3-1031/4 | 3-1031/4 |
25 OCTOBRE 2005
I. INTRODUCTION
La proposition de résolution à l'examen a été déposée au Sénat le 16 février 2005. La commission des Relations extérieures et de la Défense l'a examinée au cours de ses réunions des 17 et 24 mai, 7, 14 et 21 juin, 4, 18, 19 et 25 octobre 2005.
Les ambassadeurs des pays d'Euromed et plusieurs experts ont été invités à exposer leur point de vue devant la commission. Leurs exposés ainsi que les échanges de vues avec les membres de la commission figurent en annexe au présent rapport. Ces auditions ont eu lieu les 17 et 24 mai, les 7, 14 et 21 juin, et les 4 et 18 octobre 2005. Le secrétaire d'État aux Affaires européennes a été entendu le 19 octobre 2005.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE MME ANNANE, AUTEUR DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
La proposition de résolution a été déposée pour que l'on saisisse l'année 2005, qui marque le 10e anniversaire du processus de Barcelone, pour traiter ce sujet.
Ce processus régit depuis dix ans les relations entre l'Union européenne et les pays méditerranéens et constitue un enjeu de la politique étrangère de l'Union européenne. Après l'élargissement de l'Union européenne du 1 mai 2004, le centre de gravité de l'Europe s'est largement déplacé vers l'Est. Il est dès lors important que l'Europe renforce ses rapports avec la zone méditerranéenne car de ces relations dépend la capacité de l'Union élargie à jouer un rôle sur la scène internationale et à devenir une puissance crédible.
La région méditerranéenne est la voisine directe de l'Europe. Il est donc très important d'en assurer le développement et la stabilité. La proposition de résolution se penche sur le partenariat, mesure ses avancées et ses lacunes et fait l'état du processus de Barcelone, tel qu'il se présente aujourd'hui dans le contexte de la nouvelle politique de voisinage de l'Europe élargie. Les recommandations de la résolution touchent à trois volets de la résolution: politique, économique et financier et social, culturel et humain.
III. DISCUSSION DE LA RÉSOLUTION
Après les auditions, Mme Annane veut rappeler la motivation de sa demarche de déposer une proposition de résolution concernant le Partenariat euro-méditerranéen: attirer l'attention sur les relations de l'Union européenne avec ses partenaires du Sud, en faire un bilan et écouter les acteurs. L'oratrice a voulu insisté sur les défits qui nous attendent et sur les moyens qu'on doit relever.
Depuis 10 ans, le context euro-méditerranéen a radicalement changé. Le processus de Barcelone a vécu dans l'ombre de l'élargissement vers l'Est, tant sur le plan politique que financier. Présenté comme un cadre globale au processus de paix israëlo-palestinien, il a été pris en hotage par celui ci. Néanmoins, les besoins demeurent et le processus de Barcelone, malgré ses déceptions et ses imperfections, reste le cadre pertinent aux relations euro-méditerranéens. Nous sommes face aujourd'hui à un partenariat de développement ambitieux, fondé sur un volet politique, un volet financier et un volet social, un volet culterel et humain, finalement un partenariat basé sur le dialogue et l'échange. Les pays doivent avoir le sentiment de partager cette maîtrise de l'initiative et l'engagement doit porter sur le long terme, à travers des réformes émergeant de l'intérieur. Donc l'Union européenne s'est lancée dans ce processus dans une espérance socio-économique peut-être un peu trop utopique, avec la zone de libre échange généralisé en 2010. Cet objectif stratégique, selon l'orateur, est un bon levier pour introduire les réformes nécessaires. Elle s'intéroge néanmoins sur l'objectif qui peut être atteint. Elle se pose la question de savoir si nous avons pris toute la mesure de cet enjeu. Finalement, ce sentiment qu'elle a eu tout au long des auditions a conforté ses questionnements. Est-ce que les reformes induites par le libre échange généralisé en 2010; sont tout à fait réalisables ? Comment surmonter les blocages ? Le prochain sommet de Barcelone va devoir se poser la question.
Quel est l'objectif économique à la fois ambitieux et surtout réaliste pour cette ensemble euro-méditerranéen pour 2010 ? Il faut aussi avoir le courage de parler de toutes les questions de l'ouverture de marchés, surtout des nos marchés et des produits agricoles. Le gouvernement seul ne peut pas repondre à cette question. Dès lors il faut y associer l'ensemble des acteurs socio-économiques et savoir quelles sont les adaptations du système politique qui rendraient réactifs les territoires économiques de pays si proches. Le processus de Barcelone est excellent sur le plan stratégique, malgré les faiblesses structurelles. Des règles de droit mal établis, conduisant à une insécurité juridique, décourageant les investissements; une politique d'éducation très insuffisante, une économie mal liberalisée et très étatisée et un commerce intrarégional faible. Les initiatives sont encore nécessaires pour repenser sa mise en œuvre. Elle doit être plus souple et plus décentralisée. Il faudra élaborer une méthodologie fondée sur une analyse économique plus réaliste, pour tenir compte de l'État des économies et des rapports entre les pays et les peuples.
La deuxième dimension du processus de Barcelone concerne la question politique. Or, le processus est pris en hotage du fait de la question du Proche-Orient. Nous retrouvons ici l'inconveniant d'une conception globale. L'initiative avait été lancée dans une perspective d'espérance, de projet au processus de paix et nous avons finalement traversé la situation à l'inverse, avec une destruction d'une grande partie des acquis d'Oslo et de Madrid. Le retrait de Gaza constitue un nouveau départ.
Il y a trois domaines où il y a eu très peu d'avancées dans le champ politique du processus: la démocratie, le pluralisme, l'ouverture de l'espace politique; les libertés individuelles, civiles, le respect des droits de l'homme; et enfin le dialogue entre les cultures, afin de décrisper les relations entre le monde occidental et le monde arabo-musulman. Ce dialogue porte sur les femmes, le statut de la famille et le rapport à l'individualisme. Il faut rappeler aussi que la question migratoire dans les priorités d'action sera fondamentale. Elle peut être une formidable source d'enrichissement mutuel, de connaissance, mais elle peut aussi être source d'affrontement sans fin, de durcissement de société et de méchanismes de rejet. Il faut avoir une vraie politique par rapport à ce terme. Finalement, c'est dans l'intention de toutes ces questions d'économie, d'évolution politique, de sécurité, de culture, de migration, de droits de l'homme et de développement que l'orateur a présenté cette proposition de résolution concernant le sommet de Barcelone. Elle terminera cette intervention en soulignant cinq points qui lui ont paru significatifs lors des auditions.
Premièrement, la résolution des deux conflits permettrait de faire des avanceés signicatives dans les relations sud-sud, une des faiblesses du processus.
Le volet économique de processus est un échec. On a peine à distinguer l'effet réel des 10 milliards d'euros investit au titre de Meda I en II.
Le volet politique en matière de droits individuels privés et publiques reste décevant. Le processus de Barcelone ne pourra atteindre ces objectifs qu'à condition d'une grande implication politique de tous les acteurs et un meilleur suivi de différentes initiatives. On se rend compte qu'il a une succession de données sans initiatives qui se chevauchent, qui peut-être se contredisent à un moment donné ou qui annule les effets des unes et des autres.
La politique de voisinage, si elle permet un approfondissement des relations de l'Union européenne avec ces pays partenaires, peut constituer un danger au développement des relations bilatérales. Nous devrons en tenir compte.
M. Galand regrette que la question des droits de l'homme et de l'aspect culturel, ainsi que les nombreux obstacles à la mise en œuvre du processus de Barcelona, n'ont pas été évoqués dans le développement de la proposition de résolution, même si Mme Annane les a évoqués maintenant dans son exposé introductif. Dans son introduction, Mme Annane a parlé de deux conflits. M. Galand tient à rappeler qu'il y en a trois: le conflit du proche orient, l'Irak et il reste le conflit du Sahara occidental.
M. Wille constate un grand volontarisme dans le travail de Mme Annane, mais il émet certaines réserves par rapport à l'analyse faite, notamment, des pays du Maghreb. C'est pourquoi il déposera un amendement faisant référence au terrorisme, au contexte philosophico-religieux et au contexte économique. Il faut encourager le volontarisme, mais il faut aussi oser dire ce qui est à la base d'un certain nombre de points problématiques dans la région.
Mme Pehlivan fait remarquer que si la résolution est adoptée, certains de ses aspects pourraient être mis à l'ordre du jour du parlement euro-méditerranéen. En effet, ce parlement a créé des commissions et des groupes de travail dévolus aux droits de l'homme, à l'économie et à la culture. Au sein de ce parlement, on ressent très fort les conflits entre les différents pays. La Belgique pourrait focaliser l'attention sur la nécessité d'apporter des solutions à ces problèmes.
M. Lionel Vandenberghe souhaiterait que l'on fasse plus nettement référence à la problématique du Proche-Orient.
DISCUSSION DES CONSIDÉRANTS ET DU DISPOSITIF
A. Considérants
Considérant 2
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 3 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer les mots « pression migratoire » par les mots « mouvements migratoires ».
L'amendement est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.
Considérant 3
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 4 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à supprimer le point 3.
M. Galand explique que ce n'est pas seulement si l'Europe devient un véritable acteur politique sur la scène internationale, qu'elle sera capable de jouer un rôle dans la méditerrannée. Elle doit l'être dès maintenant. Ce considérant implique que le partenariat ne repose finalement que sur le rôle joué par l'Union européenne.
Mme Annane n'est pas tout à fait d'accord. Si l'Union européenne ne devient pas un véritable acteur politique, même si elle est à la naissance de ce partenariat, il est clair que les obstacles par exemple politiques, viennent du fait que l'UE n'arrive pas à avoir un rôle politique réel dans la région. Sans cette réelle force politique de l'Union européenne, le partenariat n'évoluera pas.
M. Roelants du Vivier propose de remplacer les mots « veut jouer » par les mots « joue ». En effet, l'Europe joue déjà un rôle multinational. Ici cela laisserait à penser que ce rôle reste une espérance de l'UE.
Mme Zrihen accepte ce compromis.
L'amendement nº 4 est alors retiré.
Considérant 4
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 5 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer les mots « fin octobre » par les mots « fin octobre 2004 ».
Mme Annane dépose l'amendement nº 39 qui a le même objet.
L'amendement nº 5 est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.
L'amendement nº 39 est retiré.
Considérant 9
M. Wille dépose l'amendement nº 53 (doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à faire en sorte que la sécurité juridique, la transparence de la fiscalité et la lutte contre la corruption soient reprises dans la résolution.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 11
Mme Annane dépose l'amendement nº 40 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à actualiser le point 11.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 12bis
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 6 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter un considérant 12bis faisant référence à la nécessité de mettre sur pied une banque euro-méditerranéenne en 2006.
M. Wille souhaite connaître le type de banque envisagé.
Selon Mme Zrihen, il s'agit d'une banque qui correspond à une série de conditions, comme elles ont été clarifiées antérieurement par l'amendemant de M. Wille-même.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 15
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 7 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer le point 15 comme suit:
« Considérant que la place accordée à la société civile par les pays méditerranéens est insuffisante et que la liberté d'expression y est souvent réprimée. »
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 15bis
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 8 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter un considerans 15bis comme suit:
« Considérant qu'il est nécessaire que la société civile puisse se mobiliser autour de grands objectifs, tels que le respect de l'État de droit, la protection des droits de l'homme, la protection de l'environnement, le développement de la société de l'information, la gestion de l'eau et tant d'autres. »
Selon M. Wille, la notion d'« État de droit » n'a pas la même signification que celle de « gouvernance ». La « gouvernance » concerne toutes les instances étatiques, mais aussi les instances para-étatiques. Pourquoi ne pas opter dès lors, dans l'amendement, pour le terme « gouvernance » ?
M. Roelants du Vivier propose de reformuler le considérant 15bis comme suit:
« Considérant qu'il est nécessaire que la société civile puisse se mobiliser autour de grands objectifs, tels que la bonne gouvernance, le respect de l'État de droit, la protection des droits de l'homme, la protection de l'environnement, le développement de la société de l'information, la gestion de l'eau et tant d'autres. »
M. Wille fait remarquer que le terme « gouvernance » implique l'idée que celui-ci soit bonne.
M. Roelants du Vivier propose d'utiliser l'expression « gouvernance » tout court.
M. Lionel Vandenberghe insiste pour qu'on utilise les termes « goed bestuur » dans le texte néerlandais du considérant 15bis. Il est partisan d'un langage clair. La commission approuve cette remarque.
L'amendement nº 8 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 15ter
Mme Annane trouve important de garder les programmes MEDA-démocratie, le programme d'échanges Euro-Med Jeunesse, Euro-Med Audiovisuel et Euro-Med Héritage et leur résultats dans les considérants.
Mme Zrihen fait remarquer que ceci correspond à l'amendement nº 9 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter un considérant 15ter comme suit:
« Considérant pourtant les résultats encourageants des programmes MEDA-démocratie, le programme d'échanges Euro-Med Jeunesse ayant pour but de faciliter l'intégration des jeunes dans la vie sociale et professionnelle et d'Euro-Med Audiovisuel, destiné à organiser une coopération en matière de radio, de télévision et de cinéma, et l'action en faveur du patrimoine culturel Euro-Med Héritage. »
L'amendement nº 9 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 16
Mme Annane dépose l'amendement nº 41 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à actualiser le point 16.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents
Mme Zrihen et consorts déposent ensuite l'amendement nº 10 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à corriger la date mentionnée dans le texte.
M. Wille remarque que la première réunion de l'assemblée à eu lieu antérieurement à la date indiquée dans l'amendement.
Mme Pehlivan confirme que la première réunion a eu lieu le 22 mars 2004.
Mme Zrihen remarque que les réunions ayants eu lieu avant mai 2005 étaient des séances inaugurales et introductives. La première réunion effective a eu lieu en mai 2005.
M. Wille est d'avis que lors de ces premières reunions, on a quand-même abordé des sujets importants, comme la religion.
L'amendement nº 10 est retiré.
Considérant 18
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 11 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à mentionner les conséquences de la guerre en Irak et des mesures prises après le 11 septembre 2001.
Mme Annane indique que les mesures prises après le 11 septembre 2001 n'ont pas toutes envenimé le dialogue.
M. Roelants du Vivier propose de parler de « un certain nombre de mesures prises » et de remplacer le mot « envenimé » par les mots « rendu plus malaisé ».
La commission marque son accord.
L'amendement nº 11 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérant 18bis
Mme Zrihen et consorts déposent ensuite l'amendement nº 12 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui a pour but d'ajouter un considérant 18bis faisant référence à la concurrence entre le processus de Barcelone et le projet du « Great Middle East ».
Selon M. Wille, la teneur des amendements nos 11 et 12 est très anti-américaine, alors que cela n'est pas nécessaire. L'intervenant propose dès lors de nuancer les formulations. À titre personnel, il émet également des réserves sur certains aspects de l'attitude américaine, mais il ne juge pas nécessaire d'y faire allusion de manière aussi explicite dans la résolution.
De plus, les interventions financées par l'Iran et par la Syrie sont également assez dévastatrices pour le processus de paix. Si on nomme les États-Unis, on doit également nommer ces pays.
Selon Mme Zrihen, il faut qu'il ressorte de la formulation de ce point que le partenariat devient moins clair et net, parce que les deux projets se superposent.
M. Wille suggère de reformuler l'amendement comme suit:
« Considérant que le projet des États-Unis du « Great Middle East » ne se situe pas dans la ligne du processus de Barcelone ».
L'amendement nº 12 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Considérants 20, 20bis et 20ter
Mme Zrihen et consorts déposent les amendements nº 13 et 14 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3). L'amendement 13 vise à supprimer une partie du point 20. L'amendement nº 14 vise à créer un considérant 20bis.
Mme Annane fait remarquer que l'une des faiblesses du partenariat est le multilatéralisme, qui peut disparaître. L'un des buts originaux du partenariat était l'inégration Sud-Sud. La politique de voisinage renforce le risque de disparition de l'aspect multilatéral du partenariat.
Mme Zrihen explique qu'elle a voulu souligner du texte que la politique de voisinage n'a pas les mêmes objectifs que le processus de Barcelone. La création d'un paragraphe supplémentaire rend se message plus clair.
Mme Annane estime qu'il faut clarifier que la politique de voisinage risque d'être un danger pour le processus de Barcelone. Elle propose de reformuler également le considerant 20bis. La notion de simple juxtaposition de relations privilégiées bilatérales avec l'UE doit être introduite.
Mme Zrihen explique qu'elle a simplement voulu introduire déjà le concept de politique de voisinage et la distinction entre celle-ci et le processus de Barcelone. Cette question était très présente dans les auditions.
M. Wille insiste sur l'importance de cette question. Il rappelle les échecs réguliers des dialogues lancés entre trois pays — toujours un pays du Sud, un pays du nord et un pays de la politique de voisinage — souvent à cause de la mauvaise volonté de ces pays de Sud de l'Europe.
Mme Annane est d'avis que l'idee du besoin d'une intégration régionale est perdue dans cette formulation du considérant 20bis, détaché du considérant 20.
La phrase indiquant que la politique de voisinage et le processus de Barcelone n'ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes méthodes, pose un problème pour Mme Annane. La politique de voisinage peut mettre en danger le processus de Barcelona, parce qu'elle privilège le bilatéral. Néanmoins, ceci ne signifie pas que les deux politiques n'ont pas du tout les mêmes objectifs. La politique de voisinage se définit comme un complément du processus de Barcelone.
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 15 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à insérer un point 20ter.
Mme Zrihen propose ensuite de reprendre les considérants 20bis et 21bis dans un seul paragraphe, comme suit:
« Considérant que plusieurs corrélations existent entre le partenariat et la politique de voisinage et que des questions se posent sur l'avenir qui sera accordé à ces deux formes de collaboration, tenant compte du fait que la première privilège le multilatéral et la seconde le bilatéral. »
Mme Annane est d'accord, à condition qu'on garde la fin du paragraphe 20.
Les amendements nos 13, 14 et 15 sont rétirés.
Considérant 23
Mme Annane dépose l'amendement nº 42 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter un point 23 actualisant le texte.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
B. Le dispositif
Recommandation A
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 16 (doc. Sénat, nº 3-1031/3).
Cet amendement a pour objet de compléter le point A en faisant une référence à l'importance de l'appropriation.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation Abis
Mme Zrihen et consorts déposent ensuite l'amendement nº 17 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter un point Abis.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation B et Bbis
Mme Zrihen et consorts déposent deux amendements relatifs au point B (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3; amendement nos 18 et 19). L'amendement nº 18 vise à supprimer la partie du texte insistant sur la mise en œuvre de la politique de voisinage. Cette demande leur paraît en contradiction avec ce qui a été dit antérieurement. L'amendement nº 19 ajoute un point Bbis.
Mme Annane dit qu'il n'y a pas de paradoxe. La politique peut mettre en danger le processus de Barcelone. Il faut œuvrer pour que la politique de voisinage et le processus de Barcelone soient complémentaires.
Mme Zrihen est d'avis qu'il ne faut pas insister sur la politique de voisinage dans cette resolution, vu qu'elle consistue un problème actuellement pour le processus de Barcelone.
M. Roelants du Vivier indique que l'amendement nº 19 explicite la fin du paragraphe B initial.
Mme Zrihen propose de laisser le texte du point B telle qu'il est, mais d'y rajouter la fin de l'amendement nº 19.
La commission marque son accord.
L'amendement nº 18 est retiré. L'amendement nº 19 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation C
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 20 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer le point C.
M. Lionel Vandenberghe dépose l'amendement nº 1 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/2) qui vise également a remplacer le point C.
Mme Annane n'a pas d'objection contre ces amendements, qui exprime la même idée qu'elle cherche à évoquer dans le texte.
Les membres de la Commission se mettent d'accord pour réécrire ces deux amendements comme suit:
« d'inscrire la lutte contre le terrorisme dans le respect de l'État de droit, visant à promouvoir les droits de l'homme et la démocratie ».
Les amendements nos 20 et 1 sont dès lors retirés.
M. Wille rappelle que certains pays justifient officiellement le terrorisme comme moyen pour atteindre certains buts.
Recommandation Cbis
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 21 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à insérer un point Cbis afin d'instaurer un dispositif d'évaluation des accords d'association par rapport au respect des droits de l'homme.
Mme Annane suggère de mettre ce paragraphe entre le point R et le point S.
La commission marque son accord sur cette proposition.
L'amendement nº 21 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation E
Mme Annane dépose l'amendement nº 43 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à insérer un point Ebis concernant la justice dans la pays partenaires.
Mme Zrihen fait remarquer que l'impartialité n'est pas une chose qu'on peut organiser. Elle dépend de la qualité des hommes et des femmes qui rendent la justice.
Mme Annane s'accorde pour supprimer les mots « et impartial ».
L'amendement nº 43 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation F
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 22 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à supprimer la partie du point F concernant les accords de réadmission.
Mme Annane propose de faire référence aux accords de réadmission et de compléter le point Z.
Mme Zrihen n'est pas d'accord. Il pose problème de demander au gouvernement de développer une politique quasiment bilatérale dans ce domain. Son groupe préfère une politique européenne en matière de migration plutôt qu'une politique d'État à État.
Mme Annane dépose l'amendement nº 44 (doc. Sénat, nº 3-1031/3) afin de préciser que les accords de réadmission sont basés sur les principes de la Convention de Genève.
M. Wille fait remarquer que la politique du gouvernment va tout à fait dans le sens de ce que dit Mme Annane.
Mme Zrihen pose la question de savoir s'il est nécessaire d'en faire une demande au gouvernement.
Mme Annane et M. Wille s'accordent à dire que la politique migratoire du gouvernement est pertinente, réaliste et intelligente. Mme Annane insiste sur l'importance des principes de la Convention de Genève.
Mme Zrihen est d'avis qu'il n'est pas utile de demander au gouvernement de faire quelque chose qu'il fait déjà.
M. Wille propose de retirer tous les amendements concernant la convention de Genève.
L'amendement nº 22 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
L'amendement nº 44 est retiré.
Recommandation G
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 23 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point G avec une référence au progrès en matière sociale et aux droits de l'homme.
M. Wille demande si cet amendement implique une hiérarchie entre le libre-échange et les droits de l'homme et les critères sociaux.
Selon Mme Zrihen, il est important dans le contexte euro-méditéranéen d'insister sur les droits de l'homme et sur les droits économiques et sociaux.
M. Wille explique qu'il ne demande pas une modification du texte. Il voudrait seulement savoir si pour Mme Zrihen ces droits sont prioritaires au libre-échange.
M. Cornil indique que la reponse à la question de M. Wille fait la différence entre les partis socialistes et libéraux.
M. Wille dit que selon les libéraux, c'est le libre-échange qui permet d'être social.
Mme Annane demande s'il ne vaut pas mieux parler de « droits sociaux-économiques », vu que le paragraphe est spécifiquement économique.
M. Wille indique que les « droits sociaux » existent, mais non pas les « droits sociaux-économiques » pas.
M. Cornil est d'accord avec le texte comme proposé par Mme Annane, sauf qu'il accentue le propos sur la question de réel progrès en matière sociale.
L'amendement nº 23 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Mme Annane dépose ensuite l'amendement nº 45 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point G.
Cet amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandations I, Ibis et Iter
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 24 (doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer le point I.
Mme Zrihen explique que cet amendement a pour but de ne pas anticiper sur des décisions et de dire que la Banque européenne d'investissement doit accuellir des participations dans les entreprisés privées méditerranéennes.
M. Wille rappelle que la Banque européenne d'investissement est une banque qui, comme toutes les autres banques, entend faire des profits.
Mme Zrihen insiste sur l'importance de l'autonomie et de la capacité d'initiative de la région, à travers la Banque euro-mediterranéenne de développement. On ne peut pas comparer les moyens de la BEI à ceux de la Banque euro-méditerranéenne. Il ne faut pas encourager l'intervention de la BEI.
M. Cornil ajoute que le problème de fond n'est pas la prise de participation de la BEI dans des entreprises privées mais l'éventuelle concurrence de ces deux banques. Son groupe veut donner à la Banque euro-mediterranéenne tous les atouts possibles.
Mme Annane clarifie qu'elle voulait exprimer l'idée que la BEI ne doit pas se focaliser uniquement sur le financement du secteur public.
M. Roelants du Vivier propose d'ajouter un point nouveau (Ibis) consacré à la Banque européenne d'investissement.
Mme Zrihen propose que ce point (Ibis) soit alors consacré à la mission et les nouveaux objectifs que la BEI devrait se donner.
Les membres de la Commission se mettent d'accord.
L'amendement nº 24 (corrigé) est adopté comme un point Ibis.
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 25 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point I avec une réference au besoin de parité au sein de l'Assemblée euro-méditerranéen. Il s'agirait plus d'un paragraphe Ibis, mais d'un paragraphe Iter.
M. Wille demande quel genre de parité est visée.
Mme Zrihen explique qu'une parité de genres est visée.
M. Roelants du Vivier estime qu'il faudra expliciter cela dans le texte.
Mme Pehlivan fait remarquer que cette exigence est très forte. Même les parlements occidentaux ne sont pas paritaires.
M. Wille propose de reformuler l'amendement et de demander « de tendre à la parité de genres ». (ijveren).
L'amendement nº 25 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation J
Mme Zrihen et consorts déposent les amendement nos 26 et 27 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui visent à compléter le point J.
Ces amendements sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation M
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 28 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à supprimer une partie du point M. On ne peut pas imposer au secteur privé de travailler avec le secteur public.
M. Wille dit pouvoir souscrire à cet amendement.
Mme Annane est d'accord qu'il s'agit plutôt d'encourager le secteur privé aux partenariats que de leur imposer une obligation.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
M. Wille dépose l'amendement nº 54 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à ajouter compléter le point M.
Cet amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation Mbis
Mme Annane dépose l'amendement nº 46 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/4) qui vise à ajouter un point Mbis.
L'amendement est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation N
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 29 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point N et d'insérer les mots « de soutenir l'initiative pour la dépollution de la Méditerranée d'ici 2020 ».
Mme Annane dépose l'amendement nº 47 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui a le même objectif que l'amendement nº 29 de Mme Zrihen et consorts.
Les amendements sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation P
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 30 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à remplacer le point P.
Mme Annane dépose l'amendement nº 48 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à actualiser le point P.
L'amendement nº 30 est retiré.
L'amendement nº 48 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation R
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement 31 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point R.
Mme Annane dépose l'amendement 49 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point R, suite à l'audition concernant les droits de l'homme et les auditions de l'ambassadeur du Liban et de l'ambassadeur d'Egypte.
Ces amendements sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandations T et Tbis
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 32 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point T.
Mme Annane dépose l'amendement nº 50 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à insérer un point Tbis.
M. Roelants du Vivier propose de réécrire le point T et les deux amendements au point T, comme suit:
« d'appuyer les programmes qui valorisent les droits de la femme dans les sociétés des pays partenaires et particulièrement en matière économique; d'assurer la promotion de l'universalité des droits des femmes et l'égalisté des genres; de soutenir l'initiative d'organiser en 2006 une Conférence sur les droits de la femme dans la région méditerranéenne. »
La commission marque son accord.
Les amendements nos 32 et 50 sont retirés.
Recommandation V
Mme Annane dépose l'amendement nº 51 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à reformuler le point V.
Mme Zrihen et consorts déposent ensuite l'amendement nº 33 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à mentionner la Fondation Anna Lindh et à reformuler le point V.
Pour M. Wille, la référence à la Fondation Anna Lindh est un point délicat. L'intervenant attire l'attention sur les difficultés que le concept de laïcité pose aux pays du Sud. Ce concept y est à peine accepté. Selon M. Wille, la religion est respectable, mais l'irréligion l'est tout autant. Toutefois, il ne pense pas que le texte doive être modifié.
Mme Pehlivan souligne qu'on a déjà demandé à la Fondation Roi Baudouin de suivre ces activités.
L'amendement nº 51 est retiré.
L'amendement nº 33 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation W
Mme Zrihen et c.s. déposent l'amendement nº 34 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point W.
L'amendement nº 34 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation X
Mme Zrihen et consorts déposent l'amendement nº 35 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à compléter le point X avec une référence au besoin de création de visas scientifiques.
Mme Zrihen rappelle que le besoin de visas scientifiques a déjà été évoqué au niveau européen, dans le sixième programme cadre de recherche.
M. Wille est d'avis que ces visas scientifiques pourraient être difficile à créer. Il y a un grand problème de fraude dans ce domaine. Les « visas scientifques » n'existent pas en tant que tel.
Mme Zrihen propose de supprimer la référence aux visas scientifiques et d'insister simplement sur la facilitation des déplacements des chercheurs.
L'amendement nº 35 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation Y
Mme Annane dépose l'amendement nº 52 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à préciser la point Y.
L'amendement nº 52 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Recommandation Z
M. Lionel Vandenberghe dépose l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 3-1031/2), qui vise à ce qu'on puisse, dans le domaine des droits de l'homme, traduire les mots en actes en instaurant la possibilité de geler les accords d'association en cas de violation grave et permanente des droits de l'homme.
Selon M. Roelants du Vivier, cette possibilité est prévue dans les accords d'association.
M. Lionel Vandenberghe souligne que l'on connaît suffisamment d'exemple de situations dans lesquelles cette possibilité n'est pas exploitée, comme dans le cas d'Israël. Nous avons besoin d'un moyen de pression, de manière à ne pas en rester, en matière de droits de l'homme, à de belles paroles sans engagement.
M. Wille souligne que certains pays sont pires qu'Israël en ce qui concerne la violation des droits de l'homme.
Mme Zrihen fait observer que cette question pourrait être inscrite dans le point Z.
Mme Annane indique la proposition de Mme Zrihen pose un problème, comme le point Z parle des conclusions de Barcelone VI. Cet ajout ne fait pas partie de ces conclusions.
Mme Zrihen propose d'ajouter un élément au point Z, qui est clairement distingué des conclusions de Barcelone VI.
M. Lionel Vandenberghe déclare qu'il est clairement apparu, en Syrie, que le gel des accords d'association était un point délicat. Il souhaite dès lors que cela figure explicitement dans la résolution.
M. Roelants du Vivier propose d'ajouter un point, comme suit:
« de proposer, lors d'une prochaine réunion, que soit mis à l'ordre du jour la protection des droits de l'homme et qu'à cet égard l'esprit et la lettre des accords d'association soient respectés. »
M. Lionel Vandenberghe demande que les mots « et d'autres traités internationaux » soient ajoutés au libellé proposé par M. Roelants du Vivier.
L'amendement nº 2 (corrigé) est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Mme Zrihen et consorts déposent les amendements nos 36, 37 et 38 (voir doc. Sénat, nº 3-1031/3) qui vise à reformuler le point Z.
Comme le point Z reprend les conclusions du sommet de Barcelone VI, les membres de la Commission s'accordent à dire qu'on ne peut pas amender au point Z.
Les amendements sont dès lors retirés.
IV. VOTES
L'ensemble de la proposition de résolution amendée a été adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.
La rapporteuse, | Le président, |
Olga ZRIHEN. | François ROELANTS du VIVIER. |
Texte adopté par la commission (voir doc. Sénat nº 3-1031/5)
V. ANNEXE
1. Audition de S.E. M. Toukan, ambassadeur du Royaume hachémite de Jordanie auprès de l'Union européenne
1.1. Exposé introductif
Les dix dernières années, le processus de Barcelone a joué un rôle important dans les relations euroméditerranéennes. La coopération belgo-jordanienne se fait dans le cadre de ce forum et la Jordanie apprécie le souhait des partenaires de l'Union européenne d'élargir l'ampleur de coopération politique, de sécurité, économique et social qui a pour objectif d'établir la paix et la sécurité dans la région euroméditerranéenne ainsi que de soutenir des mesures de « confidence building » dans le cadre de ce partenariat.
Le processus de Barcelone constitue une plus-value de la conférence de paix sur le Moyen Orient qui s'est tenue à Madrid en 1991. Bien que les relations euroméditerranéennes remontent au 15e siècle, le processus de Barcelone constitue un jalon important dans leur histoire.
Quoiqu'un léger progrès ait été réalisé au niveau politique, la région euroméditerranéenne est loin d'être stable. L'occupation permanente du territoire palestino-arabe par Israël, le processus de paix qui est en perte de vitesse, les attaques du 11 septembre et la situation en Iraq rendent cette relation très difficile. Cependant, le processus de Barcelone offre un forum de discussions aux partenaires euroméditerranéens et permet de conclure des accords d'association. La politique de voisinage européenne est en train d'être élaborée.
On estime que le processus de Barcelone ne serait pas le lieu indiqué pour résoudre le conflit du Moyen Orient. Or, en 1995, le souhait de réaliser les grands espoirs de la conférence de paix de Madrid et les accords de paix était au cœur du processus. Il en résulte que le processus de paix au Moyen orient ne devrait pas être mis de côté au sein du dialogue euroméditerranéen. L'Union européenne est membre du quartet chargée de la mise en œuvre de la feuille de route.
L'attention accordée à la réforme, à la démocratisation et à la bonne gouvernance et aux questions liées, ne devrait pas détourner l'attention de la question centrale du processus de paix au Moyen Orient. Le groupe arabe attache une grande importance au soutien continue de l'Union européenne au processus de paix et apprécie ses engagements positifs envers les autres causes arabes dominantes.
Bien que des progrès importants aient été accomplis au niveau économique, on est encore loin du concept de la prospérité économique partagée. L'Europe est le partenaire le plus important de la région méditerranéenne. Le fossé en termes de richesse entre les deux rives de la Méditerranéenne demeure néanmoins un facteur important d'instabilité. L'investissement européen qui devrait aborder ce problème, s'est affaibli au lieu d'être intensifié. L'absence de croissance liée à l'instabilité économique favorisera sans doute l'immigration tant légale qu'illégale. À cet égard, les pays arabes envisagent une coopération économique accrue avec l'Union européenne dans plusieurs domaines de l'industrie, de l'agriculture, de la science et de la technologie et du tourisme. De plus, la réforme économique devrait accompagner l'intégration régionale, indispensable à la mise en œuvre des objectifs de Barcelone.
Dans ce contexte, les accords entre les partenaires méditerranéens (la Jordanie, l'Égypte, la Tunisie et le Maroc) sont considérés comme une initiative très utile pour le renforcement de la coopération Sud-Sud afin de réaliser l'intégration régionale et le commerce actif avec les pays du Nord.
Les aspects culturels et sociaux ont été largement négligés. L'orateur exprime son ferme espoir que la « fondation Anna Lindh » puisse contribuer à améliorer le dialogue entre les cultures, à augmenter la tolérance et à renforcer le combat contre le racisme, la discrimination et la xénophobie. La commission économique de l'Assemblée parlementaire euroméditerranéenne, présidée par la Jordanie, permettra à la société civile de s'intégrer dans le processus de Barcelone.
Ces aspects du processus de Barcelone sont intimement liés aux préoccupations politique et de sécurité. Des exemples peuvent être cités dans le programme des Affaires Intérieures et de Justice du Conseil européen. Il faudrait examiner comment les partenaires méditerranéens puissent bénéficier des programmes existants. Les activités à l'intention des pays méditerranéens, financées par la Commission de l'Union européenne comme Héritage Euromed, Euromed Jeunesse, Fondation Européenne d'Entraînement, devraient être maximisées. Il est également indiqué d'institutionnaliser les bourses et l'échange d'étudiants.
Des préoccupations de nature sécuritaire ont éclipsé la perspective d'une relation durable entre l'Union européenne et la région méditerranéenne.
Les thèmes les plus fréquemment abordés par les partenaires Euromed sont le terrorisme et la politique européenne de sécurité et de défense (PESC). De plus, une meilleure échange d'information et une coopération plus pratique s'imposent dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Afin d'éradiquer le fléau du terrorisme, il convient de s'attaquer aux racines mêmes de ce phénomène, à savoir la pauvreté, le chômage, l'instabilité, l'analphabétisme, les sentiments d'injustice et l'absence de solutions justes aux problèmes politiques dominants. L'échange d'information devrait être la pierre angulaire des « confidence building measures » et devrait se faire sur une base réciproque et conformément aux principes reconnus par les Nations unies. La sécurité de l'Union européenne et de la Méditerranée forme un ensemble indivisible. Les partenaires devraient aboutir à une politique coordonnée à cet égard.
Comme prévu par le Plan d'Action Union européenne-Jordanie, la Jordanie se dit prête à explorer les possibilités d'une participation aux activités d'entraînement pour la prévention de conflits, la gestion de crises et de catastrophes naturelles ainsi qu'aux opérations de maintien de la paix en coopération avec l'Union européenne.
Les politiques relatives à la sécurité de société devraient être associées à d'autres stratégies relatives aux droits de l'homme, à la démocratie, à l'État de droit et au développement économique. Le respect des droits de l'homme associés à ces stratégies de développement, permettraient d'adresser des menaces de société comme l'occupation, plan de développement social et économique échoué, des conflits internes, la pauvreté, l'ébriété, le crime organisé, le terrorisme, les armes de destruction massive, la dégradation de l'environnement et pénurie d'eau. Il faut que les partenaires euroméditerranéens fassent des efforts communs afin d'aborder ces problèmes.
La Jordanie se dit prête à engager des efforts pour réaliser les objectifs qui n'ont pas encore été mis en œuvre.
1.2. Échange de vues
En tant que membre suppléant de l'Assemblée consultative euromédetirranéenne, M. Wille estime que cette haute assemblée doit tendre vers une maturité suffisante pour pouvoir remplir pleinement sa tâche et elle doit l'exprimer dans la présente proposition de résolution.
Même si l'orateur regrette que le programme MEDA ne soit pas très efficace, les projets structurels économiques ont apporté une plus-value au processus de Barcelone. Il regrette également le manque de sérieux des pays méditerranéens méridionaux membres de l'Union européenne dans l'application du premier programme MEDA. Sans partenariat de la Grèce, de l'Italie et du Portugal pour encadrer le projet triangulaire, rien de concret n'a pu se faire. Le nouveau programme MEDA est meilleur que le premier. Même si l'approche est plus structurelle, l'orateur doute toutefois encore de l'efficacité.
L'ambassadeur de Jordanie porte-t-il un regard critique sur les objectifs et les moyens de les atteindre par le biais du processus de Barcelone ?
En tant que membre de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, M. Vandenberghe constate que l'on y parle également du partenariat euro-méditerranéen, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il apprécie l'approche plus large du problème adoptée par l'ambassadeur et demande ce que peut faire notre pays en faveur des programmes d'échanges culturels d'étudiants auxquels l'ambassadeur a fait référence dans son intervention.
L'ambassadeur répond qu'une coopération culturelle entre les pays méditerranéens, l'Union européenne et les États Unis est cruciale. Ceci ne devrait pas uniquement s'appliquer aux étudiants mais également aux professeurs.
Mme Zrihen souligne l'importance de la présente proposition de résolution qui effectue une évaluation du processus de Barcelone après 10 ans.
Le Partenariat euroméditerréan est souvent lié aux attentats du 11 septembre 2001, ce qui occulte la capacité de travail de l'Union européenne dans ce partenariat. Il faut développer un modèle d'intégration qui apporte une plus-value économique voire démocratique. Il faut que la croissance économique soit le plus équitablement reparti entre les citoyens. L'oratrice souhaite connaître la position du gouvernement de la Jordanie en matière de libéralisation des marchés. À cet égard, l'Union européenne a formulé un certain nombre de recommandations dans le cadre du partenariat euroméditerranéen.
L'ambassadeur répond qu'il faut aller au-delà d'une approche purement sécuritaire, mais opérer une convergence entre les règles économiques, culturelles et sociales de la Jordanie et de l' Union européenne.
M. Roelants du Vivier se réfère au processus d'Agadir qui a été lancé en janvier 2001 entre la Jordanie, la Tunisie et le Maroc et qui vise à favoriser les interactions entre ces quatre pays dont la structure économique est semblable. Pourquoi la mise en œuvre de ce processus se fait si lentement étant donné qu'un accord de libre échange a été conclu avec les États-Unis ? La Commission de l'Union européenne se propose de tenir une conférence en 2006 sur la démocratie et les droits de l'homme. Elle présentera des projets concrets qui seront financés par la politique de voisinage. Quelles sont les attentes de la Jordanie en matière d'aide au développement ?
Des élections parlementaires ont eu lieu en Jordanie en juin 2003 après une suspension du corps législatif en 2001. Le parlement devrait s'occuper de 200 lois qui avaient été adoptées en urgence entre 2001 et 2003. Quelle est la méthode spécifique suivie à cet égard ?
L'ambassadeur répond que l'accord commercial avec les États-Unis est bilatéral, tandis que les accords d'Agadir sont multilatéraux et donc plus formels. Les pays vont, à l'aide de ce processus, faire converger leurs économies. L'orateur espère que cela les aidera également à pénétrer au marché européen.
La Jordanie estime qu'il est important de participer à la conférence Euromed relative à la démocratie et les droits de l'homme. Actuellement, les modalités techniques sont élaborées.
Les lois temporaires passées pendant la période intérimaire d'un an et demi ne sont pas prises en violation de la Constitution. Cependant, le parlement annulera les mesures prises par le gouvernement en l'absence du parlement.
Mme Annane fait observer que l'ambassadeur de la Jordanie a lié le processus de Barcelone à l'état du conflit au Moyen Orient. En 1995, l'impossibilité de trouver une solution à ce conflit a handicapé le volet politique du processus de Barcelone et la mise en œuvre de la charte de stabilité. Il convient de ne pas trop se focaliser sur cet aspect et faire en sorte que les deux autres volets, à savoir les volets culturel, financier, social et humain soient mis en œuvre ce qui permettrait d'activer le volet politique.
Selon l'ambassadeur, deux problèmes majeures se posent quant aux engagements dans le cadre du processus de Barcelone: premièrement, les partenaires méditerranéens ne savent pas exactement où va mener le processus de Barcelone; en second lieu, les pays du Sud souhaitent savoir si à long terme, ils pourraient adhérer à l'Union européenne. Il faut que l'Union européenne clarifie ces deux questions.
Les aspects politique, économique, social et culturel relèvent une même importance. Les solutions politiques ne constituent pas la première priorité. La mise en place d'un règlement politique du conflit au Moyen Orient est susceptible d'accélérer le processus de réforme, mais n'en constitue pas une condition.
Les élections, la solution aux problèmes politiques, le respect de la démocratie et des droits de l'homme doivent être considérés comme un ensemble.
La Jordanie peut se concilier avec les points de vue de l'Union européenne en matière d'immigration. La frontière jordanienne est une des mieux sécurisés des pays du Sud. La Jordanie est disposée à entamer des pourparlers en vue d'un accord avec l'Union européenne relatif à l'immigration temporaire de main d'œuvre qualifiée.
2. Audition de S.E. M. Menouar Alem, ambassadeur du Royaume du Maroc auprès de l'Union européenne
2.1. Exposé introductif
Le processus de paix au Moyen Orient est la pierre angulaire de la stabilité et la prospérité dans la région euroméditerranéenne.
Quand le processus de Barcelone fut lancé, il y a 10 ans, les perspectives de paix au Moyen Orient étaient très bonnes.
À cette époque, la visibilité politique de la région était grande par la conclusion des accords d'association entre l'Union européenne et ses partenaires du Sud. La mise en place d'un programme d'assistance financière MEDA a mis en évidence l'importance de la région à ce niveau. Les aspects culturel et social revêtent un caractère aussi important que les dimensions politique et économique.
L'élan du processus de Barcelone a été freiné par un nombre de facteurs:
— la détérioration de la situation au Moyen Orient a fait disparaître la confiance entre les partenaires;
— la vision de l'Union européenne des pays du Sud comme un bloc homogène, a provoqué un nivellement par le bas. Par la mise en œuvre de la nouvelle politique de voisinage, elle tient compte des grandes différences entres les pays;
— le déséquilibre entre les volets politiques, économique et culturel et social est frappant. Les intérêts sécuritaires priment toujours sur la dimension du développement;
— les procédures de ratification des accords d'association ont retardé leur entrée en vigueur;
— le programme « MEDA » ne démarre que difficilement à cause des procédures de mise en œuvre assez rigides. Il y a une responsabilité partagée entre l'Union européenne et les pays du Sud, mais ces derniers ont encouru des retards considérables à cet égard.
Actuellement, le processus de Barcelone s'inscrit dans un nouveau contexte marqué par l'élargissement de l'Union européenne et l'apparition de nouveaux voisinages. De plus, des négociations se font ou vont se faire avec des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne.
De multiples initiatives de la part de l'Union européenne et des États-Unis sur la région méditerranéenne voient le jour. L'OCDE et l'OTAN s'y intéressent également. De nouvelles menaces apparaissent, comme les armes de destruction massive et le terrorisme radicale islamiste, ont vu le jour.
Comment peut-on redynamiser le processus de Barcelone ? Il faut se demander quelle visibilité politique et économique nouvelle l'Union européenne doit-elle offrir à ses partenaires du Sud et quel sera son soutien financier pour la politique de voisinage.
Comme l'Union européenne, le processus euroméditerranéen est un concept politique. La première a choisi de commencer par l'intégration économique parce que la deuxième guerre mondiale avait fait des cicatrices profondes. Ce n'est que par après que la coopération politique a été mise en route.
Pour les pays du Sud, la question se pose de la même manière. Il y a un concept politique très fort. Le processus de paix au Moyen Orient a un impact direct sur le processus de Barcelone. Il faut mettre en œuvre la feuille de route et il convient que l'Union européenne, étant le premier contributeur dans la région, s'implique davantage dans la mise en place d'une paix.
Le processus de Barcelone est la seule plate-forme qui permet de réunir régulièrement tous les partenaires du processus. La politique de voisinage doit en être l'instrument de redynamisation mais ne peut pas s'y substituer.
Les principes de l'appropriation commune et de différentiation doivent être au cœur du processus de Barcelone. Les pays du Sud ont souvent l'impression que tout est organisé par la Commission de l'Union européenne. Tous les pays du Sud de la Méditerranée n'ont pas les mêmes engagements politique et stratégique envers l'Union européenne. Dès lors, il est naturel de laisser la politique de différentiation jouer pour que certains pays puissent s'impliquer davantage.
La coopération renforcée doit encore être encouragée parce qu'elle va de pair avec la politique de différenciation. Il faut favoriser dans la plus grande transparence tous les formats de coopération.
Les perspectives financières de la politique de voisinage pour les années 2007-2013 doivent être conséquents.
Conformément à la charte du processus de Barcelone, des réformes en matière de démocratie, la bonne gouvernance et l'État de droit doivent être poursuivies. La mission de réconcilier les Marocains entre eux revêt un caractère très important. Le Roi a confié la tache de réconcilier les Marocains à des instances spéciales. Le Maroc s'est engagé pendant une quinzaine d'années dans une série de réformes peu faciles, mais néanmoins nécessaires. Il s'agit d'un projet de société soutenu par le Roi, le gouvernement, les partis politiques et la société civile. Le Maroc est le seul pays qui entreprend une relecture du passé pendant le règne d'un même régime. Afin d'assurer l'égalité des femmes, le code de la famille fait l'objet de modifications fondamentales.
On a tendance à reprocher au Maroc qu'elle fait peu d'efforts en matière de lutte contre le terrorisme. À cet égard, on cite les attentats du 11 mars à Madrid et l'assassinat du régisseur néerlandais Théo Van Gogh, le 2 novembre 2004 à Amsterdam, par un citoyen d'origine marocaine. Lorsque « Al Qaida » commet un attentat, il va s'appuyer sur la communauté musulmane locale, qui en Espagne consiste à 95 % de Marocains.
Le Maroc n'a toutefois pas attendu les attentats du 11 septembre 2001 pour faire de la lutte contre le terrorisme une des ses priorités. En matière de lutte contre les nouvelles menaces du terrorisme, le Maroc est le premier pays du Sud à avoir eu des contacts avec M. Gijs De Vries, le coordinateur anti-terroriste de l'Union européenne. La coopération se développe même au-delà de l'Union européenne. Les contacts avec l'OTAN se déroulent très bien.
La sécurité et la défense revêtent un caractère important. La PESC connaît un début de concrétisation. Les pays du Sud devraient y être impliqués. Le Maroc et la Turquie sont les seuls pays à être présents dans une opération de maintien de la paix en Europe, à savoir en Bosnie. Il assume également des missions au Kosovo dans le cadre de l'OTAN pour protéger des sites, désarmer les gens, poursuivre les criminels de guerre et participer à des opérations humanitaires.
Sur le plan politique et financier, la mise en œuvre de la politique de voisinage de l'Union européenne doit se faire par le rapprochement des législations et l'intégration, pour les partenaires qui le souhaitent.
L'argent demeure un grand accélérateur des réformes. Il faut répartir l'enveloppe financière en fonction d'une répartition géographique de la région de la Méditerranée. Les nouveaux instruments de voisinage devraient-ils être appropriés ? Il importe cependant de maintenir une enveloppe financière par pays.
Le financement du secteur social constitue une priorité au Maroc. 70 % des programmes qui s'inscrivent dans « MEDA » sont liés directement ou indirectement avec le secteur social, grâce à une simplification des procédures réalisée par d'une part l'Union européenne et d'autre part, par le Maroc.
Le commerce interrégional ne représente que 5 % du commerce de tous les pays du Sud. Le processus d'Agadir qui permet de rassembler quatre pays, à savoir le Maroc, l'Égypte, la Tunésie et Jordanie, va contribuer à élargir le champ de l'intégration économique euroméditerranéenne. De plus, le Maroc a également signé un accord de libre échange avec la Turquie. L'Union européenne devrait de son côté accélérer certains accords dont « Paneuromed » sur les règles d'origine, qui est très important pour les pays du Sud dont l'économie dépend de textile: à savoir le Maroc et la Tunisie. Ceci est d'autant plus le cas dans une période marquée par la fin de l'accord multi-fibres et les importations considérables en provenance de l'Asie.
L'aspect culturel du processus de Barcelone a été concrétisé par la mise en place du « Fond Anna Lindh ». Il faut promouvoir le dialogue entre les civilisations et les religions. Il convient d'impliquer de manière plus forte la société civile dans le paysage euroméditerranéen. Le travail fait par la société civile au Maroc est complémentaire à celui du gouvernement et peut être un rempart contre l'islamisme.
Il faut faciliter la circulation des jeunes, des étudiants et des chercheurs.
Il convient d'aborder le problème de la migration dans ses dimensions globale et régionale. L'Union européenne a besoin de nouveaux migrants. Afin de gérer les flux migratoires, il faut réactiver les accords de main d'œuvre et orienter la coopération au développement avec l'Union européenne vers les régions à fort potentiel migratoire. Il faut des moyens importants pour combattre la migration illégale. Le Maroc qui constitue la frontière sud de l'Europe est confronté à un flux migratoire en provenance des pays de l'Afrique centrale et australe. L'Union européenne n'intervient pas à l'exception de l'Espagne avec qui le Maroc a une très bonne coopération en ce qui concerne le contrôle de ses frontières sud. Il faut toutefois aussi créer des perspectives de migration légale.
2.2. Échange de vues
Mme Zrihen estime que le processus d'Agadir pourrait trouver largement sa place dans la zone d'intégration à laquelle l'ambassadeur du Maroc a fait référence. Elle souhaite savoir quelles matières pourraient être inclues dans la coopération renforcée.
L'ambassadeur du Maroc explique qu'il y lieu de diviser les pays du Sud de la Méditerranée en deux régions: le Maghreb et le Machrek. Elles présentent des caractéristiques différentes. Au sein du Maghreb, la tension entre les deux plus grands partenaires, le Maroc et l'Algérie, est en train de se diminuer.
On peut revigorer le processus de Barcelone en s'attelant à des problèmes spécifiques avec un groupe restreint de pays sans mettre en danger son homogénéité. En matière d'immigration clandestine illégale, tous les partenaires euroméditerranéens ont intérêt à travailler au niveau régional.
En tant que présidente du Comité sahraoui, Mme De Roeck suit de très près les progrès au Maroc. Une solution doit être rapidement trouvée pour les 160 000 Sahraouis hébergés dans des camps de réfugiés en Algérie. Les enfants sont sous-alimentés et certains pays veulent arrêter leur aide au développement. Une solution doit être recherchée par le biais d'un référendum ou d'une autre manière. Elle souhaite connaître les démarches qu'entreprendra le Maroc.
L'ambassadeur répond qu'à Tindouf, le nombre de réfugiés ne s'élève en réalité même pas à la moitié du chiffre cité par Mme De Rouck. De plus, d'importantes sommes d'aide aux réfugiées sont détournés. Il y a 408 prisonniers marocains détenus à Tindouf, dont la plupart depuis déjà 25 ans, en violation des conventions internationales de Genève. Ils font l'objet de tortures. Les prisonniers du « Polisario » ont tous été relâches. Une partie des femmes et enfants saharouis sont enlevés et envoyés au Cuba pour les soumettre à des lavages de cerveaux. Par contre, la population Saharoui vit librement au Maroc.
Mme Annane souhaite connaître le point de vue de l'ambassadeur sur la frilosité de la plupart des pays méditerranéens en ce qui concerne la politique de voisinage. L'ambassadeur de Jordanie l'a expliqué par le manque d'information des pays quant au processus de Barcelone et par l'incertitude des pays quant à leur adhésion à l'Union européenne. Elle se demande si cette nouvelle politique de voisinage ne répond pas justement à cette question vu la façon dont la définissait le président de la Commission, Romani Prodi, à l'époque: « tout sauf les institutions ».
Mme Bouarfa salue l'effort de démocratisation du Maroc. Les femmes se trouvent à des places éligibles.
En matière de sécurité sociale, il n'y a pas de système de solidarité et il y a lieu de taxer plus sévèrement les entreprises au Maroc. De plus, il y a une fuite de cerveaux qui prend des allures importantes. Il faut arrêter de vider les pays du Sud de leur substance.
L'ambassadeur répond que tous les domaines qui touchent au bien-être des citoyens sont prioritaires au Maroc. Le système d'enseignement au Maroc est un échec en adéquation avec la situation économique et l'emploi. Le Maroc consacre l'essentiel de l'assistance financière du programme « MEDA » à la promotion du secteur social. L'aide financière de l'Union européenne accélérait les réformes envisagées par le Maroc.
Le Maroc n'a pas les moyens financiers pour empêcher une fuite des cerveaux. Il ne peut pas offrir les mêmes perspectives de carrière qu'en Europe.
Actuellement, il y a une prise de conscience au Maroc qu'il très important d'être plus vigilant dans la perception des impôts.
M. Roelants du Vivier fait observer que pour conserver un chômage égal dans les 10 pays méditerranéens, il faut créer 35 millions d'emplois sur 15 ans. À partir de 2020, la baisse de la natalité permettra de réduire les arrivées sur les marchés de travail. Cela pose la question de la formation d'une main d'œuvre qualifiée en matières d'administration et de gestion. Le Maroc risque de la perdre à l'Union européenne. Cette dernière envisage une politique d'immigration économique. L'orateur souhaite savoir comment le Maroc va faire face à ce défi.
L'orateur se réfère à la demande H de la proposition de résolution nº 1031 de Mme Annane concernant le partenariat euro-méditerranéen à la veille de ses dix ans qui recommande au gouvernement belge de soutenir fermement le processus d'Agadir. Il demande pourquoi le processus d'Agadir ne démarre pas vraiment.
M. Roelants du Vivier souhaite savoir quelle sera la position du Maroc au sein de la conférence ministérielle euro-méditerranéenne de juin 2005 sur la bonne gouvernance et le rôle de l'État dans l'économie.
Le membre se réfère à l'intervention de Mme Zrihen quant aux domaines pour lesquelles on devrait plus facilement trouver une coopération renforcée. Est-il possible de trouver une forme de coopération renforcée sur les matières d'intérêt commun du Maroc et de l'Algérie, voire de l'ensemble des pays méditerranéens, comme l'environnement ?
L'ambassadeur répond que le traité instaurant le processus d'Agadir fait l'objet d'une procédure de ratification qui sera arrondie prochainement. Il faut élargir le processus d'Agadir vers d'autre pays parce qu'il constitue un facteur de stabilité économique. Cela pourrait permettre d'éviter un « Tsunami textile » de la region euroméditerranéenne en provenance de l'Asie.
Un des produits d'exportation les plus importants au Maroc est le phosphate, qui a un caractère extrêmement polluant de sorte que le pays doive dépenser beaucoup pour protéger l'environnement. En cas d'accident écologique, il convient de mettre en place un dispositif de coopération régionale. Le Maroc, avec l'Espagne et le Portugal, envisagent de créer des centres d'alerte en mer méditerranéenne en cas de « Tsunami ».
Malgré le fait que la démocratisation, la bonne gouvernance et le respect du droits de l'homme soient les pierres angulaires de la politique de voisinage, les pays arabes le ressentent souvent comme une imposition de la part de l'Union européenne. Ils doivent faire face à un nombre d'initiatives lancées pêle-mêle en ce domaine.
Lors de la conférence euroméditerranéenne de juin 2005, une évaluation macro économique faite de la situation dans la région euroméditerranéenne, permettra aux partenaires de s'exprimer sur le futur de la FEMIP (Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat). Elle offrira également la possibilité de réfléchir sur une politique économique euroméditerranéenne commune. Il convient d'accentuer que la coopération avec la Banque européenne d'Investissement (BEI) en matière d'infrastructure est très satisfaisante.
3. Audition de M. Bichera Khader, professeur à l'UCL
3.1. Exposé introductif
La dénomination « partenariat » au lieu de « coopération » est devenue, dans les années nonante, l'expression courante pour définir la nouvelle relation de l'Union européenne avec les pays de voisinage immédiat, à savoir les pays de la Méditerranée. Aujourd'hui, on est à l'heure des bilans.
Le « Euro-Mediterranean Study Commission » (EuromeSco) qui englobe une quarantaine de centres d'études de relations internationales a fait un bilan qui s'intitule « Vers une Communauté euroméditerranéenne d'États démocratiques ». Le réseau FEMISE qui regroupe plus de 70 instituts de recherche en économie, représentant les 27 partenaires du Processus de Barcelone a également effectué une étude sur le volet économique et financier.
L'orateur était membre du « Groupe des Sages pour le Dialogue des cultures » créé sur l'initiative de l'ancien Président de la Commission européenne, Romani Prodi, qui a publié en 2004, un rapport « Le Dialogue entre les Peuples et les Cultures dans l'Espace euro-méditerranéen ». Ce dernier a recommandé la création de « la Fondation euro-méditerranéenne pour le Dialogue des Cultures » dont le siège se trouve à Alexandrie.
Partenariat « euroméditerranéen » ou partenariat « euro-arabe » ?
Après 10 ans, le processus de Barcelone ne parvient pas à prendre de l'altitude (« took off but flies too low »).
Le bilan diffère selon celui qui le fait. La Commission de l'Union européenne se donne généralement un satisfecit.: accords d'association signés avec tous les pays du Méditerranée, stabilisation économique d'une bonne partie des pays du Sud de la Méditerranée, inflation sous contrôle, le programme MEDA contrôlé, réunion périodique à tous les échelons, aide financière accrue et participation de la Banque européenne d'Investissement plus importante. La Commission de l'Union européenne reconnaît cependant les lenteurs dans les ratifications des accords d'association et des goulots d'étranglement administratif, l'effet négatif de la situation au Moyen Orient et les retombées du 11 septembre 2001.
Suite aux critiques, la Commission a doté le programme MEDA II d'une enveloppe plus importante. Elle a également créé la « Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat » (FEMIP). Celle-ci accorde une priorité spéciale au développement de l'activité économique du secteur privé et aux projets qui contribuent à la création d'un climat propice à l'investissement privé. Son objectif est d'aider les pays partenaires méditerranéens (PPM) à relever les défis de leur modernisation économique et sociale et du renforcement de l'intégration régionale, dans la perspective de la zone de libre-échange euroméditerranéenne prévue pour 2010.
Lors de la conférence de Naples, il a été décidé de créer de nouvelles assemblées parlementaires en remplacement du Forum parlementaire Euromed.
La Commission de l'Union européenne s'efforce de créer une zone de libre échange vers 2010. Devant cet enthousiasme, nombreux sont ceux qui mettent en cause la suffisance des moyens et la pertinence des méthodes. Certains vont jusqu'à récuser l'idéologie sous-jacente. La plupart des États membres de l'Union européenne voient la Méditerranée comme un foyer de tensions et de nouvelles instabilités à endiguer. Les pays européens du Sud voient le partenariat à travers le prisme de leurs stratégies et de leurs priorités. L'opinion publique y est indifférente et les média y prêtent une attention très limitée.
Les pays méditerranéens du Sud baignent dans le paradoxe. Ils ont signé la déclaration de Barcelone et sont censés connaître les règles du jeu. Ils ont leur part de responsabilité dans la réussite du projet. Au lieu de remédier à leurs propres lenteurs administratifs et de combattre la corruption, ces pays se montrent constamment revendicatifs, tendant à faire endosser à l'Union européenne la responsabilité de leurs propres défauts et incohérences.
L'Union européenne détermine les règles du jeu et propose, dispose et impose. Mais il faut agir collectivement en favorisant l'intégration subrégionale, vider les absurdes fixations qui entravent les actions communes et défendre les droits de l'homme.
Les intellectuels du Sud estiment que le partenariat s'apparente à une approche néo-coloniale visant à réduire les pays de la Méditerranée à une arrière-cour de la puissante Union européenne. Or, il y a ceux qui y voient une opportunité historique à saisir.
D'aucuns considèrent que le partenariat est plutôt un passage obligé pour forcer la transformation des économies. Bien qu'il ne suscite pas un grand enthousiasme, il continue à exister et il est possible que la Libye et l'Iraq y soient inclus.
Dans l'inertie, le partenariat se perpétue quand même. Mais il faut que le processus de Barcelone aboutisse à la paix et à la prospérité sans quoi il ressemblera au processus israëlo-arabe. Afin d'y arriver l'Union européenne doit mener une politique plus novatrice.
Le contexte international de 1995 était beaucoup plus encourageant que celui de 2005: l'URSS était battu sans livrer bataille, l'économie européenne sortait du marasme et le processus de paix israélo-arabe venait d'être lancé.
Actuellement, les perspectives sont moins favorables: le processus de paix au Moyen orient s'est enlisé, voire déraillé, le terrorisme international et l'Iraq continuent d'occuper le devant de la scène, l'élargissement fait sortir Malte et Chypre du groupe des pays tiers méditerranéens (PTM) et la Turquie s'est vu octroyé la qualité de pays candidat à l'adhésion.
Il faut contribuer à faire émerger une entité politique et économique arabe sur la base d'un sentiment d'appartenance. Les découpages arbitraires de l'espace en Méditerranée occidentale, Proche Orient, Moyen Orient et Grand Moyen Orient diluent l'identité collective arabe.
Par un effet d'annonce, d'incitants multiples, l'Union européenne peut continuer à casser le status quo actuel. Le nombre d'habitants dans la zone euroméditerranéenne s'élève à 1 000 millions d'habitants (500 millions dans l'Union européenne et 500 millions dans le monde arabe).
Les politiques de convergence entre le monde arabe et l'Union européenne pourraient leur donner un poids économique et politique plus important tandis qu'un émiettement des forces aurait des conséquences dramatiques à l'intérieur du monde arabe. Il pourrait mener à une déstabilisation politique, à une détérioration de la situation économique et au débordement des problèmes internes sur les communautés des expatriés et à l'agitation sociale voire au terrorisme transnational.
La catégorisation du monde arabe en pays amis et pays voyous fait douter, au sein de l'Union européenne, de l'existence d'un monde arabe et de la pertinence du concept de l'arabité.
Les visions à travers le prisme nassérien, comme un défi aux stratégies européennes; d'Israël comme une menace ou à travers le prisme huntingtonien (blocs inconciliables) empêchaient de voir la potentialité en termes de paix et de prospérité.
L'éparpillement du monde arabe fait penser aux réalités européennes d'il y a 60 ans, mais est toutefois loin d'entraîner les bains de sang de la première et de la deuxième guerre mondiale.
En dépit de l'embellie passagère, le monde arabe est en proie comme les autres aux problèmes lancinant du chômage.
L'Union européenne aura dans son voisinage immédiat un demi milliard d'arabes d'ici 2025. Ce monde deviendra davantage une dimension essentielle de l'action extérieure européenne.
Une action européenne sur le conflit israélo-arabe est inefficace par l'indécision européenne et par l'obstruction israélienne tandis qu'une ouverture sur le Golf rencontre une opposition des États-Unis.
Seule une politique arabe de l'Europe peut être efficace et générer un soutien des opinions à la fois arabe et européenne et aura l'avantage de rasséréner les communautés arabes en Europe et de faciliter leur intégration. Cela permettrait de sortir l'Euroméditerranée de ses impasses conceptuelles et de l'anonymat en dehors des cercles élitaires.
L'Euroméditerranée n'est qu'un instrument et pas une vision d'un futur partagé. Par contre la stratégie européenne du monde arabe s'inscrit dans une autre perspective. Il œuvrera à stimuler les échanges interarabes et visera la stabilité du monde arabe par la croissance interne et les réformes sociales et étatiques. La croissance du monde arabe est conçue en soi et pas seulement comme un instrument pour stabiliser la jeunesse et de réduire les flux migratoires. Elle n'exclura en rien des actions différenciées avec des pays leaders rejoints graduellement par les autres.
Une action européenne favorable à la démocratisation et à l'intégration du monde arabe devrait fonctionner comme un éperon pour Israël, pour vaincre ses penchants pour s'imposer par la force. Cette stratégie ne visera pas à dresser le pôle euro-arabe contre les États Unis. Il est même possible que ce partenariat soit soutenu par les États Unis pour qu'ils reconnaissent la nécessité d'un grand plan régional fondé sur la « région building », le seul à même d'inverser les dynamiques actuelles et d'apaiser les relations entre les Arabes et l'Occident.
L'Union européenne ne peut être un acteur important au niveau mondial tant qu'elle demeure un acteur subalterne dans sa première zone de proximité: le monde arabe.
3.2. Échange de vues
M. Galand constate que l'Union européenne n'a toujours pas de politique commune vis-à-vis de sa face « Sud ». Actuellement, l'Union européenne n'a pas encore trouvé de solutions aux problèmes relatifs à la Méditerranée qui se sont posés en 2002. Ceci constitue un échec pour les tenants du rapprochement des deux rives de la Méditerranée.
L'absence de politique commune en Méditerranée a pour conséquence qu'il n'y a pas de dividendes communs en matière de développement et non plus sur le plan de la sécurité commune. La politique euroméditerranéenne n'a pas servi de catalyseur pour résoudre les problèmes du Moyen Orient.
Le processus de Barcelone, servait la défense des droits de l'homme et la promotion de la démocratie. Cependant, les accords d'associations ont été conclus sans tenir compte de l'absence de démocratie et surtout de la défense des droits de l'homme. On aurait du fixer les règles du jeu. Quel est l'effort collectif relatif à la situation en Algérie ? L'Union européenne s'est contentée de juger la situation sans comprendre que cela risque d'avoir des conséquences désastreuses pour d'autres pays.
Une réelle capacité d'appréciation mutuelle des valeurs et de la culture reste une question toujours pendante qui n'a pas trouvé de vraie solution.
Une vision euro-arabe est nécessaire mais elle ne va pas créer la nouvelle cohérence du monde arabe. L'Europe a un problème de voisinage et elle pourrait prêter son assistance à un projet de coexistence pacifique en Méditerranée. Le processus de Barcelone permet d'en servir de base.
M. Khader fait observer que la politique extérieure de l'UE est un ensemble de 25 politiques nationales des membres et, dès lors, il faut trouver des communs dénominateurs. La désignation d'un représentant spécial pour la PESC devrait y remédier.
Toutefois, dans certaines domaines des percées assez importantes ont été faites, comme en matière de stabilisation macro-économique et la liberté de presse. L'Union européenne doit faire en sorte que ces progrès soient davantage plus significatifs. Il faut veiller à ce que le désenchantement ne s'empare des opinions publiques européenne et arabe. Le manque le plus sidérant est le fait que les opinions publiques se soient distancées et disent avoir peur de l'Islam.
Ni l'Union européenne ni le processus de Barcelone n'ont effectivement servi de catalyseur pour résoudre les problèmes économiques de la Méditerranée. Les règles du processus de Barcelone existent bien mais n'ont été respectées par aucune des parties.
L'Union européenne a déconnecté le projet euroméditerranéen de la solution du conflit au Moyen Orient pour ne pas marcher sur les plates-bandes des États-Unis et les autres partenaires.
Le Maghreb et le monde arabe peuvent servir de pont avec l'Afrique. Il est toutefois scandaleux que certains pays membres de l'Union européenne veulent ériger des camps de détention tri des réfugies à l'intérieur même de l'Afrique pour épargner l'opinion publique européenne. En dépit des cordons sanitaires, l'Europe n'a pas réussi à endiguer les flux migratoires.
La politique européenne du monde arabe ne doit pas envisager de réaliser l'unité arabe, parce qu'elle reste la responsabilité du monde arabe lui-même.
Les exportations européennes vers le monde arabe sont passées de 100 milliards de dollars à 130 milliards de dollars. Ceci signifie que le monde arabe est créateur net d'emplois pour Union européenne.
En tant que membre du parlement euroméditerranéen et partisane de l'intégration, Mme Pehlivan souhaite savoir s'il existe une forme d'unité au sein des pays arabes et s'il existe une identité arabe. En Belgique, la nationalité belge peut être refusée lorsque l'immigrant a des liens trop forts avec son pays d'origine. Aux États-Unis, les hometownships investissent dans le pays d'origine de l'immigrant, ce qui est considéré comme défavorable en Belgique.
Mme Zrihen estime que depuis les attentats du 11 septembre 2001, l'analyse faite fausse la réalité parce qu'elle est conflictuelle et empêche le dialogue avec le monde arabe. Quels sont les instruments qui permettent de créer un espace d'intégration identitaire arabe qui ne soit ni revendicatif ni revanchard ?
Mme Annane souhaite connaître le point de vue de M. Khader sur la nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne. Elle suscite une certaine réticence auprès de certains pays de la Méditerranée, la Russie et les États-Unis parce qu'elle prête à confusion. Donnera-t-elle lieu à l'adhésion à l'Union européenne des pays de la Méditerranée ?
M. Cornil estime que les identités n'existent pas en soi de manière naturelle. L'orateur renvoie à l'ouvrage « L'illusion identitaire » de Jean-François Bayard, publié chez Fayard en 1996, selon lequel il n'y a que des stratégies identitaires, conditionnées par des facteurs politique, économique et culturel. Comment mettre en place un vrai dialogue des cultures en respectant à la fois la démocratie et les droits de l'homme sans tomber dans le piège de l'ethnocentrisme ?
M. Roelants du Vivier craint que le partenariat euro-arabe proposé par M. Khader risque de mener à un identitarisme arabe qui ne tient pas compte de tous les pays ou de toutes les populations de la région.
L'orateur renvoie au rapport annuel du Parlement européen d'avril 2005 sur les droits de l'homme. Il dit que « le parlement européen invite une nouvelle fois tous les parties aux accords d'association euroméditerranéens à traduire la clause sur les droits de l'homme dans des programmes d'action » et encore « sous couvert de la lutte contre le terrorisme, les gouvernements de la région se permettent depuis trois ans et demi certaines dérogations vis-à-vis des droits de l'homme ». Est-ce une analyse valable ?
Quelle sera la contribution du processus de Barcelone aux élections au Liban et en Égypte ?
Quels sont les méthodes à mettre en place pour trouver un juste milieu entre, d'une part, l'aide accordée aux pays de l'Afrique sub-saharienne pour gérer les flux migratoires et, d'autre part, la tendance au sein de l'Union européenne de laisser la responsabilité pour ces problèmes à ces pays ?
M. Khader répond qu'un « Consortium inter-universitaire sur la Migration et l'Intégration » a été créé récemment et est sponsorisé par un mécénat privé, qui a donné 500 millions d'euros. Il est chargé d'identifier toutes formes de discrimination envers les immigrés en matière de logement et d'emploi et de proposer des solutions afin d'apaiser, le plus rapidement possible, le climat en Belgique. La Grande Bretagne est le seul pays à avoir un tel instrument: « Ethnic minority survey ».
L'orateur se dit étonné par le fait que des sénateurs mettent en doute l'identité arabe alors qu'une des discussions les plus brûlantes en Europe portent justement sur l'identité européenne. Il est tout à fait naturel que les Arabes, qui utilisent la même langue, qui sont majoritairement musulman, qui partagent la même géographie et qui doivent faire face aux mêmes défis, aient une identité arabe.
Est-il moyen de concevoir un nationalisme arabe qui soit ouvert et qui soit porteur d'un espace protecteur de la démocratie et des droits de l'homme ?
Le nationalisme arabe pourrait être transposé dans sa dimension économique comprenant quatre espaces d'intégration régionale: le Maghreb, le bassin Ilotique, le péninsule arabique et le Moyen Orient, qui seraient reliées entre elles.
À l'instar de l'Europe, le monde arabe pourrait commencer par la création d'un marché commun économique vers une union monétaire. Le processus de Barcelone devrait, dans un premier temps, assister le monde arabe à réaliser une intégration régionale en matière économique. Il faut créer une culture de développement régional dans laquelle les pays ont le sentiment d'appartenir à une entité plus large dont ils partagent les valeurs. La sécurité serait assurée pour l'ensemble des pays au lieu de venir du voisin « fort ».
La Ligue arabe pourrait devenir un catalyseur des conflits. Le programme « Erasme » interarabe est respectueux des communautés. Les réunions inter-arabes n'ont pas besoin d'interprètes comme c'est le cas pour l'Union européenne, ce qui donne lieu à un budget très réduit.
La migration se poursuit. Si on met des cordons sanitaires comme Schengen, les flux migratoires empruntent la voie de l'illégalité. La population immigrée en Espagne s'est multipliés par sept entre 1992 et 2004 et celle de l'Italie par trois entre 2001 et 2004. Il faut dès lors s'interroger sur l'efficacité de la politique européenne en matière d'immigration.
La liberté de circulation n'est pas nécessairement le signe d'une entrée massive des maghrébins ou d'égyptiens dans la communauté européenne. On craignait une migration forte de la population des pays nouvellement admis à l'Union européenne. Celle-ci n'a pas eu lieu grâce aux nouvelles perspectives économiques dans le cadre de l'adhésion de ces pays.
Des mesures accompagnatrices d'une zone libre échange pourraient être l'assouplissement du système des visas, un système de quota, l'encouragement d'investissements des populations immigrées dans leur pays d'origine.
À travers les transferts des immigrés, le Maroc peut payer le service de sa dette. Plus l'immigré vieillit, plus les transferts s'affaiblissent.
La démocratie nécessite un apprentissage au sein des familles et à l'école.
Israël ne peut pas recevoir un traitement plus favorable par rapport aux pays arabes et risque de condamner le processus de Barcelone. L'encouragement des pays qui avance sur le chemin de la démocratisation n'est, par contre, pas mauvais.
L'identité est une construction sociale.
La démocratisation est une demande arabe, il n'appartient pas aux États-Unis de la faire à leur place.
Pascale Boniface, directeur de l'Institut des Études stratégique à Paris dans son livre « Vers la quatrième Guerre Mondiale ? » (Armand Colin, 2005), a mis en annexe les 36 résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies qui ont été opposées par les États-Unis et qui portent toutes sur la condamnation du rôle d'Israël dans les territoires occupés. Tant qu'ils emploient un double standard au niveau du droit international qui doit être respecté par les pays arabes mais non pas par Israël, les États-Unis ne pourraient être reconnus en tant que messager au niveau international.
4. Audition de M. Khalid Sekkat, professeur à l'ULB, membre du réseau FEMISE (Forum Euro Méditerranée des Instituts Economiques)
4.1. Exposé introductif
M. Khalid Sekkat se concentrera sur les aspects économiques du processus de Barcelone. Parmi ceux-ci, un point fondamental est la création d'une zone de libre-échange dans une double dimension: une intégration Nord-Sud et une intégration Sud-Sud.
Après dix années d'existence du processus de Barcelone, l'orateur évalue les résultats et en premier lieu l'intégration Nord-Sud, donc des pays du Sud de la Méditerranée vers l'Europe, en se concentrant sur deux indicateurs traditionnels de l'intégration économique, à savoir les flux des échanges commerciaux et les flux des investissements directs étrangers.
La situation n'est pas rose, loin de là. Par certains de ses aspects, elle est même préoccupante.
En ce qui concerne l'évolution des échanges commerciaux entre la rive sud de la Méditerranée et l'Europe, abstraction faite de tout ce qui concerne l'énergie (ces produits spécifiques étant moins soumis à des règles claires du marché), on constate que les exportations des pays en question vers l'Europe ont augmenté moins rapidement que celles d'autres pays en développement vers l'Europe.
En dépit du processus de Barcelone, on remarque qu'à partir de 1995, les pays partenaires de ce processus exportent moins que ceux qui n'en font pas partie. La différence est significative puisque les exportations des pays du Sud de la Méditerranée vers l'Europe ont augmenté de 63 % en dix ans tandis que celles des pays non membres du processus — les pays d'Amérique latine et d'Asie — ont augmenté de 82 %. Même les pays les mieux classés, par exemple la Tunisie, ne dépassent pas les 82 %.
En ce qui concerne les investissements étrangers directs — il s'agit des investissements dans le Sud vu qu'il y a peu de chances de voir des investissements en sens inverse — on constate également sur la période qui nous concerne une diminution des flux d'investissements en pourcentages exprimant l'importance des investissements européens dans le Sud de la Méditerranée dans le total des investissements européens à l'étranger. En 1995, la Méditerranée représentait 3,20 % de ces flux d'investissements. En 2003, on observe une légère augmentation — 5,20 % — qui est cependant sans commune mesure avec les investissements nettement plus importants effectués avant 1995.
On peut conclure de ces deux constatations que les évolutions observées dans le commerce international vers la Méditerranée et de celle-ci vers l'Europe ainsi que dans les investissements directs étrangers semblent davantage résulter du mouvement général de globalisation existant dans le monde entier que du processus de Barcelone lui-même. On n'a pas constaté de différence marquante depuis le processus de Barcelone. Si on effectue une comparaison géographique, on n'a pas l'impression que ceux qui n'adhèrent pas à ce processus sont davantage bénéficiaires.
Les pays du Sud de la Méditerranée ont été encouragés à initier entre eux un processus d'intégration, qui serait parallèle à celui de l'intégration à l'Europe. Nous disposons de peu de chiffres sur les investissements directs entre les pays du sud méditerranéen. Nous en avons davantage sur le commerce entre ces pays. Ainsi, on constate qu'au début des années 1990, ce commerce avoisinait les 10 %. En 1995, il dépassait légèrement ce taux, mais en 2001, il se trouvait toujours à ce niveau.
Deux constatations peuvent être faites. D'abord, le commerce entre les pays de cette région du Sud est très faible par rapport à celui des zones initiant des formes d'intégration régionale. Ensuite, durant la période postérieure à 1995, l'évolution fut très faible.
Les chiffres du commerce global reposent essentiellement sur l'énergie. Les indicateurs de l'intégration Nord-Sud ou Sud-Sud ne montrent pas d'évolution positive permettant d'espérer des progrès importants.
Quelles sont les raisons de cette situation ? Elles tiennent tant aux politiques menées par l'Europe qu'à celles des pays du Sud.
Il faut en premier lieu examiner quelle est la spécialisation des pays sud-méditerranéens. Si on écarte Israël et la Turquie, qui ont des économies très diversifiées, on constate que trois activités représentent 50 % de l'ensemble du secteur manufacturier, sur le plan tant de l'emploi que de la valeur ajoutée et des exportations. Il s'agit des secteurs liés à l'industrie agro-alimentaire, au textile et à l'habillement et, dans une moindre mesure, à l'industrie chimique.
Or, quand on regarde l'histoire des relations avec l'Europe, on constate que les secteurs textile et agro-alimentaire sont ceux qui font exception à « l'entrée libre » sur le marché européen. Même avant le processus de Barcelone, depuis les accords d'association, les pays du Sud méditerranéen avaient un accès libre et total aux produits industriels sur le marché européen, hormis les deux exceptions dont question.
L'heure n'est pas encore venue de parler de l'agroalimentaire, la politique agricole commune ne faisant pas partie des négociations.
En ce qui concerne le textile, toutes les barrières qui ont été mises en œuvre, par exemple les quotas, ont été maintenues jusqu'au démantèlement des accords multifibres. Cela n'est pas nécessairement lié au processus de Barcelone mais aux négociations au sein de l'OMC.
Au moment où ces pays ont pu exporter librement leurs textiles vers l'Europe, nous nous sommes retrouvés face à des concurrents importants et extrêmement solides. Tout le monde a entendu parler du problème des exportations chinoises et indiennes. Au cours du premier trimestre de cette année, les exportations de textile marocain à destination de l'Europe ont ainsi diminué de 34 % par rapport au premier trimestre de l'année dernière. Pour l'Europe, pour certains produits textiles spécifiques, l'augmentation pour la même période est de 1 500 %. La principale « responsabilité » en incombe aux politiques européennes.
Les hommes d'affaires et des hommes politiques du Sud méditerranéen se plaignent du fait que les montants des aides destinées à aider à la mise à niveau et à préparer la zone de libre-échange, n'ont commencé à être significatifs qu'à partir de 2003. Cela ne nous laisse guère de temps. L'échéance pour la zone de libre-échange avec l'Europe est fixée à 2007.
Certes, les « responsabilités » ne sont pas unilatérales. Lorsqu'on regarde du côté des pays du Sud, on se rend compte que le démantèlement des accords multifibres et son implication pour les produits textiles et l'intégration européenne, est connu de longue date.
Or, pour pouvoir faire face à ces échéances cruciales, il fallait mettre en œuvre un certain nombre de réformes économiques.
On englobe généralement ces réformes économiques dans ce qu'on appelle le « climat des affaires » qui concerne un certain nombre d'indicateurs. L'orateur a travaillé sur trois d'entre eux, à savoir la libéralisation commerciale, la politique de change et la qualité des institutions.
Pour ce qui est de la libéralisation commerciale, il en ressort que les pays qui ont initié un processus de libéralisation commerciale en diminuant leurs droits de douane et leurs quotas à l'importation, ont permis d'aider leur secteur manufacturier et celui-ci est donc parvenu à augmenter ses exportations de manière très significative.
Le ratio des exportations manufacturières par rapport au PIB a augmenté dans certains cas de près de 30 %, ce qui est énorme dans une période de libéralisation commerciale, donc très importante pour les exportations.
Lorsqu'on lie ce facteur à l'évolution de la libéralisation commerciale de ces pays, on se rend compte que certains d'entre eux, la Tunisie, l'Égypte, le Maroc et la Jordanie, ont fait beaucoup d'efforts. D'autres en ont fait beaucoup moins. Mais ceux qui ont fait le plus d'efforts conservent un niveau de protection beaucoup plus élevé que des pays comparables comme la Turquie, Israël ou Malte.
Ceci est confirmé par des études menées par une équipe de la Banque mondiale. Ces études ont conclu que les standards internationaux maintiennent une protection commerciale trop importante. Diminuer cette dernière peut donc être bénéfique.
Les économistes et le grand public ne s'occupent jamais des taux de change mais ils revêtent un caractère fondamental dans l'économie. Il ne s'agit pas que d'une variable.
Pendant un certain temps, ces pays ont gardé des taux de change surévalués par rapport à l'euro. Le Maroc constitue la seule exception: durant les années 1990, la surévaluation y était raisonnable. En Égypte ou en Tunisie, elle était de 3 %. À cause de cette surévaluation, les exportations de ces pays coûtaient beaucoup trop cher à l'étranger; ils sont donc moins compétitifs et enregistrent une perte de parts de marché.
Le dernier point du « climat des affaires » est la qualité des institutions.
Les institutions jouent un rôle économique extrêmement important. Personne n'a envie d'investir dans un pays où il doit corrompre fonctionnaires et juges et où les lois changent constamment.
Grâce à des données collectées par différents organismes, nous avons eu l'occasion d'analyser l'impact de la qualité des institutions — respect des lois, qualité de la bureaucratie, absence de corruption, stabilité de la législation, etc, — sur les exportations et les investissements dans différents pays, notamment ceux du Sud de la Méditerranée. Nous avons constaté qu'une amélioration des institutions, par exemple en Asie du Sud, entraînait un plus pour les exportations équivalentes au gain de la libéralisation commerciale. Cet apport n'est donc pas négligeable.
Ces pays ne se situent pas parmi les pires au monde pour ce qui est de la qualité de leurs institutions. Les indicateurs sont encore moins bons pour certaines situations ailleurs dans le monde.
Il est clair qu'il y a une marge de manœuvre, qu'il est possible d'améliorer la qualité des institutions, de travailler là-dessus pour favoriser les affaires et les investissements.
En conclusion, l'orateur estime que des efforts restent à faire des deux côtés. Il y a l'offre d'une aide pour la mise à niveau et pour activer la zone de libre-échange qui doit néanmoins être ciblée et contrôlée par ce que les Anglais appellent monitoring, pour que cette aide aboutisse bien à ce à quoi elle est destinée.
Il y a le problème de l'agriculture et du textile. Il est important que des négociations soient menées en ce qui concerne l'agriculture. Quant au secteur du textile, il est confronté à une contradiction: on veut aider ces pays à exporter chez nous mais, en même temps, on ouvre la porte à tout le monde. Il est vrai qu'il ne serait pas juste d'empêcher la Chine d'exporter mais on ne peut pas espérer aider les pays méditerranéens si on les laisse en concurrence avec de grands pays face auxquels ils ne peuvent rien.
La dernière réflexion porte sur l'accord de Barcelone en lui-même. Il y a deux axes d'intégration: Nord-Sud et Sud-Sud. Ces deux axes ne sont pas liés. Rien n'oblige à adopter la même vitesse d'intégration selon ces deux axes. Connaissant l'expérience de ces pays dans le domaine de l'intégration régionale, il faudrait entreprendre une réflexion pour voir comment on pourrait articuler les deux axes.
Il faut continuer les réformes dans les pays du Sud, même si elles sont douloureuses. L'Europe peut jouer un rôle à ce sujet du point de vue de la libéralisation commerciale en promouvant importations et exportations, politique de change avisée et travail sur les institutions. Les institutions sont difficiles à modifier mais il vaut la peine, pour la démocratie et pour l'économie, de faire les efforts nécessaires.
4.2. Échange de vues
M. Galand estime que les conclusions de l'exposé sont dures. L'accord de Barcelone n'aurait pas eu de grands effets, que ce soit sur le plan économique, politique, culturel ou de pacification. Ceci rejoint les propos qu'avait tenus le professeur Khader.
Les États-Unis proposent un autre projet: le Great Middle East. Vu le peu d'effets obtenus par les accords euro-arabes, les Américains ont-ils plus de chance de réussir une opération économique avec ce projet ou reste-t-il une marge de manœuvre pour les européens d'aboutir à une relance sérieuse des discussions euro-méditerranéennes en novembre 2005 ?
Pour être complet, l'orateur voudrait rappeler les propos de M. Khader. Selon lui, l'échec du processus vient en partie du fait que l'on s'est limité aux 15 pays de la Méditerranée, sans faire l'effort de l'élargir à une zone plus naturelle, celle du monde arabe.
M. Cornil considère que l'orateur dresse tableau assez sombre du partenariat économique entre l'Europe et les pays méditerranéens.
Sa première question concerne l'évolution du flux des investissements directs vers le Sud: 3,2 % en 1995 et 5,2 % en 2003. Cette très faible croissance des investissements européens est-elle contrebalancée par des investissements provenant d'autres pays ou d'autres régions du monde ? En d'autres termes, malgré cette faible croissance, l'impact de l'Europe sur le développement économique des pays du Sud se maintient-il ou diminue-t-il en valeur par rapport au profit d'autres régions ? C'est notamment le cas en Amérique latine où, si l'on caricature, le monde est en train de se déplacer de l'Atlantique vers le Pacifique. Les investisseurs traditionnels vers l'Amérique latine sont maintenant supplantés par les investisseurs asiatiques.
Dans son exposé, M. Sekkat a fait allusion à l'invasion du textile et d'autres produits — voitures, vélos, même les fleurs — en provenance de la Chine. Pourrait-il préciser sa vision à court terme et à moyen terme ? M. Cornil a vu un reportage sur la déstructuration de l'économie textile marocaine suite aux importations de textiles chinois. Il serait intéressant de voir si des études plus approfondies ont été menées sur les pertes d'emplois, par exemple. Certains chiffres sont déjà cités tant pour les pays européens que pour les pays du Sud de la Méditerranée.
M. Sekkat considère-t-il qu'actuellement les migrants jouent encore un rôle important d'acteur économique dans le développement de leur pays d'origine ? Un certain nombre d'études ont démontré que les flux financiers privés avaient diminué à la suite des processus d'intégration et d'établissement relativement définitifs des migrants dans leur pays d'accueil. Pour le Maroc par exemple, les derniers chiffres révèlent une diminution assez nette par rapport aux autres ressources du pays comme le tourisme ou le phosphate. Dans l'analyse économique globale de M. Sekkat, s'agit-il encore d'un facteur ayant une pertinence suffisante sur le développement économique des pays du Sud ?
Selon M. Wille, les questions des collègues découlent d'un grand souci quant à la vulnérabilité des économies des pays méditerranéens, mais elles ne témoignent pas d'une grande originalité. Pour sa part, il s'interroge sur les choix que font ces pays. En Algérie, par exemple, les secteurs qui utilisent intensivement de la main-d'œuvre, comme la construction, sont entièrement dominés par des travailleurs chinois, dont les contrats ont été conclus entre des partenaires locaux et des entrepreneurs chinois. Des secteurs entiers qui pourraient appartenir à l'économie de base des pays méditerranéens sont ainsi donnés en sous-traitance. Les conditions sont imposées par les pays extérieurs. Les conditions de travail des travailleurs chinois dans les pays méditerranéens sont biens connues.
Les pays émergents, Chine et Inde, veulent devenir l'atelier de production du monde, mais ils se rendent compte que les gros bénéfices sont à réaliser dans le secteur de la distribution dans les pays acheteurs. Dès lors, ils investiront aussi à l'étranger. Étant donné la jeunesse de la population dans les pays méditerranéens, ces investissements, qui malheureusement ne viennent pas d'Europe mais de l'extrême orient, sont une partie de la solution du problème de ces derniers. Que pense M. Sekkat des possibilités d'investissement de la Chine et de l'Inde dans les pays de la Méditerranée et de la politique de ces pays ?
M. Roelants du Vivier constate qu'on a parlé à plusieurs reprises du textile et, en particulier, des textiles chinois. Comment réagirait M. Sekkat si l'Union prenait des mesures protectionnistes à l'automne prochain ? La région dispose-t-elle des instruments nécessaires pour protéger l'industrie émergente du textile ?
L'orateur aime bien citer l'exemple d'une chaîne espagnole qui s'approvisionne en textile en Amérique latine et non en Chine, d'une part, parce que les délais de livraison y sont extrêmement courts et, d'autre part, parce que ce qui se réalise en Amérique latine correspond parfaitement à l'esprit de la mode européenne.
Connaissant la proximité entre le Maroc et l'Europe, ne pourrait-on imaginer une réaction de ce type, sachant que les délais de livraison chinois peuvent être plus longs et que le savoir-faire n'y est pas aussi abouti que dans d'autres pays spécialisés dans le textile ? Les pays du Sud de la Méditerranée sont-ils prêts à utiliser ces marchés ?
Par ailleurs, nous savons que les États-Unis négocient, de façon bilatérale, des accords de libre-échange avec les pays partenaires du processus de Barcelone. En quoi y a-t-il une compatibilité — ou une incompatibilité — entre ces accords et l'initiative européenne ? Faut-il faire recentrer l'initiative européenne en tenant compte du contenu des accords de libre-échange conclus avec les États-Unis ?
Il est nécessaire de pouvoir développer la demande interne dans les pays du Sud de la Méditerranée. M. Sekkat a souligné le faible niveau du marché d'exportation entre les pays de la zone, qui se situe aux alentours de 10 %. Il y a donc une libéralisation du commerce mais actuellement celle-ci est encore très peu aboutie. Cela n'a donc pas entraîné des réformes suffisantes pour accroître la demande interne. Comment peut-on, à partir de l'Europe, aider le secteur privé à trouver des débouchés dans les pays partenaires pour accroître cette consommation interne ?
Enfin, il y a ce défi considérable, à savoir le besoin que nous avons d'absorber une génération de 35 millions de nouveaux actifs sur 15 ans. Cela impose une formation efficace pour que les nouveaux arrivants sur le marché du travail soient attractifs vis-à-vis des employeurs. Tient-on suffisamment compte de cet impératif au niveau de l'éducation nationale des pays ? Souvent, nous nous demandons si ce que nous faisons est suffisant dans le cadre du processus de Barcelone, mais les pays ont eux-mêmes également une responsabilité individuelle. Le secteur public doit combler une série de lacunes en matière de logement et d'infrastructure, mais avons-nous des disponibilités suffisantes à cet égard ? Ne choisit-on pas parfois la voie de la facilité en faisant de l'outsourcing ?
En ce qui concerne les chances d'aboutir du Great Middle East et si cela pourrait remplacer l'initiative européenne, M. Sektat admet qu'il n'a pas étudié cette question.
Étant donné la puissance américaine, tant sur les plans économique que politique ou militaire, si le projet est pris très au sérieux par l'administration américaine, il a de très grandes chances d'aboutir. Est-ce un bon substitut au processus d'intégration européenne ?
Selon l'orateur, certainement pas, mais il reconnaît que sa position ne se fonde sur aucune étude scientifique. Il croit cependant que les motivations et les mentalités sont tout à fait différentes. Les pays du Sud ont beaucoup plus de choses en commun avec l'Europe que les États-Unis. Au cours des siècles, l'Europe a eu des échanges avec les pays arabes sur les plans culturel et historique, mais pas avec les États-Unis. Objectivement, pour les Européens, la stabilité du Sud est importante compte tenu de la proximité géographique.
M. Sekktat a l'impression que les motivations des Américains sont — et demande de considérer ses propos avec circonspection — davantage liées à l'hégémonie ou à la stratégie. Il ne croit pas que les Américains soient particulièrement préoccupés du développement ou de la qualité des institutions de cette région. Il provient de la région et il sait que pendant 20 ou 30 ans, ils ont soutenu des régimes peu recommandables, sans vraiment s'interroger. Selon lui, un risque existe mais si l'Europe réagit et qu'elle discute ouvertement de la liaison des deux processus, tout en dégageant les moyens nécessaires, elle peut reprendre sa place.
En ce qui concerne le dialogue euro-arabe, M. Sekkat estime que le professeur Bishara Kader est un spécialiste de la question, mais M. Sekkat n'est pas tellement convaincu pour deux raisons.
D'abord, le dialogue euro-arabe a commencé près de quarante ans, donc il est presque aussi ancien que l'intégration européenne, mais il n'est nulle part. Il en déduit que ce n'est peut-être pas une bonne solution de laisser les choses se dérouler de cette façon. Ensuite, cette option reviendrait soit à intégrer d'autres pays, soit à en exclure. La Mauritanie est un pays arabe, le Soudan également et la Somalie est en partie arabe. Un élargissement créerait d'autres dimensions qui compliqueraient les choses.
En ce qui concerne l'exclusion de certains pays, il a eu une certaine expérience dans une autre institution qui a mené des discussions en la matière. En effet, il y a le Middle East et grosso modo, à part la Turquie, il y a Israël.
À cet égard, son raisonnement est le suivant: Israël se situe au Moyen-Orient. Or, il est possible de travailler avec certains Israéliens et il faut le faire.
L'institution économique où il travaillait a d'emblée décidé d'exclure Israël. Cette décision s'est avérée négative. Elle s'est privée de l'énorme compétence des Israéliens en économie et le réseau d'économistes ne compte aucun Israélien. C'était regrettable car il faut toujours initier le dialogue.
Le cas de la Turquie est pendant suite à sa demande d'adhésion à l'Union européenne. Nous avons quinze ans pour y réfléchir.
M. Cornil a posé un nombre de questions sur les investissements directs étrangers.
Il y a effectivement une diminution des investissements européens. De façon générale, le pourcentage d'investissements directs étrangers allant à la région est parmi les plus faibles de toutes les régions du monde. Seule l'Afrique sub-saharienne fait un tout petit peu moins bien. L'Europe ne compense pas cela mais d'autres pays sont susceptibles de prendre l'initiative.
Les États-Unis sont concernés, pour des raisons évidentes, par un certain nombre de pays, comme l'Égypte. Ils commencent aussi à s'intéresser au Maroc. Par ailleurs, des pays d'Asie investissent dans la région.
Certains pays de la région ont signé des accords bilatéraux relatifs à des zones de libre échange avec les États-Unis. D'un point de vue économique, c'est intéressant si la zone de libre échange Afrique/ Nord-Europe va jusqu'au bout. Il est désormais intéressant pour un investisseur américain de s'installer en Afrique du Nord. Il y a un mouvement important en ce sens.
Une menace très importante plane sur le textile qui risque de déstructurer l'industrie textile dans les pays du Sud de la Méditerranée. À court terme, les exportations diminuent. Il en résulte des pertes d'emplois, notamment.
À moyen ou à long terme, il ne faut pas dresser des barrières pour endiguer les exportations chinoises. Il serait préférable de prévoir une période transitoire pour mettre les choses à plat et créer des mécanismes d'ajustement. Pour être crédible, cette période devrait être vraiment transitoire et ne pas être prolongée sous l'influence de tel ou tel groupe de pression.
Le raisonnement économique est très simple: une protection commerciale ne sera d'aucun secours à une entreprise qui n'est pas compétitive par rapport aux Chinois. Un jour où l'autre, cette entreprise devra évoluer. Si elle choisit de rester dans le textile, elle devra s'adapter pour restaurer sa compétitivité. À défaut, elle devra se tourner vers un autre secteur d'activité.
Le phénomène de l'immigraiton a joué un rôle essentiel dans les économies des pays méditerranéens. Il s'agissait même, pour certains d'entre eux, de la première source d'entrée de devises. Comme le montrent certaines études, l'immigration a, par ailleurs, grandement contribué à la formation du capital humain — éducation, santé, etc. — dans le Sud.
Très souvent, l'argent envoyé par la personne immigrée aide toute la famille, permet à plusieurs enfants de suivre des études, etc. On a récemment constaté une diminution, mais les derniers chiffres témoignent d'une reprise. On peut s'interroger sur les causes de cette diminution qui, selon certains, aurait pu se révéler permanente. Les gouvernements concernés ont apparemment mené des actions spécifiques pour relancer le processus.
La réponse lui semble simple. À l'instar des investisseurs, les personnes immigrées n'ont tendance à transférer leur argent à l'étranger que si l'opération peut s'avérer rentable. Si l'économie du pays en question est déficiente et que la moitié de l'argent est destinée à compenser le mauvais fonctionnement des institutions, elles préfèrent s'abstenir. On constate donc actuellement une reprise, mais il faut prendre les mesures nécessaires pour éviter une nouvelle diminution.
Quant aux préoccupations concernant les produits textiles, la question a déjà été partiellement répondu. La proximité culturelle est, certes, importante, notamment pour ce qui est du design, du savoir-faire, etc. Il ne faut toutefois pas se consacrer uniquement à cet élément, même si celui-ci a certainement un rôle à jouer.
Pour bien se faire comprendre, l'orateur se réfère à l'exemple asiatique. D'aucuns prétendent que les produits textiles chinois sont de piètre qualité. C'est exact, mais soyons vigilants car voici vingt ou trente ans, les voitures japonaises étaient considérées comme mauvaises. Or, elles offrent à présent des qualités extraordinaires.
Axtuellement, la demande interne est très faible. En effet, si la population totale des pays concernés s'élève à quelque 200 millions d'individus, à savoir presque la moitié des habitants de l'Europe, le pouvoir d'achat y atteint à peine le chiffre belge.
Le pouvoir d'achat pose donc encore problème: il ne débouche pas sur une demande suffisamment importante et attractive pour attirer des investissements. Nous sommes confrontés à un cercle vicieux, que nous ne pouvons briser uniquement en donnant de l'argent, mais plutôt en favorisant le développement économique au travers des investissements étrangers ou du commerce.
Enfin, l'orateur marque son accord sur le concept de partage des responsabilités. On doit sortir de cette logique en fonction de laquelle on attend toujours de l'aide des autres. En fonction de l'intérêt commun, une aide est, certes, nécessaire, mais il incombe aux pays du Sud de sortir de cette logique, de se retrousser les manches et de se mettre au travail.
M. Galand constate que le professeur Sekkat semble partisan d'un libre échange très avancé.
À cet égard, il est intéressant de considérer l'histoire des relations de l'Europe avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
À une certaine époque, de grands commissaires comme Claude Chesson et Edgar Pisani, avaient favorisé la mise en place d'un système d'accords qui permettait à ces pays d'avoir un type de protectionnisme et d'appui qui, aussi longtemps qu'il n'a pas été mis à mal par les politiques d'ajustement structurel des années 80 et un certain courant néolibéral, a produit des résultats en termes de sustainability des populations. Aujourd'hui, une part importante de la paupérisation de ces populations vient du fait que leur économie est complètement dévastée.
Certes, il n'y a pas que l'économie. Il y a également la question des institutions en Afrique. Une partie des problèmes au Maghreb est due à son incapacité à créer un marché unique semblable à l'Europe, notamment parce que les frontières entre l'Algérie et le Maroc sont toujours fermées.
De plus, l'UMA — Union du Maghreb arabe — ne voit pas le jour en raison du problème politique posé par le Sahara occidental. L'UMA se trouve entre le Maghreb et le Machreq, deux pôles qui ne fonctionnent pas. L'Égypte, qui pourrait entraîner un type de développement régional, ne joue pas son rôle, en raison de facteurs non seulement économiques mais également politico-religieux.
En résumé, le problème ne se limite pas seulement à un choix entre une économie de type libéral avec libre échange ou une autre option. Tant d'autres éléments interviennent que l'on peut se demander si une analyse purement économique est tenable. Les facteurs non économiques pèsent aujourd'hui un poids considérable.
Il conviendrait d'analyser, dans le cadre du processus de Barcelone, la manière d'apporter des éléments de réponse aux facteurs non économiques en vue de favoriser une amélioration sur les plans institutionnel, politique, sur la séparation de l'église et de l'État etc. Le but est que les populations de ces pays puissent enfin entrer dans le jeu économique. Actuellement, il semble bien qu'une partie d'entre elles soient carrément exclues de cette dimension.
M. Wille est d'avis que de plus en plus d'études universitaires montrent que l'effet de la globalisation sur le budget des individus est très positif. Il ressort d'une étude récente que, dans les pays européens, cet effet se chiffre à quelque 10 000 euros par ménage. Dans les pays du Maghreb, c'est indubitablement un peu moins.
Que pense le professeur de la thèse selon laquelle la combinaison, dans les pays du Maghreb, d'une fiscalité particulièrement lourde et d'une économie qui repose en grande partie sur l'aide publique, conduit au fond à ce que la majeure partie de l'avantage comparatif disparaisse dans les poches de l'État et non dans celles des consommateurs ?
M. Wille se refère à M. Galand qui vient de dire qu'un grand marché intérieur allant de pair avec une hausse de la consommation serait une bonne chose. L'appareil de production local peut toujours continuer à fonctionner dans des conditions privilégiées.
M. Sekkat explique que la première question de M. Galand lui donne l'occasion de bien préciser son point de vue, aussi bien en tant qu'économiste que citoyen. M. Galand n'est pas du tout un défenseur d'un libre-échange sans limites, sans règles de gestion. Pourquoi ?
Tout d'abord, on observe de manière empirique que ceux qui défendent le plus le libre-échange sont aussi ceux qui le pratiquent le moins. Les politiques commerciales des États-Unis ou du Japon sont ainsi, dans certains secteurs, tout à fait contraires au libre-échange. La politique agricole américaine est de loin plus protectionniste que celle de l'Europe.
Il est exact que des résultats empiriques montrent que l'ouverture commerciale augmente le revenu par tête. Toutefois, il faut tenir compte de différentes variables de contrôle très importantes, c'est-à-dire de critères supplémentaires.
La libéralisation commerciale se base sur le principe simple de l'avantage comparatif. Or, les avantages comparatifs existent mais doivent aussi en partie se construire. On pourrait donc admettre une exception à la règle pour permettre la construction de ces avantages comparatifs. Cette période doit-elle être limitée ? Le risque existe que ces périodes soient sans cesse renouvelées en raison de manifestations, de grèves, etc. À long terme, continuer à protéger l'inefficacité n'est pas positive. À moyen terme, on peut toutefois mettre en place des garde-fous mais ceux-ci doivent rester transitoires.
Il a été souligné que de nombreuses autres choses doivent être améliorées dans ces pays. L'orateur voudrait que l'on parle aussi franchement et qu'on l'on mette en évidence les problèmes de non-démocratie et d'absence de séparation de l'église et de l'État. Il arrive que les régimes justifient l'absence de démocratie par la nécessité de lutter contre l'intégrisme. C'est oublier que ce sont souvent ces régimes qui ont créé les extrémistes.
En ce qui concerne le lien entre le commerce international et la guerre, toute une littérature montre que si deux États accroissent leurs échanges commerciaux, ils ont moins de risque de se faire la guerre. Il faut toutefois tenir compte d'une variable de contrôle essentielle: le système politique de ces États. Deux démocraties qui entretiennent des échanges commerciaux ne se font effectivement pas facilement la guerre mais ce n'est hélas pas le cas des pays non démocratiques. Un exemple est le cas de l'Algérie et du Maroc où l'expérience d'intégration régionale est bloquée, malgré les accords conclus entre les deux pays. La région ne compte pas de pays vraiment démocratiques, mis à part Israël — avec les réserves d'usage — et la Turquie.
M. Sekkat est d'accord avec cette constatation: la littérature économique est unanime, mais avec les réserves d'usage, à savoir que l'on ne peut pas aller vers une ouverture à l'aveugle, sans dispositions.
Venons-en à la problématique de la fiscalité dans les pays du Maghreb: si les taux sont effectivement élevés, les institutions chargées de collecter les impôts ne sont pas à la hauteur. En dépit des taux élevés, les recettes de l'État sont donc très faibles. L'État finance toutes les dépenses en puisant dans les ressources du pays au lieu d'utiliser celles-ci pour financer le développement. Les revenus pétroliers, par exemple, sont utilisés pour compenser le manque à gagner des impôts.
5. Audition de Mme Giovanna Tanzarella, experte française, Fondation René Seydoux pour le monde méditerranéen
5.1. Exposé introductif
Le point de vue de Mme Giovanna Tanzarella dans son exposé est celui de la société civile. Il ne s'agit donc pas du point de vue d'un expert qui regarderait la réalité sans y être plongé. Ses propos seront porteurs d'une expérience de tous les jours de la Méditerranée et du partenariat euro-méditerranéen.
En cette année du dixième anniversaire du processus de Barcelone, il est d'usage de se montrer extrêmement critique à l'égard du partenariat euro-méditérranéen. Malgré le regard critique qu'elle peut porter sur ce partenariat, son exposé se veut néanmoins un plaidoyer pour la Méditerranée. Sa critique du partenariat et de sa mise en œuvre ne vise pas à passer par pertes et profits la relation avec la Méditerranée, mais, bien au contraire, elle veut replacer la Méditerranée à l'ordre du jour politique mais aussi à celui du débat public en Europe et en Méditerranée.
À propos du bilan du partenariat beaucoup de choses ont été dites et écrites ces derniers temps. Peut-on vraiment affirmer que ce partenariat ait décollé ? En d'autres termes, est-il fidèle aux promesses de la déclaration de Barcelone ? La situation actuelle est en régression par rapport à la déclaration de Barcelone dans les pratiques, dans l'existence même du partenariat.
D'autres personnalités auditionnées ont probablement déjà souligné le poids du contexte international qui, au moment même du lancement du partenariat euro-méditerranéen, a commencé à être caractérisé par des vents contraires. Le point majeur est la question israélo-palestinienne. Tant qu'un pays continuera à être occupé militairement et que la paix reculera au lieu d'avancer dans cette partie importante de la Méditerranée, l'ensemble du partenariat sera fortement freiné.
Les effets de la mondialisation en Méditerranée, à propos desquels les points de vue ne sont pas toujours convergents, constituent également un frein, tout comme la marche vers l'Est de l'Europe qui s'est engagée peu avant que l'Europe fasse le grand choix stratégique de la Méditerranée et lance le partenariat.
Outre ce poids du contexte international, l'oratrice tient à évoquer aussi quelques éléments du bilan interne au partenariat et, ensuite, également quatre points focaux qui sont importants parce que c'est à partir d'eux que l'on peut dessiner des perspectives d'avenir pour le partenariat euro-méditerranéen et sa relance.
Mme Tanzarella citera d'abord quelques éléments du bilan interne.
Il est évident que l'incapacité de mettre en place la Charte pour la paix et la stabilité, et donc de faire du partenariat euro-méditerranéen un mécanisme multilatral de prévention des conflits, pèse aujourd'hui lourdement sur le bilan de ce partenariat d'un point de vue politique.
Par ailleurs, la foi dans les effets positifs de la transition vers une économie de marché et de concurrence a aussi montré ses limites. Actuellement, on ne peut pas vraiment mesurer l'impact réel des 10 milliards d'euros que le partenariat euro-méditerranéen a investis, sous Meda I et Meda II, dans les économies du sud de la Méditerranée, mais on commence déjà à mesurer l'impact social de ces choix, en termes d'emploi notamment. C'est une question cruciale et nous sommes très loin d'y avoir donné de bonnes réponses.
On constate une absence de bilan positif sur les questions de droits de l'homme, d'État de droit, de libertés publiques collectives et individuelles. Toute la littérature sur ces questions montre à quel point, dix ans après le processus de Barcelone, on est dans une phase de recul des libertés publiques. Évidemment, il y a eu entre-temps les événements du 11 septembre 2001.
Un des buts du partenariat consistait à introduire dans les pays sud-méditerranéens une dimension de transition vers des sociétés plus ouvertes. On a échoué sur ce plan et on assiste plutôt à une régression en matière de droits de l'homme et de libertés.
Le dernier point du bilan et aussi le plus inquiétant, c'est le fossé que l'on peut très clairement mesurer aujourd'hui entre le partenariat euro-méditerranéen et les sociétés censées en êtres bénéficiaires, à savoir celles de la zone euro-méditerranéenne. On ne peut pas parler d'une appropriation de la problématique euro-méditerranéenne par les sociétés européennes.
Ce fossé entre le partenariat, ses déclarations et ses ambitions, et les sociétés a deux causes.
D'une part, le fait que le partenariat euro-méditerranéen ne s'est pas traduit par une politique en matière de visas à l'égard des pays partenaires, une politique d'ouverture qui aurait permis de mettre les déclarations de Barcelone en cohérence avec la réalité. On a voulu faire de la Méditerranée un espace de dialogue sans en faire un espace de circulation des hommes et des femmes et on mesure aujourd'hui à quel point les sociétés ne croient plus à cette idée d'espace euro-méditerranéen parce qu'elles constatent que les barrières sont restées intactes et se sont même durcies sous certains aspects.
D'autre part, l'Europe n'a pas été capable de se donner les moyens de sa politique, notamment en raison du durcissement des procédures d'accès au financement, qui était l'instrument permettant à ces sociétés de dialoguer et de travailler ensemble.
Pour conclure sur cet aspect de bilan, Mme Tanzarella a l'impression qu'aujourd'hui, dans l'optique des sociétés euro-méditerranéennes et méditerranéennes en particulier, le partenariat est vu comme une vaste technostructure dans laquelle la dimension politique forte, qui avait animé la déclaration de Barcelone, s'est perdue.
Pour relancer cette politique méditerranéenne de l'Europe, il faudrait impérativement réformer en profondeur les procédures propres du partenariat pour le rendre plus proche des sociétés.
Mme Tanzarella trace ensuite quelques pistes pour l'avenir, même si le bilan ne sera guère positif. Elle va évoquer successivement la relation entre la politique européenne de voisinage et le partenariat euro-méditerranéeen, l'initiative européenne et l'initiative américaine en Méditerranée, le dialogue des cultures et, enfin, la question de la société civile et son implication dans le cadre du partenariat.
Chacun sait que depuis 2003, l'Europe a lancé, sous l'impulsion du président Romano Prodi, la politique de voisinage, une politique qui commence à présent à se dessiner plus clairement. On s'est beaucoup interrogé ces dernières années sur la relation entre le voisinage et le partenariat euro-méditerranéen. Aujourd'hui encore, il faut être très prudents parce que cette politique de voisinage commence seulement à se mettre en place et que l'instrument financier de cette politique n'est pas encore connu dans tous ses détails.
Néanmoins, la question qui est posée est la suivante: le partenariat sera-t-il dilué dans la politique de voisinage ? Qu'y gagne-t-on et qu'y perd-on ?
Les institutions européennes prétendent bien entendu que le partenariat sortira renforcé de la politique de voisinage. L'oratrice s'en doute car la politique européenne de voisinage constitue une perte de trois dimensions fondamentales du partenariat euro-méditerranéen.
D'abord, il y a la dimension centrale, stratégique de la Méditerranée par rapport à toutes les autres zones de proximité de l'Europe. L'une des raisons pour lesquelles le partenariat avait été salué par les sociétés concernées était en effet qu'il replaçait la Méditerranée au centre des relations entre l'Europe et son voisinage en redonnant force au socle historique, à la proximité géographique, et même au lien fort qu'on méconnaît de part et d'autre de la Méditerranée entre l'Europe et la Méditerranée qui est l'un des berceaux — sinon le berceau — de l'Europe. La politique de voisinage fait perdre la Méditerranée dans le sens ou l'Est et le Sud sont, pour l'Europe, logés à la même enseigne. Il s'agit d'une déperdition très grave.
La politique de voisinage entraîne également la perte de la dimension multilatérale. Le voisinage fonctionne selon le principe du centre et de la périphérie, le centre étant l'Europe et la périphérie étant les zones de voisinage. S'établissent dès lors bien évidemment des relations privilégiées entre chaque pays et l'Europe. Le bilatéral constitue l'élément structurant de la politique de voisinage: on donne une prime aux meilleurs élèves, on négocie avec chaque pays et on laisse tomber la dimension multilatérale qui avait quand même un effet entraînant très fort. En effet, les autres pays du concert euro-méditerranéen étaient amenés à se poser des questions et à participer à un dialogue multilatéral. Celui-ci constituait l'élément nouveau du partenariat. La dimension bilatérale est aussi un élément essentiel du partenariat mais, avec le voisinage, on abandonne définitivement la dimension régionale et donc l'approche globale.
Enfin, dans cette politique de voisinage, la dimension politique et culturelle se perd qui se trouvait malgré tout au cœur de l'exercice du partenariat euro-méditerranén. Tout se passe comme si on avait intégré la dimension économique et la dimension sécuritaire, qui étaient au cœur du partenariat et qui semblaient fonctionner le mieux, et la dimension bilatérale des relations entre l'Europe et ces pays, pour en faire une politique. La dimension politique et la dimension culturelle sont totalement absentes de la politique du voisinage, en dépit de quelques déclarations des institutions européennes. Nous devons donc veiller attentivement à ce que cette dimension ne soit pas oubliée dans cette nouvelle configuration du voisinage.
Le deuxième point concerne l'initiative européenne et l'initiative américaine. Il est incontestable que l'initiative américaine est forte en Méditerranée. Elle repose sur une dimension politique autour du Broader Middle East et de la réforme du monde arabe qui se traduit aussi par un volet économique fort, celui des accords de libre-échange entre les États-Unis et certains pays partenaires de l'Europe, en particulier le Maroc et la Jordanie.
Qu'entrevoit-on au travers de cette initiative américaine ? D'abord, la notion de Middle East and North Africa region. Il s'agit à nouveau d'une vision de la Méditerranée coupée en deux. Au cœur du partenariat figurait l'idée selon laquelle il existe, autour de la Méditerranée, quelque chose que nous partageons et que nous devons valoriser. C'est le fait du passé mais aussi du présent. Avec la notion Middle East and North Africa region, nous établissons une frontière, évidente dans la logique anglo-saxonne, entre eux et nous, entre l'Occident et les autres. L'Europe peut et doit avoir son mot à dire et le partenariat euro-méditerranéen doit pouvoir être un élément permettant de renverser cette tendance qui est malheureusement très forte, y compris en Europe.
Sur la question du libre-échange entre les États-Unis et les pays de la Méditerranée, du point de vue des acteurs culturels, des dangers existent pour la diversité culturelle en Méditerranée qui nous concernent au premier chef en tant qu'Européens. Nous devons, en tant qu'Européens, contrer l'initiative américaine en en prenant une autre, plus forte, en direction de la Méditerranée.
Sur le plan politique, qui peut être opposé à l'idée d'accompagner les pays du monde arabe vers une réforme en direction de sociétés plus ouvertes et démocratiques ? L'Europe doit maintenir le cap d'un accompagnement et non d'une réforme imposée de l'extérieur. C'est là que le partenariat peut avoir un rôle important à jouer par l'appui donné ainsi à la société civile de chacun des pays de la rive sud. Ces sociétés civiles sont un facteur de changement, social et politique.
La bataille pour la diversité culturelle est au cœur du destin commun des pays de la Méditerranée et de l'Europe. Cependant, l'initiative européenne est actuellement très faible car on n'a pas encore eu vraiment le temps de réfléchir à la faiblesse politique et institutionnelle de l'Europe ces dernières années. Les dernières élections en Europe ne poussent pas à l'optimisme, c'est évident. Mais en outre, on parle de plus en plus du rôle des Britanniques en Europe comme des porte-parole des initiatives américaines. Nous assistons ainsi de plus en plus à ce phénomène: les Européens parlent de moins en moins d'Euro-Méditerranée et de plus en plus de Middle East and North Africa region. C'est significatif de la coupure entre l'Europe et les pays du Sud de la Méditerranée.
Le dialogue des cultures est le troisième point focal. Il s'agit de quelque chose de très important pour l'avenir du partenariat. Une nouvelle institution du partenariat vient d'ailleurs de voir le jour avec la fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures.
Une partie de l'avenir du partenariat se joue autour de cette question. Cependant, il faut d'abord discuter de cette notion de dialogue des cultures. Nous avons été nombreux à mettre en avant les pièges que cette notion recèle.
La notion de dialogue des cultures telle qu'on la retrouve dans de nombreux documents officiels, laisse penser qu'au fond, il s'agit d'un face-à-face entre blocs comme si les cultures étaient homogènes et n'étaient pas traversées par une négociation permanente entre des différences, des courants, des oppositions, comme si le dialogue devait avoir lieu entre la culture européenne, au singulier, et une autre culture qui serait la culture d'en face. Aujourd'hui, on doit avoir un regard plus fin, plus attentif à ce qui se joue au sein même de chaque culture. Il faut donner au dialogue des cultures un nouveau contenu parce que ce n'est plus aujourd'hui qu'une notion creuse qui ne fait qu'augmenter les méfiances réciproques au lieu de les lever.
Quelles sont les conditions d'un vrai dialogue des cultures ? C'est là que se joue en partie la crédibilité du partenariat euro-méditerranéen.
Trois points sont absolument essentiels pour redonner du sens au dialogue des cultures.
Le premier est celui des inégalités de l'échange culturel et de l'échange en général. On ne peut pas parler de dialogue des cultures sans s'attaquer aux inégalités de ses conditions. On ne peut pas non plus passer sous silence le fait que les pays de la Méditerranée et du Sud ont une responsabilité énorme. Les politiques culturelles dans les pays du Sud ne sont pas à la hauteur, elles n'existent même pas. Comment dialoguer alors que la liberté d'expression, les moyens d'accès à l'information, l'éducation et les conditions de la création contemporaine sont constamment entravés dans ces pays ? Si on se contente d'un dialogue entre élites, nous passons à côté de la réalité de l'inégalité de l'échange. Dans ce cas, le dialogue des cultures devient un jeu dans lequel on sait déjà qu'il y a un perdant.
Le deuxième point qui est très important pour redonner du sens au dialogue culturel est la solution du problème des entraves à la mobilité. On ne peut parler de dialogue des cultures sans se donner les moyens de la rencontre humaine, sans que les gens puissent traverser la Méditerranée. Or, combien d'exemples avons-nous dans nos pratiques quotidiennes d'impossibilités de concevoir des projets ensemble, d'être dans un véritable dialogue qui implique la traversée de la mer ! C'est vrai pour les États Schengen mais également dans le sens Sud-Sud car les visas existent également sur la rive sud de la Méditerranée. Redonner du sens au dialogue des cultures et de la crédibilité au partenariat et à son discours signifie d'abord enlever les entraves à la mobilité en Méditerranée et faire de cet endroit un réel espace d'échanges, de circulation et de rencontres. On sait très bien aujourd'hui que la politique des visas n'empêche pas l'immigration clandestine que l'on prétend vouloir arrêter.
Le troisième aspect a aussi son importance dans le cadre du dialogue des cultures et pour l'ensemble du partenariat. Il concerne les protagonistes du dialogue. Actuellement, les États européens et ceux de la rive sud de la Méditerranée se contentent apparemment d'un semblant de dialogue où se retrouvent autour de la table des élites polyglottes, anglophones, francophones et des intellectuels certainement très intéressants mais qui n'ont rien à voir avec la réalité des sociétés dont on parle. Il faut donc se poser la question d'une réelle confrontation entre les perspectives culturelles que l'on a quand on vit en Europe ou dans un pays du Sud et avoir le courage de se confronter sans tabou avec les porteurs réels des traditions de pensées différentes.
Le dernier point est celui des sociétés civiles.Au-delà des discussions philosophiques et sans fin sur ce que l'on met derrière la notion de société civile, il apparaît aujourd'hui assez clairement que les objectifs politiques et généraux du partenariat euro-méditerranéen ne peuvent être atteints sans implication véritable des sociétés à la fois en Europe et au Sud. Il faut donc revenir à la déclaration de Barcelone qui était véritablement un élément novateur en la matière du fait qu'elle plaçait la dimension des sociétés au cœur de l'exercice du partenariat.
Mme Tanzarella attire ensuite l'attention sur quelques pistes.
La première concerne l'appui que nous devons donner à la société civile des pays du Sud, en tant qu'Européens, en tant qu'États et en tant qu'Union européenne. Il se passe, depuis quelques années, des choses extrêmement novatrices en Méditerranée du Sud. Une multitude d'initiatives ont vu le jour et on constate des signes extrêmement encourageants comme la naissance d'une société civile, d'un mouvement associatif ou d'un débat social de plus en plus fort selon les pays.
Ce qui se passe au Liban aujourd'hui est significatif et mériterait une analyse approfondie. Toutefois, il faut penser au Maroc où des formes d'organisation sociale extrêmement intéressantes se mettent en place depuis quelques années, mais qui ne trouve d'appui politique ou financier ni de la part des pays, ni des gouvernements en place, ni de l'Europe.
Au cœur de ce problème se situe la question des sociétés civiles d'inspiration religieuse ou islamique, pour dire vite. Il faut commencer à regarder celles-ci sans craindre d'avoir affaire aux sociétés telles qu'elles sont. Il existe, tant en Égypte qu'au Maroc et au Liban, une société civile qui s'inspire d'une tradition de pensée qui plonge ses racines dans l'islam. On a très vite fait, en Europe, d'assimiler ces sociétés à des terroristes ou de considérer qu'il s'agit d'expressions extrêmement radicales d'opposition au pouvoir en place et avec lesquelles il n'existe aucun moyen de dialoguer ni d'un point de vue politique ni d'un point de vue culturel. C'est un tort. L'Europe a le devoir absolu d'aller plus loin avec ces sociétés civiles qui ne sont pas non plus très bien considérées par la société laïque et qui portent, aujourd'hui, les aspirations de leurs propres peuples.
Il y a des phénomènes importants auxquels nous devons être attentifs. Il y a une renonciation progressive à la dimension violente. Il y a une inscription dans le champ politique tant au Maroc qu'en Égypte. Il y a également l'acceptation du pluralisme et même du suffrage universel dans les mouvements d'inspiration islamique. Il faut cesser de vouloir trouver ce qui nous ressemble de l'autre côté de la mer et faire en sorte que les sociétés de ces pays puissent trouver, dans le partenariat hors méditerranéen, un cadre. C'est absolument nécessaire si nous voulons mettre un frein à la radicalisation qui, par poussées de fièvre, continuera encore.
Le dernier point concerne la réforme en profondeur des procédures européennes d'accès aux financements censées favoriser le dialogue entre les sociétés européennes et méditerranéennes.
Les mécanismes mis en place sont tellement rigides, tellement contraignants que les sociétés — tant du Nord que du Sud de la Méditerranée — n'ont aucune chance d'avoir accès à des financements. Or, donner tout sons sens au partenariat euro-méditerranéen, c'est précisément réformer ces procédures en profondeur.
Enfin, il existe désormais des formes de concertation au sein de la société civile, à savoir la plate-forme euro-méditerranéenne non gouvernementale. Même les ministres à Luxembourg ont souligné qu'il s'agissait d'une nouveauté intéressante. Il faut que des mécanismes permanents de concertation se mettent en place, dans chaque pays, entre les formes organisées de ces sociétés et l'Europe.
En effet, c'est l'avenir du partenariat euro-méditerranéen qui se joue. La démocratisation de cet espace, le progrès social et le progrès civil passent par la prise en compte de ce partenariat par nos sociétés et par celles de la rive sud.
5.2. Échange de vues
Pour avoir siégé au Parlement européen, Mme Zrihen sait que la question est extrêmement sensible et dépasse largement le volet économique auquel d'aucuns voudraient la voir réduite. Ce qui se passe actuellememnt à propos du Traité constitutionnel prouve que l'on peut rêver de tous les développements économiques mais que, si l'on n'y associe pas les populations, elles nous rappelleront à l'ordre.
Mme Zrihen a quelques questions sur le rôle des femmes de la société civile dans ce partenariat euro-méditerranéen. Plusieurs programmes leur sont destinés. Un volet sur l'éducation a été mis en place. Nous sommes extrêmement attentives aux codes de la famille qui font avancer la société civile. Ce volet a-t-il été omis et devrait-on y remédier ?
Mme Zrihen évoque également l'intérêt soudain manifesté par les États-Unis quant à cette partie du monde, intérêt très inquiétant. Le partenariat américano-méditerranéen apparaît surtout comme un cheval de Troie destiné à déstabiliser le volet européen. Comment peut-on renforcer la diversité culturelle dans la société civile ? En effet, on sait ce qui se passe dans le Sud de l'Afrique et il serait regrettable qu'une certaine culture disparaisse dans cette partie du monde, d'autant plus que cette culture constitue un lien et nous permettrait de contrecarrer les amalgames qui sont faits en la matière.
Certains efforts sont réalisés en vue de mettre les structures de financement européen à la portée directe des associations. Cependant, d'aucuns ont évoqué une mauvaise gestion de ces fonds. Comment pourrait-on organiser les ONG et la société civile de manière à en faire des interlocuteurs suffisamment reconnus pour qu'ils ne doivent systématiquement s'adresser aux gouvernements ou aux structures officielles ?
Selont M. Galand, Mme Tanzarella a abordé un sujet que nous n'avons guère évoqué jusqu'ici et qui devrait trouver pleinement sa place dans le rapport. Elle constate l'échec des appels lancés depuis huit ans par les sociétés civiles, au fur et à mesure de l'enlisement du processus, imputable aux deux partenaires. Aujourd'hui, la porte est donc ouverte à un troisième larron, les États-Unis, qui se font fort de réussir là où nous avons échoué.
M. Galand a vraiment l'impression que la Commission refuse délibérément d'ouvrir le dialogue à la société civile. Elle modifie les règles du jeu de façon à restreindre ce dialogue, voire à y mettre un terme. Y a-t-il le moindre espoir d'avancer dans l'hypothèse où la Commission refuserait de faire son autocritique et de revoir les conditions qu'elle impose aux acteurs de la société civile ?
M. Cornil est frappé par la menace qui pèse sur la diversité culturelle. Selon divers ouvrages, tels celui de Serge Latouche L'occidentalisation du monde, de Michel Serres Hominescence, ou encore de Benjamin Barber, ancien conseiller de Bill Clinton, Djihad versus McWorld, ressort qu'au fond, une culture homogène mondiale se met en place, avec ses avantages et ses inconvénients. Les classes les plus jeunes de la société sont certainement les plus perméables à ce type « d'homogénéisation du goût », comme certains disent. Mme Tanzarella a parlé de dialogue des cultures, de dialogue entre différentes civilisations et différentes traditions. La fondation qu'elle dirige a-t-elle analysé en profondeur la pénétration de ces nouveaux modes de pensée et de ces nouvelles formes de vie de plus en plus dominantes sur la rive sud de la Méditerranée ?
En arrivant à Amman, le premier immeuble que l'on aperçoit, c'est le Mac Donald. À Sanaa, le Pizza Hut est à l'entrée d'une des plus belles villes du monde. Les cinémas mettent tous à l'affiche les cinq grandes productions hollywoodiennes du moment. Pour la production musicale, c'est pareil. Or, ces industries culturelles sont probablement les plus significatives pour les jeunes générations et donc pour l'avenir. Cet élément n'est pas propre à la rive sud de la Méditerranée; il conditionne également le développement mental et culturel de la jeunesse européenne et mondiale.
Existe-t-il des analyses pointues de l'expansion de ce modèle culturel standardisé et du déclin des cultures traditionnelles, en particulier en ce qui concerne les jeunes qui, dans ces pays, représentent un poids démographique considérable ?
Mme Pehlivan estime que le partenariat euro-méditerranéen ne doit pas seulement disposer d'une base sociale dans la région méditerranéenne mais dans toute l'Europe. En Europe vit une très importante communauté de citoyens qui sont originaires de la région méditerranéenne. Ils déterminent pour une grande part l'image qu'a l'Europe des pays méditerranéens. Cela vaut surtout pour l'Afrique du Nord et pour des pays comme le Liban, et davantage sur les plans politique, social et culturel que sur le plan économique.
Mme Tanzarella a souligné que, dans les pays d'Afrique du Nord, la société civile est peu impliquée dans la politique. Ne peut-on dès lors travailler, par le biais de la société civile dans les communautés de migrants en Europe, à créer des relations et étendre la base sociale ? Mme Pehlivan ne vise pas tant les échanges économiques qui se déroulent assez bien et sont plus facilement acceptés, mais plutôt le dialogue culturel et religieux.
Quels instruments l'Europe doit-elle développer pour soutenir ce processus ?
M. Roelants du Vivier souligne que Mme Tanzarella a opposé le partenariat à la politique de voisinage. Lorsque le président Prodi a présenté celle-ci, il a envoyé un signal pouvant être traduit par « tout, sauf les institutions ». Ce signal fort, qui revient à dire qu'un grand nombre d'éléments peuvent être partagés, semble positif.
Un certain nombre de ministres marocains ont recemment exprimé tout leur intérêt pour le partenariat euro-méditerranéen. C'est dans ce domaine qu'ils se sentent le plus à l'aise dans leurs relations avec l'Europe. La tentation de la politique de voisinage ne peut-elle être considérée comme une conséquence de la faible réussite du partenariat euro-méditerranéen ? L'Europe aurait ainsi, en quelque sorte, sorti autre chose de son chapeau pour essayer de séduire les gouvernements des pays concernés.
Par ailleurs, Mme Tanzarella a souligné dans son exposé que la perspective du « Broader Middle East North Africa Initiative (BMENA) », défendue par les Américains, est à présent largement commentée, si pas partagée, par de nombreux Européens. C'est évidemment une façon de scinder le monde européen.
Lors d'une précédente réunion, M. Khader, professeur à l'Université de Louvain, a défendu l'idée de l'unicité du monde arabe, ce qui contredit quelque peu l'entité méditerranéenne. Nous aurions ainsi un dialogue de bloc à bloc. Dans le cadre du dialogue culturel, ne faudrait-il pas privilégier le creuset identitaire méditerranéen, qui recèle une partie de nos racines communes, plutôt que de nous concentrer sur le monde arabe, qui exclut de facto un certain nombre de partenaires autour de la Méditerranée ?
En tant qu'archéologue de formation, conscient de tout ce passé qui relie les deux rives de la Méditerranée, M. Roelants du Vivier voudrait enfin savoir si, dans le cadre du dialogue des cultures, qu'il s'agisse de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh, ou d'un autre organe, serait bien menée, en matière d'archéologie, entre l'Europe et les pays méditerranéens ?
Nous avons une histoire commune mais, pour l'instant, il s'agit bien souvent de missions bilatérales. Ne peut-on envisager une telle collaboration à l'échelle de l'Europe ?
Mme Tanzarella aborde en premier lieu les questions relatives au voisinage. Est-ce une conséquence de la réussite du partenariat ? Selon l'oratrice, c'est une conséquence de ce qui a réussi dans le partenariat. Ce dernier n'a pas bien réussi à intégrer les sociétés, ni à démocratiser la région, ni à prévenir les conflits mais il est parvenu à faire progresser des formes d'intégration économique via les accords d'association, dénommés aujourd'hui plans d'action.
On a fait référence aux paroles du président Prodi: « Tout, sauf les institutions ». Il convient de préciser le propos de M. Prodi, humaniste pétri de bonnes intentions, qui s'exprimait sur la question du voisinage par une analogie avec le fonctionnement d'un groupe d'amis. M. Prodi n'est plus président de l'Union européenne et la configuration politique et générale actuelle est relativement différente. Sans résumer la problématique à une question de personnes, ce point est important.
Actuellement, la priorité est à l'économique et au sécuritaire. Il semble que ce soit cela que l'on veuille désormais partager avec les autres pays. Est-ce suffisant pour faire une politique ? Mme Tanzarella ne pense pas qu'il faille faire le procès des propos de M. Prodi lorsqu'il disait « Tout, sauf les institutions », mais croit que sa pensée était différente de ce que l'Europe met en œuvre aujourd'hui.
Pour aborder un autre point, Mme Tanzarella est moins convaincue par la dimension euro-arabe que par la dimension euro-méditerranéenne.
Une erreur stratégique majeure serait d'oublier qu'un des éléments importants du partenariat était de réunir un concert euro-méditerranéen en y intégrant Israël, exercice salutaire pour la politique israélienne et pour le monde arabe, et facteur de paix. De plus, la dimension euro-arabe néglige la Turquie. L'euro-méditterranée est une notion prodigieusement riche et féconde tandis que l'euro-arabie est une sorte d'échec de la pensée. Il faut maintenir le cap de l'euro-méditerranée, porteuse d'avenir.
Beaucoup de questions touchaient à la diversité culturelle. Cette notion est extrêmement complexe car elle draine le pire et le meilleur.
D'un point de vue purement culturel, il serait aberrant d'imaginer des cultures protégées par des barrières douanières. L'idée de culture est, par essence, contraire à celle de fermeture. La lutte pour la diversité culturelle ne doit pas servir la défense d'une sorte de « localisme » étriqué ou d'un repli identitaire, mais le danger existe. C'est un terrain extrêmement glissant.
Le deuxième élément est que la bataille sur la diversité culturelle laisse parfois passer l'idée d'une sorte de relativisme culturel: les cultures sont toutes bonnes à prendre et il faut considérer qu'il n'existe pas de valeurs universelles que tout le monde doit partager. La bataille pour la diversité culturelle ne peut se faire qu'à partir d'un socle non négociable de droits qui appartiennent au patrimoine universel des peuples. Il faut le rappeler.
Plus concrètement, il est intéressant de voir comment le Maroc a répondu à l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Cet accord mettait réellement à mal les industries culturelles de ce pays. Il faut tenir compte de deux niveaux. Le premier est le niveau culturel et général. Il faut combattre les hégémonies culturelles mais cela ne se décrète pas. C'est une bataille de tous les jours. Les pays doivent pouvoir déployer leur diversité interne. En revanche, le rôle des États est très important pour la défense des industries culturelles. Il s'agit de permettre aux identités culturelles différentes d'exister. Quand on met en concurrence libre et non faussée les industries culturelles marocaines du livre et du cinéma avec les poids lourds de l'industrie américaine dans les mêmes domaines, les industries marocaines ne font pas le poids. Il est donc du devoir du Maroc et de l'Europe de défendre l'existence d'industries culturelles qui, en outre, sont autant de bassins d'emploi. Les Marocains se sont organisés en coalition pour la diversité culturelle. Les industries culturelles et le monde associatif se sont joints dans cette coalition pour défendre le maintien de certaines formes de protection de quotas. On a tout à fait le droit de défendre l'industrie culturelle de pays comme le Maroc.
Il se joue une partie importante dans laquelle nous, Européens, nous trouvons exactement à la même enseigne que les pays du Sud. Aujourd'hui, nos pays comptent dans leur population des communautés ayant une origine et des référents culturels différents, ce qui constitue un enrichissement de notre culture européenne et de notre identité culturelle. La défense de notre spécificité plurielle est donc une bataille que nous partageons avec les pays du Sud. Il me semble qu'à cet égard, le partenariat euro-méditerranéen n'a pas joué son rôle jusqu'au bout.
Quant aux femmes, elles sont le véritable parent pauvre du partenariat. Il s'agit d'une question extrêmement transversale. Il existe aujourd'hui des programmes relatifs à l'intégration des femmes dans la vie économique mais ils restent de tout petits outils. Or, cette question est cruciale.
Que se passe-t-il au niveau des sociétés ? On constate un fait extrêmement novateur qui n'est pas suffisamment mis en valeur: contre toutes attentes de tous les experts, économistes et autres démographes, les courbes démographiques des pays de la rive sud de la Méditerranée ont chuté de manière brutale au cours des dernières années. Il y a dix ans, on n'a pas mesuré à quel point la chute démographique de ces pays serait rapide. C'est un facteur d'intégration puissant entre les deux rives de la Méditerranée parce les modes de vie et les conceptions de la relation à l'avenir commencent à se rapprocher. Une femme tunisienne qui ne fait aujourd'hui plus que 2,1 enfants, pratiquement comme une européenne, a forcément une conception de sa vie, de son rapport au savoir, au travail, à la famille, aux enfants beaucoup plus proche de celle des femmes européennes.
On n'a pas encore suffisamment mesuré les effets de ce phénomène. Nous devrions accompagner ce mouvement-là; or nous ne le faisons aucunement. Il est pourtant crucial de prendre des initiatives volontaristes à un moment où la conjoncture est précisément favorable à l'intégration de nos sociétés.
Comment la société civile peut-elle s'organiser ? Que fait la Commission européenne ? Quel est l'état d'esprit aujourd'hui ? Il faut saluer un petit rayon de soleil apparu dans les relations entre l'Union européenne, la Commission en particulier, et les sociétés euro-méditerranéennes. Ces trois dernières années, mme Tanzarella a vécu en première ligne le long travail de préparation en vue de la mise en place de la plate-forme non gouvernementale euro-méditerranéenne (pour le forum civil). Bien qu'elle ne puisse être considérée comme étant représentative de l'ensemble des sociétés, cette plate-forme est un instrument de concertation interdisciplinaire où se retrouvent des expressions authentiques des sociétés du sud et du nord de la Méditerranée. Elle travaille sur la question des femmes, la culture, les droits de l'homme, l'environnement, la transparence et la lutte contre la corruption, les jeunes, etc. Tous ces groupements associatifs se retrouvent aujourd'hui dans cette nouvelle instance créée à Luxembourg, le 1er avril dernier. C'est une nouveauté absolument capitale. L'Europe semble avoir compris qu'elle se trouvait là face à des interlocuteurs crédibles.
Encore une fois, cette plate-forme ne prétend pas représenter toutes les sociétés mais le fait qu'elle y plonge ses racines lui donne une légitimité. On y retrouve l'écho des débats qui agitent toutes les sociétés du Sud, y compris de manière contradictoire. Ainsi, les Égyptiens ne sont pas tous d'accord entre eux ni avec d'autres, par exemple les Marocains. Cette nouveauté est toute récente et la Commission en a compris l'importance. L'exercice des forums civils sera profondément modifié par l'existence de ce lieu permanent de dialogue qui permet un rapport d'interlocution avec les institutions européennes, d'autant que ses racines plongent profondément dans les sociétés et qu'il n'est pas très éloigné des forums sociaux et des mouvements plus larges, plus confus ou plus radicaux. Cet instrument pourrait contribuer, dans les prochaines années, à mieux structurer le dialogue.
L'Europe ne peut pas nier qu'il existe un interlocuteur crédible et il semblerait qu'elle l'ait compris.
Que fait-on dans le domaine de l'archéologie, par exemple, qui est le socle de notre histoire commune ?
Il existe un programme européen dénommé Euromed Héritage, financièrement très bien doté, qui a mis en place depuis 1996, année de son lancement, des coopérations techniques sur la gestion du patrimoine. Ce programme se préoccupe du patrimoine historique au sens large, mais a aussi une dimension de coopération en matière d'archéologie. Sa mise en œuvre ne remplace pas les missions archéologiques, qui restent le cœur de la recherche archéologique et disposent de moyens octroyés par les États. C'est incomparable, mais en termes de régions, de lieux de partage, de savoir-faire, de formation, de mise en commun du savoir-faire et de gestion des sites, le programme Euromed Héritage a rempli ses missions. L'Europe affirme qu'il s'agit d'un outil de dialogue des cultures, ce n'est pas vraiment le cas, car c'est véritablement un instrument destiné aux spécialistes.
La dimension du passé est très valorisée, mais il est celle de la création contemporaine qui doit être mise en avant dans le domaine culturel. Nos sociétés ne sont pas informées de nos rapports et de notre legs à l'égard de la région méditerranéenne, mais personne n'ignore que c'est là que se trouvent nos racines.
Beaucoup ignorent aussi la richesse et la fécondité extraordinaires de ces sociétés en termes de créations contemporaines. Une des batailles des acteurs culturels en Méditerranée et en Europe est celle de la valorisation de la création contemporaine. Dans le cadre du partenariat, nous ne disposons pas d'instruments à cet effet.
Contrairement à ce qui se passe en Europe, cette création contemporaine est très proche des sociétés du sud et portée par les jeunes générations. On ne fait pas grand chose pour participer à la mise en valeur de cet apport en termes de spectacles vivants, de musique, de littérature, d'arts plastiques, de créations vidéo, etc. Ce qui existe est très riche, mais on ne le sait pas assez. Il serait important d'agir sur ce plan.
6. Audition de M. Shawki Armali, délégué général palestinien
6.1. Exposé introductif
Selon M. Shawki Armali, le texte du projet de résolution semble couvrir tous les aspects de ce processus sur la politique économique et sociale. Mme Annane a expliqué que ce processus faisait suite au processus de paix enclenché en 1993 entre nous-mêmes et le gouvernement israélien, processus qui a fait naître bien des espoirs de paix dans la région. L'Union européenne a eu raison de vouloir profiter de l'ambiance qui régnait alors dans la région et du fait qu'un État palestinien était sur le point d'émerger. Nous avons été des partenaires à part entière dans la préparation du processus de Barcelone. Toutes les réunions ont eu lieu à Bruxelles au sein du Conseil européen. Nous étions enthousiastes par rapport à toutes les promesses contenues dans ce processus, non seulement pour nous mais pour toute la région, pour Israël, pour la Palestine, promesses qui allaient signer la réconciliation arabo-israélienne.
Ce processus a débuté tambour battant. M. Armali ne peut pas dire que pendant dix ans, de 1995 à 2005, il n'ait rien apporté. On a toujours prétendu que le processus de Barcelone n'entendait pas apporter une solution à la problématique israélo-palestinienne ou israélo-arabe. Il est indéniable que ce problème aura une incidence sur le processus de Barcelone.
Fin mai 2005, au Luxembourg, une réunion s'est tenue entre les ministres des Affaires étrangères de l'Union, des pays arabes, de la Turquie et d'Israël. On pouvait y déceler cette volonté d'avancer mais, en même temps, cette avance est un peu freinée. En effet, M. Silvan Shalom n'a, lors de son intervention devant les ministres, apporté aucune réponse aux questions qui lui étaient posées par les Européens. Tout l'avenir du processus de Barcelone dépend aussi de la paix chez nous.
M. Armali représente l'autorité palestinienne lors des réunions des hauts fonctionnaires. Elles ont lieu toutes les six semaines. Il a aussi assisté à toutes les conférences des ministres qui sont organisées tous les six mois. À la fin de novembre 2005, le dixième anniversaire du processus de Barcelone sera célébré à Barcelone même. Celui-ci doit être maintenu. Le fait que les Israéliens, les Palestiniens et les Arabes se retrouvent autour d'une même table est un fait positif.
Le premier jour, à Luxembourg, les ministres ont essentiellement discuté du processus de paix. Notre présence était la meilleure preuve que ce dernier est très important. Pendant toute la soirée, les ministres n'ont pas discuté avec Silvan Shalom des nombreux projets du processus de Barcelone mais on n'a parlé que de l'aspect politique. Malheureusement, M. Shalom n'a pas apporté de réponse convaincante à ses interlocuteurs. Le fait de réunir tous les parties est un premier pas positif.
Nous connaissons tous la Fondation Anna Lindh qui a vu le jour à Alexandrie et jouit du consensus de tous les participants. L'orateur espère qu'elle pourra démarrer ses activités. Elle vient de désigner son directeur général qui ne dispose pas encore de tous les fonctionnaires nécessaires au bon fonctionnement de cette fondation.
Il faut aussi citer l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne qui se réunira pour la quatrième fois le 16 juin 2005, à Bruxelles. L'assemblée a quatre vice-présidents dont un israélien et un palestinien. Elle pourrait tenir sa prochaine réunion en automne très probablement en Palestine, à Ramallah ou à Jéricho. Des engagements ont été pris à ce sujet par le président du parlement européen, M. Borrell, avec le président Abbas lors de son passage à Bruxelles.
Il y a eu, et Mme Annane a bien fait de le souligner dans son rapport, plusieurs accords d'association et de voisinage. Mme Annane cite Israël, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, en omettant de citer l'Autorité palestinienne qui est un partenaire à part entière d'un plan d'action avec l'Union européenne, plan déjà mis en œuvre.
M. Armali tient aussi à rappeler, comme le fait d'ailleurs le rapport, que tous les pays qui concluent des accords d'association ou de voisinage doivent aussi veiller à respecter les bonnes règles des droits de l'homme et de la liberté. S'il y a un grand débat à ce sujet au sein des sociétés arabes, c'est aussi parce que l'Union européenne exerce une pression de plus en plus forte pour que ces concepts tout à fait universels puissent régir la société dans nos pays arabes. Nous en avons besoin. Bien sûr, certains de nos frères arabes disent opportunément qu'il faut aussi prendre en considération les spécificités de chaque société. Cependant il y a des principes universels auxquels il est exclu de se dérober.
D'ailleurs, tout le monde a pris connaissance du rapport accablant du PNUD, programme des Nations unies pour le développement, rédigé par des académiques arabes dont certains occupaient eux-mêmes des positions gouvernementales dans certains pays arabes. Ce rapport a relevé ces points et la société arabe est en train de demander des évolutions, des réformes aux gouvernants.
Dans ce contexte, tout ce qui est discuté lors du processus de Barcelone, dans son aspect social, peut aider les sociétés arabes à progresser dans la réforme en vue d'une bonne gouvernance. Nous sommes peut-être à la veille d'avoir un marché libre avec l'Union européenne à partir de 2010, en vertu du traité de Barcelone.
Il conviendrait préalablement que les pays arabes puissent avoir un marché libre et des relations entre eux sur le plan économique. Il doivent s'y préparer, malgré les résolutions prises au niveau de la Ligue arabe. Sur le plan économique, l'autorité palestinienne a beaucoup profité et profite encore de l'assistance fournie par des programmes comme l'Action plan et le MEDA (Euro-mediterranean Partnership). Les 260 millions qui ont été engagés par l'Union européenne pour l'année 2005 proviennent d'ailleurs de ces programmes.
Mais, tant que le processus de paix lui-même demeure en difficulté, on ne peut espérer des avancées remarquables du processus de Barcelone.
La Charte de la sécurité entre les pays membres a été très discutée mais n'a pu être conclue parce qu'il n'y a pas de situation de paix entre Israël et ses voisins arabes. Ces derniers s'opposent à entrer dans cette logique et se demandent comment on pourrait parler de certaines frontières alors qu'Israël occupe toujours une partie de leur terre nationale; c'est surtout le cas pour la Syrie. Dès que la paix sera établie, cette Charte pour la sécurité ne pourra que trouver un épilogue heureux au sein du processus de Barcelone.
Un autre sujet revient sans cesse: les armes de destruction massive. On est prêt à aller de l'avant dans cette matière mais Israël est-il disposé à entrer dans n'importe quel bargain où il pourrait détruire ces armes de destruction massive ? Cette question peut être poser à l'ambassadeur d'Israël qui parlera de la sécurité et des troubles.
Tout d'abord, la sécurité vient surtout du fait que la paix pourrait exister entre Israéliens et Palestiniens. Les journées d'hier et d'aujourd'hui n'annoncent malheureusement rien de bon à ce sujet. Comment la police israélienne a-t-elle pu laisser certains extrémistes juifs aller jusqu'à l'Esplanade de El-Aqsa ? Nous savons tous que la deuxième intifada a commencé lorsque Sharon a effectué sa célèbre visite à cette esplanade en septembre 2000. Les Israéliens célèbrent la journée où ils ont conquis Jérusalem. Ils peuvent le faire, mais pourquoi ces provocations ? Pourquoi laisser certains extrémistes gambader sur cette esplanade, laquelle est le troisième lieu saint pour les musulmans ?
D'ailleurs, la pacification que M. Mahmoud Abbas a obtenue des organisations palestiniennes n'a pas été suivie, du côté israélien, par des décisions qui auraient pu aider le processus de paix à aller de l'avant. Il y a toujours des prisonniers, toujours des bannis et certaines villes, sauf deux qui ont été évacuées, sont toujours occupées. Qu'attend-on pour évacuer le reste ?
Chaque semaine, nous avons besoin de signes concrets de la part de M. Sharon parce que c'est lui le responsible de l'occupation. Actuellement, 59 maisons de Selouan — un village proche de Jerusalem — sont menacées de destruction. Tout cela ne favorise pas l'ambiance de paix que tout le monde espère cependant.
M. Armali est également favorable à cette résolution. Elle constitue un signe encourageant en faveur de ce processus qui pourrait encore donner des résultats plus concrets si nous avancions dans le processus de paix.
6.2. Échange de vues
Mme Annane voudrait revenir à la situation actuelle dans les territoires palestiniens. Nous savons que Mahmoud Abbas bénéficie d'une crédibilité favorable en Europe et, surtout, aux États-Unis où il vient d'effectuer une visite au cours de laquelle il a rencontré George W. Bush. Pour faire aboutir ces réformes, il doit s'appuyer sur un parti — le Fatah — qui doit, lui aussi, incarner un renouveau politique. Or, nous savons que le Hamas a obtenu de bons scores lors des dernières élections municipales, même en Cisjordanie. Des états généraux du Fatah — les premiers depuis quinze ans — sont prévus pour cet été. Comment le Fatah procédera-t-il pour gagner les élections législatives, reconquérir le territoire politique perdu jusqu'ici, sachant qu'un État palestinien dirigé par le Hamas n'aurait pas le soutien de la communauté internationale et qu'il serait perçu comme un signe négatif ?
La deuxième question a trait aux modalités du retrait israélien de la bande de Gaza et, plus particulièrement, aux infrastructures que les Israéliens auront transférées aux autorités palestiniennes. En termes économiques et agricoles, M. Armali a-t-il reçu des informations concernant ces modalités ? L'autorité palestinienne bénéficie-t-elle, aujourd'hui, d'aides extérieures pour évaluer de façon précise ses besoins économiques et les besoins de la population et, surtout, pour coordonner ses projets d'investissement qui verront le jour après le retrait israélien ? Sur ce plan, l'Union européenne n'a-t-elle pas une expérience à proposer pour reconstruire le port de Gaza ?
M. Pierre Galand veut éviter de tomber dans un débat israélo-palestinien et se limiter au cadre euro-méditerranéen. L'essentiel est que des élections démocratiques aient lieu en Palestine. En effet, il ne s'agit pas de conditionner, comme le font certains, le résultat des élections, quant à savoir si la Palestine restera honorable ou non. Le peuple palestinien, comme les autres, a droit à des élections démocratiques et M. Galand forme le vœu que le résultat des élections soit à la hauteur de nos espérances, mais tel n'est pas l'objet de notre débat.
Après avoir entendu les experts, M. Galand pense que l'Accord euro-méditerranéen — la signature à Barcelone d'un grand accord entre l'Europe et le pourtour méditerranéen — n'a pas été aussi fructueux qu'on aurait pu l'espérer, notamment en termes de droits de l'homme et sur le plan économique.
Le délégué général a plaidé, à juste titre, pour que l'espace méditerranéen et le processus de Barcelone continuent à permettre le dialogue en vue de résoudre un conflit qui est au centre de la question euro-méditerranéenne. Cependant, pour que les accords euro-méditerranéens portent leurs fruits, il faut tenir compte du contenu des divers accords bilatéraux qui ont été signés entre les différentes parties. Comment M. Armali évalue-t-il l'accord euro-méditerranéen avec la Palestine ? Où en est-il ?
Comment les Européens et les partenaires arabes pourraient-ils s'associer pour faire en sorte que soient respectés les préambules de l'Accord, en vertu desquels un effort doit être réalisé concernant deux fondements, à savoir la démocratie et le respect des droits de l'homme ?
L'appel final sur la création d'une zone de paix et de sécurité en Méditerranée est extrêmement important. Les progrès et les liaisons entre l'Accord euro-méditerranéen et le « 5 + 5 » ont-ils pu porter leurs fruits ?
Un point essentiel dans l'exposé est que l'on ne peut faire la paix et dialoguer lorsque l'on organise en même temps une série de provocations.
Le groupe PS est extrêmement attentif à ce qui vient de se produire, sachant que la dernière provocation de ce type avait conduit à la deuxième Intifada. Nous devons tout faire pour éviter une nouvelle confrontation qui, une fois encore, pèserait sur la région et sur le peuple palestinien.
M. Lionel Vandenberghe a une question à propos des élections. Il est très important pour la situation au Moyen Orient que le calme règne dans les différentes régions. Selon les journaux néerlandophones, les élections seront reportées à une date indéterminée. Que devons-nous entendre par « une date indéterminée » ? Comment réagit la population sur place ?
M. Armali partage l'inquiétude de M. Vandenbergh précédent mais cette date doit être fixée avec l'accord de tous les partis palestiniens. Ils se réuniront aujourd'hui ou demain avec le président Abbas pour déterminer la prochaine date. Les élections ont été reportées pour des raisons purement logistiques et administratives. Le Conseil législatif palestinien a voté une loi qui prévoyait qu'un tiers serait à la proportionnelle et deux tiers par arrondissement. Or, le président Abbas veut favoriser la proportionnelle. Lors des pourparlers au Caire avec le Hamas sous supervision égyptienne, il avait promis au Hamas qu'il avancerait une loi où la moitié serait à la proportionnelle. Il n'a pas signé la loi votée au Conseil législatif mais il l'a envoyée au Conseil législatif. Tout cela a pris du temps de sorte que le Comité indépendant qui préside aux destinées des élections n'a pas eu l'occasion de se préparer pour le 17 juillet.
En ce qui concerne les questions de Mme Annane, m. Armaili explique qu'en ce moment, le Fatah connaît effectivement des difficultés, voire une crise, qui s'explique en premier lieu par l'usure du pouvoir — ce parti se trouve à la tête de l'autorité palestinienne depuis 1993 — puis par tous les scandales qui ont émaillé cette gestion; des scandales politiques, mais surtout de la corruption, que tout le monde condamne et veut voir cesser. Par ailleurs, il est normal, au sein d'un parti politique, que des franges jeunes s'opposent aux franges plus anciennes. Le dernier congrès du Fatah a eu lieu il y a seize ans. Ces jeunes ont des droits dans la cité. En outre, des différends opposent les dirigeants du Fatah qui se trouvent en Palestine et ceux qui sont à l'extérieur.
Toutes ces difficultés pourront être résolues lors du congrès général du Fatah qui est prévue pour le 4 août. La plupart des dirigeants du Fatah préféreraient toutefois qu'elle soit organisée un peu plus tard, mais avant les élections et non après, comme c'était le cas précédemment, l'objectif étant que le Fatah puisse se présenter comme un parti cohérent et unifié. Le congrès prévu pour le 4 août a également été reporté. La direction du Fatah — le comité central — se réunira à la fin du mois de juin 2005, précisément pour fixer une nouvelle date de réunion pour le congrès du Fatah. Les efforts se poursuivent afin que ce parti recouvre son aura.
Quant au Hamas, M. Armali se réjouit qu'il participe aux cénacles démocratiques et puisse faire partie du parlement. Il pourra ainsi pratiquer l'exercice démocratique et comprendre que le jusqu'au-boutisme qu'il avait prôné, ne mène à rien. C'est d'ailleurs le résultat des pourparlers du Caire, qui visaient à faire entrer le Hamas dans le giron démocratique. Le Hamas va, pour la première fois, se présenter aux élections. Il ne faut pas craindre sa présence au parlement palestinien. Il faut, au contraire, y voir une façon de le faire entrer dans la vie démocratique.
Quant à Gaza, nous avons eu des réunions avec les Israéliens, mais ceux-ci ne veulent pas dévoiler leurs intentions concernant les colonies. En effet, une frange du parti au pouvoir en Israël veut la destruction de toutes les colonies.
Des études sont en cours. Le Quartet a désigné M. Wolfensohn, ancien directeur général de la Banque mondiale, pour se rendre sur place et veiller à la préparation et au suivi du retrait israélien de Gaza. Une dizaine de cadres de la Commission accompagnent M. Wolfensohn dans cette mission. Ils resteront sur place pour mener des études portant essentiellement sur les besoins économiques.
Quant aux observations de M. Galand, M. Armali souligne que les accords avec la Palestine ont véritablement contribué à la survie de l'autorité palestinienne, notamment par l'assistance et les dons accordés à certains projets. Cette année, 260 millions ont été alloués par l'autorité palestinienne pour financer certains projets précis exécutés par la Commission qui compte plus de 60 fonctionnaires à Jérusalem. Ces derniers assurent la supervision des projets dans plusieurs régions. Ainsi, notre hôpital de Hanounes, toujours tenu par le Croissant Rouge palestinien, peut faire la fierté des Européens. La Commission a également retenu un grand projet pour les canalisations à Gaza. De nombreux projets peuvent être concernés.
En ce qui concerne les réunions d'Agadir, elles donnent un certain élan à tout le processus de Barcelone. Les résolutions prises par les cinq plus cinq peuvent inspirer des initiatives louables.
7. Audition de S.E. M. Oded Eran, ambassadeur d'Israël auprès de l'Union européenne
7.1. Exposé introductif
M. Oded Eran estime que le processus de Barcelone est un processus d'une importance considérable et il faudrait y accorder de l'attention. D'un point de vue israëlien, il y a trois documents de base qui sont particulièrement essentiels au processus.
Le premier document est la Déclaration de Barcelone initiale qui date de la Conférence euro-méditerranéenne qui s'est tenue à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995.
Quant au deuxième document, il s'agit d'un document récent élaboré fin mai 2005, au cours de la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui s'est tenue au Luxembourg. Ce document joue un rôle déterminant, étant donné qu'il s'agit d'une déclaration de consensus. Telle est la différence par rapport aux documents précédents qui étaient des déclarations de la présidence, du fait que les parties n'étaient pas parvenues à un accord. Il est à noter cependant que fin mai 2005, lors de la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne, toutes les parties présentes sont arrivées à se mettre d'accord sur un texte. Cette réalité reflète une évolution tant par rapport au processus de Barcelone, que par rapport aux possibilités d'exploiter ce même processus.
Enfin, le troisième document est le plan d'action entre Israël et l'UE dans le contexte de la politique européenne de voisinage.
D'un point de vue israëlien — point de vue qui est également exprimé dans le document élaboré fin mai 2005 — les réalisations du processus de Barcelone peuvent être considérées comme moyennes. Il s'agit là « d'un mélange d'acquis et d'insuffisances ». Telle est la phrase que l'on retrouve dans le discours d'ouverture de la déclaration de la semaine dernière, en date du 30 et 31 mai 2005.
Le processus de Barcelone demeure l'unique forum — en dehors des NU et des divers organismes affiliés aux NU — au sein duquel les représentants israëliens s'alignent sur le point de vue des représentants syriens, libanais et peut-être, dans un futur proche, libyens. Il s'agit en soi d'un fait rarissime à prendre en considération lors de l'évaluation du processus de Barcelone.
Les Israëliens, les Syriens et les Libanais ne peuvent se parler, toutefois le « Forum de Barcelone » rassemble des représentants issus d'Israël, de Syrie, du Liban, etc. Ils se rencontrent à l'occasion de ce forum en qualité de ministre des Affaires étrangères, de hauts fonctionnaires et d'experts en activités diverses qui ont lieu dans le contexte du processus de Barcelone.
Par ailleurs, l'autre caractéristique importante du processus de Barcelone est le fait qu'il s'agit d'un processus structurel contrairement à certains des processus présentés par les États-Unis. Un exemple de processus américain non structurel est le Broader Middle East and North Africa Initiative. Il est possible de présenter de nombreux arguments sur ce sujet, mais il est un fait que le Broader Middle East and North Africa Initiative n'est pas un processus structurel.
Par contre, l'Europe et les pays méditerranéens ont présenté un processus très structuré tout au long de la dernière décennie, ce qui est extrêmement important en soi.
Malheureusement, comme l'évoque le discours prononcé début juin 2005 au Luxembourg, il est difficile de rapporter d'autres succès concrets.
Un exemple de réussite est cependant la création de l'assemblée parlementaire méditerranéenne qui revêt une importance capitale. En effet, des parlementaires issus de tous les pays qui participent au processus se rassemblent et se réunissent, ce qui constitue une démarche essentielle en vue d'améliorer les relations et la communication au sein de la zone Méditerranée.
Une autre réalisation qui mérite d'être mentionnée est le futur séminaire qu'Israël tiendra sur la sécurité régionale et la prolifération des armes de destruction massive. Il s'agit d'une initiative qu'avait entreprise le Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana. Ce séminaire se tiendra dans les semaines à venir. Il est à noter que le simple fait que tous les pays qui participent au séminaire puissent partager la même tribune et aborder cette question — une question qui est bien évidemment très délicate — est essentiel.
Jusqu'ici, peu de succès sont à constater au niveau politique. La question politique constitue l'un des trois volets du processus de Barcelone. Aucun des participants méditerranéens et même européens dans ce processus n'avaient prévu ou même ne s'attendaient à ce que le forum de Barcelone résolve les conflits au Moyen-Orient. Par conséquent, dès le départ, les attentes n'étaient pas très élevées concernant une solution aux conflits qui règnent dans la région d'Israël.
Telle est la raison pour laquelle, du point de vue d'Israël, les deux autres volets du processus de Barcelone sont davantage capitaux et importants en termes d'activités qui ont eu lieu dans le courant de la dernière décennie du processus.
Le premier de ces deux volets majeurs du processus de Barcelone est l'économie. Bien que les objectifs de la déclaration initiale du processus de Barcelone de 1995 n'aient pas été pleinement atteints, de considérables réalisations sont à noter.
En 1995, l'on avait introduit un objectif capital, à savoir, créer une zone de libre-échange pour 2010 dans les régions méditerranéennes. Jusqu'à présent, on est parvenu à des accords de libre-échange entre tous les pays méditerranéens et l'UE, à l'exception de la Syrie. Tous les pays méditerranéens disposent d'accords d'association et de libre-échange, ce qui constitue un exploit majeur appréciable.
Par contre, on n'est pas encore parvenu à des accords de libre-échange entre les membres du Sud. En effet, les accords existants sont entre l'UE et chacun des membres du Sud et non pas entre les membres du Sud eux-mêmes. Il faut par ailleurs introduire des accords entre membres du Sud si l'on vise à parvenir à un « libre accès total » au marché européen. Du reste, il faudrait souligner le simple fait que, à l'exception de la Syrie, tous les pays méditerranéens disposent d'accords amiables avec l'UE.
D'autres évolutions majeures se mettent en place. Ainsi, deux pays d'Afrique du Nord — le Maroc et la Tunisie — et deux pays méditerranéens — la Jordanie et l'Égypte — ont signé un accord de libre-échange entre eux.
Israël a également conclu un accord avec la Jordanie, ce qui revêt une importance capitale. En effet, cet accord permet aux deux pays de faire entrer dans l'UE leur production commune exonérée de taxes. Par ailleurs, dernièrement, Israël a conclu avec l'Égypte un accord relatif à une production commune. Il s'agit là aussi d'une démarche très importante pour le développement de l'économie palestinienne. Si l'on peut parvenir à un accord acceptable par l'UE, cela pourra alors permettre d'introduire sur le marché européen une production commune israélo-palestinienne exonérée de taxes. Un accord analogue existe déjà entre Israël et la Jordanie et a été accepté par l'UE. Il y a bon espoir pour que ce modèle soit utilisé dans un avenir proche en rapport avec l'économie palestinienne.
La seconde réalisation économique de taille du processus de Barcelone est la création de la FEMIP, la Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat. Il s'agit d'un organisme au sein de la Banque européenne d'investissement à qui l'on a donné le pouvoir d'accorder des prêts pour un volume de 2 milliards d'euros par an. Israël n'est pas un bénéficiaire, étant donné que le niveau de prospérité de cet État est trop élevé.
La FEMIP joue un rôle clé pour les économies des autres participants méditerranéens dans ce processus. En effet, la FEMIP est en quelque sorte un substitut aux banques régionales de développement. Les banques régionales de développement étaient l'une des idées découlant de l'après Conférence de Madrid de 1991. Pour diverses raisons, l'idée des banques régionales de développement ne s'est pas concrétisée. L'UE s'est alors vue conseiller de prendre l'initiative de créer la FEMIP au sein de la BEI. Il s'agit d'un outil d'une très grande utilité.
Le troisième volet est davantage problématique, pas tellement pour Israël, mais plus pour les autres participants méditerranéens impliqués dans le processus de Barcelone. Ce troisième volet concerne en effet toute la question des droits civils, de la société civile et des systèmes juridiques transparents.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères a prononcé un discours virulent lors de la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui s'est tenue au Luxembourg au mois de mai de cette année. À cette occasion, il s'est adressé aux ministres européens des Affaires étrangères. Il a interpelé l'assemblée en disant « vous ne comprenez pas de quoi vous parlez, nous sommes un État qui se base sur le Coran, nous ne pouvons accepter les réformes que vous tentez de nous imposer ».
L'ambassadeur voit ici de sérieux problèmes d'ordre philosophique qui peuvent à long terme avoir d'autres conséquences.
Si un pays tente d'attirer l'investissement étranger direct, l'IED comme on le nomme, les investisseurs européens ou autres vont examiner les systèmes juridiques. Le système juridique du pays étranger fournira-t-il à l'investisseur des garanties suffisantes: les garanties légales, les garanties quant à la structure financière. Il s'agira là d'une des questions les plus sensibles du dialogue.
Le processus de Barcelone peut se féliciter d'avoir été à l'origine des changements substantiels au Moyen-Orient.
Prenez par exemple la situation du Liban où il est question d'une évolution majeure positive.
Prenez l'exemple de la Palestine où l'on constate des avancées en termes de démocratie. Les Palestiniens ont en effet organisé en janvier 2005 des élections relativement correctes, ouvertes et transparentes. Et il est à espérer qu'ils recourront au même procédé lorsqu'ils décideront d'organiser des élections générales qui auront vraisemblablement lieu à la fin de l'année.
Quant à la situation en Iraq, elle a également évolué, malgré toutes les difficultés et le fait que l'Iraq ne participe pas au processus de Barcelone.
Il faut reconnaître que ces évolutions ne sont absolument pas secondaires dans le processus de démocratisation de la région. Dans une très grande mesure, le fait qu'il y ait un dialogue dans le contexte du processus de Barcelone est extrêmement important et joue un rôle déterminant.
Ce qui est très intéressant, c'est que deux processus ont été lancés simultanément en 1995: l'un des processus se déroulait entre l'UE et les pays méditerranéens et l'autre, entre l'OTAN et les pays méditerranéens.
Il y a ainsi un pouvoir de dialogue entre l'OTAN et sept pays méditerranéens. Dans le cadre de ces deux dialogues, on a constaté qu'une approche d'ordre général ne suffit pas. Il est nécessaire d'élaborer un processus au sein d'un processus qui se base sur le principe de différence. En conséquence, il faudrait prendre en compte les caractéristiques spécifiques de chacun des participants méditerranéens au processus. Sur ce point, l'Union européenne a trouvé une solution très satisfaisante sous la forme de la « Politique européenne de voisinage ».
À la fin de l'année 2004, cinq des pays méditerranéens (Tunisie, Maroc, Jordanie, Israël et les autorités palestiniennes) sont parvenus à un plan d'action et l'ont conclu avec l'UE, de façon individuelle.
Ces plans d'action sont essentiels, étant donné qu'ils se basent sur le principe de différence et ils vont au-delà des accords d'association actuels qui sont en réalité des accords de libre-échange qui n'apportent pas une réponse suffisante aux autres modes de coopération.
Sur la base de ces plans d'action, le processus de Barcelone peut devenir un processus plus complet. Prenez par exemple la question de l'environnement qui touche l'humanité toute entière. Il existe des institutions et des organismes européens consacrés à l'environnement. Il n'y a aucune raison susceptible d'empêcher ces mêmes organismes d'accorder un « statut d'observateurs » aux pays non membres de l'UE issus de la zone méditerranéenne.
Sur ce point, les problèmes liés à l'environnement dans le Sud de la France ne sont guère différents des problèmes rencontrés dans la zone méditerranéenne, comme dans le Nord du Maroc ou le Nord de la Libye. S'il y a une coopération accrue, ainsi qu'une présence d'observateurs méditerranéens dans le processus européen relatif à l'environnement, cela rendra plus fort le sentiment de partenariat entre les pays méditerranéens et l'UE. Les pays méditerranéens auraient alors réellement l'impression de participer et d'être traités sur le même pied d'égalité que les autres membres dans un processus.
7.2. Échange de vues
M. Galand se réfère à l'exposé de M. Eran que l'accord de Barcelone est un système de dialogue pouvant conduire, en Méditerranée, à des progrès substantiels tant sur le plan des échanges économiques, auxquels est lié le bien-être des populations, que sur le plan de la démocratie. Le rôle d'un ambassadeur étant celui d'un bon diplomate et l'orateur espère que cette conviction est aussi celle d'Israël et que l'ambassadeur d'Israël aux États-Unis ne considère pas, lui, que le Great Middle East est vraiment la bonne solution pour la Méditerranée.
Quelles recommandations M. Eran peut-il suggérer pour faire de l'espace, créé par l'accord de Barcelone, un espace de dialogue renforcé permettant de franchir de nouvelles étapes et donc de sortir la Méditerranée de la situation plutôt stagnante qu'elle connaît aujourd'hui ? Le professeur Sekkat a cité des chiffres montrant l'absence de réel progrès économique. Quelles sont les priorités qui pourraient contribuer à insuffler une dynamique nouvelle au mécanisme ?
La jonction entre le processus méditerranéen et le dialogue mené au sein de l'Otan est un point sensible. Israël est aujourd'hui une puissance nucléaire. Comment faire de la Méditerranée un espace de paix ? Comment faire en sorte que le dialogue euro-méditerranéen contribue aux progrès du processus de dénucléarisation en Méditerranée ?
L'ambassadeur a déclaré que le processus de Barcelone devrait conduire à une vision commune du futur dans l'espace méditerranéen. Or, cela nécessite que chacun franchisse des étapes. Sur le plan de la démocratie institutionnelle, des progrès doivent être réalisés dans de nombreux pays du pourtour méditerranéen. Il est clair qu'en termes de démocratie, Israël a une avance.
Cependant, l'accord Euromed avec Israël prévoyait des conditions spécifiques, notamment au sujet des produits provenant des colonies de peuplement qui sont exportés vers l'Europe comme étant made in Israel. L'Europe a insisté à tout moment sur le fait qu'il fallait diminuer le nombre de colonies déployées. Or, depuis dix ans, depuis la création du processus de Barcelone, force est de constater qu'Israël a largement déployé de nouvelles colonies en Palestine, contrevenant ainsi à l'accord spécifique Euromed.
Mme Zrihen signale que l'ambassadeur a dit que la politique de voisinage européenne était satisfaisante. Selon ses informations, il existe toutefois une inquiétude au sujet de l'équilibre que doit trouver l'Europe en raison de son extension vers l'Est, laquelle pourrait avoir pour conséquence une légère régression voire une régression importante concernant les engagements pris résolument par rapport au processus euro-méditerranéen. Ce rapport ayant été présenté voici plus d'un an et compte tenu de la notion d'élargissement telle qu'elle est maintenant inscrite dans les textes, l'ambassadeur a-t-il déjà senti de manière très pratique un léger fléchissement de l'investissement européen dans la politique euro-méditerranéenne ?
Ensuite, quel est l'intérêt du programme qui annonce pour 2005 la possibilité de convenir d'une feuille de route pour créer une libéralisation du commerce des produits agricoles et d'entreprendre des pourparlers avec les pays partenaires ? De manière pratique, lorsque les discussions de l'OMC commenceront à Hongkong à la fin de l'année, des dispositions seront-elles prises pour permettre à cette partie du monde d'être clairement présente au moment où la politique agricole commune européenne changera ?
La troisième question est liée à l'intervention de Mme Giovanna Tanzarella portant sur la société civile. Il est clair qu'une conférence de la société civile au plan de l'Euromed serait un atout majeur pour développer enfin un partenariat entre les cultures et cesser de faire des amalgames parfois fratricides. Elle pourrait peut-être susciter un autre dialogue, comme celui que l'on voudrait voir inscrit dans les termes mêmes du forum Euromed. Cette possibilité figurant dans le programme 2005, l'ambassadeur a-t-il déjà envisagé la manière dont cela pourra être fait ?
Selon Mme Annane le processus de Barcelone vise la démocratisation et le développement socio-économique. Comment l'État d'Israël se situe-t-il dans ce processus ? En fait, il n'est concerné ni par l'un ni par l'autre, dans la mesure où il est beaucoup plus avancé que les autres pays dans ces domaines. Il y a toujours des choses à perfectionner, mais il est beaucoup plus loin que les autres pays membres.
L'État d'Israël recherche-t-il l'intégration régionale vis-à-vis de l'Union européenne, d'abord, et du monde arabe, ensuite ? Au plan européen, est-il intéressé par la conclusion d'un accord d'union douanière, comme la Turquie ? Dans le cadre de son intégration dans le monde arabe, si c'est le cas, quels sont ses investissements et l'importance commerciale qu'il voit à moyen terme dans cette région ?
M. Oded Eran attire l'attention sur deux réalisations considérables:
La première se situe au niveau économique. Il s'agit d'un accord sur l'accumulation des règles d'origine qui permet aux pays méditerranéens de coopérer avec des candidats à l'adhésion comme la Roumanie et la Bulgarie et d'entrer dans l'Union européenne avec une exonération de taxes. Cette réalisation date de l'année dernière et il s'agit une fois encore d'un progrès économique extrêmement appréciable.
La seconde réalisation est la création de la « Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures » qui a été inaugurée à Alexandrie en avril 2005. Cet institut crucial est consacré à des questions réellement sensibles et importantes.
Est-il possible de redonner du dynamisme au dialogue entre les deux parties ?
Selon l'ambassadeur, il s'agit d'une question très pertinente. En effet, cela ne concerne pas uniquement les relations bilatérales entre le Nord, à savoir l'UE, et le Sud, à savoir, les pays méditerranéens, mais cela concerne également les États-Unis.
La question est la suivante: « Est-il possible d'arriver à un certain degré de coopération plutôt que de se trouver face à un choc de philosophies et d'approches par rapport à ce sujet ? ». Pour le monde arabe, ce sujet est extrêmement sensible et ce, pour des raisons purement politiques — c'est-à-dire, des régimes qui essaient de se protéger —, pour des raisons culturelles et aussi pour des raisons d'ordre religieux.
L'ambassadeur n'a pas l'intention de traiter de la question de la constitution, mais il va de soi que tout est lié.
En qualité de porte-parole de tous les pays méditerranéens — ce qui est bien évidemment d'une extrême complexité en raison des divergences d'attitudes au sein des pays méditerranéens — on peut dire que, dans la zone sud-méditerranéenne, il y a un besoin d'avoir un dialogue constructif avec l'Europe. L'Europe constitue de loin notre principal marché.
Il est possible que tous les objectifs au niveau humain, social et juridique n'aient pas été atteints, mais la situation évolue.
Un nouveau dialogue est toujours le bienvenu et se déroule déjà au niveau bilatéral par l'intermédiaire des plans d'action. Tous les plans d'action, en ce compris celui avec Israël, disposent d'un chapitre sur les droits de l'homme et sur d'autres questions pertinentes. Israël n'a pas refusé d'aborder cette problématique. Israël estime cependant que lorsque l'on en vient à la question de droits de l'homme, on l'aborde à un degré différent pour certains de ses voisins. Néanmoins, Israël a marqué son accord pour parler de ce sujet avec l'UE.
La question des armes de destruction massive est une question éminemment sensible dans toute la région méditerranéenne, bien au-delà des limites du dialogue euro-méditerranéen et au-delà du processus de Barcelone.
Actuellement, l'UE témoigne d'un engagement de taille avec l'Iran et Israël soutient ce processus. En effet, Israël participe à un dialogue très ouvert et transparent avec l'UE en ce qui concerne la question de l'Iran. Et il est à noter qu'Israël apprécie aussi les efforts accomplis par l'UE sur ce point.
Israël considère toute la question des armes de destruction massive comme faisant partie intégrante d'un système de sécurité régional, un seul aspect ne peut pas être traité à part. Car avant de pouvoir arriver à une zone dénucléarisée, il faut un système de sécurité, de résolution de conflit satisfaisant et vérifiable. L'un ne va pas sans l'autre. Par conséquent, Israël adhère en principe à tous les efforts accomplis par l'UE sur ce point.
En ce qui concerne le troisième point relatif aux règles d'origine pour les exportations à partir de territoires dans d'autres zones, on est parvenu à un accord. Cet accord stipulait que les exportations ne bénéficieront pas d'une exonération de taxes sur les primes. L'année passée, Israël est parvenu à un accord technique avec l'UE selon lequel chaque exportation sera taxée selon les degrés de taxation européens. C'est ainsi que la question technique des exportations a été résolue.
Quant à la question des colonies, l'ambassadeur est en mesure de parler en qualité de personne qui a mené l'équipe israele aux nouvelles négociations de Camp David en 2000. Lors de ces négociations, le premier ministre de l'époque, M. Barak, a clairement stipulé que, dans le contexte d'un accord, la plupart de ces colonies seraient démantelées. Israël ne voit pas cette affirmation comme un obstacle à l'aboutissement à un accord global avec les Palestiniens et c'est la raison pour laquelle il fait état de cette déclaration aujourd'hui.
Israël est maintenant engagé dans un processus de retrait unilatéral de Gaza et de quatre colonies situées en Cisjordanie. Il est à espérer que cette opération puisse se passer comme prévue par le gouvernement, mais des difficultés sont rencontrées au quotidien. Rien que ce matin, trois missiles Kasai ont été lancés à partir de la bande de Gaza sur un centre civil urbain en Israël.
Cette colonie en particulier est en train de devenir un tremplin politique, du fait que le Hamas exprime son mécontentement par rapport à la décision de Mahmoud Abbas de postposer les élections. Pour traduire cette irritation, ses partisans envoient leurs missiles. Tous ces agissements rendent la situation très instable.
Toutefois, le gouvernement israëlien est toujours déterminé à aller de l'avant dans le processus de retrait de la bande de Gaza et des quatre colonies dans le Nord. En termes de taille de territoire, ces quatre colonies représentent plus que toute la zone qu'Israël occupe à Gaza.
Quant à la question de la libéralisation du commerce de produits agricoles, en règle générale, Israël soutient l'idée de la libéralisation. Israël estime que la libéralisation doit prendre en considération les particularités de chaque secteur agricole sud-méditerranéen.
Par ailleurs, l'ambassadeur souhaite aussi mettre en valeur l'importance du dialogue culturel. C'est la raison pour laquelle il a déjà mentionné la Fondation Anna Lindh à Alexandrie. Il y a une grande place pour la coopération entre l'Europe et les pays méditerranéens d'une part, et entre pays méditerranéens d'autre part. C'est quelque chose qui relève du domaine du possible et qui est en train de se réaliser actuellement.
À cet égard, Israël a formulé certaines propositions lors de la Conférence euro-méditerranéenne qui s'est tenue au Luxembourg fin mai 2005, dans le but de tenter de faire avancer le processus de dialogue culturel.
L'Europe contribue à aider au rassemblement des différentes cultures et ce, au niveau des musiciens, des écrivains, des poètes, de la jeunesse, etc. Ce brassage de cultures est extrêmement important, et, dès lors, il faudrait accorder plus d'attention à la question du dialogue culturel.
La dernière question posée — qui est probablement l'une des plus complexes — est: « Comment Israël se projette-t-elle par rapport à sa situation géographique et à l'Europe ? ».
Israël est une société européenne pour au moins deux raisons:
À ce jour, 50 % de la population est d'origine européenne (l'Europe au sens géographique large du terme et non pas seulement de l'UE). L'Europe est l'arrière-pays culturel et économique d'Israël. De là Israël tire ses origines culturelles et sa force économique. Par conséquent, on peut dire que l'Europe constitue bien évidemment un élément majeur dans notre vie.
La seconde raison, c'est que depuis le début du siècle, Israël est sous mandat britannique. C'est pour cette raison par exemple que son système juridique est basé sur la législation britannique, tout comme certaines de ses institutions.
D'un point de vue géographique, Israël est situé au Moyen-Orient. Il s'agit d'une donnée à prendre en compte. Israël ne souhaite pas être une île, car ce qualificatif lui fut imposé pendant trop longtemps. Israël n'aime pas ce statut. Du reste, l'une des plus grandes joies de l'ambassadeur au niveau professionnel a été d'être un ambassadeur auprès d'un pays arabe. Il peut dès lors affirmer de par son expérience personnelle qu'il est possible d'avoir des relations constructives avec ses voisins.
À l'avenir, Israël aura besoin de développer des relations plus fortes avec l'Europe. Le plan d'action dans le contexte de la politique européenne de voisinage encourage les relations entre Israël et l'Europe. Il faut qu'Israël parvienne à normaliser ses rapports avec ses voisins et sur ce point, l'Europe peut l'aider. Une fois de plus, l'Europe joue un rôle de premier plan dans ce processus de normalisation et les deux processus peuvent continuer de concert.
8. Audition de S.E. M. Mahmoud Karem, ambassadeur de la république arabe d'Égypte auprès de l'Union européenne
8.1. Exposé introductif
M. Mahmoud Karem se réfère d'abord à la Conférence euromed qui s'est tenue à Luxembourg au mois de mai 2005.
D'intenses négociations se sont tenues à la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne. Il est par conséquent nécessaire de faire part du point de vue de l'Égypte sur l'évaluation du processus de Barcelone et sur ce que réserve l'avenir.
Les Égyptiens continuent à croire que le processus de Barcelone constitue un cadre unique de dialogue et de coopération entre les deux côtés de la Méditerranée. L'Égypte a témoigné de sa bonne volonté de s'engager de manière positive et constructive. L'Égypte agira de la sorte afin d'améliorer le processus au niveau des lignes directrices de base et du principe de copropriété et de l'intérêt mutuel, tout comme pour préserver le caractère central du processus tel que consigné dans la Déclaration de Barcelone.
Il semble que, à l'occasion du 10e anniversaire de la déclaration de Barcelone, il est nécessaire pour toutes les parties concernées de réaffirmer les objectifs convenus et aussi de réaffirmer le fait que ces même parties sont prêtes à collaborer en vue d'accomplir ce qui ne l'a pas encore été. Il s'agit là d'une responsabilité collective de tous les partenaires. Mais qu'entend-on réellement par partenariat et par voisinage ? Pour l'Égypte, il est très important que tant l'UE que les pays méditerranéens conviennent que les principes de base consignés dans la Déclaration de Barcelone sont essentiels mais qu'ils restent non réalisés.
Il y a 10 ans, lorsque le processus a été lancé, les parties impliquées parlaient d'une zone de paix et de stabilité. Jusqu'ici, ce projet n'a pas encore été concrétisé. Le conflit israélo-arabe, ainsi que la question de la Palestine d'une paix juste et durable demeurent équivoques.
Lorsque le processus a démarré il y a 10 ans, les parties impliquées parlaient d'une zone de coopération et de prospérité. Toutefois, aujourd'hui, les partenaires de l'Europe qui sont dans le Sud sont toujours éprouvés. Ils ont besoin d'aide, d'investissement étranger direct, de pénétrer les marchés européens et de coopération dans le domaine de l'immigration.
Il y a 10 années d'ici, lors du démarrage du processus, les parties impliquées parlaient du besoin d'accroître le dialogue et de combler le fossé culturel. Pour ce faire, la Fondation Anna Lindh a été créée à Alexandrie.
Le partenariat ne signifie pas l'échange de primes pour des principes. Il ne s'agit pas d'une autorisation d'ingérence dans les affaires internes des États. Il ne s'agit pas non plus d'une vision myope d'alliances dotées de factions internes qui s'occupent de la stabilité nationale ou de l'ordre interne sous prétexte d'agir pour les droits de l'homme ou la démocratie.
L'Union européenne est le principal partenaire de l'Égypte dans la création d'une zone de paix et de prospérité autour de la Méditerranée. Une approche globale devrait guider nos efforts communs dans l'évaluation du processus et dans l'examen d'autres étapes qu'il est nécessaire d'entreprendre, pas seulement en rapport avec les aspects politique et de sécurité, mais également en rapport avec des lacunes au niveau économique et technologique. Ce sont des conditions préalables nécessaires pour établir une plus grande zone de paix, de stabilité, de sécurité et d'intégration autour de la Méditerranée.
Il faut que le processus de Barcelone aborde de manière adéquate les menaces qui pèsent sur la paix et la stabilité. Par ailleurs, la menace la plus constante est l'impact du conflit israélo-arabe. Il est crucial de régler ce long conflit de manière pacifique. C'est la condition essentielle pour obtenir la sécurité et pour permettre l'utilisation complète des potentiels égyptiens dans les régions égyptiennes.
Vivre dans un climat de paix signifie le libre-échange, la liberté de circulation, l'intégration, l'échange des emplois et l'exportation de biens égyptiens vers Israël et inversement.
D'importantes avancées sont à constater, comme par exemple l'élection de M. Abou Mazen à la tête de l'État de Palestine. Toutefois, il rencontre des problèmes au niveau national. En effet, il a besoin d'un soutien économique, le retrait de Gaza doit avoir lieu, la feuille de route, l'accord de Sharm el Sheikh et enfin, ce que nous appelons le règlement définitif concernant les implantations, doivent être appliqués.
Un autre facteur important qu'il convient de ne pas négliger est le désarmement et le contrôle sur les armes. Lorsque la paix est installée, les armes ne seront plus nécessaires en Égypte. C'est avec une certaine fierté par ailleurs que l'Égypte a été le premier pays à faire la paix avec Israël en 1979. Lorsqu'il y a un climat de paix et même avant, les armes nucléaires ne sont pas nécessaires. En effet, la guerre ne va pas être menée à l'aide d'armes nucléaires et dès lors, il faut débarrasser les régions de toutes les armes de destruction massive.
La garantie de sécurité de tout État devrait être basée sur ses engagements pacifiques et non sur le nombre d'armes de destruction massive qu'il possède.
En 1990, l'Égypte a présenté une initiative visant à créer une zone débarrassée d'armes de destruction massive. Il reste à espérer que ce projet verra le jour. Cet objectif a été consigné dans la déclaration de Barcelone et également dans la dernière communication la semaine passée.
Il est convenu que nous devons tous collaborer en vue de lutter contre les causes profondes du terrorisme mondial. Il faut ainsi concevoir une stratégie globale afin de s'attaquer à ce problème dans son intégralité.
Les attentats du 11 septembre 2001, actes effroyables qui se sont produits à New York, ne devraient pas avoir une incidence sur la relation UE-Méditerranée ou sur le caractère central de Barcelone. La nation arabe et l'Islam en général ne sont aucunement responsables de ces événements. C'est pourquoi, l'ensemble de la nation arabe ne devrait pas être condamnée à cause d'une poignée d'individus qui ont été abusés par leur mode de pensée fondamentaliste.
Les conventions liées aux terroristes doivent suivre leur cours en faisant honneur au processus législatif de ratification et d'accession.
Pour autant que nous respectons la procédure législative dans votre partie du monde, il vous faut également respecter la même procédure dans notre partie du monde.
Le fait que le concept d'un élargissement du Moyen-Orient et la notion de manque de démocratie et de réformes sont responsables de l'insécurité politique et du terrorisme est une conclusion peu judicieuse. Les causes ne sont pas là, mais résident bien dans l'absence d'avancées pour parvenir à une paix juste et durable dans le contexte israélo-arabe.
Lorsque nous parlons de réforme, il peut être garanti que dans cette partie de la zone méditerranéenne, un processus suivi de réforme a été lancé, particulièrement en Égypte. En effet, l'Égypte a accompli un effort en vue de réaliser des avancées considérables dans les domaines politique, économique, social et culturel.
La dernière déclaration lors du sommet arabe en Tunisie expose un plan arabe de réforme et a été à nouveau confirmée il y a quelques mois au sommet arabe d'Alger. Cette déclaration a encore été réaffirmée lors de conférences régionales arabes, dont plusieurs conférences qui se sont tenues dans la ville d'Alexandrie. Ce document final a été préparé par la société civile et non par les représentants du gouvernement. Il s'agissait de représentants de la société civile issus de tout le monde arabe qui traitent de questions économiques, de la réforme de la politique et de questions sociales et culturelles. Dans les documents parus lors de la Conférence d'Alexandrie, ces représentants de la société civile ont présenté leur propre vision de la manière de réformer le monde arabe.
L'Égypte pense que la société civile arabe est importante. Elle devrait être soutenue et renforcée. Il faudrait un travail cohérent pour aider à se diriger vers la réalisation des objectifs de réforme.
Nous attendons de nos partenaires européens qu'ils soutiennent nos programmes nationaux de développement et de modernisation. Il est très aisé de dire qu'il faut réformer, mais on doit réformer dans le but d'accroître la participation au niveau politique, il faut un système d'éducation plus poussé, de l'eau potable pour que les personnes puissent boire, etc. Voilà à quel niveau l'UE doit venir et apporter son aide. De nombreux volets de la coopération économique sont toujours à la traîne. Et pourtant, il est essentiel de poursuivre le développement économique et de lui accorder le même degré d'attention dont bénéficient actuellement des domaines comme l'intégration et la coopération avec d'autres secteurs.
En ce qui concerne la réforme, la « taille unique » n'existe pas. En effet, ce qui est bon pour la Tunisie ne l'est pas nécessairement pour l'Égypte. De même, l'aspect de la réforme en Égypte ne peut être comparé à une réforme au Yémen. L'Égypte a eu une femme ministre dès 1962. Les autres pays arabes cherchent encore aujourd'hui à instaurer ce type de réforme. L'Égypte a lancé sa réforme politique il y a plus de 100 ans. Il ne suffit donc pas de simplement prendre un modèle et de l'imposer à une région. L'Égypte est une région riche de tradition, de culture, de dignité, de fierté et de contribution à la civilisation humaine. Tous ces éléments ne devraient pas être oubliés.
L'Égypte et la culture arabe ont contribué à votre civilisation. Si soudain, des réformes brusques sont imposées à ces anciennes sociétés traditionnelles, ces sociétés ne seront pas en mesure de résister. Les réformes devraient donc venir de l'intérieur et non pas de l'extérieur.
L'Égypte a également incité ses partenaires dans le Nord de la Méditerranée à aller dans ce sens et non pas à blâmer cette vision des choses. Certaines avancées de l'Égypte ne sont peut-être pas suffisantes, mais elles ont au moins le mérite d'exister. L'Égypte a besoin d'encouragement et non pas de blâme. Qu'entend-on par blâme ?
Lorsque l'Égypte parle de blâme, cela signifie:
— parler de la démocratie de façon démesurée;
— contrôler nos élections en montrant que nous ne disposons pas d'un système juridique sain;
— condamner nos informations du fait que notre système d'information n'est pas objectif;
— encourager le dialogue avec certaines factions au sein de la société sur la base de la religion. Il s'agit là d'un projet très risqué. L'Égypte est une nation fière qui compte 72 millions d'habitants, dont plus de 8 millions de Juifs qui vivent ici depuis des siècles.
Comment se tiendront ces dialogues ? Y aura-t-il un dialogue avec les Musulmans et un autre dialogue avec les Juifs ? Est-ce cela la démocratie ? La ségrégation va-t-elle se produire sur la base de la religion plutôt que sur la base de la participation politique et des programmes politiques ?
Le processus de Barcelone était basé sur des règles communes et le partage des principes. Tout d'abord, parmi ces principes, il y a le respect de la souveraineté et l'égalité, tout en s'abstenant d'intervenir de façon directe ou indirecte dans les affaires internes d'autres partenaires, conformément à la législation nationale.
Nous continuons à être guidés par ces principes et à écarter toute question d'impératifs venant de l'extérieur.
La promotion des relations économiques et commerciales, la libéralisation de l'agriculture et l'accès au marché européen sont toujours nécessaires. De même qu'il est toujours utile d'augmenter les investissements dans le Sud et d'appliquer des programmes communs et ce, surtout pour permettre la coopération et la transmission du savoir dans différents domaines.
Il faut renforcer la coopération dans le domaine de l'éducation, l'échange d'étudiants, la formation professionnelle et les liens entre les établissements universitaires.
Par ailleurs, l'immigration est un domaine dans lequel la coopération entre tous est cruciale. Tous les pays impliqués dans le processus doivent travailler main dans la main afin de mettre au point une approche globale intégrée. Cette approche devrait se baser sur le soutien de projets qui sont en mesure d'aider à créer des emplois dans le Sud. Il s'agit d'une manière pratique d'anticiper le phénomène de l'immigration clandestine. Une fois cette démarche accomplie, la circulation autorisée des personnes contribuera au développement de l'espace méditerranéen.
Il ne faudrait pas que la politique européenne de voisinage soit une alternative au processus de Barcelone. Cette politique devrait être complémentaire à Barcelone. Elle doit être le reflet du principe de copropriété du partenariat euro-méditerranéen plutôt que de la conditionnalité. Ainsi, l'Égypte encourage l'Union européenne à continuer de coopérer avec les gouvernements et les sociétés civiles.
Il faudrait du reste mener un dialogue sur la sécurité et la défense dans le contexte du processus de Barcelone et se concentrer une nouvelle fois sur les priorités et les préoccupations des partenaires du Sud, dans le but de déterminer un accord sur les zones de dialogue mutuel et de coopération.
Les échanges culturels doivent également être encouragés.
À ce propos, l'inauguration de la Fondation Anna Lindh dont le siège se situe à Alexandrie a joué un rôle clé dans la promotion du dialogue culturel.
Les échanges culturels peuvent se faire grâce à l'interaction positive entre plusieurs composantes de notre société civile, en ce compris les centres de recherche et ceux qui s'intéressent à la poursuite du dialogue culturel et civil.
Les échanges culturels vont améliorer les relations entre les Européens et les Musulmans. Ils vont aider les Européens et les Musulmans à mieux comprendre la culture de l'autre. Ces échanges vont aussi faciliter l'intégration de la culture musulmane dans la culture européenne et inversement.
En notre qualité de communauté musulmane qui vit en Europe, nous connaissons des problèmes. Nous n'avons par exemple pas d'endroits où enterrer nos défunts. Il nous faut dès lors les rapatrier dans notre pays à partir de pays européens, ce qui est très coûteux. On peut donc dire que la question de la meilleure intégration des Musulmans dans les sociétés européennes doit être abordée en termes d'obligations et également en termes de droits.
Pour conclure, l'année 2005 est l'année de la Méditerranée. L'Égypte espère pouvoir collaborer avec l'Europe et les autres pays méditerranéens et faire en sorte que 2005 soit l'année de la paix au Moyen-Orient.
8.2. Échange de vues
Mme Zrihen se refère à un récent voyage aux États-Unis, où nous avons eu l'occasion de rencontrer de nombreux partenaires américains qui ont fait part de tout l'intérêt qu'ils avaient à être présents en Égypte. Un des interlocuteurs de ce jour a d'ailleurs confirmé la présence assez importante de l'OTAN en Égypte.
Au moment où on tente de créer une zone de paix et de stabilité, quelles sont les éléments permettant de comprendre la manière grâce à laquelle L'Égypte arrive à maintenir cet équilibre entre la présence américaine et votre volonté d'être un des modérateurs de cette zone Euromed ?
M. Paul Wille estime qu'il ressort du discours de M. l'ambassadeur que l'Égypte s'est toujours renforcée en suivant une politique à deux voies basée sur le rôle historique propre du pays dans la région, et sur une vision arabe large.
Les actions de l'Égypte seront-elles dans le prolongement des actions passées ? M. Wille pense par exemple à l'accord historique que l'Égypte a conclu avec Israël.
L'orateur était présent lorsque le parlement de l'Euromed a créé la fondation Anna Lindh. À cette occasion il a fait part de sa préoccupation concernant la position des non-croyants. Les représentants des pays à forte population musulmane ont donné comme argument qu'ils ne peuvent appliquer le principe de la séparation entre l'Église et l'État, étant donné que cela aurait un impact énorme sur la politique. M. Wille a alors plaidé pour une attitude ouverte envers la laïcité. L'Égypte prend-elle des mesures en matière de protection de la liberté d'expression et d'ouverture à la laïcité ?
M. Wille a aussi été frappé par le fait que, dans les pays du Maghreb, personne ne s'offusque de la présence des États-Unis ou de l'utilisation d'internet. C'est encore plus frappant dans la zone névralgique que constitue la région autour de l'Égypte. M. l'ambassadeur estime-t-il que ce type de décisions stratégiques facilitent le processus de paix ou au contraire le rendent plus difficile ?
Selon M. Pierre Galand l'Égypte a toujours eu un grand rêve.
À travers le nasserisme, l'idée a émergé de voir le monde arabe devenir un interlocuteur fort et représentatif dans le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée.
Aujourd'hui, l'orateur a le sentiment qu'une partie des difficultés que connaît ce dialogue dans le cadre du processus de Barcelone découle de la faiblesse de la structuration du dialogue interne au monde arabe. De plus, une série de problèmes que rencontre ce dernier n'ont jusqu'à présent pu être résolus: la frontière entre le Maroc et l'Algérie est toujours fermée et le Maghreb postpose les réunions de l'UMA.
Il s'agit d'obstacles à de réels progrès du processus de Barcelone. Comment envisagez-vous les démarches qui pourraient être entreprises pour tenter de favoriser une cohésion plus forte entre les partenaires de la rive méridionale de la Méditerranée ?
Cette cohésion permettrait d'aboutir à un réel partenariat euro-méditerranéen. Il est aujourd'hui déséquilibré. Avoir en face de soi l'Union européenne et la Commission, c'est avoir affaire à forte partie.
L'ambassadeur a dit que l'Europe pêchait parfois par certains excès lors du dialogue. Elle formulerait notamment des demandes excessives en matière de démocratie.
M. Galand n'a pas très bien compris ce que vous entendiez par là. L'ambassadeur a ajouté que le monitoring, lors des élections, lui paraissait excessif. Pourtant, actuellement, le Liban a trouvé assez normal d'accueillir ce monitoring. Même la Belgique, lors des dernières élections, avait trouvé heureux que des représentants des pays africains puissent assurer le monitoring de nos propres élections. Il s'agit donc d'un processus intéressant dans le cadre de l'amplification des relations entre les deux rives.
M. Galand partage l'opinion de l'ambassadeur qui à juste titre a plaidé pour un renforcement de la société civile par une meilleure compréhension de ce qu'est cette société de la rive méridionale.
Il est nécessaire de soutenir le renforcement de cette société en comprenant bien sa nature. Celle-ci peut, à certains égards, être différente de celle de notre propre société civile. Mme Tanzarella abondait d'ailleurs dans ce sens. Le fait de plaider pour un dialogue renforcé avec la société civile et avec différents secteurs, parfois peut-être plus remuants les uns que les autres, constitue-t-il une ingérence ?
M. Galand a le sentiment que l'ambassadeur estime que le dialogue que nous suggérons constitue une ingérence.
Sa question concerne le sentiment de satisfaction lié aux propos actuels de l'ambassadeur relatifs au processus de Barcelone considéré comme étant une voie particulièrement intéressante et exceptionnelle pour le dialogue en Méditerranée.
Cependant, malgré tout, durant ces dix dernières années, ce dialogue a, au fond, plus régressé que progressé. On se trouve dans une situation où l'on a l'impression qu'avec la nouvelle donne de la lutte contre le terrorisme — certains auteurs ne se gênent pas pour le dire — on serait entré dans une quatrième guerre mondiale. Dans cette quatrième guerre mondiale, l'islam, ou une partie de l'islam, constituerait le nouvel ennemi.
Comment voyez-vous, d'une part, la nécessité d'un dialogue et, d'autre part, quel regard portez-vous sur cette espèce de vision complètement distordue et, en tout cas, manichéenne ?
Comment pourrions-nous, ensemble, corriger cette perception pour remettre le dialogue sur les rails et l'amplifier, de façon à enregistrer des progrès significatifs dans le processus de paix au Proche-Orient et à évoluer vers une Méditerranée exempte d'armes nucléaires ? Nous pourrions, dans le cadre du libre-échange — non seulement des biens, mais aussi des personnes — aboutir à cette Méditerranée de paix, de sécurité et de culture que nous appelons tous de nos vœux.
Selon M. Mahmoud Karem la question en rapport avec le terrorisme est « comment peut-on améliorer la coopération ? ».
Tout d'abord, il faut examiner de manière claire les causes profondes du terrorisme. Ensuite, les nations arabes et musulmanes doivent être dissociées des attaques terroristes qui ont eu lieu à New York en 2001. En effet, le terrorisme est un phénomène international. On le retrouve au Japon, en Espagne, en Irlande, etc. Le terrorisme ne devrait dès lors pas être assimilé à une religion ou à une vision spécifique.
Peut-être aussi que les origines du terrorisme sont à trouver dans la pauvreté. Il est un fait que des personnes sans argent et sans emploi écoutent parfois les mauvais prêcheurs. Des prêcheurs qui n'ont rien à voir avec le gouvernement mais qui deviennent plus nombreux en raison de l'inefficacité du gouvernement.
En Afghanistan, bon nombre d'entre eux ont également aidé les Talibans et les Moudjahidin à se battre contre l'Union soviétique au nom de la guerre sainte. Ils ont approvisionné les Talibans en armes et en missiles. Et ce sont ces mêmes personnes qui offrent maintenant 5 millions de dollars US pour racheter chaque missile.
Il y a eu une multitude d'armes pour l'Afghanistan et ces armes ne sont jamais arrivées à leur destination finale.
L'Égypte a émis des avertissements selon lesquels par exemple des personnes comme Omirah Derakman ne devraient pas être autorisées à entrer sur le territoire américain, mais ces avertissements n'ont pas été entendus. L'Égypte savait qu'Omirah était un religieux faible de Malhard. Et pourtant, on lui a accordé un visa légal de Kartu, on l'a fait sortir d'Égypte pour les États-Unis, il a mené sa première Fatwa en 1993, après l'attentat contre le World Trade Center. En examinant ces faits, on a réalisé en effet que les Égyptiens avaient raison il y a quelques années de tenir des avertissements par rapport au mode de pensée fondamentaliste de cet homme. Mais malgré cela, on lui a accordé une protection, une immunité, un abri sûr, un accès sécurisé à la banque, une mosquée et des disciples.
Après le premier attentat du World Trade Center en 1993, des excuses ont été adressées à l'Égypte pour ne pas avoir tenu compte des avertissements et Omirah fut emprisonné.
Nous sommes les premiers que nous devrions punir avant de tenir certains propos et d'associer le terrorisme à une religion ou une vision spécifique.
L'ambassadeur explique son intervention par rapport à l'ingérence dans les affaires internes. Lorsque il a fait référence à cette question, il a parlé de deux points.
Le premier point est l'engagement de l'Égypte dans le processus de Barcelone.
L'Égypte ne voit aucun inconvénient à siéger aux côtés d'Israël. En réalité, l'Égypte a conclu un Traité de paix avec Israël en 1979.
Le processus de Barcelone a donné l'opportunité à Israël de siéger aux côtés d'autres pays arabes avec lesquels aucun Traité de paix n'était conclu. Il faut savoir que l'Égypte est un membre fondateur du processus de Barcelone et qu'à ce titre, son engagement vis-à-vis de ce processus est très fort. L'Égypte estime que malgré le fait que les principes de Barcelone ont une importance considérable, il reste encore beaucoup à accomplir.
En 1995, il a été convenu de ne pas s'ingérer dans les affaires internes des États et ce, afin de respecter les Principes internationaux de la Charte des Nations unies. Aujourd'hui, en 2005, l'on affirme que nous ne pouvons pas faire écho à ce principe. Il s'agit d'un éloignement du processus de Barcelone.
Certains États ont lutté pour ne pas faire de choix en répétant simplement ce principe de respect de non-ingérence dans les affaires internes. C'est une question très sérieuse, étant donné que nous nous sommes engagés à respecter un ouvrage de référence complet et qu'aujourd'hui, 10 années plus tard, l'Égypte s'en remet toujours à cet ouvrage, mais on lui dit que certains chapitres ne sont plus appropriés. Il faut savoir que l'Égypte se réfère à l'ensemble de cet ouvrage et non pas à quelques passages ou bribes et morceaux.
Le rôle de la société civile très important et il reste encore de nombreuses choses à accomplir.
En ce qui concerne le contrôle des pays méditerranéens, le Liban a été donné comme exemple.
Le Liban ne peut être comparé à d'autres pays arabes. Il s'agit d'un pays qui a été déchiré par des conflits civils depuis 1975. Le Liban a été dévasté par une lutte ethnique entre des factions de la société libanaise. Le Liban qui était une perle de la Méditerranée a été détruit par son propre peuple.
Il se peut qu'au Liban — et c'est compréhensible — l'infrastructure nécessaire à garantir que l'on recoure à des processus électoraux corrects ne soit pas intacte. En revanche, l'Égypte dispose de l'infrastructure nécessaire à garantir des processus électoraux acceptables.
Ainsi, l'Égypte est fière de s'afficher comme la démocratie la plus ancienne.
L'Égypte est également fière de dire que son système juridique date des années 1800. En effet, la constitution égyptienne est en vigueur depuis le début du XIXe siècle. Le concept de cour mixte a tout d'abord été appliqué en Égypte. Telles sont les raisons pour lesquelles les juges égyptiens ressentent une certaine fierté. Jusqu'à présent, ils n'ont pas manqué à leurs devoirs. Par conséquent, pourquoi présupposer dès le départ que le processus juridique égyptien va échouer aux prochaines élections ? Et pourquoi l'Égypte a-t-elle besoin d'être contrôlée sous la forme d'une observation étrangère ?
Il s'agit là d'une présupposition erronée.
Il est correct d'affirmer que la distance géographique éloigne en quelque sorte le Maroc du cœur du conflit israélo-arabe. Mais dans ce cas, la distance n'est pas un facteur pertinent. Et ce, pour la simple raison qu'un lien existe et unit l'ensemble du monde arabe. Le Maroc préside le Comité de Jérusalem. En fait, tous les Arabes font un et aucune différenciation n'est établie sur la base de la distance et des dialectes.
Les Arabes parlent tous la même langue et s'engagent tous pour la même cause, qu'il s'agisse du Koweit ou du Maroc.
Il est un fait qu'il y a certaines situations où certains de ces pays géographiquement distants sont davantage proactifs que les pays qui se trouvent au cœur du sujet. Nous travaillons main dans la main et à cet égard, la Ligue arabe a toujours été notre institution.
Quant à la question de la liberté d'expression et de l'évolution politique, des avancées ont déjà été accomplies.
Nous avons besoin d'encouragements et de temps, ainsi que de la prise de conscience du fait qu'il n'y aura pas une démocratie « taille unique ». Certaines avancées sont en cours, des avancées prudentes, en accord avec la nature de ces anciennes sociétés traditionnelles qui sont fières de leur civilisation et de leur contribution à la civilisation humaine.
La liberté d'expression est en voie de marche.
Il vous suffit par exemple de vous rendre sur les sites Internet des journaux égyptiens et vous y trouverez davantage de critiques adressées au gouvernement que de compliments. Tant qu'il y a une discipline au sein de la critique, tant que ce qu'il y a écrit dans ces journaux ne provoque pas l'agitation publique et le désordre au sein de la société, la critique est permise.
Aujourd'hui les journalistes ont une liberté. L'Égypte est fière de pouvoir dire que plus de 250 de ces publications, magazines, quotidiens, hebdomadaires, etc. égyptiens tirent leurs revenus des critiques qu'ils adressent au gouvernement.
Le processus de la liberté d'expression est simplement une question de temps et l'Égypte a besoin que ses partenaires européens le comprennent.
9. Audition de S.E. M. F. Merdassi, ambassadeur de la république tunisienne auprès de l'Union européenne
9.1. Exposé introductif
M. F. Merdassi informe la réunion de la présence de M. Habib Ben Yahia qui a été ministre des Affaires étrangères pendant plus de quatorze ans en Tunisie avant d'être conseiller spécial auprès du président de la République. Il est un des fondateurs du processus de Barcelone.
Voici dix ans, à Barcelone, quinze pays d'Europe et douze pays méditerranéens décidaient de s'unir sur la voie d'une même et grande ambition, la construction d'un partenariat global et durable entre les deux rives de la Méditerranée. La déclaration de Barcelone a alors suscité une grande espérance. Pour la Tunisie, cet engagement historique au service de la paix, de la stabilité et d'une prospérité partagée au cœur du bassin méditerranéen est un choix irréversible de civilisation.
Aujourd'hui, le bilan est contrasté. Certes, des progrès ont été accomplis, particulièrement au niveau de l'élargissement des canaux de dialogue et de coopération, confortant notre volonté commune d'aller de l'avant en dépit d'une conjoncture internationale et régionale difficile. Le dialogue fut maintenu et même institutionnalisé à travers la régularité des réunions ministérielles et des hauts fonctionnaires — la dernière a eu lieu la semaine dernière à Luxembourg —, la création de l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, l'APEM, et de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures et les civilisations qui a été installée récemment à Alexandrie en Égypte.
Ce bilan demeure cependant en deçà de nos attentes. Un sentiment de frustration, voire d'amertume, est ressenti par les partenaires du sud, en particulier au sein de l'opinion publique. Il est d'autant plus exacerbé que l'on reproche souvent aux partenaires du sud un manque de coopération entre eux, mais la partie européenne assume également sa part de responsabilité dans la relative faiblesse de la coopération euro-méditerranéenne.
L'une des raisons majeures est la dégradation de la situation au Moyen-Orient, aggravée par la montée du terrorisme et des courants extrémistes et xénophobes; la disparité des niveaux de développements entre les deux rives de la Méditerranée en est une autre. Le traitement sécuritaire des flux migratoires, notamment après le 11 septembre, et le repli communautaire et identitaire multiplient aussi les risques d'incompréhension et de fracture dans la région.
Il s'agit, en premier lieu, de veiller au respect de la règle de droit, de la légalité internationale, particulièrement au Moyen-Orient, en vue de préserver les chances de paix et d'élargir les perspectives d'un avenir commun fondé sur le partage des valeurs universelles de la communauté d'intérêts.
Il s'agit aussi du respect, au niveau interne, de l'État de droit et des institutions. Notre adhésion aux valeurs démocratiques et de droits de l'homme devrait nous rapprocher davantage dans le respect de nos souverainetés, de nos spécificités et de nos identités respectives.
Cela implique un effort patient de pédagogie à travers le dialogue, la formation et l'échange d'expériences et de bonnes pratiques dans le cadre d'une démarche évolutive et consensuelle pour assurer, de manière irréversible, l'ancrage de la culture et des pratiques démocratiques.
Il s'agit ensuite de consolider la place de la solidarité dans nos relations, comme vecteur de rapprochement et d'appropriation d'une construction euro-méditerranéenne pérenne.
Sur le plan sous-régional, l'élargissement du dialogue en Méditerranée occidentale avec, notamment, la tenue du sommet 5 + 5 à Tunis, en décembre 2003, ainsi que la conclusion de l'accord d'Agadir — accord visant l'établissement d'une zone de libre échange entre quatre pays, la Tunisie, le Maroc, l'Égypte et la Jordanie, en vue du renforcement de l'intégration régionale Sud-Sud — ont constitué des avancées significatives.
Toutefois, cette solidarité gagnerait à être affirmée davantage pour consolider la stabilité et la sécurité régionales, notamment à travers l'approfondissement de la concertation, le renforcement de mesures de confiance et l'extension de la coopération en matière de lutte contre la criminalité, l'extrémisme et le terrorisme.
À cet égard, l'élaboration d'un code euro-méditerranéen de lutte contre le terrorisme serait susceptible de favoriser, ultérieurement, la conclusion d'un code de conduite international sous l'égide des Nations unies, ce qui apporterait une approche multidimensionnelle et concertée, s'attaquant non seulement aux symptômes, mais aussi, aux causes de ce fléau à travers la juste résolution des conflits et la lutte contre la marginalisation, l'exclusion et la pauvreté.
La consolidation de la stabilité et de la sécurité régionales implique une stratégie commune assurant la complémentarité et l'interaction entre démocratie et développement. Il s'agit d'une œuvre de longue haleine pour la constitution d'un ensemble crédible à même de relever les défis de la mondialisation et de rivaliser avec les nouveaux espaces de dynamisme économique.
Dans cette perspective, l'adhésion de la Lybie et de la Mauritanie au processus de Barcelone est susceptible d'affermir la construction maghrébine et l'identité géopolitique de la Méditerranée.
Il est grand temps que cette mer, que nous avons en partage, retrouve son rôle de passerelle entre l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient et — comme foyer d'échange, notamment humain, — où la migration régulière maîtrisée pourrait constituer une opportunité démographique et économique et un vecteur de codéveloppement.
Il est également temps d'affirmer la « centralité » de la Méditerranée dans le processus de Barcelone en lui accordant l'intérêt géostratégique qui lui revient et en assurant la cohérence entre les objectifs proclamés et les politiques et moyens mis en œuvre.
Le volume de l'enveloppe financière qui sera attribuée aux pays partenaires méditerranéens pour la période 2007-2013, ainsi que la création de la banque euro-méditerranéenne, constitueront, à cet égard, autant de signaux politiques significatifs.
Les résultats probants des programmes MEDA, la contribution de la BEI (Banque européenne d'investissement) et du FMI (Fonds monétaire international) ont, certes, quelque peu atténué la déception née de la faiblesse des flux de transferts financiers et des idéaux européens dans les pays sud-méditerranéens.
Ayant plaidé, dès le début des années nonante, en faveur de la construction d'un espace euro-méditerranéen complémentaire et solidaire et étant le premier pays du Sud de la Méditerranée à s'y engager, la Tunisie ne ménage aucun effort pour apporter sa contribution à la relance de ce processus qui demeure. Elle en est persuadée, la meilleure voie possible pour l'établissement d'une zone de partage, de solidarité, de prospérité, de paix et de développement.
L'adoption, au Luxembourg, d'un document équilibré et consensuel, la semaine dernière, augure d'une atmosphère favorable à la tenue du sommet de Barcelone.
Les conclusions ministérielles s'inspirent des principes fondamentaux du partenariat euro-méditerranéen, notamment les principes de solidarité, du respect des spécificités et de non intervention dans les affaires intérieures.
Pour renforcer son ancrage à l'espace euro-méditerranéen, la Tunisie a été l'un des premiers pays à signer, dès 1995, un accord d'association avec l'Union européenne, en mettant l'accent, bien avant la signature de cet accord, tant sur la communauté des intérêts qui nous lient que sur le partage des valeurs universelles de justice, de solidarité et de démocratie.
Au niveau régional, la Tunisie ne ménage aucun effort pour l'édification d'un espace de paix et de stabilité en Méditerranée, en particulier pour l'avènement d'une paix juste, durable et globale au Moyen-Orient.
Au niveau interne, patiemment et sans relâche, la Tunisie du changement, sous la conduite du Président Ben Ali, poursuit son œuvre de développement à travers un processus multidimensionnel et irréversible de réforme, couvrant les domaines politique, économique, social et culturel, ouvrant la voie à l'instauration de ce que nous appelons la « société du savoir ».
Le développement politique constitue l'une des composantes fondamentales de ce projet de société et de développement, intégré et initié depuis une quinzaine d'années, dans le cadre d'une approche consensuelle et d'une démarche graduelle, axées sur l'interaction entre la démocratie, le développement économique et la promotion sociale. Ainsi, des réformes importantes ont été mises en œuvre durant les trois dernières années, suite à la révision fondamentale de la Constitution, adoptée par le référendum de 2002, et qui a consacré l'adhésion aux valeurs universelles, notamment les droits de l'homme et les libertés fondamentales.
Pour consolider le processus démocratique et les fondements de l'État de droit, les prérogatives du Conseil constitutionnel ont été élargies, mettant en exergue l'importance de la constitutionnalité des lois et le fonctionnement harmonieux entre les pouvoirs. La loi électorale a été profondément remaniée, renforçant les garanties des droits des électeurs et associant, sur une base plus large, les partis politiques aux phases du processus électoral, dans le but d'accroître la dimension participative dans la transparence et dans le respect de la loi.
Le dispositif institutionnel mis en place a été complété par l'établissement d'un Observatoire national des élections et par la mise au point d'un cadre juridique adéquat afin d'assurer les conditions de réussite d'un processus électoral pluraliste.
Les élections du 24 octobre 2004 ont donné la possibilité aux partis de l'opposition de mener leur campagne dans des conditions d'égalité et de transparence et d'améliorer leur représentativité à la Chambre des députés. Elles ont également renforcé la participation de la femme, puisque les femmes députées représentent désormais 22 % du total des députés contre 11,5 % durant l'ancienne législature. Les récentes élections municipales sont venues conforter ces avancées, les femmes représentant maintenant plus de 30 % des responsables politiques tunisiens.
Cette dynamique de changement et d'élargissement de la base participative sera poursuivie durant les prochaines années. L'année 2005 sera marquée par d'importants événements politiques, en particulier la mise en place de la Chambre des conseillers à côté de la Chambre des députés, ce qui est de nature à accroître la représentation des régions et des catégories socioprofessionnelles.
Quant à la liberté d'expression, elle est consolidée par la révision du code de la presse et par la diversification des paysages médiatiques, notamment avec la création d'une chaîne de télévision et de nouvelles stations de radios privées, ainsi que par le soutien aux organes de presse des partis de l'opposition.
Une nouvelle mesure d'ouverture vient d'être décidée à l'occasion de la célébration, le 25 mai, de la Journée nationale de la Culture. Il s'agit de l'abrogation de la procédure de dépôt légal, mesure qui soumettait toute publication à un contrôle des autorités avant fusion. À quelques mois du Sommet mondial sur la société de l'information, le SMSI, que la Tunisie abritera en novembre prochain, des mesures sont par ailleurs mises en œuvre pour promouvoir la culture numérique et encourager l'usage des multimédias et des technologies de l'information et de la communication. D'ailleurs, le dernier classement du Forum économique mondial a placé la Tunisie dans le groupe des quarante premiers pays du monde pour leurs performances dans le domaine des technologies de l'information.
L'approche globale de développement, le processus des réformes économiques s'est poursuivi, dans un contexte souvent difficile, en vue d'améliorer la compétitivité de notre économie et l'environnement des affaires et d'adapter le cadre légal et réglementaire pour favoriser l'ancrage dans l'espace euro-méditerranéen. Des résultats globalement positifs ont été enregistrés au niveau de la croissance du PIB, un niveau relativement élevé, de l'ordre de 5 % en 2004. L'inflation a été maîtrisée, le déficit courant s'est limité à 2 % du PIB, consolidant ainsi les équilibres financiers et la position externe de la Tunisie.
En dépit de ces performances significatives, la Tunisie doit affronter les contraintes dues, notamment, à l'élargissement, au démantèlement tarifaire dans le cadre de la mise en œuvre de l'accord d'association et au démantèlement des accords multifibres. Les implications sur le tissu industriel et sur l'emploi appellent en conséquence la compréhension de nos partenaires pour la sauvegarde des équilibres socio-économiques.
Dans ce contexte et pour faire face au défi majeur qui découle des accords multifibres, il est de notre intérêt commun de soutenir le développement du secteur textile qui représente 50 % des emplois et des exportations du secteur industriel et constitue à ce titre un facteur de stabilisation économique et sociale. La Tunisie appelle à la mise en œuvre anticipée du cumul paneuro-méditerranéen pour renforcer, dans un esprit de partenariat égalitaire et solidaire, la zone d'investissement et de commerce pour le textile, ce secteur clé.
La Tunisie apprécie à sa juste valeur l'appui apporté par l'Union européenne à son effort de développement. Cependant, et tout en comptant en premier lieu sur ses propres efforts, elle espère un accompagnement conséquent, voire un traitement privilégié, dans le cadre d'un partenariat renforcé dans la perspective de la nouvelle politique européenne de voisinage. La réussite et la pérennité de la zone de libre-échange entre la Tunisie et l'Union européenne demandent également un accroissement substantiel du flux des investissements directs étrangers. À cet égard, une politique plus volontariste de l'Union européenne contribuerait à donner une impulsion à ces investissements et soutiendrait l'action de la Tunisie visant le développement et la diversification de son économie.
En matière sociale, l'ambassadeur rappele que la Tunisie a constamment mis en exergue l'apport de la migration en tant que facteur de renforcement de la coopération économique et du dialogue culturel entre les deux rives de la Méditerranée. La gestion solidaire des flux migratoires gagnerait à être appréhendée dans le cadre d'une stratégie globale et équilibrée intégrant, notamment, les dimensions économique, sociale et culturelle dans un esprit de coresponsabilité et de codéveloppement.
La Tunisie, qui attache une importance particulière au développement de la coopération horizontale, se félicite de la disposition de l'Union européenne à apporter son appui à l'intégration au niveau maghrébin ainsi que dans le cadre du processus d'Agadir en vue d'impulser la dynamique d'intégration régionale euro-méditerranéenne. Notre détermination commune à poursuivre l'identification de l'espace euro-méditerranéen n'est plus à démontrer. C'est dans cet esprit que nous avons accueilli avec intérêt la politique européenne de voisinage et venons d'adopter le plan d'action « Tunisie », lequel ouvrira certainement de nouveaux horizons pour le renforcement de notre partenariat. À cet égard, la communauté de valeurs et d'intérêts autant que la communauté de destins nous invitent à conjuguer nos efforts afin que le prochain sommet euro-méditerranéen constitue, au-delà de la célébration du dixième anniversaire de la création du processus de Barcelone, un nouveau palier dans l'édification d'un espace partagé de paix, de sécurité et de progrès.
La Tunisie ne ménagera aucun effort pour apporter sa contribution à la relance de ce processus et à la célébration de l'année de la Méditerranée.
Il conviendrait à cet effet
— d'identifier les efforts en vue de rechercher une solution juste et globale au conflit du Moyen-Orient, qui, sans constituer un élément préalable au processus de réforme dans la région, n'en conditionne pas moins sa stabilité, sa sécurité et son développement;
— d'activer l'adhésion de la Libye et de la Mauritanie au processus Euromed, de manière à favoriser l'intégration Sud-Sud, particulièrement de l'UMA, en assurant une plus grande ouverture de l'espace euro-méditerranéen à son environnement arabe et africain;
— d'instaurer une concertation régulière, particulièrement sur les stratégies et les politiques européennes susceptibles d'avoir une incidence sur les pays partenaires méditerranéens;
— d'assurer la cohérence entre les objectifs, les politiques et les moyens mis en œuvre à travers l'harmonisation de la libération des biens et services avec la libre circulation des personnes ainsi que la création de supports et mécanismes appropriés de financement et de garantie, notamment pour les projets d'infrastructure régionaux structurants et la mise à niveau des économies des pays partenaires méditerranéens;
— de gérer les flux migratoires dans un esprit de coresponsabilité, de façon à transformer en opportunité de codéveloppement une question qui, au-delà de sa dimension sécuritaire, constitue un vecteur d'échange, de rapprochement et de brassage culturel et civilisationnel;
— de soutenir le rôle de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, à travers l'extension du réseau des réseaux et la mise sur pied du réseau Braudel-Ibn Khaldoun entre les universités euro-méditerranéennes et la contribution de la fondation à l'édification de la société du savoir dans la région;
— d'amplifier le rôle de la société civile en vue d'assurer une meilleure appropriation du processus de Barcelone dans le cadre du respect et de la compréhension mutuels.
9.2. Échange de vues
Selon M. Galand, les exposés ont été intéressants et parfois un peu divergents. Intéressants parce qu'ils concordent sur le caractère central de la Méditerranée et sur l'opportunité de développer un grand projet euro-méditerranéen. Malheureusement, les statistiques nous montrent que peu de progrès ont été réalisés tant dans la mise en œuvre d'une vaste zone de libre échange, que dans les échanges entre pays arabes et dans les relations entre l'Europe et les pays arabes.
De plus, la mise en œuvre d'une paix juste et durable au Proche-Orient se fait attendre.
Enfin, en ce qui concerne le Maghreb et l'UMA, on ne peut pas dire qu'ils enregistrent de réels progrès ni que le processus de Barcelone ait contribué, d'une quelconque manière, à l'avancée de ce projet pourtant intéressant et attractif.
Après le tour d'horizon de toutes ces problématiques, M. Galand souhaite savoir parmi les matières du processus de Barcelone, particulièrement en son article 2 — démocratie et droits de l'homme — quelles seraient les trois mesures essentielles que l'ambassadeur préconisera — et que nous pourrions défendre ensemble — pour enregistrer des progrès significatifs dans les cinq ans à venir ?
M. Wille est totalement d'accord avec M. Galand pour constater que les orateurs ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde. M. Khaled Sekkat du Forum Euro Méditerranée des institutions économiques a fait un plaidoyer pour le respect du libre marché. M. Wille a donc des questions sur la position particulière de pays comme la Tunisie dans la globalisation et ses conséquences. Des études récentes montrent que la globalisation est particulièrement avantageuse pour le consommateur individuel parce qu'elle lui fournit des moyens substantiels qui sont les bienvenus, surtout dans une population jeune. Ces avantages de la globalisation, dont personne ne doute plus, sont en fait corrigés deux fois dans les jeunes pays du Maghreb. Une première fois par la fiscalité qui est assez lourde en comparaison avec celle d'autres pays. Et une deuxième fois par la choix très explicite de ces pays de donner en sous-traitance certains secteurs économiques comme la construction. Ils ne craignent pas de céder aux Chinois, par exemple, des secteurs entiers à forte intensité de main-d'œuvre. C'est évidemment un choix fondamental. Les pays du Maghreb ne doivent-ils, outre le partenariat euro-méditerranéen, dont les résultats ne sont pas toujours extraordinaires, aussi s'intéresser à d'autres régions en croissance dans le monde comme la Chine et l'Inde ? Pas spécialement dans l'intention de prendre des mesures protectionnistes, ce qu'ils pourraient faire conjointement avec l'Europe, mais plutôt parce que ces économies prospectent depuis peu les pays du Maghreb et d'autres pays africains en vue d'y investir. Dans quelle mesure le partenariat euro-méditerranéen sera-t-il dès lors élargi à la coopération avec d'autres pays ?
Nous sommes attentifs au respect du principe de la séparation de l'Église et de l'État dans les pays méditerranéens. La mise en œuvre de ce principe dépend évidemment d'une décision souveraine. Nous respectons pleinement les adeptes d'une religion, mais peut-on laisser une place suffisante à la laïcité ?
Mme Zrihen est extrêmement sensible à la manière dont l'Union européenne s'est constituée. Il est vrai que ce dispositif d'intégration peut représenter un important pôle économique ainsi que politique.
Dans le cadre de l'accord Euromed, la volonté de créer une intégration Sud-Sud paraissait extrêmement importante et très positive. En février 2004, à Agadir, la Tunisie et le Maroc ont signé des accords bilatéraux avec la Turquie. Est-il opportun de déjà sortir d'une zone territoriale locale pour se placer pratiquement en concurrence avec l'Europe par rapport à la Turquie, dans la perspective de créer des transports interconnectés, que ce soit pour les communications en général ou pour les approvisionnements énergétiques ? Cette décision relève-t-elle d'une stratégie volontaire, d'une volonté d'ouvrir de nouveaux marchés ou encore — hypothèse beaucoup plus pessimiste — d'un manque de confiance dans la capacité du marché régional ou subrégional comme celui du Maghreb ?
Selon M. le président, Mme Zrihen vient de parler d'un certain type de processus d'Agadir et l'ambassadeur a parlé d'un autre processus d'Agadir, c'est-à-dire d'un processus d'intégration économique entre le Maroc, la Tunisie, l'Égypte et la Jordanie. Celui-ci doit en principe entrer en vigueur le 1er janvier 2006. Les échéances pour cette zone de libre-échange pourraient-elles être respectées ? La démarche sera-t-elle élargie à d'autres pays, outre la Turquie ?
Par ailleurs, la Turquie est un peu un exemple pour d'autres pays dans le cadre du processus de Barcelone. En effet, elle s'implique au premier chef dans le processus de Barcelone et présente de bons résultats économiques. Pourtant, la question de l'accord « multifibres » se pose pour les autres pays de la région actifs dans le secteur textile. Quel est l'impact des exportations textiles chinoises sur le secteur tunisien ?
Le président a encore une question plus politique et peut-être moins diplomatique. En novembre 1987, il a appris que la Tunisie avait un nouveau président, M. Ben Ali. Il est toujours président aujourd'hui. La Tunisie pays donne ainsi l'image d'un « régime civil fort » où le processus électoral — on le voit avec les élections municipales du 8 mai: le parti du président a recueilli 94 % des voix — s'apparente à une sorte de plébiscite. Puisque le pays a une bonne santé économique et bénéficie d'une stabilité politique patente, qu'est-ce qui l'empêche d'introduire plus rapidement — M. l'ambassadeur a certes fait état d'évolutions concernant les libertés politiques et d'une dynamique de changement avec la création de la Chambre des conseillers — une plus grande liberté politique, un assouplissement des mesures de détention, une plus grande liberté de la presse et la promotion des libertés individuelles ? On peut attendre des changements plus rapides de la part d'un régime sûr de soi que d'un régime qui craindrait de s'exposer, à travers ses réformes, à des attaques sur certains fronts.
M. Habib Ben Yahia souhaite compléter l'exposé exhaustif de M. l'ambassadeur, ancien ministre de l'Industrie et de l'Énergie et ancien ministre de la Coopération internationale.
Ayant eu la responsabilité pendant les années 90 de mener la diplomatie tunisienne et d'être présent à Barcelone, l'orateur a participé activement au travaux, avec M. Solana. Il a dirigé le comité sur la sécurité en Méditerranée qui a débouché sur la déclaration de Barcelone avec ses trois baskets qui ont constitué le consensus historique de Barcelone, basé également sur une vision des rapports entre le Sud et le Nord, qui dépendait de ce qui allait advenir du processus de paix au Moyen-Orient. Dix ans plus tard, il est clair que cette liaison du devenir de notre région à la question israélo-palestinienne a été une faute monumentale parce que le processus de Barcelone est devenu l'otage du processus de paix au Moyen-Orient. En 1995, nous étions optimistes. La Tunisie a participé au lancement du processus d'Oslo. Des accords ont été conclus entre Rabin et Arafat et, subitement, tous nos espoirs sont partis en fumée. Cela a constitué le frein principal à cette évolution tant désirée par les Européens et les Méditerranéens que nous sommes.
Notre souhait, à Barcelone, était de donner à cette mer — mare nostrum — une vision d'avenir pour ne pas la laisser à la dérive. Les pays limitrophes d'autres mers, chaudes ou froides, ont su s'organiser, y compris le Pacifique. Qu'est ce qui unit les pays du Pacifique, du Canada à la Chine ? Et pourtant, ces pays parlent ensemble, ils ont su projeter une vision d'un devenir commun et des intérêts qu'ils essaient de développer ensemble. La Méditerranée est restée le parent pauvre à cause de problèmes, des croisades jusqu'à la Palestine. Nous avons donc un héritage, un passif assez lourd, qu'il fallait balayer, résoudre, pour construire une vision d'avenir et de partenariat entre le Sud et le Nord, en passant par le règlement nécessaire des conflits, et pas uniquement au Moyen-Orient. N'oublions pas le Sahara occidental, notre casse-tête du Maghreb, les Balkans, le Kosovo, ...
Certains crédits pour le MEDA I ont été transférés vers Kosovo. Tout cela a eu un effet sur la vision que nous avons élaborée ensemble à Barcelone.
M. Habib Ben Yahia ne veut pas brosser un tableau noir. Certes, le forum de Barcelone et nos accords avec l'Union européenne ont donné une impulsion extraordinaire au développement économique de notre région. En ce qui concerne la Tunisie, l'apport de notre association avec l'Union européenne dans le cadre de Barcelone est indéniable et il en est de même pour d'autres pays.
On aurait pu mieux faire en matière d'intégration verticale Nord-Sud et horizontale Sud-Sud. Dans le cas de la Tunisie, l'intégration verticale est une réussite, ce qui est également le cas du Maroc. L'Algérie, quant à elle, est en bonne voie.
M. Habib Ben Yahia ne parle pas du Moyen-Orient, soit de l'Égypte et de la Jordanie, parce que ces pays ont une approche plus diversifiée de l'Outre-Atlantique. Pour les Maghrébins, cette vision de l'intégration verticale est prédominante et on peut dire qu'elle est en voie de réalisation
Au forum de Barcelone et on a encouragé l'intégration sous-régionale et l'intégration maghrébine en était une composante importante.
Depuis 1989 et la naissance de l'Union du Maghreb arabe à Marrakech, nous avons travaillé avec conviction pour construire cette intégration régionale qui était un rêve depuis l'ère coloniale. On l'appelait le Grand Maghreb. On s'est attaqué à cette œuvre en essayant de consolider les institutions de l'Uma. On a ainsi créé un secrétariat, un parlement, une banque, une académie et cinq commissions permanentes afin de constituer cet espace économique commun. Les projets sont prêts, mais un pays nous a empêchés de réaliser cette merveille, à savoir le Sahara occidental.
Pour nous, au Maghreb, la question du Sahara était un sujet tabou. On n'en parlait pas parce que les deux intéressés ne le voulaient pas. Les Européens aussi ont confié la question au Conseil de sécurité et aux Nations unies. Kofi Annan, Boutros-Boutros Ghali avant lui, et différents représentants ont fait des tentatives, mais sans résultat palpable.
En fin de compte, ce conflit qui existe depuis 1963 et est pour nous aussi important que le conflit israélo-arabe, parce qu'il mine nos efforts d'intégration régionale, y compris les sommets de Maghrébins. Depuis 1994, un seul sommet s'est tenu à Tunis. Onze ans plus tard, on n'a pas réussi à en organiser un autre.
L'orateur fait de l'auto-critique, mais il y a aussi une responsabilité de la communauté internationale. Celle-ci n'a pas accordé l'attention voulue pour aider à sortir de ce traumatisme, ce qui a eu pour conséquence de neutraliser tous nos efforts d'intégration régionale.
Les Nations unies et le Conseil de sécurité, de reconduction en reconduction, maintiennent la force MINURSO (United nations mission for the referendum in western Sahara) pour séparer les belligérants, mais c'est tout.
On a libéré quelques prisonniers mais malgré les efforts de Jim Baker, le processus de paix au Sahara occidental est resté sans résultat.
Notre constat est mitigé: il y a du bon et du moins bon. Que peut-on faire ? Nous avons sollicité la Commission européenne à Bruxelles pour institutionnaliser le processus de Barcelone. La Tunisie, avec Malte, avaient proposé la création d'un conseil de la Méditerranée pour donner naissance à une institution qui allait poursuivre ce dialogue.
Les chefs d'État de l'Union européenne et de la rive sud de la Méditerranée ne sont jamais rencontrés pour un sommet qui aurait pu être un signal politique fort, pas uniquement pour les pays du Sud mais également pour vos entreprises. On parlait de l'insuffisance de l'investissement qui représente moins de 2 % pour notre région.
Le signal politique fort n'est pas venu. Or, n'oubliez pas ce que l'Europe a fait au profit des pays d'Europe Centrale et Orientale: il y a eu ce signal politique fort: la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a été créée à Londres, il y a eu pas mal de manifestations pour essayer d'amener les pays de l'Est à entamer leur processus d'intégration à l'Europe.
L'orateur ne fait pas de comparaison gratuite mais il suffit d'une volonté politique pour encourager ces pays à s'intégrer et à attirer plus d'investisseurs. En effet, l'aide européenne aux pays méditerranéens, quelle que soit sa dimension et son utilité, reste insuffisante parce qu'elle n'est pas secondée par un effort d'investissements privé. La Tunisie a tout fait pour attirer des investisseurs européens.
On voit cependant que sur les douze pays méditerranéens, trois se sont intégrés à l'Europe. L'Europe a seize voisins. Neuf d'entre eux sont des pays méditerranéens. Nous espérons que cette politique de voisinage va compléter ce qui a été conçu à Barcelone à MEDA 1 et MEDA 2 pour diversifier l'apport de l'Europe; celui-ci est le catalyseur nécessaire et indispensable à cette intégration, aussi bien verticale qu'horizontale.
En ce qui concerne la dernière question, la Tunisie a un problème d'image. Les intégristes islamistes qui n'ont pas encore accepté leur défaite en Tunisie, colportent certaines informations à l'extérieur.
À travers le réseau intégriste solidement implanté en Europe, ils reflètent une certaine image de la Tunisie qui ne correspond nullement à la réalité. Regarder ce qui ce passe en Tunisie. Prenez la température du pays. Parlez aux gens. Voyez si les Tunisiens sont vraiment mécontents de ce qui a été fait depuis 1987.
En ce qui concerne le pourcentage assez élevé enregistré lors des élections en Tunisie, l'orateur a referé aux réalisations du premier président Bourguiba. Il a fait des merveilles en Tunisie mais, avec l'âge et la maladie, il ne pouvait plus diriger le pays. Depuis 1986, nous avons fait des progrès dans les domaines de la sécurité, de la stabilité, du progrès et des réformes. La Tunisie est loin de ce qu'elle était en 1987. C'est une progression mais aussi une vision d'un processus démocratique qui n'a rien à voir avec le café instantané. Le peuple se rappelle du passé. Il se souvient que nous étions au bord du gouffre et que cet homme, avec sa vision de l'avenir de la Tunisie, a sauvé notre pays. Ceci explique pourquoi les Tunisiens tiennent à son leadership et à ce que nous poursuivions notre chemin. M. Chirac a obtenu un score semblable voici quelques années. Lorsqu'une société fait face à un danger, elle s'unit autour de son leader.
Pourquoi les sept partis de l'opposition ne progressent pas ? Lorsque, lors d'élections, on présente un programme, le citoyen doit y réagir. Or, cinq des sept partis de l'opposition sont représentés au parlement. Nous espérons que le sénat tunisien — la Chambre des conseillers — qui sera bientôt créée, comptera davantage de représentants. Devons-nous diminuer le nombre des candidats de notre parti pour laisser la voie aux partis de l'opposition ? Leur programme n'est pas crédible. Telle est la perception du tunisien moyen.
Peut-être faut-il du temps pour qu'un petit parti d'opposition augmente sa crédibilité, non par des cadeaux politiques offerts par le régime mais par un programme crédible. N'oublions que le parti de Bourguiba a milité seul pour libérer le pays. Même le parti communiste qui existait également n'a pas bougé. Le syndicat tunisien, l'UGTT, est le plus ancien et le plus puissant du continent africain. Lisez les journaux du syndicalisme tunisien: lorsque le président a invité Sharon à assister au sommet mondial sur la société de l'information, le premier communiqué est venu de notre syndicat qui dénonçait la décision du président. A-t-on pour autant mis ses responsables en prison ? Non. L'opposition nous critique à longueur de journée.
Il faut connaître la situation vécue en Tunisie pour comprendre que le processus démocratique est en train d'être construit avec beaucoup de patience, par étapes. Si on conteste la cadence tunisienne, il faut savoir que les Tunésiens connaissent leur histoire, qui ont le réalisme et la modération dans le sang, et que du sang phénicien coule encore dans nos veines.
La question de la séparation de l'État et de la mosquée a été posée. Je précise que ce n'est qu'en Tunisie que cet objectif s'est réalisé. C'est en Tunisie aussi qu'on a réussi à échapper à l'emprise de l'intégrisme extrémiste. Jusqu'à présent, les intégristes ne nous pardonnent pas notre réussite, parce que nous avons pu séparer l'État et la mosquée.
Les musulmans vont à la mosquée et se rendent en pèlerinage à La Mecque, mais ils sont aussi modernes. Ils sont fiers de leur religion, mais partagent les valeurs occidentales.
L'orateur demande de soutenir ce petit pays qui a trois mille ans d'histoire avec des hauts et des bas. Dans cette histoire, notre regard a été tourné constamment vers le Nord. Hannibal a essayé avec ses éléphants d'envahir Rome mais aujourd'hui, notre savoir, notre tolérance — nous avons la plus grande communauté juive d'Afrique du Nord, la plus vieille synagogue du Maghreb — méritent votre soutien.
Á propos d'investissements privés, l'orateur cite la Belgique en exemple. En effet, elle a été et reste un des premiers investisseurs en Tunisie. Le nombre de sociétés tunisio-belges est important. Notre pays donne l'exemple. L'orateur voudrait que ce soit un catalyseur pour les autres membres de l'Union européenne.
10. Audition de S.E. Halim Benattalah, Ambassadeur d'Algérie
10.1. Exposé introductif
Le processus de Barcelone s'est doté d'une toute autre dynamique depuis 1995. Il est regrettable qu'entre-temps l'idée d'Euromed se soit diluée. Ceci est largement dû au fait que le conflit au Moyen-Orient bloque le processus de Barcelone.
Le volet économico-social revêt un caractère très important mais est malheureusement peu visible. Il convient d'y remédier le plus rapidement possible en relançant la dynamique de la notion du « partenariat ».
La mise en place d'une zone de libre échange pose la question de la concurrence avec les pays européens. Cependant, un soutien institutionnel aux pays Euromed de la part de l'Union européenne s'impose. Il convient d'attirer des investisseurs, qui peuvent relancer l'économie locale.
À l'heure actuelle, il y a une prise de conscience de l'importance du volet culturel par la mise en place de la fondation Anna Lindh qui a son siège au Caire.
10.2. Échange de vues
M. Galand craint que le sommet des chefs d'États Euromed n'aurait peut-être pas lieu. L'orateur souhaite être informé sur les accords de sécurité sur l'Union européenne et l'Algérie et sur les nouvelles conditions de la politique de voisinage. Il paraît qu'il y a peu d'efforts pour soutenir les investisseurs.
L'ambassadeur répond que le sommet sera une rencontre au niveau des chefs d'État dont les résultats seront largement déterminés par l'évolution de la situation au Moyen Orient.
Dans les accords Algérie-Union européenne ne figurent pas d'éléments de sécurité ou de défense. La conclusion de tels accords n'est pas à l'ordre du jour à l'heure actuelle. L'Algérie a mis en place une coopération politico-militaire avec l'OTAN mais ceci n'est pas le cas avec les États Unis d'Amérique.
En matière de culture, la coopération a démarré récemment, surtout avec la création de la fondation « Anna Lindh ».
Sur le plan de l'éducation, des importants programmes d'action ont été lancés. L'orateur craint qu'à la longue, la politique de voisinage risque de remplacer le partenariat Euromed. La politique de voisinage privilège les relations bilatérales et les relations centre périphérie.
De très fortes conditions ont été mises au service des dettes. Il y a en premier lieu l'obligation de réaliser des réformes sur le plan économique. En deuxième lieu, l'Union européenne a demandé des garanties pour qu'il n'y ait pas d'armes de destruction massive présentes dans les pays Euromed. Il accentue donc fortement l'aspect sécuritaire. Il s'inquiète du fait que cet élément prenne le dessus dans le processus de Barcelone. Le respect des droits de l'homme devrait être vérifié par l'Union européenne.
Il convient également d'intensifier les rapports commerciaux entre l'Union européenne et l'Algérie.
Mme Zrihen voudrait avoir plus de renseignements sur la condition de la femme. Quelle est la place des associations de femmes dans le parlement ?
Elle souhaite également avoir des informations sur la potentialité en matière d'énergie en Algérie ainsi que sur les formes de coopération à cet égard au sein du Maghreb qui permettent de mettre en place un dispositif de développement sur la base d'égalité des différents partenaires.
L'ambassadeur répond qu'il partage le point de vue de Mme Zrihen à cet égard. Cet élément est d'ailleurs fort peu traité au sein d'Euromed. Une plus grande implication de la femme dans la vie politique s'impose.
La coopération en matière d'énergie se fait au niveau strictement bilatéral. Depuis août 2004, l'Algérie, le Maroc, et la Tunisie ont mis en route un dispositif d'interconnexion de gaz et d'électricité. Il faut envisager d'élargir ce type de coopération à d'autres pays et à d'autres matières.
11. Audition du 21 juin 2005 de M. Dominique de Crayencour de la Banque Européenne d'Investissements
11.1. Exposé introductif
Le groupe BEI comprend la Banque européenne d'Investissements (BEI) et le Fond européen d'Investissement. Cette dernière facilite la mobilisation des capitaux à risques et octroie des garanties de prêts aux banques et aux institutions financières qui investissent à moyen et long terme dans des projets d'infrastructures et dans le développement des petites et moyennes entreprises (PME). Elle octroie donc du capital à risque aux PME.
La BEI a été établie par un Protocole annexé au Traité de Rome en tant qu'institution financière de l'Union, dont les 25 membres sont les actionnaires. Le capital s'élève actuellement à 163,7 milliards d'euros. La mission principale de la BEI concerne le développement régional (article 367 du traité), l'agenda de Lisbonne, les Réseaux de Transport européens (RTEs), l'environnement et les PME.
Hors de l'Union européenne, la BEI travail sur la base de mandats qui lui sont assignés par le Conseil européen sur l'avis du Parlement européen. Actuellement, la BEI dispose d'une enveloppe globale de 20 milliards d'euros pour une période de 7 ans. La BEI soutient les trois grandes politiques de l'Union: l'élargissement, le voisinage et le « reste du monde ».
La valeur ajoutée de la BEI par rapport au financement commercial se situe au niveau de la qualité du projet au niveau technique, économique, financier, environnemental et social.
La BEI dispose d'un avantage financier AAA comme cotation sur les marchés internationaux. Elle peut lever ses ressources dans les meilleures conditions possibles. Les co-opérationnels étant très faibles, la BEI peut repasser cet avantage à ses clients.
Le bilan de la BEI a dépassé les 250 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires, donc les nouveaux prêts soignés en 2004 se sont élevés à 43 milliards d'euros, ce que représente près du double de la Banque mondiale. Les emprunts contractés sur les marchés des capitaux se sont élevés à 50 milliards d'euros. La BEI est le plus grand bailleur de fonds du voisinage avec un montant de 3,5 milliards d'euros.
La BEI est le partenaire financier des pays méditerranéens depuis 1974 et les derniers 10 ans également des pays partenaires du processus de Barcelone. Le volume de prêts signés en 30 ans s'élève à l'heure actuelle à 18 milliards d'euros.
Les secteurs d'activité de la BEI comprennent l'énergie, les infrastructures des communications, l'eau, l'industrie, l'éducation, la santé et les prêts globaux (lignes de crédit à des partenaires financiers installés sur place pour qu'ils à leur tour puissent re-prêter aux PME).
En dépit du doublement de l'aide de l'Union européenne dans cette région, l'écart économique continue à grandir. Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant s'élève à 5000 dollars, ce qui ne représente que 18 % de la moyenne de l'Union européenne.
Le taux des investissements étrangers est très faible (1,2 % du PIB) ainsi que les échanges « Sud-Sud » (2,5 % du PIB), tandis que le taux de chômage s'élève à 30 % avec une croissance de la main d'œuvre de 3 % par an. 30 % de la population vivent dans la pauvreté. Ceci est un panorama affligeant.
Lors du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, l'Union européenne a pris la décision de renforcer le volet financier du processus de Barcelone avec la création de la FEMIP. Le Conseil européen de Bruxelles des 12 et 13 décembre 2003 a décidé de consolider la FEMIP.
La FEMIP a pour objectif:
— de renforcer la compétitivité des pays du partenariat méditerranéen (PPM) afin de mettre en place une zone de libre échange en 2010, avec les PPM avec 700 millions d'habitants
— de changer le modèle du développement économique et réformes sociales.
— de promouvoir l'intégration régionale des pays méditerranéens.
— d'améliorer l'attrait économique de la zone pour les investisseurs étrangers.
La priorité de la FEMIP en termes quantitatif est de réaliser un chiffre d'affaires d'au moins 2 milliards par an. Au niveau qualitatif, il convient de soutenir le secteur privé, (Investissements directs étrangers, les PME et le secteur bancaire), les infrastructures socio-économiques (capital humain) et les infrastructures de transport, l'énergie, les télécommunications ainsi que les investissements à dimension régionale.
Il faut également développer le « sens de l'appropriation » des PPM. Afin d'y aboutir un comité ministériel a eu lieu (comparable au Conseil des ministres des finances et des Affaires économiques (Ecofin) de l'Euroméditerannée). Tous les ministres de la région y compris les Palestiniens et Israël y participent.
L'implantation locale de la BEI est très important également dans le cadre de l'appropriation.
La FEMIP offre des produits financiers qui ne sont pas ou peu disponibles sur place, ayant un fort effet de levier et permet donc de multiplier l'effet des opérations.
La BEI offre des prêts à long et à très long terme, qui portent sur 10 à 25 ans, ce qui ne serait pas possible dans le circuit commercial normal. La BEI dispose d'un fonds de 40 millions d'euros (sur le budget de l'Union européenne) par an pour le capital-risque. Les bonifications d'intérêts qui permettent d'adoucir les conditions des remboursements des prêts accordés par la BEI plus spécialement pour les projets à caractère environnemental.
L'assistance technique qui s'élève à 25 millions d'euros par an, permet de faire le nécessaire pour la préparation des projets.
Le renforcement de la FEMIP a consisté à élargir la gamme des produits financiers, offerts par la BEI. Les financements à risque ou structurés sont des opérations dans lesquelles la BEI prend des positions plus risquées qu'elle ne soit amenée à faire normalement en provisionnant des pertes potentielles notamment en vue d'attirer des investissements directs étrangers.
Les financements en monnaie locale revêtent un caractère très important pour les PME, qui n'exportent pas et n'ont pas de recettes en devises et dès lors ne peuvent pas couvrir le risque de change.
La création d'un fonds fiduciaire qui est destiné à l'assistance technique peut également faire des études sectorielles et privatisation.
La FEMIP unit toutes les forces disponibles. Elle se livre à une coopération étroite avec la commission européenne (RELEX et AIDCO qui fixent les politiques de coopération au développement). La BEI collabore aussi avec le secteur bancaire local surtout pour promouvoir sa croissance, qui sert de moteur de développement des autres secteurs.
La BEI essaie également « d'importer » le secteur bancaire européen dans les PPM. L'orateur cite deux exemples: le fonds régional de capital-risque « Averroès » créé par la BEI en consortium avec CDC et CNCE et le terminal de gaz d'IDKU mis en place par 16 banques de l'Union européenne et 3 banques égyptiennes. Ce type d'opération a un effet important d'entraînement sur les autres opérateurs financiers à la fois internationaux et locaux.
Un accord de « partenariat stratégique » a été signé par la BEI avec le groupe de la BM et la commission de l'Union européenne afin que les institutions ne tirent pas à hue et à dia. Il existe également « un Mémorandum of Understanding » avec la Banque africaine de Développement.
En 2004, les prêts de la FEMIP s'élevaient à 2,2 milliards d'euros, dont plus du tiers pour les PME et les investissements étrangers directs.
Il y a une gamme d'investissements élargie en faveur d'un logement social au Maroc et une affectation de 100 millions d'euros aux opérations plus risquées.
La modernisation du secteur bancaire se poursuit. 2004 est la première année d'activité complète du Fonds d'Assistance Technique (voir rapport FEMIP) et le Fonds fiduciaire FEMIP a démarré avec un total d'engagements des pays participants de presque 30 millions d'euros dont un million de la part de notre pays.
En ce qui concerne l'avenir de la FEMIP, diverses options se présentent: soit on se contente d'un status quo, soit on la renforce en lui donnant davantage de moyens soit on envisage la création d'une filiale de la BEI pour ce type d'activité.
11.2. Échange de vues
Mme Annane demande si une amélioration du faible taux des investissements directs étrangers et régionaux est à prévoir.
Mme Zrihen demande quelles sont les conditions qui doivent présider à la création d'une véritable banque méditerranéenne qui soit le produit d'une concertation intra-maghreb.
La mise en place d'une monnaie unique permettrait-elle de favoriser l'intégration au sein de la zone méditerranéenne ?
La politique de voisinage est-elle en train de remplacer le processus de Barcelone ?
M. Roelants du Vivier demande comment les investisseurs institutionnels des pays méditerranéens se comportent vis-à-vis de la BEI. La BEI peut-elle conserver une place prédominante dans la région ?
L'évolution de la BEI qui au départ se tournait vers l'Europe orientale et centrale dans la perspective de l'adhésion. Maintenant, les activités de la BEI s'inscrivent dans le cadre du processus de Barcelone. Les pays méditerranéens ont un marché plus limité. Quels sont les incitants spécifiques que la BEI entend pour promouvoir les relations économiques « Sud-Sud », qui n'ont pas vraiment bien démarré.
La promotion d'un marché financier (actions et obligations) dans la région peut-elle être améliorée ?
Quels sont les freins au processus d'harmonisation des infrastructures méditerranéenne et européenne, qu'EUROMED a lancé depuis 1995 ?
M. de Crayencour répond que la stabilité politique influence la décision d'effectuer des investissements étrangers. En corollaire, la consolidation des structures administratives et de l'appareil judiciaire revêtent un caractère aussi important.
L'orateur explique qu'il convient de prendre en considération le coût assez élevé de l'opération de l'appropriation par les pays. Il n'appartient toutefois pas à la BEI de mener ce débat qui relève de la sphère politique.
La mise en place d'une monnaie unique pour la région méditerranéenne lui semble trop ambitieuse à l'heure actuelle étant donné que les structures économiques des différents pays ne sont pas encore coordonnées.
La politique de voisinage, selon laquelle les pays méditerranéens seraient en fin de compte écartés des structures de l'Union européenne, constitue une force très importante. Il demeure toutefois difficile à dire si elle va, à la longue, se substituer au processus de Barcelone.
Le projet des États Unis relatif au « Greater Middle East » revêt surtout un caractère politique mais dispose de moyens financiers beaucoup moins importants que le processus de Barcelone. Ce dernier n'a toutefois pas le prestige politique qu'il mérite.
La BEI étudie la possibilité d'utiliser davantage des enveloppes financières pour subventionner les opérations transnationales dans le cadre de la coopération « Sud-Sud ».
La BEI se présente au marché financier comme emprunteur et émet des obligations. Cela permet d'ouvrir de nouveaux marchés, d'attirer des investisseurs et d'encourager l'économie locale à contracter des prêts en devises.
Pour ce qui est des infrastructures de liaison entre la région méditerranéenne et l'Union européenne, un groupe de travail, auquel la BEI participe, a été mis en place sous la présidence de Mme Loyola de Palacio, l'ancienne commissaire de l'Union européenne aux transports et à l'énergie (1999-2004). Il faut toutefois tenir compte des difficultés liées à la rivalité entre les différents pays pour l'octroi d'un port à une ville, qui disposerait de cette manière d'un axe de liaison prioritaire par rapport aux autres.
M. Galand estime que la contribution financière de la BEI dans la région méditerranéenne est plus importante que celle de la Banque mondiale. La BEI fait-elle des efforts spécifiques pour faire respecter les dispositions de la Déclaration de Barcelone du 28 novembre 1995 relatives aux droits de l'homme et à la bonne « gouvernance » ? Quel est le rôle de la BEI dans les réformes sociales en région méditerranéenne ?
M. Galand demande qu'il y a obligation du respect des règles de l'Organisation Internationale du Travail (OIT). Les entreprises impliquées dans le commerce d'armes sont-elles écartées par le BEI ?
M. de Crayencour répond que la Banque mondiale remplit plutôt le rôle de « knowledge Bank ». Elle est très forte en matière de formation et de dialogue politique. Sur le plan financier, l'intervention de l'Union européenne dépasse toutefois largement celle de la Banque mondiale. La commission de l'Union européenne met en place un dispositif de conditions relatives au respect des droits de l'homme et à la bonne « gouvernance » dans le cadre duquel la BEI opère.
La BEI n'intervient pas directement en matière de réformes sociales puisque cela relève du domaine de la politique Elle finance des projets à caractère social.
Les règles de l'OIT doivent être observées et la BEI exclut les sociétés impliquées dans le commerce des armes de ses projets d'investissement.
M. Roelants du Vivier demande si la BEI dispose d'un dispositif de contrôle afin de vérifier si les règles en matière des droits de l'homme, de bonne « gouvernance » et de non implication dans le commerce d'armes sont observées.
M. de Crayencour répond que des équipes pluridisciplinaires de la BEI sont envoyées sur place afin de vérifier le respect de ces conditions appellées par la Banque mondiale les « safeguards ».
M. Roelants du Vivier constate qu'un certain nombre de projets de la Banque mondiale sont parfois mis en cause à raison de leurs effets nocifs sur l'environnement ou pour la violation des droits de l'homme. La BEI en revanche ne doit pas faire face à ce type de critique. Cela signifierait-il que l'Union européenne a mis en place un mécanisme de contrôle plus efficace que la Banque mondiale ?
M. de Crayencour répond que les ONG, vraies créatrices de valeur ajoutée sur le terrain ne se sont pas encore intéressées à la BEI. Par contre, les ONG, qui sont éloignées des réalités locales n'hésitent pas à s'en prendre à la BEI.
M. Roelants du Vivier demande si la Banque mondiale attire plus de critique parce qu'elle se montre plus ouverte.
M. de Crayencour répond que la vraie raison réside dans le fait que la Banque mondiale est plus connue et joue un rôle politique tandis que la BEI n'intervient qu'au niveau financier et se fait moins remarquer.
M. Galand se réjouit du fait que l'Union européenne inspire l'orientation générale de la politique de la BEI.
L'orateur se demande s'il est facile pour une entreprise d'un pays de la Méditerranée d'obtenir un contrat, dans le cadre d'un projet de la BEI, dans un autre pays situé dans la même région.
M. de Crayencour répond qu'un contact direct peut s'établir entre les investisseurs potentiels et la BEI et dès que les conditions du projet sont réunies, il peut être mis en pratique sans problème.
12. Audition de S.E. M. Fawzi Fawaz, ambassadeur de la République libanaise auprès des Communautés européennes
12.1. Exposé introductif
Ce débat ne manquerait pas d'avoir un effet positif sur l'exercice de l'évaluation du Processus de Barcelone, dix ans après son lancement, et apportera une plus-value aux efforts visant à revitaliser ce processus et à réaliser ses objectifs. La proposition de résolution déposée par Mme Annane dresse un bilan des trois volets du processus de Barcelone et ce travail ne fait que confirmer le rôle actif joué par la Belgique au sein de l'Union européenne et sa contribution importante dans la promotion des relations euro-arabes, comme il est stipulé dans la proposition de résolution (p. 5).
En premier lieu, l'ambassadeur insiste sur la validité des objectifs de ce Processus, figurant dans ses trois volets, politique, économique, culturel et social. Le Liban est attaché, plus que jamais, à la Déclaration de Barcelone qui représente la référence qui guide ses travaux. Alors que la région méditerranéenne était devenue récemment la cible des maintes initiatives, l'ambassadeur insiste sur la centralité de ce processus et la complémentarité entre ses trois volets. L'ambassadeur espère que la politique de voisinage renforcera ce processus et contribuera à promouvoir davantage les relations euro-méditerranéens.
En effet, la paix juste et globale constitue une condition indispensable pour la réalisation des objectifs de Barcelone; les années précédentes ont démontré que l'intransigeance israélienne a empêché la transformation de la région du Proche-Orient en une région de paix, a entravé la coopération régionale et a empêché l'adoption de la Charte de paix et de stabilité en 2000, ainsi que l'adoption des mesures de partenariat. Si Israël persiste dans sa politique d'agression, il serait très difficile d'établir une zone de libre échange l'an 2010, comme le stipule la Déclaration de Barcelone. En revanche, les arabes ont réitéré à maintes reprises qu'ils étaient prêts pour la paix, une paix globale et juste, basée sur les résolutions internationales pertinentes; ils ont lancé I'Initiative de paix de Beyrouth lors du sommet et ils ont dit au monde entier que I'Initiative de paix est leur opinion stratégique. Jusqu'aujourd'hui, cette initiative n'a pas été transformée en occasion véritable pour l'arrêt des conflits et l'instauration de la paix au Proche-Orient.
L'ambassadeur est sûr que l'on est conscient que la politique de deux poids, de deux mesures est inadmissible de nos jours; ainsi, I'Union européenne est appelée à rejeter la sélectivité dans l'application des Résolutions internationales. Le projet de résolution ne contient aucune référence aux volets libano-israélien et syrio-israélien, alors qu'une partie du Liban, les fermes de Shebaa et le Golan syrien restent sous occupation israélienne; la paix dans la région doit être globale et inclure impérativement le Liban et la Syrie, sinon elle sera vouée à l'échec. Le passé a démontré que les solutions partielles n'ont pas pu réaliser la paix dans la région.
Puisque la réalisation de la paix dans la région est dans l'intérêt de toutes les parties, il est normal que I'Union européenne n'épargne aucun effort afin de garantir l'application de toutes les résolutions internationales, à savoir, la 242, la 338, la 425, dans sa totalité, afin de garantir une vraie paix globale, juste et durable dans la région, conformément aux termes de référence de Madrid et au principe de la terre en échange de la paix et à l'Initiative de paix de Beyrouth et non pas se limiter à soutenir l'application de la feuille de route uniquement, comme le stipule le paragraphe P du projet de la résolution.
Pour que cette paix soit durable, il est indispensable de promouvoir le désarmement et la non-prolifération des armes de destruction massive qui vont de pair, afin de transformer le Proche-Orient en une région libre d'armes de destruction massive, comme le stipule la Déclaration de Barcelone et conformément au paragraphe Q de la proposition de résolution. Mais, il serait illogique de lier cet effort à la sécurité régionale qui engloberait d'autres pays qui ne sont pas membres du processus de Barcelone; de plus, lier les deux questions pourraient entraver l'effort de non-prolifération des armes de destruction massive qui représentent le plus grand danger qui menace la région.
Quant à la question des réformes, de la démocratie et des droits de l'homme, le Liban a toujours été et reste un havre de liberté; de plus le respect des droits de l'homme et de la démocratie est enraciné dans l'esprit de chaque libanais. Le Liban est ouvert à tout échange constructif autour de ces thèmes, qui prend en compte les spécificités culturelles et religieuses de notre région. Cet échange pourra avoir lieu au sein des institutions crées par I'Accord d'Association Liban-UE, comme il est proposé dans le paragraphe R.
La proposition de résolution fait référence au respect des valeurs communes, ceci implique un respect réciproque de la culture et de la civilisation des pays méditerranéens et le respect du principe international de non interférence dans les affaires intérieures du pays. Pour que la politique de réforme soit fructueuse, il faudra qu'elle émane des pays concernés et qu'elle ne soit pas imposée de 1'extérieur, reflétant ainsi les priorités et les préoccupations nationales. C'est pour cette raison que l'ambassadeur propose de reconsidérer les paragraphes 5 et 14 qui font référence à une politique conditionnelle et à la suspension d'aide à cause des violations de principes démocratiques. L'ambassadeur trouve que cette politique aura un effet contraire et détournera les projets de réforme dans les pays, au lieu d'encourager les hommes de bonne volonté qui appuient cette politique.
Partant de là, se basant sur le respect réciproque de nos spécificités culturelles, l'ambassadeur propose aussi de supprimer le paragraphe S qui appelle à la promotion de la tolérance en matière de choix sexuels, puisqu'il va à 1'encontre des traditions, des convictions, des croyances religieuses et des valeurs de son pays et puisque l'homosexualité est pénalisé juridiquement et moralement dans sa société. La proposition de résolution aura un effet négatif laissant l'impression que l'Union européenne encourage des pratiques considérées inacceptables par ses mœurs et coutumes.
L'ambassadeur souhaite aussi soutenir la demande explicite faite dans les paragraphes B et U de la proposition de résolution, d'accélérer la procédure de ratification nationale des accords d'association. En effet, le Liban a ratifié l'Accord d'Association en décembre 2001 et depuis, il attend que les procédures de ratification se terminent dans les pays européens. Pour des raisons politiques, le parlement hollandais a refusé jusqu'à maintenant de donner son feu vert à cette ratification et retarde ainsi 1'entrée en vigueur de l'accord et l'adoption d'un éventuel plan d'action de la politique de voisinage, ce qui va à 1'encontre des intérêts européens et libanais.
Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme (paragraphe C et D de la proposition de résolution), le Liban, qui a été et reste victime du terrorisme d'état perpétré par Israël a condamné à maintes reprises le terrorisme sous toutes ses formes et coopère avec les Nations unies conformément aux résolutions internationales pertinentes; il a aussi échangé des lettres avec l'UE annexées à l'Accord d'Association pour promouvoir la lutte contre ce fléau. Mais il est indispensable de définir le terrorisme et de distinguer entre la résistance légitime contre l'occupation et le terrorisme, comme le stipule la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies 46/51. De plus, il serait illogique de demander aux partenaires méditerranéens d'appliquer la déclaration sur la lutte contre le terrorisme du Conseil européen des 25 et 26 mars puisque cette déclaration est purement européenne et n'engage ainsi que la partie européenne. D'autre part, l'ambassadeur tient à signaler que les hauts fonctionnaires euro méditerranéens discutent, en ce moment, un code de conduite contre le terrorisme qui aura pour objectif de:
— réitérer la condamnation ferme de tous les partenaires euro méditerranéens du terrorisme et de toutes ses manifestations;
— distinguer le terrorisme du droit des peuples à résister contre l'occupation, comme le stipulent les résolutions internationales et la charte des Nations unies. Ceci ne manquera pas de faciliter la lutte contre le terrorisme puisqu'il permet d'identifier le terrorisme et de concentrer toutes les ressources afin de 1'éradiquer;
— renforcer la coopération pour mieux gérer les conséquences des attentats terroristes;
— traiter les causes du terrorisme, telle que les conflits régionaux.
Pour ce qui est des accords de réadmission (paragraphe F et Z), l'ambassadeur souhaite attirer l'attention sur la nécessité de spécifier que ces accords se limitent aux ressortissants des pays concernés et ne peuvent en aucun cas inclure les ressortissants d'autres pays, comme le stipule d'accord d'association conclu entre le Liban et l'UE.
L'ambassadeur soutient les propositions relatives à la création d'une banque euro- méditerranéenne de développement (paragraphe I) et l'allocation de fonds suffisants pour financer les plans d'action avec les pays méditerranéens dans le cadre des perspectives financières 2007-2013 (paragraphe 7 et 8). Alors que le débat sur les perspectives financières continuent au sein du Conseil européen, le Liban appelle la Belgique de défendre la nécessité d'allouer un budget suffisant à l'action extérieure de l'UE pour permettre à I'Union européenne de tenir ses promesses. À cet égard, il est impératif que 1'élargissement vers les pays de 1'Est ne se fasse pas aux dépens de la Méditerranée, et que les fonds alloués aux pays méditerranéens reflètent l'importance que I'UE attache à cette région comme dit à la page 5.
L'ambassadeur salue aussi la proposition visant à soutenir la candidature des pays méditerranéens à l'adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce (paragraphe K).
Pour ce qui est de la politique européenne de sécurité et de défense (paragraphe 0), le Liban est engagé dans un dialogue franc et constructif sur cette politique dans le cadre du processus de Barcelone. Le Liban appuie toute tentative visant à établir la paix dans la région, mais tant que l'occupation israélienne des terres arabes persiste, il est impossible d'envisager l'adoption d'une charte de paix et de stabilité, ainsi que toute coopération régionale qu'elle soit politique, économique ou culturelle.
Pour ce qui est de la gestion de l'eau dans la région (paragraphe N), il est indispensable de noter que seul le droit international doit être appliqué pour trancher les disputes dans ce domaine.
Enfin, l'ambassadeur salue 1'établissement de la fondation euro méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures (paragraphe V); le Liban qui a joué et continue à jouer le r6le de pont culturel entre l'est et l'ouest contribuera a faire avancer les objectifs de cette fondation.
Le processus de Barcelone, lancé en 1995, a tenté de remplacer le modèle de coopération traditionnel basé sur l'aide par un véritable partenariat euro-méditerranéen fondée sur une interdépendance globale, sur 1'égalité, sur le respect de l'autre et la co-responsabilité entre les parties. Le Liban espérait en 1995 et espère toujours que l'Union européenne parvienne à se tailler un rôle politique correspondant à son levier économique. À la veille du sommet de Barcelone prévu le 27 et 28 novembre, l'ambassadeur invite la Belgique à continuer d'œuvrer au sein de l'Union européenne pour le renforcement des principes qui constituent les piliers de la déclaration de Barcelone: la paix, la stabilité, la prospérité, le respect du principe de non-ingérence, le dialogue et le rapprochement entre les cultures.
12.2. Échange de vues
M. Annane souhaite savoir s'il existe réellement une unité méditerranéenne de la part des partenaires méditerranéens sur toutes les questions traités par le processus de Barcelone en matière d'intérêt économique et sociale et de la liberté publique. L'oratrice a l'impression que certains pays, comme la Syrie, se sont plus focalisés sur le proche orient et les questions bilatérales avec l'Union européenne que sur le processus multilatérale.
En effet, les paragraphes que l'ambassadeur suggère de supprimer sont quasi tous les apports que soutiennent ce partenariat: les droits de l'homme, la démocratie, la liberté de comportement des individus, ... Le Liban soutient plutôt tout ce qui traite des questions budgétaires et qui soutient la croissance du pays, mais ce qui est enfin plus illustré par des relations bilatérales.
Mme Annane souhaite également savoir comment est ressenti l'élargissement de l'Union européenne du 1er mai 2005. Existe-t-il une certaine forme de concurrence avec les nouveaux partenaires européens ?
M. Galand émet des réserves à l'égard de la proposition de l'ambassadeur qui souhaite supprimer les points 5 et 14. Puisque ces derniers ont été repris dans l'accord Euromed, pourquoi ne peuvent-ils pas être soulignés dans le rapport ?
L'orateur souhaite par contre souligner le rôle positif du Liban dans le cadre de l'année du bassin méditerranéen et surtout la manière dont on a réagi au Liban après l'assassinat du premier ministre et la manière dont un appel a été lancé en faveur de la démocratie.
En ce qui concerne la situation au Proche Orient, la communauté internationale prête actuellement davantage d'attention à l'intervention unilatérale d'Israël lors du retrait de Gaza mais, selon M. Galand, une meilleure cohésion entre les mondes arabe et européen permettrait de peser plus lourd dans la balance et de présenter des propositions communes qui ne dépendraient pas purement d'un éventuel accord des États-Unis. Le bassin méditerranéen constitue notre espace commun. Un renforcement des relations entre les mondes arabe et européen serait aussi à l'avantage du peuple palestinien.
La plupart des pays arabes n'ont-ils d'ailleurs pas tendance à se tourner vers les États-Unis ou le projet du Great Middle East ou, pour ce qui concerne la sécurité, vers l'OTAN, au lieu de se demander comment les pays européens et arabes peuvent élaborer, dans le bassin méditerranéen, une politique de coopération et de sécurité ?
Mme Zrihen indique les obstacles à la création d'une zone régionale d'intégration qui offrirait une position plus cohérente et homogène lors des négociations tant avec l'OMC qu'avec l'Union européenne. Certains semblent plutôt adhérer au principe « Diviser pour régner » alors que la zone méditerranéenne a tout intérêt à se renforcer.
Mme Zrihen souligne en outre les objections qu'a soulevées l'ambassadeur contre l'acceptation de certains aspects tels que la nature sexuelle qui, selon l'oratrice, relèvent pourtant davantage du domaine des droits de l'homme que de celui de la culture. Il existe une volonté d'évoluer vers une société qui permet à chaque individu de se sentir respecté dans un État de droit. Cette évolution demande du temps mais elle doit être clairement reprise dans les objectifs de développement; sans cela, on ne fera qu'encourager les intégristes.
Tout le monde est d'accord pour dire qu'un bon développement économique va de pair avec une protection sociale adaptée. Quel est le point de vue de l'ambassadeur à ce sujet ? Comment cette combinaison peut-elle être réalisée dans une perspective de développement du Liban qui demeure un phare tant pour sa culture de la liberté que pour sa capacité économique ?
Réponses de l'ambassadeur
Tant qu'il n'existera pas d'accords de paix entre Israël et les pays arabes, il n'y aura aucune unité méditerranéenne. Il existe bel et bien une unité entre les pays arabes et on tend vers une coopération et une coordination. Ils ont ainsi travaillé ensemble, pour la conférence ministérielle de Barcelone, à certains documents qui reflètent l'unité du monde arabe.
Tant que dure l'occupation israélienne des territoires libanais et syrien, on ne peut s'attendre à aucune unité.
En réponse à la question du président relative à la Turquie, l'ambassadeur déclare qu'il ne voit aucun problème, ni politique ni économique, avec la Turquie mais qu'il peut aussi poser la question de savoir si l'Europe considère la Turquie comme un pays méditerranéen. L'ambassadeur fait référence aux conditions qui sont imposées pour harmoniser la politique économique et sociale de la Turquie avec celle de l'Union européenne afin d'aboutir à une harmonisation avec le mode de vie européen. Géographiquement, la Turquie est bel et bien un pays méditerranéen mais, politiquement, elle tend davantage vers l'Europe que vers le côté arabe.
En ce qui concerne les obstacles dans l'intégration régionale, l'ambassadeur répète que, tant qu'Israël poursuit son occupation de territoires au Liban, en Syrie et en Palestine, il n'y aura ni intégration ni coopération politique ou économique régionale. Le rôle de l'Europe est de contraindre Israël à se retirer. Le retrait de Gaza a récemment eu lieu; voici cinq ans, Israël s'est retiré du Liban après 22 ans d'occupation. Qu'est-ce qui empêche Israël de se retirer des autres régions ?
L'ambassadeur déclare qu'il est bel et bien question d'une certaine concurrence sur le plan budgétaire — mais pas sur le plan politique — à la suite du récent élargissement de l'Union européenne mais ceci est logique puisque les budgets sont aujourd'hui limités et puisque les nouveaux États membres bénéficient de la priorité. Ceci ne peut cependant pas empêcher que l'on accorde également un certain intérêt aux pays autour de la Méditerranée.
L'ambassadeur souligne que la suppression de certains points reflète sa propre opinion. Les conditions sociales qui existent en Belgique ainsi que le mode de vie et les idées belges sont très différents de ceux qui prévalent dans les sociétés arabes. Une personne qui s'oppose aux conceptions belges, n'est pas extrémiste ou intégriste, au contraire. Dans le monde arabe valent des lois et des usages interdisant de pareilles libertés malgré le fait que certains individus ont déjà davantage évolué dans leurs relations sexuelles mais il s'agit plutôt d'une exception à la règle.
Quelle est d'ailleurs la plus-value de ces points dans une résolution qui est destinée aux pays de la Méditerranée ? Une grande majorité d'entre eux seront choqués, comme ce fut le cas voici trois ans lorsque le parlement européen a demandé à l'Égypte de tolérer les homosexuels sur son territoire.
Sur ce point, Mme Zrihen déclare que le parlement européen avait constaté que des personnes étaient emprisonnées en Égypte sans une quelconque enquête parce qu'elles étaient soupçonnées d'homosexualité.
Le parlement demande en fait qu'il y ait une évolution dans la société. Nous avons une certaine image du Liban: celle d'une société très jeune mais aussi très ouverte et qui tend vers la modernité et le respect. Il ne revient pas à la Belgique de dire comment les choses doivent être faites mais bien d'indiquer que l'évolution dans la société civile doit être entendue. Il est peut-être exact que certains ont une oreille davantage bienveillante pour cette société civile que pour les institutions.
L'ambassadeur souligne qu'il a uniquement voulu citer la réaction égyptienne comme exemple de la manière dont réagit le monde arabe sur ce point.
En ce qui concerne la question relative à la démocratie, l'ambassadeur partage les propos de M. Galand.
L'ambassadeur souligne ensuite que le Liban ne renie absolument pas les droits de l'homme ni les conditions démocratiques, la culture ou le développement, mais le regard arabe sur ces choses est très différent de celui de l'Europe.
La question des relations avec l'Union européenne ramène à l'histoire de la poule et de l'œuf: le monde arabe attend que l'Union européenne joue un rôle alors que cette dernière demande que le monde arabe lui donne un rôle à jouer. La réponse dépend en fait des relations entre les États-Unis et Israël. Pour Israël, les États-Unis doivent continuer à jouer le rôle le plus important alors que le monde arabe trouve un soutien auprès de l'Europe et préfère une bonne entente avec les États européens, leurs voisins et partenaires, plutôt qu'avec les États-Unis. Israël pense que l'Europe soutient la cause palestinienne mais c'est inexact: l'Europe tente de jouer un rôle neutre et d'agir en tant que médiateur.
En ce qui concerne les efforts entre les deux rives de la Méditerranée, l'ambassadeur estime qu'une collaboration va de soi dans la politique. Il n'y a pas de problèmes dans les relations avec l'Union européenne.
L'OTAN pèse lourdement sur ses alliés dans la région. Il existe toujours des pays qui ne sont pas membres de l'OTAN, comme le Liban, la Syrie et la Palestine. Nous constatons que l'OTAN intervient actuellement en Afghanistan et à Bagdad et joue un rôle politique, également hors des limites admises dans sa charte. Le Liban n'est pas membre et ne peut jouer un rôle; ses relations restent limitées au cadre du processus de Barcelone.
Nous en arrivons enfin aux moyens destinés au développement économique du Liban. L'ambassadeur estime que le Liban, depuis la fin de la guerre civile en 1990, est sur la bonne voie et a déjà franchi des étapes importantes dans le développement. Toutefois, après l'assassinat du premier ministre, on a constaté un arrêt à cause la situation politique. Le Liban attend toujours la fin de ce cauchemar; on espère que l'enquête que mèneront sous peu les Nations unies, apportera un soulagement de manière à ce que les investisseurs, tant libanais qu'étrangers, soient à nouveau encouragés à redynamiser l'économie. Le Liban prépare actuellement une conférence internationale qui aura lieu à la fin de 2005 à Beyrouth avec pour objectif d'aider le Liban à construire son économie.
13. Audition de M. Mohamed Badii Khattab, Ambassadeur de la République arabe syrienne auprès de l'Union européenne
13.1. Exposé introductif
On aura besoin d'une grande volonté politique pour réaliser les objectifs de la déclaration de Barcelone de 1995. Des accords de coopération sur le plan économique, social et culturel constituent des succès importants. Il convient de construire sur les résultats des dix années dernières pour réaliser ces objectifs.
En 1995, on a fait le choix de faire de la Méditerranée une région de paix, de sécurité, de stabilité et de prospérité. À cette époque, on n'avait l'espoir de trouver un règlement durable du conflit au Moyen Orient conformément au droit international et aux résolutions et recommandations des organisations internationales.
L'initiative de paix arabe lors de la conférence qui s'est réuni à Beyrouth en 2001 et la conférence d'Alger de 2004, ont démontré la ferme volonté arabe de trouver la paix.
Il est toutefois regrettable qu'après des années de négociations bloquées, l'occupation perdure. Ce qui est la cause direct de l'instabilité et affecte également la mise en œuvre du Barcelone Process. La Syrie entend favoriser la paix et a réitéré sa volonté de reprendre les négociations.
Les partenaires du processus de Barcelone devraient répéter le caractère central du processus et considérer la politique européenne de voisinage, un instrument complémentaire de le renforcer.
Les programmes d'Euromed devraient viser le développement humain, la société d'information comme une clé pour la modernisation, le respect des droits de l'homme et l'État de droit. Il faut également redoubler d'efforts pour combattre le terrorisme conformément aux conventions et résolutions des Nations unies. La Syrie réitère son appel pour la convocation d'une conférence internationale sur le terrorisme et pour la mise en place d'un code de déontologie Euromed dans la lutte contre le terrorisme.
Il faut créer la zone du Moyen Orient sans armes de destruction massive, biologique et chimique et coopérer au niveau de la défense civile et de la gestion des catastrophes naturelles.
Les programmes d'Euromed devraient avoir un effet bénéfique sur les populations locales en misant sur un pluralisme politique et en renforçant la participation des femmes et des jeunes. Il convient également d'appuyer les petites et moyennes entreprises par des investissements. L'infrastructure devrait être améliorée. Le tourisme et les programmes d'échange des jeunes pourraient être renforcés.
La coopération dans le domaine de la justice de la gestion de la migration revêt également un caractère très important dans le cadre du processus de Barcelone.
L'orateur apprécie beaucoup que la proposition de résolution nº 3-1031/1 de Mme Annane en appelle le gouvernement belge à accorder un appui financier, à coopérer dans le domaine de la gestion de la migration, de la protection de l'environnement et à accélérer la ratification des accords d'association.
L'orateur attire l'attention sur la nécessité d'une signature officielle de l'accord d'association avec la Syrie afin de compléter la série d'accords qui s'inscrit dans la mise en œuvre d'une zone de libre échange. Cet accord a été qualifié « d'accord modèle », par Chris Patten, ancien membre de la Commission européenne chargé des Relations extérieures.
13.2. Échange de vues
Mme Zrihen se demande quels sont les éléments qui ne correspondent pas aux attentes qu'on a du processus de Barcelone après 10 ans. Quels sont les axes sur lesquels le code de conduite « Euromed » s'appuie ?
L'ambassadeur répond que le processus de Barcelone s'est développé au fil des années. Il convient surtout de continuer à négocier. Maintenant après 10 ans, on est arrivé à un carrefour, la Syrie souhaite que l'aide qui lui est accordée dans le cadre de ce processus ne soit pas soumise à des conditions.
L'ambassadeur estime que certains instigateurs de terrorisme en Syrie ont maintenant trouvé refuge dans les capitaux de certains pays européens. Après dix ans ils ont commencé à y perpétrer leurs crimes. Ces personnes et les organisations auxquelles ils appartiennent, constituent une menace qui se propage au niveau international. Il faut adresser ce problème en élaborant un code de conduite au niveau international. Il convient d'examiner pourquoi des jeunes deviennent des outils dans les mains des maîtres terroristes. Cela ne signifie toutefois pas qu'un peuple opprimé soit privé du droit à la défense par rapport à l'occupant.
M. Galand s'inquiète du fait que la délégation de Palestine en Belgique n'a pas de statut diplomatique. Elle se trouve dès lors dans une situation de précarité. La situation de la délégation est en fait toujours réglée par un accord qui remonte aux années 80 quand Leo Tindemans était ministre des affaires étrangères. Cet accord prévoit que la Ligue arabe accorde le statut diplomatique à la représentation de l'OLP à l'époque. À l'heure actuelle, la Mauritanie a accepté de délivrer le statut diplomatique au représentant de l'OLP. Entre-temps, la Palestine est représentée en Belgique par l'Autorité palestinienne et rien n'a changé. Cette situation est devenue gênante vis-à-vis de l'Union européenne. L'orateur souhaite que cette question soit soulevée auprès du ministre des Affaires étrangères étant donné que dans les pays limitrophes la délégation a acquis un statut.
Le président va soulever cette question auprès du ministre des Affaires étrangères. L'octroi du statut doit se faire dans un cadre international dans un cadre de réciprocité à l'instar d'autres pays.
M. Galand demande comment on peut rendre le processus de Barcelone, qui est totalement essoufflé, plus attrayant par rapport à l'opinion publique ?
L'orateur souhaite connaître la position de la Syrie envers les États-Unis.
L'ambassadeur répond que processus de Barcelone avance lentement mais sûrement. Le sommet de Euromed de novembre 2005 à Barcelone permettra de progresser sur le plan des programmes ciblés et une augmentation des moyens financiers. Les flux migratoires entre d'une part l'Europe et d'autre part le monde arabe ont augmenté, mais les éléments fondamentaux des rapports restent les mêmes. Il faut améliorer la visibilité politique d'Euromed.
L'ambassadeur explique que la Syrie déplore l'appui qu'accordent les États-Unis à Israël et qu'il qualifie « d'aveugle ». La Syrie a un grand intérêt à voir la situation en Iraq se stabiliser pour que le Moyen Orient ne se dégrade pas davantage.
14. Audition de M. Armand Imbert, chef d'Unité adjoint à la direction Méditerrannée de la direction générale des relations extérieures de la Commission européenne
14.1. Exposé introductif
La commission souscrit très largement à l'analyse du rapport. Celui-ci fait état d'un bilan en demi-teintes du partenariat ainsi que des impatiences que celui-ci suscite quant à son rythme d'évolution et son approfondissement. Mme Annane a bien synthétisé les réussites et les lacunes du partenariat.
Sur le plan des réussites, il se borne à citer les points suivants. En dépit des critiques, ce partenariat reste actuel et pertinent. Certains ont dit que si l'on essayait aujourd'hui de réécrire la déclaration de Barcelone de 1995, il n'est pas sûr que l'on aboutirait à un résultat aussi ambitieux et aussi équilibré que celui qui a été adopté il y a dix ans. Certains ont parlé du miracle de la déclaration de Barcelone mais c'est peut-être un peu excessif. Cependant, cette déclaration reste un texte actuel et pertinent sur lequel nous pouvons nous fonder.
Toujours sur le plan des réussites, ce partenariat reste un cadre essentiel au niveau régional. On a pu constater que les structures institutionnelles créées, à la fois le comité Euromed, le groupe des hauts fonctionnaires et les réunions au niveau ministériel, ont fonctionné même aux pires heures du conflit israélo-palestinien. Finalement, les Israéliens et les Palestiniens ont continué à se voir même si c'était parfois dans des ambiances un peu tendues. De ce point de vue là, le partenariat euro-méditerranéen reste essentiel et irremplaçable.
Sur le plan institutionnel, des progrès ont été réalisés concernant ce que l'orateur appellerait l'appropriation du partenariat. Il nous avait été reproché que celui-ci était un peu trop euro-centré. Nous avons donc fait un effort pour qu'il le soit moins, notamment en nous efforçant de tenir des réunion ministérielles sur le territoire des pays arabes. Récemment, une réunion des ministres des Finances des 35 s'est tenue à Rabat et une réunion des ministres des Transports est prévue à Marrakech.
Par ailleurs, comme indiqué dans le rapport, ce partenariat s'est doté, il y a quelques années, d'un cadre démocratique majeur, à savoir l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne qui a tenu sa première réunion au Caire, en mars 2005. Il s'agit d'un cadre important de dialogue entre les divers milieux politiques du partenariat.
Sur le plan économique, le partenariat a permis l'ouverture à la concurrence de l'économie des pays partenaires grâce à la conclusion d'accords d'association. Cette évolution vers le libre-échange est d'ailleurs soutenue par la coopération financière dans le cadre du programme MEDA.
Autre élément positif: la dimension culturelle qui avait sans doute été un peu négligée dans les premières années, les relations euro-méditerranéennes remontant aux accords de coopération de 1975. Cette dimension culturelle est maintenant présente dans le partenariat avec la création de la fondation Anna Lindh qui a commencé à être opérationnelle et qui a déjà élaboré un programme.
Cette Fondation Anna Lindh est une sorte de « réseau de réseaux ». Elle ne prend pas en charge l'ensemble du travail culturel mais elle a l'avantage de mettre en synergie les réseaux culturels des divers pays méditerranéens.
Dernier aspect positif: les relations avec la société civile. Nous avons essayé de les structurer car cette dernière est extrêmement foisonnante et riche. Résumant le partenariat euro-méditerranéen, on pourrait dire qu'il ne souffre pas d'une absence d'initiatives mais, au contraire, d'un foisonnement d'initiatives dans tous les domaines.
Évidemment, il ne faut pas céder à l'autosatisfaction car les déficits du partenariat sont évidents. Il serait ridicule de prétendre qu'il a tenu toutes les promesses que ses concepteurs avaient émises en 1995.
Sur le plan politique, il faut reconnaître qu'il a eu peu d'effet sur les principaux conflits de la région, notamment le conflit du Moyen-Orient entre Israël et la Palestine.
Sur le plan de la démocratie et des droits de l'homme, nous avons constaté que les progrès de la réforme politique dans les pays arabes étaient lents et insuffisants.
Sur le plan social, il y a une fracture et les événements récents de Ceuta et Mélia symbolisent de façon criante les insuffisances de l'Union européenne, de ses États membres et des pays partenaires, à traiter des questions de migration. Ils traduisent également les limites d'une approche purement sécuritaire du problème.
Enfin, sur le plan économique, si des résultats positifs ont bien été atteints, notamment au plan macroéconomique — l'inflation dans les pays concernés est jugulée et des progrès sont accomplis sur le plan du développement humain — il est clair que la convergence des revenus entre les rives nord et sud de la Méditerranée ne s'est pas réalisée.
Tel est le bilan que l'on peut tirer du partenariat euro-méditerranéen. Mme Annane a bien synthétisé les aspects positifs et négatifs du partenariat, ses insuffisances et ses lacunes.
Les 27 et 28 novembre 2005 se tiendra à Barcelone un sommet des chefs d'État et de gouvernement, qui sera une primeur pour cette région du monde. Il s'agira d'un événement très particulier qui constitue un défi très important.
Ce sommet sera l'occasion de réaffirmer la pertinence du partenariat euro-méditerranéen et, surtout, de développer un programme d'action en vue de corriger certaines lacunes du partenariat. Il ne devra pas simplement être une sorte de célébration convenue.
L'orateur évoque ce programme d'action.
D'abord, ce partenariat évolue puisqu'il a été renforcé, précisé et enrichi par la politique de voisinage. Il faut, à cet égard, dissiper des malentendus qui sont souvent un peu récurrents et renaissants, qui tendent à dire qu'il y aurait deux politiques à l'égard de la région: la politique de voisinage et le partenariat euro-méditerranéen, selon lesquels la politique européenne de voisinage serait en quelque sorte destinée à remplacer le partenariat euro-méditerranéen.
Il n'en est pas question. La politique européenne de voisinage est plutôt une sorte d'outil en vue de compléter et de préciser le partenariat euro-méditérranéen. Si l'on examine les accords d'association, qui sont l'un des vecteurs principaux du partenariat euro-méditérranéen, on constate que certaines de ces dispositions sont quelque peu vagues et floues et qu'elles constituent des dispositions cadre.
L'intérêt de la politique de voisinage et, notamment, des plans d'action adoptés pour le Maroc, la Tunisie, Israël et la Palestine, est de préciser et de donner une perspective à la mise en œuvre de la coopération économique, sociale, culturelle et sectorielle et de permettre aux pays partenaires d'avoir une part dans le marché intérieur européen.
L'orateur voudrait corriger un élément dans le développement de Mme Jihane Annane, c'est l'idée que la politique européenne de voisinage serait en quelque sorte un tout, à l'exclusion des institutions. C'est une idée que n'aiment pas nos partenaires du Sud parce qu'ils ont l'impression d'être exclus. Il est clair que ces pays ne participent pas aux institutions de l'Union, mais il faut néanmoins insister sur le fait que les plans d'action sont élaborés en commun. Il y a donc une espèce de co-appropriation de la participation future au marché européen.
Par ailleurs, ces plans d'action seront mis en œuvre dans le cadre des comités créés par les accords d'association. Il y a donc des liens entre politique de voisinage, accords d'association et partenariat euro-méditerranéen, ce qui constitue une sorte de structure commune.
La Commission a adopté en avril 2005 une communication. En coopération avec la présidence britannique et avec l'Espagne, pays hôte du sommet de Barcelone, un programme d'action sera élaboré qui devra être adopté par les chefs d'État et de gouvernement en novembre prochain. Ce programme devrait comporter quatre grandes actions dans quatre domaines: renforcement du volet de politique de sécurité du partenariat, promotion du développement économique durable, stimulation de l'éducation et des échanges socio-culturels et, enfin, évocation des questions de migration.
En ce qui concerne la politique et la sécurité du partenariat, l'Union devrait davantage développer son dialogue politique avec ses partenaires euro-méditerranéens, y compris dans la lutte contre le terrorisme et les armes de destruction massive. Le cadre politique existant dans le partenariat euro-méditerranéen, fourni par les conseils interministériels qui se réunissent généralement tous les six mois, doit être améliorer dans la mesure où, souvent, ces conseils ministériels n'échappent pas toujours au langage convenu et s'apparentent parfois à de « grandes messes ». Il faudrait que le dialogue soit plus vif, plus animé, plus précis.
En ce qui concerne la démocratie et des droits de l'homme, il y a, dans les pays méditerranéens et spécifiquement dans les pays arabes, un grand déficit. Nous voulons l'idée d'essayer de dépolitiser cette question et de l'envisager dans le cadre de sous-comités de droits de l'homme, de manière à discuter de manière dépassionnée et plus pragmatique. Cette idée rencontre néanmoins des résistances, par exemple, de la part de la Tunisie qui traîne un peu les pieds pour convoquer le sous-comité sur les droits de l'homme. Mais nous ne désespérons pas que les autorités tunisiennes comprennent qu'il est de leur intérêt de discuter de ces questions de façon dépassionnée.
Sur le plan politique, des progrès pourraient aussi se faire dans la lutte contre le terrorisme. Les événements du 11 septembre 2001 mais aussi ceux qui se sont produits, en Tunisie, au Maroc, en Espagne ou en Angleterre, font que ce problème de lutte contre le terrorisme est devenu un problème commun.
Nous envisageons donc de développer notre coopération, notamment sur le plan bilatéral et sur le plan communautaire, avec des programmes avec le Maroc ou la Tunisie. Un code de conduite euro-méditerranéen pourrait être discuté au prochain sommet à Barcelone.
Un autre élément sur lequel nous pourrions progresser est la question de la lutte contre les armes de destruction massive. Une initiative de M. Solana vise à réunir un groupe ad hoc pour aborder cette question à 35.
Enfin, dernier élément sur le plan politique, une initiative a été présentée par la commissaire aux relations extérieures, Mme Ferrero-Waldner. Il s'agit de créer ce qu'on appellera « une facilité pour la démocratie » ou « une facilité pour la gouvernance ». L'objectif est d'encourager et de récompenser les pays qui marquent une volonté d'évoluer vers la bonne gouvernance.
Des réflexions sont en cours pour une participation accrue de l'Union dans l'observation des élections.
Le deuxième volet est le volet économique, à savoir la promotion d'un développement durable. Lorsque certains commentateurs examinent les accords d'association, ils ont tendance à les réduire à l'aspect zone de libre-échange. Or, ces accords représentent bien davantage.
Le libre-échange a ses mérites mais il a aussi ses limites. À l'évidence, il ne suffit pas et ne suffira pas au développement des pays concernés et il doit être complété en lui-même par l'élargissement de son domaine. Nous savons que, même si les produits agricoles sont concernés par les accords d'association, cette couverture n'est pas suffisante.
L'idée est d'ouvrir des négociations sur la libéralisation des échanges agricoles. Celle-ci devra être complétée, afin que cette approche ne soit pas déséquilibrée, par des actions dans le domaine du développement rural. Il y a également l'idée de progresser de façon équilibrée dans le domaine de la libéralisation des services. Des directives de négociation sont en voie de finalisation au niveau communautaire.
Il faut enfin intégrer la question de l'intégration Sud-Sud, une des lacunes de la zone de libre-échange parce qu'il s'agit plutôt d'un processus d'intégration Nord-Sud. Nous souhaitons appuyer les efforts d'intégration Sud-Sud notamment en soutenant l'accord d'Agadir.
La zone de libre-échange ne suffit donc pas « si elle n'est pas complétée par des coopérations » pour reprendre les termes du président Delors parlant du tryptique « compétition-coopération-solidarité ». Nous devons renforcer notre coopération, notamment financière, avec les pays de la zone. Nous discutons actuellement des perspectives financières pour 2006-2013. Nous devrons également examiner si ce qu'on appelle la facilité européenne d'investissement et de partenariat pourrait être, le cas échéant, transformée en banque européenne euroméditerranéenne. Les discussions sont ouvertes et les ministres des finances devront se prononcer à ce sujet dans le courant de l'année 2006.
La coopération sectorielle devra être développée dans un certain nombre de secteurs, entre autres ceux de l'industrie et des transports. Il est criant que les réseaux de transport, surtout dans les pays du Maghreb, sont notoirement insuffisants et qu'une zone de libre-échange n'aura pas de portée si les transports ne sont pas sensiblement améliorés.
Nous aurons une conférence des ministres des transports à Marrakech avant la fin de cette année.
En ce qui concerne la coopération dans le domaine de l'énergie, il existe d'importants projets sous-régionaux en matière d'électricité et de gaz dans la région du Maghreb et du Mashrek.
En ce qui concerne la coopération en matière d'environnement, la zone connaît des retards criants dans ce domaine. L'idée, très ambitieuse de la Commission, serait d'amorcer la dépollution de la Méditerranée à l'horizon 2020. Nous aurons, avant la fin de l'année, une réunion préparatoire à ce sujet en vue de réunir une conférence des ministres de l'Environnement en 2006.
Troisième axe d'action: appui à l'éducation et à la formation.
Un certain nombre d'entre vous ont lu les rapports du CNUD relatifs aux retards de développement dans les pays arabes. Ces rapports insistent sur la nécessité d'améliorer l'enseignement et la formation.
Une des idées de Mme Ferrero-Waldner, membre de la Commission européenne, est aussi de déclencher un saut qualitatif en ce domaine et, notamment, de réduire sensiblement l'analphabétisme dans la région, de scolariser tous les enfants dans l'école primaire et, enfin, d'assurer l'égalité des garçons et des filles en ce qui concerne l'accès à l'enseignement. Tout ceci aux environs de l'horizon 2015. Il va de soi que les moyens financiers qui seraient consacrés à la coopération et au soutien à l'enseignement devraient être augmentés en conséquence.
L'orateur arrive à la coopération dans le domaine de la justice, de la sécurité et de l'émigration.
S'agissant de la justice, il faut renforcer notre coopération entre les systèmes judiciaires, notamment pour lutter contre la criminalité organisée. À cet égard, les plans de voisinage qui ont été adoptés joueront un rôle important.
En ce qui concerne l'émigration, les événements survenus à Ceuta et à Mellila — qui étaient peut-être annoncés par les drames qui se produisent pratiquement chaque semaine dans le détroit de Gibraltar — mettent l'Union face à ses responsabilités.
M. Fratini, commissaire européen chargé du dossier Justice et Affaires intérieures, a indiqué au Conseil quelles étaient les pistes d'action. La plus immédiate est évidemment la coopération avec le Maroc. Nous avons un programme de 40 millions d'euros qui englobe l'assistance, la gestion des frontières, la lutte contre le trafic des êtres humains, la coopération entre les polices et la fourniture de certains équipements. Une autre piste consiste à renforcer la coopération avec l'Algérie et la coopération avec les pays sub-sahariens d'où provient la majeure partie des émigrés qui ont été arrêtés.
Ce problème nous interpelle directement et brutalement. Le sommet de Barcelone avait déjà ce sujet à l'ordre du jour. Ce n'est donc pas une découverte pour nous mais, maintenant, le sujet revêt une urgence particulière.
Le sommet de Barcelone sera l'occasion de vérifier, dans l'urgence, si nous continuons à gérer le problème sur le plan national en rejetant, en quelque sorte, la responsabilité des uns sur les autres ou si nous considérons qu'il s'agit d'un problème commun et communautaire qui doit être traité à 25 et, évidemment, à 35.
Plus profondément, le problème ne sera résolu que par le développement des pays concernés. C'est évidemment l'objet principal du partenariat euroméditerranéen et de la stratégie pour l'Afrique exposée récemment par M. Michel.
L'orateur conclut sur cette crise de Ceuta et de Mellila qui rappelle que « l'euroméditerranéen » n'est pas seulement un concept pour politiciens et pour eurocrates. Malheureusement, cette crise est dans le réel le plus immédiat. L'objet du Sommet de Barcelone sera de transformer cette réalité tellement tragique en élan positif.
14.2. Échanges de vues
M. Roelants du Vivier rappelle que Ceuta et Mellila posent à toutes les formations des questions politiques fondamentales sur l'immigration.
M. Galand estime que M. Imbert a fait preuve d'une prudence de Sioux dans son exposé.
Au regard des réalités, de ce que représente la Méditerranée, mer de paix, on aurait dû pouvoir démontrer que l'Europe joue un rôle essentiel sur le plan social, sur le plan des droits de l'homme, sur le plan environnemental, sur le plan de la sécurité. Cependant, nous devons un peu déchanter. Les Américains sont tellement convaincus que l'on a trop peu joué notre rôle qu'ils ont élaboré un projet alternatif, le Great Middle East. La plupart des pays du Sud Méditerranée ont davantage regardé en direction de l'OTAN et de Bruxelles que vers la Commission. L'Europe a-t-elle démontré une réelle capacité à obtenir, dans le pourtour Méditerranée, des résultats qui soient à la hauteur des ambitions proclamées voici dix ans à Barcelone ?
Un Sommet doit avoir lieu les 27 et 28 novembre 2005; le 29 novembre 2005 a été décrété Journée internationale pour les droits inaliénables du peuple palestinien par les Nations unies. On peut s'interroger sur la capacité de l'Europe à contribuer à résoudre un conflit et à mettre en œuvre ce qui était prévu dans les accords d'association avec Israël, notamment concernant une intervention directe de la Commission dès qu'Israël exportait vers l'Europe des produits provenant des colonies de peuplement. Dix ans plus tard, cette question est toujours sur la table des négociations. Des pressions sont exercées. L'Europe interpelle régulièrement Israël sur ce sujet mais la question n'est toujours pas réglée.
Le récent accord de pêche avec le Maroc proposé par la Commission à la ratification du Parlement européen omet de définir la frontière. Cet accord permettrait aux pêcheurs européens de pêcher aux frontières du Sahara occidental au nom des accords avec le Maroc. S'agissant de la côte la plus poissonneuse de la face atlantique de l'Afrique, cela me paraît étonnant.
Le Maghreb, évoquée par M. Imbert, est une région désarticulée. Les frontières entre l'Algérie et le Maroc sont fermées. La frontière du Maroc avec le Sahara n'est pas très claire. En Tunisie, les progrès en matière de droits de l'homme se font toujours attendre. Les événements qui se sont produits dans les enclaves de Mellila et de Ceuta étaient des événements annoncés et nous n'avons rien fait pour prévenir cette tragédie. En tant qu'Européen, l'orateur se sent mal de devoir discuter des frontières de l'Europe à Mellila et à Ceuta. Il est choquant de voir que l'Europe a des frontières coloniales et qu'elle s'apprête à dépenser 40 millions pour les protéger ! Il serait temps de mettre un terme à cette situation au lieu de nous retrancher derrière l'Espagne. Pour garantir nos frontières, nous devons en revenir à nos frontières réelles, qui sont celles de l'Europe et non celles d'une partie de l'Afrique.
En matière de sécurité et de coopération, nous avons également un certain retard. Le processus plus cinq, qui devait promouvoir une autre vision de la sécurité en Méditerranée, marque le pas. L'Europe n'a-t-elle pas, pendant tout un temps, délaissé le Sud pour se focaliser sur l'Est ?
Les pays arabes du pourtour de la Méditerranée ont fait un grand pas vers leur intégration au sein de l'Union africaine. En Algérie, le président Bouteflika a énormément investi lors de sa création. La Lybie, elle aussi, a fourni des efforts considérables à cette occasion.
On a l'impression que le monde arabe a voulu se « réarticuler » avec l'Afrique subsaharienne. L'orateur voudrait savoir si, dans la réflexion relative à Barcelone + 10, on a intégré cette notion qui traduit une certaine volonté de l'Afrique de ne faire qu'une et de ne plus être divisée entre l'Afrique subsaharienne et l'Afrique méditerranéenne, composée des pays du pourtour méditerranéen.
Mme Annane se demande si le projet de zone de libre-échange pour 2010 est vraiment raisonnable. A-t-on pensé aux conséquences, pour l'agriculture européenne, de la libéralisation des échanges en matière agricole, de cette ouverture des marchés ? Cette négociation menée par l'Union européenne se déroule-t-elle en harmonie avec les partenaires du Sud à l'OMC ? La même question s'applique aux services. Ce projet est-il réaliste, alors qu'à 25, nous ne parvenons déjà pas à nous mettre d'accord sur la directive concernant les services ?
Toujours concernant ce projet de zone de libre-échange pour 2010, vous avez également évoqué les directives de négociation que la Commission prépare pour le Conseil. Où en est-on ? Avez-vous plus d'éléments à ce sujet ?
M. Imbert a également évoqué la politique de voisinage qui, selon lui, n'a pas pour vocation ni pour ambition de remplacer le processus de Barcelone. Quand on examine le contenu de cette politique de voisinage et les plans d'action prévus, on réalise qu'elle renforce le caractère bilatéral, qui donne toute son originalité au processus de Barcelone. Cette politique de voisinage ne risque-t-elle pas, à long terme, de handicaper cette facette multilatérale du processus ?
Mme Zrihen est relativement perplexe quant aux capacités conférées au PEM, l'organe qui réunit les parlementaires européens et maghrébins. S'agit-il d'un espace proactif, bien que le rôle de cette instance soit uniquement consultatif, ou d'un espace « alibi » ? On devrait pouvoir y aborder des questions relativement nouvelles, comme celle de l'immigration. Il pourrait par ailleurs, comme l'a souligné M. Galand, y avoir une certaine tension due à l'opposition entre une volonté d'intégration européenne, plutôt marquée par une tendance à se délester de ce problème de l'immigration, et une volonté d'intégration plus économique, dans laquelle l'Union africaine serait plus porteuse. En résumé, quel est le rôle du parlement européen dans le cadre de cette instance et dans quel sens intervient-il ?
M. Imbert confirme que l'Union européenne est un acteur essentiel dans les relations avec les pays méditerranéens, bien sûr en matière d'échanges commerciaux — l'Union européenne est un de leurs premiers partenaires — mais également en termes de coopération. La coopération financière européenne est importante et sans commune mesure avec celle des États-Unis.
Lors de la rencontre avec le Président Bush et Condoleezza Rice, un relevé des actions de l'Union européenne en direction des partenaires méditerranéens a été présenté. Les Américains ont été impressionnés par l'ampleur de notre coopération et par le caractère global de notre politique.
En ce qui concerne le projet Great Middle East , il convient de noter que les moyens avancés par les Américains sont sans commune mesure avec ce que l'Union européenne consacre à ce dossier, tant sur le plan politique que sur le plan économique.
Le processus de Barcelone ne constitue pas un cadre pour aborder le problème du conflit israelo-palestinien. Cependant, l'existence du cadre euro-méditerranéen pourrait favoriser des mesures de confiance profitables à une avancée dans la solution de ce conflit. Nous développons dans ce cadre des formes de coopération utiles à la frontière entre Israéliens et Palestiniens.
Quand au problème récurrent de l'accord de pêche avec le Maroc, M. Imbert déclare que l'Union soutient le plan des Nations unies. Il n'y a donc pas de notre part de reconnaissance de l'annexion par le Maroc du Sahara occidental. L'accord de pêche n'a pas pour objet de définir cette frontière.
M. Galand se demande pourquoi on autorise la pêche sur les côtes sahraouis ? Il existe un rapport du secrétaire général adjoint des Nations unies qui prévoit qu'en principe, la prospection par une puissance occupante dans ces zones est possible mais qui précise clairement qu'il ne peut être question d'exploitation. Dès lors, l'Europe contrevient aux règles des Nations unies.
M. Imbert répond que l'Europe ne l'a pas autorisé. Il est possible qu'il y ait une situation de fait mais l'Europe n'a pas à intervenir dans ce cas.
M. Galand répond que l'Europe s'accorde pour que les bateaux européens puissent aller se faire réparer dans le port de El Aïoun.
M. Imbert répond que cela n'implique pas que nous nous prononcions sur le statut du Sahara occidental.
En ce qui concerne la préoccupation, disant que l'on a oublié le Sud, M. Imbert explique qu'il est clair que voici quelques années, nous étions dans une phase d'adhésion des pays de l'Est à l'Union européenne. Cette phase étant passée, il est à souhaiter que nous pourrons désormais nous consacrer avec une énergie renouvelée et avec des fonds accrus, je l'espère, à notre coopération avec les pays du Sud.
Le projet concernant la zone de libre-échange, est-il raisonnable ? S'agissant des pays maghrébins, des accords d'association sont déjà en vigueur depuis un certain nombre d'années et nous entrons donc maintenant dans la phase d'élimination des dernières barrières tarifaires.
En ce qui concerne le Maroc et la Tunisie, s'agissant de l'échange des produits industriels, l'année 2010 est un horizon raisonnable. Ce sera peut-être 2011 ou 2012 mais cela n'a pas grande importance.
Pour l'échange des produits agricoles, un projet de directive de négociation a été présenté par la Commission. Les discussions sont dans leur dernière phase et le projet devrait être adopté prochainement par le Conseil. Les négociations étant toujours plus longues que prévu, la perspective optimiste est d'achever les négociations en 2006.
Il est clair que celles-ci devront tenir compte des sensibilités européennes, sachant que les produits exportés par certains pays arabes, notamment les pays maghrébins, viennent concurrencer directement les productions européennes. Il faudra aussi éviter que cette libéralisation sur les marchés des pays arabes — puisqu'elle devra être en tout cas équilibrée et partiellement réciproque — ne vienne perturber certains équilibres sociaux et socioéconomiques. D'où l'idée envisagée par la direction générale de l'Agriculture de compléter ces négociations par des actions dans le domaine du développement rural, tant dans l'Union européenne que dans les pays du Sud.
Le même souci de réalisme existe pour négociations sur les services. Celles-ci doivent être équilibrées. Or, le rapport de force entre l'Union européenne et les pays du Sud est manifestement déséquilibré. La négociation devra tenir compte des relations et éviter les dérives et les problèmes soulevés par la directive dite Bolkenstein.
M. Imbert est d'avis que l'on doit tenir compte du soucis que la politique européenne de voisinage ne compromette l'aspect régional de la politique euro-méditerranéenne. Les plans d'action sont en quelque sorte les mesures d'application des accords d'association. Il est clair que le cadre multilatéral de Barcelone subsistera et qu'il ne sera pas remplacé par les politiques de voisinage.
L'orateur estime que les pays qui sont parties à la politique de voisinage présentent une telle hétérogénéité — cela va de l'Azerbaïdjan à la Moldavie en passant par la Jordanie — que ce cadre n'a pas une dimension régionale cohérente. De ce point de vue, la politique euro-méditerranéenne paraît garder toute sa pertinence et nos partenaires méditerranéens sont bien de cet avis.
En ce qui concerne l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, M. Imbert explique qu'il a entendu certains de ses membres exprimer des doutes quant au dialogue qui peut s'y dérouler. Cela pose le problème de la représentativité des parlementaires qui y siègent. Cette question devra être traitée par les parlementaires européens et méditerranéens eux-mêmes.
L'orateur a assisté à la réunion du Caire où il a pu constaté une certaine liberté de ton dans les débats, qui lui paraît assez bien augurer de l'avenir. Cette assemblée doit s'interroger sur la possibilité d'assurer en son sein une meilleure représentativité des diverses sensibilités politiques.
Une dernière question portait sur les relations entre l'Union africaine et le Partenariat euro-méditerranéen. Si on lit de façon attentive la communication de la Commission présentée par M. Michel, on a la confirmation qu'au même titre que l'Europe, l'Afrique est une, mais qu'au sein de cette unicité coexistent différentes nuances. La politique euro-méditerranéenne s'insère dans cette approche africaine. Elle ne la contredit pas, mais elle lui apporte une dim ension supplémentaire.
La politique euro-méditerranéenne a apporté davantage que les relations avec les pays africains dans le cadre de Cotonou
15. Audition de Mme Sandrine GRENIER, coordinatrice à Bruxelles de «Euro-Mediterranean Human Rights Netwerk »
15.1. Exposé introductif
Les débats sont très importants dans la perspective de la Conférence Barcelone + 10, eu égard au rôle que joue la Belgique — très soucieuse des droits de l'homme — dans la région méditerranéenne et aux liens qui l'unissent à celle-ci.
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme a été créé en 1997, juste après la déclaration de Barcelone, à l'initiative de quelques défenseurs des droits de l'homme de la région, qui ont vu en cette déclaration un grand espoir et ont dès lors voulu se rassembler et créer un réseau pour essayer d'améliorer la situation locale en matière de démocratisation et de droits de l'homme.
Ce réseau s'est agrandi au fil du temps. Il compte à présent 83 membres dans 30 pays de la région, la plupart des pays de l'Union européenne et les 13 pays du sud et de l'est de la Méditerranée ayant adhéré au processus de Barcelone. Il s'agit d'organisations de défense ou de promotion des droits de l'homme, qui étudient ensemble des questions d'intérêt commun. Des groupes de travail examinent des thèmes comme les droits des femmes, les droits des migrants, la justice, les droits économiques et sociaux, la liberté d'association et d'expression, l'éducation aux droits de l'homme, etc. Certains groupes de travail rassemblent des Israéliens et des Palestiniens, qui travaillent ensemble sur la question des droits de l'homme dans la région.
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme participe également à la plate-forme-ONG et au forum civil euro-méditerranéen. Ils sont à l'origine de cette plate-forme, au sein de laquelle nous sommes toujours très actifs.
Le réseau — en fait, le secrétariat — a son siège à Copenhague, et une antenne à Bruxelles. Le comité exécutif, dont le président est tunisien, est basé en France. Ils comptent parmi eux un Égyptien, une Marocaine, une Palestinienne et un Grec. Le réseau est représenté dans toute la région.
L 'évaluation générale du partenariat euro-méditerranéen se résume, dix ans plus tard, par la déception. La situation des droits de l'homme dans la région ne s'est pas améliorée, si ce n'est quelques progrès sur certains points dans l'un ou l'autre pays. Dans l'ensemble, ils ont plutôt assisté à une détérioration ou à une non-amélioration. Le processus de Barcelone n'a pas permis de faire face aux défis dans leur ensemble.
On déplore toujours des disparitions, de la torture, des atteintes à la liberté d'expression et d'association, des discriminations et des violences envers les femmes. Les droits économiques, sociaux et culturels sont toujours bafoués et on constate de plus en plus de difficultés dans ce domaine, ainsi que de graves déficiences des systèmes judiciaires. Conflits et occupations continuent. Dans le sillage du 11 septembre, on doit également regretter des restrictions et des atteintes renforcées aux libertés, des deux côtés de la Méditerranée.
Au niveau multilatéral, régional, du partenariat Euromed — les pays de l'Union européenne et les partenaires du Sud —, on a pu constaté un blocage au niveau politique ainsi que dans les discussions en matière de droits de l'homme et de démocratie. Aucune avancée n'a pu être enregistrée. On dit que des ambassadeurs de différents pays se réunissent et expriment leurs positions à tour de rôle. Il semble que les vraies questions n'aient pas été abordées, ce que confirment les déclarations à l'issue des réunions ministérielles. L'Union européenne essaye parfois d'aller un peu de l'avant mais rencontre des blocages. Peut-être l'Union ne pèse-t-elle pas de tout son poids dans les discussions multilatérales.
Au niveau bilatéral, entre l'Union européenne et chacun des pays méditerranéens, l'évaluation est plus positive. Il y avait eu quelques avancées. Ainsi, des textes et des instruments ont été développés. L'oratrice rappelle l'article 2, relatif à la clause « droits de l'homme », dans les accords d'association entre l'Union européenne et les pays méditerranéens. Une communication de la Commission européenne de mai 2003 a été approuvée par le Conseil des ministres de l'Union; elle concerne le renforcement des droits de l'homme dans le cadre des relations avec les pays méditerranéens. Cette disposition qui comporte dix recommandations très précises constitue une très bonne base — d'ailleurs saluée par les ONG — pour la mise en œuvre de la clause « droits de l'homme » rarement mise en pratique jusqu'à présent.
Au niveau bilatéral, la politique européenne de voisinage se met en place, avec la négociation de plans d'action entre l'Union européenne et chacun des pays méditerranéens. Ces plans d'action comportent tous un volet économique mais aussi politique, avec une partie sur la démocratisation et les droits de l'homme. Certains plans sont adoptés avec le Maroc, la Tunisie, la Jordanie, Israël, la Palestine ou sont en négociation avec l'Égypte et bientôt le Liban. Ces plans d'action sont différenciés: ambitieux avec le Maroc et la Jordanie, très faible avec Israël. Tous ces plans génèrent l'espoir de voir la situation s'améliorer dans la région, à condition bien sûr qu'ils soient mis en œuvre.
Un autre point important au niveau bilatéral est la création au sein des accords d'association entre l'Union européenne et les pays méditerranéens de sous-comités sur les droits de l'homme. Certains ont été inclus dans les plans d'actions de politique de voisinage, par exemple avec la Tunisie. D'autres ont été créés. C'est notamment le cas avec la Jordanie, la première réunion ayant eu lieu au mois de juin. Il est question de créer un sous-comité avec le Maroc. Un accord de principe est intervenu en octobre 2004 mais il n'y a pas encore eu de réunion. Ces sous-comités sont composés d'experts des droits de l'homme et de représentants des gouvernements de l'Union européenne et de chacun de ces pays. Pour Israël, un tel sous-comité n'a pas été créé, ce qui constitue un précédent négatif pour les négociations avec d'autres pays comme l'Égype et le Liban, par exemple. En ce concerne la Tunisie, il existe un accord de principe mais selon nos informations, les Tunisiens refusent que le sous-comité traite les cas individuels, les questions qui constituent une ingérence dans les affaires intérieures du pays ainsi que les cas portés devant la justice ou qui sont sur le point de l'être. Cela vide en quelque sorte ce sous-comité de sa substance.
Les droits de l'homme sont également abordés de manière plus régulière dans les conseils d'association, même si c'est à géométrie variable selon le pays, la situation et le moment. Cela représente quelques avancés au niveau théorique mais peu au niveau de la mise en œuvre.
L'oratrice fait les recommandations suivantes. La première concerne le contenu des droits de l'homme et des éléments de démocratisation. À l'occasion des dix ans de la déclaration de Barcelone, ils demandent aux États partenaires du Partenariat euro-méditerranéen de garantir les droits de l'homme et de la société civile et, notamment, de permettre aux ONG d'exister et d'agir librement. Elle rappelle qu'il existe dans la plupart des pays méditerranéens un cadre législatif qui interdit aux ONG d'agir librement.
Deuxième recommandation: faire une priorité de l'éducation aux droits de l'homme dans toute la région, tant au niveau politique qu'au niveau de la programmation financière.
Troisième recommandation: ancrer le respect des droits de l'homme au cœur de la promotion de la paix et soutenir le respect du droit international et humanitaire dans toutes les zones de conflit et d'occupation de la région.
Quatrième recommandation: respect des droits de l'homme soient respectés dans le cadre de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, tant au Sud qu'au Nord de la Méditerranée.
Cinquième recommandation: mettre l'accent sur la promotion des droits économiques, sociaux et culturels qui sont restés, jusqu'à présent, le parent pauvre de Barcelone par rapport aux droits civils et politiques.
Sixième recommandation: fonder les politiques concernant les migrants, les réfugiés et les accords de réadmission sur une approche de respect du droit international, de la Convention de Genève de 1951 sur les droits des demandeurs d'asile et des réfugiés ainsi que sur une approche davantage basée sur la solidarité et moins sur la répression.
Un autre point concerne la promotion de l'universalité des droits, notamment ceux des femmes. On dit parfois que la question des femmes est liée à des spécificités culturelles ou autres. Or, l'universalité des droits de l'homme est une réalité et les femmes doivent en bénéficier de la même façon que les hommes.
Ils demandent plus spécifiquement l'intégration du principe d'égalité des genres dans tous les volets du partenariat, tant économiques que culturels, et ce au plan politique, mais aussi des programmes de coopération.
Enfin, concernant le contenu, des réformes sont demandées pour une justice indépendante et impartiale et pour un meilleur accès à celle-ci. C'est un des problèmes essentiels de la région.
Il y a également des recommandations portant sur les moyens, notamment des propositions visant à soutenir la réforme du processus de Barcelone et à mettre en place des instruments permettant de faire avancer les droits de l'homme et la démocratisation dans la région. Il faut à cet effet une volonté politique ferme, mais aussi une programmation conséquente et efficace ainsi qu'un soutien financier important.
L'Union européenne s'emploie à revoir elles-ci pour la période 2007-2013, avec la suppression des programmes MEDA et leur remplacement par des instruments financiers, notamment de politique de voisinage. Une enveloppe suffisante est bien entendu nécessaire. Ces montants doivent être consacrés de manière efficace aux droits de l'homme et à la démocratisation. Il faut aussi une intégration des droits de l'homme dans tous les programmes économiques du partenariat euro-méditerranéen et des futurs programmes de politique de voisinage.
On constate que les programmes MENA, tant économiques que d'ajustement structurel, etc., ont parfois des conséquences négatives sur les droits de l'homme. Ici on vise l'ensemble des droits de l'homme, à savoir les droits civils, politiques, économiques et sociaux. Nous demandons la réalisation d'une étude d'évaluation de l'impact des programmes économiques sur les droits de l'homme, et ce, afin d'éviter les conséquences négatives et de promouvoir les conséquences positives.
Nous demandons également, sur le plan financier, le maintien d'un programme tel qu'il existe actuellement à l'échelon européen. Nous demandons une initiative pour la démocratie et les droits de l'homme, ainsi qu'un programme mondial qui accorde un soutien directement aux ONG, sans passer par les gouvernements.
Il est actuellement question de remettre ce programme en cause, mais il nous semble essentiel qu'il soit maintenu et renforcé et qu'il bénéficie d'une ligne budgétaire de manière à ce qu'il puisse soutenir directement la société civile et les ONG indépendantes dans la région.
D'un point de vue politique, il s'agit de soutenir les démocrates, la société civile, les ONG. C'est la « tarte à la crème »: dans les textes de l'Union européenne et du partenariat euro-méditerranéen, il est toujours question de soutien à la société civile et aux ONG. C'est de cette manière seulement que l'on pourra faire avancer les choses dans la région, mettre en place des structures plus démocratiques et améliorer la situation des droits de l'homme.
En pratique, toutefois, on constate peu de soutien. Au plan politique, les ONG demandent depuis de nombreuses années à être consultées régulièrement sur les politiques du partenariat euro-méditerranéen ainsi que sur la politique européenne de voisinage. Jusqu'à présent, ce n'est pas vraiment le cas.
Il n'y a pas de consultation systématique de la société civile ni des ONG, quelles soient internationales ou locales. Il y a parfois des consultations de quelques ONG mais ces consultations sont ad hoc, non officielles et non structurées. La consultation nous semble pourtant un signal politique essentiel surtout dans le cadre de la politique européenne de voisinage et de la négociation et de la mise en œuvre des plans d'action.
C'est difficile, les efforts de l'Union européenne sont appréciés et encouragés. Or au niveau multilatéral, il n'existe rien de pareil, ce que nous proposons est de créer à Barcelone+10 une sorte de groupe de travail au niveau multilatéral sur les droits de l'homme et la démocratisation. Ce groupe établirait un programme de travail sur ces questions pour le partenariat euro-méditerranéen. Cela pourrait donner une certaine impulsion. Cette task force pourrait être composée de représentants de l'Union, des États membres et des pays partenaires et inclure des experts, des universitaires et des membres d'ONG.
Ils soutiennent aussi les propositions de la Commission européenne incluse dans son programme de travail d'avril 2005 et qui concernent les droits de l'homme, notamment l'organisation d'une conférence régionale sur les droits de l'homme en 2006, avec une préparation sous-régionale. C'est une bonne initiative mais elle doit être bien préparée et inclure la participation des ONG régionales indépendantes. La Commission, dans son programme de travail, propose aussi l'organisation d'une grande conférence sur les droits des femmes; nous soutenons bien entendu une telle initiative. La commission insiste sur le rôle de la société civile et la nécessité d'une consultation systématique.
15.2. Échange de vues
Mme Pehlivan porte un intérêt particulier aux possibilités de contact avec des acteurs du monde des ONG actifs également sur ce terrain une des trois membres belges du parlement euro-méditerranéen..
Dans son exposé, Mme Grenier a souligné les difficultés de la coopération multilatérale dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen en raison, notamment, du conflit entre certains pays. Il est regrettable que l'attention soit souvent accordée unilatéralement aux problèmes israélo-palestiniens, à la question de l'eau, etc. au détriment des droits de l'homme et des droits culturels et économiques. C'est la raison pour laquelle différents membres du parlement euro-méditerranéen ont proposé la création de sous-groupes de travail au sein des trois commissions existantes. Ceux-ci- pourraient approfondir, par exemple, la problématique des droits de la femme ou des problèmes spécifiques existant entre certains pays.
Il importe que les membres belges du parlement euro-méditerranéen soient informés des problèmes rencontrés par les ONG.
Mme Grenier répond que dans les réunions des ministres euro-méditerranéens, où les pays de l'Union européenne se regroupent avec les pays du Sud, les droits de l'homme et, plus spécifiquement, les droits des femmes sont des questions taboues qui ne sont pas soulevées. Il n'y a pas de réel dialogue entre les ministres. Au niveau multilatéral, personne ne parle des droits de l'homme ni des droits des femmes.
L'oratrice se réjouit du fait que Mme Pehlivan que fasse partie de l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, parce que c'est un autre forum où toutes ces questions — droits de l'homme, droits des femmes et des migrants — peuvent être abordées dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen.
Le forum parlementaire qui existait auparavant a été renforcé grâce à cette assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Les déclarations du Caire ont mis l'accent sur les droits de l'homme. Il y a donc des avancées possibles.
Aujourd'hui, il existe le forum civil euro-méditerranéen. Une plate-forme et des ONG se rassemblent dans ce cadre et le forum devient un interlocuteur plus structuré des ministres et des parlements Euromed.
Mme Grenier estime que Mme Pehlivan a à juste titre nuancé son l'intervention. Elle se plaçait au niveau des ministres, alors que maintenant on a ces nouvelles enceintes dans lesquelles on peut faire avancer les choses. L'idée de Mme Pehlivan de créer des sous-groupes lui semble intéressante. On pourrait, par exemple, créer des sous-groupes au sein de la commission politique « Droits de l'homme et sécurité » de l'assemblée parlementaire Euromed, pour faire avancer la question des droits de l'homme ou celle des droits des femmes. La société civile pourrait aussi être consultée.
Une réunion se tiendra à Rabat les 20 et 21 novembre. Une consultation pourrait être prévue et des ONG de la plate-forme et de notre réseau pourraient être invitées à venir s'exprimer sur ces questions.
L'oratrice aimerait à son tour poser une question. A Mme Pehlivan. L'assemblée parlementaire va faire des recommandations. Va-t-elle les présenter aux ministres à Barcelone ? Comment tout cela va-t-il se passer ?
Mme Pehlivan répond que le Parlement euro-méditerranéen est composé de représentants des parlements des pays méditerranéens et des pays européens ainsi que du parlement européen. Ce dernier coordonne l'ensemble, parce qu'il dispose des plus grandes possibilités et des moyens financiers les plus importants.
Les sous-groupes devraient faire des recommandations qui, nous l'espérons, seront ensuite adoptées par le parlement euro-méditerranéen. Ces recommandations du parlement pourront alors être présentées à divers gouvernements. Cette assemblée a été créée précisément pour mettre sur pied cet échange de vues. De là aussi l'importance du dossier que le parlement belge est en train de constituer. Je suppose que d'autres pays travaillent de la même manière dans ce domaine.
Les commissions du parlement euro-méditerranéen se réunissent les 18 et 19 novembre à Rabat. Si le Sénat adopte la résolution d'ici là, la délégation belge pourra défendre son contenu avec plus de force dans les diverses commissions du parlement euro-méditerranéen.
M. Roelandts du Vivier explique que lorsque le Sénat aura adopté ces recommandations, elles serviront de guide pour le mandat de son collègue. Celle-ci pourra dès lors vérifier si nos recommandations sont suivies, tant par notre gouvernement que par l'assemblée elle-même. Le rôle des trois parlementaires belges et, singulièrement, de notre collègue sénatrice est évidemment important à cet égard.
Mme Olga Zrihen estime qu'un partenariat Euromed dans lequel les droits de l'homme ne seraient pas présents ne correspondrait pas du tout à l'idée développée au sommet de Barcelone.
Le renforcement de la société civile lui semble particulièrement important. Nous savons, au travers des différents accords d'association, que cet article 2 qui figure en bonne et due forme partout n'est pas vraiment utilisé. Ce qui pose également problème, c'est que l'on parle, dans les réponses qui sont données aux interpellations, d'ONG qui existent et qui, comme vous le faites remarquer, ne sont pas totalement indépendantes.
Cela pose une difficulté supplémentaire puisque c'est par là que transitent la plupart des fonds dans les programmes. On constate que la société civile en tant que telle a du mal à avancer et qu'elle reste soumise à certains contrôles.
Des instruments comme celui de cette assemblée parlementaire qui ne doit pas avoir qu'un objectif consultatif doivent être utilisés. Cette assemblée doit être un espace dans lequel des résolutions et des engagements peuvent être pris.
Si lobby il devait y avoir, celui-ci devrait aussi se faire avec les partenaires européens qui, trop facilement, laissent aller certains commentaires, voire certaines attitudes ou certains types de représentation. Ce matin, nous avons interrogé vos collègues sur la représentativité de cette assemblée parlementaire et sur la représentativité des peuples, sujet qui devrait également faire partie des recommandations. Par conséquent, un lobby un peu plus intensif avec les européens serait souhaitable parce qu'ils devraient être plus exigeants face à leurs partenaires.
Un deuxième point porte sur l'aspect du développement économique.
Il est évident que, lorsqu'on met en avant le volet économique, c'est d'un certain type d'économie que l'on parle. Le volet du micro-crédit pour l'ensemble des opérateurs de la société civile devrait être renforcé. Dans le même temps, lorsqu'on parle d'éducation, on a peut-être tendance à ne parler que de l'éducation de base. Or, il y a l'éducation aux droits civiques et aux nouveaux dispositifs économiques et celle du nouvel ordre géopolitique dans lequel nous nous trouvons.
Il est évident que nous veillerons régulièrement à ce que l'article 2 soit respecté. Bien sûr que nous voudrions des ONG qui soient véritablement indépendantes. Ce n'est pas la volonté qui nous manque, ainsi qu'aux personnes de la base; ce qui manque, c'est la résistance à la torture et aux pressions perpétuelles, insidieuses ou non.
Pouvez-vous inclure ce lobby dans le fameux rapport adressé au Parlement européen sur les droits de l'homme dans le monde afin qu'il y ait un volet spécifique Euromed ? Cela nous permettrait de travailler autrement.
Mme Van de Casteele constate que Mme Grenier dit que, malgré les bonnes intentions, le processus de Barcelone n'a pas réellement apporté d'amélioration en matière de respect des droits de l'homme. Quels instruments son ONG utilise-t-elle pour mesurer cette évolution ?
Il va de soi que les préoccupations formulées dans ses recommandations s'appliquent au monde entier. Toutefois, rencontre-t-on, dans la zone méditerranéenne, des problèmes spécifiques en matière de respect des droits de l'homme ou rencontre-t-on, sur le plan de la collaboration entre l'Europe et la zone méditerranéenne, des problèmes qui ne se posent pas au niveau de la collaboration avec d'autres régions ?
Dans sa proposition de résolution, Mme Annane plaide en faveur d'un plus grand respect des droits de l'homme dans la zone méditerranéenne. Ces recommandations sont-elles suffisantes ou doivent-elles être complétées ou améliorées ?
M. Roelandts du Vivier constate que Mme Grenier vient de dire que les groupes de travail qui suivent chaque accord d'association discutent du volet des droits de l'homme. Mme Grenier signalait cependant que cela se fait à géométrie variable. N'y aurait-il pas lieu de prévoir des lignes directrices qui guideraient ces groupes de travail de façon à ce que chacun respecte strictement le même schéma et qu'il n'y ait pas deux poids deux mesures selon le pays auquel on s'adresse ?
M. Galand estime également que les rapports euro-med ont une spécificité en matière de droits de l'homme. On devrait pouvoir analyser un peu plus finement la spécificité des droits de l'homme dans les relations euro-med et les obstacles dans nos rapports en matière de droits de l'homme. Par exemple, il y a des droits de l'homme spécifiques sur lesquels nous souhaiterions travailler avec les Tunisiens. De même que les gens du pourtour méditerranéen, vus de la façade sud, peuvent interroger l'Europe sur sa politique en matière d'immigration. Donc, comme le disait Mme Van de Casteele, il y a des spécificités. Il conviendrait dès lors d'établir une sorte de cahier des charges afin de voir comment on évalue les progrès réalisés et comment on sanctionne les manquements.
Mme Grenier répond que le travail avec les ONG indépendantes est une question de volonté politique. Le soutien qu'il est possible de leur accorder sur le plan financier, à travers les programmes MEDA, est tributaire de l'accord des gouvernements, ce qui, dans la plupart des pays de la zone, est difficile à obtenir. Il reste néanmoins l'initiative pour la démocratie et les droits de l'homme, dont l'objectif est précisément de soutenir les ONG indépendantes et les ONG en difficulté. Hélas, les ONG qui en auraient le plus besoin ne sont pas reconnues par leur gouvernement et, donc, financées. Il s'agit pourtant d'ONG tout à fait sérieuses, comme le CNLT, le Comité national pour le respect des libertés en Tunisie, dont la porte-parole, Mme Sihem Bensedrine, avait été nomminée au prix Sakharov décerné par le Parlement européen. En Syrie, le CDF, le président, M. Aktham Naisseh, a reçu un prix au palais de justice belge. Ces organisations dotées de statuts opèrent en toute démocratie mais ne sont pas reconnues par leur gouvernement et ne peuvent donc agir librement. Ainsi, la Ligue tunisienne des droits de l'homme a été empêchée de tenir son congrès alors qu'elle est censée être soutenue par l'initiative pour la démocratie et les droits de l'homme. Le CDF en Syrie a dû se réunir dans la clandestinité. La Ligue algérienne des droits de l'homme a pu se réunir mais les observateurs étrangers n'ont pas obtenu de visa pour s'y rendre.
L'initiative pour la démocratie et les droits de l'homme ne finance quasiment pas ces organisations car le règlement financier est interprété de telle manière qu'il est impossible de financer les ONG non reconnues. À cet égard, la Belgique pourrait plaider pour que cette pratique soit modifiée, que ce soit par le biais de ses représentants au sein de l'assemblée parlementaire euro-méditerranéenne ou en tant que membre de l'Union européenne, au lieu de permettre à la Commission européenne de ne pas financer, pour des raisons administratives, les ONG qui en ont le plus besoin. En Tunisie, nous savons qu'il existe une douzaine d'ONG indépendantes et mille GONGO, comme on les appelle, des organisations non gouvernementales « gouvernementales ». Quand des délégations parlementaires se rendent dans ces pays, elles devraient rencontrer les ONG réellement indépendantes et non les GONGO. Cela donnerait un signal clair. C'est une question de volonté politique. De même, sur le plan financier, il faudrait montrer que l'Union européenne veut aider les organisations qui en ont le plus besoin.
En ce qui concerne la PEM, l'assemblée parlementaire euro-med et le lobby sur les parlementaires du Parlement européen mais, aussi, des États membres, il reste en effet beaucoup de travail. Ils ont un rôle important à jouer et vous aussi. Nous essayons de multiplier les contacts avec les parlements des autres pays, notamment des présidences de l'Union européenne.
La question des microcrédits est très importante, de même que celle de l'éducation; notamment l'éducation aux droits de l'homme. C'est une question très large, qui concerne notamment les manuels scolaires. Quel est leur contenu et dans quelle mesure mettent-ils l'accent sur les droits de l'homme ? Certaines organisations membres de notre réseau sont plus spécialisées dans ce domaine et ont essayé de mettre sur pied un projet adapté aux écoles primaires, en vue d'évaluer l'attention qui y est consacrée aux droits de l'homme. Mais l'éducation aux droits de l'hommes comporte des aspects plus généraux: il faut sensibiliser l'ensemble de la population, ainsi que les ONG, auprès desquelles nous devons mener un travail de relais. Il faut tenter d'impliquer davantage les jeunes et les femmes. Il faut favoriser le mainstreaming et insister sur les droits des femmes. Nous menons ce travail au sein même du réseau, de façon à obtenir un effet boule de neige.
La question des résolutions du Parlement européen concernant les droits de l'homme dans le monde a été soulevée. D'autres rapports sont actuellement en cours de préparation, qui portent notamment sur la politique de voisinage.
On tente effectivement d'influencer ces rapports. La région méditerranéenne est spécifique dans le sens où elle entretient — pour des raisons historiques et de proximité — des liens très étroits avec l'Union européenne. On le constate dans le cadre de la politique européenne de voisinage: les pays de l'Europe de l'est et les pays méditerranéens sont mis sur le même pied. Ces liens sont renforcés par le phénomène de la migration.
La communication de la Commission européenne concernant les droits de l'homme dans la région méditerranéenne précédemment a été évoquée. Ce texte comportait dix propositions très concrètes: intégration des droits de l'homme dans tous les dialogues politiques, consultation de la société civile, rapports annuels sur la situation des droits de l'homme, les questions financières, etc. Cette communication, adoptée en 2003 et qui constituait une excellente base, est quelque peu laissée de côté, à présent. L'oratrice a l'impression que la nouvelle Commission européenne a initié un changement de cap: elle met moins l'accent sur les droits de l'homme. Cette communication devrait être mise en œuvre dans la région méditerranéenne, mais pourrait également avoir un impact sur d'autres régions du monde.
L'oratrice en vient aux instruments spécifiques destinés à évaluer la situation dans la région. La situation ne s'est pas améliorée. Le PNUD partage le même avis. La Commission européenne le reconnaît également dans ses rapports annuels. L'organisation de l'oratrice se base essentiellement sur les informations transmises par nos organisations membres et sur l'évaluation qu'elles réalisent dans les différents pays.
On a des indicateurs: par exemple, les associations peuvent-elles agir librement ? Des journalistes ont-ils été emprisonnés ?
Pour ce qui est du droit des femmes, on espérait que l'amélioration constatée au Maroc ferait boule de neige dans la région. Ce n'est pas encore le cas.
En 2002, un rapport sur la situation des droits des femmes dans la région euro-méditerranéenne a été rédigé.
On a également établi un rapport sur la situation de la justice, sur la base d'indicateurs: l'accès à la justice, l'indépendance, les juridictions d'exception etc. Notre réseau a établi ce rapport de manière transversale.
À l'heure actuelle, une étude sur la question des migrants, sous l'angle des droits économiques et sociaux, est préparée.
L'année dernière, un rapport a été rédigé sur le respect des engagements de l'Union européenne pour ce qui est des droits de l'homme en Israël, non seulement sur ce qui se passe dans le pays mais aussi sur les engagements de l'Union et la façon dont elle respecte ses engagements, sur le plan politique mais également technique, dans la question des règles sur les origines, les importations des produits des territoires occupés, les accords de coopération technique etc. Nous préparons un deuxième rapport que nous présenterons aussi avant le conseil d'association entre l'Union européenne et Israël, en décembre. Une délégation de membres israéliens et palestiniens présentera ensemble ce rapport.
Les éléments relatifs aux droits de l'homme dans la proposition de résolution nº 3-1031/1 peuvent constituer une base mais doivent être renforcés. L'oratrice a fait un certain nombre de recommandations tout à l'heure en ce qui concerne le contenu mais également les mécanismes: consultation de la société civile, création d'une task force, un groupe de travail au sein du partenariat Euromed sur les droits de l'homme. Il conviendrait peut-être aussi d'aborder certains points prioritaires. On a parlé du droit des femmes, mais il faut renforcer l'attention sur l'éducation aux droits de l'homme, la justice, les migrants.
L'oratrice en vient aux accords d'association. Comme le dit Monsieur Galand, « ils » sont très prudents. On a insisté pour obtenir avec eux un échange sur la politique de voisinage et les plans d'action. On pourrait presque croire qu'ils ont peur de nous. Tout cela se fait dans le plus grand secret; des négociations sont actuellement en cours avec l'Égypte. À défaut d'être consultés, nous aimerions au moins être informés. Les partenaires égyptiens disent que la société égyptienne ignore l'existence de négociations sur ce plan d'action qui contient tout de même un volet économique, un volet politique et sur les droits de l'homme.
Vingt-cinq ONG égyptiennes viennent de publier un communiqué pour demander une consultation. Notre réseau va la provoquer en organisant en Égypte, au mois de janvier, un séminaire où seront invités des représentants de l'Union européenne, du gouvernement égyptien, des ONG, des experts, des personnes d'autres pays, comme le Maroc, la Jordanie, voire des pays d'Europe de l'Est, la Turquie, pour échanger sur les bonnes et moins bonnes pratiques.
L'oratrice va donc provoquer la consultation. On observe d'extrêmes réticences malgré toutes les déclarations et tous les textes adoptés par l'Union européenne.
Parlant de la géométrie variable, on a demandé si des lignes directrices étaient envisageables ? L'oratrice estime que des lignes directrices devraient être communes à tous les pays. Les droits de l'homme sont en effet universels et indivisibles. Toutefois, nous demandons que ces accords d'associations et ces plans d'action « Politique de voisinage » prévoyent des mécanismes de mise en œuvre et d'évaluation de cette clause sur les droits de l'homme.
C'est un élément qu'on pourrait ajouter à cette résolution nº 3-1031 du Sénat. De tels mécanismes impliquent les parlements, tant nationaux qu'européens et la société civile. On avait l'espoir que ces plans d'action « Politique de voisinage » institueraient de tels mécanismes mais ce n'est pas le cas. Il n'y a pas de calendrier.
Il existe bien quelques objectifs à long et à moyen terme mais il n'y a pas de critères, pas d'évaluation, pas de mécanismes. Or, ce sont là des éléments clés pour tous les accords d'association et tous les plans d'action « Politique de voisinage ». La Commission européenne nous a dit que ces plans d'action ont été négociés à géométrie variable avec les pays qui souhaitent aller plus loin et moins avec d'autres. Si l'on peut aller plus loin avec certains pays, il faut le faire mais, encore une fois, une volonté politique est nécessaire de la part de l'Union européenne.
L'oratrice pense aussi qu'il faut être plus ferme. Elle regrette fortement que, dans le plan d'action avec Israel, on n'ait pas créé ce comité sur les droits de l'homme dont il avait pourtant été question quasiment jusqu'à la négociation finale. Or, cette mention a été retirée au dernier moment. L'Union européenne a manqué de fermeté sur cette question et cela a des répercussions très négatives sur les autres pays. Maintenant, la Tunisie traîne des pieds. Au Maroc, cela fait un an et demi que nous attendons la réunion du sous-comité. Seule la Jordanie a organisé une réunion. En Égype, il n'est plus question d'un sous-comité sur les droits de l'homme mais d'un dialogue politique. Cela aura aussi des répercussions négatives sur le Liban et, peut-être un jour, sur l'Algérie.
16. Audition de Mme Dorothée SCHMID, chercheuse à l'Institut français des relations internationales (IFRI)
16.1. Exposé introductif
Le partenariat euro-méditerranéen a été un sujet assez aride pendant très longtemps, car il était très communautaire. Il est en train de se repolitiser et de retrouver une sorte d'intérêt « grand public ». L'année 2005 est celle de la repolitisation du partenariat. On constate que tout concourt à cette repolitisation. Dans le même temps, on s'interroge sur ce qui va se passer à Barcelone et on se demande s'il en sortira des éléments purement politiques. La grande alternative consiste à savoir si les Européens vont enfin sortir un message d'intention clair ou s'ils vont « se défiler » parce qu'ils ne sont pas en mesure de porter ce message fort vis-à-vis de la région.
C'est donc un sujet assez technique qui nécessite un gros effort de clarification pédagogique.
Pourquoi cet intérêt pour la Méditerranée est-il en train de monter assez substantiellement ? On peut malheureusement dater ce regain d'intérêt au 11 septembre 2001. On s'intéresse de plus en plus à la Méditerranée parce que la relation euro-méditerranéenne est de plus en plus problématique, au point de confiner aujourd'hui au tragique, avec l'occurrence d'un certain nombre d'attentats terroristes sur le sol européen, avec très récemment la question de l'immigration qui a donné lieu à des événements d'une très grande violence, d'une grande cruauté, comme si brusquement la question sociétale sous-jacente devenait quasiment une cause de conflit. L'immigration est actuellement un sujet qui occasionne des morts.
Sur ce tableau très sombre, le problème consiste à dessiner des perspectives prometteuses.
Mme Schmid commence par tirer un bilan du partenariat qui essaiera d'être équilibré. Ce bilan ne doit pas seulement être critique, mais toutefois, il faut bien constater que les éléments positifs émanant du partenariat sont en quelque sorte sabordés par la politique de voisinage. C'est en tout cas un point de vue que l'on peut émettre.
Ensuite, Mme Schmid essayera de voir quels sont les défis majeurs auxquels le partenariat est confronté aujourd'hui, défis qui ne sont pas insignifiants.
Enfin, elle examinera avec quels acteurs il faudrait travailler pour arriver à surmonter ces problématiques très importantes.
Le bilan pourrait s'intituler « Dix ans d'insatisfaction ». Dans le document qu'elle a établi pour Ramses, qui est l'annuaire de relations internationales de l'IFRI, Mme Schmid a intitulé cette année son article « Un anniversaire sous surveillance ».
Voici dix ans qu'on travaille sur le partenariat de façon extensive; ce sujet n'a jamais fait la une des journaux. Mais voilà que cela devient plus important. Et cette année, on risque d'avoir pas mal de commentaires sur le partenariat.
L'échéance de 2010, qui était la seule date précisée dans la déclaration de Barcelone, se profile à l'horizon. On se rapproche donc du terme théorique du partenariat. On est dès lors fondé à établir un bilan même si on a beaucoup reculé.
Ce bilan est souvent très critique. Cela s'explique assez facilement si l'on procède en suivant les trois volets du partenariat. En effet, le premier volet a échoué d'emblée dans un certain nombre de grandes ambitions même s'il a quelque peu ressuscité sur de nouvelles questions. Il y a eu un échec de la sécurité collective, puisque la discussion sur la charte euro-méditerranéenne de sécurité n'a pas abouti et que la conflictualité est plutôt en croissance dans la région. Dans le deuxième volet, on peut considérer comme un échec la faiblesse des perspectives démocratiques dans la région. Globalement on ne peut pas dire qu'il y ait eu un effet d'entraînement ni dans les valeurs, ni dans les institutions des pays méditerranéens partenaires. Il n'y a pas eu l'effet d'osmose attendu.
Si le premier volet a malgré tout recommencé à fonctionner après le 11 septembre 2001, c'est dû à l'accroissement de la coopération sur des thèmes sécuritaires très cruciaux comme le terrorisme. Nous sommes entrés dans un cauchemar sécuritaire avec un renforcement des menaces alors qu'au commencement du partenariat, on tablait plutôt sur une évolution pacifique de la région. Barcelone s'est réinstallée dans des questions de sécurité hard plutôt que de sécurité soft.
Le deuxième volet du partenariat fonctionne en apparence. La Commission a sans doute donner une vision assez optimiste parce qu'elle est plutôt satisfaite du travail accompli au sens où elle a réussi à négocier des accords d'association avec pratiquement chacun des pays de la région et qu'elle travaille à conforter des accords de libre-échange Sud-Sud, quoique ce ne soit pas simple. Malgré tout, au vu des chiffres, les dix ans de partenariat ont plutôt renforcé la dissymétrie entre le Sud et le Nord de la Méditerranée et la dépendance du Sud vis-à-vis du Nord. Finalement on n'a pas beaucoup avancé dans l'objectif de réduction du fossé économique entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Au contraire, on a plutôt conforté les tendances antérieures.
Dans l'actualité récente, le démantèlement des quotas textiles a complètement démontré l'inanité de cette stratégie commerciale puisque tout ce qui avait été prévu pour la division méditerranéenne du travail a été mis à mal dans les pays du Maghreb et en Turquie en quelques mois. L'on s'aperçoit aujourd'hui que les avantages comparatifs sont désormais dans des domaines où les Européens n'ont aucune envie de lâcher du lest ou d'ouvrir leur marché. Cette évolution pourrait accréditer l'idée d'un agenda caché européen qui aurait été de maintenir la situation de dépendance Sud-Nord en Méditerranée.
Dans le troisième volet — social culturel et humain — on a longtemps hésité à aborder les sujets qui fâchent et particulièrement l'émigration. Ce volet n'a pas mal fonctionné pour ses aspects culturels mais à petite échelle et pas toujours avec les bons acteurs. Il y a tout de même eu un échec de la mobilisation de la société civile parce qu'on ne lui a pas fait confiance, ni au Nord, ni au Sud. Il n'est pas certain d'ailleurs que la Commission ait suffisamment cherché à travailler avec la société civile. Il est clair qu'au Sud, dans la mesure où les acteurs sont obligés de passer sous les fourches caudines de leur gouvernement, il est très difficile de participer librement à des programmes de coopération. En outre après le 11 septembre 2001, ce volet s'est, lui aussi, repolitisé avec le retour des thèmes sécuritaires et la coopération judiciaire et policière.
C'est une image quelque peu négative du partenariat. Mais ses atouts sont réels, ce qui explique son ancrage à l'extérieur de l'Europe. Il ne s'agit pas d'inertie, ni de difficultés à se réformer.
Dans le premier volet, un acquis très important est celui de la sociabilité euro-méditerranéenne. On organise de nombreuses rencontres et on parvient à réunir autour de la table les Israéliens et les Palestiniens notamment. On se voit dans un cadre purement européen dont nous avions réussi jusqu'à présent à exclure les Américains. Ce peut être un atout. On a pris la peine de développer un cadre de discussion politique autonome.
Le deuxième volet a permis un renforcement progressif de la discipline économique dans chaque pays du partenariat. Ce volet a certainement contribué aux réformes de fond et à la réforme du service public pour lui donner davantage d'efficacité. Tout cela fait partie d'un discours de modernisation des économies. C'est certainement le seul qui soit tenable dans la région; il est en tout cas en ligne et se renforce avec celui des autres bailleurs qui coopèrent avec la région.
Grâce au troisième volet, une ouverture culturelle assez importante est en cours. Nous avons en effet compris qu'il fallait essayer de prendre une perspective « antihutingtonniènne » en Méditerranée. Nous avons commencé à y travailler sérieusement avec la création de la fondation Anna Lindh et le lancement de l'assemblée parlementaire euro-med. Ces deux institutions ne sont pas de simples avancées symboliques.
À partir de ces éléments de bilan assez positifs, nous aurions pu continuer à travailler dans l'idée d'une amélioration à la marge et presque linéaire du partenariat, ou au moins dialectique en constatant le bon ou le mauvais fonctionnement. Finalement, nous avons fait tout autre chose, on a eu une sorte de clash des logiques. On a lancé la politique européenne de voisinage qui, à l'origine, ne concernait pas les pays partenaires méditerranéens. On a néanmoins décidé de les intégrer. Il est assez difficile de voir clair sur la question de la PEV par rapport au partenariat. La Commission elle-même n'y voit pas très clair pour le moment.
Il y a une sorte de tentative d'institution européenne pour nous convaincre que ces deux cadres se suivent logiquement, ou qu'ils sont compatibles, ou que le partenariat y a sa place, ou que le partenariat aurait été une sorte de préfiguration de la politique de voisinage, etc. En fait ce n'est pas clair, parce qu'à l'origine la politique de voisinage n'était pas du tout destinée aux pays méditerranéens. Il n'est donc pas du tout évident qu'elle réponde à leur problématique car elle va noyer la particularité de la Méditerranée dans un concept très large — un concept géographique qui dessine une très grande région. Par ailleurs, les relations seront bilatérales, on va essayer de standardiser les outils, et on dit en même temps que les relations seront très différentes avec chaque pays. Finalement, ce concept de voisinage qui propose essentiellement d'entrer dans le grand marché européen risque de ne pas correspondre aux pays, ni politiquement ni économiquement. Cela pourrait donc être un progrès pour les Européens dans la définition d'une sorte de culture commune des relations extérieures mais, pour la Méditerranée, cela pourrait plutôt apparaître comme une sorte de repli défensif. Les pays partenaires méditerranéens se rendent compte qu'en ce moment l'Union européenne traverse une crise qui n'est pas seulement institutionnelle mais qui est quand même politique et identitaire; c'est une crise de définition de soi et des buts à atteindre. Les institutions ne sont pas entendues sur la politique de voisinage, ce qui explique que le message sur le voisinage n'est pas clair à l'extérieur. Les États membres ont en quelque sorte relayé la Commission dans ce qu'elle avait tenté de faire de façon un peu autonome. Les négociations inter-institutionnelles se sont déroulées de manière assez conflictuelle.
En outre, le contexte méditerranéen change très vite aujourd'hui. Finalement, on s'aperçoit que les premiers plans d'action négociés évoluent assez rapidement par pays. L'idée était celle d'une différenciation. À la limite, cela pourrait aller avec le concept du voisinage au départ, mais on ne peut pas différencier en disant simplement que les premiers plans étaient mauvais et que, maintenant, la situation est meilleure. Cela reviendrait à dire qu'il faut revenir aux premiers plans d'action.
Actuellement, les pays méditerranéens, y compris les plus motivés d'entre eux, sont en train de réagir et de demander des comptes aux Européens sur le voisinage parce qu'on leur avait vendu le voisinage comme étant une amélioration par rapport au partenariat.
Quels sont les défis les plus urgents du partenariat ? Le premier, c'est précisément de définir cette place particulière des pays partenaires méditerranéens dans le voisinage. Sont-ils intéressés par la perspective du grand marché ? De façon très réaliste, si l'on s'intéresse aux critères économiques, un seul pays correspond à ces critères, à savoir l'Israël. Ce n'est pas forcément le pays emblématique du partenariat euro-med. Les aspects d'assistance et la lutte contre la pauvreté ne sont pas envisagés de façon très réaliste dans le voisinage.
Au point de vue politique, faut-il vraiment définir une perspective politique par pays ? Est-il très pertinent d'avoir toujours une perspective politique régionale en Méditerranée ? C'est une grande question que pose le voisinage. Dès le moment où nous entrons dans un dialogue politique bilatéral avec chacun des pays, cela permet d'avoir de petits arrangements en fonction de l'influence qu'a tel ou tel État membre dans tel ou tel pays. Ceci signifie que l'on entre dans des logiques de marchandage qui sont extrêmement différentes.
Quel levier a-t-on pour progresser dans la relation politique avec chacun de ces pays ? « Tout sauf les institutions » qui était le slogan du voisinage à l'origine dans les discours de Romano Prodi, est assez absurde. Finalement, qu'était le partenariat ? N'était-ce pas déjà un peu « tout sauf les institutions » ? Est-ce que ce ne sont pas précisément les institutions qui intéressent politiquement les pays partenaires méditerranéens aujourd'hui ? Que leur propose-t-on ? Comment pourrait-on les motiver politiquement ?
Enfin, si on réfléchit à cette logique ultime de la différenciation, donc de l'approche pays par pays, cela ne reviendrait-il pas, à terme, à se partager le travail avec d'autres acteurs extérieurs ? Cela voudrait dire que l'Union européenne continuerait à faire de l'assistance et du commerce et à s'occuper éventuellement de questions qui l'intéressent très directement, notamment celles relatives à l'émigration, et à laisser finalement tout le reste à d'autres acteurs, notamment aux États-Unis, qui se chargeraient de développer des perspectives politiques régionales, pertinentes et différentes en ayant les moyens de les mettre en œuvre.
Voilà en ce qui concerne le premier défi qui consiste à définir très clairement la place des pays partenaires méditerranéens dans le voisinage.
La deuxième question importante est celle de l'articulation du partenariat aux autres perspectives régionales européennes connexes.
Depuis le 11 septembre 2001, on s'aperçoit que la Méditerranée est en train de se diluer dans une vision géopolitique plus large. Elle est un peu remise en cause comme cadre d'action politique. Finalement, les Européens se demandent comment articuler le partenariat à d'autres cadres de négociations qui existaient déjà ou à d'autres ambitions régionales qu'ils pourraient développer. L'oratrice se réfère notamment aux pays du Golfe, aux négociations commerciales en cours avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et aux avancées assez difficiles de la Pesc dans un certain nombre de dossiers régionaux, notamment sur l'Irak ou sur l'Iran où nous avons quand même été très présents jusqu'à ce jour. En tout cas, offrir une sorte d'alternative à l'approche américaine qui n'était pas inintéressante. Dans la mesure où on dispose de tous ces éléments et qu'on essaie de les articuler, les institutions européennes tentent de développer des visions transversales. Il y a eu une tentative de rénovation d'une politique arabe avec un document commun de la présidence italienne et de la Commission sur un partenariat avec le monde arabe. Cela n'a pas eu de postérité mais, enfin, c'est quelque chose qui agite un certain nombre d'interlocuteurs régionaux. Le problème c'est qu'on n'a pas vraiment de vis-à-vis puisque la ligue arabe n'est pas forcément en état de dialoguer avec l'Union européenne sur le même pied.
Le partenariat stratégique Méditerrannée/Moyen-Orient est sorti au printemps 2004. Finalement, on a tendance à fantasmer sur un système qui constituerait une sorte de réponse à celui des Américains. On aurait envie d'avoir notre grande perspective élargie mais on ignore si le partenariat et l'endroit peuvent en être le cœur
L'oratrice précise que tous les États membres ne soutiennent pas cette ambition régionale qui irait au-delà de la Méditerranée. C'est notamment le cas de la France. On aurait tendance à privilégier les cadres de coopération sur lesquels on est certain d'avoir une influence assez directe, à savoir les cadres sous-régionaux. On défend beaucoup la Méditerranée, en particulier la Méditerranée occidentale.
Troisième grand défi: les dimensions conflictuelles dans le partenariat. On s'est rendu compte, en dix ans de partenariat, qu'il ne résout pas les conflits mais qu'il souffre beaucoup des conflits: le conflit israélo-palestinien a entravé l'avancée du partenariat dans pratiquement tous ses volets, notamment à partir de la deuxième intifada.
Par ailleurs, le climat de confiance euro-méditerranéen a probablement beaucoup souffert des retombées du conflit irakien. Enfin, aujourd'hui, on s'aperçoit que ces conflits ne sont plus seulement extérieurs mais qu'ils nous touchent de l'intérieur à travers des retombées très violentes comme le terrorisme sur le territoire des États membres ou la question des migrations.
Concernant ces perspectives de voisinage, on peut se demander s'il est réaliste aujourd'hui d'envisager avec les pays méditerranéens des coopérations renforcées dans un contexte de plus en plus conflictuel, alors que l'on n'a pas les moyens de résoudre ces conflits ou de peser sur leur évolution.
Pour donner un exemple très concret, l'IFRI vient de répondre à un appel d'offres lancé par la Commission en matière de conseil sur les nouvelles stratégies d'assistance dans le voisinage, pour la Méditerranée.
Dans la rubrique Risks and Assumptions — qu'est-ce qui pourrait nous empêcher de travailler — la réponse est très claire: un nouveau conflit ou un attentat terroriste majeur. Ce n'est pas forcément le cas pour toutes les régions et on n'aurait pas nécessairement répondu cela il y a cinq ans.
Dernier grand défi du partenariat: la capacité de cette politique d'assistance communautaire à déclencher ou à accompagner la réforme dans les pays partenaires.
Dans le cadre de Barcelone, les Européens se sont fondés sur un schéma d'ouverture politique régionale à partir de l'ouverture économique, sur un présupposé de libéralisations jumelles: dès lors que l'on allait exporter l'économie de marché, donc ouvrir l'économie, on aurait une espèce d'entraînement sur le marché politique, les consommateurs devenant des citoyens et réclamant davantage de liberté politique.
Cependant, cela n'a pas vraiment fonctionné de cette manière. On peut même se demander si cela n'a pas fonctionné à l'envers dans la mesure où les nouvelles coopérations financières euro-méditerranéennes ont permis aux élites politiques et économiques de renforcer leur position dans un certain nombre de pays.
En outre, les Européens n'ont pas beaucoup encouragé le fonctionnement de ce mécanisme lorsqu'il ne fonctionnait pas tout seul. L'échec de la conditionnalité dans le partenariat est assez flagrant, quel que soit le type ou le niveau de conditionnalité examiné.
En effet, on n'a pas nécessairement une grosse conditionnalité en matière des droits de l'homme, mais il y a également des conditionnalités macro-économiques assez précises dans l'assistance, avec de nombreuses petites réformes institutionnelles susceptibles d'être liées à la délivrance d'une assistance. Finalement, on n'a jamais fait jouer la notion de conditionnalité.
La question de la capacité des Européens à accompagner la réforme est encore posée par les Américains aujourd'hui, de manière très brutale.
Depuis la fin des hostilités majeures en Irak, les Américains se sont ralliés à une espèce de vision « gradualiste » des réformes dans la région mais il s'agit d'un « gradualisme » efficace. Les réformes doivent être progressives et doivent venir de l'intérieur tout en donnant des résultats le plus rapidement possible. Les Européens se trouvent en compétition avec le discours des Américains. Ils risquent d'être les dindons de la farce parce qu'ils deviennent de gentils bailleurs de fonds, qui donnent toujours de l'argent sans rien demander en échange.
La méthode n'est pas mauvaise dans des conditions de négociation pas trop conflictuelles mais les régimes méditerranéens sont devenus très susceptibles sur la question de la réforme. Ils sont capables d'inventer des réponses aux questions et de contourner les demandes. Il est de plus en plus difficile d'obtenir ce que l'on souhaite. On ne peut plus se payer de paroles.
Jadis, il n'était pas faux de dire que le fait de parler de démocratie dans la région était utile. Aujourd'hui, l'on peut se demander si le fait de parler de démocratie n'est pas en train de conforter un discours anti-démocratique. Finalement, l'on donne bonne conscience à des gens qui se prétendent démocrates alors que leur manière de gouverner reste fondamentalement inchangée.
Ce qui frappe dans tous ces défis, c'est leur urgence. L'Union européenne, qui traverse une crise de décision, n'est pas au mieux pour y répondre. Comment répondre à ces défis ? Sur ce point, Mme Schmid préfère mettre en avant une approche par partenaires. Il y a deux grandes pistes: la première grande ligne de division est une ligne transatlantique et la deuxième piste importante est celle de la responsabilité des pays partenaires. Enfin, les Européens doivent réfléchir à la manière dont ils travaillent entre eux.
Face à des problèmes très graves, il est assez naturel de chercher des partenaires quand les idées manquent. Le choix des partenaires de travail surdétermine les solutions, notamment dans le cas de la piste transatlantique.
Pourquoi réfléchir forcément avec les Américains ou contre les Américains ? Tout simplement parce que l'administration américaine intervient de plus en plus dans cette région où, depuis toujours, elle est l'acteur le plus puissant et le seul réellement important en réalité. Aujourd'hui, par rapport aux politiques européennes, le risque de nuisances est assez fort.
Les Américains sont en train de nous concurrencer, d'abord sur le terrain économique et commercial. Ils ont mis en place une politique de libéralisation commerciale accélérée qui consiste à négocier des accords de libre-échange avec chaque pays, sans perspective régionale pour l'instant. Cette politique mine complètement nos propres perspectives, sur le Golfe notamment.
Sur le plan diplomatique, ils sont de plus en plus présents, notamment au Maghreb, une région qui, auparavant, ne les intéressait guère. Cette forte présence américaine brouille l'image de l'Europe. Les partenaires méditerranéens différencient malaisément les approches américaines et européennes. De leur point de vue, finalement, tout cela ressemble à une sorte d'Occident un peu envahissant.
La confusion vient du manque de visibilité et de clarté des Européens. Mme Schmid donne un exemple: lors d'une conférence sur l'Union européenne, les États-Unis et les crises du Moyen-Orient, un participant libanais, assez ennuyé par la présence européenne, nous a dit « The Americans ? They make an offer that you can't refuse. The Europeans ? They make an offer that you can't understand ».
Cette boutade est géniale: elle résume tout. Dès que quelqu'un explique qu'il travaille sur les politiques européennes, l'interlocuteur, effaré, craint les complications et se demande quel est l'objectif précis. L'Europe ne fait pas peur, elle embarrasse ... Les Américains nous concurrencent, introduisent la confusion par rapport à nos projets politiques, mais si nous nous confrontons à eux, ils seront les plus forts. Il est donc urgent de reprendre langue avec eux, dans un cadre approprié, donc pas celui — trop européen — du G8 ni celui — trop militaire, avec des implications politiques fortes — du dialogue euro-méditerranéen de l'OTAN.
Idéalement, il faudrait parvenir à influencer leur politique, en coopérant avec eux, bien sûr. En effet, ils nous cherchent. À cet égard, Mme Schmid se réfère à une anecdote concernant la Commission . Dans le cadre d'une conférence consacrée aux programmes d'EuroMed Jeunesse, elle y avait comparé les perspectives américaine et européenne. Un collaborateur de la DG Culture a expliqué que le département d'État les avait sollicités pour connaître leur travail en matière de coopération avec la jeunesse et en matière culturelle. Des visioconférences ont été organisées et un bilan a été dressé par les Américains, qui n'ont plus donné signe de vie par la suite ... Qu'ont-ils fait ? Ils ont rédigé des rapports résumant les actions menées par les Européens, puis d'autres rapports concernant les actions à mener en matière de coopération. On constate que les Américains, en deux ans, ont réussi à produire plus de littérature que les Européens en dix ans ... Ces outils de travail sont parfois extrêmement utiles, mais le fait que le State Department travaille plus que nous sur ces sujets me préoccupe quelque peu.
Pouvons-nous proposer une solution alternative aux visions américaines ? Il faudrait, pour cela, disposer d'un capital de confiance ou, en tout cas, de non défiance dans la région, ce qui peut nous aider à être crédibles, notamment par rapport à la réforme. Le cas de l'autorité palestinienne pourrait constituer un bon exemple: on a obtenu de très bons résultats en matière de gestion financière du budget au sein de la Task Force on Palestinian Reform, qui ne serait rien sans la participation de l'Union européenne. En coordonnant ses efforts, on peut donc obtenir une certaine capacité de persuasion.
Une fois que l'on abandonne l'aspect transatlantique, la seconde piste est la piste du partenariat. Comment travailler, aujourd'hui, avec les pays partenaires méditerranéens ? C'est une question assez nouvelle car, pendant huit ou neuf ans, on a regretté l'implication des pays partenaires dans ce cadre, leur reprochant leur faible contribution, leurs maigres connaissances en matière de partenariat, leur manque d'intérêt ... Depuis deux ans, se produit un effet de rattrapage très marqué, à tel point qu'aujourd'hui, on nous demande des comptes.
Le problème est qu'il va falloir définir des intérêts communs. Si l'on raisonne de façon très objective, il n'est pas certain, étant donné ce qu'on leur propose, que les pays partenaires de la Méditerranée aient intérêt à s'entendre avec nous. Ils n'ont pas forcément envie de coopérer sur les questions politiques. Du point de vue économique, on leur présente des offres qui ne sont pas très satisfaisantes non plus. Les questions culturelles sont très secondaires à leurs yeux. Quant aux migrations, on leur demande quasiment de régler les problèmes à notre place. Ce ne sont pas forcément les éléments d'un bargaining qui les arrangent vraiment. La solution consiste à mener à terme le travail de responsabilisation des pays partenaires en leur demandant de nous transmettre leurs desiderata et en les écoutant attentivement. Les réactions même négatives à la politique de voisinage — je pense surtout à l'Égypte et à l'Algérie, qui ont été les premiers à ruer dans les brancards — constituent plutôt une bonne nouvelle. En effet, elles prouvent l'existence d'un intérêt nouveau de la part des pays partenaires de la Méditerranée. Il est possible qu'ils nous soumettent des idées de coopération; il faut qu'ils nous proposent des solutions. Ils peuvent, ne fût-ce que pour contrebalancer l'influence américaine, être demandeurs d'arrangements. Il faut en profiter.
La dernière piste importante est communautaire. Que partagent les Européens sur la Méditerranée ? Longtemps, cette question ne fut pas essentielle, dans la mesure où les États qui s'occupaient de la Méditerranée étaient essentiellement les États méditerranéens de l'Union européenne. Ce n'est plus forcément vrai. Nous avons connu récemment beaucoup de présidences non méditerranéennes très présentes sur la Méditerranée. Aujourd'hui, le risque d'un clash des priorités entre les différents États membres n'est pas négligeable. Il est donc urgent de redéfinir la somme de nos intérêts communs dans la région, si l'on veut faire du partenariat une véritable politique européenne.
Pour ce faire, le contexte n'est pas tellement favorable puisque la cohérence de la politique extérieure de l'Union est plutôt en baisse. Il faut au minimum que les États membres se mettent d'accord pour éviter les mouvements centrifuges dans le partenariat. Les bonnes relations que nous avons dans cette région risquent d'être galvaudées.
En outre, nous ne sommes pas suffisamment innovants sur le plan politique. Peut-être parce que les États membres qui verrouillent encore le discours méditerranéen sont toujours dans une sorte de rapport post-colonial.
Pourquoi les pays moins audacieux seraient-ils ceux qui verrouillent le discours méditerranéen de l'Union ? Il faut être plus inventif sur le message politique et sur les méthodes de réforme, en sachant que cette réflexion que nous aurons ensemble est performative, autrement dit, elle emporte en soi la réforme. Ainsi, ouvrir le dialogue sur les questions démocratiques, par exemple avec les Français qui ont une sorte de répugnance à réfléchir sur ces questions dans la région, pourrait emporter la réforme. De même, ouvrir le dialogue avec les partenaires méditerranéens est aussi performatif. On s'appuie sur un capital de confiance, renforcé par la discussion.
Il appartient donc aux Européens de se prononcer sur les quatre points cités, alors que nous aurons peut-être seulement deux ou trois points communs de réflexion avec les autres acteurs. Or, les quatre points nous intéressent au premier chef.
Quels sont les grands domaines de coopération en vue où les Européens ont leur mot à dire avant tout le monde ?
On peut reprendre les éléments principaux de la dernière communication de la Commission sur le partenariat.
Tout d'abord, l'éducation où nous sommes peut-être en partie responsables du repli des systèmes d'éducation, dans la mesure où le legs colonial n'a pas forcément assuré à ces pays une transition vers la modernité.
Ensuite, les questions de démocratisation et de société civile car il existe malgré tout une logique de diffusion, à travers cette proximité géographique bien réelle. Les sociétés s'interpénètrent, notamment par les réseaux de migrants qui permettent le passage de certains messages et valeurs.
Il va falloir se mettre au travail et discuter de solutions concrètes.
En ce qui concerne la politisation du partenariat, il est un fait que cette région représente un enjeu économique assez faible pour l'Europe mais, à rebours, l'économie doit jouer un rôle politique majeur en Méditerranée. Nous ne devons pas nous détourner du discours économique — c'est pratiquement le seul véritable outil dont nous disposions en Méditerranée. C'est pourquoi la question de la « conditionnalité » économique est importante. Nous sommes, me semble-t-il, parvenus à un point de déblocage historique sur la question de la réforme. Il y a très longtemps que l'on ne percevait pas de vrais indicateurs de mouvement dans la région.
Par ailleurs, il faut cesser de penser ou de feindre de penser que l'Union européenne fascine suffisamment les pays partenaires méditerranéens pour leur donner envie de suivre d'emblée le modèle européen. S'ils connaissent mieux l'Europe aujourd'hui, un certain nombre de pays méditerranéens connaissent aussi mieux ses faiblesses. L'Europe se trouve dans une phase de faiblesse historique. L'épisode du dialogue avec la Turquie l'a bien montré. Nous avons assisté à une espèce de retournement de l'opinion publique turque. De nombreux décideurs turcs se demandent si finalement cela intéresse encore la Turquie d'entrer dans l'Union européenne. Cette question ne se posait aucunement il y a encore trois ou quatre mois, lorsque l'obsession était d'entrer en négociation à tout prix.
En revanche, il est parfaitement légitime qu'on aits encore une ambition régionale puisque l'échelle européenne est probablement la seule suffisamment vaste pour traiter ces questions et qu'on a quand même une réelle expertise régionale. Nous pouvons encore persuader en discutant. Il est donc urgent de rétablir ou d'améliorer le contact avec ces pays.
Le sommet de Barcelone sera évidemment un symbole politique important mais il ne faudrait pas qu'il se résume à une opération de communication. C'est ce que les Français craignent beaucoup, peut-être parce qu'ils ont le sentiment d'avoir été écartés de la préparation de ce sommet et de ne pas être forcément sur la même ligne que la présidence britannique ou les Espagnols.
L'oratrice ne peut adhérer au discours messianique américain, qui est presque néocolonialiste puisqu'il met en avant des valeurs pour ensuite les universaliser et finalement dire que ces pays ne se rendent pas compte que ces valeurs sont universelles car ils n'ont pas les moyens de s'en rendre compte. C'est un discours de domination Nord-Sud extrêmement fort.
L'oratrice ne peut pas non plus adhérer à cette espèce de fausseté démocratique rassurante des régimes autoritaires qui, actuellement, sont en train de développer des trésors de persuasion pour nous faire croire qu'ils démocratisent. Nous ne pouvons adhérer à ce replâtrage constant. En juillet, l'oratrice est intervenue devant le Parlement européen, peu avant les élections en Égypte, alors que tout le monde spéculait sur l'ouverture du champ politique égyptien, cette sorte de rattrapage démocratique extraordinaire, cet intérêt renouvelé de l'électorat égyptien pour les questions de la démocratie. Le résultat a été à la hauteur des espérances du régime et, finalement, on n'a pas tellement avancé par rapport à toutes les élections antérieures dans la région.
16.2. Échange de vues
Mme Annane souhaiterait revenir sur l'échec du volet politique.
Au départ, le partenariat est parti d'un schéma libéral, et de la réussite du volet économique qui entraîne toutes les réformes politiques nécessaires.
Finalement, l'échec du volet politique ne s'explique-t-il pas par une absence de pilote ? Le volet économique est piloté par la commission. Il est clair que ce n'est pas une grande réussite mais des progrès sont cependant mesurables. En revanche, on se demande qui dirige le volet politique.
Mme Zrihen estime que jusqu'à présent, on a entendu beaucoup de paroles et d'analyses toutes faites. On voyait immédiatement où l'orateur voulait en venir. Certains appellent cela une prudence de Sioux. Elle l'appelle la langue de bois.
Sa collègue pose la question du pilotage des volets économique et politique. Cette zone comprend beaucoup d'instruments comme l'Union africaine, l'assemblée parlementaire, la volonté de créer une banque intra-africaine.
Mme Schmid pense-t-telle que ces trois instruments pourraient être des outils permettant à la fois de retrouver une certaine autonomie d'action et de pensée, pour atteindre une zone où une intégration régionale pourrait se développer, non seulement parce qu'elle serait fondée sur une base économique, mais aussi parce qu'elle correspondrait à une analyse politique, économique et géopolitique de la zone ? Ou faut-il inventer d'autres instruments ?
L'oratrice se réfère à l'exposé sur les droits de l'homme. Il est clair que tant que cet article 2 n'est pas mis en place, une partie de la société ne s'exprime pas et on a une répétition des structures.
Au cours de ses voyages en Afrique, elle a toujours été fascinée par la capacité et la compétence que les ONG pouvaient avoir pour intégrer toutes leurs conditionnalités. Ces ONG étaient tout à fait brillantes lorsqu'elles parlaient aux bailleurs de fonds de tout ce qu'il fallait faire. Elles avaient très bien compris quelles étaient nos attentes et de quelle manière elles pouvaient entrer dans un rapport psychologique tout à fait aimable.
Mme Schmid a-t-elle l'impression que l'on se trouve dans ce type de dispositif ou plutôt des perspectives avec le pilotage d'une intelligentsia éclairée ? Y a-t-il des pilotes possibles dans l'avion ?
M. Roelandts du Vivier a beaucoup apprécié l'approche de Mme Schmid. Il se demande toutefois si elle n'a pas omis d'évoquer l'ambiguïté pouvant exister entre une approche dite de voisinage euro-méditerranéenne et, par ailleurs, euro-arabe ? Il n'y a pas nécessairement de complémentarité ou de clarification sur ce débat pour l'instant. Cela gêne tant le dialogue euro-arabe que le processus euro-Med.
Un autre aspect est l'Union africaine. On s'aperçoit que le monde arabe, en tout cas celui de la façade sud de la Méditerranée, adopte aujourd'hui un comportement nouveau vis-à-vis de l'Afrique et de l'Union africaine. Il s'est déjà présenté à différentes reprises comme étant un interlocuteur dans les rapports entre l'Afrique et l'Europe et pas seulement en tant que partenaire rive sud de la région euro-méditerranéenne.
Il y a peut-être eu un manque d'anticipation de la part des Européens qui n'ont pas vu ce phénomène, annoncé au moment de la création de l'Union africaine, c'est-à-dire au passage de l'OUA vers cette dernière. Cela se précise de plus en plus dans des enjeux internationaux qui ne sont pas seulement euro-méditerranéens mais beaucoup plus larges.
Il est frappant de constater que les Européens avaient une défiance totale par rapport au monde arabe dans le dialogue qu'ils prétendaient engager.
Ils ont entrepris des processus auxquels ils ne croyaient pas. Ils ont pris des initiatives multiples dans le cadre des accords universitaires, des accords de ville, des accords industriels. Ensuite, on a décidé unilatéralement que cela ne fonctionnait pas et tout a été stoppé. On s'est alors aperçu que cette manière d'agir engendrait chez nos partenaires une fameuse dose de méfiance vis-à-vis de ces Européens inconséquents. Il y avait une incohérence qui n'était pas seulement politique, mais qui était aussi due à la défiance des fonctionnaires européens chargés de ces dossiers: défiance vis-à-vis de la société civile arabe, défiance vis-à-vis de la société civile européenne qui se liguait avec les Arabes à certains moments quant à l'interpellation de l'Union européenne. On a même supprimé pour un temps le Forum euro-méditerranéen, qu'on vient de recréer.
Ne sont-ce pas là une série de faits objectifs qui ont largement provoqué l'échec du processus de Barcelone et ont donc ouvert la porte à une réflexion alternative de la part des gens du pourtour méditerranéen, réflexion portée vers l'Afrique et les États-Unis ?
Ces derniers se présentent tantôt comme OTAN tantôt comme États-Unis; ils ont à offrir des bases militaires importantes. Or, dans les pays concernés, les militaires ont beaucoup à dire, ce qui engendre des problèmes.
Mme Schmid répond que pour en revenir à l'échec du volet politique, au fait qu'il n'y a pas de pilote de la réforme, tout son travail académique de fond montre que le partenariat formait une politique étrangère alternative à un moment où la PESC était en panne et où l'on cherchait à faire de la politique par d'autres moyens. Cela passait donc par des mécanismes communautaires: c'est la Commission qui était le pilote des réformes politiques. Elle se sent d'ailleurs le pilote des réformes. Cela ressort notamment lorsqu'on discute avec les personnes d'Europaid. C'est du reste peut-être un problème qu'elle ait ce sentiment d'être le pilote des réformes politiques car elle a une appréciation du champ politique local qui est extrêmement différente de celle de nombreux autres acteurs. Elle a tendance a être assez optimiste, de bonne foi. Elle a un défaut d'appréciation car l'information remonte malaisément et les fonctionnaires de la Commission ne sont pas forcément armés pour travailler sur des questions politiques. En réalité, ils ne sont pas capables d'accompagner ce mouvement de politisation de l'assistance, ne serait-ce qu'en imposant sérieusement dans les programmes des conditionnalités institutionnelles de participation de la société civile.
L'optimisme réel de la Commission est étonnant. L'oratrice a discuté avec une fonctionnaire de la Commission qui travaillait sur le Maghreb, concernant les conditionnalités qui fonctionnaient selon elle très bien au Maroc. D'ailleurs, pour elle, le Maroc est une démocratie et la Turquie, une dictature militaire. Lorsque l'oratrice lui a demandé si elle estimait que les élections étaient pleinement transparentes au Maroc, elle a renvoyeé la question: les élections sont-elles libres et transparentes en France ou en Italie ?
La question est donc de savoir si la Commission est bien qualifiée pour assurer le rôle de pilote politique du partenariat. Les États membres ont d'ailleurs fini par s'en rendre compte en cours de route. Si l'on travaille sur les rapports entre la Commission et le Conseil, on s'aperçoit que dans tous les champs d'interférence entre la PESC et les compétences communautaires — donc économiques — il y a eu des guérillas inter-institutionnelles.
Le problème est le suivant: quand les États membres deviennent le pilote politique, les résultats ne sont pas meilleurs que quand la commission dirige, jusqu'à présent en tout cas. Les États membres qui maîtrisaient un peu les questions euroméditerranéennes, c'est-à-dire qui définissaient un peu les inflexions des partenariats ou qui s'intéressaient tout simplement à ces derniers, n'étaient pas forcément sur la ligne de la démocratisation et du changement. Ils avaient plutôt tendance à favoriser le statu quo. Nous avons donc eu des pilotes politiques par défaut, qui n'étaient pas favorables à la réforme et qui n'allaient pas dans le sens du projet initial tel qu'il avait été conçu par des fonctionnaires de la Commission plutôt inventifs et intelligents mais qui n'avaient pas pensé à sa diffusion ultérieure dans le travail quotidien de la commission.
Peut-on trouver un pilote ? Un débat doit avoir lieu entre les États membres sur ces questions méditerranéennes. En France, cela pose problème. Le transatlantique est actuellement la grande ligne de partage, parce que les Américains sont leaders sur ces questions. On se contente de les suivre, d'approuver ou non ce qu'ils font, et on en reste là sans rien faire. Nous sommes donc dans une situation de clash au sein de l'Union européenne sur ces questions. Le problème doit être résolu, mais l'expérience de l'Irak n'incite pas à penser favorablement sur ce point.
Les pays africains du partenariat ont des ambitions africaines. Dans la mesure où l'oratrice travaille plutôt sur les aspects Nord-Sud, elle a tendance à dissocier complètement les deux intérêts. Il faut raisonner sur le développement du continent africain dans son ensemble.
Le partenariat est actuellement dominé par des questions sécuritaires urgentes qui n'ont rien à voir avec l'Afrique subsharienne. Une chose intéressante dans l'idée du voisinage est la séparation des priorités. La division du sommet de Barcelone en trois volets n'est plus pertinente, si elle l'a jamais été car c'était une méthode de travail un peu artificielle. Il est possible qu'aujourd'hui, on doive effectivement avoir des coopérations variables sur différents types de priorités. Mais il faut réfléchir aux questions politiques et stratégiques avec le Moyen-Orient au sens très large, c'est-à-dire y compris l'Iran, l'Afghanistan et l'Asie centrale.
Le discours africain des pays du Maghreb ou de l'Égypte semble un discours de puissance mais il ne génère pas de l'entente ou de la coopération à terme. C'est aussi un discours de valorisation vis-à-vis des Européens qui consiste à dire: « Moi je suis potentiellement une puissance africaine ». Cela semble assez clair pour l'Égypte, le Maroc et la Lybie, laquelle n'est pas encore dans le partenariat. L'oratrice ne sait pas si, selon ces États, c'est un vrai discours
En ce qui concerne la compétence des ONG à intégrer nos conditionnalités et à avoir ce rapport civilisé avec le bailleur, nous n'en sommes pas encore là dans la région. Y aura-t-il une évolution vers ce type de rapport ? C'est le grand enjeu.
Les choses vont-elles évoluer ? Cela dépend probablement des interlocuteurs et des ONG que l'on choisit. Si on a réussi à écarter pendant aussi longtemps la société civile de la mise en œuvre du partenariat, c'est parce qu'il y avait un potentiel politique très subversif dans la participation de la société civile probablement lié à deux causes.
La première, c'est que, pendant très longtemps, la société civile a été dominée et extrêmement encadrée dans le paysage politique de ces pays. Elle était effectivement un opposant en soi. Elle s'entendait mal avec les gouvernements et, par conséquent, il ne fallait pas l'autoriser à faire ce qu'elle avait envie de faire. C'était une dissidence.
La deuxième raison, c'est que, dans les pays arabo-musulmans — on exclut donc Israël du discours —, il y a une société civile islamique et une société civile laïque. Cela a également été un point assez latent pendant très longtemps et, depuis un an, cela devient une fixation. Faut-il ou non travailler avec les ONG islamistes ? En ce moment, c'est le premier point auquel la Commission réfléchit. Certains chercheurs disent que la Commission a intentionnellement exclu les ONG islamistes de tous les programmes de coopération. Ce n'est pas ce qu'il fallait faire parce que c'était le seul relais que nous avions vers la vraie société.
Il n'est pas sûre que la Commission ait sciemment agi de cette manière dans ces pays. Ce problème s'est posé de façon très aiguë dans les territoires palestiniens et pourrait également se poser au Liban. Dans les pays du Maghreb comme, par exemple, le Maroc, la situation est beaucoup plus ambiguë. On a aussi une société civile islamiste qui s'est auto-exclue des programmes européens parce que ceux-ci ne collaient pas avec son programme politique et avec son image. On ne compte certainement pas le faire avec les Américains et, avec les Européens, on réfléchit. Finalement, cette société civile islamiste montre une sorte de résistance à entrer dans le dialogue avec les Européens. La société civile et les ONG restent, malgré tout, une sorte de réservoir de vérité du partenariat Euromed.
Y a-t-il une intelligentsia éclairée ? On est de plus en plus déçu par l'intelligentsia éclairée au fur et à mesure des échanges démocratiques qui se produisent. C'était notamment le cas, au printemps, pour le Liban ou même pour les Jiites cet été. Il y a eu quand même beaucoup de battage et de débats avant les élections qui, finalement, ont accouché d'une souris dans les deux cas.
La troisième question concernait la défiance des Européens vis-à-vis du monde arabe. Il est tout à fait vrai que deux attitudes se côtoient vis-à-vis de cette région.
Il y a une sorte de paternalisme orientaliste assez complaisant qui veut perpétuer une vision d'un monde dans lequel les Européens assument une fonction un peu civilisatrice, mais dans une région dont les ressources culturelles sont telles qu'il faut les prendre dans le bon sens. Finalement, la Méditerranée, c'est la mer de toutes les civilisations. Ils l'ont un peu oublié, mais nous avons repris le flambeau et, finalement, nous avons des bases pour nous entendre sur cette question. On assiste donc à une sorte de paternalisme.
L'autre attitude consiste à dire qu'il n'y a que des conflits dans cet endroit, qu'on ne sait jamais où ils vont éclater, qu'on ne pourra jamais s'entendre avec ce monde. C'est la vision « huntingtonienne » de la région.
Ces deux visions ont en commun le fait qu'elles ne sont pas très pragmatiques. Quand l'oratrice parle de dialogue avec les pays méditerranéens, cela implique aussi, notamment, d'arriver à intégrer l'usage de l'arabe dans les processus. C'est pourquoi, l'année dernière, Romesco s'est attelé à la traduction de la Déclaration de Barcelone en arabe. C'est extraordinaire.
L'oratrice espère que les Israéliens l'ont fait également, ainsi que les Turcs. Cela montre qu'il n'est pas aisé de trouver des instruments de communication communs.
Les gens qui visitent les délégations de la Commission dans ces pays sont frappés par un syndrome de bunkerisation: ces délégations se trouvent toujours dans des quartiers extrêmement excentrés, d'accès très malaisé. Par ailleurs, il est très difficile de rencontrer les fonctionnaires, ils craignent de s'exprimer et donnent le sentiment de connaître moins bien le pays que certains touristes car ils sont très attentifs à tout ce qu'ils disent sur le pays. Ils possèdent beaucoup d'informations mais mesurent chacune de leurs paroles. Ils ont un rapport extrêmement étrange à leur environnement.
Il est intéressant de constater que pendant très longtemps, les Européens ont suscité les mêmes interrogations. En 2002, l'oratrice a assuré une mission à Rabat et lorsqu'elle posait des questions, les fonctionnaires de la Commission et les fonctionnaires du ministère marocain des Affaires étrangères lui donnaient des explications totalement divergentes. L'oratrice croit pourtant qu'ils étaient de bonne foi des deux côtés: chacun avait le sentiment d'être totalement floué par l'autre. Il n'y avait pas de manipulation et il ne s'agissait pas de rejeter la faute sur l'autre.
La situation est en train de progresser, pas nécessairement grâce aux Européens, mais grâce aux pays partenaires. La déconcentration des services n'explique pas que les Européens soient plus à l'aise dans la réalité méditerranéenne, pas plus que le fait que cette déconcentration des services n'ait pas encore donné tous ses effets: en réalité, ce sont les Méditerranéens qui sont plus à l'aise avec les procédures européennes.
17. Audition de S.E.M. Oguz Demiralp, ambassadeur, délégué permanent de la République de Turquie auprès de l'Union européenne
17.1. Exposé introductif
Le processus de Barcelone — c'est-à-dire le partenariat euro-méditerranéen — est un élément important de la politique extérieure de la Turquie. La Méditerranée représente la moitié de l'Europe, mais est aussi plus que l'Europe. Entre l'Europe et la Méditerranée, il y a une relation de complémentarité. En effet, lorsqu'on parle de la prospérité, de la stabilité, de la sécurité en Europe, on ne peut pas faire abstraction de ces éléments dans l'ensemble du bassin méditerranéen. Il y a là un lien vital, d'où découle la nécessité de la création du processus de Barcelone. Cette décision est bien fondée et sage mais ce processus, qui a commencé voici près de dix ans, a fait objet de plaintes concernant son rythme. Dans l'analyse de cette situation, il faut tenir compte du fait que le bassin méditerranéen n'est pas une zone homogène mais une juxtaposition de plusieurs régions. Entre les divers pays de ce bassin, on constate des différences mais aussi des différends, parfois même des problèmes graves.
Cela explique la lenteur du processus de Barcelone. Mais les objectifs sont bien fixés, la route est bien déterminée, l'orientation est bonne.
Malgré cette lenteur, des progrès sont enregistrés. Pour la Turquie, ces progrès sont considérables. En effet, tout d'abord, on a pu élaborer une charte qui lie les pays du bassin méditerranéen autour de valeurs communes. C'est important. Cette charte traite de la paix et de la stabilité. On a pu aussi récemment établir une assemblée parlementaire du processus, ce qui a ouvert la voie du dialogue entre les représentants des peuples de ce bassin. C'est un début très important. Nous pensons que ce processus parlementaire a bien commencé. Des commissions ont été formées, la Turquie est très active dans la plupart de ces commissions. La présidente de notre groupe euro-med est jeune et active et sa contribution y est très importante.
En outre un Fonds FEMIP a aussi été constitué. La Turquie bénéficie de ce fonds. C'est un fonds important pour le développement de la région. Un autre succès du processus est l'établissement de la Fondation Anna Lindh. Le bassin euro-méditerranéen est en effet le berceau des civilisations mais aussi un foyer de division entre les cultures. Cette Fondation est le forum idéal pour réconcilier les différentes cultures qui existent depuis toujours dans le bassin méditerranéen.
Cette fondation est une réalisation très importante pour faire face à la menace culturelle au niveau mondial. Pour éviter ce qu'on appelle les clash of civilisations et harmoniser les cultures, des forums sont nécessaires. C'est le but essentiel de cette fondation, et nous sommes très heureux qu'elle ait vu le jour.
L'un des buts principaux du processus est d'établir une zone d'échange libre dans le bassin méditerranéen. En effet, le commerce rapproche les communautés et les êtres humains. Un long chemin a été fait dans ce sens. L'orateur pense notamment à la création du forum des ministres du commerce. Des progrès considérables sont enregistrés dans ce domaine.
Il faut également souligner la politique de voisinage menée par l'Union européenne. Celle-ci a conscience du fait qu'elle ne peut s'isoler des régions voisines. Elle a voulu projeter ses valeurs et étendre son champ de coopération aux régions adjacentes en menant une politique de voisinage. Nous soutenons cette dernière non seulement dans le bassin méditerranéen mais aussi dans la région du Caucase. Cette politique de voisinage est basée sur des plans d'action taillés sur mesure pour chaque pays. Elle constitue donc un outil très important pour renforcer le processus.
La Turquie est active depuis le début dans tous les domaines du processus. Nous pensons qu'un secrétariat du partenariat devrait être mis en place afin que le processus puisse se développer davantage. Le problème central du processus est un problème d'appartenance. Plusieurs pays ont tendance à considérer le processus de Barcelone comme une extension de l'Union européenne. Ils doivent au contraire comprendre que ce processus leur appartient, de même qu'à tous les pays du bassin méditerranéen. Un secrétariat du partenariat formé par tous les États contribuerait à faire progresser le processus. Le prochain sommet qui se tiendra fin novembre 2005 serait une excellente opportunité pour le créer. Le processus est très important pour la paix, la stabilité et la prospérité de l'Europe et du bassin méditerranéen, deux régions complémentaires que l'on ne peut séparer.
17.2. Échange de vues
Mme Zrihen est extrêmement sensible à la remarque qui consiste à dire que le processus de Barcelone n'est pas une extension d'institution européenne, mais qu'il doit faire l'objet d'une réelle appartenance et être pris comme un instrument de cette intégration régionale. L'assemblée parlementaire peut-il y contribuer ? Cette assemblée est-elle adéquate ou devrait-elle correspondre aux différentes sensibilités nationales ?
Comment l'ambassadeur réagit-il par rapport à la politique de voisinage telle qu'elle est évoquée régulièrement qui a été et reste peut-être quelque peu inquiétante pour le développement du partenariat euro-méditerranéen ?
Y a-t-il une contradiction entre la politique de voisinage et le processus de Barcelone ou bien complémentarité ?
Enfin, la position de la Turquie au niveau de l'Union européenne est parfois difficile même si, dans l'ensemble, c'est avec un regard très ouvert que l'intégration de la Turquie peut se voir. Quelle est la capacité que l'ambassadeur peut donner à la Turquie, du fait de sa position au confluent de l'Europe et de ces pays, de piloter de manière plus dynamique ce partenariat euromed ?
L'ambassadeur répond que l'assemblée parlementaire doit jouer un rôle fondamental afin de rencontrer les objectifs du processus. Le dialogue entre les femmes et les hommes politiques est très important en la matière.
La politique de voisinage est effectivement bien pensée, mais il faudrait encore un peu de temps pour voir si celle-ci porte ses fruits. Des négociations ont été entamées avec des pays qui ont des sensibilités différentes de celles des pays d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Ce sont des pays qui ont leurs propres traditions. Il faut donc encore un peu de patience pour voir quels seront les résultats de cette politique de voisinage qui, de manière générale, va dans la bonne direction. En fin de compte, il s'agit de fixer des objectifs communs et de faire avancer le processus sur des valeurs communes, ce qui n'est pas toujours évident.
Le différend existant entre Israël et la Palestine constitue réellement une pomme de discorde dans la région. Si l'on parvenait à apaiser les sensibilités en la matière, on permettrait à cette région de connaître un véritable progrès.
La Turquie participe au processus de Barcelone en qualité de pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Elle a de nombreux liens avec les acteurs du bassin méditerranéen, de l'Union européenne, avec Israël et avec les pays arabes. Elle est donc susceptible de jouer un rôle important dans ce processus. Elle essaie de le faire mais les circonstances ne lui sont pas toujours favorables.
M. Roelandts du Vivier fait observer que la Turquie est engagée dans des négociations en vue de son adhésion à l'Union européenne. Chacun sait que ces négociations dureront plusieurs années. Une réunion doit avoir lieu fin novembre pour renouveler et dynamiser le processus de Barcelone. Les effets de cette impulsion s'étaleront sur plusieurs années. La Turquie compte-t-elle utiliser ce laps de temps pour jouer un rôle dynamique dans le processus de Barcelone, ce qui pourra d'ailleurs être considéré par les Vingt-cinq comme une contribution à des progrès dans la région, notamment en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, compte tenu des bonnes relations que la Turquie entretient avec toutes les parties ?
L'ambassadeur répond que c'est une des raisons pour lesquelles nous allons proposer l'établissement de ce secrétariat commun. En effet, eu égard à sa situation, au nord de la mer Méditerranée, la Turquie se considère comme un pays européen, mais elle estime que cela ne divise pas le bassin méditerranéen, au contraire. Compte tenu de son passé, de ses traditions, de ses liens avec les pays du Sud, elle pourrait démontrer qu'il y a non pas une scission entre le Nord et le Sud, mais une continuité, une complémentarité. Ce sera la position qu'adoptera la Turquie pour inciter tous les pays méditerranéens à se rassembler autour des mêmes valeurs et des mêmes objectifs. Il importe d'éviter que se développe une pensée en termes de division du Nord et du Sud et d'encourager la pensée en termes de continuité entre le Nord et le Sud.
M. Roelandts du Vivier fait remarquer que Chypre symbolise bien cette pensée, qui se situe à 80 kilomètres du Liban, dans une région de la Méditerranée qui est plus proche du Moyen-Orient que de l'Europe traditionnelle.
L'ambassadeur répond que Chypre qui, à l'ONU, siège dans le groupe asiatique et non dans le groupe européen, pourrait aussi jouer un rôle très important. Pour cela, Chypre doit intégrer la communauté turco-cypriote en son sein. En devenant un pays binational, à la fois grec et turc, Chypre pourrait jouer un rôle important. Actuellement, il ne croit pas que Chypre soit disposée à jouer ce rôle mais son potentiel est important pour autant, je le répète, qu'elle règle son propre problème.
M. Roelandts du Vivier est convaincu que la Turquie fera preuve de bonne volonté politique dans ce domaine. Chypre faisant partie de l'Union européenne, cette question nous préoccupe tous.
L'ambassadeur répond que la bonne volonté de la Turquie ne fait aucun doute. Il a encouragé le plan de Koffi Annan. La partie turco-cypriote a approuvé ce plan. Hélas, les amis cypriotes grecs l'ont rejeté. La Turquie est prête à relancer les négociations. Il s'est entretenu avec l'ensemble des pays concernés et a approché le Secrétaire général pour qu'il lance le processus. Toutefois, les amis cypriotes grecs l'empêchent de résoudre ce problème, qui est en train de devenir un casse-tête mental pour l'Europe dans un proche avenir.
M. Roelandts du Vivier estime qu'il est vrai qu'il y a eu pendant longtemps un blocage de l'autre côté. Il espère que la situation se débloquera rapidement. L'audition ne portait pas spécifiquement sur le dossier de Chypre. Il était très important que la Turquie participe à cet exercice. Il sera prolongé en faisant des recommandations à notre gouvernement.
18. Audition de M. Didier Donfut, secrétaire d'État aux Affaires européennes
Voici dix ans, à Barcelone, la mise en œuvre du processus était un élément tout à fait novateur et dynamique entre les quinze États membres de l'Union à l'époque et les douze pays de la région méditerranéenne: Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et l'Autorité palestienne. Il faut remarquer que les États-Unis participaient au sommet en tant qu'observateurs.
Le partenariat lancé entre l'Union européenne et ces pays comporte trois dimensions: politique et sécurité, économie et finance, coopération en matière socioculturelle.
L'objectif du processus est la création d'une zone de stabilité et de bien-être dans cette région de la Méditerranée par la conclusion d'accords d'association. Cette technique commence à faire ses preuves, même si les différents accords donnent chaque fois lieu à un travail de réflexion relativement important entre l'Union et ces différents pays.
Tous ces pays ont conclu des accords d'association. Le dernier en date a été conclu avec la Syrie. Il a été paraphé le 19 octobre 2004 et nous attendons sa signature sous peu.
Il y a dix ans Javier Solana, alors ministre espagnol des Affaires étrangères, plaçait beaucoup d'espoir dans cette démarche. Il s'agissait de prévenir le « clash des civilisations » et d'enterrer pas mal de malentendus, parfois vieux de plusieurs siècles, entre voisins. Cette conférence coïncidait avec le 900e anniversaire de la première croisade. Tout est dans le symbole, rien que dans le symbole mais cela aide, d'une manière globale, à la réflexion.
Quelle évaluation va-t-on faire, dix ans plus tard, de ce processus de Barcelone ?
Pour préparer le travail, on a fait appel a deux institutions indépendantes de recherche: FEMISE et EUROMESCO, qui ont été invitées dès 2004 à faire une évaluation des dix ans d'existence du processus de Barcelone.
Cette évaluation a donné lieu à deux rapports qui sont à notre disposition depuis février 2005.
Le rapport FEMISE souligne trois aspects fondamentaux du partenariat euro-méditerranéen:
1. La politique européenne de voisinage ne peut pas affaiblir le processus de Barcelone mais doit au contraire le renforcer;
2. L'importance de l'intégration Sud-Sud;
3. L'ancrage des réformes dans les benchmarks de l'Union européenne, ce qui est important dans le cadre de l'harmonisation avec l'acquis communautaire de l'Union européenne.
FEMISE propose une vision de l'avenir du processus de Barcelone sur la base des quatre axes suivants:
1. Diminution de l'écart en termes de développement économique en approfondissant les réformes, principalement sur le plan commercial;
2. Engagement du secteur privé et de la société civile dans tout ce développement;
3. Amélioration du climat pour les investisseurs étrangers et nationaux, ce qui est important en termes de développement et d'accueil du développement économique dans ces différents pays;
4. Rôle des différentes institutions de recherche en termes d'accompagnement.
Le rapport d'EUROMESCO se concentre surtout sur l'idée d'une communauté d'États démocratiques dan la région euro-méditerranéenne et formule à cet égard une liste de 11 engagements, notamment:
1. Confirmation des principes de Barcelone de « Bonnes pratiques »;
2. Intégration des objectifs de la politique européenne de voisinage dans le processus de Barcelone, en incorporant les aspects normatifs de la politique de voisinage, comme le programme au service de la démocratie, les droits fondamentaux et l'État de droit;
3. Établissement de cinq piliers, à savoir la démocratie, l'inclusion de la diversité, la migration, la sécurité civile et la cohésion/solidarité sociale;
4. Date limite fixée à 2015 pour la création d'une communauté d'États démocratiques, l'aboutissement à un marché commun et aux quatre libertés, y compris la libre circulation des personnes, pour ses partenaires;
5. Garantie d'une responsabilité partagée et d'une appropriation par le biais de réformes des mécanismes de représentation et administratifs;
6. Stratégie pour plus de visibilité du processus de Barcelone.
Juste après l'été 2005, la présidence britannique a présenté une déclaration et un programme de travail pour le sommet de novembre 2005. En 1995, une déclaration et un programme avaient déjà été établis avec une importance plus ou moins équivalente. La présidence britannique souhaite qu'il y ait cette fois une courte déclaration mais, surtout, un programme de travail concret et opérationnel beaucoup plus important.
La déclaration sera, avant tout, la consolidation et la confirmation des principes communautaires de Barcelone. En outre, une dizaine d'engagements pour l'avenir sont formulés dans la déclaration.
En ce qui concerne le programme de travail, quatre domaines de priorités sont identifiés pour les cinq années à venir: le dialogue politique et la sécurité, le développement socio-économique durable et les réformes, l'éducation et les échanges socioculturels et, enfin, la justice, la sécurité, la migration et l'intégration sociale.
Pas moins de septante actions et objectifs très concrets sont formulés dans ces quatre domaines prioritaires.
Concernant le partenariat politique et de sécurité, quinze actions concrètes prévoient, notamment, un engagement à ratifier et à mettre en œuvre toutes les chartes et conventions régionales et de l'ONU sur les droits civils, politiques, sociaux et économiques; il est aussi prévu de mettre en place des conditions facilitant l'établissement de fournisseurs indépendants d'informations et l'accès à ces informations pour tous. En outre, l'UE et ses États membres s'engagent à augmenter substantiellement l'aide financière visant à promouvoir la bonne gouvernance.
Le développement socio-économique durable ne compte pas moins de vingt-six actions sur le plan de la stabilité macro-économique et celle des finances publiques, ainsi que le renforcement des systèmes de protection sociale ou encore le développement des relations économiques intra-régionales.
L'éducation et les échanges socioculturels sont déclinés en dix-neuf objectifs concrets, notamment la réduction de moitié de l'analphabétisme pour 2010, l'égalité d'accès à l'éducation pour les deux sexes pour 2015 ou encore l'augmentation de la conscience collective de l'héritage culturel.
Les dix-huit objectifs du volet « justice, sécurité, migration et intégration sociale » comprennent plus particulièrement trois éléments essentiels: le souci de réduire drastiquement les niveaux d'immigration illégale, de trafic des êtres humains et de pertes de vies humaines suite à des tentatives ratées de franchir des frontières. L'indépendance et la capacité des systèmes judiciaires feront également l'objet d'une attention particulière.
La déclaration et le programme de travail ont été discutés dans les groupes de travail du Conseil pendant le mois de septembre 2005. Ils ont ensuite été présentés aux partenaires méditerranéens avant la réunion des hauts fonctionnaires du 26 septembre 2005.
Les réactions de la part de nos partenaires sont attendues et la Présidence britannique fera un rapport sur ses contacts bilatéraux. Les États membres de l'Union seront informés de l'évolution de ces contacts le 25 octobre, lors d'un Conseil des Affaires générales. Il y aura donc un débat avec la présidence britannique avant le sommet de Barcelone.
Le processus de Barcelone forme, avec la politique européenne de voisinage, le cadre le plus important pour la coopération entre l'Union européenne et ses partenaires méditerranéens. La politique de voisinage, qui consiste en une relation bilatérale, vient en fait renforcer la coopération actuelle multilatérale, par exemple sur le plan d'une coopération régionale et sous-régionale plus poussée ou sur le plan de l'intégration des pays du Sud de la Méditerranée et de la coopération transfrontalière.
La politique de voisinage devrait également donner une impulsion nouvelle au dialogue sur les réformes et la démocratisation dans la région. Il est vraisemblable que des progrès plus importants pourront être enregistrés sur une base bilatérale, grâce aux plans d'action, plutôt que de façon multilatérale, les décisions devant alors être prises sur base du consensus.
Simultanément, il est essentiel de continuer à poursuivre, au travers du processus de Barcelone, un large dialogue sur les droits de l'homme.
Les plans d'action, conclus dans le cadre de la politique de voisinage, pourront s'appuyer sur les succès atteints par le processus de Barcelone. La Belgique s'est réjouie que les pays participants au processus de Barcelone soient également parties prenantes à la politique européenne de voisinage, étant donné que ces deux processus se renforcent mutuellement.
Dans le courant 2004, la Commission a négocié une première série de plans d'action avec le Maroc, la Tunisie, Israël, l'Autorité palestinienne et la Jordanie. Ces plans ont été conclus en novembre et décembre 2004. Le plan d'action avec la Tunisie est entré le premier en vigueur le 4 juillet dernier.
L'objectif est maintenant de conclure une deuxième série de plans d'action avec l'Égypte et le Liban. Un premier tour de négociations a eu lieu les 28 et 29 septembre 2005.
Il s'agira sans aucun doute d'un processus de longue haleine. Les négociations sont difficiles avec l'Égypte, mais l'espoir est réel qu'un plan d'action pourra néanmoins être conclu.
En ce qui concerne le Liban, les négociations ont pris du retard en raison des élections de mai 2005 et de la formation du nouveau gouvernement. II n'y a encore aucun projet de texte disponible pour le plan d'action avec le Liban.
Dans le cadre des discussions sur la Déclaration et le programme de travail pour le sommet de novembre, la Belgique a introduit un non-paper avec des idées pour l'avenir du processus de Barcelone.
Il s'agit d'une série d'idées pour un renouvellement des procédures et d'un certain nombre d'idées en relation avec les domaines prioritaires. L'élément fondamental du non-paper belge est un renforcement de l'ownership — l'appropriation — par les partenaires méditerranéens. D'autres points importants sont un accroissement de la visibilité du processus de Barcelone et l'augmentation de l'impact sur les gens dans la région méditerranéenne.
Les propositions belges ont pour objectif de rendre le processus de Barcelone plus flexible, plus dynamique et plus orienté vers les résultats à atteindre, et d'arriver à des choses plus tangibles et plus concrètes dans le travail que nous effectuons depuis de nombreuses années avec les partenaires.
Les propositions de procédures concernent l'introduction d'une coprésidence euro- méditerranéenne sur la base d'une rotation selon l'ordre alphabétique et également une mise à disposition simultanée de tous les documents. Actuellement, l'Union européenne reçoit des documents et, si ceux-ci sont agréés, ils sont ensuite envoyés aux partenaires du processus, ce qui n'est pas logique en termes de bonnes relations.
Les propositions concernent également un passage en revue régulier et une évaluation de toutes les activités et, enfin, une proposition d'amendement de la règle du consensus. Cette dernière proposition prévoit qu'en cas de consensus croissant, la présidence peut aller de l'avant afin de mettre en œuvre une activité, ce qui évite des blocages.
Sur le plan du contenu, la Belgique a fait des propositions en matière de visibilité, d'analyse d'impact, de participation de la société civile, d'éducation et de réformes économiques.
En ce qui concerne la visibilité, la Belgique propose de mettre en œuvre un relevé schématique de toutes les activités reprenant également tous les moyens financiers correspondants. La Belgique propose également de procéder à une analyse d'impact de toutes les activités effectuées dans le cadre du processus de Barcelone. II semblait en effet nécessaire d'avoir une idée claire, sur la base de chiffres dignes de confiance, de l'impact des différentes activités sur la vie quotidienne des gens de la région. Cet effort de relevé de l'impact des activités devrait renforcer la visibilité des actions et pourrait en outre servir d'outil pour mesurer les progrès enregistrés dans ce long processus.
Une autre carence du processus de Barcelone est le niveau de participation de la société civile. La Commission l'a déjà épinglé à de nombreuses reprises. Il est essentiel que les gens de la région se sentent concernés par le processus et que leur voix soit entendue. C'est pourquoi la Belgique a proposé que les hauts fonctionnaires parviennent à un accord sur la manière d'intégrer la société civile dans les actions déployées, avec un accent tout particulier sur la participation des femmes. En outre, la Belgique a proposé de mettre sur pied un comité composé de représentants des gouvernements et de la société civile. Ce comité pourrait se réunir régulièrement pour réfléchir à des méthodes innovantes d'implication de la société civile dans le processus.
En matière d'éducation, la Belgique propose de combiner les efforts prioritaires d'éducation et de démocratisation par la mise sur pied aux niveaux primaire et secondaire d'un programme de conscientisation à la démocratie et à la bonne gouvernance. La proposition initiale était d'intégrer ce programme au sein de la bonne gouvernance, mais il apparaît que cette facilité risque de se voir assigner un nouveau but, à savoir l'octroi de soutiens sous la forme de prêts aux pays qui font des progrès en matière de réformes démocratiques. L'idée n'en reste cependant pas moins valable.
Une autre proposition sur le plan de l'éducation concerne le démarrage d'une coopération avec les pays méditerranéens au sein de l'espace européen pour 1'enseignement supérieur telle qu'évoquée notamment dans les conclusions de la rencontre ministérielle Euromed à Luxembourg en mai 2005. Une telle coopération présente un grand intérêt pour la mobilité et l'échange d'expériences en vue du processus de réforme de 1'enseignement supérieur. La Belgique est d'ailleurs partisane du fait de mandater un groupe de hauts fonctionnaires pour examiner comment les objectifs du processus de Barcelone en matière d'enseignement pourraient être retenus parmi les objectifs du Millénaire.
La dernière proposition belge du non-paper concerne les réformes économiques. La Belgique propose que tous les efforts soient fournis afin de progresser dans l'établissement d'une zone de libre échange euro-méditerranéenne d'ici 2010.
Il faut tenir compte des conclusions de la rencontre des ministres de l'Économie et des Finances qui s'est tenue les 19 et 20 juin à Skhirat au Maroc.
En conclusion, dix ans après la création de ce partenariat privilégié, les résultats peuvent sembler décevants tant au point de vue des multiples objectifs politiques établis en 1995 que des performances économiques et, partant, du niveau de développement humain des pays de la Méditerranée.
Cependant, en dix années d'existence, le processus de Barcelone a su créer un lieu de coopération et de dialogue entre tous les partenaires et une réelle volonté politique d'aller de l'avant.
Actuellement, il est essentiel de mettre en place les outils nécessaires à la concrétisation de cette volonté politique et à un nouveau démarrage, plus opérationnel, du partenariat. Un programme politique très concret et opérationnel est un moyen d'atteindre cet objectif. En soumettant dans son non-paper une série d'idées pour l'avenir, la Belgique s'inscrit pleinement dans ce souci de créer un espace pour le dialogue, la paix, la sécurité et la prospérité partagée.
Le travail de cette commission nous permettra de renforcer le message de la Belgique lors de la rencontre qui aura lieu, en novembre 2005, à Barcelone.
Échange de vues
M. Roelants du Vivier s'étonne de l'existence d'un non-paper belge dont nous n'avions jamais entendu parler avant aujourd'hui. Ce document, qui indique les lignes que le gouvernement entend suivre, est fondamental pour la poursuite du travail de la commission.
À l'avenir, si le pouvoir législatif pouvait obtenir plus tôt cette information, il pourrait mieux en tirer parti et être plus utile vis-à-vis de l'exécutif.
Le secrétaire d'État aux Affaires européennes explique qu'en termes de préparation de ce sommet, il serait assez anormal que les gouvernements en P11 ne se mobilisent pas pour réfléchir à la question et concentrer au niveau de la P11, peut-être par un non-paper, les réflexions de l'ensemble des gouvernements.
L'ensemble des acteurs politiques belges sont intéressés par ce processus. La P11 a donc pleinement joué son rôle, sans doute en parallèle avec les travaux de la commission parlementaire.
Un mois avant cette rencontre, il est important de mettre les réflexions en parallèle.
Il importe de prendre connaissance des sensibilités de nos communautés et de nos régions dans ce domaine. Ce non-paper est sans aucun doute un élément complémentaire au travail de la commission.
Le secrétaire d'État remet le non-paper aux membres de la commission et ajoute que le travail en P11 vient d'être terminé il y a quinze jours.
M. Galand déplore le fait que ce non-paper n'a pas été remis plus tôt aux membres de la commission.
La commission travaille sur ce sujet depuis des mois et a entendu des positions et propositions qui vont toutes dans le même sens: Barcelone reste un instrument utile qui peut nous aider à construire nos relations. Le 18 octobre 2005, Mme Schmid, de l'Ifri, a fait un exposé remarquable. Selon elle, contrairement à ce que pense l'Union européenne, le verre n'est pas à moitié plein ni à moitié vide, il est beaucoup trop vide. Un effort substantiel doit être accompli si l'on veut aujourd'hui retrouver l'esprit et les fondements qui ont présidé à cet accord euro-méditerranéen et à la signature de l'acte en novembre 1995 à Barcelone. On s'aperçoit aujourd'hui que ce qui apparaissait en 1995 comme des défis à relever ne l'ont pas été: tant dans les zones de conflits qu'en matière de sécurité et de coopération — ou sur le plan de la dénucléarisation — en Méditerranée, on est très en retard et souvent pris par défaut, non seulement parce qu'un des partenaires fait preuve de mauvaise volonté, mais surtout parce que l'on n'a pas accordé à ces matières l'importance qu'il convenait.
En ce que concerne le non-paper belge, l'orateur se demande quel effort particulier la Belgique pourra engager afin que l'on ne soit pas dans les « +10 » comme partout ailleurs, à devoir constater qu'au lieu d'avoir réellement progressé, on a parfois reculé. Trouvera-t-on des moyens pour retourner dans l'esprit de Barcelone et établir ce partenariat avec nos partenaires du pourtour méditerranéen ?
Par ailleurs, le contexte géopolitique dans lequel a été signé Barcelone en 1995 a changé sur le plan international, en particulier en Afrique. Les pays du pourtour méditerranéen ont pris un enracinement africain beaucoup plus ferme et plus précis depuis la création de l'Union africaine. Quels éléments peuvent nous permettre à la fois de réaliser un travail de proximité et d'utiliser cette proximité pour renforcer l'effort accompli du côté de l'Union africaine ? De même, les différents intervenants que nous avons entendus semblaient dire que s'il y a une mauvaise perception de l'Euromed dans le monde arabe, c'est en partie parce que le monde arabe ne se limite pas au pourtour méditerranéen.
Une sorte de fracture peut s'établir entre le pourtour méditerranéen en tant que région et le monde arabe, entité culturelle, avec sa vision du monde arabo-musulman, cet aspect caractéristique du fait de la religion musulmane. L'équilibre entre les deux dimensions, très fragile jusqu'à présent, reste à consolider. Comment peut-on intégrer tous ces éléments dans le processus Euromed ?
Le secrétaire d'État répond que tout le monde a la volonté de saisir l'occasion que nous offre cette évaluation, pour relancer le processus de Barcelone. Le non-paper belge démontre que la Belgique a choisi des options qui dépassent le simple discours.
Voici dix ans, de grands principes, de grandes idées généreuses de dialogue, de partenariat, d'échanges avaient été énoncés mais nous constatons aujourd'hui que nous ne sommes même pas parvenus au verre à moitié plein, faute sans doute de mise en œuvre concrète. Le non-paper est orienté vers des mesures relativement concrètes.
Le secrétaire d'État partage l'opinion de M. Galand sur l'adaptabilité dont il conviendra de faire preuve par rapport à l'évolution géopolitique. L'Union africaine a poursuivi sa progression; cet ancrage politique doit être suivi avec beaucoup d'attention.
Bien des partenaires méditerranéens concernés par le processus de Barcelone voient dans l'Euromed l'occasion d'accéder à un meilleur développement économique et de favoriser le secteur socioculturel. Par contre, les aspects relatifs à l'éthique, aux droits et à la gouvernance qui sont pour nous fondamentaux constituent des causes d'irritation. Certes, il faut souligner des différences entre ceux qui veulent consolider le monde arabe, avec un dialogue plus dur envers nous et ceux qui veulent pleinement participer, dans l'esprit du processus de Barcelone. Ceux-là souhaitent non seulement un développement économique, social et culturel mais aussi une intégration politique et éthique, avec des valeurs proches de l'Union européenne. La rencontre prochaine nous permettra d'observer les différents partenaires et de nous faire une opinion.
Lors de la dernière rencontre au Luxembourg, le secrétaire d'État a remarqué que l'Égypte parlait un peu au nom de tous et semblait prendre le leadership. Nous verrons à Barcelone, en novembre, comment les choses évoluent.
Mme Annane se réfère aux auditions dont il ressort clairement que le partenariat reste un instrument pertinent et essentiel dans la région. Cependant, beaucoup de témoignages ont fait part d'insatisfaction en raison de l'échec du volet politique du processus de Barcelone et de l'absence d'évolution du volet économique en dépit des quelques progrès constatés. Quant au troisième volet, depuis les événements du 11 septembre, il s'est davantage concentré sur les questions sécuritaires.
Le secrétaire d'État considère que la politique européenne de voisinage renforce le processus de Barcelone, alors que Mme Annane souhaite attirer l'attention sur le danger que cette politique peut représenter pour ce processus. L'originalité du processus de Barcelone est d'être un instrument régional multilatéral. Or, on observe actuellement une tendance à basculer vers le bilatéral. Mme Annane craint que ce renforcement de l'aspect bilatéral ne finisse par mettre en danger l'originalité du processus. Au travers des plans d'action, les différents pays partenaires ne voient finalement en l'Union européenne qu'un porte-monnaie. Les objectifs de compréhension des peuples et de dialogue entre les pays de la région où les conflits sont nombreux finissent par se perdre dans ce renforcement bilatéral.
Ensuite, Mme Annane vient au problème de l'absence de budget européen. À l'occasion du sommet de novembre, de nombreuses promesses seront faites. L'oratrice s'inquiète des réactions des pays partenaires. Quelles que soit les promesses, nous ignorons encore tout des moyens.
M. Roelants du Vivier reprend l'argument à propos du verre aux trois-quarts vide. En fait, l'Union européenne, donc le contribuable européen, a dépensé 10 milliards d'euros à travers les instruments MEDA 1 et MEDA 2 pour réussir le processus de Barcelone. En fin de compte, le bilan est négatif sur le plan des résultats bien qu'il soit positif sur le plan de la nécessité d'entreprendre ce processus. Pour ce qui est des résultats, on se rend compte en effet que ces 10 milliards sont la vache à lait qui représente pour les élites en place dans les pays de la région un moyen de pallier certaines déficiences sociales et économiques sans que les droits de l'homme et les libertés n'aient progressé pour autant. Au contraire, tous nos interlocuteurs nous ont parlé d'une régression des droits de l'homme et, singulièrement, des droits de la femme qui sont vraiment le parent pauvre du partenariat.
Il y a eu un dialogue entre des élites polyglottes. Un objectif très intéressant du processus, à savoir la libre circulation des personnes, ne s'est nullement concrétisé. Au contraire, ce que l'on voit aux frontières de l'Europe ces dernières semaines montre bien que l'on n'a pas avancé d'un pouce dans ce domaine.
La question très pertinente de Mme Annane sur la politique de voisinage et le processus de Barcelone est fondamentale. Le voisinage a essentiellement été pensé pour les pays d'Europe centrale et orientale. Il faut le maintenir dans cette perspective. M. Galand a plutôt tendance à privilégier la relation avec le bloc du monde arabe. M. Roelants du Vivier et M. Galand ne partagent pas le même avis. Il est en tout cas important de maintenir ce contact avec l'ensemble de la région.
Un certain nombre de pays, particulièrement la Turquie, peuvent entraîner d'autres États moins avancés dans certains aspects des droits de l'homme, par exemple. Ainsi, dans le cas du vote des femmes, la Turquie a montré qu'elle pouvait être à la pointe.
Il est important que la Belgique formule des propositions très fortes en matière de respect des droits de l'homme. C'est une chose que nous pouvons exiger et c'est aussi un aspect du non-paper qui devrait être souligné.
Ce qui semble intéressant dans le non-paper, sous réserve d'inventaire, ce sont les propositions qui y sont formulées en matière institutionnelle. Ce processus ne fonctionnera bien que s'il est piloté de façon régulière.
L'idée de rencontres plus systématiques, de présidences mieux organisées, etc. semble concerner uniquement la procédure, mais il n'en est rien. C'est véritablement un élément qui permet de travailler plus efficacement. Il faut que la Belgique puisse aussi se situer à la pointe par rapport à un renforcement de l'aspect institutionnel du processus.
Le secrétaire d'État explique que la Belgique s'est engagé dans un partenariat avec tous ces pays. C'est tout à fait pertinent et il faut respecter cette démarche, qui fait partie de la culture européenne. Dans toutes les procédures d'adhésion intervenant dans le cadre du processus d'élargissement de l'Union, nous avons le même respect de ce dialogue et de cette construction sur les moyen et long termes.
Néanmoins, il convient d'avancer. Au-delà du partenariat, il faut de temps à autre mettre un peu de pression sur nos partenaires pour que, dans une série de domaines qui ont été épinglés, on puisse faire des pas beaucoup plus concrets. À un moment donné, il faut pouvoir engranger des résultats tangibles sur les différents chapitres que l'on a évoqués.
Est-ce un danger ? Si l'Union mène, avec chacun des pays, une politique de voisinage bilatérale, le processus de Barcelone véhicule une idée multilatérale.
Face à elle, l'Union Européenne n'a pas un partenaire politiquement structuré mais différents États ayant chacun leur sensibilité propre, leurs exigences, n'offrant pas une vision claire et homogène.
Plus on va consolider cette façade politique homogène, plus qu'on aura du mal à faire bouger les choses.
Pour faire avancer les idées du processus de Barcelone, nous avons tout intérêt à privilégier, pendant un certain temps encore, le dialogue avec chacun des pays. Nous pourrons ainsi mettre en application, de manière concrète, les différents aspects des plans d'action que nous entendons développer.
Si nous utilisions une autre approche, l'UE aurait face à elle les élites de ces pays et ce serait alors le dialogue entre deux blocs, l'Union et ces élites.
Nos politiques de voisinage permettent d'avancer beaucoup plus concrètement en termes de plans d'action.
Que fait la Belgique, à ce propos, dans son non- paper ?
Il faut parvenir à impliquer la société civile de ces différents pays. Nous ne devons pas nous limiter à des échanges avec les hauts responsables de ces pays, fussent-ils éminemment intéressants et sympathiques, mais informer la population de ces pays de l'existence de programmes, de budgets, de créneaux permettant aux communes, aux villes et villages de déposer des projets afin de construire une relation nouvelle et importante avec l'UE.
La Belgique essaie de lancer ces pistes de réflexion.
L'éducation, autre domaine mis en évidence, est un travail de longue haleine. Nous devons soutenir les acteurs de terrain, notamment dans les entités locales, dans leurs efforts en matière d'éducation et d'éveil des jeunes à l'information et aux messages qu'ils n'ont peut-être pas l'habitude d'entendre.
La règle première doit être la bonne gouvernance. Nous devons avoir des garanties concernant l'affectation des moyens budgétaires mis en œuvre et qui ne sont pas négligeables.
Mme Annane s'interroge sur le budget européen. Tout le monde sait que quelle que soit l'issue des discussions sur le budget européen, il y aura des moyens réservés pour cette politique. L'Europe veut cette politique, elle insiste énormément. Nous avons une vision de l'élargissement, aujourd'hui bien connue de tous, mais pour éviter d'étendre l'Europe à l'infini, nous devons aussi réussir la politique de bon voisinage et démontrer ainsi que ce type de partenariat fournit une autre réponse à la demande d'intégration faite par nos voisins.
Il faut réussir la politique de voisinage et donc y consacrer les moyens nécessaires.
Par rapport aux enjeux budgétaires dans d'autres domaines, il est clair que le budget consacré à la politique de voisinage n'est pas un enjeu important du débat.
Le secrétaire d'État se rejouit du fait qu'il y ait un rendez-vous en novembre à Barcelone. La présidence britannique entendra les remarques des partenaires qui veulent qu'on leur assure qu'il y aura bien un budget européen à bref délai. Cela incitera aussi la présidence à déposer un projet de budget en décembre. Nous tous avons besoin de ce budget européen pour avancer dans le bon sens.