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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 7 DÉCEMBRE 2006 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Questions orales

Question orale de M. Pierre Galand au vice-premier ministre et ministre des Finances sur «la conditionnalité du régime des intérêts notionnels à des garanties sur l'emploi au vu de ce qui se passe chez VW-Forest» (nº 3-1313)

M. Pierre Galand (PS). - En 1982, le gouvernement belge a créé le régime fiscal des centres de coordination au nom de la création d'emplois. Environ 200 multinationales profitent en Belgique de ce système depuis plus de vingt ans. VW fait partie des bénéficiaires : dès 1986, elle a établi le Coordination Centre Volkswagen à Bruxelles. Ces cinq dernières années, ce centre a payé un taux d'impôt moyen de 0,11% alors que l'impôt sur les entreprises s'élève actuellement en Belgique à 33%.

Grâce à son centre de coordination, VW aurait donc bénéficié ces vingt dernières années d'un cadeau fiscal qui pourrait s'élever à 706 millions d'euros. Par an, le cadeau atteint en moyenne 35 millions d'euros, ce qui représente à peu près ce que l'ensemble des travailleurs de VW-Forest payent eux-mêmes comme impôt sur leur salaire.

L'Europe ayant condamné ce régime préférentiel, les avantages accordés auparavant aux centres de coordination sont désormais remplacés par le régime des intérêts notionnels, un régime de déduction fiscale d'intérêts fictifs, qui est d'application sur les bénéfices 2006 et suivants.

En 2005, le Coordination Centre Volkswagen a été absorbé par un autre centre de coordination du groupe, le Volkswagen Group Services SCS qui, lui, gardera son régime fiscal préférentiel jusqu'en 2010.

Au regard des éléments présentés, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser deux questions.

Trouvez-vous normal qu'une entreprise qui licencie des travailleurs à seule fin d'améliorer la profitabilité des revenus de ses actionnaires puisse bénéficier d'un régime aussi exorbitant que celui des intérêts notionnels ?

Ne pensez-vous pas qu'il serait urgent de conditionner ces aides à des garanties sur l'emploi, en termes de qualité, de durée et de conditions de travail, comme cela était envisagé lors des discussions entourant la mise en place du régime des intérêts notionnels ?

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances. - Je comprends évidemment que l'on se pose des questions au sujet du statut fiscal d'un certain nombres d'entreprises, en particulier lorsque l'une d'entre elles annonce de manière particulièrement abrupte sa décision de procéder à une restructuration. Je comprends aussi que l'on se pose des questions à propos des différents régimes qui peuvent être applicables en la matière.

D'abord, je tiens à rappeler que les intérêts notionnels ne constituent en rien un régime exorbitant du droit commun de l'impôt des sociétés. C'est un régime qui s'applique à l'ensemble des sociétés. Il s'agit d'une déduction pour capital à risque, qui s'applique dès lors à toutes les sociétés, à l'exception de celles bénéficiant justement d'un régime fiscal particulier, qui en sont exclues en application de l'article 205octies du Code des impôts sur les revenus de 1992.

La mise en oeuvre de la déduction pour capital à risque poursuit une double objectif. Premièrement, limiter la discrimination qui existait entre les intérêts payés pour des capitaux empruntés, qui sont déductibles, et les dividendes sur le capital, qui n'étaient pas déductibles. Deuxièmement, améliorer les capacités d'autofinancement des entreprises. Cette mesure ne trouve donc pas sa raison d'être dans des motifs directement liés au maintien de l'emploi mais à l'autofinancement des entreprises et à la suppression d'une discrimination entre capitaux empruntés et fonds propres.

En outre, soumettre ce régime à des conditions d'emploi constituerait un frein à l'implantation de nouvelles entreprises en Belgique.

En revanche, je comprends la préoccupation relative à certains types de régimes ou certaines aides fiscales en particulier. D'autres mesures sont directement ou indirectement liées à l'occupation de personnel, comme par exemple l'exonération des primes de remise à l'emploi ou des primes de transition professionnelle, les déductions pour personnel supplémentaire, diverses dispenses de versement de précompte professionnel, etc.

Dans toute une série de matières du domaine fiscal, nous avons choisi de mettre en oeuvre des exonérations de versement de précomptes ou d'autres charges fiscales exclusivement si l'entreprise décide de prendre des mesures en faveur de l'emploi en engageant de nouveaux membres du personnel ou en maintenant le personnel en activité.

Ainsi, en matière de recherche, l'exonération de précompte professionnel bénéficiant aux entreprises pour l'utilisation de chercheurs ne vaut qu'à la condition que ceux-ci soient occupés dans les qualifications que nous avons définies au sein de l'entreprise.

En conclusion, il est clair que l'octroi d'aides fiscales liées à diverses formes de garantie d'emploi dépend des objectifs poursuivis par les mesures concernées.

S'il s'agit d'une mesure générale sur l'imposition des sociétés ou d'une mesure générale favorisant l'autofinancement des sociétés et des entreprises, il n'y a pas de liaison directe à l'emploi. S'il s'agit, en revanche, d'exonérations ayant pour objectif le maintien ou la promotion de l'emploi, il est tout à fait normal de prévoir des conditions très précises, ce que nous avons fait dans un certain nombre de domaines, et je viens de les rappeler.

M. Pierre Galand (PS). - Vos réponses sont généralement très précises, monsieur le ministre, mais aujourd'hui vous avez été un peu plus bref que d'habitude.

Je suis d'accord avec vous sur toutes les mesures tendant à sauvegarder l'emploi. La technique de ce taux d'imposition visait, comme vous le dites vous-même, à essayer d'encourager, d'une part, l'emploi et, d'autre part, des PME émergentes.

Sur le plan statistique, on s'aperçoit que ce sont plutôt les grandes multinationales installées chez nous et les systèmes bancaires qui ont créé les centres permettant d'en bénéficier et qui, de ce fait jouissent d'abattements d'impôts considérables. J'ai essayé de faire le calcul pour VW et je constate que l'avantage est très important. Il y a quelque part un dérapage. Si on avait laissé faire l'entreprise VW selon la loi Renault, par exemple, elle y échappait.

Nous savons que cette entreprise a bénéficié d'une série d'avantages. Si elle ne respecte pas son contrat, comment faire pour empêcher qu'elle continue à bénéficier d'avantages fiscaux qui sont tout à fait contraires à la politique de l'emploi ?

M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Finances. - Les avantages fiscaux liés au maintien ou au développement de l'emploi ne s'appliqueront évidemment plus au fur et à mesure de la diminution du volume de l'emploi dans une entreprise.

Nous ne sommes donc pas en désaccord concernant la deuxième catégorie de mesures, monsieur Galand, puisqu'un lien direct existe. Ce sont des dispositions nouvelles. Pendant des années il n'y a pas eu de mesures fiscales en ce sens. Je pense notamment aux mesures en matière de recherche ou à l'exonération récente concernant la remise au travail.

Par le passé, sous d'autres gouvernements, on ne prévoyait aucun lien entre des mesures fiscales et l'emploi. Depuis quelques années, je m'efforce de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures qui ne s'appliquent que si l'emploi est à tout le moins maintenu, mais surtout augmenté.

Cela étant, là-dessus nous ne sommes pas en désaccord, sinon je pense que vous n'auriez pas voté en faveur de ces textes ces dernières années.

Pour ce qui concerne l'évolution des centres de coordination vers le système des intérêts notionnels, pendant vingt-cinq ans, le système des centres de coordination a été effectivement destiné à de grandes entreprises, multinationales ou non. En effet de grandes entreprises belges, y compris du secteur public, en ont bénéficié. Mais ce système ne s'appliquait pas au petites et moyennes entreprises. Nous avons, à la suite de nombreuses critiques à l'échelon européen, mis fin à ce système qui s'éteindra au fur et à mesure que se terminent les agréments déjà octroyés. Nous le remplaçons par le système des intérêts notionnels qui joue pour toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes, belges ou étrangères, à la seule condition que ces entreprises déclarent un résultat dans notre pays. C'est très différent. Le nouveau système ne prévoit plus du tout d'avantage particulier pour une catégorie d'entreprises. Quand vous me dites : les multinationales ou les banques en bénéficient, je réponds : toutes les entreprises en bénéficient et heureusement dans notre pays nous avons un très grand nombre d'entreprises, petites ou moyennes qui jouiront dès lors également de ce système.

Je suis très heureux qu'il ait été possible avec l'actuelle majorité de faire évoluer le système fiscal dans cette direction : des mesures générales applicables à toutes les entreprises et des mesures spécifiques qui lient l'avantage fiscal à une situation en matière d'emploi.