bien sûr le sens de la responsabilité des avocats, dont on peut attendre qu'ils ne donnent pas des conseils à la légère. Ils ne le font pas non plus dans la pratique et on constate rarement des abus.

Mme Nyssens demande si, par rapport aux pays voisins, l'assurance protection juridique est très répandue dans notre pays. La majorité des citoyens en disposent-ils ?

M. Daemen répond que la pénétration est différente par rapport aux pays voisins. L'Allemagne, par exemple, connaît une pénétration très forte des polices de protection juridique. Dans notre pays, la pénétration est importante en matière de roulage — 95 % des automobilistes ont une protection juridique limitée ou complète — et pour la vie privée, dans le cadre des polices RC familiale dont disposent environ 80 % des familles.

Dans d'autres domaines, comme le droit contractuel, le droit du travail, le droit administratif ou le droit fiscal, le taux de pénétration est relativement faible dans notre pays. On estime que 2 % des ménages ont une police complète, pour environ 50 % en Allemagne, 15 % en France et 14 % aux Pays-Bas. Beaucoup de choses restent donc à faire en Belgique.

Nous estimons qu'une répétibilité « automatique » des honoraires favoriserait la souscription d'une assurance protection juridique.

En outre, si les statistiques s'amélioraient — on attend les résultats —, on pourrait peut-être octroyer des garanties plus étendues et offrir des produits plus attrayants au consommateur, ce qui pourrait entraîner une pénétration plus importante du marché.

De plus, le projet de Mme Onkelinx sur l'accès à la justice qui prévoit éventuellement la déductibilité fiscale d'un contrat de base pourrait avoir un effet positif.

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'en Allemagne, les honoraires sont fixés par le Code de procédure judiciaire; les compagnies d'assurance connaissent donc le coût du procès. Il demande si cette maîtrise a influencé le taux de pénétration.

M. Daemen répond que c'est évident. La répétibilité est complète. Les honoraires des avocats sont déterminés par le code, au centime près, même pour les procédures à l'amiable. Cette situation facilite la démarche des assureurs; les actuaires disposent de tous les outils pour calculer une prime adaptée.

En Belgique, les honoraires d'avocats ne sont pas toujours transparents; ils sont parfois élastiques. Il est donc plus délicat de calculer le montant de la prime.

M. Mahoux ne sait pas quelles sont les conséquences pour les assureurs puisque, répétibilité ou pas, avec un nombre de contrat identique ils ne savent jamais d'avance si la cause sera gagnée ou perdue. Dès lors que les montants des honoraires sont plus ou moins fixés, et puis ils savent naturellement pour quels montants d'honoraires ils vont assurer leurs clients. Si le montant n'était pas relativement fixé, la répétibilité n'aurait pas de conséquences sur le coût pour les compagnies d'assurances, sur la base d'une assiette identique, puisque, de toute manière, les compagnies ne rémunéreront pas moins leurs actionnaires en cas de problème. Si le coût est plus important, la prime sera plus importante. C'est de toute façon l'assuré qui payera.

L'intervenant aimerait connaître les conséquences réelles pour l'assuré, car c'est bien de lui qu'il s'agit finalement, sauf à adopter une disposition qui interdirait de répercuter les coûts sur la prime. Mais cela n'aurait qu'un temps: après deux ou trois ans, on entendrait des lamentations qui finiraient sans doute par être rencontrées.

Élément supplémentaire: la répétibilité risque d'augmenter l'assiette, c'est-à-dire le pourcentage de personnes couvertes. Cependant, de toute façon, les assurés sont quand même répartis entre les gagnants et les perdants.

Est-il exact que les clients choisissent leurs avocats et que le niveau des honoraires n'est pas un élément de nature à limiter leur choix ? Si ce n'est pas le cas, la répétibilité ne changera rien, à assiette égale, au coût pour les compagnies d'assurance.

M. Daemen répond en tant qu'assureur dans le domaine de la protection juridique car pour les assureurs RC, il s'agirait en principe d'une augmentation.

Un client en litige vient voir l'assureur en protection juridique. Si le litige est simple, il sera résolu à l'amiable. Il n'y aura pas de procédure judiciaire et pas de répétibilité.

Si une solution à l'amiable n'est pas possible, l'assureur donnera un avis au client sur les chances de succès d'une procédure judiciaire. Parfois, l'avis consiste à faire remarquer au client que le niveau de l'indemnité proposée dans le cadre d'une solution à l'amiable est conforme aux normes en la matière et à lui conseiller de l'accepter. Le client est confronté à un choix: soit il suit l'avis, soit il refuse. Il consulte alors l'avocat de son choix. La première chose que celui-ci devra faire sera de donner un avis sur l'avis de l'assureur. Il y a donc des filtres.

Actuellement, il n'existe pas de statistiques, puisque la répétibilité n'existe pas. L'intervenant estime que les assureurs gagnent dans deux cas sur trois, peut-être même trois cas sur quatre. Le système de filtre préalable à la procédure judiciaire augmente la proportion des clients gagnants. Les statistiques pourraient montrer une amélioration mais il faudra étudier la réalité des chiffres avant de diminuer les primes, comme le suggère le préopinant.

Une autre possibilité pour les assureurs en protection juridique serait d'utiliser l'augmentation de leur marge de manœuvre pour offrir de nouvelles garanties, dans des domaines du droit jusqu'alors exclus du champ d'application, comme le divorce, la construction, etc.

Le préopinant prétend que les assureurs ne manqueront jamais de rémunérer leurs actionnaires, ce qui est exact puisqu'ils sont des sociétés commerciales. C'est également pour cette raison qu'ils ont intérêt à augmenter leurs parts de marché en offrant des produits attrayants pour le consommateur et pour les avocats, car c'est bien une opération win-win.

D. Audition d'une représentante de la FEB/VBO

Mme De Greef signale en premier lieu que la FEB n'a pas d'autres intérêts dans cette question que la plupart des autres justiciables. Elle représente tant des grandes entreprises que des PME et toutes peuvent gagner ou perdre des procès devant les divers tribunaux. Les arguments avancés par l'intervenante sont donc davantage de nature générale et ne sont pas tellement centrés sur les intérêts des sociétés. Ils rejoignent fort les intérêts d'Assuralia, qui en a de spécifiques dans cette question.

Après le récent arrêt de la Cour de cassation et ses conséquences, le premier souci est la sécurité juridique. C'est pourquoi l'intervenante applaudit l'initiative visant à déposer et à examiner une proposition de loi à ce sujet. La sécurité juridique signifie une prévisibilité aussi grande que possible et donc une compétence discrétionnaire du juge aussi limitée que possible. C'est pourquoi la FEB soutient la proposition visant à adapter l'indemnité de procédure actuelle. Cela garantit notamment la plus grande sécurité juridique quant aux frais de procédure et donne une réponse au fait qu'actuellement, l'indemnité de procédure revêt plutôt un caractère purement symbolique.

L'intervenante est également convaincue que des contestations supplémentaires relatives au montant des frais ne peuvent devenir des procès dans le procès et qu'on peut alors plaider davantage sur le fond de l'affaire. Elle pense également que cette méthode peut garantir au mieux le traitement équitable des parties au procès.

Elle voudrait s'étendre brièvement sur une proposition concrète qui n'est pas directement mentionnée dans la proposition de loi et qui vise à adapter les montants des indemnités de procédure proportionnellement aux montants réclamés. Il semble préférable de le faire en fonction de la contestation pour laquelle le juge détermine d'abord l'importance de la somme en litige. Puisqu'aucune limite n'est établie en Belgique, des sommes véritablement astronomiques sont parfois réclamées alors que le litige ne porte que sur une partie du montant total.

Concernant la compétence du tribunal, la FEB pense qu'elle doit être limitée autant que possible à la moitié ou au double des défraiements, tel que proposé.

L'intervenante voudrait réagir aux arguments en faveur des autres propositions pour la récupération des honoraires d'avocats. La FEB ne peut défendre l'argument selon lequel une telle mesure stimule la responsabilité des parties et les empêcherait d'intenter un procès à la légère. La question de la responsabilisation des justiciables doit être située dans le cadre plus large de la solution des conflits. En cas de conflit, il importe que les parties recherchent la manière la plus adéquate de le résoudre. Des modèles de rechange comme l'arbitrage et la médiation doivent être pris en compte à cet égard.

La FEB a mené une enquête à ce sujet auprès des sociétés et leur a demandé comment elles gèrent les conflits. L'objectif n'était pas seulement de savoir si elles se pourvoient souvent devant les tribunaux mais aussi si elles ont recours à la médiation ou à l'arbitrage. La FEB veut surtout sensibiliser les entreprises au fait qu'une décision doit être prise, que l'on doit y réfléchir et qu'il existe différentes options. C'est pourquoi elle estime que prendre en compte la répétibilité des honoraires des avocats lorsqu'on se demande si on va se pourvoir devant le tribunal n'est pas une bonne idée.

On affirme que la répétibilité peut abaisser le seuil financier permettant d'avoir accès aux tribunaux. L'intervenante pense que cela peut jouer dans les deux sens.

Le fait que le juge puisse à l'avenir statuer en équité ne donne pas beaucoup plus de sécurité aux parties. L'intervenante pense que toute la question doit être traitée dans un cadre plus large et qu'il importe que le législateur réfléchisse à la manière dont il peut sensibiliser le citoyen pour que celui-ci prenne la meilleure décision possible quant à la façon de résoudre son conflit. La répétibilité ne peut jouer un rôle à cet égard.

Selon M. Hugo Vandenberghe, pour la FEB, il n'est peut-être pas sans importance que les frais soient déjà pris en charge par l'État dans les procédures sociales. Appliquer la répétibilité ici aussi revient à ce que l'État paie les dépens de toutes les parties qui perdent leur procès dans une affaire sociale. Nous ne pouvons négliger ce point. Nous ne pouvons pas décider simplement de rendre les honoraires des avocats récupérables dans les affaires sociales et de ne rien changer d'autre car cela augmenterait énormément les dépenses publiques.

Il y a là un grand problème.

M. Rogge répond qu'on pourrait exclure les honoraires des avocats qui interviennent dans des affaires sociales.

Mme De Greef avoue qu'elle n'a pas réfléchi à la question puisqu'ils ne sont de toute façon pas partisans de la répétibilité des honoraires des avocats.

M. Hugo Vandenberghe demande si la FEB est alors favorable à une loi qui prenne ses distances avec l'arrêt de la Cour de cassation.

Mme De Greef répond que la FEB soutient la proposition visant à adapter l'indemnité de procédure, tout en demandant qu'il y soit précisé clairement si cela se fait sur la base de la somme réclamée ou de la somme contestée.

M. Hugo Vandenberghe souligne que la proposition ne concerne que les affaires civiles et est en ce sens incomplète. Elle ne porte pas sur les affaires sociales, fiscales et administratives. Reste la question de savoir si l'indemnité de procédure doit être étendue à ces domaines également.

M. Mahoux convient que cette question est digne d'intérêt mais pas nécessairement pour les employeurs, dans la mesure où, quelles que soient les décisions des juridictions du travail, cela n'a pas beaucoup de conséquences pour eux, sauf pour l'assurance-loi qui, par définition, concerne davantage l'assureur, lequel pourrait éventuellement répercuter le coût sur la prime d'assurance-loi.

Par contre, cette question trouve toute sa pertinence dans le domaine des juridictions des tribunaux du travail. En effet, la règle absolue est la gratuité des recours. L'intervenant ne veut pas comparer le cheval et l'alouette, mais en l'occurrence, on sait quelle est l'alouette quand il s'agit d'établir des recours. La suppression de la gratuité des recours modifierait fondamentalement les règles, sauf pour les actions téméraires et vexatoires. Cela vaut dans les tribunaux du travail, en ce qui concerne les conflits du travail, mais ces derniers sont également compétents en ce qui concerne les recours par rapport aux décisions de l'INAMI et des organisations mutualistes. Il serait intéressant de les entendre à cet égard.

Si on excluait les juridictions du travail et tout ce qui concerne la sphère sociale, ce serait au moins un premier pas dans l'opposition que peut manifester la FEB par rapport à la répétibilité, car telle est apparemment sa position. Sans remettre en question la répétibilité, il est possible d'exclure tout ce qui concerne les juridictions du travail et la gratuité des recours. Modifier cet aspect reviendrait à remettre en cause les fondements même ...

M. Hugo Vandenberghe souligne que personne ne défend ce point de vue. On se pose seulement la question de savoir si l'État belge doit payer les frais de justice, y compris les honoraires des avocats.

M. Mahoux estime qu'il est impossible de voter une loi selon laquelle la collectivité serait indirectement chargée de prendre en charge la totalité de ce qui ne l'est pas actuellement.

M. Hugo Vandenberghe renvoie au Fonds pour les indemnités des accidents médicaux. Tout le monde devra payer. Il y a toujours deux poids et deux mesures.

M. Mahoux répond que le problème est un peu différent. On aura l'occasion de discuter de la couverture générale des aléas thérapeutiques. Dans ce cas, il s'agit d'inverser un rapport de forces, en faveur du plus faible. On le sait, le patient est confronté à un parcours du combattant pour faire reconnaître ses droits, lorsqu'il s'agit de déterminer la responsabilité, l'opportunité d'introduire une action au civil ou au pénal, etc. Cela demande du temps et des moyens que tout le monde n'a pas. Il s'agirait donc, dans ce cas, de corriger une inégalité.

Dans l'autre cas, on rendrait inégale une situation qui est assez équitable actuellement, dans la mesure où la partie faible — la personne qui introduit le recours — bénéficie de la gratuité. La différence est évidente mais c'est une considération éminemment politique.

M. Rogge signale qu'une autre question se pose. Si l'on suit l'arrêt de la Cour de cassation, il faudra éviter le double emploi avec l'indemnité de procédure.

M. Hugo Vandenberghe partage ce point de vue.

Selon M. Rogge, suivre la doctrine de la Cour de cassation signifie que l'on considère les honoraires comme un élément du dommage.

M. Hugo Vandenberghe indique qu'en Belgique, l'intérêt est une amende. Cela n'a plus rien à voir avec les prix du marché.

M. Rogge souligne que, dans les autres pays, c'est 2 %, 2,5 %, 3 %. Sur cette question aussi, le Conseil des ministres a délibéré deux fois et a échoué deux fois.

M. Hugo Vandenberghe comprend que si les honoraires sont récupérables, il ne faut pas en faire une norme de droit matérielle mais il faut en faire une norme de droit procédurale, à savoir une indemnisation forfaitaire des frais de justice, y compris un forfait pour l'indemnité de l'avocat, non soumis à l'indexation.

Mme Nyssens indique qu'il n'y a pas que la question du contentieux social qui pose problème en ce qui concerne le champ d'application du système. Le contentieux du divorce et le contentieux familial sont, eux aussi, délicats. Dans ces matières, il n'y a en général pas de perdant ou de gagnant. Les frais sont donc très souvent compensés. L'expérience de droit comparé montre que dans les faits, les juges compensent les frais par moitié. En pratique, ces règles subissent des aménagements.

Selon M. Hugo Vandenberghe, c'est l'équité qui joue.

Mme Nyssens estime que les mesures annoncées aboutiront à ce qu'il y ait de moins en moins de perdants et de gagnants. Le contentieux familial n'est pas une matière privilégiée pour appliquer ce principe. En Italie, par exemple, qui connaît le principe de répétibilité, les règles relatives à la compensation des frais sont retenues dans 95 % du contentieux. Le principe est une chose, la pratique en est une autre.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que ce ne sera pas le cas si l'on applique le système à la partie civile dans les affaires pénales. Dans les affaires pénales, les demandes des parties civiles ne sont pas rejetées dans 95 % des cas. Au pénal, quand on est poursuivi, on est condamné dans 80 % des cas, approximativement.

M. Mahoux demande si l'on pourrait au pénal, exclure l'État d'une règle générale qui serait la répétibilité.

M. Hugo Vandenberghe répond négativement.

M. Mahoux demande si le parquet, qui représente la société, perdrait son procès au motif que l'inculpé n'est pas condamné.

M. Hugo Vandenberghe répond que c'est la partie civile qui perd le procès.

M. Mahoux demande ce qui se passerait pour l'État, dans un cas comme celui-là.

M. Hugo Vandenberghe répond que, si le parquet perd, l'État paie les frais de justice mais, au pénal, les honoraires de l'avocat ne font pas partie des frais de justice. Il n'est pas évident de modifier cela. La question se pose pour la partie civile. Dans bien des cas, la partie civile peut introduire son recours au pénal ou au civil. Au civil, elle pourrait récupérer les frais d'avocat, alors qu'au pénal, c'est impossible. C'est un véritable problème.

M. Rogge demande si l'État dédommage actuellement l'indemnité de procédure.

M. Hugo Vandenberghe répond qu'il n'y a pas d'indemnité de procédure au pénal.

L'intervenant propose la solution suivante. L'indemnité de procédure est adaptée comme dans la proposition se trouvant sur la table, avec maintien du champ d'application actuel. Cela signifie que toutes les réglementations particulières, divergentes, restent en l'état. Dans toutes les autres procédures — Cour d'arbitrage, Conseil d'État, affaires sociales, affaires pénales, affaires fiscales — les frais d'avocats ne sont pas récupérables. Le contentieux le plus proche de cette solution, à savoir l'action civile traitée par le juge pénal, exigera dès lors que l'indemnité soit considérée comme un élément du dommage et invoquera à ce propos l'arrêt de la Cour de cassation. C'est pourquoi il faut déjà déterminer dans la loi que les honoraires d'avocats ne peuvent jamais constituer un élément du dommage. Tout cela est évidemment possible sur le plan technique.

E. Audition de représentants d'organisations syndicales

Mme Duroi explique qu'elle travaille au service d'étude de l'ABVV. Les syndicats occupent une place importante dans le droit procédural social. Dans certaines procédures légales, ils peuvent intervenir comme partie au procès en tant qu'organisation, mais en vertu de l'article 728, § 3, du Code judiciaire, ils peuvent aussi faire représenter leurs membres par un délégué, soit employé, soit ouvrier. Des milliers de dossiers sont ainsi traités chaque année. Pour les travailleurs, la majeure partie du contentieux social est traitée par les syndicats.

C'est pourquoi l'impact financier des propositions de loi n'est pas sans intérêt pour les organisations syndicales et leurs membres. L'intervenante signale immédiatement qu'elle a eu assez peu de temps pour réfléchir à la question à l'examen, de sorte qu'elle n'a pu faire aucune consultation approfondie et encore moins une étude fouillée. La position retenue est donc provisoire. L'intervenante souhaiterait que la proposition soit aussi soumise aux partenaires sociaux au sein du Conseil national du travail, pour leur donner la possibilité d'adopter un point de vue officiel sur l'impact de la répétibilité des honoraires des avocats sur le droit procédural social.

Le syndicat est en effet persuadé qu'une initiative législative est nécessaire. À la suite du jugement de la Cour de cassation, le système actuel présente aussi des risques pour le droit social. D'aucuns affirment que l'impact est minime mais l'intervenante n'en est pas persuadée. Une réglementation est donc bel et bien nécessaire.

Il y a deux possibilités. Soit la réglementation n'est pas déclarée applicable aux procédures en matière de droit social. L'avantage est qu'un équilibre s'instaure entre les parties, entre les représentants des travailleurs et des employeurs, et que l'effet éventuellement dissuasif est annulé.

Soit on établit une réglementation qui s'applique également au droit social, mais ce n'est acceptable qu'à la condition que les parties au procès représentées par un avocat soient traitées de la même manière que les parties représentées par un délégué syndical. Un membre d'un syndicat peut être défendu ou faire défendre ses droits par un délégué qui, au nom de ce membre, peut accomplir tous les actes relevant de cette représentation: plaider, recevoir des communications, etc. Autrement dit, le défenseur syndical a les mêmes compétences qu'un avocat. Dans le système actuel, fixé par un arrêté royal de 1970, l'indemnité de procédure est réservée aux parties représentées par un avocat et n'est dès lors pas attribuée aux personnes faisant appel à un syndicat. Il serait équitable que la partie adverse, dont l'attitude peut parfois donner lieu à des interventions du délégué syndical, supporte également sa part des frais de ces actions. Il est en tout cas inéquitable qu'une partie puisse tirer avantage du fait que l'autre partie fait appel aux services du syndicat.

On avance souvent comme motif pour refuser une indemnité de procédure à des défenseurs syndicaux que le travailleur n'aurait pas de frais. Ce n'est pas toujours le cas. Un membre du syndicat n'est pas représenté par ce dernier devant un tribunal dès le premier jour de son affiliation. Dans la plupart des cas, le syndicat exige une période minimale d'affiliation. Si le membre ne l'a pas atteinte, il doit parfois payer une contribution. En outre, un membre d'un syndicat mis en tort dans une procédure de droit social est presque toujours redevable d'une indemnité de procédure parce que l'employeur se fait représenter par un avocat. C'est une situation quelque peu anormale et peut-être le moment est-il venu de la redresser.

Quant au contenu, deux systèmes sont possibles. Soit l'indemnité de procédure existante est adaptée aux montants maximums forfaitaires et une possibilité d'égalisation est donnée au juge, soit on établit une réglementation de frais, avec des montants maximums ou non, et le juge peut statuer sur l'équité. D'une manière générale, il faut se demander dans quelle mesure les réglementations peuvent avoir un effet dissuasif sur l'accès à la justice. Les systèmes sans réglementation forfaitaire sont les plus dangereux à cet égard parce qu'ils entraînent une insécurité quant aux frais auxquels on peut s'attendre. Cela peut avoir pour effet que les procédures de principe ne sont plus menées parce que les employés ou leurs organisations craignent le coût des honoraires. C'est pourquoi nous préférons un projet de loi qui fixe l'indemnité de procédure sur la base de barèmes, donc de montants forfaitaires, par exemple sur proposition des ordres des avocats. Ainsi l'intéressé sait dès le début à combien peuvent s'élever les frais.

Reste bien entendu la question de savoir à combien peuvent s'élever ces montants. L'intervenante a quelques réserves à formuler concernant les montants que les ordres des avocats ont déjà proposés et qui varient de 150 à 15 000 euros pour les actions évaluables en argent, et un barème de base de 1 200 euros pour les actions qui ne le sont pas. Pour les procédures de sécurité sociale, nous sommes partisans soit de ne pas appliquer de barèmes, soit de maintenir les barèmes actuels de l'indemnité de procédure.

L'organisme d'assurances sociales contre lequel le procès est mené paie en tout cas l'indemnité de procédure au travailleur qui se fait représenter par un avocat. Si nous augmentons ces montants, cela entraîne une lourde charge financière pour la sécurité sociale. Une augmentation n'est donc certainement pas indiquée mais éventuellement un statu quo, voire une suppression.

Pour les autres procédures de droit social, l'intervenante craint que les montants soient parfois trop élevés et puissent agir de manière dissuasive. Elle donne l'exemple d'un travailleur protégé qui est licencié en violation des dispositions légales. Il revendique une indemnité de protection, qui peut s'élever à l'équivalent de quatre ans de salaire. D'après les propositions faites par les ordres des avocats, le barème peut, dans ce cas, s'élever à 5 000 euros. Un travailleur débouté non seulement sera ensuite sanctionné par l'ONEM, ce qui lui occasionnera une perte de revenus, mais devra aussi payer une indemnisation de 5000 euros, ce qui ne fera qu'alourdir la sanction.

L'intervenante donne encore un deuxième exemple. Dans le cas de procédures intentées par des entreprises en vue de faire reconnaître le motif grave, on appliquerait le tarif de base de 1200 euros. Ici aussi, un travailleur débouté se voit infliger une sanction par l'ONEM, et doit également débourser ces 1200 euros. La question qui se pose est de savoir s'il ne faut pas exclure cela dans pareilles procédures intentées pour des raisons sociales, à supposer bien entendu qu'une réglementation pour le droit social soit élaborée.

Les nombreuses procédures dans le cadre des élections sociales, comme l'organisation de celles-ci, la détermination des unités techniques d'entreprises, des listes de candidats, des listes d'électeurs, etc. constituent un autre problème. Appliquer le barème de base proposé de 1200 euros entraînerait un coût important et pourrait avoir une répercussion sur la concertation sociale et le fonctionnement des organes dans les entreprises.

Il y a encore le problème des procédures collectives instaurées par différents travailleurs. Si l'intervenante comprend bien, on propose de fixer une seule indemnité de procédure. Comment doit-elle être calculée ? Si tous les travailleurs réclament des arriérés de salaire et si tous ces montants sont additionnés, on arrive à un montant de base élevé et l'indemnité de procédure est également très importante.

Les trois propositions de loi donnent au juge la possibilité de moduler les montants pour des raisons d'équité ou d'intervenir dans des situations manifestement excessives. Dans l'intérêt de la sécurité juridique, l'intervenante est partisane d'un tel système d'égalisation, mais les critères de celle-ci doivent alors être clairement fixés pour éviter toute discussion au cours de la procédure sur ce qui est ou non équitable et une nouvelle augmentation de l'ensemble des frais. En outre, il faut aussi attirer l'attention sur la situation spécifique des tribunaux du travail. Ils comprennent aussi, outre un juge d'appel, deux juges sociaux — l'un représente les employeurs et l'autre les travailleurs — qui se retrouvent peut-être dans une situation difficile s'ils doivent se prononcer sur l'équité.

Une solution possible est le doublement de l'indemnité de procédure actuelle, sans autre possibilité de récupération et avec ouverture aux délégués syndicaux. Ce dernier point demeure pour le syndicat « la » condition. Ce système ne s'appliquerait pas aux procédures relatives à la sécurité sociale. Une autre possibilité consiste à s'en tenir à la réglementation actuelle, mais à l'exclusion des procédures de droit social.

L'intervenante conclut. Si on prend une réglementation qui ne s'applique pas au droit social, il n'y a aucun problème.

Une réglementation qui s'applique effectivement au droit social doit s'ouvrir à toutes les parties au procès qui se font représenter.

Le syndicat préfère un système forfaitaire où l'on tient compte des situations spécifiques du droit social, de la sécurité sociale et de quelques autres procédures, ainsi que des situations spécifiques des travailleurs qui, dans de nombreux cas, lors de la perte d'un procès, sont déjà lourdement sanctionnés d'une autre manière et perdent ainsi souvent aussi des revenus.

Le juge statue sur l'équité mais de préférence sur la base de critères évidents.

Enfin, le syndicat est favorable à une consultation du Conseil national du travail.

M. Palsterman, représentant de la CSC/ACV, estime qu'une initiative législative paraît effectivement nécessaire.

L'arrêt de la Cour de cassation ne vise pas toutes les situations. Par ailleurs, si l'on voulait aller dans le sens contraire, il faudrait le dire. Les syndicalistes ne sont pas tellement demandeurs de la répétibilité des frais de défense, en tout cas dans le contentieux qui les concerne, sans toutefois y être opposés.

La récupération des frais de défense peut, de prime abord, paraître sympathique mais les syndicats redoutent un effet « conservateur » sur l'application du droit. Qui osera encore soutenir un procès à l'issue incertaine, sachant qu'il risque de devoir aussi supporter les frais de la partie adverse ? L'intervenant utilise le terme « conservateur » au sens intellectuel mais, dans le domaine qui nous occupe, le sens intellectuel rejoint assez bien l'aspect politique ou l'aspect social.

Les syndicats ne sont pas enthousiastes à l'égard de ce principe. S'il devait être établi, ils estiment que le juge devrait avoir un pouvoir d'appréciation. La proposition, qui situe cela dans la procédure des indemnités forfaitaires, serait un point de départ mais elle devrait être nuancée par deux autres propositions qui sont sur la table, prévoyant des critères permettant de moduler ou d'abandonner le principe de la répétibilité en fonction de la nature du litige ou de la situation sociale des parties. La condamnation aux frais de défense en justice de la partie adverse ne devrait pas être un effet automatique de la perte du procès.

La Cour de cassation ne limitait pas le principe aux frais d'avocat. Elle parlait des frais de défense en justice en général. On peut aussi parler des frais d'expert et de la défense par un défenseur qui n'est pas avocat. L'intervenant songe aux délégués syndicaux et, dans certains contentieux, à d'autres personnes telles que des délégués d'une organisation de défense des plus pauvres. Le principe qui serait établi devrait donc s'appliquer aux avocats et aux autres défenseurs.

En ce qui concerne le contentieux de la sécurité sociale au sens large, englobant l'aide sociale et les accidents du travail, il faudra trouver une solution spécifique. D'une part, il serait inacceptable que la perte du procès implique l'obligation pour l'assuré social de supporter les frais de défense en justice de l'organisme de sécurité sociale qui était partie au procès mais, d'autre part, il y a une façon plus utile de dépenser l'argent de la sécurité sociale que de payer les frais d'avocat des justiciables qui contestent une décision.

Il faudra donc trouver une solution équilibrée, sans méconnaître le principe que les frais de justice sont normalement à charge de la sécurité sociale mais sans que ces frais de justice ne comprennent les frais de la défense en justice de l'assuré social.

M. Mahoux croit comprendre que la première démarche consisterait, par rapport à l'arrêt de la Cour de cassation, à exclure, à titre subsidiaire, tout ce qui relève des juridictions du travail.

Il faudrait creuser la question des frais de procédure de la partie qui est représentée par des non-avocats — il s'agit en réalité de salariés — et en déterminer les conséquences.

Enfin, les justices de paix seraient également concernées, notamment pour les expulsions, puisqu'une série de problèmes sociaux ne relèvent pas des juridictions du travail.

Dès lors, comment imaginer la prise en charge collective des frais de procédure, c'est-à-dire la rétribution des intervenants mandatés par les interlocuteurs sociaux ?

M. Hugo Vandenberghe répond que le syndiqué ne doit pas payer de frais de justice. Donc, il n'y a pas de répétibilité.

M. Palsterman signale que la Cour d'arbitrage a confirmé la constitutionnalité du fait que l'indemnité de procédure n'était due que si le justiciable était défendu par un avocat, mais il semblerait logique qu'il puisse aussi l'obtenir quand il est défendu par un délégué syndical.

M. Hugo Vandenberghe demande à qui l'indemnité de procédure serait payée puisque le syndicat n'a pas de personnalité civile.

M. Palsterman estime que cela fait partie des choses qui doivent se régler entre le défenseur et le justiciable. La CSC prend les frais de justice en charge. Quand elle gagne ce procès, elle les récupère.

Ce serait la meilleure solution. Si on ne souhaite pas aller jusque-là en ce qui concerne l'indemnité de procédure traditionnelle, il faudrait quand même le faire pour les frais de défense en justice en tant que tels. Le fait que la défense ne soit pas le monopole du barreau fait partie des spécificités des juridictions du travail. Cela contribue à un esprit qu'il convient de conserver. Il serait absurde, pour de mauvaises raisons, c'est-à-dire la possibilité de récupérer des frais de défense en justice, de renoncer à un principe du Code judiciaire. Nous plaidons pour que la loi en gestation, même si elle se situe dans le cadre de l'indemnité de procédure, réserve un sort spécifique aux personnes qui ne sont pas défendues par des avocats au sens strict.

La question ne concerne pas seulement les délégués syndicaux. D'autres organisations sont appelées à comparaître devant les juridictions du travail, notamment dans les affaires relatives à l'aide sociale et au revenu d'intégration. Il serait incorrect que le principe ne soit pas d'application quand le justiciable est défendu par quelqu'un qui n'est pas avocat.

Il faudrait, comme tout le monde l'a dit, trouver une solution pour les litiges en matière de sécurité sociale, de façon que le justiciable qui perd son procès ne soit pas en plus obligé de payer les frais de défense en justice de la partie adverse, en évitant toutefois d'aboutir à l'effet inverse, à savoir que les budgets administratifs de la sécurité sociale ne soient sensiblement augmentés pour couvrir les frais de défense en justice des assurés sociaux. Il y a moyen d'investir l'argent de la sécurité sociale à meilleur escient.

Mme Sofie Schockaert, représentante de la CGSLVB/ACLVB, dépose la note suivante:

« Selon la doctrine de l'arrêt de cassation du 2 septembre 2004 les frais d'assistance et de défense peuvent constituer un élément de dommage répétible, dans la mesure où ils sont raisonnablement nécessaires. Ces frais doivent toujours être appréciés in concreto.

Quelle est la conséquence de ce principe en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, et plus précisément pour les travailleurs qui se font représenter par des délégués d'une organisation représentative des travailleurs ?

Nous savons que le travailleur peut être représenté devant les juridictions du travail par un délégué d'une organisation représentative des travailleurs, porteur d'une procuration écrite, qui peut accomplir en son nom les diligences que cette représentation comporte (art. 728, § 3, alinéa 1er du Code judiciaire). Ce mandataire agit donc de la même manière qu'un avocat, sans toutefois être avocat.

La jurisprudence estime que l'indemnité de procédure n'est pas due à une partie qui se fait représenter par un mandataire syndical. En effet, la Cour d'arbitrage a jugé que la relation financière entre le justiciable et son avocat était différente de celle existant entre le justiciable et son mandataire, étant donné que ni l'organisation syndicale ni le délégué ne réclament au justiciable des sommes dont la nature et le montant seraient comparables aux frais et aux honoraires d'un avocat.

Cependant, conformément à l'arrêt du 2 septembre 2004 de la Cour de cassation, le mandataire qui, à l'avenir, perdra un procès dans lequel le juge estime que les frais d'assistance juridique de la partie adverse sont nécessaires, sera tenu de payer les frais et les honoraires d'avocat de la partie adverse. Ces frais peuvent toutefois être élevés, si bien que le syndicat sera contraint de les répercuter sur le salarié justiciable, en cas de perte du procès. Cela changera donc la relation financière qui existe entre le justiciable et son mandataire.

C'est la raison pour laquelle il semble indiqué que la répétibilité des frais de défense par le biais de l'augmentation de l'indemnité de procédure (comme le proposent MM. Hugo Vandenberghe et Jan Steverlynck) ne soit pas limitée aux cas où un avocat est intervenu, étant donné que les mandataires du syndicat accomplissent le même travail que les avocats.

En outre, si le champ d'application n'est pas étendu, le traitement à l'égard de l'employeur sera différent selon la personne qui représentera le travailleur. En effet, si le travailleur est représenté par un avocat et qu'il obtient gain de cause, l'employeur sera tenu de payer les frais d'assistance juridique. En revanche, si le travailleur sollicite l'aide juridique d'un mandataire, l'employeur ne devra pas payer les frais d'assistance juridique.

Mais le problème qui nous occupe est qu'en principe, l'assistance juridique apportée par un mandataire ne coûte rien au travailleur, étant donné qu'elle est comprise dans la cotisation syndicale.

Les frais d'assistance et de défense par un mandataire syndical ne constitueront donc pas un élément du dommage. Mais si l'intéressé perd le procès, il sera redevable des frais d'assistance juridique de la partie adverse qui a eu recours à un avocat.

Tout cela aura pour effet de limiter l'accès à la justice. En effet, les travailleurs justiciables hésiteront davantage à porter une affaire devant le tribunal s'ils courent le risque d'être condamnés à payer les frais d'assistance juridique de la partie adverse, et ce, bien que l'article 23 du Code judiciaire considère le droit à l'aide juridique comme un droit fondamental.

Nous pouvons donc douter de l'opportunité d'une décision visant à permettre, en principe, la répétibilité des frais d'assistance et de défense dans les affaires relevant du droit du travail.

Toutefois, la situation est différente en matière de sécurité sociale. En effet, dans des affaires relatives à des prestations de sécurité sociale ou à l'aide sociale où il faut se prononcer sur une action intentée par ou contre un bénéficiaire, l'autorité ou l'organisme de sécurité sociale est toujours condamné aux dépens, sauf en cas de demande téméraire ou vexatoire.

Dans les litiges relatifs à la sécurité sociale ou à l'aide sociale, la répétibilité des frais d'aide juridique semble donc n'être utile que pour les actions en responsabilité intentées contre un organisme de sécurité sociale. En outre, les affaires de ce type font véritablement partie de la catégorie des procédures où les honoraires et les frais d'assistance et de représentation peuvent être récupérés, dans certaines circonstances, en tant qu'élément du dommage.

En conclusion, nous pouvons affirmer que le chaos règne actuellement sur le terrain. Le législateur doit intervenir d'urgence pour mettre fin à cette situation confuse. En tout cas, le dernier mot n'a pas encore été dit à ce sujet. »

Mme Schockaert déclare que le problème est qu'il subsiste en tout cas pour des frais à charge des travailleurs dans les procédures sociales.

Selon M. Hugo Vandenberghe, on peut aussi considérer que la personne qui paie l'assistance judiciaire paie la prime et que la protection juridique paie l'avocat. La cotisation d'affiliation pourrait donc contenir une partie de la prime de protection juridique. Tout cela doit être résolu sur le plan juridique. Devons-nous changer quelque chose à l'ensemble du contentieux social ? C'est là la grande question politique et c'est pourquoi cet aspect doit expressément figurer dans la loi. Certains procès devant le tribunal du travail relèvent de la jurisprudence de cassation.

M. Willems souligne qu'il était très intéressant d'entendre les différents points de vue sur cette question. La discussion sur les honoraires des avocats et leur remboursement résulte non pas du contentieux social, mais du fait que des différends purement civils sont parfois portés devant le juge à la légère et que l'on pousse ainsi d'autres à la dépense.

Selon Mme Nyssens, il ressort des trois exposés que la question soulevée de manière assez technique par la Cour de cassation ne peut être résolue sans prendre en considération la nature du contentieux soumis aux juridictions du travail, leur composition et la manière dont le justiciable y est défendu. La question est avant tout politique. L'intervenante estime qu'il faut exclure toutes ces juridictions du champ d'application de la loi en préparation.

F. Audition de représentants de Test-Achats et du CRIOC

Audition de M. De Bie, représentant de Test-Achats

L'orateur donne l'exposé suivant:

« Tout dommage doit être indemnisé. Complètement et sous tous ses aspects. Ce grand principe souffrait toutefois jusqu'ici une exception importante: le justiciable devait supporter lui-même les frais d'avocats consentis pour obtenir d'un tribunal l'indemnisation complète à laquelle il pensait pouvoir prétendre. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ces honoraires n'étaient qu'une modalité de l'exercice du droit au dédommagement, et ne faisaient donc pas partie du dommage proprement dit.

Un arrêt de la Cour de cassation du 28 février 2002 avait entrouvert la voie, mais c'est un arrêt non motivé du 2 septembre 2004 qui l'a complètement ouverte. Le manque de motivation a laissé place à des interprétations larges justifiant une intervention législative.

Test-Achats demande dès lors, pour assurer la sécurité juridique, d'inscrire dans la loi la récupération des frais d'avocats.

La récupération des honoraires d'avocat aura sans doute une influence sur l'accès à la justice. D'une part, les consommateurs hésiteront moins maintenant à s'engager dans une procédure pour obtenir réparation. D'autre part, le risque de devoir rembourser les frais d'avocat de la partie adverse devrait empêcher qu'on engage « à la légère » certains procès. Vu le caractère toujours aléatoire de l'issue d'une action en justice, on devrait aussi assister à une augmentation des procédures de conciliation, sensiblement moins chères et moins éprouvantes.

Reste à savoir quelle est la meilleure façon pour régler la récupération des honoraires. Test-Achats est pour une augmentation substantielle des indemnités de procédure. Les barèmes actuels des indemnités de procédure sont largement insuffisants et expliquent, selon nous, les demandes de restitution des honoraires. La solution serait donc de prévoir un système d'indemnités qui tienne compte de la réalité.

Des voix s'élèvent pour barémiser les honoraires d'avocats. Le manque de transparence est évident. Cependant, et encore faut-il qu'un tel système ne soit pas en contradiction avec le droit européen, il faut éviter de créer des contestations supplémentaires en alourdissant la charge de travail des magistrats. Certains justiciables pourraient en effet interjeter appel pour contester l'attribution d'une indemnité de sorte que la discussion sur le fond devrait être refaite.

Test-Achats plaide pour une augmentation substantielle et l'indexation de l'indemnité de procédure, assortie d'une plus grande transparence des tarifs et honoraires. »

2. Audition de M. Meirsman, représentant du Centre de recherche et d'information des organisations de consommateurs (CRIOC)

M. Meirsman donne l'exposé suivant:

« Le droit d'accès aux tribunaux et celui d'y être défendu par un conseiller professionnel qui travaille en toute indépendance est un des piliers fondamentaux de notre démocratie. Il n'est pas acceptable que ce droit soit limité, notamment en raison de l'indigence financière des justiciables. C'est dans ce cadre que le CRIOC a eu le privilège d'être invité à la commission de la Justice du Sénat (le 7 décembre 2005) afin de présenter sa position face aux propositions à l'étude. L'accès à la justice implique par ailleurs que la justice puisse être rendue dans des délais raisonnables, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.

Le Centre de recherche et d'information des organisations de Consommateurs (CRIOC) ne désire pas prendre position pour l'une ou l'autre des trois propositions de loi qui sont actuellement à l'étude à la commission de la Justice du Sénat. Par contre, toutes ces propositions de loi concernent la problématique de la répétibilité des frais de justice et visent, dans l'esprit de leurs éminents auteurs, à améliorer l'accès à la justice. Nous tenons dès lors à préciser notre position sur la répétibilité des frais d'assistance juridique et technique.

Concrètement, toute personne qui fait appel à la justice est généralement persuadée d'avoir subi un dommage et de son droit à la réparation de ce préjudice (du moins s'il s'agit de litiges en tant que tels et pas de décision relative par exemple à l'« état civil »). Sûr de ses droits avant d'avoir recours à la justice, le consommateur va faire la balance entre ce qu'il espère obtenir de la justice, le temps que cela prendra, les frais encourus ainsi que les impondérables. Par ailleurs, toute personne lésée sait parfaitement qu'elle ne part pas gagnante d'avance. Tout dépendra de l'appréciation des magistrats, ce qui crée un risque supplémentaire.

Dans ce contexte, la mesure proposée permet-elle de limiter le risque ou de restreindre le coût d'accès ? Nous ne le pensons pas. Nous craignons cependant trois effets pervers à cette mesure. L'effet que nous qualifierons d'effet économique. Si les frais d'assistance juridique et technique sont in fine à charge de la personne qui perd le procès, le conseil d'un plaignant qui s'estime dans son bon droit aura tôt fait de persuader son client que le montant de ses honoraires peut être très important dans la mesure où il ne devra vraisemblablement jamais les acquitter. Par conséquent, nous pensons que la mesure risque d'augmenter les honoraires des avocats.

Deuxième effet, la perspective d'avoir à payer les frais d'avocats de la partie adverse va décourager un certain nombre de personnes à faire appel à la justice. Ce sera en particulier le cas de toutes les personnes ne disposant que de revenus limités, s'ils savent que la partie adverse est à même de se payer les meilleurs avocats. D'aucuns pourraient argumenter que cette personne disposant de revenus limités pourrait elle aussi faire appel aux meilleurs avocats; mais dans les faits ce n'est pas le cas, parce qu'elle ne connaît pas le montant de ces frais et que les conséquences d'un échec pour ce consommateur fragilisé sont sans commune mesure avec ce qu'il adviendrait pour son adversaire. D'un côté, il s'agit de tout perdre, de l'autre il s'agit d'une dépense acceptable. Pour finir, on va créer une discrimination entre ceux qui auront eu la bonne idée ou les moyens de se payer une assurance de défense en justice et qui systématiquement iront en justice, d'une part, et ceux pour qui le risque est trop important, d'autre part.

Nous ne partageons donc pas l'idée selon laquelle la répétibilité des honoraires d'avocat, en tant que telle, soit un système qui relève de l'équité et de l'intérêt du justiciable. De plus, la répétibilité des frais d'avocats soulève de nouvelles questions, comme celle de l'évaluation des honoraires d'avocats.

Pour faciliter l'accès à la justice, une mesure visant à barémiser les honoraires d'avocats serait sans nul doute plus efficace et moins perverse. Car ce qui rend l'accès à la justice difficile aujourd'hui, c'est le coût d'accès à la justice. Ce coût dépend d'une part des honoraires des avocats mais également de l'incertitude quant à la durée, qui empêche toute estimation sérieuse du coût total des frais de plaidoirie par exemple. Le problème c'est que cette mesure nous semble pratiquement impossible à mettre en œuvre.

Nous ne pensons pas non plus qu'il faille opter pour un système de forfait (comme dans une des propositions) car, dans la pratique, deux cas apparemment semblables peuvent nécessiter un travail très différent. Un forfait est donc pratiquement impossible à déterminer.

Néanmoins, si la commission décide de donner suite à l'arrêt du 2 septembre 2004 de la Cour de cassation, nous pensons qu'il faut plutôt laisser une liberté totale au juge pour fixer en toute équité le montant des dépenses répétibles (système français) ... mais en fixant des maxima en fonction des revenus.

Supposons par exemple que l'arbre de M. X tombe sur la maison de son voisin Y. Logiquement, celui qui perd le procès est M. X, à qui l'arbre appartient. En conséquence, il lui faudra payer les frais d'avocat de celui qui gagne et donc, en équité, le juge le condamnera. Mais pour ne pas le ruiner (parce que son adversaire Y aurait fait appel à un avocat très renommé), les revenus de M. X qui a perdu seront pris en considération, et il pourrait être décidé que les honoraires ne peuvent dépasser x mois de ses revenus nets.

Il pourrait être également décidé de limiter ces maxima au seul cas où la partie succombante est un consommateur.

Ainsi, si l'arbre appartient à une société ou à la commune, il n'y aurait pas de limitation. Les maxima ne pourraient donc jouer contre le consommateur que s'il est face à un autre consommateur.

Nous pensons que pour faciliter l'accès à la justice, la première chose à faire serait d'augmenter les plafonds en dessous desquels une personne a droit à avoir un avocat pro deo. La deuxième chose à faire serait de développer les mécanismes de règlement extrajudiciaires. En matière de consommation par exemple, au vu des faibles montants en jeu, il convient de développer des systèmes de médiation efficaces et indépendants.

Ce point soulève une autre question: si celui qui gagne son procès a un avocat pro deo, faut-il que celui qui perd paie l'avocat pro deo ou rembourse l'État ? Et à quel tarif ? Nous pensons que oui: peu importe que ce soit un remboursement à l'État ou un paiement direct de l'avocat. Cela permettrait de décharger l'État de certaines dépenses et de disposer de moyens pour augmenter les plafonds donnant accès à un avocat pro deo. Pour le tarif, nous ne voyons pas pourquoi l'avocat pourrait demander plus que ce qui est prévu dans le système de points (tarif du pro deo).

Certaines propositions parlent aussi de cas ayant trait à la sécurité sociale, à la fiscalité, etc. Ces cas seraient-ils exonérés de la répétibilité des frais d'avocats ? Nous ne sommes pas d'accord: si l'administration fiscale fait une erreur, pourquoi ne devrait-elle pas payer les frais d'avocat du contribuable ? Nous croyons donc qu'il serait mieux de laisser la possibilité au juge de condamner la « partie succombante » dans toutes les matières. »

3. Échange de vues

Mme Laloy demande des précisions sur la manière dont se passe, à l'heure actuelle, la médiation à laquelle M. Meirsman a fait référence.

M. Meirsman répond que ce système est généralement financé par l'entreprise ou les entreprises. Ainsi, le médiateur pour les télécoms est financé par l'ensemble des sociétés de télécoms.

Le médiateur joue un rôle d'intermédiaire entre l'entreprise et les personnes qui rencontrent des problèmes avec cette entreprise. Il s'efforce de dégager des solutions acceptables tant pour l'entreprise que pour le client lésé, qui peut être un consommateur, ou bien aussi une autre entreprise.

On peut ainsi éviter de mettre en branle l'appareil judiciaire pour des cas dont l'enjeu est finalement très limité.

Mais ce système n'existe pas dans toutes les matières. Par exemple, dans le secteur de la distribution, vu le nombre très élevé de distributeurs, il est beaucoup plus difficile de mettre en place un système de médiation.

Cela n'empêche pas certaines grandes entreprises d'avoir leur propre système d'accueil des plaintes des clients, qui fonctionne plus ou moins bien.

M. Hugo Vandenberghe évoque le problème des factures d'hôpitaux impayées. Les tribunaux des villes où sont établis de nombreux hôpitaux sont souvent inondés d'affaires de ce type. Les jugements sont généralement rendus par défaut. Comment évaluera-t-on ce genre de litiges ? Ne pourrait-on pas organiser une procédure de médiation pour les grands hôpitaux ?

M. De Bie a l'impression que les hôpitaux eux-mêmes ont intérêt à envisager la médiation, le cas échéant en collaboration avec les CPAS. En effet, les frais de procédure sont élevés et les chances d'aboutir à un remboursement effectif sont plutôt minces.

M. Hugo Vandenberghe en déduit que le précédent intervenant ignore que les hôpitaux appliquent déjà la médiation. Il importe de savoir si les lois que le parlement adopte sont appliquées dans les faits. A-t-on dégagé les moyens nécessaires pour que la médiation fonctionne réellement dans la pratique ?

M. De Bie répond que l'information du consommateur constitue un facteur essentiel. La plupart des consommateurs ignorent totalement l'existence des médiateurs de dettes. En revanche, la Commission de conciliation construction fonctionne bien parce qu'elle fait beaucoup de publicité.

Les tribunaux assimilent les expertises de la Commission de conciliation construction à des expertises judiciaires. Ces expertises sont contradictoires et sont d'ailleurs soumises à des délais très courts. L'expert doit commencer sa mission dans les deux semaines et il dispose d'un délai de trois mois pour la mener à bien. Il y a peu, la Commission des litiges voyages a également mis sur pied un service de médiation.

M. Hugo Vandenberghe demande qui supporte les frais de procédure dans le cadre de telles commissions.

M. De Bie répond qu'en ce qui concerne la Commission de litiges voyages, la partie demanderesse doit payer une provision qui correspond à 10 % du montant de sa demande en dommages et intérêts, avec un minimum de 100 euros. Au final, c'est la partie succombante qui doit supporter les frais. Devant cette commission, il est très rare que les parties se fassent assister par des avocats. Les commissions sont censées être très accessibles et les avocats ont souvent tendance à compliquer les affaires.

M. Hugo Vandenberghe objecte que l'absence d'avocat implique parfois que l'on ne statue pas en connaissance de cause. La responsabilité du maître d'ouvrage et de l'architecte constitue par exemple une matière extrêmement délicate et complexe (en cas de vices cachés, les délais de citation sont notamment très courts).

Mme Talhaoui souligne que M. De Bie plaide pour l'augmentation et l'indexation de l'indemnité de procédure. Ne craint-il pas que, cette augmentation pour certains justiciables ne rende l'accès à la justice encore plus difficile ?

M. De Bie insiste sur les avantages d'un système aussi simple que possible. Dans le système proposé, il n'y a pas de facteur d'incertitude. On connaît la valeur du litige et on sait exactement quelle indemnité de procédure est en jeu. L'intervenant plaide en faveur de pareil système transparent.

M. Meirsman pense que l'un des problèmes essentiels d'accès à la justice réside dans le risque encouru. Le justiciable sait qu'il entre dans un processus qui risque de durer fort longtemps. Or, dans ce cas, le temps représente de l'argent. Le risque en tant que tel est donc déjà un frein important à l'accès à la justice.

Dans la mesure où elle diminue fortement le risque, l'intervenant déclare qu'il n'a aucune objection à l'égard de la proposition de Test-Achats en la matière. S'il a développé d'autres pistes, c'est parce qu'elles lui paraissent plus proches de l'arrêt de la Cour de cassation.

G. Audition d'un représentant des mutualités

1. Audition de M. Houtevels, directeur du département juridique de l'Alliance des Mutualités chrétiennes

L'orateur donne l'exposé suivant:

« Le droit à l'accès à la justice est un des principes de base de tout État de droit moderne.

Chaque État de droit qui se respecte a d'ailleurs ancré ce principe dans sa Constitution. En outre, il est également repris dans une série de dispositions conventionnelles supranationales ayant un effet direct ou non sur la législation nationale.

Les composantes de ce droit accès à la justice peuvent être ramenées à trois grands piliers:

— le droit à l'accès pour le citoyen individuel à une instance judiciaire

— le droit à un traitement correct et honnête par cette instance

— le droit à une assistance juridique, en ce compris pour les moins favorisés.

Les mutualités se réjouissent donc, en tant que défendeurs des droits du justiciable social, que l'on veuille prendre des initiatives en vue d'abaisser le seuil financier d'accès à la justice.

L'exigence relative à l'accès financier, à l'assistance juridique n'est toutefois pas neuve. Déjà en 1948, sous la pression syndicale exercée dans le cadre de la législation sur les accidents de travail (loi du 20 mars 1948), il avait été prévu que les assureurs loi devaient toujours prendre à leur charge les frais de justice et ce indépendamment du fait que la victime soit déclarée en droit ou non. En 1970, ce principe fut inscrit au Code judiciaire (art. 1017) et étendu à tous les litiges en matière de sécurité sociale.

Bien que cette règle d'exception n'ait qu'une portée limitée, elle n'est pas sans intérêt.

En limitant le risque de la perte d'un procès au simple investissement pour le paiement des frais d'avocat (qui sont inexistants si on fait appel à une représentation par le biais d'un syndicat), on voulait en effet assurer la situation juridique de l'assuré social individuel vis-à-vis de la partie adverse institutionnalisée.

Si le législateur souhaite préciser le caractère récupérable des frais d'avocat, il devra par ailleurs également préciser dans quelle mesure l'article 1017 du Code judiciaire reste inchangé.

Même si on arrive à une tarification des frais d'experts et d'avocats, cela représenterait un énorme pas en arrière pour l'assuré social s'il devait assumer la perte d'une procédure.

On ne peut en effet perdre de vue que les organismes de sécurité sociale sont des utilisateurs professionnels ou institutionnels du droit qui, tant en interne qu'en externe, disposent de bien plus de compétence que l'assuré social individuel. Une enquête a démontré que ce qu'on appelle les « one shotters » ont nettement moins de chance d'emporter une affaire.

En outre, se pose le problème du préfinancement: tant que le justiciable doit avancer les frais, le seuil financier reste d'application en première instance; ce n'est en effet qu'à la fin du parcours qu'il recevra éventuellement un « remboursement ».

Une réécriture de l'article 1017 postulant que les organismes de sécurité sociale devront également, dans tous les cas, supporter les frais d'avocats de cet assuré ne représente un pas en avant que pour ceux qui ne font pas appel à l'assistance d'un syndicat et cela représente, en outre, un surcoût pour la sécurité sociale. S'ajoute encore la question de savoir si ces organismes recevront, dans ce cadre, des subventions supplémentaires.

Les mutualités sont chargées de l'exécution de l'assurance maladie et assurent l'application correcte de la réglementation en la matière. Dans ce contexte, elles interviennent en tant que demanderesses et défenderesses dans les litiges avec des assurés sociaux, des prestataires de soins, d'autres instances au sein du monde de la santé comme l'INAMI, les tiers responsables ou des assureurs privés. La théorie qu'a développée la Cour de cassation en matière de récupération de frais d'avocats était basée sur la notion classique de faute. Cette théorie ne peut toutefois pas être simplement transposée à la sécurité sociale.

En raison de la spécificité du droit social, les propositions de loi soulèvent une série de questions auxquelles, en tant que mutualité, nous voulons une réponse précise du législateur avant de pouvoir prendre position.

Les mutualités ont une série de dossiers contre leurs propres affiliés. L'expérience nous apprend que la majorité de ces affaires sont gagnées par les mutualités. L'accès à la justice de l'assuré social n'est dans ce cas absolument pas compliqué étant donné qu'à l'heure actuelle, en raison de l'application de l'article 1017 du Code judiciaire, il ne doit supporter aucun coût.

Cela reste-t-il encore d'application ? Si tel n'est pas le cas et que la partie « perdante » doit payer les frais, l'accès à la justice pour le justiciable serait fortement limité.

La proposition dans le cadre de laquelle le juge décide de manière autonome ex æquo et bono du montant à attribuer implique le risque que dans chaque affaire, une discussion complémentaire relative à l'importance des honoraires doive être menée et qu'une importante insécurité soit créée quant au montant qui sera alloué par le juge.

La proposition qui prévoit une majoration de l'indemnité de procédure impliquera, par l'application de l'article 1017, une forte augmentation des frais pour les organismes de sécurité sociale. Les pouvoirs publics en sont-ils conscients ? Qui supportera ce surcoût: les pouvoirs publics ou les organismes de sécurité sociale ?

Les mutualités ont également une série d'affaires en cours contre d'autres organismes, comme par exemple l'INAMI, le Fonds des maladies professionnelles, ...

Ce système sera-t-il également d'application ou sera-t-il limité uniquement aux personnes physiques et non pas aux personnes morales ?

Les mutualités interviennent également pour leurs affiliés soit en subrogation, soit en assistance juridique.

Lorsque la mutualité et l'assuré social désignent un avocat, la partie responsable devra-t-elle payer les honoraires de ces deux avocats ?

Que se passe-t-il dans une affaire où un important nombres de parties sont concernées (par exemple, des dossiers d'erreurs médicales dont la victime, la mutualité qui agit en subrogation, plusieurs médecins, l'hôpital, des compagnies d'assurance de tous ces médecins, et de l'hôpital, interviennent) ? Si, finalement, une personne est déclarée responsable ou si le dossier de la victime est rejeté, celle-ci doit-elle alors payer les honoraires de toutes les parties concernées ?

Que se passe-t-il lorsque les mutualités assurent leur rôle d'assureur en assistance juridique ? Les mutualités peuvent-elles également exiger une indemnité ?

Comment pourra-t-on veiller à ce qu'une intervention totale ou partielle dans les frais des honoraires des avocats n'engendre pas une majoration des honoraires des avocats ?

Une intervention dans les frais d'un avocat n'aboutira-t-elle pas à ce que les experts demandent une augmentation de leurs honoraires (qui sont déjà aujourd'hui tarifés dans les affaires pour les tribunaux du travail ?

Que se passera-t-il si les parties décident, en cours de procédure, de régler l'affaire à l'amiable ? Devront-elles personnellement assumer les frais ou y aura-t-il également une intervention dans les frais de la partie (perdante) ? Cette mesure ne constituera-t-elle pas un frein à ce que les justiciables et/ou leurs avocats tentent de résoudre leurs problèmes en dehors des tribunaux ?

Les mutualités demandent dès lors avec insistance de reprendre ces éléments dans les discussions. »

M. Houtevels ajoute, à propos des factures d'hôpital, qu'il faut être attentif au fait qu'en vertu des conditions générales prévues par certains hôpitaux, le patient doit faire face, en cas de non-paiement, à des intérêts conventionnels ou au paiement d'une somme forfaitaire à titre de sanction, et qu'il faudrait éviter un cumul de sanctions.

2. Échange de vues

Quant au dernier point soulevé par l'orateur, M. Hugo Vandenberghe fait observer que ce genre de pénalité existe dans d'autres secteurs que celui de la santé. Il existe aujourd'hui des systèmes d'amende automatique là où, auparavant, l'intervention du juge était requise.

Le problème est donc complexe, et une intervention du législateur est nécessaire.

À propos de l'hypothèse où un grand nombre de personnes sont impliquées dans un dossier relatif à une erreur médicale commise dans un hôpital, le même intervenant souligne que, dans ce cas, la personne préjudiciée n'a pas le choix: elle est obligée de citer tout le monde.

La question soulevée par le représentant des mutualités est donc judicieuse: s'il y a plusieurs débiteurs, ne faut-il pas un règlement spécifique ?

M. Houtevels indique que, dans les litiges complexes, les mutualités essaient, avant de conseiller à son affilié d'aller en justice, d'avoir un contact avec le prestataire de soins et son assurance, pour tenter d'obtenir un règlement ou une expertise à l'amiable. L'existence d'une telle démarche pourrait constituer un élément d'appréciation pour le juge.

À propos des honoraires des experts, M. Hugo Vandenberghe rappelle les propos tenus dans l'affaire d'Outreau par l'expert, qui avait déclaré que la qualité de l'expertise était en relation avec le niveau des honoraires de l'expert. Cela ne constitue évidemment pas un bon argument.

L'intervenant souligne que les lenteurs de l'appareil judiciaire sont souvent dues au mauvais fonctionnement de l'expertise. Les autres activités de l'expert sont en effet mieux rémunérées que les missions judiciaires.

À propos des assurances défense en justice proposées par les mutualités, Mme Laloy demande si elles sont financées par l'assurance complémentaire, ou pour partie par l'assurance obligatoire, et ce qu'elles couvrent réellement.

Ont-elles un type de couverture identique pour toutes les mutualités, ou est-ce un pur produit de l'assurance complémentaire mis sur le marché par les mutualités ?

M. Houtevels répond qu'il s'agit d'un produit de l'assurance complémentaire, financé par les cotisations des affiliés.

C'est un service statutaire, voté par les assemblées générales, et agréé par l'Office de contrôle des mutualités. Il peut exister des nuances entre organismes assureurs, mais les grandes lignes sont les mêmes.

On conseille l'intéressé, et l'on essaie toujours de trouver une solution à l'amiable. Ce n'est vraiment que si l'on croit la demande fondée que l'on va entamer une action en justice.

Pour les accidents thérapeutiques, cela couvre l'analyse du dossier par une équipe de juristes et de médecins-conseils, le contact avec le prestataire et le médecin de l'assurance, une négociation à l'amiable et, en cas de procédure, on avance les frais d'avocat et d'expertise. Si l'on échoue, ces frais restent à charge du service.

Mme Laloy demande que soient communiquées aux membres de la commission les statistiques disponibles quant au nombre de cas plaidés par an pour l'ensemble des mutualités.

M. Hugo Vandenberghe souligne que se pose aussi, de manière indirecte, la question d'une réglementation du contrat de services, matière qui a fait l'objet, dans le passé, d'une directive, mais où la norme européenne n'a pas été exécutée. L'intervenant demande également si l'on a une idée de l'arriéré existant en matière de paiement des factures d'hôpital.

M. Houtevels répond que, d'après les informations fournies par les médiateurs de dettes à Bruxelles, les soins de santé figurent parmi les dettes qui reviennent le plus souvent. Cela s'explique notamment par le fait qu'il y a, dans les factures d'hôpital, de plus en plus de matériel non remboursé par la sécurité sociale et de suppléments.

H. Audition de

— M. Jean-François Van Drooghenbroeck, professeur de droit judiciaire à l'UCL;

— M. Jacques Laffineur, avocat au barreau de Bruxelles;

— M. Bertrand De Coninck, avocat au barreau de Bruxelles;

— M. François Glansdorff, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, avocat;

— M. Bart De Temmerman, collaborateur scientifique à la KUL et référendaire à la Cour de cassation.

1. Exposés de M. Jean-François Van Drooghenbroeck, professeur de droit judiciaire à l'UCL, de M. Jacques Laffineur et de M. Bertrand De Coninck, avocats au barreau de Bruxelles

M. De Coninck commente tout d'abord l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004. Son application difficile devant les juridictions de fond a effectivement donné lieu à une insécurité juridique.

Voici plus d'un an, une après-midi d'étude avait été organisée sur la portée de cet arrêt, au cours de laquelle une série de problèmes avaient été évoqués.

On ne peut que constater que ces problèmes se rencontrent effectivement aujourd'hui devant les juridictions de fond.

Le seul point faisant l'objet d'un consensus est que la répétibilité, dans le contentieux indemnitaire, joue tant en matière contractuelle qu'extracontractuelle.

Par contre, on avait pu insister à l'époque sur le fait que, lorsque la demande était déclarée non fondée, le défendeur ne pouvait pas obtenir d'indemnisation, sauf à établir que le demandeur avait commis un abus de droit, ou à introduire lui-même une action reconventionnelle sur la base de la responsabilité du demandeur.

Certains y voyaient une discrimination qui ne passerait pas la rampe du contrôle de constitutionnalité. Deux questions préjudicielles sont en effet posées à la cour d'Arbitrage, par la cour d'appel de Liège et par le tribunal correctionnel de Louvain, ce qui génère une insécurité supplémentaire.

Quant à la nécessité de l'intervention d'un conseil pour mener à bien la procédure, la majorité des décisions reconnaissent cette nécessité lorsqu'une procédure est introduite, mais certaines décisions, qui apparaissent choquantes, écartent d'un revers de main cette nécessité.

Il existe notamment, à la cour d'appel de Mons, une décision en matière pénale, qui a refusé à la partie civile toute indemnisation pour les frais d'avocat, dans des circonstances extrêmement choquantes. Il s'agissait d'une personne qui avait été extraite de sa voiture, droguée et violée, le tout à proximité de ses enfants.

Malgré le fait que le prévenu, assisté, lui, d'un avocat, avait soulevé une multitude d'arguments, tirés, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, la cour a estimé qu'en matière pénale, la victime ne devait pas obligatoirement recourir aux services d'un avocat car elle pouvait, par simple déclaration à l'audience, greffer son action sur l'action publique. Une décision du tribunal correctionnel d'Ypres va dans le même sens, estimant qu'accorder une telle indemnisation constituerait un frein à la justice au pénal.

On voit donc que l'appréciation du critère de nécessité peut aboutir à des situations tout à fait inéquitables.

Une remarque similaire vaut pour la jurisprudence qui écarte toute répétibilité quand la procédure lui apparaît non complexe, par exemple dans certains cas de récupération de créances.

En matière contractuelle se pose aussi le problème de l'article 1153 du Code civil qui prévoit que, lorsqu'il s'agit de récupérer une dette de sommes, le dommage se limite aux intérêts légaux. Cette disposition a reçu, de la part des auteurs, des interprétations diverses. Là encore, il règne une insécurité juridique, les juridictions de fond statuant en sens divers.

Quant à l'évaluation du montant de l'indemnité, la question du secret professionnel est omniprésente. On sait que plusieurs ordres d'avocats ont interdit à leurs membres de produire leurs états de frais et honoraires.

Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que cette injonction ne liait pas le juge. Sur ce point également, la jurisprudence présente une diversité étonnante. Certains magistrats estiment que rien n'empêche le dépôt des états d'honoraires (tribunal de commerce de Turnhout, tribunal de première instance de Liège, tribunal de première instance de Bruxelles ...). Dans ce cas, le magistrat refuse d'accorder une indemnisation ex aequo et bono pour tenter de fixer un montant in concreto sur la base de ce qui a été réellement payé à l'avocat.

Par contre, d'autres magistrats semblent accorder ab initio une indemnisation ex aequo et bono, en faisant parfois référence aux recommandations, notamment, de l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles.

Ce flou juridique est préjudiciable aux intérêts du justiciable et ne peut être accepté, d'autant que les avocats se trouvent dans une situation très délicate.

Ils sont parfois soumis à des décisions de réouverture des débats ordonnant la production des états de frais et honoraires. Ce dépôt lui étant déontologiquement interdit, l'avocat doit se dessaisir au bénéfice d'un autre avocat.

Il y a donc certainement, par rapport à l'application de l'arrêt de la Cour de cassation, une insatisfaction.

L'année écoulée semble être, selon l'intervenant, une période d'essai, dans un système où le juge avait une grande latitude pour apprécier si une indemnité devait être accordée, même guidé par les règles de la responsabilité quasi-délictuelle.

Or, l'insécurité prévaut.

Il faut veiller à encadrer le pouvoir de modulation de l'indemnité par le juge. Certaines notions doivent être clarifiées, comme celle de situation manifestement déraisonnable, conduisant à une possible réduction du montant de l'indemnité.

Vise-t-on l'équité et, si oui, que recouvre exactement cette notion ?

De même, qu'entend-on par « la partie qui a obtenu gain de cause » ?

Quid en cas de demandes croisées et partiellement fondées de part et d'autre ?

Enfin, le système organisé par les propositions à l'examen s'applique à tous types de litiges. Toutefois, l'une des propositions ne prévoit rien en matière pénale, où les indemnités de procédure ne s'appliquent pas. Ce point devrait être revu, car il pourrait donner lieu à une discrimination susceptible d'être sanctionnée par la Cour d'arbitrage.

La question de l'indemnisation des frais d'honoraires d'avocat est sortie du contentieux indemnitaire pour entrer dans le domaine du droit procédural, ainsi qu'il résulte des développements précédant les propositions.

L'intervenant constate avec étonnement que l'indemnité pour frais d'avocat, par sa nature même, semble susciter beaucoup de méfiance.

Dans tout le contentieux indemnitaire, tous les chefs de dommage font l'objet d'une indemnisation qui se veut intégrale (même si la jurisprudence montre que, pour les frais d'avocat, on n'arrive pas à cet objectif).

On tient compte d'une série de critères d'évaluation, progressivement développés par la jurisprudence. Les magistrats ne retiennent jamais comme critère l'équité ou la situation économique des parties, même lorsqu'ils statuent ex aequo et bono.

L'orateur s'étonne de ce que la nature même de l'indemnité fait que l'on éprouve le besoin, même dans le contentieux indemnitaire, d'empêcher une partie d'obtenir la réparation intégrale.

Enfin, la question se pose de l'opportunité d'un système généralisé dans tous les contentieux.


M. Van Drooghenbroeck expose que, moyennant quelques aménagements fondamentaux empruntés aux propositions de Mme Nyssens et de M. Destexhe, sa préférence va, essentiellement pour des raisons de pragmatisme légistique et juridictionnel, au système de la forfaitairisation des indemnités de procédure, substantiellement rehaussées, comme le propose le texte déposé par MM. Vandenberghe et Steverlynck, et l'OVB.

Neuf balises, qui sont autant d'arguments en faveur de ce système, pourraient, selon l'orateur, contribuer à une bonne réforme législative sur cette question.

1. Faut-il légiférer ? La répétibilité ne constituera-t-elle pas un frein à l'accès à la justice ?

Si, pour un demandeur qui serait intimidé par le système alors que sa prétention serait juste, l'on peut rencontrer des demandeurs « revigorés » qui, parce que le système de la répétibilité existe, prendront l'initiative de saisir les tribunaux d'une juste prétention, et des défendeurs qui hésiteront à résister de manière abusive aux prétentions de l'adversaire, alors, la répétibilité est une mesure judicieuse. Celle-ci est sous-tendue par un souci de responsabilisation du justiciable.

Le système forfaitaire des indemnités de procédure pourrait être considéré comme assez injuste, parce qu'il ne répare pas intégralement.

L'orateur attire l'attention sur l'opportunité de connecter la réflexion sur la répétibilité avec celle sur la mutualisation des frais de justice.

Si les indemnités sont répétibles et que, par ailleurs, le justiciables est doté d'une assurance de protection juridique, la différence entre le forfait et l'honoraire réel sera prise en charge par cette assurance.

On a dit que les assureurs ne voudraient jamais d'un tel système.

Cependant, ces assureurs de protection juridique, subrogés dans les droits des justiciables affiliés, percevront les indemnités de procédure en cas de victoire, ce qui conduira peut-être à un rééquilibrage des réserves arithmétiques des compagnies d'assurance.

Le présent débat est donc peut-être la première étape d'une réflexion plus longue, dans laquelle il faudrait inscrire la mutualisation des frais de justice.

Par ailleurs, si l'on s'oriente vers une réparation intégrale, le droit comparé démontre que le seul système praticable est celui de la barémisation des honoraires par la loi.

2. Faut-il adopter une loi ou laisser la question à l'appréciation prétorienne des tribunaux ?

Comme déjà dit, la jurisprudence a eu le mérite d'ouvrir une porte, mais elle est génératrice d'insécurité et d'inégalité.

La Cour de cassation, qui n'avait pas d'autre choix, a ouvert la porte de la réparation intégrale. Mais que de problèmes sont venus émailler le parcours du justiciable: le secret professionnel, la nécessité de l'intervention, l'ex aequo et bono, ...

En outre, seule la loi pourra garantir d'autres facteurs essentiels, comme la conformité de notre droit positif au droit européen, la prévisibilité et la transparence du système, le rétablissement et le maintien de l'égalité entre justiciables.

Une réforme semble urgente, vu le nombre et la densité des problèmes, sans entrer pour l'instant dans les considérations de lege ferenda développées ci-avant par l'intervenant.

3. Procéduraliser la question, c'est-à-dire en faire une question de droit judiciaire.

Il faut la sortir du terrain de la responsabilité, dans lequel la Cour de cassation l'a cantonnée. En effet, la maintenir dans le domaine aquilien ou contractuel, c'est créer un risque de discrimination.

4. La promotion et le rétablissement de l'égalité:

A) Sur un plan « micro-judiciaire »

Il est anormal et discriminatoire que le demandeur n'ait aucune preuve particulière à apporter pour obtenir la récupération de ses honoraires, tandis que le défendeur doit démontrer un abus procédural manifeste dans le chef de son adversaire.

B) Au niveau « macro-judiciaire »:

— une égalité ratione materiae

Pourquoi s'en tenir au droit de la responsabilité ? Le contribuable qui fait un procès à l'administration fiscale doit aussi, par exemple, pouvoir récupérer ses honoraires. Il en va de même des actions en cessation, du contentieux du droit des personnes et de la famille, de celui du travail, du contentieux pénal (à tout le moins pour la partie civile);

— une égalité ratione summae

Il n'est ni souhaitable ni normal qu'un divorce coûte plus cher à Arlon qu'à Louvain.

D'où l'idée d'une forfaitarisation dans le Code judiciaire au titre d'indemnité de procédure.

5. Sécurité, prévisibilité et transparence

Le système des indemnités de procédure présente, aux yeux de l'orateur, l'immense mérite que l'on sait à quoi s'en tenir.

En outre, dans le système de la forfaitarisation, tout le parcours est prévisible par avance. Au contraire, dans le cas de la réparation en équité, tout dépendra du travail de l'avocat et de ce qu'il va réclamer.

Au regard de l'objectif de prévisibilité, il faut également bien réfléchir à la question de l'évaluation de l'indemnité pour les affaires non évaluables en argent.

Il faut aussi envisager un système de majoration, à apprécier en fonction d'un catalogue de critères.

6. Effectivité, efficacité

Face à l'arriéré judiciaire, il convient de favoriser le principe d'économie de la procédure.

La nécessité de l'intervention de l'avocat, la détermination du montant, des discussions byzantines sur le secret professionnel de l'avocat, dédoublement de la prestation dû au fait que l'avocat ne peut lui-même plaider sur ses honoraires, dédoublement des audiences et avis du conseil de l'ordre consécutifs à l'allocations d'une indemnité provisionnelle, sont autant de facteurs de perte de temps.

Ces menaces sur l'effectivité du système peuvent même conduire à une perte d'effectivité de celui-ci.

L'intervenant se réfère à un récent colloque de l'Institut d'études sur la justice, où l'on a dressé un état des lieux très décevant de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile français, relatif à la réparation en équité.

La plupart des avocats hésitent à présenter leur note, les magistrats hésitent à faire droit à leur demande.

Le système italien, qui est celui de la réparation intégrale, est très révélateur: dans 85 % des cas, les magistrats compensent, pour des raisons plus irrationnelles qu'objectives.

7. La dignité et la praticabilité européennes de nos textes:

— au niveau des droits de l'homme, l'orateur ne trouve rien, dans la jurisprudence de la Cour européenne, qui permette de forcer la répétibilité, ni d'ailleurs son contraire. Tout au plus y a-t-il une ancienne recommandation du Conseil sur l'opportunité d'insérer un tel système dans nos législations.

À signaler qu'au niveau des juridictions européennes, c'est le système de la répétibilité qui s'applique: en vertu notamment de l'article 41 de la CEDH, l'avocat qui triomphe devant la Cour européenne présente sa facture, laquelle lui est remboursée en équité.

— au niveau du droit matériel européen (concurrence et liberté des prestations), il est certain que le système des barèmes professionnels, c'est-à-dire imposés par les ordres, est fermement condamné par la jurisprudence européenne. Il paraît acquis que le système des barèmes fixés par le législateur est admis, quoique les autorités allemande et italienne discutent actuellement avec la Commission sur ce point.

En Belgique, si l'on suit le système de la réparation forfaitaire par la voie de l'indemnité de procédure, il ne sera pas question de ces problèmes, car le législateur se bornerait à tarifer ce qui est récupéré, sans s'immiscer dans la relation avocat-client.

8. Souplesse, raison et équité bien contenues

Il faut, dans les fourchettes laissées par les indemnités de procédure, laisser au juge un pouvoir d'appréciation.

La question divise très partiellement l'OBFG et l'OVB.

Ce dernier propose un système « tertiaire »: soit l'honoraire, soit la moitié de celui-ci, soit le double de celui-ci.

L'OBFG confère au juge une latitude plus grande: entre le plafond maximum, qui est le même, et une somme minime, son pouvoir d'appréciation est entier.

L'orateur serait plutôt partisan de la seconde solution, pour des motifs inspirés de cas concrets. Ainsi, imaginons la vente d'un complexe commercial pour plusieurs dizaines de millions d'euros. L'acheteur assigne pour vice caché, et perd le procès, après 6 mois de procédure et 3 pages de conclusions sur la question du bref délai ou d'une prescription en matière contractuelle. Même la moitié de 45000 euros, cela reste une somme élevée pour l'adversaire qui a perdu le procès dans ces conditions.

À l'inverse, dans l'hypothèse d'un enlèvement international d'enfant, on sait ce que ce type de litige peut coûter en investissement à un bon avocat.

Dans ce cas, il est souhaitable d'accorder au juge une plus grande marge de manoeuvre.

À cet égard, il est judicieux d'insérer le système dans celui des indemnités de procédure du Code judiciaire, qui prévoit déjà une certaine souplesse. L'art. 1017 prévoit la possibilité, pour les parties, de conclure un accord.

Que faire, par ailleurs, dans le Code judiciaire, du contentieux de la sécurité sociale ? Actuellement, si un assujetti à la sécurité sociale assigne en justice l'ONSS ou l'INASTI, et perd son procès, à moins d'une action manifestement téméraire, c'est son adversaire qui supportera les dépens.

Mais qu'en sera-t-il lorsque l'indemnité de procédure recouvrira également les honoraires de l'avocat ? À titre indicatif, la France s'est engagée dans cette voie. En matière sociale, les honoraires de l'avocat de la partie succombante lui sont remboursés.

Quant aux hypothèses où l'on ne peut pas dire clairement qui triomphe, l'article 1017, al. 3, est très bien conçu pour le système que l'on envisage d'introduire: la compensation en cas de succombance partielle est laissée à l'appréciation du juge.

Il en va de même dans les litiges entre parents au 4e degré, pour des raisons touchant à l'intimité familiale.

Ne pourrait-on, dans certains cas, aller au-delà de l'indemnité forfaitaire de procédure ? Les textes proposés écartent cette possibilité, considérant qu'il s'agit d'un forfait absolu.

Quid en cas d'abus de procédure ? Le système actuel est celui de l'indemnisation intégrale. Imaginons le système de la réparation forfaitaire. L'assureur protection juridique du justiciable paie l'indemnité de procédure. Cela ne dissuade plus le justiciable agissant de manière téméraire, stupide ou méchante. Ne faudrait-il pas continuer à sanctionner ce dernier comme le fait la jurisprudence, d'autant que, dans les projets de réforme du Code judiciaire, l'idée d'une amende civile à tous les étages du procès a été abandonnée ? À titre indicatif, l'article 92 du Code de procédure civile italien, par exemple, s'engage dans cette voie.

9. La répétibilité et les justiciables les plus démunis

Pour les plus démunis, la répétibilité est globalement une très bonne chose.

Quid de l'indigent, qui obtient à la fois l'aide légale et l'assistance judiciaire, et qui perd son procès ?

Soit on applique le pouvoir de réduction du juge en équité, mais alors, peut-être faudrait-il envisager de permettre au juge de descendre au-dessous de la moitié.

Soit on décide que le justiciable qui obtient l'aide légale et l'assistance judiciaire est légalement dispensé d'indemniser son adversaire de l'indemnité de procédure couvrant ses frais d'avocat (sauf procès téméraire et vexatoire).

Quid de l'indigent qui gagne son procès, après avoir obtenu l'assistance judiciaire et l'aide légale ?

Légalement, l'État qui a fait l'avance des frais judiciaires et honoraires pro deo est subrogé dans les droits du justiciable.

Que faire de ces sommes ? L'orateur estime qu'il serait opportun de les réinjecter dans l'enveloppe budgétaire de l'aide légale. Pour rappel, l'État belge a été condamné pour insuffisance des budgets de l'aide juridique de première et de deuxième ligne.

Sur le plan logistique, comment l'État fait-il pour récupérer l'indemnité de procédure versée à l'indigent ? Cela pose des problèmes de secret professionnel. Selon certains, dont l'orateur ne partage pas l'opinion, l'avocat ne pourrait révéler que son client bénéficie de l'assistance judiciaire ou de l'aide légale.

On peut imaginer soit une condamnation à l'indemnité de procédure directement au bénéfice de l'État, bien qu'il ne soit pas directement partie à la cause, soit une subrogation légale, auquel cas il appartiendra à l'avocat de restituer loyalement l'indemnité de procédure à l'État.


M. Laffineur formule tout d'abord deux remarques générales.

Les propositions à l'examen tendent à montrer que le législateur fera probablement l'économie du débat sur l'accès à la justice, question cruciale qui se profile derrière celle de la répétibilité des honoraires des avocats, et qui préoccupe les juristes soucieux de la protection du consommateur et du justiciable en général.

L'orateur regrette qu'à la suite de l'arrêt audacieux de la Cour de cassation, ce débat et celui, tout aussi fondamental de la prise en charge du risque judiciaire de manière mutualisée, risquent d'être quelque peu escamotés.

C'est d'autant plus regrettable que la barémisation, qui y est directement liée, permettrait la prévisibilité dont il a été question, et que les autorités communautaires sont revenues un peu en arrière par rapport à l'opinion émise à la fin des années '80. À cette époque, on a retiré, d'abord en France puis en Belgique, tous les barèmes d'honoraires, au motif que ceux-ci constituaient des pratiques restrictives de concurrence.

Des arrêts assez récents de la Cour de justice montrent que cette réserve peut être aujourd'hui oubliée.

L'orateur craint aussi que, le jour venu, avec la jurisprudence qui va découler du nouveau système, on ne fasse que le corriger, sans envisager de le revoir.

À titre de seconde observation générale, l'orateur déclare qu'à titre personnel, il serait favorable au maintien de la formule selon laquelle, dans le cadre du contentieux indemnitaire contractuel et quasi-délictuel, il y a réparation intégrale. Cette idée est conforme au principe de la responsabilité et au simple bon sens.

Dans le domaine, notamment, de la responsabilité médicale, mais aussi dans le contentieux du droit de la construction s.l., où les procès sont généralement très coûteux pour les personnes privées qui intentent la procédure, l'arrêt de la Cour de cassation va dans le bon sens, et il serait dommage que la réparation intégrale y soit abandonnée, à l'occasion d'une réforme qui « universaliserait » la répétibilité à travers un système d'indemnité de procédure amplifiée.

L'orateur expose ensuite quelques balises qui lui paraissent à retenir dans le cadre de la présente discussion.

Si l'on abandonne l'enseignement de la Cour de cassation, il faut à tout le moins opter pour une application de montants d'indemnité de procédure forfaitaire qui soient élevés, ou qui offrent en tout cas une latitude suffisante pour atteindre des montants d'indemnisation du risque du procès qui se rapprochent le plus possible du résultat d'une réparation intégrale.

L'une des propositions de loi prévoit de demander l'avis des barreaux lorsqu'il appartiendrait au Roi de déterminer le montant des indemnités.

Pourquoi ne pas étendre la consultation à tous les représentants de tous les justiciables (associations de consommateurs, associations familiales, citoyennes, syndicales ...) ? Il existe une liste des associations qui siègent au Conseil de la consommation, ce qui pourrait constituer un bon critère.

Par ailleurs, il ne faut pas que le juge soit tenu par les montants d'indemnité lorsque le risque judiciaire n'a pas pu être apprécié de façon précise par le justiciable, soit parce qu'il a été mal conseillé, soit parce qu'il a agi sans avocat, soit en raison de la nature même du contentieux.

Dans ces cas, il importe que la partie succombante puisse perdre son procès sans être condamnée à quoi que ce soit au titre de la répétibilité.

Enfin, la loi doit prévoir que le juge puisse tenir compte de la situation économique des parties pour garder une totale liberté du point de vue de la répétibilité.

À cet égard, on dispose aujourd'hui d'une définition de ce que sont le consommateur, le professionnel et le litige de consommation.

Pourquoi ne pas prévoir que, dans ce type de litiges, le consommateur qui perd son procès ne devra jamais, en tant que partie la plus faible, indemniser le professionnel au titre de la répétibilité, que ce soit en demandant ou en défendant ? Du reste, les frais et honoraires versés à un avocat sont, dans le chef d'un professionnel, des charges déductibles fiscalement, ce qui n'est pas le cas du justiciable privé.

2. Exposé de M. Bart De Temmerman, collaborateur scientifique à la KUL et référendaire à la Cour de cassation

L'orateur tient tout d'abord à souligner que les propositions de loi à l'examen tentent d'apporter une solution à la situation créée par l'arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2004. L'intervenant souligne qu'il y a des différences importantes entre les deux systèmes proposés. Lors de l'élaboration d'un régime légal, il faudra dès lors se montrer particulièrement attentif à son impact potentiel.

En ce qui concerne l'arrêt de la Cour de cassation, il convient de souligner qu'il situait la répétibilité au niveau du rapport de droit matériel entre les parties, c'est-à-dire au niveau de la relation juridique telle qu'elle découle de la responsabilité contractuelle et extracontractuelle.

L'indemnité couvrant les frais d'assistance juridique et technique n'existe donc qu'en cas de manquement ou de fait dommageable. Si la responsabilité en cas de manquement ou d'acte dommageable constitue certes un vaste sous-domaine de l'activité judiciaire, il n'en est pas moins vrai que ce sous-domaine a été délimité avec précision. Dans ce domaine, la répétibilité porte en principe sur la totalité des frais. Force est de reconnaître que l'arrêt de cassation a un réel impact dans la pratique, mais cet effet n'est ni insurmontable, ni dramatique. La garantie « assistance en justice » joue en effet dans de nombreux litiges en responsabilité.

Sur le plan de la responsabilité contractuelle, on constate aussi une très grande réticence à appliquer la répétibilité des honoraires compte tenu de la clause pénale. On constate en pratique que les juges sont très réticents à accorder l'indemnité en question.

Si l'on abandonne le système existant et que l'on opte pour un régime légal, cela modifie fondamentalement la donne. Tout d'abord, il est proposé de régler la répétibilité non pas au niveau du rapport de droit matériel, mais au niveau du rapport découlant du procès entre le demandeur et le défendeur. Il n'y a donc plus aucun lien avec la matière à laquelle l'instance a trait, mais le champ d'application est universel. Tous les litiges régis par le Code judiciaire y sont soumis. À cela s'ajoutent les propositions visant à canaliser la répétibilité par le biais d'une tarification du montant à octroyer. La tarification implique sans doute aussi la limitation du montant récupérable, ce qui sera un bienfait pour bon nombre de secteurs (par exemple pour les litiges de consommation).

L'intervenant suspecte que pour certains secteurs, une telle limitation n'est en revanche pas souhaitable, par exemple en cas de litige en matière de droits intellectuels. Dans ce dernier cas, le secteur serait plus avantagé par une répétibilité complète des frais liés à l'assistance juridique. L'on devrait donc tenir compte des spécificités des litiges.

Un régime légal a un impact beaucoup plus grand sur l'accès à la justice celui qu'a la solution actuelle de la Cour de cassation. Les propositions à l'examen ont le mérite de régler le problème de la répétibilité au niveau du rapport procédural entre les parties et d'avoir ainsi une portée générale. Elles ont aussi le mérite de régler le problème au plan légal. À cet égard, l'intervenant peut souscrire aux recommandations du professeur Van Drooghenbroeck. Il considère toutefois que les propositions à l'examen n'ont pas été assez mûrement réfléchies du point de vue technique et politique.

Lorsqu'on applique le système de l'indemnité de procédure, on associe la répétibilité aux dépens, tels qu'ils sont régis par l'article 1017 du Code judiciaire. L'indemnité pour les frais d'avocats est ainsi considérée comme un élément de la condamnation aux dépens. La mise en œuvre de la répétibilité dépend alors de la nuance faite dans la condamnation aux dépens et de ses modalités d'application. L'intervenant estime que la formulation actuelle de l'article 1017 est quelque peu approximative ou que celui-ci est appliqué dans la pratique de manière peu nuancée. Il faut en effet s'attendre à ce que l'impact de la condamnation aux dépens soit bien plus important que ce n'est le cas actuellement.

Le principe consacré par l'article 1017 est que la condamnation aux dépens est subordonnée au fait d'obtenir ou non gain de cause. Il existe néanmoins une possibilité de compensation des dépens, soit sur la base du constat que les parties succombent respectivement sur quelque chef, soit entre parents ou alliés.

L'intervenant estime qu'il faudrait nuancer l'article 1017 de manière que le fait d'obtenir ou non gain de cause ne soit plus le critère prépondérant, mais plus largement un des critères permettant de déterminer les dépens à charge de chacune des parties. L'intervenant cite l'exemple d'une partie remportant un procès en degré d'appel. À l'heure actuelle, il est généralement admis que cette partie obtiendra une indemnité pour les frais exposés tant en première instance qu'en degré d'appel. Il faudrait adopter une conception qui permettrait de condamner malgré tout aux dépens exposés en première instance la partie qui a obtenu gain de cause, lorsqu'il s'avère que c'est en partie à cause d'elle que l'appel a dû être introduit, vu sa façon procéder lors de la procédure en première instance. L'intervenant renvoie sur ce point aux droits néerlandais, français et allemand. De même, les frais exposés inutilement ne devraient pas non plus pouvoir être imputés à la partie succombante.

L'intervenant fait par ailleurs observer que la proposition de loi de MM. Vandenberghe et Steverlynck ne prévoit rien pour les actions civiles introduites devant des juridictions pénales.

L'intervenant observe ensuite que toutes les propositions de loi à l'examen ne proposent en fait qu'une solution partielle au problème des frais de procédure. Elles se limitent en effet aux frais de l'aide juridique fournie par un avocat dans le cadre d'une procédure. Il existe cependant de nombreuses autres dépenses qui peuvent être exposées pour mener une action en justice, comme les frais d'un conseil technique dans le cadre d'une expertise. Il faudrait aussi élaborer un régime pour ces frais dans le cadre de la relation procédurale, comme il en existe aux Pays-Bas et en Allemagne.

En ce qui concerne les modalités de fixation des montants que le juge accorderait pour les frais d'aide juridique, l'intervenant estime que le système proposé semble assez mécanique. On fixe un forfait qui, s'il est manifestement déraisonnable, pourra être divisé ou multiplié par deux. L'intervenant considère que ce système est trop rigide et qu'il ne permet pas de prendre une décision juste dans tous les cas de figure.

Il rappelle par ailleurs que l'idée de régler la répétibilité des honoraires d'avocats par le biais de l'indemnité de procédure a suscité de nombreuses objections d'ordre technique. Une première difficulté réside dans le fait que le montant de l'indemnité accordée est lié au montant de la demande. Il faudrait aussi être attentif au montant finalement accordé par le juge. De même, le montant de l'indemnité est déterminé en additionnant les différentes demandes. Il est en tout cas recommandé de dissocier la demande principale et la demande reconventionnelle.

L'intervenant estime que le volume de travail à fournir constitue un critère bien plus déterminant que le montant de la demande. L'énergie totale que requiert une procédure devrait constituer le principal critère pour déterminer le montant de l'indemnité à accorder. L'intervenant fait référence au système néerlandais, plus nuancé. Le législateur néerlandais a fixé un forfait par tâche effectuée, qui dépend de l'enjeu de l'affaire.

M. Hugo Vandenberghe objecte que le système néerlandais équivaut à une forme de tarification.

M. De Temmerman fait remarquer que l'on dispose encore d'autres paramètres que le système de tarification qui est actuellement proposé par les Ordres. L'intervenant distribue un document contenant la liste des tarifs pratiqués dans le système néerlandais.

Il souligne qu'au moment de régler la répétibilité des honoraires d'avocats, le législateur devra aussi tenir compte de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. L'on suppose que l'indemnisation raisonnable pour les frais de recouvrement pertinents porte aussi sur les frais de recouvrement devant le juge. Selon l'intervenant, si le législateur règle la répétibilité des honoraires d'avocat en général, il n'y a plus de place pour un régime spécifique. C'est pourquoi l'indemnisation raisonnable doit être limitée aux frais de recouvrement extrajudiciaires.

Le législateur doit par ailleurs préciser dans quelle mesure des conventions relatives aux frais d'avocats répétibles peuvent être conclues préalablement à la naissance du litige. Il faudra répondre à la question de savoir si les clauses de dommages et intérêts relevant du droit commun peuvent y avoir trait. Cette possibilité est actuellement exclue par l'article 1023 du Code judiciaire.

L'intervenant souscrit à l'observation relative à la disposition qui prévoit que l'octroi de l'indemnité exclut toute autre indemnité pour les frais d'avocat. Il est bon de mettre l'accent sur la base procédurale, mais l'intervenant trouve qu'il est aussi nécessaire de permettre la récupération de l'ensemble des frais liés à l'aide juridique en cas d'abus de procédure. Le législateur ferait bien d'instaurer, dans certaines limites, la répétibilité des frais liés à l'aide juridique, afin de préserver l'accès à la justice. La partie qui agit en justice de manière abusive ne peut toutefois pas prétendre à cette protection et doit assumer pleinement les conséquences négatives que l'abus entraîne pour la partie adverse.

Enfin, l'orateur trouve nécessaire d'examiner en profondeur l'impact du régime de la répétibilité sur l'aide juridique de deuxième ligne et sur l'assistance judiciaire. On ne peut pas focaliser l'attention sur la répétibilité des honoraires d'avocat sans tenir compte du problème fondamental de l'impact de cette répétibilité sur l'accès à la justice. L'intervenant invite le législateur à concevoir un système très nuancé permettant d'exclure du bénéfice de la répétibilité certains secteurs tels que le droit de la famille ou les problèmes de consommation. Dans le droit procédural allemand, par exemple, les règles de répétibilité ne s'appliquent pas aux instances de divorce. On considère que dans ces procès, chaque partie doit supporter sa propre part des frais et dépens. On pourrait aussi envisager une limitation du montant à octroyer dans certaines matières (voir la tarification en vigueur aux Pays-Bas).

M. Hugo Vandenberghe souligne que le choix politique est simple: soit toutes les questions sont résolues par la jurisprudence, soit le législateur prend ses responsabilités.

M. De Temmerman souligne qu'un éventuel régime légal risque d'être beaucoup plus général et qu'il faut donc tenir compte des nombreuses implications que ce régime étendu peut avoir.

M. Hugo Vandenberghe objecte que l'on ne sait pas non plus à ce jour quelle sera exactement la portée de l'arrêt de la Cour de cassation. Il pourrait en outre se poser un problème au niveau du principe d'égalité si l'on couple les frais d'avocat à une norme de droit matériel.

Enfin, l'article 1382 peut être considéré comme un principe général subsidiaire dans lequel on peut tenter d'intégrer toute procédure. Cela entraîne à son tour des implications au niveau des abus de droit.

3. Exposé de M. François Glansdorff, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, avocat

L'orateur donne l'exposé ci-après.

« Je suis partisan d'une certaine forme de répétibilité des honoraires d'avocat, comme tout le monde je pense, mais en étant conscient de ce que, au regard du problème fondamental de l'accès à la justice:

— la répétibilité n'y apporte qu'une réponse limitée parce qu'elle n'implique l'intervention d'aucun tiers payant (pouvoirs publics ou compagnie d'assurances): le « payant », c'est la partie qui perd le procès. Mme Nyssens souligne à juste titre que la répétibilité n'est qu'un « simple aménagement de la répartition des frais entre les justiciables eux-mêmes »;

— d'autre part, la répétibilité comporte le risque, paradoxal mais néanmoins évident, de constituer un frein à l'accès à la justice. La menace de devoir supporter les frais de deux avocats peut en effet dissuader beaucoup de gens de faire valoir, en toute bonne foi, leurs droits en justice (cf. prop. M. Destexhe: « Prenons à titre d'exemple le cas d'une personne modeste qui hésitera peut-être à intenter un procès par crainte de devoir payer les honoraires de l'avocat de la partie adverse au cas où elle perdrait »).

En étant conscient de cela, comment concevoir cet aménagement de la répartition des frais entre les parties au procès ?

On peut se placer sur le plan du droit de la responsabilité, comme l'a fait la Cour de cassation dans son arrêt du 2 septembre 2004, ou sur le plan du droit procédural, donc du Code judiciaire. Comme l'a souligné M. Vandenberghe dans ses développements, le terrain du droit judiciaire est de loin préférable. On connaît en effet les incertitudes et les difficultés soulevées par l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation:

— incertitude quant au champ d'application de cette jurisprudence;

— incertitude quant à l'application du critère de la nécessité de l'intervention de l'avocat;

— impossibilité de modifier le montant de la condamnation pour raison d'équité (réf. à l'article 1386bis du Code civil, concernant la responsabilité des anormaux), puisque le droit de la responsabilité conduit nécessairement à la réparation intégrale;

— ouverture d'un procès dans le procès quant au montant demandé, avec les problèmes de preuve et de secret professionnel qui en résultent (au sein du barreau, les opinions sont partagées à ce sujet).

Sur le terrain du droit judiciaire, deux systèmes sont possibles: le forfait ou l'appréciation du juge. Les deux systèmes présentent des inconvénients:

— l'appréciation du juge (cf. art. 700 du Code de procédure civile français): aucune prévisibilité pour le justiciable; aucune balise ni critère pour le juge;

— le forfait, qui comporte un certain automatisme, peut être facteur d'iniquité dans la mesure où il ne tient pas compte des particularités de chaque cas d'espèce (cf. M. Destexhe, à propos du risque déjà souligné ci-dessus: « d'aucuns craignent qu'une application trop rigide du principe de la répétibilité entraîne une réduction de l'accès à la justice »).

C'est pourquoi l'OVB et l'OBFG (travaux auxquels j'ai participé) ont cherché à mettre sur pied un système qui éliminerait au maximum ces inconvénients, en ne retenant que les avantages des deux systèmes et en cherchant à les concilier.

Il y aurait ainsi:

— d'une part, un forfait de base, dont on sait qu'il s'agit des actuelles indemnités de procédure considérablement relevées (cf. les tableaux dans le projet d'arrêté royal, suivant qu'il s'agit d'affaires évaluables ou non évaluables en argent);

— ce montant de base étant toutefois modulable par le juge.

C'est sur ce second point que subsistent le plus de discussions, en tout cas entre les avocats: quel est en effet le rôle exact confié au juge ? Quelles sont la justification et la portée, en d'autres termes le pourquoi et le comment de son intervention ?

a) Le pourquoi: l'OVB et l'OBFG sont d'accord sur le fait qu'il faut des raisons manifestes d'équité pour que le juge puisse s'écarter du montant forfaitaire de base. À mon sens, trois critères doivent être amenés à jouer:

— les situations financières respectives des parties: critère objectif relatif aux parties;

— la complexité de l'affaire et donc l'importance des prestations: critère objectif relatif à l'affaire.

— la bonne ou la mauvaise foi de la partie perdante: critère subjectif relatif aux parties.

b) Le comment: l'OVB préconise ici que le juge ne puisse, au départ de l'indemnité de base, que la réduire de moitié ou la multiplier par deux. L'OBFG retient ce maximum du double, mais pour le surplus préconise un système plus souple permettant au juge de fixer le montant qu'il estime équitable, avec un minimum à fixer par le Roi et qui, dans la plupart des cas, est largement inférieur aux montants minima fixés par l'OVB (pour moi, on pourrait même permettre au juge de supprimer toute indemnité).

On a critiqué sur ce point le système de l'OBFG en disant qu'il s'attirait les mêmes critiques que l'article 700 français (cf. les motifs de la proposition de M. Vandenberghe), et que la trop grande souplesse du système présentait le risque d'aboutir à des décisions arbitraires et imprévisibles.

Ce n'est pas mon opinion, et je reprends ces deux termes:

a) Arbitraire ?

D'abord une réflexion générale: pourquoi critique-t-on l'arbitraire du juge sur la question relativement accessoire que constitue la répartition des frais du procès, alors qu'on lui a donné le pouvoir de trancher le procès lui-même, donc le principal ?

Quoi qu'il en soit, le système de l'OBFG ne comporte pas un plus grand risque d'arbitraire que celui de l'OVB, au contraire: la souplesse permet au juge d'appliquer les critères de manière plus fine, plus précise, plus aiguë, en serrant de plus près la réalité. Exemple: si l'on a un montant de base de 1 000, l'OVB ne permet au juge de s'en écarter qu'en allouant 2 000 ou 500. Alors que le juge pourrait très bien considérer qu'un montant de 750 ou de 1 250, par exemple, serait plus approprié dans le cas d'espèce. En permettant au juge de retenir de tels montants, on réduit au contraire le risque d'arbitraire.

Au surplus, pour éviter au maximum l'arbitraire, le texte de l'OBFG prévoit que la décision du juge doit être « spécialement motivée ».

b) Imprévisible ?

Le système de l'OBFG ne comporte pas une plus grande part d'imprévisibilité: quelle est en effet, pour le justiciable, la différence entre se dire qu'on risque, au départ d'une indemnité de base de 1 000, de payer 2 000 ou 500, et se dire qu'on pourra peut-être aussi devoir payer 1 500, 750 ou 250 ? Le sentiment d'imprévisibilité est le même dans les deux systèmes, qui comportent tous les deux le même plafond, lequel constitue le risque maximum à prévoir.

c) Enfin, la souplesse du système de l'OBFG ne comporte pas plus de risque de faire un procès dans le procès, ni donc d'allonger ou d'alourdir les procédures: dans les deux systèmes, on plaidera de la même manière sur l'application des critères ci-dessus (surtout sur la situation financière des parties, le juge s'étant déjà rendu compte de la complexité de l'affaire et de la bonne ou mauvaise foi de la partie perdante en jugeant le principal ...).

Tel est donc le système que je préconise, tout en me disant, peut-être plus que pour d'autres lois, qu'il faudra sans doute le revoir et le corriger dans quelques années en fonction des enseignements à tirer de la jurisprudence à venir. »

L'orateur ajoute, au sujet de la suggestion formulée par M. Laffineur à propos des procès où un consommateur est partie à la cause, que, quel que soit le souci de la protection du consommateur que l'on peut avoir, il peut aussi y en avoir des capricieux ou des procéduriers.

La formule proposée ne risque-t-elle pas d'aboutir à une multiplication des procès de la part des consommateurs. L'orateur estime préférable de laisser au juge un large pouvoir d'appréciation.

4. Échange de vues

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article 1386bis, où, dès que la personne attaquée était assurée, elle avait droit au dédommagement intégral.

Or, pour les assurances, le forfait présente l'avantage que les frais de justice sont plus assurables, parce que le risque peut être mieux calculé.

Si l'on se base sur la situation financière des parties, et que l'on applique la règle selon laquelle, lorsqu'on est assuré, on reçoit un dédommagement intégral, le risque devient énorme pour les assurances.

Créer les conditions d'une assurance judiciaire beaucoup plus globale est aussi un moyen d'améliorer l'accès à la justice.

M. Mahoux se demande si la décision du juge sera prise en même temps que la décision sur le fond ou plus tard. La mise en état du dossier suppose-t-elle de fournir toutes les informations sur la situation financière des parties ?

L'intervenant se dit également frappé par la résistance que l'on rencontre régulièrement par rapport à la détermination du montant du forfait qui pourrait constituer une norme. Une réaction comparable a d'ailleurs eu lieu à propos de la tarification des honoraires.

Cependant, dans le domaine dont il s'agit, la prévisibilité constitue un élément fondamental.

Quant à l'appréciation du juge, elle doit s'exercer dans le cadre d'un minimum et d'un maximum.

En ce qui concerne l'exception prévue à l'article 1386bis, l'intervenant souligne les risques que comporterait une assimilation de situations sociales puis socioéconomiques aux situations d'incapacité visées par cet article.

Mme Nyssens demande au professeur Van Drooghenbroeck s'il est partisan d'exclure certains contentieux de cette matière. S'agit-il seulement des contentieux que l'article 1017 ne régit pas actuellement, ou y en a -t-il d'autres ?

M. Hugo Vandenberghe demande ce qu'il advient du forfait lorsqu'on doit citer une pluralité de personnes à comparaître. En cas de responsabilité médicale, il faut par exemple citer l'hôpital, le chirurgien en chef et l'infirmière en chef. Dans les litiges en matière de construction aussi, il faut citer plusieurs personnes. Au moment de la citation, l'avocat ne sait pas où finit la responsabilité, ni s'il doit, par précaution et en raison de la complexité de l'affaire, citer toutes les personnes concernées. Il se peut donc qu'en fin de compte, on obtienne gain de cause dans son action contre une partie et que l'on soit débouté contre l'autre partie. Qu'en est-il alors des frais en pareil ce cas ?

L'intervenant cite l'exemple de l'explosion de gaz à Ghislenghien. Qui doit être déclaré responsable en tant que gardien de la chose (art. 1384), qui est à l'origine du vice, qui a aggravé le dommage, qui n'a pas réagi à temps, etc. ?

Lorsqu'en tant qu'avocat, on est consulté par une des parties, on doit citer de très nombreuses parties en garantie, alors qu'on sait pertinemment que bon nombre d'entre elles ne seront pas inquiétées. Ne faut-il pas donner des indications au juge ?

Le forfait offre naturellement l'avantage de permettre davantage d'assurer les risques de la procédure. Cela permet donc indirectement d'améliorer l'accès à la justice. Reste à savoir ce qu'il advient de l'assistance judiciaire. Comment va-t-on l'imputer ? Il y a en outre un problème d'administration supplémentaire. Quoi qu'il en soit, le problème de l'assistance judiciaire doit être pris en compte.

Il reste encore beaucoup de choses à régler. Ainsi, il faut prendre en compte le problème de l'action civile portée devant le juge pénal. L'intervenant attire également l'attention sur le fait qu'il n'existe pas d'indemnité de procédure pour la Cour d'arbitrage ni pour le Conseil d'État. Souhaite-t-on la généraliser ?

Répondant à M. Mahoux sur l'existence d'un procès dans le procès, M. Laffineur déclare qu'une distinction essentielle doit être faite: il n'y a pas de procès dans le procès si l'on ne débat que de la situation économique des parties. Cela ne représente qu'un chapitre dans les conclusions, et quelques minutes de plaidoiries.

M. Hugo Vandenberghe demande si l'avocat peut fixer définitivement ses honoraires sans connaître le résultat du procès.

M. Laffineur répond qu'il y aura sans doute un procès dans le procès, s'il faut débattre de l'état d'honoraires, l'avocat mis en cause devant lui-même faire appel à un confrère pour se défendre, soit devant l'Ordre des avocats, soit devant la juridiction saisie au principal.

M. Glansdorff ajoute que l'avocat de la partie qui peut craindre de perdre demandera à titre subsidiaire dans ses conclusions qu'il soit tenu compte de sa situation financière. Il ne faudra pas revenir plus tard devant le juge pour discuter d'un état d'honoraires final, comme ce serait le cas si l'on restait dans le système de la Cour de cassation.

Répondant à Mme Nyssens, M. Van Drooghenbroeck indique qu'à son sens, l'article 1017, tel que modifié, aurait vocation à s'appliquer à tout litige. Ceci est conforme à l'article 2 du Code judiciaire.

L'intervenant n'est pas partisan d'une exclusion a priori par le législateur de certains contentieux, car il craint que cela ne donne lieu à des recours et à des questions préjudicielles devant la Cour d'arbitrage.

L'article 1017 contient déjà en lui-même des possibilités d'adaptabilité aux litiges (accord des parties, litiges en matière sociale, compensations respectives, litiges familiaux).

En ce qui concerne la pluralité de personnes citées, M. De Coninck déclare qu'à partir du moment où l'on considère que c'est le lien d'instance que l'on crée qui justifie la débition d'une indemnité de procédure, lorsqu'on se trouve, en tant qu'avocat, dans cette situation en droit de la construction ou en droit médical, on prend un risque majeur en citant plusieurs personnes responsables.

Ne vaut-il pas mieux, sur le plan stratégique, citer une personne, qui en citera elle-même une autre en intervention et garantie ? Un début de réponse a été donné avec les critères proposés notamment par M. Glansdorff, et parmi lesquels figure notamment la complexité de l'affaire.

M. De Coninck se rallie à cette observation. Il ajoute que, souvent, les différents défendeurs assignés introduisent entre eux des demandes incidentes croisées. Dans ce cas, le juge peut, conformément à l'article 1017, décider que c'est le perdant final qui indemnisera les autres parties. Une certaine justice distributive est ainsi restaurée.


(1) Études juridiques 2004-81.

(2) Trib. Liège 16 février 2005, JLMB 2005 no 16, 696, 2 mai 2005, J.T. 2005 no 21, 378 et 30 juin 2005, JLMB 2005 no 28, 1233; Liège 16 juin 2005, J.T. 2005 no 29, 542.

(3) Pol. Huy 26 octobre 2004, R.G.A.R. 2005 no 1, 13947.

(4) Trib. Bruxelles 25 février 2005, JLMB 2005 no 16, 699.

(5) Trib. Corr. Hasselt 6 janvier 2005, non publié.

(6) Trib. Corr. Ypres 15 novembre 2004, R.W. 2004-2005 no 20, 795.

(7) Mons 8 novembre 2004, JLMB 2005 no 16, 676.

(8) Trib. Liège 25 février 2005, JLMB 2005 no 16, 710.

(9) Liège 6 janvier 2005, JLMB 2005 no 16, 714 (résumé).

(10) Trib. com. Turnhout 27 septembre 2004, R.W. 2004-2005 no 14, 551.

(11) Trib. Nivelles 16 novembre, R.G.A.R. 2005 no 1, 13948.

(12) Trib. trav. Bruxelles, 3 mai 2005, J.T. 2005 no 25, 457.

(13) Liège 14 décembre 2004, JLMB 2005 no 16, 686 et 689.

(14) Trib. Liège 6 février 2005, JLMB 2005 no 16, 696.

(15) Trib. Bruxelles 25 février 2005, JLMB 2005 no 16, 699.

(16) Bruxelles 13 janvier 2005, J.T. 2005 no 12, 219 (résumé).

(17) Trib. Liège 2 mai 2005, J.T. 2005 no 21, 378.

(18) Trib. Nivelles 16 novembre 2004, R.G.A.R. 2005, 13948; Trib. Trav. Bruxelles 3 mai 2005, J.T. 2005 no 25, 457.

(19) Trib. Gand 6 septembre 2004, non publié.

(20) Trib. Liège 2 décembre 2004, JLMB 2005 no 16, 693.

(21) Paix Tournai 2 novembre 2004, JLMB 2005 no 16, 712.

(22) Paix Charleroi 7 mars 2005, JLMB 2005 no 16, 715 (résumé).

(23) Liège 14 décembre 2004, JLMB 2005 no 16, 686 et 689; Paix Tournai 11 janvier 2005, J.T. 2005 no 12, 219 (résumé); Trib. Com. Huy 16 mars 2005, JLMB 2005 no 17, 741.

(24) Trib. Liège 30 juin 2005, JLMB 2005 no 28, 1233.

(25) Liège 14 décembre 2004, JLMB 2005 no 16, 686 et 689.

(26) Trib. com. Huy 16 mars 2005, JLMB 2005 no 17, 741.

(27) Trib. Bruxelles 25 février 2005, JLMB 2005 no 16, 699.

(28) Liège 16 juin 2005, J.T. 2005 no 29, 542.

(29) Trib. trav. Bruxelles 3 mai 2005, J.T. 2005 no 25, 457.

(30) Trib. com. Turnhout 27 septembre 2004, R.W. 2004-2005 no 4, 551.

(31) Trib. Liège 2 mai 2005, J.T. 2005, no 21, 378.

(32) Trib. Liège 16 février 2005, JLMB 2005 no 16, 696.

(33) Moniteur belge 3 juin 2005.

(34) Moniteur belge 8 juillet 2005.

(35) Moniteur belge 3 juin 2005.