3-1342/1 | 3-1342/1 |
1er SEPTEMBRE 2005
1. Dans son arrêt retentissant et largement commenté du 2 septembre 2004, la Cour de cassation a admis le principe de la répétibilité des frais d'assistance juridique et technique (Cass. 2 septembre 2004, JT 2004, 684 avec note de B. De Coninck, « Répétibilité et responsabilité civile: un arrêt de principe »; JLMB 2004, 1320 avec note de M. Gouden et D. Philippe, « Les honoraires d'avocat et les frais d'expert constituent un élément du dommage »; NjW 2004, 953, note Rdc; RW 2004-05, 535 concl. de A. Henkes, avec note de B. Wilms et K. Christiaens, « Erelonen en kosten van advocaten kunnen op een schadeverwekkende partij worden verhaald als onderdeel van door een slachtoffer geleden schade »; Rev. not. b. 2004, 471, avec note de D. Sterckx, « Des frais et honoraires d'avocat et de conseil technique comme élément du dommage »; RGDC 2004, 461; RGAR 2005, nº 13 946, concl. de A. Henkes; RABG 2005, 212, concl. de A. Henkes, avec note de N. Clijmans, « De verhaalbaarheid van het honorarium en de kosten van de advocaat »).
Les conséquences pratiques de cet arrêt ne sont cependant pas tout à fait claires et soulèvent pas mal de discussions. En d'autres termes, l'arrêt donne une bonne idée des difficultés et des limites d'une politique judiciaire qui rendent nécessaire l'intervention du législateur (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand op het knooppunt van aansprakelijkheidsrecht en procesrecht », RW 2004-05, 1401; H. Lamon, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 24; P. Lefranc, « Verhalen van kosten », RGDC 2005, 197; H. Vandenberghe, F. Baudoncq, V. Guffens et T. Viaene, « Recente ontwikkelingen bij de foutaansprakelijkheid » in H. Cousy et H. Vandenberghe (éd.), Aansprakelijkheids- en verzekeringsrecht, Die Keure, Bruges, 2005, 62).
L'arrêt pose en effet un principe général, mais il laisse une grande marge d'appréciation et soulève de nouvelles questions, comme celle de l'évaluation des honoraires d'avocat par le juge.
Il y a, d'une part, la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation concernant l'évaluation ex aequo et bono du dommage et, d'autre part, l'extrême réticence du barreau à présenter des états d'honoraires, eu égard au respect de l'indépendance de l'avocat et à la protection du secret professionnel (H. Vandenberghe, F. Baudoncq, V. Guffens et T. Viaene, « Recente ontwikkelingen bij de foutaansprakelijkheid » in H. Cousy et H. Vandenberghe (éd.), Aansprakelijkheids- en verzekeringsrecht, Die Keure, Bruges, 2005, 62).
En outre, le principe de la répétibilité des frais d'aide juridique trouve son origine dans les règles concernant la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou dans les règles propres à certains autres systèmes d'indemnisation.
Il n'est applicable dès lors que dans les cas en question. Pour ce qui est des autres catégories de litiges, comme les litiges concernant le droit familial, le droit du travail, la sécurité sociale ou le domaine fiscal, il n'existe aucun élément permettant de fonder le principe de la répétibilité des frais d'aide juridique, du moins à première vue.
Or, l'inégalité de traitement qui en résulte pour les parties au procès est à rejeter (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand op het knooppunt van aansprakelijkheidsrecht en procesrecht », RW 2004-05, 1413).
Ce résultat imparfait est inévitable, vu le fondement choisi: le droit qui fonde la répétibilité ne concerne que le rapport de droit matériel entre les parties. Il n'a rien à voir avec le rapport de droit procédural entre celles-ci.
Il convient de régler la répétibilité des frais d'aide juridique exposés pour un procès dans le cadre de cette relation de droit procédural (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand op het knooppunt van aansprakelijkheidsrecht en procesrecht », RW 2004-05, 1413).
Dans les pays voisins, la répétibilité des frais d'aide juridique exposés dans le cadre d'un procès est régie par les règles du droit procédural (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1039-1047, nos 18-22).
Cette solution est celle qui est appliquée en droit allemand et en droit néerlandais. Dans ces deux systèmes juridiques, la répétibilité des frais d'aide juridique exposés dans le cadre d'un procès est régie par des dispositions de droit procédural; en revanche, la répétibilité des frais extrajudiciaires d'aide juridique est réglée par le droit d'indemnisation (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1042-1044, nº 19 et p. 1046-1047, nº 22).
2.1. En France, le juge condamne la partie succombante, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, au paiement des frais qui ne font pas partie des « dépens » énumérés à l'article 695 et qui sont dès lors qualifiés de « frais irrépétibles », et ce, bien que l'article 700 précité prévoie une indemnisation pour les frais en question (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1039-1040, nº 18).
À cet égard, le juge tient compte du principe d'équité et de la situation économique de la partie condamnée.
Le texte de la loi française porte encore des traces de la résistance au principe de la répétibilité des frais d'avocat. Le texte permet en effet au juge de condamner la partie succombante à payer les frais d'avocat de l'autre partie dans les limites qu'il lui appartient de fixer, sans qu'il faille procéder à une évaluation des honoraires de l'avocat.
Celui-ci peut dès lors continuer à fixer librement le montant de ses honoraires, en tenant compte par exemple de facteurs tels que sa réputation.
La disposition en vigueur, telle qu'elle a été modifiée en 1991, part du principe que la partie qui obtient gain de cause a le droit de se faire rembourser les « frais irrépétibles », sauf si des considérations concernant l'équité s'y opposent.
Les règles d'équité permettent, par exemple lorsque les deux parties en cause sont partiellement déboutées, au juge de condamner l'une ou l'autre des parties au paiement des « frais irrépétibles ». Il ne peut prononcer aucune condamnation dans ce cas.
C'est aussi sur la base des règles d'équité qu'est fixé le montant de l'indemnité à payer.
La somme octroyée ne couvre souvent qu'une partie des frais d'avocat de la partie qui a obtenu gain de cause.
Le manque de transparence de ce système est inversement proportionnel à sa souplesse.
2.2. Aux Pays-Bas, le Code de procédure civile fait une distinction entre les affaires dans lesquelles les parties peuvent ester en personne et celles dans lesquelles elles ne le peuvent pas.
Il appartient toutefois au juge de déterminer, dans l'un et l'autre cas, le montant de l'indemnité qu'il accorde. Il se fonde généralement pour ce faire sur un tarif forfaitaire non obligatoire appelé le « tarif de liquidation ».
Le montant est fonction du nombre et de la nature des opérations ainsi que de l'intérêt financier en cause.
Il est généralement inférieur au montant total que la partie en question a effectivement dû payer à son avocat.
On justifie le fait que la partie succombante ne doit pas prendre en charge l'intégralité des frais exposés par la partie adverse, en invoquant la nécessité de ne pas rendre trop élevé le seuil d'accès à la justice.
Le législateur néerlandais justifiait comme suit la nécessité d'une réglementation propre concernant les dépens: « (...) l'octroi de dépens ne (peut) pas être assimilé (...) à l'octroi d'une indemnisation (...). En effet, le fait que la partie succombante soit généralement condamnée aux dépens trouve son origine non pas dans une obligation d'indemnisation, mais dans d'autres considérations que l'on peut résumer comme suit: l'interdiction de se faire justice soi-même et la liberté quasiment illimitée qui y est liée de citer une personne en justice et de se défendre en justice contre les revendications d'autrui peuvent justifier la répartition des dépens de la procédure entre les parties — pour autant qu'ils ne tombent pas à charge des pouvoirs publics — de telle manière qu'il soit tenu compte de considérations concernant les risques et la gestion de la procédure, entre autres pour éviter que la liberté précitée ne soit mise en péril par la crainte d'une condamnation à des dépens considérables. (...) Cela peut expliquer pourquoi les dépens auxquels la partie succombante est généralement condamnée ne constituent que rarement une indemnisation intégrale des frais exposés par la partie qui a obtenu gain de cause. À cet égard, on a coutume de dire que tous les dépens ne sont pas « liquidables ». Une obligation d'indemnisation intégrale est certes envisageable, mais uniquement dans des « circonstances exceptionnelles » (...). À cet égard, il y a lieu de tenir compte des possibilités d'abus de procédure et d'actes illicites » (traduction) (voir B. De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1040-1043, nº 19).
2.3. En Allemagne, les frais d'avocat, qui font partie des dépens, sont intégralement répétibles en vertu du § 91 (2) du Zivilprossesordnung.
Les frais et les honoraires de l'avocat sont réglés de manière détaillée par le Bundesgebührenordnung für Rechtsanwälte du 26 juillet 1957.
C'est une loi qui fixe le tarif applicable en principe.
L'indemnité couvre l'ensemble des frais.
3. Outre le fait que le droit de la responsabilité a un champ d'application limité, il ne fournit donc pas non plus le fondement le plus approprié au principe de la répétibilité des frais d'aide juridique exposés dans le cadre d'un procès.
C'est pourquoi, avant l'arrêt du 2 septembre 2004, M. De Temmerman défendait déjà l'idée selon laquelle la répétibilité des frais de justice exposés dans le cadre d'un procès — qui est une matière relevant du droit procédural — devait être réglée par le Code judiciaire et que la réglementation en question (et aussi, à l'heure actuelle, la réglementation qui limite la récupération de l'indemnité de procédure) faisait obstacle à la répétibilité des frais en question sur la base d'autres règles (comme celles relatives à la responsabilité contractuelle et extracontractuelle) (voir De Temmerman, « De verhaalbaarheid van kosten van juridische bijstand », TPR 2003, p. 1056-1058, nos 28-29).
La présente proposition de loi s'inscrit dans cette optique.
Conformément au point de vue de l'« Orde van Vlaamse Balies », on opte pour un relèvement des indemnités de procédure existantes, qui vont dépasser dès lors l'indemnité relative aux actes purement matériels (voir H. Lamon, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 25).
La définition actuelle de l' « indemnité de procédure », selon laquelle celle-ci correspond aux « sommes formant dépens recouvrables, justifiées par l'accomplissement de certains actes matériels », est étendue de manière à mieux correspondre aux frais réels auxquels s'expose une partie ayant obtenu gain de cause, pour obtenir l'aide d'un avocat dans le cadre de la résolution d'un litige.
Dans le cadre de la présente proposition, l'indemnité de procédure exclut toute autre forme d'indemnisation pour honoraires de l'avocat; elle ne constitue qu'une intervention dans les frais et dans les honoraires et elle n'est donc certainement pas assimilable aux honoraires mêmes. Il est évident que le droit de l'avocat de fixer librement ses honoraires est intégralement préservé.
La présente proposition de loi ne vise nullement à établir un tarif des honoraires. La fixation des honoraires est réglée entre l'avocat et le client, abstraction faite de la partie récupérable auprès de la partie adverse (voir H. Lamon, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten »: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 25).
Pour prévenir toute décision arbitraire et imprévisible, on limite le rôle du juge, contrairement à ce que fait l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile français, qui laisse au juge une plus grande marge d'appréciation.
Il faut éviter que la discussion relative aux honoraires ne devienne un procès dans le procès.
L'octroi d'une indemnité forfaitaire implique une distinction entre les causes qui sont évaluables en argent et celles qui ne le sont pas.
En ce qui concerne la fixation du montant de l'indemnité forfaitaire, la procédure existante est maintenue. Le Roi établira donc les montants de base de l'indemnité de procédure, après avoir pris l'avis de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et de l'Orde van Vlaamse Balies.
Comme une application automatique des indemnités de procédure majorées peut entraîner des situations inéquitables, l'Orde van Vlaamse Balies plaide pour que l'on donne au juge la possibilité d'adapter, dans une certaine mesure, le montant de base à la baisse ou à la hausse.
Le juge ne peut toutefois que diminuer de moitié ou doubler l'indemnité de base, et ce, lorsque l'application de l'indemnité de procédure normale conduirait à une « situation manifestement déraisonnable » (voir H. Lamon, « De terugvorderbaarheid van de advocatenkosten: een (tussentijdse) stand van zaken », Ad Rem, février 2005, 25).
Hugo VANDENBERGHE. Jan STEVERLYNCK. |
CHAPITRE Ier
Disposition générale
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
CHAPITRE II
Article 2
L'article 1018, 6º, du Code judiciaire est remplacé par la disposition suivante:
« 6º l'indemnité de procédure visée à l'article 1022; ».
Article 3
L'article 1022 du même Code, modifié par la loi du 4 juillet 1972, est remplacé par la disposition suivante:
« Art. 1022. — Le Roi établit, après avoir pris les avis de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et de l'Orde van Vlaamse Balies, les montants de base de l'indemnité de procédure.
L'indemnité de procédure est l'intervention forfaitaire dans les frais et les honoraires de l'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause.
Aucune partie ne peut être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat d'une autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure.
Si l'application des montants de base de l'indemnité de procédure conduit à une situation manifestement déraisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, diminuer de moitié ou doubler ces montants de base. »
14 juillet 2005.
Hugo VANDENBERGHE. Jan STEVERLYNCK. |