3-1481/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

9 DÉCEMBRE 2005


Proposition de résolution visant à faire équiper les véhicules à moteur de phares de jour

(Déposée par MM. Jacques Germeaux et Flor Koninckx)


DÉVELOPPEMENTS


Dans son plan d'action pour la sécurité routière, la Commission européenne s'est fixé l'objectif ambitieux de réduire de moitié le nombre de tués sur les routes à l'horizon 2010. Elle entend, d'ici 2006, atteindre l'objectif intermédiaire d'une réduction de 33 %.

Dans le cadre des états généraux de la sécurité routière, notre pays s'est intégralement rallié aux objectifs précités.

Grâce à la nouvelle loi sur la circulation, qui est entrée en vigueur en mars 2004 et qui met l'accent sur des contrôles accrus et une meilleure répression, le nombre de victimes d'accidents de la circulation a fortement baissé dans notre pays. La Belgique a néanmoins encore un long chemin à parcourir si elle veut devenir dans ce domaine un État modèle en Europe.

Nombreux sont les accidents dus notamment au fait qu'un usager de la route a aperçu un autre usager trop tard ou ne l'a carrément pas vu, même le jour.

Il ressort des statistiques d'accidents de l'IBSR pour l'année 2001 que 66,7 % des accidents ont eu lieu en journée, et que le nombre d'accidents survenus de jour sur les routes ordinaires (69,2 %) dépassait de presque 10 % celui des accidents survenus sur les autoroutes et les échangeurs (59,9 %).

La moitié des accidents survenus en journée sont dus à une mauvaise visibilité. Aux carrefours, cette proportion atteindrait même 80 %.

De nombreuses recherches ont déjà été effectuées pour découvrir quelles mesures seraient susceptibles d'améliorer la visibilité des usagers de la route. Une de ces mesures, à laquelle la Commission européenne s'intéresse beaucoup à l'heure actuelle et accorde son appui, est l'installation de phares de jour à allumage automatique, appelés aussi les Daytime Running Lights (DRL).

Le système DRL offre de nombreux avantages. Il augmente la visibilité des véhicules dans la mesure où il accentue le contraste entre ceux-ci et l'environnement. De plus, il permet d'apercevoir plus rapidement les véhicules, même quand ils se situent dans le champ de vision latéral. Enfin, il améliore la faculté d'appréciation de la distance et de la vitesse de conduite des autres usagers; un véhicule dont les phares sont allumés est perçu comme étant plus près, ce qui a une influence positive sur le comportement des usagers, par exemple en cas de dépassement.

Il existe plusieurs scénarios permettant de mettre en œuvre le système DRL. On peut faire une distinction entre un scénario technique et un scénario basé sur le comportement. L'un et l'autre ont déjà été appliqués avec des effets positifs pour la sécurité routière dans de nombreux pays européens et non européens.

Dans le scénario technique, les phares sont allumés automatiquement dès que le moteur est mis en marche. Le système DRL fonctionne ainsi de facto sur toutes les routes pendant toute l'année. Le Canada est actuellement le seul pays où cette technique est appliquée. Les autorités compétentes considèrent que cette solution est la moins coûteuse et la plus fiable à long terme.

Une variante à cette technique prévoit que les phares s'allument automatiquement si la luminosité diminue, grâce à l'installation dans le véhicule de récepteurs spécifiques. Il ressort d'un questionnaire que cette variante a les faveurs de pays comme la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, pour autant qu'elle s'avère effectivement bénéfique pour la sécurité routière.

Dans l'hypothèse où seuls les nouveaux véhicules seraient équipés de pareils récepteurs, cette variante présente un grand désavantage: il faudra tenir compte d'une longue période transitoire pendant laquelle certains véhicules seront munis de cette technologie et d'autres pas, ce qui générera un risque plus élevé pour la sécurité.

Dans le scénario basé sur le comportement, les conducteurs restent libres d'allumer ou non les phares en journée en actionnant le commutateur d'éclairage. Plusieurs variantes sont également possibles en l'espèce. Premièrement, la mesure peut soit être recommandée ou rendue obligatoire, soit être recommandée dans un premier temps pour ensuite être rendue obligatoire. Deuxièmement, l'utilisation des phares le jour peut être recommandée ou rendue obligatoire sur toutes les routes ou seulement sur certaines d'entre elles (par exemple les routes hors agglomération), pendant toute l'année ou uniquement pendant une partie de l'année (en pratique, il s'agira toujours de la période hivernale).

Il ressort d'une enquête européenne que l'utilisation des phares de jour est obligatoire pendant toute l'année et sur toutes les routes dans tous les pays scandinaves (Norvège, Suède, Finlande et Danemark). En Tchéquie, en Lituanie et en Pologne, les phares de jour sont obligatoires sur toutes les routes, mais uniquement en hiver. En Italie et en Hongrie, les phares de jour sont obligatoires pendant toute l'année, mais uniquement sur les routes hors agglomération. L'Espagne aussi projette de mettre cette variante en pratique. En Israël, l'utilisation des phares de jour est uniquement obligatoire en hiver sur les routes hors agglomération. L'Autriche a également l'intention de rendre cette technique obligatoire à moyen terme.

Il n'y a qu'en Suisse que l'utilisation des phares de jour est recommandée et non obligatoire.

Le scénario basé sur le comportement présente l'avantage de pouvoir être appliqué facilement à tous les véhicules et de permettre d'éviter les risques pour la sécurité auxquels donnerait lieu une circulation mixte. Cela ne vaut bien entendu que si tous les conducteurs utilisent les phares de jour sur toutes les routes et durant toute l'année. Si on limite l'utilisation des phares de jour à certaines routes ou à une certaine période de l'année, le risque d'une circulation mixte augmente à nouveau, les conducteurs adoptant un comportement inconsistant.

L'un des inconvénients que présentera éventuellement le scénario basé sur le comportement par rapport au scénario technique est qu'il faudra consentir davantage d'efforts pour faire respecter la réglementation. L'expérience des pays scandinaves montre toutefois que ce sont avant tout les autres usagers qui forcent le respect de la réglementation, et non les pouvoirs publics. Il n'en va pas autrement à l'heure actuelle lorsque les conducteurs font des appels de phares, le soir ou la nuit, pour prévenir d'autres conducteurs qu'ils n'ont pas allumé leurs phares.

La plupart des pays qui ont opté pour le système DRL insistent sur l'importance de procéder à une instauration progressive, soit en encourageant son application volontaire avant de le soumettre à une obligation légale, soit en étendant graduellement le champ d'application de cette obligation à plusieurs types de routes et à de plus longues périodes.

Une mise en œuvre progressive du système DRL, sur une base d'abord volontaire, combinée à des campagnes de sensibilisation concernant ses effets sur la sécurité routière, permettrait à cette mesure d'être mieux comprise et accueillie avant de devenir légalement obligatoire.

Les pays qui envisagent de mettre en œuvre le système DRL le feront donc de préférence graduellement, bien qu'il faille tenir compte d'une période de transition inévitable pendant laquelle des véhicules circuleront en journée, les uns avec les phares allumés, les autres sans phares.

Plusieurs études à grande échelle ont permis de quantifier les avantages et les inconvénients du système DRL.

Il ressort d'une première méta-analyse du Transportøkonomisk Institutt (TØI), l'institut norvégien de sécurité routière, que tous les scénarios aboutissent à une diminution significative du nombre d'accidents impliquant plusieurs parties (Elvik et al., 2003 et 1996). Le nombre d'accidents survenus de jour et impliquant plusieurs parties serait réduit de 10 à 15 %.

De plus, l'utilisation des phares de jour a un effet plus positif en cas d'accidents mortels qu'en cas d'accidents entraînant des lésions corporelles, et plus positif en cas d'accidents entraînant des lésions corporelles qu'en cas d'accidents n'occasionnant que des dégâts matériels. C'est dû surtout au fait que la vitesse d'impact est plus faible en cas de collision entre deux véhicules équipés du système DRL.

Une analyse des coûts et des bénéfices basée sur l'étude du TØI nous apprend que les bénéfices retirés du système sont sensiblement supérieurs à son coût, le ratio coûts-bénéfices variant entre 1,96 et 1,73 en fonction du scénario suivi pour le mettre en place (voir supra). En d'autres termes: les bénéfices sont respectivement de 96 et de 73 % plus élevés que les coûts.

Pour le calcul des coûts, l'étude part du principe que le système DRL entraîne une augmentation de la consommation de carburant et des émissions de CO2 allant de 0,5 à 1,5 %. De plus, le cycle de vie des lampes utilisées est réduit de moitié, ce qui entraîne un coût supplémentaire de 6 euros par véhicule par an.

L'étude précitée infirme également l'effet supposé négatif des phares de jour sur la visibilité et, partant, la sécurité des motocyclistes, des conducteurs de cyclomoteurs et des cyclistes. Au contraire, selon cette étude, le nombre d'accidents impliquant ces usagers de la route diminuera après l'instauration du système DRL.

Il ressort également d'une deuxième étude réalisée par la SWOV (la Fondation néerlandaise pour la recherche scientifique en matière de sécurité routière) pour le compte de la direction générale des Transports de la Commission européenne, que le système DRL permet de prévenir une part importante des accidents.

Sur la base d'une méta-analyse de 24 études d'évaluation, il s'avère que le système DRL se traduit par une diminution de 24,6 % des tués de la route, de 20 % des victimes et de 12,4 % des accidents ayant entraîné uniquement des dégâts matériels (Koornstra et al., 1997). Cela signifie, à l'échelle européenne, que chaque année, le nombre des tués de la route baisserait de 5 500, qu'il y aurait 155 000 blessés en moins admis dans les hôpitaux, qu'on enregistrerait 740 000 accidents de moins et que les cas d'accidents donnant lieu à une demande d'indemnisation auprès des compagnies d'assurance diminueraient de 1,9 million.

Selon une troisième étude, qui a été réalisée par le European Transport Safety Council (ETSC) et qui approfondit les recherches entreprises par le TØI et la SWOV, l'instauration du système DRL permettrait de sauver chaque année 2 827 vies humaines dans 15 États membres de l'UE. Cette étude part du principe que 10 % des conducteurs utiliseraient volontairement les phares de jour dans les pays où ceux-ci ne sont pas encore obligatoires.

L'ETSC a également examiné quelle serait la consommation de carburant supplémentaire qui résulterait de l'utilisation permanente des feux de croisement. Il est ressorti de l'étude que la consommation de carburant augmenterait de 0,1 l/h pour les voitures particulières et les camionnettes. Cela signifie qu'une utilisation des phares de jour pendant une heure occasionnerait une consommation de carburant supplémentaire de 0,1 litre (la distance moyenne parcourue pendant ce laps de temps est de 50 km, quel que soit le type de route). Pour les camions, la consommation supplémentaire s'élèverait, selon l'ETSC, à 0,17 l/h.

L'ETSC a calculé que le coût de la consommation de carburant supplémentaire s'élèverait à plus de 3 milliards d'euros pour l'ensemble des véhicules en Europe. La pollution supplémentaire coûterait chaque année 200 millions d'euros.

Selon l'ETSC, on peut toutefois réduire ce coût en installant des systèmes DRL spéciaux qui consomment 38 % de carburant en moins que les feux de croisement.

Pour conclure, il ressort de toutes les études que l'instauration de systèmes DRL en Europe peut sauver de nombreuses vies humaines. Les analyses des coûts et des bénéfices prédisent également un résultat positif, étant donné que les coûts sont sans commune mesure avec les effets positifs.

De plus, ces coûts pourraient encore diminuer de manière spectaculaire si les véhicules étaient équipés de phares de jour spéciaux, qui consommeraient moins d'électricité dans la mesure où ils fonctionneraient de manière autonome par rapport aux phares arrière, à l'illumination de la plaque d'immatriculation, à l'éclairage du tableau de bord, etc. La consommation d'électricité supplémentaire reste dès lors limitée, ce qui épargne le générateur à courant alternatif.

Les associations de motocyclistes sont opposées à l'installation de systèmes DRL dans les voitures. Elles craignent que les conducteurs de deux-roues motorisés ne soient moins visibles dans le trafic si les voitures doivent circuler en permanence avec leurs phares allumés.

Il existe peu de preuves empiriques en la matière. D'une part, il est exact qu'une visibilité moindre des motocyclistes pourrait se traduire par une augmentation du nombre d'accidents les impliquant. D'autre part, le fait que les motocyclistes aperçoivent mieux et plus vite les voitures lorsqu'elles allument leurs phares de jour, pourrait compenser cet inconvénient.

Se fondant sur l'étude de la SWOV, l'ETSC suppose que les deux effets se neutraliseraient et que le système DRL n'aurait dès lors aucun effet négatif sur la sécurité des motocyclistes.

Dans l'étude « Scenario's for the implementation of Daytime Running Lights in the European Union », réalisée pour le compte de la Commission européenne, plusieurs manières de mettre en œuvre le système DRL ont été examinées.

Cette étude épingle le meilleur scénario et recommande de combiner une mesure technique, consistant à installer des phares de jour (dédiés) automatiques sur les nouveaux véhicules, avec une mesure sur le plan comportemental, à savoir l'obligation, pour les conducteurs des véhicules existants, d'allumer leurs feux de croisement en journée.

Ce scénario peut compter sur le plus large consensus au sein de la société. Les feux de jour dédiés automatiques génèrent les coûts les plus faibles en termes de consommation de carburant et d'émissions de CO2.

Combiner l'utilisation des feux de jour dédiés avec l'obligation simultanée ou préalable, pour les voitures existantes, d'allumer les phares minimise les risques pour la sécurité que représenterait le trafic mixte de véhicules circulant en journée, les uns avec leurs phares allumés, les autres pas.

Par ailleurs, il est à conseiller, dans une première phase, d'encourager l'utilisation volontaire des phares pour les véhicules existants avant de la rendre obligatoire. Cela permet aux conducteurs de se familiariser avec la nouvelle situation et de considérer le système DRL comme un progrès.

Il faut également insister, par le biais de campagnes de sensibilisation menées préalablement à grande échelle et au travers de divers médias (télévision, radio, presse écrite), sur les effets positifs du système DRL, y compris pour les motocyclistes, les cyclistes et les piétons.

L'inscription dans un cadre légal et la mise en œuvre de la composante technique du scénario recommandé, à savoir l'obligation d'équiper les nouveaux véhicules de phares de jour dédiés automatiques, se fera de préférence au niveau européen.

Toutefois, la mesure basée sur le comportement, qui consiste à modifier le code de la route en vue d'obliger les conducteurs des véhicules existants à allumer leurs feux de croisement en journée, doit, quant à elle, être mise en œuvre dans chaque État membre de l'UE.

Jacques GERMEAUX.
Flor KONINCKX.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Considérant que le gouvernement entend réduire de moitié le nombre de tués sur les routes à l'horizon 2010 et réduire ce nombre de 33 % d'ici 2006;

B. Considérant que la moitié des accidents survenus en journée sont dus à une mauvaise visibilité;

C. Considérant que le système DRL offre de nombreux avantages, en permettant non seulement une meilleure visibilité du véhicule mais aussi une appréciation plus correcte de la distance et de la vitesse de conduite par les autres usagers;

D. Considérant qu'il ressort d'études réalisées par le Transportøkonomisk Institutt norvégien (TØI), la Fondation néerlandaise pour la recherche scientifique en matière de sécurité routière (SWOV) et l'European Transport Safety Council (ETSC) que l'installation de phares de jour à allumage automatique permettrait de sauver de nombreuses vies humaines;

E. Considérant que des analyses des coûts et des bénéfices montrent que les bénéfices retirés du système DRL sont sensiblement supérieurs à son coût en termes d'augmentation de la consommation de carburant et des émissions de CO2, les bénéfices étant jusqu'à 96 % plus élevés que les coûts, selon le scénario suivi pour mettre le système en place;

F. Considérant que les coûts liés au système DRL diminueront à mesure que de nouveaux véhicules en seront équipés;

G. Considérant qu'il ressort d'une étude que le système DRL n'aurait aucun effet négatif pour les usagers de la route vulnérables et les motocyclistes, bien au contraire;

H. Considérant que, selon la Commission européenne, le meilleur scénario pour mettre en œuvre le système DRL consiste à combiner une mesure technique, à savoir l'installation d'un système DRL spécial dans les nouveaux véhicules, à une mesure basée sur le comportement, prévoyant l'obligation, pour les conducteurs des véhicules existants, d'allumer leurs feux de croisement en journée;

I. Considérant non seulement que ce scénario minimise les risques pour la sécurité que représenterait le trafic mixte de véhicules circulant, les uns avec les phares allumés, les autres avec les phares éteints, et génère les coûts les plus faibles en termes de consommation de carburant et d'émissions de CO2, mais aussi qu'il peut compter sur le plus large consensus au sein de la société;

J. Considérant que la mesure technique doit être prise au niveau européen, alors que la mesure basée sur le comportement requiert une adaptation du code de la route au sein de chaque État membre de l'UE;

Demande au gouvernement:

1. De soutenir, au niveau européen, l'installation de phares de jour à allumage automatique (ou Daytime Running Lights — DRL), en particulier dans le cadre du High Level Group on Road Safety, en concertation avec l'industrie automobile;

2. De modifier, au niveau belge, le code de la route en vue de rendre obligatoire l'allumage des feux de croisement pour les véhicules à moteur circulant de jour, à partir de la date à laquelle les nouveaux véhicules seront obligatoirement équipés du système DRL.

27 octobre 2005.

Jacques GERMEAUX.
Flor KONINCKX.
Joëlle KAPOMPOLÉ.
François ROELANTS du VIVIER.
Wouter BEKE.