3-670/6

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

26 JANVIER 2005


Projet de loi accordant aux journalistes le droit de taire leurs sources d'information


Procédure d'évocation


RAPPORT

NAMENS DE COMMISSIE VOOR DE JUSTITIE UITGEBRACHT DOOR DE HEER MAHOUX


I. INTRODUCTION

Le présent projet de loi, qui relève de la procédure bicamérale optionnelle, trouve son origine dans une proposition de loi déposée à la Chambre des représentants par M. Geert Bourgeois (doc. Chambre, nº 51-24/1).

Il a été adopté le 6 mai 2004 par la Chambre des représentants par 124 voix et 4 abstentions.

Il a été transmis au Sénat le 7 mai 2004 et évoqué le 13 mai 2004.

La commission a examiné ce projet de loi au cours de ses réunions des 25 mai, 30 juin, 6 et 7 juillet, 29 septembre, 13 octobre, 16 novembre, 14 décembre 2004, 11 et 26 janvier 2005.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA MINISTRE DE LA JUSTICE

Le projet de loi à l'examen est l'aboutissement de la discussion de deux propositions de loi qui avaient pour ambition de trouver, chacune à sa manière, une réponse au problème du secret des sources. Ce point a une nouvelle fois fait la une de l'actualité tout récemment, à l'occasion de la condamnation de l'État belge par la Cour européenne des Droits de l'homme. La ministre estime que l'expression « une nouvelle fois » est tout à fait justifiée, puisque ce n'est pas la première fois que cette controverse refait surface.

Le principe du secret des sources est considéré comme faisant partie intégrante de la liberté d'expression et de la liberté de la presse que notre Constitution met au rang des droits fondamentaux classiques. L'on peut aussi faire référence, dans le même sens, à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ce principe n'est actuellement régi par aucune autre disposition de notre législation. Le passé récent a montré qu'il convient de légiférer en la matière, comme l'ont d'ailleurs fait avant nous bon nombre de pays voisins tels que la France, l'Allemagne et l'Autriche.

Dans le même sens, nous ne pouvons pas ignorer les différentes Recommandations qui ont été faites par le Conseil de l'Europe où, depuis 1982, les États membres ont été interpellés plusieurs fois afin d'adapter leur législation interne.

Les deux propositions de loi d'origine visent le même objectif, mais montrent pourtant une approche différente.

Dans la proposition de Mme Payfa et de M. Maingain, qui se limite à un seul article, le choix se porte clairement en faveur d'une approche absolue du droit au silence des journalistes. C'était une approche qui allait beaucoup plus loin que la première jurisprudence constante de la Cour européenne. Les textes de la Convention européenne des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales étaient moins tolérants. Rappelons-nous l'article 10, § 2, où un espace clair est laissé à des dérogations à la libre expression. Il faut en effet partir de l'idée que dans une société démocratique les libertés absolues n'existent pas; la liberté des uns s'arrête là où celle des autres commence.

La proposition initiale de M. Bourgeois était plus équilibrée, étant donné qu'elle tenait compte d'une série de restrictions qu'il faut accepter dans une société moderne.

Même si l'on considère la presse comme le garant public ou la pierre angulaire de la démocratie, il y a quand même certaines limites à respecter.

La Chambre a décidé de poursuivre l'examen de la question en se basant sur la proposition de M. Bourgeois.

À ce propos, il fallait trancher plusieurs questions cruciales.

La ministre pense ici tout d'abord à la formulation de la définition de la notion de « journaliste ». Qui allait-on en effet autoriser à invoquer le principe du secret des sources ? Elle constate que l'on a opté pour une définition assez extensive qui est conforme aux conventions et recommandations précitées.

Un autre point encore plus capital était la définition des exceptions qui pourraient contraindre le journaliste à dévoiler ses sources. Pareille définition implique en effet un débat sur la hiérarchie de certaines valeurs, ainsi qu'il est apparu clairement non seulement au cours des auditions qui ont été organisées, mais aussi pendant la discussion en commission.

La Chambre a estimé avoir trouvé un équilibre : dans certaines conditions, le secret des sources ne joue pas quand il s'agit de prévenir des infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique ou pouvant être qualifiées d'actes terroristes.

L'on a manifestement tenu compte des réalités sociales existantes.

La ministre ne doute dès lors pas que le Sénat fera preuve du même sens des réalités dans son travail.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Observations générales des membres

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'intéressant avis rendu par le Conseil d'État le 5 novembre 2003 (doc. Chambre, nº 51-24/002), où se trouve exposée la problématique juridique liée au texte à l'examen.

À la suite de l'arrêt Goodwin et des arrêts subséquents de la Cour européenne des Droits de l'homme, il est clair que les sources des journalistes doivent être protégées. C'est ce à quoi tend le texte à l'examen.

Il faut aussi envisager la problématique générale de la responsabilité de la presse, où la Cour a souligné à plusieurs reprises le rôle de la liberté de la presse.

Ce fut encore le cas dans le récent arrêt « Plon » où la France a été condamnée.

L'intervenant souligne que, dans certaines circonstances, le citoyen qui estime que l'on a porté atteinte à son honneur est confronté à un problème né involontairement de la combinaison de diverses dispositions et jurisprudences.

Ainsi, l'article 25 de la Constitution prévoit que la presse est libre.

Il instaure également un système de responsabilité « en cascade », en précisant que, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi.

Supposons qu'un article de presse présente à tort un citoyen comme un violeur et un meurtrier. Le citoyen demande réparation au tribunal. Le journaliste, auteur de l'article, a un contrat de travail avec le journal.

Le journaliste a été induit en erreur, et peut invoquer l'article 18 de la loi sur le contrat de travail, qui prévoit que le travailleur n'est pas responsable, sauf en cas de faute lourde, de fautes légères habituelles ou de dol.

Le citoyen s'adresse donc à l'éditeur, qui invoque l'article 25 de la Constitution, et le fait que l'auteur est connu.

Selon un très bref arrêt de la Cour de Cassation, la responsabilité en cascade peut également être invoquée en matière civile (ce que l'intervenant a toujours contesté).

Par conséquent, dans l'hypothèse envisagée, le citoyen lésé ne dispose d'aucune possibilité d'obtenir réparation.

Ceci est contraire à l'article 6 CEDH, qui prévoit que l'on doit pouvoir soumettre sa cause à un juge.

Ainsi, dans certains cas, par la combinaison de certains textes et de certaines jurisprudences, on aboutit à des situations où les grands équilibres ne sont plus respectés.

Comme le confirme l'article 10 CEDH, la liberté d'expression est une liberté fondamentale, mais elle va de pair avec une certaine responsabilité.

Par ailleurs, en cette matière, le particulier dont les droits sont lésés se trouve toujours en position d'infériorité.

M. Chevalier se déclare favorable à l'audition de représentants des associations professionnelles de journalistes, car celles-ci peuvent jouer un rôle auto-régulateur, et il serait intéressant de voir dans quelle mesure elles rappellent effectivement à l'ordre ceux de leurs membres qui dépassent les limites admises.

L'intervenant estime que les tribunaux doivent eux aussi prendre leurs responsabilités et ne pas se contenter d'allouer 1 franc symbolique à titre de réparation, au motif que la liberté de la presse est un bien précieux.

Pour le surplus, l'intervenant accorde un grand prix à la liberté de la presse, grâce à laquelle on sait, par exemple, que M. Sharon, premier ministre israélien, est poursuivi pour corruption.

À l'inverse, l'absence de liberté de la presse empêche de faire savoir que la dictature palestinienne est corrompue.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la diffusion télévisée d'informations est encore potentiellement beaucoup plus dangereuse, parce qu'elle est beaucoup plus rapide et que la rectification est pratiquement impossible.

L'intervenant se demande dans quelle mesure le projet à l'examen, en tant qu'il porte sur les droits et libertés fondamentaux, ne réalise pas l'exécution d'un article de la Constitution et ne relève pas dès lors de la procédure bicamérale.

En ce qui concerne l'article 2, l'intervenant demande quel est le champ d'application matériel de la définition du journaliste.

Quant à l'article 4, il ne prévoit une exception du secret des sources qu'en vue de prévenir certains délits.

L'intervenant se demande s'il ne pourrait pas donner lieu à un recours devant la Cour d'arbitrage de la part de la victime d'un délit dont le journaliste connaît l'auteur, car aucune obligation de révéler l'identité de ce dernier n'est prévue dans ce cas.

Le texte de l'article 4 s'inspire de l'idée que le secret professionnel n'est jamais absolu.

De façon générale, dès que le secret professionnel cesse d'être absolu, cela suscite des questions très délicates, quant aux modalités des exceptions que l'on prévoit.

Ainsi, la Cour de Cassation a estimé dans un arrêt récent qu'un médecin pouvait prévenir les services compétents d'un danger imminent dont il a connaissance.

Pour un avocat, le problème est plus délicat encore.

M. Mahoux estime qu'il serait peut-être bon d'utiliser explicitement le terme « secret » dans le texte, pour souligner que ce dont il s'agit ici s'apparente, d'une certaine manière, au secret professionnel.

L'intervenant fait observer que la problématique comporte en réalité deux volets.

Dans le cas précité du médecin, la Cour de Cassation dit que ce dernier n'est pas attaquable pour avoir dérogé à son secret professionnel.

Mais on peut aussi se demander, lorsqu'une personne est autorisée à rompre le secret professionnel dans certaines circonstances (premier volet), si elle est attaquable quand elle ne le fait pas (second volet).

M. Hugo Vandenberghe répond qu'à son estime, l'état de nécessité, qui justifie la rupture du secret professionnel, est une notion qui suppose toujours une évaluation des intérêts en présence. Si l'on estime après coup que l'intéressé a commis une erreur dans cette appréciation, sa responsabilité peut être mise en cause.

À la suite de cette première discussion, la commission décide d'organiser des auditions auxquelles seront conviés :

— des représentants de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique,

— les professeurs Voorhoof, Strowel, Lemmens et Doutrelepont,

— des représentants des associations « Journaux francophones belges » et « Vlaamse Dagbladpers »,

— des représentants de la Febelma,

— M. De Moor, rédacteur en chef de Télé Bruxelles, et M. Van Troyen, chef d'information au journal Le Soir.

B. Auditions

B.1. Audition de M. Pol Deltour et Mme Martine Simonis, secrétaires nationaux de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique, et de M. Philippe Leruth, président de cette association

1. Exposé de M. Philippe Leruth

L'association des journalistes se réjouit de l'invitation qui lui a été adressée par la commission de la Justice, à propos d'un thème d'une grande importance.

La commission traite d'ailleurs actuellement plusieurs sujets qui présentent un grand intérêt pour les journalistes, et notamment la proposition de nouveau Code de procédure pénale (doc. Sénat, nº 3-450).

Le 15 juillet 2004 sera le premier anniversaire de la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de la liberté de la presse. Cette condamnation était relative à des perquisitions abusives effectuées chez des journalistes et dans des rédactions en 1995.

Elle était très pénible pour les journalistes, car c'est une condamnation que l'on n'attend pas à l'égard d'une démocratie dont les fondateurs, dès 1831, avaient tenu à inscrire la liberté de la presse parmi les principes fondamentaux de notre société.

À la suite de cette condamnation, l'État n'a pas fait appel.

Deux propositions de loi ont été déposées à la Chambre.

Leurs auteurs se sont entretenus de leurs textes avec l'AGJPB. Celle-ci s'est également exprimée devant la commission de la Justice de la Chambre, et à l'issue du vote, elle a fait connaître publiquement son point de vue.

Elle se réjouissait de ce qu'un texte protège le secret des sources des journalistes, mais regrettait que les exceptions apportées à ce principe général soient trop larges.

À son estime, en effet, la seule exception relative aux atteintes graves à l'intégrité physique des personnes suffisait à rencontrer la préoccupation, partagée par les journalistes, de la prévention des attentats terroristes.

Lors du vote de la proposition de loi à la Chambre, l'une des intervenantes a exprimé le voeu que le Sénat améliore le texte.

La qualité du texte est importante, car le sujet reste crucial.

L'ensemble des journalistes européens ont été très attentifs aux récentes perquisitions effectuées au domicile et au bureau du correspondant du « Stern » à Bruxelles. Ils se sont mobilisés pour défendre le principe général du secret des sources, et ont regretté qu'il n'existe pas encore en Belgique de texte légal qui assure sa protection.

2. Exposé de M. Pol Deltour

L'intervenant tient, à titre de considération préalable, à mettre l'accent sur le fait que le point de vue exposé ici bénéficie d'un soutien assez général. Il traduit en effet la position de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique, c'est-à-dire de l'association fédérale de l'ensemble des journalistes professionnels en activité, soit quelque 4 500 journalistes professionnels travaillant pour les médias d'information générale. L'AGJPB a été défédéralisée; la VVJ flamande et l'AJP francophone soutiennent aussi ce point de vue.

Le projet de loi s'inscrit dans le cadre de la collecte des informations. Une autre phase du processus d'information est le traitement des informations, la diffusion des informations. Le projet de loi ne dit mot de cette deuxième phase. Rien ne change par conséquent en matière de responsabilité des journalistes, en ce qui concerne le compte rendu proprement dit. Le droit à la confidentialité visé dans le projet de loi concerne donc exclusivement la relation entre le journaliste et ses sources d'information.

L'AGJPB estime que le droit au secret dans le cadre de la collecte d'informations est assez bien développé dans le projet de loi à l'examen, qui est donc accueilli favorablement même si quelques retouches devraient encore y être apportées.

C'est ainsi que l'intervenant insiste pour que l'on étende le champ d'application de l'article 2. D'autres personnes participent aussi au processus d'information, en particulier les employeurs et le personnel d'exécution de la rédaction (comme les téléphonistes).

Une deuxième remarque concerne l'article 3. Il faudrait le compléter de manière que le journaliste qui est invité, à un moment donné, à dévoiler ses sources, se voit rappeler expressément par son interlocuteur qu'il a le droit de taire ses sources d'information. Ce principe du rappel du droit à la confidentialité par l'interrogateur aux interrogés figure par exemple aussi dans la loi sur la fonction de police, ou dans le Code d'instruction criminelle.

3. Exposé de Mme Martine Simonis

L'AGJPB souhaite formuler des observations relatives à l'article 4, et suggérer l'ajout d'un nouvel article.

En ce qui concerne l'article 4, et les exceptions prévues au principe de la protection des sources des journalistes, ce point a été débattu en commission de la Justice de la Chambre.

Par le passé, l'AGJPB a toujours voulu éviter qu'une législation en matière de secret des sources ne voie le jour, parce qu'elle craignait que les exceptions qui seraient apportées à ce principe vident celui-ci de sa substance.

Le processus législatif qui a été entamé, et les deux propositions de loi initialement déposées, puis jointes, se sont avérés rassurants sur cette question. En effet, la proposition de loi de M. Mangain ne prévoyait pas d'exception au principe du secret des sources, et celle de M. Bourgeois prévoyait une exception à l'égard de laquelle l'AGJPB n'a pas formulé d'objections, à savoir la prévention d'atteintes graves à l'intégrité physique des personnes.

Il semble évident que, lorsque les journalistes disposent d'informations qui permettent d'éviter que soient commises des infractions qui menacent gravement l'intégrité physique des personnes, il faut que le secret des sources puisse être levé.

Toutefois, en fin de parcours parlementaire à la Chambre, une autre exception a été ajoutée de façon assez précipitée : il s'agit de la référence à l'article 137 du Code pénal, qui concerne les infractions terroristes.

Cette disposition comporte un catalogue d'infractions allant de la prise d'otages, de l'enlèvement, de la destruction d'aéronefs, de la dégradation massive mettant en danger des vies humaines à des délits relatifs au transport de produits explosifs, à l'incendie volontaire, aux armes bactériologiques, nucléaires et chimiques, à la libération de substances dangereuses, à la perturbation et à l'interruption de l'approvisionnement en eau et en électricité.

Il s'agit donc d'un texte très large, fixant un certain nombre de conditions dans lesquelles une infraction de droit commun devient, dans un contexte donné, une infraction terroriste.

Cet article prévoit également que constitue une infraction terroriste la menace de réaliser ces infractions.

Il est évidemment important de mener la lutte contre le terrorisme dans notre pays.

Chaque fois que les journalistes ont eu des informations (cf. les CCC), ils ont collaboré avec les autorités judiciaires.

Mais ici, il s'agirait de lever la protection des sources dès lors qu'un journaliste disposerait d'informations susceptibles de prévenir les infractions susmentionnées ou susceptibles de prévenir la menace de commettre ces infractions.

Le champ d'application de l'exception est donc très large.

Cela fait craindre à l'AGJPB que toute enquête journalistique qui touche aux questions terroristes, à l'un des domaines visés par l'article 137, devienne de façon systématique un matériel d'enquête intéressant pour un juge d'instruction.

Toute enquête journalistique de ce type serait dès lors rendue encore plus difficile par la non-protection des sources d'information.

On sait qu'à l'heure actuelle, ce travail journalistique est déjà très difficile, et l'AGJPB estime qu'il faut continuer à permettre qu'il ait lieu.

C'est pourquoi elle demande que l'exception de l'article 137 du Code pénal soit retirée du texte, et que seule l'exception relative aux menaces graves à l'intégrité physique des personnes soit maintenue.

Elle demande également que l'on n'insère pas de nouvelles exceptions dans le texte, car on risquerait de manquer les objectifs du législateur, à savoir protéger les sources confidentielles et favoriser ainsi un journalisme de qualité.

Il faut encore rappeler que les journalistes ont le devoir déontologique de protéger leurs sources d'information.

Il ne faudrait pas qu'il existe un écart trop grand entre le droit positif et le droit déontologique des journalistes.

L'AGJPB propose également d'améliorer le texte, en augmentant son efficacité, par l'ajout d'un nouvel article.

Lorsque des mesures visant à dévoiler l'identité des informateurs des journalistes sont ordonnées, par exemple par un juge d'instruction, et que l'on se trouve en dehors du cadre dans lequel il peut intervenir (exemple : il ne s'agit pas d'un élément crucial, ou le juge pourrait obtenir l'information autrement), le texte ne prévoit pas de sanction.

L'AGJPF propose de prévoir :

— en matière pénale : que les preuves recueillies en violation de la loi en projet seront écartées du débat et que les actes de procédure violant la loi en projet seront frappés de nullité, entraînant la nullité des actes de procédure qui en découlent;

— en matière civile : qu'aucune demande civile ne peut être accueillie si elle est fondée en tout ou en partie sur un élément obtenu en violation de la loi en projet.

En effet, on a vu, ces dernières années, se développer des actions civiles visant à obtenir que des journalistes dévoilent leurs sources d'information, notamment sous la menace d'une astreinte.

4. Discussion

4.1. Questions et observations des membres

Mme Nyssens renvoie à la discussion qui a eu lieu à propos de la transposition de la directive européenne sur le terrorisme, et de la définition de celui-ci.

L'intervenante demande si l'AGJPB craint que la notion de terrorisme ne soit appliquée de façon trop large, ou si elle estime que, même à propos d'actes particulièrement graves relevant clairement de cette notion, le secret des sources doit être préservé.

Mme Simonis fait observer que, tout d'abord, l'article 137 du Code pénal pourrait encore être complété par d'autres infractions lors d'une modification législative ultérieure.

De plus, la notion de « menace grave pour l'intégrité physique des personnes » recouvre tout le catalogue d'infractions visées à l'article 137. Elle est d'ailleurs transversale à tout le Code pénal, et est dès lors suffisante.

L'AGJPB craint aussi que les enquêtes journalistiques sur le terrorisme soient rendues plus difficiles parce que les informateurs savent qu'ils ne seront pas protégés.

Selon M. Willems, le champ d'application personnel tel qu'il est formulé à l'article 2 est particulièrement large. La notion de journaliste y est prise dans un sens très large et va bien au-delà des membres représentés par l'AGJPB. L'article 2 prévoit en effet qu'est journaliste quiconque traite l'information sous forme de communication régulière au public. Étant donné l'essor de l'internet, le nombre de personnes qui font des communications au public est énorme. L'intervenant estime qu'il faudrait établir un lien avec la déontologie. Protection et immunité se défendent si elles vont de pair avec des obligations déontologiques.

Concernant l'article 4, l'intervenant renvoie à l'article 137 du Code pénal. Il peut comprendre que la lutte contre le terrorisme conduise à laisser de côté bon nombre de règles relatives à la vie privée, etc. C'est là indubitablement une nécessité sociale. Qu'en est-il toutefois si cette réglementation d'exception est utilisée abusivement à d'autres fins ? Il faut continuer à faire confiance à un pouvoir judiciaire indépendant.

Mme de T' Serclaes partage le point de vue selon lequel la manière — restrictive ou extensive — dont on définit la notion de journaliste a une incidence sur les infractions que l'on vise.

L'oratrice se réfère à l'interview de Mme Doutrelepont parue dans le Soir du 23 avril 2004, et aux deux critiques qu'elle a exprimées à propos du texte adopté à la Chambre. La première porte sur la définition très large que l'on donne au mot « journaliste ». La seconde concerne l'article 3, 4º.

Faut-il aller jusqu'à protéger le contenu des informations et des documents eux-mêmes, lorsque ceux-ci ne révèlent rien de l'identité des informateurs ?

Mme Doutrelepont souligne que « cela empêcherait tout contrôle démocratique sur le contenu de l'information publiée par le journaliste, et cela permettrait au même journaliste de se retrancher derrière un secret des sources trop étendu, pour dire qu'il ne livre aucune information. »

Selon M. Nimmegeers, l'article 2 ne contient pas de définition du journaliste.

Si l'on tient à élargir le champ d'application, on doit aussi délimiter exactement jusqu'où on souhaite aller et à qui on veut offrir la protection.

L'intervenant se demande également si l'on tient suffisamment compte de la formation déontologique du journaliste.

M. Ceder renvoie aux conditions du régime d'exception mentionnées à l'article 4. Comment compte-t-on apprécier que les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de ces infractions et qu'elles ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière ? Souvent, cette appréciation ne pourra se faire qu'après coup. Comment va-t-on dès lors appliquer cet article dans la pratique ?

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article 10 de la CEDH. L'arrêt Goodwin a, le premier, consacré le principe du secret des sources journalistiques, mais cela dans le cadre de l'article 10, qui prévoit la liberté d'expression, mais instaure également, dans son deuxième paragraphe, des restrictions sur la base de l'ordre public, de la sécurité, de l'honneur et de la réputation. Ce qui pose évidemment la question du juste équilibre.

D'autres orateurs ont déjà indiqué que, conformément au champ d'application de la loi en projet, quiconque exerce la liberté d'expression par voie de publication est considéré comme un journaliste, ce qui est une dérive impensable.

Si l'on étend trop le champ d'application de la protection du secret des sources, la loi ne sera pas respectée. Si tout le monde peut invoquer le secret professionnel, ce dernier n'existera plus. Ce genre de protection doit donc être appliquée d'une manière sélective. Par ailleurs, le secret des sources journalistiques doit être effectif.

L'intervenant a l'impression que la loi proposée mélange tout. Chez l'avocat, le médecin et le journaliste, le secret professionnel représente un conflit de droits et d'obligations. Peut-on régler le secret des sources d'une manière identique selon qu'il s'agisse d'un juge d'instruction engagé dans une procédure pénale, ou d'une personne qui a manifestement été atteinte dans son honneur privé par la publication d'un article dans un journal et qui intente une procédure sur la base de l'article 1382 du Code civil ? En invoquant le secret des sources, on n'apporte pas la preuve contraire réfutant l'affirmation du demandeur selon lequel les faits sont inexacts. Sans quoi, un témoin anonyme pourrait fournir une preuve valable.

L'intervenant estime qu'il est nécessaire d'assortir le secret des sources d'exceptions et que celles-ci doivent être formulées à l'article 10, mais qu'elles ne peuvent pas donner lieu à des abus. L'intervenant renvoie à nouveau à la situation d'une personne privée, qui se trouve déjà en position d'infériorité par rapport aux médias et qui intente une procédure en responsabilité en soutenant que le fait qui lui est imputé est faux.

4.2. Réponses des orateurs et répliques

En ce qui concerne cette dernière remarque fondamentale de l'intervenant précédent, M. Deltour fait valoir que le texte en discussion ne se prononce nullement sur la responsabilité en matière de diffusion d'informations. Les informations qu'un journaliste communique dans un article ou dans une intervention radiodiffusée ou télévisée restent régies dans leur intégralité par les règles en vigueur en matière de responsabilité. Il existe une jurisprudence qui règle le cas du journaliste qui est cité à comparaître sur la base de l'article 1382 et qui invoque une source anonyme.

La quatorzième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles a affirmé à plusieurs reprises qu'une source anonyme n'est pas une source. Par conséquent, lorsqu'un journaliste est cité à comparaître sur la base de l'article 1382 du Code civil, invoquer une source anonyme ne peut nullement servir d'excuse pour échapper à une condamnation. C'est au journaliste de tenter de démontrer, par tous moyens de preuve, l'authenticité de ses informations. On ne demande pas non plus de protection supplémentaire pour la responsabilité en matière de communication d'informations; seule une protection au niveau de la collecte des informations est demandée.

En ce qui concerne le champ d'application, l'orateur confirme que cela reste une question difficile. Selon l'association professionnelle, la solution la plus simple serait de limiter le champ d'application de la loi aux seuls journalistes professionnels. Mais elle serait prête à accepter une définition plus large du mot « journaliste », à savoir toute personne qui collabore au processus de traitement de l'information. L'association professionnelle regroupe 4 500 journalistes professionnels belges (personnes exerçant une profession à titre principal dans la presse d'information générale). À cela s'ajoutent quelque cinq cents journalistes professionnels (voir arrêté royal de 1965 — personnes exerçant une profession dans la diffusion d'informations, dans des domaines spécialisés, par exemple Test-Achats). Le champ d'application de la loi devrait englober clairement ces deux catégories.

Par ailleurs, il y a aussi de nombreuses personnes qui exercent la profession de journaliste à titre complémentaire (par exemple exclusivement le week-end, dans le cadre de reportages sportifs, ou des comptes rendus de séances de conseils communaux). Il est difficile de chiffrer leur nombre avec précision.

L'intervenant estime que ces personnes relèvent, elles aussi, du champ d'application de la loi. La question est de savoir si elles n'échappent pas à un contrôle déontologique. En matière de déontologie, la marge de manoeuvre dépend du journaliste lui-même, mais aussi du média pour lequel il travaille.

Le Conseil du journalisme comprend, sur une base paritaire, des associations de journalistes mais aussi des médias d'information. Ces derniers lient l'ensemble de leurs collaborateurs. Lorsqu'un problème se pose dans la zone grise, il faut faire confiance à la justice, qui examinera au cas par cas si la personne concernée est susceptible de pouvoir invoquer le secret des sources.

M. Hugo Vandenberghe compare cela au secret professionnel de l'avocat. Celui qui émet des avis juridiques ne peut pas nécessairement invoquer le secret professionnel de l'avocat. Pour les avocats et les médecins, le secret professionnel s'applique ratione personae alors que, pour les journalistes, il s'applique ratione materiae, ce qui représente une extension très importante du champ d'application.

M. Nimmegeers est d'avis que l'on ne peut s'en remettre entièrement au pragmatisme. Il faut insérer dans la loi les garanties nécessaires.

Mme Simonis renvoie, à propos de la définition contenue à l'article 2, à l'avis du Conseil d'État, selon lequel on ne peut pas réserver le bénéfice du secret des sources aux journalistes professionnels. Peut-être faut-il trouver une définition intermédiaire entre celle du journaliste professionnel et celle qui figure actuellement dans le texte.

Par ailleurs, si l'on estime que la définition actuelle est trop large, il faudrait aussi la compléter en visant les personnes qui, dans les entreprises de presse, se trouvent dans la même situation que les journalistes, parce qu'elles ont été mises au courant de l'identité de l'informateur ou de l'information, et qui méritent dès lors la même protection.

L'oratrice souligne ensuite qu'il existe une différence importante entre le secret professionnel et le secret des sources.

Les professions tenues par un secret professionnel sont liées par une obligation de se taire, et de ne jamais dévoiler les informations qu'on leur a données et qui sont couvertes par ce secret.

Pour le journaliste, la question se pose autrement. Le secret des sources lui permet de publier.

M. Hugo Vandenberghe fait observer qu'un avocat n'est pas tenu par le secret professionnel dans le cadre de ses plaidoiries.

Il dispose en la matière d'une immunité, et n'est pas obligé de dévoiler ses sources.

Pour le médecin, la situation est peut-être légèrement différente.

Mme Simonis déclare que le secret des sources n'est pas une faveur que l'on fait aux journalistes.

La Cour européenne des droits de l'homme considère que le secret des sources est la pierre angulaire de la liberté d'informer.

Enfin, le texte à l'examen ne réglera pas, en matière civile, le dilemme du journaliste qui doit choisir entre le fait de se faire condamner — parfois à de lourds dommages et intérêts — et le fait de révéler sa source d'information.

En se taisant, ce n'est pas seulement l'informateur qu'il protège, mais aussi la qualité de l'information.

M. Hugo Vandenberghe estime que, si l'intention n'est pas de modifier les règles applicables en matière de responsabilité, il serait préférable de le dire explicitement.

M. Willems estime qu'il faut aussi tenir compte de la protection de la vie privée de l'individu. Celui-ci a heureusement le droit de demander quelle est l'origine des données qui sont rassemblées à son sujet et donc le droit d'en vérifier l'exactitude. Si l'on veut couler le secret des sources dans un cadre légal, il faut le faire de manière à ce que les droits de l'individu soient sauvegardés. De ce point de vue, l'intervenant ne comprend pas pourquoi le Conseil d'État voudrait que la protection du secret des sources soit étendue aux non-journalistes. On crée une certaine immunité, mais il faut trouver un équilibre. Un cadre déontologique est nécessaire aussi. L'on doit savoir clairement quelles personnes jouissent de la protection et dans quel cadre elles se situent.

M. Chevalier souscrit à ces propos. Il importe de trouver le juste équilibre entre la protection de la vie privée et le secret des sources.

Pour l'intervenant, il n'est pas suffisant que le journaliste en question n'aurait de comptes à rendre qu'à son rédacteur en chef. C'est insuffisant pour protéger les droits des individus. Il faut prévoir des sanctions contraignantes et des règles impératives.

M. Hugo Vandenberghe souligne que l'on a, en Belgique, une attitude très libérale vis-à-vis de la liberté de la presse. En France, la législation est beaucoup plus sévère et l'on veut encore y renforcer la responsabilité des journalistes.

Si l'on intente une action civile contre un journaliste et contre l'attaché de presse, sur la base de l'article 1382 du Code civil, le journaliste qui est lié par un contrat de travail peut invoquer l'immunité prévue à l'article 18 de la loi sur les contrats de travail. En ce qui concerne l'action contre l'organe de presse sur la base de l'article 1384, alinéa 3, la Cour de cassation estime que cet employeur peut invoquer la responsabilité en cascade en matière de délits de presse. Cela signifie qu'il est interdit d'assigner l'éditeur responsable ou l'imprimeur si l'on connaît le journaliste.

Si l'on applique le recel à l'avocat et pas au journaliste, ne risque-t-on pas des recours à la Cour d'arbitrage ?

Il reste qu'il convient de formuler le secret des sources à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Le problème est de tracer les limites.

M. Leruth constate que la dernière partie du débat indique une tendance à déplacer le problème vers celui de la responsabilité des journalistes.

La jurisprudence de ces dernières années montre que les procédures civiles contre des journalistes aboutissent de plus en plus souvent, depuis que la Cour de cassation a étendu au domaine civil le principe de la responsabilité en cascade.

M. Hugo Vandenberghe répond que le journaliste qui dispose d'un contrat de travail ne peut être condamné que si la faute grave est démontrée.

Mme Simonis répond que le juge, lorsqu'il estime qu'il y a faute au sens de l'article 1382 du Code civil, considère qu'il s'agit d'une faute qui ne lui permet pas de bénéficier de l'immunité liée à son contrat de travail, et le condamne.

M. Hugo Vandenberghe fait observer que cela est contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

B.2. Audition de M. D. Voorhoof, professeur à la Rijksuniverseit Gent, M. A. Strowel, professeur aux facultés universitaires Saint-Louis et M. K. Lemmens, professeur à la Vrije Universiteit Brussel

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article mis à la disposition par le professeur Voorhoof, qui est en fait un projet de texte remanié en vue d'une conférence au Conseil de l'Europe et intitulé « The protection of journalistic sources under fire ? » (Auteurs & Media, 2003/1, 9-23).

L'intervenant confirme que le sujet évolue à maints égards, y compris au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation de fin 2003, qui a érigé la présomption d'innocence en principe général du droit, avec dès lors une portée plus large que la présomption d'innocence visée à l'article 6, § 2, de la CEDH.

La question est de savoir si le projet de loi à l'examen apporte une réponse aux problèmes et s'il y a lieu de prévoir des exceptions.

1. Exposé du professeur D. Voorhoof de la Rijksuniverseit Gent

a) Le projet de loi à l'examen à pour but de mettre en oeuvre en droit belge une composante essentielle de l'article 10 de la CEDH en matière de liberté d'expression. Le secret des sources journalistiques a été reconnu explicitement en tant que tel par la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est qu'en cas de ce que la Cour appelle un « besoin social impérieux » qu'un journaliste peut être contraint, en tant que témoin, d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité dans le cadre d'une instruction ou d'un procès. Aucun doute ne peut subsister à ce sujet et la Belgique a d'ailleurs été condamnée dans l'affaire Ernst et autres contre État belge (15 juillet 2003) parce qu'en l'occurrence, la police et la justice n'avaient pas suffisamment tenu compte de cet aspect de protection des sources journalistiques, qui est essentiel pour la liberté d'expression. Pour de plus amples détails, l'intervenant renvoie à l'article précité, intitulé « The protection of sources under fire ».

Le projet de loi à l'examen met en oeuvre la jurisprudence de la Cour européenne en la précisant sur plusieurs points, dans la ligne d'ailleurs de la Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l'Europe qui insistait en 2000 pour que la protection du secret des sources journalistiques telle que garantie par l'arrêt Goodwin soit effectivement mise en pratique dans les États membres ayant ratifié la CEDH. La recommandation proposait à cet effet un cadre composé de sept principes fondamentaux découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le projet de loi à l'examen vise à ce que la Belgique mette sa législation et, partant, sa pratique judiciaire en concordance avec lesdits principes de base de la CEDH, comme elle en a l'obligation depuis qu'elle a ratifié la CEDH.

b) L'orateur souhaite répondre aux trois questions suivantes.

— Est-il nécessaire de régler la question de la reconnaissance du secret des sources journalistiques par une loi, alors que la CEDH a des effets directs et que nous pouvons admettre qu'en Belgique, la police, les parquets, les juges d'instruction et les cours et tribunaux sont censés agir ou rendre la justice dans le respect de la CEDH ?

L'orateur répond à cette question qu'une réglementation légale s'impose effectivement.

— Le projet de loi à l'examen constitue-t-il une transposition exacte, correcte, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ou, autrement dit, ne fait-il pas trop pencher la balance en faveur du journaliste et ne risque-t-il pas, si oui, de négliger d'autres intérêts juridiques ? Cette question porte sur un problème central que l'orateur souhaite traiter brièvement.

L'orateur donne une réponse négative à cette question : le projet de loi ne néglige aucun autre intérêt juridique.

— Le projet de loi pourrait-il être amélioré, autrement dit, le Sénat pourrait-il corriger certaines imperfections ou imprécisions ou certaines adaptations s'imposent-elles ?

L'orateur donne à cette question une réponse prudemment affirmative : le projet de loi à l'examen peut encore être amélioré ou précisé sur certains points.

Une loi est-elle nécessaire ?

Il existe une série d'arguments en faveur de l'inscription dans la loi du principe du secret des sources journalistiques et des limites de celui-ci.

— Le principe du secret des sources journalistiques a été inscrit dans la loi de quasi tous les autres États qui ont ratifié la CEDH; il a même été inscrit dans la Constitution de certains.

— Il ressort de la doctrine, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à propos du secret des sources ne change rien à cela, qu'en l'absence d'une réglementation légale, il appartient au magistrat du parquet, au juge d'instruction ou au juge chargé d'une enquête pénale d'apprécier à quel moment un journaliste peut être contraint de livrer certaines informations à la justice. Il a été constaté dans de pareilles circonstances que celui qui est chargé d'enquêter ou de juger l'affaire donne plutôt la priorité à la recherche de la vérité et qu'il porte ainsi atteinte au respect du secret des sources journalistiques. En créant un cadre légal à l'intérieur duquel sont définis une série de critères dont l'application emporte pour la justice l'obligation d'expliquer pourquoi elle estime que la recherche de la vérité a priorité sur le respect du secret des sources journalistiques, on renforce la garantie d'une meilleure application de l'article 10 de la CEDH.

— Depuis l'arrêt Goodwin et la recommandation de 2000, plusieurs États parties à la CEDH ont soit reconnu le principe du secret des sources journalistiques dans leur législation, soit adapté celle-ci pour la rendre conforme à la CEDH et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Certains pays, dont la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, ne l'ont pas fait ou ne l'avaient pas fait jusqu'il y a peu.

Le Luxembourg a été condamné en 2003 dans l'affaire Roemen et Schmit pour n'avoir pas respecté le secret des sources journalistiques (arrêt du 25 février 2003). Il en a tiré ses conclusions et dispose, depuis le 8 juin 2004, de la « loi sur la liberté d'expression dans les médias », qui consacre, en ses articles 7 et 8, l'obligation de respecter le secret des sources journalistiques. Le Luxembourg a estimé nécessaire d'adapter sa législation en ce qui concerne les droits et les obligations des médias et du journalisme, parce qu'une partie de cette législation était devenue obsolète et, surtout, parce qu'il y avait lieu d'en mettre certains points plus résolument en concordance avec l'article 10 de la CEDH, qui est parfois qualifié de « First Amendment » en Europe. Dans le chapitre « Des droits inhérents à la liberté d'expression », on a inséré une section intitulée « De la protection des sources », qui donne, conformément à la jurisprudence européenne, le droit au journaliste « de refuser de divulguer ses informations identifiant une source, ainsi que le contenu des informations qu'il a obtenues ou collectées ».

Comme dans le projet de loi à l'examen, la notion de journaliste est interprétée au sens large dans la loi luxembourgeoise. Celle-ci prévoit que les personnes qui ont apporté leur collaboration rédactionnelle à un journaliste peuvent, elles aussi, invoquer le secret des sources et que les journalistes ne peuvent être contraints de révéler leurs sources que dans des circonstances exceptionnelles.

L'article 2 de cette loi est également important en ce sens qu'il prévoit qu'il y a toujours lieu d'appliquer l'article 10 de la CEDH en cas d'ingérence des pouvoirs publics dans l'exercice de la liberté d'expression, donc également lorsqu'ils imposent un témoignage, procèdent à une perquisition ou opèrent une saisie. L'article 10 de la CEDH précise à cet égard que l'ingérence des pouvoirs publics n'est autorisée que si elle répond à un besoin social impérieux et est proportionnée au but légitime (article 2 de la loi : « toute restriction ou ingérence (...) doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but poursuivi »).

Cela ne veut pas dire pour autant que le texte final de la loi luxembourgeoise soit meilleur ou plus optimal que celui du projet de loi belge. L'exemple luxembourgeois montre toutefois qu'après consultation de tous les organes des secteurs des médias, du journalisme, de la justice et du monde universitaire, après diverses auditions et consultations, on a estimé nécessaire d'inscrire dans la loi luxembourgeoise ces dispositions qui consacrent le droit des journalistes de taire leurs sources.

Aux Pays-Bas, le législateur n'a pas encore procédé à une transposition, mais le Hoge Raad (l'équivalent de notre Cour de cassation) a complètement revu sa jurisprudence depuis l'arrêt Goodwin, en reconnaissant expressément et très largement aux journalistes le droit de taire leurs sources. De plus, en 2002, le ministre néerlandais de la Justice a établi à l'attention des parquets et des services de police une circulaire détaillant et commentant notamment la Recommandation de 2000 (Aanwijzing toepassing dwangmiddelen bij journalisten, 1 april 2002). Malgré ces mesures importantes, certains auteurs ont constaté qu'il subsistait encore une lacune et que, trop souvent, les juridictions inférieures ne respectent pas de manière suffisante le droit au secret des sources des journalistes (T. Prakken, « Justitiële versus journalistieke waarheidsvinding », NJB 2004/12, 620-626). Mais les Pays-Bas ont donc bien déjà une jurisprudence, en l'occurrence celle du Hoge Raad, et une circulaire ministérielle qui garantissent une protection étendue du droit pour les journalistes de taire leurs sources.

La Belgique accuse donc un retard puisqu'elle n'a pas su, à ce jour, se doter d'une loi comparable à la loi luxembourgeoise, en dépit du fait que notre pays a été condamné en 2003, comme le Luxembourg, pour violation du droit au secret des sources des journalistes (Ernst et consorts contre Belgique, 15 juillet 2003). À l'inverse des Pays-Bas, la Belgique n'a pas non plus de jurisprudence claire garantissant une reconnaissance étendue du droit au secret des sources. L'affaire Bourlard/SNCB contre De Coninck a montré qu'à l'instar de ce que l'on a constaté aux Pays-Bas, certaines juridictions inférieures belges ne respectent pas suffisamment l'article 10 de la CEDH au regard de la protection des sources des journalistes.

La perquisition et la saisie de matériel journalistique effectuées récemment chez le reporter Tillack du Stern sont la preuve que le droit des journalistes de taire leurs sources n'est pas encore suffisamment acquis dans la pratique, voire que ce droit reste contesté. En Belgique aussi, il faut entamer des procédures pour arriver finalement à ce que le droit au secret des sources soit respecté de manière suffisante, ce qui n'est pas en fin de compte une situation optimale. En outre, nous n'avons pas en Belgique, à l'image de ce qui existe aux Pays-Bas, une circulaire donnant des directives claires à la police et à la Justice. Il y a bien eu en 2003 une circulaire du ministre de la Justice, mais elle ne fait guère que répéter les principes généraux de la jurisprudence de la CEDH. C'est déjà quelque chose, mais cela ne suffit assurément pas.

Il ne faut donc pas tarder à voter le projet de loi à l'examen si l'on veut que la Belgique garantisse correctement le droit des journalistes au secret de leurs sources.

De plus, la protection légale du secret des sources journalistiques est, dans notre pays, un élément essentiel pour le journalisme d'investigation, qui est, quoi qu'on en dise, une forme de journalisme indispensable pour que les médias puissent assumer leur rôle de « chien de garde public » de la démocratie. Or, cette forme de journalisme se trouve précisément mise en péril dans la logique commerciale des médias, du fait qu'elle exige une mise de fonds plus importante. Mieux vaut donc ne pas ajouter des entraves juridiques à ces entraves économiques, si l'on veut assurer la survie d'une forme de journalisme vitale pour la démocratie. Sans confidentialité des sources, il n'y a pas de journalisme d'investigation car si les sources se tarissent, le flux des informations journalistiques aussi se réduira comme peau de chagrin. La nécessité du secret des sources journalistiques pour éviter un effet dissuasif qui, sinon, ne manquerait pas de se produire, sous-tend la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et constitue aussi la ratio legis du présent projet de loi.

La loi risque-t-elle de faire l'impasse sur d'autres intérêts juridiques ?

Il convient d'insister sur le fait que le projet de loi à l'examen prévoit, par essence, une exception à l'obligation de témoigner en justice. Tout citoyen est censé apporter son concours à la découverte de la vérité par la justice, lorsque, cité comme témoin, il peut y contribuer (il peut être appelé devant le juge pénal, le juge civil ou le juge administratif). La reconnaissance du secret des sources du journaliste est une exception nécessaire à ce principe et la Cour européenne des droits de l'homme a clairement justifié pourquoi il en est ainsi.

Cette protection des sources n'est toutefois pas absolue et c'est précisément pour cela que la Cour européenne ainsi que le projet de loi à l'examen laissent ouverte la possibilité d'obliger malgré tout le journaliste à dévoiler ses sources dans des cas exceptionnels.

La protection légale des sources journalistiques, il faut que ce soit clair, ne dispense donc absolument pas le journaliste de l'obligation de fournir, le cas échéant, en tant que suspect dans le cadre d'une action pénale en calomnie ou en tant que partie défenderesse dans le cadre d'une procédure civile pour cause de pratique illégale et diffamatoire du journalisme, la preuve en droit de la véracité ou de la fiabilité des accusations qu'il a rendues publiques. Si un journaliste ou toute autre personne se livre à du journalisme diffamatoire ou dommageable en se basant uniquement sur une source qui tient à rester anonyme et que le journaliste ne peut en l'espèce apporter aucun autre élément de preuve, il ne pourra évidemment pas se retrancher derrière le droit à la protection de ses sources. Dans ce cas, le journaliste peut évidemment être condamné si le tribunal le juge coupable d'accusations calomnieuses non fondées.

Telle est la portée de la législation à l'examen. La protection des sources ne modifie en rien la responsabilité journalistique. Vu sous cet angle, les droits des personnes (physiques ou morales) qui invoquent une faute dommageable au regard de l'article 1382 du Code civil due à une pratique négligente ou calomnieuse du journalisme, en l'absence de preuves fiables, restent garantis. S'il n'est pas en mesure de convaincre le juge de la fiabilité de ses informations, par exemple parce qu'il ne présente pas de preuves satisfaisantes, et qu'il invoque pour le reste la protection de ses sources journalistiques, le journaliste pourra être condamné en application de l'article 1382 susvisé. Le projet de loi à l'examen ne modifie en rien cette responsabilité civile du journaliste et n'a pas non plus la prétention de le faire.

Est-il possible d'apporter des améliorations au texte à l'examen ?

Pour conclure, l'intervenant voudrait soumettre à la réflexion les adaptations suivantes, dont il estime qu'elles s'inscrivent dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg relative à l'article 10 de la CEDH.

La première consiste à formuler la définition du champ d'application ratione materiae comme suit :

Art. 2 : « Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par « journaliste » quiconque traite l'information en vue de la divulguer au public. »

La deuxième, qui permet de lever un malentendu tenace, consiste à indiquer clairement dans le texte que l'article 3 n'est applicable que lorsque le journaliste est convoqué « comme témoin ».

Art. 3 : « Tout journaliste a le droit, comme témoin,... etc. ».

La troisième vise à formuler l'article 4 comme suit :

Art. 4 : « Le journaliste ne peut être tenu de livrer les sources d'information visées à l'article 3 qu'à la requête du juge, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

1º les informations demandées visent à prévenir, poursuivre ou punir une infraction qui risque de nuire ou a nui gravement à l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes ou une infraction dont le juge démontre de manière motivée que sa prévention, sa poursuite ou sa punition revêt un intérêt public prépondérant;

2º les informations demandées sont indispensables à la prévention, la poursuite ou la punition de cette infraction;

3º les informations demandées ne peuvent être obtenues d'une autre manière ».

Dans le 1º, on a ajouté à la prévention, la poursuite et la punition d'infractions.

Quatrièmement, le renvoi à l'article 137 du Code pénal est inutile (terrorisme). La menace pour l'intégrité physique des personnes relève, dans la plupart des cas, du terrorisme.

Parallèlement, on peut faire remarquer que la notion d'intégrité physique est trop étriquée. Peut-être pourrait-on faire référence à la notion de « crime majeur », qui est liée à celle d'« intérêt public ».

Cinquièmement, l'on peut se demander si l'énumération, à l'article 5, des mesures d'information et d'instruction est limitative. Vraisemblablement pas. Pourquoi alors prévoir pareille énumération ?

L'article 6 est tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, selon laquelle le recel à des fins de publication ou d'usage de documents doit répondre aux critères de l'article 10.

Le renvoi à l'article 505 est justifiable, mais il convient de se demander s'il n'y a rien d'autre à ajouter, notamment la complicité de violation du secret professionnel (article 458 du Code pénal), la complicité d'abus du droit de consultation (article 640ter du Code pénal).

2. Exposé du professeur K. Lemmens, Vrije Universiteit Brussel

Globalement, M. Lemmens peut se rallier à l'exposé du professeur Voorhoof.

Une première question concerne l'utilité de la protection légale du secret des sources. On pourrait dire que pour la protection du secret des sources, la Cour européenne des droits de l'homme se fonde sur l'article 10 de la CEDH, qui garantit la liberté d'expression et la liberté de la presse. On pourrait donc conclure qu'il existe déjà une disposition analogue dans le droit constitutionnel belge. En effet, les articles 19 et 25 de la Constitution protègent expressément, d'une part, la liberté d'expression et, d'autre part, la liberté de la presse. La protection du secret des sources peut être considérée comme un attribut essentiel de la liberté de la presse.

Toutefois, un problème se pose. L'article 10 de la CEDH subordonne les restrictions à la liberté d'expression et à la liberté de la presse à 3 conditions : elles doivent être prévues par la loi, être prises dans le but de préserver un des objectifs énumérés à l'article 10, § 2, et être nécessaires dans l'intérêt d'une société démocratique. Le problème concernant les dérogations au secret des sources se situerait donc principalement au niveau de la condition de légalité. Il n'y a pas de loi spécifique ni même de jurisprudence constante.

La condition de légalité concerne la loi non seulement au sens formel mais aussi au sens matériel du terme. Ainsi, s'il existait en Belgique une jurisprudence constante sur les limites de la protection des sources, les journalistes sauraient exactement aujourd'hui jusqu'où ils peuvent aller. Ce n'est malheureusement pas le cas. Aussi, dans l'état actuel du droit, il subsistera toujours un problème pour la Cour européenne de Strasbourg puisque les journalistes peuvent toujours objecter qu'ils ne savaient absolument pas jusqu'où porterait la protection des sources. L'intervenant juge opportun d'élaborer une réglementation légale pour éviter cette discussion très technique.

Aux Pays-Bas, il existe à la fois une jurisprudence investie d'une grande autorité et des circulaires très précises.

Une autre remarque est que la CEDH est fondée sur des droits, des garanties. On ne protège pas les droits de l'homme en faisant des promesses ni en faisant preuve de bonne volonté ou en s'adonnant à des pratiques établies mais dénuées de fondement. Une vague circulaire dont la force contraignante n'est pas claire ne passera pas le cap de l'article 10 de la CEDH.

Dans une disposition de loi, on peut procéder également à une pondération. L'intervenant estime qu'il faudrait formuler la disposition de la manière la plus large possible, comme le permet la jurisprudence de la CEDH.

Il conclut qu'une réglementation légale semble indiquée.

Une deuxième remarque concerne la responsabilité civile et pénale. Il règne une certaine inquiétude à cet égard.

L'intervenant est d'avis qu'il est essentiel de faire une distinction entre les deux hypothèses suivantes.

Dans la première hypothèse, le journaliste est en quelque sorte un tiers par rapport à la procédure judiciaire. Il peut être impliqué dans la procédure, soit parce qu'il fait l'objet d'une perquisition, soit parce que des moyens de coercition sont exercés contre lui, soit encore parce qu'il est obligé de témoigner. Le projet de loi à l'examen traite explicitement de cette matière.

Dans la seconde hypothèse, dont il n'est pas question ici, le journaliste est lui-même partie concernée. Lorsqu'un journaliste écrit un article dont le contenu est calomnieux pour quelqu'un, il peut être assigné au civil, par exemple, pour faute professionnelle. Dans ce cas, le journaliste peut soit taire sa source soit communiquer sa source pour échapper à une condamnation en application des articles 1382 et suivants du Code civil. C'est à lui qu'il appartient de peser le pour et le contre. En cas de condamnation disproportionnée, il peut porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, mais cette hypothèse-là n'est pas envisagée par le projet de loi à l'examen.

Le dernier point concerne d'éventuelles améliorations du texte. L'intervenant partage la critique de M. Voorhoof concernant la formulation de l'article 2. Bien que cet article soit effectivement formulé de manière assez particulière, l'orateur estime que la définition de la notion de journaliste ne doit pas non plus être trop restrictive. Comme la protection du secret professionnel est basée sur l'article 10 de la CEDH, le droit en question appartient à quiconque publie des articles ou fait des communications dans les médias. Définir la notion de journaliste en se limitant aux journalistes professionnels, par exemple, serait contraire, et à cet article 10, et à la jurisprudence de la Cour européenne.

Selon l'intervenant, la réponse à la question de savoir de quelle manière l'article 4 doit être formulé dépend de considérations d'opportunité politique. La réponse à celle de savoir quelles exceptions il faut prévoir doit faire l'objet par excellence d'un débat politique. À cet égard, il faut tenir compte de la règle définie par la Cour de Strasbourg selon laquelle on ne peut pas prévoir plus d'exceptions que celles qui sont adoptées dans l'intérêt d'un impératif prépondérant d'intérêt public.

L'orateur estime lui aussi que les termes « revêtent une importance cruciale pour » sont plutôt étranges. Il serait peut-être préférable d'utiliser les mots « sont nécessaires à », qui sont plus conformes à la jurisprudence et à la formulation de la CEDH.

En ce qui concerne les mots « intégrité physique », l'intervenant souscrit à la critique émise par M. Voorhoof.

Il estime toutefois que la référence au terrorisme est utile. Selon lui, le terrorisme n'implique pas nécessairement une menace contre l'intégrité physique des personnes. Il évoque les attentats des cellules communistes combattantes CCC, qui ont semé la terreur, mais qui ne menaçaient pas avant tout l'intégrité physique de personnes. L'intervenant fait également référence au cyberterrorisme.

En ce qui concerne l'énumération faite à l'article 5, l'intervenant pense qu'il faudrait aussi mentionner la protection de la correspondance et le secret de la correspondance, et qu'il faudrait étendre ceux-ci au cas de la correspondance envoyée à l'attention du journaliste à l'adresse de la rédaction (et, donc, ne pas les limiter à la correspondance envoyée au domicile privé du journaliste).

Enfin, l'intervenant souhaite également signaler qu'un ouvrage très détaillé a été consacré récemment, en France, à la protection du secret des sources journalistiques; on y mentionne une série de conditions auxquelles devrait satisfaire la législation visant à protéger le secret des sources. Le projet à l'examen, complété par les diverses remarques formulées, pourrait remplir ces conditions.

3. Exposé du professeur Alain Strowel, facultés universitaires Saint-Louis

L'orateur se dit favorable à l'introduction du droit au secret des sources, qui s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence européenne des droits de l'homme.

Il souhaite formuler deux remarques introductives.

Tout d'abord, le débat est intéressant, car il montre que des limitations à la liberté de la circulation de l'information peuvent, paradoxalement, renforcer la liberté d'expression.

La liberté d'expression correctement entendue s'accommode de limitations à l'exigence de transparence, et parfois nécessite de telles limitations.

Ensuite, l'orateur estime qu'il n'y a pas urgence à traiter de cette question, car le nombre de cas problématiques est assez limité.

Il plaide donc pour une certaine prudence dans l'analyse, et dans la recherche d'un équilibre.

Il souhaite également formuler des remarques plus précises sur les articles 2 et 4 du texte à l'examen.

En ce qui concerne le champ d'application du projet, on a rappelé qu'il s'étendrait à tous les journalistes, et pas seulement aux journalistes professionnels, ce que l'orateur juge positif.

La définition lui semble un peu trop large à certains égards, et trop restrictive à d'autres.

Cette définition, qui diffère de celle figurant dans le texte original, contient la notion de « communication régulière ». Le terme « régulier » paraît trop restrictif. Quid, en effet, d'un journaliste qui publie un livre dénonçant un problème de société ? Selon la définition en projet, il ne pourra pas, semble-t-il, invoquer son droit au respect des sources.

Si la notion de régularité peut se justifier à propos du droit de réponse, elle ne paraît pas adéquate ici.

Par contre, la définition du journaliste semble aussi trop large.

L'orateur s'interroge en particulier sur le sort des nouveaux médias, et singulièrement de l'internet.

En effet, pour les autres médias, qu'il s'agisse des médias audio-visuels ou de la presse écrite, on dispose de suffisamment de garanties pour éviter les dérives.

Par contre, sur l'internet, tout un chacun se mue, en quelque sorte, en professionnel de la fourniture de l'information, avec des risques de dérive beaucoup plus importants.

La définition en projet pourrait s'appliquer à toute personne mettant sur l'internet des informations susceptibles de mettre en cause des tiers.

Ne faudrait-il pas, dès lors, exclure de la définition tout ce qui concerne les publications sur l'internet, quitte à traiter de cette question ultérieurement, et sauf dans l'hypothèse où la publication en ligne est un accessoire ou accompagne une publication sur un autre support.

En ce qui concerne l'article 4, chacun s'accorde sans doute à considérer que le droit au secret des sources ne doit pas permettre d'autres formes de méconnaissance ou de violation d'autres droits.

Quant à savoir qui peut exiger la levée du secret des sources, l'orateur constate que l'article 4 mentionne le juge.

Le Conseil supérieur de la Justice estime que cette notion renvoie uniquement au juge pénal, en raison de la référence ultérieure à des infractions pénales.

L'orateur n'est pas sûr que cette interprétation du texte soit la bonne mais, si tel est le cas, il estime que cette disposition est trop limitative. Le juge civil devrait aussi, selon lui, pouvoir, dans des cas exceptionnels, prendre des mesures nécessaires au respect d'autres droits et libertés tels que ceux énoncés à l'article 10, alinéa 2, CEDH.

En ce qui concerne les raisons qui autoriseraient le juge à exiger une telle levée du secret des sources, le texte se limite à des infractions pénales. Sur ce point, l'orateur se demande s'il ne faudrait pas donner suite à la remarque du Conseil d'État, qui se demandait pourquoi on excluait d'autres formes d'atteinte à d'autres droits, tels que ceux visés à l'article 10, alinéa 2, CEDH.

L'orateur suggère de reconsidérer la structure de l'article 4.

En un premier alinéa, on permettrait à tout magistrat assis (y compris le juge civil) de prendre une mesure restrictive de la liberté d'expression, en respectant les exigences de l'article 10, alinéa 2, CEDH (mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour respecter certains objectifs supérieurs, tels que ceux cités à cet article).

Dans un deuxième alinéa, on conserverait, pour le juge pénal, la formulation actuelle de l'article 4, avec des exigences moins restrictives parce qu'il s'agit d'atteintes plus graves.

4. Discussion

La définition de la notion de journaliste pose encore problème à M. Chevalier. En effet, on affirme que l'association professionnelle des journalistes a en quelque sorte un rôle déontologique à jouer, mais, dans le champ d'application du projet tombent de très nombreuses personnes qui ne peuvent devenir membres de celle-ci, parce que pour pouvoir en devenir membre, il faut satisfaire à une série de conditions professionnelles que les journalistes occasionnels ne remplissent pas. L'intervenant estime que toute phrase écrite dans un journal doit reposer sur un fond de vérité.

M. Mahoux estime qu'il serait bon de préciser quels sont les droits et obligations de chaque citoyen, en matière de collaboration avec la justice. Peut-être y a-t-il en effet, en cette matière, une certaine confusion.

L'intervenant constate que sur le principe de la protection des sources et de la liberté de la presse, il semble y avoir consensus.

Il s'agit donc ici de déterminer les personnes qui peuvent bénéficier du droit à la protection des sources, et les exceptions à ce principe.

C'est moins le problème des sources qui se pose que celui de savoir si le fait de ne pas révéler ses sources peut avoir des conséquences sur la protection de l'intégrité physique d'une personne ou sur la lutte contre le terrorisme.

L'intervenant souligne que révéler la source d'une information revient à tarir cette source.

En matière de prévention du terrorisme, il s'agit donc d'un recul, et non d'un progrès.

Enfin, en ce qui concerne l'extension du champ d'application du texte au domaine civil, l'intervenant s'étonne de ce qui a été dit par un orateur.

Certes, les attaques que certains se permettent, à travers des organes de presse, à l'égard de certaines personnalités lui paraissent scandaleuses.

Il pense cependant que le texte en discussion n'a rien à voir avec ce problème, où l'on a pu constater, par ailleurs, l'échec de la méthode d'auto-régulation.

Si l'on mêle les deux questions, on mettra au principe du secret des sources tellement d'exceptions qu'on finira par le vider de sa substance.

Tout article de presse est en effet susceptible d'être considéré comme attentatoire à la dignité d'un tiers.

M. Chevalier attire l'attention sur la distinction entre un procès pénal et un procès civil. En droit civil, les parties sont maîtres du procès. Ce sont elles qui doivent produire les pièces. Le juge civil ne peut pas dépasser ces limites. Le journaliste qui invoque le secret des sources dans le cadre d'une procédure civile ne doit donc produire aucune pièce et le juge doit accepter ce fait.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il serait souhaitable de mieux préciser le champ d'application du secret des sources dans la loi proprement dite.

L'intervenant fait valoir que les journalistes sont à l'abri des procédures pénales, étant donné que la cour d'assises ne siège pas pour un délit de presse. En fait, la plupart des articles sont couverts par une immunité pénale et il n'existe aucun cas de procédure pénale à charge d'un journaliste. Toutes les procédures se déroulent donc au civil, même si l'on plaide la calomnie et la diffamation au sens de la loi pénale.

Un autre cas de figure concerne le journaliste qui est appelé à comparaître en justice comme témoin. Témoigner en justice peut se faire aussi bien au pénal qu'au civil.

M. Mahoux fait observer qu'au civil, le journaliste aurait le droit de ne pas révéler ses sources, mais qu'il se trouverait alors dans la situation d'une personne qui allègue les faits sans preuve et devrait, éventuellement, assumer le paiement de dommages et intérêts.

M. Hugo Vandenberghe pense qu'il ne faut pas confondre les diverses hypothèses. On distingue, d'une part, le journaliste qu'on interroge dans le cadre d'une affaire pénale pour obtenir des données relatives à des infractions graves et, d'autre part, le procès pour délit de presse en matière civile. La critique du professeur Voorhoof vise le fait que le projet en discussion risque d'entraîner une immunité supplémentaire en matière civile. Tel ne peut être le but visé, puisque l'immunité pénale est déjà un fait établi.

Mme de T' Serclaes demande quelle est la portée de la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l'homme, en ce qui concerne la notion de « journaliste ».

Quelle est la réponse donnée à cette question dans d'autres pays ?

En ce qui concerne l'article 3, 4º, l'intervenante se demande si l'on ne va pas au-delà de la protection des sources d'information, et si ce texte n'est pas trop extensif.

Quant à l'article 4, ne faudrait-il pas viser, outre la prévention d'un délit, la poursuite de celui-ci ?

Enfin, l'intervenante se demande s'il est possible de prévoir, comme le suggère le professeur Strowel, une exception pour l'internet, notamment au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

Mme Nyssens constate qu'une série de corrections doivent être apportées au texte de la Chambre, et que celui-ci n'est pas mûr.

En ce qui concerne l'article 4, et la suggestion de M. Strowel d'y insérer une phrase de l'article 10 CEDH, elle se demande quelle est l'utilité d'une telle insertion dans un texte de loi belge, alors que cette disposition est d'application directe. S'il s'agit uniquement d'un « grand principe », ne faut-il pas alors la préciser au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ?

M. Hugo Vandenberghe tient à souligner que les exposés des professeurs ont mis très clairement en lumière les pierres d'achoppement. Il faut bien réfléchir à l'opportunité du texte : « En effet, comme il a été relevé dans l'observation nº 2.3 ci-avant, la CEDH « reconnaît qu'il peut être difficile, dans le domaine considéré, de rédiger des lois d'une totale précision et qu'une certaine souplesse peut même se révéler souhaitable pour permettre aux juridictions internes de faire évoluer le droit en fonction de ce qu'elles jugent être des mesures nécessaires dans l'intérêt de la justice » (voir p. 13 de l'avis du Conseil d'État, doc. Chambre, 51-0024/002). L'on recommande donc de ne rien changer au principe d'appréciation en soi.

Par ailleurs, on pourrait dire qu'une réglementation légale n'est pas nécessaire eu égard à l'effet direct de l'article 10 de la CEDH et à la Constitution. Les parlementaires, eux aussi, bénéficient du secret des sources, mais cela n'est formulé nulle part de manière explicite.

Il n'est donc pas vraiment nécessaire d'élaborer un texte de loi, mais l'intervenant est d'avis qu'un texte explicite pourrait quand même être utile.

L'intervenant fait également référence au malentendu qui pourrait surgir quant à la portée du secret des sources. Le secret des sources, ce n'est pas la possibilité de taire les informations, mais bien le droit de taire la source de celles-ci. Le dossier d'un médecin ou d'un avocat est couvert par le secret professionnel; celui d'un journaliste ne relève pas en soi du secret professionnel, mais on ne peut procéder à aucune perquisition visant, de fait, à découvrir les sources du journaliste.

Enfin, l'orateur souligne que le déroulement d'un procès civil soulève souvent plus de difficultés en ce sens que, dans un procès en calomnie et diffamation intenté à un journaliste, on ne juge pas si l'affirmation est vrai ou fausse. Le principe exceptio veritatis n'est pas décisif car il est rarement susceptible d'être contredit. En matière civile, il faut déjà que le fait soit très précis pour avoir une incidence décisive sur le résultat du procès et le journaliste doit faire montre de la plus grande minutie. Le projet de loi trouve plutôt sa raison d'être dans le fait que les journalistes sont interpellés par des magistrats du parquet ou des juges d'instruction et sont mis sous pression afin de divulguer leurs sources. Le champ d'application devrait dès lors être formulé avec précision.

S'agissant du recel dont il est question à l'article 5 et les remarques de M. Voorhoof à propos de cet article, l'orateur fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne, selon laquelle les journalistes ne peuvent être dispensés de l'obligation de respecter les lois pénales de droit commun. L'intervenant estime, lui aussi, que l'on ne peut inculper un journaliste de recel dans le but de connaître la source de ses informations, mais cela ne signifie pas qu'un journaliste ne peut en aucun cas être inculpé de recel.

M. Mahoux souligne qu'il faut déterminer si l'on veut en réalité connaître les sources, ou plutôt s'assurer de la véracité de ce qui a été avancé. Dans la seconde hypothèse, on pourrait sans doute trouver un système qui confirmerait cette véracité, tout en préservant l'anonymat de la source. Dans d'autres domaines, comme celui des témoins anonymes, des systèmes similaires ont pu être trouvés.

5. Réponses des orateurs

Le professeur Voorhoof souligne une fois encore que le projet de loi traite d'une exception à l'obligation de droit civil, pénal ou administratif de révéler ses sources. Cette protection spéciale est fondée sur l'article 10 de la CEDH. Il s'agit d'affaires judiciaires dans lesquelles on estime que le journaliste pourrait, en tant que témoin, aider la justice à trouver la vérité. À titre d'exemples, l'intervenant cite le cas où la Justice disposerait d'indices selon lesquels un journaliste a des contacts avec certaines personnes recherchées, ou encore le cas où l'on recherche l'origine de certains documents. Cela n'a rien à voir avec la déontologie du journaliste. De nombreuses remarques se situent donc en dehors du champ d'application du secret des sources journalistiques.

L'intervenant partage la remarque de Mme de T' Serclaes selon laquelle la notion de » prévention » est peut-être trop limitée. La répression et la recherche devraient également être envisagées. L'intervenant se rallie également à la remarque selon laquelle il ne saurait être question d'exclure du champ d'application un média déterminé, en l'occurrence, l'internet. L'approche de la Cour européenne de Strasbourg consiste essentiellement à dire que l'article 10 est un droit fondamental qui doit être garanti à tout un chacun. Le concept « journaliste » doit être défini de manière très large; il s'applique non seulement à la personne qui publie régulièrement des articles, mais aussi à un auteur ou à un universitaire. En définitive, le public a le droit d'être informé sur certaines affaires.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la Cour de Strasbourg mentionne « les sources journalistiques ». Tout citoyen a droit à la liberté d'expression, mais a-t-il également droit au secret de ses sources ? Voilà la question.

Le professeur Voorhoof répond que non. Mais il n'y a pas que les journalistes qui doivent pouvoir bénéficier de cet aspect de l'article 10 de la CEDH. On peut par exemple trouver sur l'internet un journalisme très sérieux. Dans certaines circonstances, celui qui s'occupe du traitement et de la publication d'informations doit pouvoir invoquer le secret professionnel. Dans la plupart des cas, il ne sera pas difficile de déterminer si une personne exerce, sur une base régulière ou non, une activité liée à la publication d'informations. On pourrait peut-être trouver une définition plus adéquate.

Il va de soi que les journalistes ne sont pas soustraits à l'application du droit pénal. Certaines dispositions du droit pénal sont cependant appliquées différemment selon qu'il s'agit d'un citoyen ordinaire ou de journalistes qui apportent une contribution importante au droit qu'a le public d'être informé. La Cour européenne a ainsi décidé que la mission d'information dont sont investis les journalistes représente un intérêt social tel que ceux-ci ne pouvaient pas être condamnés pour recel dans l'affaire en question. En l'occurrence, les journalistes pouvaient invoquer un intérêt prépondérant, qui a eu pour effet de les soustraire au droit pénal. Ils ne sont toutefois pas exclus de l'application du droit pénal en général.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'article 5. N'y prévoit-on pas que l'article 505 du Code pénal n'est pas appliqué ?

Le professeur Voorhoof répond que l'article 5 n'interdit pas d'intenter des poursuites contre un journaliste du chef de recel. Selon l'article 5, si l'on veut, lors d'une enquête, obtenir certaines informations d'un journaliste cité comme témoin, on ne peut appliquer par la suite l'article 505 pour l'obliger à révéler ses sources.

Concernant l'avis du Conseil d'État selon lequel il serait préférable d'utiliser des normes ouvertes, le professeur Voorhoof renvoie à son étude de droit comparé, d'où il ressort que c'est précisément le recours à ces normes qui peut causer des problèmes. Selon l'intervenant, la loi en projet constitue un bon équilibre.

Le professeur Lemmens souscrit au fait que le projet de loi ne règle pas le cas où un journaliste est lui-même partie en cause. Il renvoie à un article publié en France par M. Guetsch : « Ainsi l'appréciation des dispositions protégeant les sources journalistiques doit être menée à la lumière de ce dilemme. En voulant protéger leurs sources, les journalistes seront systématiquement condamnés pour diffamations publiques, puisqu'ils ne pourront pas apporter la preuve de leurs allégations. Du reste, la protection des documents plus qu'inefficace peut également être dangereuse. Les journalistes peuvent être poursuivis pour recel et violation du secret de l'instruction. »

Le projet à l'examen règle le cas du journaliste qui apporte sa collaboration à une enquête dans laquelle il n'est pas impliqué lui-même.

L'intervenant souligne également qu'il est souvent plus facile d'obtenir des informations en s'adressant directement au journaliste, plutôt qu'en ouvrant une enquête pénale en bonne et due forme. Le journaliste devient ainsi une sorte d'échappatoire. Il ne faut pas confondre la fin et les moyens. Le secret des sources a pour objectif de limiter l'effet dissuasif sur la liberté d'expression. On a peur du chilling effect, autrement dit d'une sorte d'autocensure. Les informateurs, les whistle blowers, ne feront jamais bien leur travail si on ne leur garantit pas l'anonymat.

De ce fait, la distinction entre les journalistes professionnels et les autres journalistes n'est pas non plus pertinente.

À propos de l'arrêt Goodwyn, l'intervenant souligne que M. Goodwyn était en fait un journaliste professionnel en stage. Un stagiaire ne peut évidemment pas révéler ses sources, car cela pourrait compromettre gravement la suite de sa carrière.

L'intervenant estime que, dans le présent contexte, la notion de « journaliste » ne se réfère pas tant à une profession qu'à une qualité. Il cite l'exemple d'une secrétaire qui, durant ses temps libres, milite dans un mouvement de défense de l'environnement. Il apparaît que la commune dans laquelle elle réside est confrontée à un problème de décharge de déchets toxiques. Si la secrétaire a connaissance d'informations sur cette décharge et qu'elle publie un tract local, elle pourra elle aussi, selon l'intervenant, se prévaloir du secret des sources, précisément en raison de l'effet dissuasif (chilling effect). Il est question ici d'un discours public, dans le cadre duquel la liberté d'expression est très large. Dans de tels cas, il faut pouvoir garantir la protection des citoyens, même s'ils n'éditent qu'occasionnellement un pamphlet local. L'on ne peut porter atteinte au droit au débat public, qui constitue l'essence même de la liberté d'expression au sein d'une société démocratique.

M. Mahoux observe que le précédent orateur semble distinguer le cas où le journaliste est un simple tiers, et celui où il est partie prenante et poursuivie, et considérer que dans un cas, il pourrait bénéficier du secret des sources, et dans l'autre pas.

L'intervenant se demande ensuite s'il faut avoir égard, non seulement à la qualité de celui qui est protégé, mais aussi à la qualité du média, au support dont il s'agit.

Faut-il ou non protéger le responsable du support ? Ce n'est pas le cas dans la définition actuelle.

Quid des personnes qui, pour des raisons autres que techniques et liées à la reproduction de l'information, partagent l'information sur les sources (collègue, rédacteur en chef, ... ) ?

M. Chevalier se demande dans quelle mesure la liberté d'expression est encore possible, eu égard à l'évolution commerciale que les médias ont connue. C'est à peine si l'on contrôle encore les informations, car tout le monde est soumis à des impératifs de ventes et de performances maximales. Cela n'est pas non plus sans conséquences sur la manière dont les informations sont proposées au public.

L'intervenant fait ensuite référence aux informations qui parviennent au département des Affaires étrangères. Celles-ci sont souvent manipulées. Pourtant, certains fonctionnaires communiquent systématiquement à la presse ces informations confidentielles non filtrées. Si ces informations menacent l'intégrité physique de certaines personnes, l'article 4 ne pourra pas être appliqué et on ne pourra jamais contraindre le journaliste à révéler ses sources. En effet, la deuxième condition, selon laquelle les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière, n'est pas remplie.

Selon le professeur Lemmens, dans le dernier exemple, le problème ne se situe pas sur le plan des sources, mais au niveau des fonctionnaires à l'origine de la fuite d'informations.

M. Willems souligne que le droit à la protection du secret des sources existe déjà actuellement (CEDH, Constitution, jurisprudence). Le projet à l'examen formalise davantage cette protection.

Le professeur Strowel déclare, à propos du rapport entre secret des sources et responsabilité des journalistes, qu'il ne partage pas le point de vue du professeur Voorhoof.

Il pense en effet que, si les deux éléments sont théoriquement distincts, l'un aura, en pratique, un effet sur l'autre.

Si l'on agit au civil contre un journaliste, on peut imaginer qu'il se réfère à un autre journaliste qui lui a remis les sources et qui sera cité comme témoin. Dans certains cas, il pourra s'avérer difficile d'établir la faute.

En matière civile, les choses risquent donc d'être, à l'avenir, encore plus compliquées qu'aujourd'hui.

En outre, comme l'a dit une intervenante, l'article 4 n'envisage que la prévention des infractions, et il convient de se demander s'il ne faut pas envisager d'élargir ce texte à la répression desdites infractions, et au domaine civil (cf. l'exemple donné ci-dessus).

M. Mahoux souligne à nouveau, à propos du domaine civil, que cela élargirait considérablement le champ d'application de l'exception au secret des sources : 9 publications sur 10 pourraient être concernées.

Le professeur Strowel répond qu'il s'agira uniquement des cas exceptionnels où le juge, pour se prononcer sur la responsabilité civile, aura besoin, pour établir la faute, de savoir ce qu'il en est de la source d'information.

Il ajoute que, dans la mesure où l'on considère que le droit à la protection des sources fait partie de la liberté d'expression, et est la condition d'une telle liberté, ce droit est, comme tout aspect de la liberté d'expression, soumis à l'article 10, § 2, de la CEDH.

En outre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est très progressiste, et le juge belge s'en inspirera.

Introduire l'article 10, § 2, de la CEDH dans le texte permettra une certaine flexibilité par rapport à l'évolution possible de la jurisprudence européenne.

M. Hugo Vandenberghe fait observer que, comparativement à la Belgique, d'autres pays, comme la France, connaissent un nombre beaucoup plus important de procès correctionnels contre la presse.

En Belgique, une série de problèmes sont soumis au juge civil alors qu'en fait, ils ne sont pas de nature civile, mais pénale, ce qui complique les choses.

Le professeur Strowel rappelle, à propos du caractère potentiellement discriminatoire d'un régime particulier applicable à l'internet, qu'il existe des instruments, en matière de droit de la presse, applicables seulement à certains médias. Il en va ainsi du droit de réponse, applicable à la presse écrite et audio-visuelle, et dont l'application à l'internet n'est pas certaine. De même, la Cour de cassation a limité l'application de certaines dispositions constitutionnelles à la presse écrite.

La question reste donc ouverte et mérite peut-être, par prudence, d'être approfondie.

B.3. Audition de M. M. De Haan, rédacteur en chef de Télé Bruxelles et représentant du « groupe Bruschetta », Mmes M. Boribon et Anciaux, respectivement secrétaire générale et juriste auprès des Journaux francophones belges, M. Nico Van Nieuwenhuyzen, représentant de Febelma, et M. Rogier Goos, représentant du Vlaamse Dagbladpers

1. Exposé de Mme Boribon

Mme Boribon précise que les points de vue présentés sont basés sur la position commune des éditeurs de presse écrite, comprenant « Les journaux francophones belges » SCRL, la « Vlaamse Dagbladpers » CVBA, la « Fédération belge des magazines » ASBL et l'« Union des éditeurs de presse périodique ».

Pour ce secteur, le principe du secret des sources est fondamental en tant qu'il protège la liberté d'expression et la liberté de la presse garanties par la Constitution. À defaut de protection des sources, ces libertés sont remises en cause.

Cette protection est déjà insérée depuis longtemps dans les différents codes déontologiques communs aux journalistes et éditeurs belges.

Ces règles sont d'ailleurs systématiquement reconnues par la jurisprudence et la doctrine.

C'est ainsi que la Cour européenne des Droits de l'Homme a décidé, en son arrêt Goodwin, et ce en application de l'article 10 de la CEDH que :

« La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie. »

Cette jurisprudence a été confortée par plusieurs arrêts rendus par la Cour de Strasbourg, notamment celui du 21 janvier 1999 condamnant la France dans l'affaire dite du Canard Enchaîné et, plus récemment encore, celui du 15 juillet 2003 condamnant la Belgique dans l'affaire Ernst et consorts.

Quant au projet de loi à l'examen, l'ensemble des éditeurs de la presse écrite (quotidienne, magazine et périodique) se réjouit de la reconnaissance, par le législateur belge, de l'importance cruciale de la garantie du secret des sources journalistiques et de sa volonté d'inscrire ce principe dans un texte de loi.

Ils regrettent toutefois que la définition du « journaliste », donnée à l'article 2 du projet de loi, limite la garantie accordée et, principalement, ne prenne pas en considération de manière explicite, les personnes qui, au sein d'une entreprise de presse, pourraient être amenées à connaître la source d'une information.

Une telle restriction risque de causer, dans le chef d'informateurs potentiels, une réticence à livrer certaines informations et limiter ainsi les possibilités d'investigation des journalistes. Elle pourrait également exposer les éditeurs à des poursuites compte tenu de la cascade de responsabilités prévue en matière de délits de presse. Dans ce contexte, certaines informations risqueraient de ne pas être publiées, situation qu'a voulu éviter, dès son origine, l'actuel article 25 de la Constitution.

Afin de garantir pleinement la réalisation de l'objectif du projet de loi, et donc la liberté de la presse et ses possibilités d'informer, les éditeurs de la presse écrite insistent pour que le champ d'application de la future loi soit étendu à l'ensemble des collaborateurs de presse et que l'article 2 soit complété par un second alinéa basé sur le principe 2 développé par le Conseil de l'Europe dans sa recommandation R(2000)7 du 8 mars 2000, selon lequel : « Les autres personnes qui, à travers leurs relations professionnelles avec les journalistes, prennent connaissance d'informations identifiant une source à travers la collecte, le traitement éditorial ou la publication de cette information, devraient bénéficier de la même protection en application des présents principes. »

Les éditeurs proposent d'apporter l'amendement suivant à l'article 2, qui devrait être complété par un deuxième alinéa rédigé comme suit : « Les autres personnes qui, à travers leurs relations professionnelles avec les journalistes, prennent connaissance d'informations identifiant une source à travers la collecte, le traitement éditorial ou la publication de cette information bénéficient également de la protection prévue par la présente loi. »

Bien qu'étant conscients des dangers croissants que représente le terrorisme, les éditeurs de la presse écrite plaident toutefois pour que le principe de la liberté de la presse, fondamental dans un régime démocratique, ne souffre pas de restrictions illégitimes. Ils souhaitent que les exceptions au principe du secret des sources soient limitées aux atteintes à l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

Ils proposent dès lors de supprimer, à l'article 4, les mots « des infractions visées à l'article 137 du Code pénal, ou ».

Conformément au principe 5, b), de la recommandation précitée du Conseil de l'Europe, les éditeurs de la presse écrite estiment également que la future loi devrait comporter une disposition prévoyant l'obligation, pour les autorités publiques compétentes, d'informer les journalistes et collaborateurs de presse de leur droit de ne pas divulguer les informations identifiant une source, ainsi que les limites de ce droit, avant toute demande de divulgation d'informations.

Ils proposent d'ajouter à l'article 4 un 3º, rédigé comme suit : « 3º le journaliste a été informé de son droit de ne pas divulguer les sources d'information visées à l'article 3 ainsi que des limites de ce droit avant toute demande de divulgation. »

2. Discussion

Mme de T' Serclaes constate que la définition du journaliste proposée à l'article 2 du projet de loi est très large. Si on étend en plus la protection à leurs collaborateurs, comme le propose Mme Boribon, le nombre de personnes visées par le texte sera fort important.

Une trop vaste extension de la notion de journaliste lui paraît abusive; Il y a confusion entre ceux qui font de la communication au public, comme les habitants d'une commune qui éditent un journal local, et ceux qui professent le métier réglementé de journaliste.

À la Chambre, M. Bourgeois avait élaboré un texte rencontrant les préoccupations de Mme Boribon, puisqu'il visait « quiconque collabore ou a collaboré à la préparation, à la rédaction ou à la création d'une forme de publication accessible au public ». La Chambre a toutefois refusé une définition aussi large.

La commission doit dès lors se pencher sur la question suivante : dès que l'on élargit la protection des détenteurs de sources à un nombre important d'acteurs en donnant une définition très large du journaliste à l'article 2, il faudra trouver un nouvel équilibre en augmentant à l'article 4 le nombre d'exceptions au secret des sources.

Pour éviter cet écueil, l'oratrice préfère s'en tenir à la catégorie des journalistes professionnels ainsi qu'au cercle des collaborateurs qui a accès aux sources.

M. Mahoux raisonne dans le même sens, en considérant qu'une réflexion sur le périmètre de la définition du journaliste est très importante.

Il y a d'une part l'AGJPB qui tend à considérer qu'est journaliste celui qui est considéré comme tel par elle, et de l'autre ceux qui considèrent qu'en fonction de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme, une définition restrictive du journaliste n'est pas acceptable.

D'autre part, l'intervenant considère que l'on peut difficilement parler de protection des sources sans y associer les collaborateurs directs du journaliste. Il faut trouver une formule pour étendre la protection aux collaborateurs sans y inclure la totalité des personnes qui sont parfois en contact avec des journalistes.

Enfin, il faut déterminer si l'on protège les journalistes en fonction du média utilisé. Faut-il tenir compte de la nature du support utilisé et, par exemple, exclure l'internet ? À défaut de restriction, n'importe quel type de communication est protégé.

En ce qui concerne l'article 4, il faut trouver une formule de restriction de la protection par rapport au nombre de personnes à qui sont transmises les sources. Les sources seraient protégées par rapport à un premier détenteur, qui les partage ensuite. Cela pourrait consister en une communication de la source à un juge, qui garantit lui-même le secret mais apporterait une garantie juridictionnelle quant à l'information publiée.

Mme Boribon explique que la définition du journaliste, telle que proposée dans le projet à l'examen, pose problème. L'amendement qu'elle propose ne vise pas à étendre la notion du journaliste mais à étendre la protection aux collaborateurs directs qui détiennent le même type d'information.

En outre la définition devrait permettre de suivre l'évolution technologique et couvrir de nouveaux médias. Ainsi, il ne fait pas de doute que toute une série d'activités journalistiques se passent sur l'internet. Il serait dès lors dangereux d'exclure ce type de support de la protection.

L'intervenante comprend qu'une définition trop large de la notion de journaliste peut avoir des effets pervers. Elle n'a cependant pas de proposition concrète à formuler en la matière.

La position de l'AGJPB semble quelque peu corporatiste, mais ce n'est certainement pas le cas des éditeurs, qui font appel à bon nombre de gens dont le journalisme n'est qu'une activité d'appoint. Ces derniers doivent évidemment bénéficier de la même protection.

Il ne s'agit surtout pas d'accorder un statut privilégié aux journalistes, mais bien de protéger leur information. Il ne faut pas inverser les rôles.

Déjà tisser des liens avec un informateur n'est pas simple. Si en plus on lui enlève son anonymat, on n'a plus d'autre issue que de se pourvoir aux sources officielles. Ce serait la négation complète du droit de s'informer et de la liberté d'information.

En outre, l'oratrice demande que la protection soit étendue à ceux qui partagent l'information. Elle ne demande pas que ces personnes soient reconnues en tant que journalistes. Elle pense par exemple à la téléphoniste qui a entendu le nom de la personne qui transmet des informations au journaliste. Il serait exorbitant qu'elle puisse être interrogée à ce sujet.

M. Hugo Vandenberghe compare ce phénomène à ce qui existe dans le domaine du secret professionnel des médecins ou des avocats. Conformément au principe de la loyauté du procès, il ne pense pas que les secrétaires de médecins puissent être inquiétées au sujet des données des dossiers médicaux, même si ces personnes ne jouissent pas du secret professionnel.

Le juge d'instruction et les policiers enquêteurs devront respecter une certaine loyauté qui implique qu'on ne puisse interroger une secrétaire, si ce n'est sur la base d'un faux en écritures qu'elle a elle-même commis, ou encore commis par son mandant.

Personne ne conteste que la question du secret des sources est une matière sérieuse, mais l'extension trop grande du champ d'application ratione personae pourrait entraîner sa « dilution ».

La Cour de cassation a jugé avec beaucoup de bienveillance que le principe de la responsabilité en cascade qui est inscrit à l'article 1384 du Code civil n'était pas applicable pour ce qui est de la responsabilité de l'éditeur concerné vis-à-vis du journaliste. Il en résulte que, comme le journaliste ne comparaît pas devant les assises, il n'est pas poursuivi au pénal et il peut invoquer l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 devant la juridiction civile, en vertu de son contrat de travail. Il ne peut dès lors être poursuivi que pour faute grave.

De plus, il est impossible, en vertu de l'article 25 de la Constitution, d'appliquer le principe de la présomption de responsabilité de l'employeur à l'égard du journaliste en l'espèce.

M. Van Nieuwenhuyzen déclare que, si l'éditeur et le journaliste sont responsables l'un et l'autre des produits qui sont mis sur le marché, le seul principe à respecter est celui qui est inscrit dans le projet de loi et selon lequel le journaliste peut taire ses sources d'information.

La discussion s'articule autour de la notion de journaliste, alors que le projet vise à protéger les sources d'information. L'intervenant craint que l'interprétation limitée de la notion de journaliste ne vide entièrement la protection de sa substance. L'intitulé du projet ne correspond plus à son contenu.

M. Mahoux rappelle une discussion précédente, portant sur les récits dissimulés dans des romans, et sur la façon dont ceux-ci seraient protégés par le secret journalistique.

Pareille extension de la protection est trop large. La presse y perdrait si l'on diluait la notion d'informations protégées. À son avis, l'on s'éloigne ainsi trop de la spécificité de la presse.

On est tenté d'étendre au maximum la notion de source journalistique. Dans ce cas cependant, la presse perd sa spécificité et l'on peut se demander si un régime particulier de protection se justifie encore.

M. Van Nieuwenhuyzen signale que la proposition d'amendement à l'article 2 évoqué par Mme Boribon a fait l'objet d'une réflexion approfondie. L'extension de la protection vise les personnes qui, à travers leur relation professionnelle avec les journalistes, prennent connaissance d'informations identifiant une source.

Mme de T' Serclaes pense qu'avant de se pencher sur la question des collaborateurs des journalistes, il faut d'abord savoir qui est journaliste.

Mme Boribon pense que la définition du journaliste devra au minimum contenir les éléments suivants : il faut que la publication soit de l'information, qu'elle soit accessible au public, qu'il y ait une periodicité régulière, une ligne éditoriale. Ces éléments permettraient de mieux circonscrire le champ d'application du projet.

M. Mahoux cite l'exemple d'une personne privée qui diffuse sur une base régulière, une sorte de newsmail sur l'internet, sans qu'elle soit liée à un quelconque groupe de presse. Comment faut-il considérer un tel courrier ?

D'autre part, la protection joue-t-elle au pénal et au civil ?

Le président estime que le problème du secret des sources au civil est d'une toute autre nature qu'au pénal.

M. Mahoux pense que les deux aspects sont liés. Si une protection est mise en place au pénal, il ne faudrait pas que des recours civils soient introduits en considérant que l'article porte atteinte à l'intégrité morale de la personne visée. Dans une telle hypothèse, le régime de protection des sources serait sans objet.

M. De Haan indique que si on inclut l'atteinte à l'intégrité morale dans un régime d'exception, il en résulterait automatiquement que le secret des sources serait vidé de sa substance.

M. Mahoux trouve que la question n'est pas anodine. Aussi bien les experts que les praticiens insistent sur cette problématique. Si l'on inclut l'intégrité morale dans les exceptions, il n'y aurait plus de protection des sources.

M. Hugo Vandenberghe rappelle l'affaire Grégory en France. Un corbeau a envoyé des centaines de lettres accusant différentes personnes. Faut-il considérer le corbeau comme journaliste au motif qu'il a envoyé régulièrement des courriers ?

Mme Boribon indique qu'il ne faut pas oublier l'élément fondamental à prévoir dans la définition, à savoir que la notion de presse implique qu'on s'adresse au public. L'envoi de courriers individuels ne trouve pas sa place dans ce débat, pas plus que les mails sur l'internet, qui constituent une correspondance individuelle. Ces messages ne sont pas disponibles pour le grand public.

M. Mahoux indique qu'il y a des publications qui ne sont accessibles que par abonnement. Il y a en outre des publications pour l'obtention desquelles il faut être adhérent.

Mme Boribon précise que tout le monde peut s'abonner. L'abonnement étant accessible à tout le monde, l'information est dès lors considérée comme accessible à tout le monde.

Le président se demande si on peut considérer qu'une personne qui met régulièrement des informations à disposition sur l'internet est journaliste.

M. Van Nieuwenhuyzen répond qu'aujourd'hui, il existe aussi des « weblogs » associés à des sites internet. Comme le domaine en question est en pleine évolution, il est difficile de donner une définition légale précise de la notion de journaliste. La définition de celle-ci doit être évolutive.

M. Hugo Vandenberghe déclare que, selon la Cour européenne des droits de l'homme, la ratio legis du secret des sources réside dans la signification que la liberté de la presse doit avoir obligatoirement dans le débat démocratique. Il fait référence à divers arrêts : arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A, nº 24; arrêt Lingens du 8 juillet 1986, série A, nº 103; arrêt Thorgeison du 25 juin 1992, série A, nº 239; arrêt Castells du 23 avril 1992, série A, nº 236; arrêt Piermont du 27 avril 1995, série A, nº 314, arrêt Goodwin contre Royaume-Uni du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-II, pp. 500-501, § 40.

L'intervenant estime que le journaliste critique ne peut pas être menacé d'une manière indirecte par le biais de poursuites exercées contre ses sources. Les médias qui participent à la formation critique et démocratique de l'opinion sont protégés. Il se demande si la personne qui diffuse chaque semaine des informations sur son site internet relève de cette définition.

Mme Nyssens estime qu'il vaudrait mieux définir de façon claire la notion de « sources d'information », pour se raccrocher à la Convention européenne des droits de l'homme. De la sorte, on évite le débat sur la notion de journaliste, qui semble très délicate.

M. De Haan répond qu'il faut s'interroger sur les conditions de production de l'information. Dans quelle mesure peut-on la soustraire à certaines perversions liées à la logique de marché qui prime sur l'éthique de l'information ? Le groupe « Bruschetta » estime que la notion de journaliste prévue par le projet de loi est très large (doc. Chambre, 51-0024/017). Elle garantit le secret des sources au journaliste professionnel de même qu'au journaliste de profession ainsi qu'à toute personne qui publie régulièrement, que ce soit dans une revue commerciale, des publications de partis politiques, etc.

De cette manière on risque de fragiliser la profession de journaliste. Cela risque d'entrer en contradiction avec le sens même du secret des sources. Ce dernier sert à permettre le surgissement de la vérité. Il faut éviter que la communication officielle n'occupe tout le champ de l'information. Le journalisme est une méthode critique d'enquête à charge et à décharge et constitue donc une démarche objectivable. Cette définition ne répond pas à celle de la loi du 30 décembre 1963 relative à la reconnaissance et à la protection du titre de journaliste professionnel, mais est utilisée dans toutes les chartes déontologiques en vigueur.

Si on garantit le secret des sources de manière plus large qu'à ceux qui travaillent de cette façon là, le secret des sources peut couvrir des productions d'information qui ont des objectifs particuliers, et pas uniquement l'intérêt général servi par le journaliste.

Le groupe « Bruschetta » propose une définition du journaliste qui se situe entre, d'une part, la définition de la loi de 1963, estimée trop étroite, et, d'autre part, celle proposée par le projet de loi.

M. Mahoux estime qu'on peut retenir soit l'approche la plus large possible sur la base de la Constitution soit l'approche restrictive. Dans ce cadre, il se demande si les sources d'Émile Zola, pour son article « J'accuse » publiée dans le journal « L'Aurore » du 13 janvier 1898, seraient protégées par le projet de loi.

M. Hugo Vandenberghe souligne que la Cour de cassation a défini la notion de délit de presse comme un délit nécessitant un écrit. On ne peut dès lors pas utiliser cette définition à propos d'informations provenant de la radio ou de la télévision. En conséquence, elle ne permettra pas de résoudre le problème de la distinction possible entre les journalistes par rapport à la question du secret des sources.

L'intervenant estime que Zola aurait pu invoquer la protection inscrite dans la loi pour justifier le secret de ses sources.

L'intervenant pense que pour clarifier la situation, il faut placer la protection des sources dans la perspective de l'article 10 de la CEDH.

M. De Haan estime que la méthode de travail journalistique moderne ne correspond plus à celle utilisée par Émile Zola. Aujourd'hui, une distinction est faite entre, d'une part, des articles d'opinion et, d'autre part, des articles portant sur des faits. Le secret des sources ne concernera que ces derniers.

Mme Durant fait observer que le fait de qualifier plutôt la source que l'auteur n'est qu'une façon de contourner le problème. D'autre part, la question de la régularité de la publication est, elle aussi, délicate. Comment peut-on définir cette notion ?

Enfin, l'oratrice revient à la question du média utilisé. Est-ce que le projet de loi vise aussi l'internet ?

Mme Boribon répond que la question de la périodicité ou de la régularité de la publicité ne constitue pas un critère pertinent. Il peut y avoir des publications ponctuelles très importantes. Le champ des médias couverts est par contre plus important. La définition doit être ouverte pour tenir compte de l'évolution technologique. Même si dans sa définition la Cour de cassation ne couvre pas les médias audio-visuels, l'intervenante pense que la protection des sources doit également couvrir les journalistes audio-visuels.

En ce qui concerne les publications sur l'internet, M. Mahoux pense que le problème est de savoir sur quels médias on assure la proctection des sources d'information dans la loi en projet.

Mme de T' Serclaes se réfère à l'avis du Conseil d'État relatif à l'affaire Goodwin du 27 mars 1996 de la Cour européenne des droits de l'homme. Il prévoit que « l'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. » (doc. Chambre, 51-0024/002, nº 35989/2, p. 5).

L'oratrice suggère de compléter l'article 2 par les mots : « dans le but d'informer le public sur des questions d'intérêt général ».

M. Hugo Vandenberghe pense que cette précision permet de mieux cerner les contours de la protection des sources. D'autre part, le renvoi à l'intérêt général, qui est une notion ouverte, s'inscrit parfaitement dans la ligne de l'article 10 de la CEDH.

M. De Haan se réfère à l'article 4 du projet de loi relatif au régime d'exception. Le groupe « Bruschetta » ne réclame pas un secret des sources à caractère absolu. Il est imaginable et légitime qu'un journaliste soit tenu de révéler le nom d'une personne qui se prépare à commettre un homicide. Les exceptions ne doivent cependant pas être trop élargies.

Or, sur ce point, le renvoi à l'article 137 du Code pénal, qui couvre des crimes terroristes, peut poser problème.

Le groupe Bruschetta redoute un recul démocratique. Comment un journaliste peut-il encore enquêter sur le terrorisme avec une telle épée de Damocles au-dessus de la tête ? Comment un journaliste pourrait-il remonter une filière de recrutement de jeunes pour des actes terroristes, s'il ne peut pas garantir à son informateur le secret des sources. Le travail journalistique peut aussi servir la lutte contre le terrorisme. Il est très important que les journalistes puissent traiter librement cette matière, même si elle est très délicate. Autrement il ne restera plus que de la communication officielle sur le terrorisme et cela pourrait porter atteinte à la démocratie.

L'intervenant estime que si l'on prévoit une exception en cas de menace contre l'intégrité physique, celle-ci étant transversable, il n'est plus nécessaire de renvoyer à l'article 137 du Code pénal. Si, pour des raisons symboliques, le législateur veut en outre maintenir le renvoi aux infractions terroristes, il faudrait, à tout le moins, prévoir une exception qui serait justifiée par la menace contre l'intégrité physique et par tous les actes qui relèvent de l'article 137 du Code pénal.

M. Mahoux pense que cette idée est intéressante bien que sa formulation serait curieuse sur le plan légistique. Par hypothèse, l'exception joue dès qu'il y a atteinte à l'intégrité physique.

D'autre part, il pense que l'interprétation de la notion d'atteinte à l'intégrité physique n'est pas toujours simple à cerner. Il cite l'exemple d'une coupure d'électricité due à un acte malintentionné. Faut-il considérer qu'un tel acte constitue une menace pour l'intégrité physique de la population, sachant que cela peut notamment poser des problèmes dans les hôpitaux ?

M. Hugo Vandenberghe répond qu'il y a toujours une marge d'appréciation.

Il estime qu'il faut un lien causal direct entre l'acte — la coupure délibérée d'électricité — et les conséquence de celui-ci.

L'intervenant estime que l'acte qui viserait à occasionner une coupure générale d'électricité doit être considéré comme un acte terroriste présentant une menace pour l'intégrité physique, étant donné les conséquences qui y sont liées.

M. Mahoux en déduit que le régime d'exception prévu à l'article 4 pourrait être limité aux menaces graves pour l'intégrité physique, car les hypothèses ainsi couvertes offrent des garanties déjà fort larges.

M. De Haan répond que le juge d'instruction peut toujours être confronté à une difficulté d'interprétation de la menace véritable. Il aura toutefois une tendance naturelle à considérer que l'objectif d'enquêteur qu'il poursuit est supérieur à celui de la protection des sources journalistiques. Il peut prendre de manière unilatérale la décision d'obliger le journaliste de dévoiler ses sources. C'est pourquoi le groupe Bruschetta a, à plusieurs reprises, proposé d'instaurer une instance de contrôle ou d'examen qui serait chargée d'examiner une demande de levée du secret des sources. Lors des auditions en commission de la Justice de la Chambre des représentants, le professeur Carine Doutrelepont de l'Université Libre de Bruxelles (ULB) a suggéré de mettre en place d'un organe consultatif intermédiaire faisant office d'arbitre entre le journaliste et le pouvoir judiciaire et agissant en tant qu'instance morale (qui) peut se charger de concilier ces intérêts conflictuels ... Par ailleurs, cet organe doit être composé de manière pluraliste (afin d'éviter tout corporatisme journalistique) et peut intervenir dans toutes les situations problématiques » (doc. Chambre, nº 51-0024/010, annexes, p. 59).

Le groupe Bruschetta propose un autre mécanisme permettant de débattre, de manière confidentielle, sur la question de la fiabilité de l'information, sans risque de dévoiler la source. Ainsi, on pourrait imaginer de soumettre la requête visant à lever le secret à un juge, qui entendrait à la fois le juge d'instruction, le journaliste et éventuellement l'union professionnelle.

M. Hugo Vandenberghe signale que le journaliste n'a aucune obligation d'invoquer son droit de taire ses sources.

Mme Boribon répond que c'est un devoir pour le journaliste, d'un point de vue déontologique.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer qu'il n'y a pas d'organe déontologique susceptible de sanctionner le journaliste qui enfreint ses règles de déontologie. Il peut y avoir une déontologie mais il n'existe pas d'organe disciplinaire. L'orateur fait la comparaison avec les avocats. Le barreau de Bruxelles interdit à un avocat de lever son secret professionnel, même lorsqu'il est cité devant un juge. Même si l'avocat a le droit de lever le secret professionnel, la déontologie l'en empêche. Pour les journalistes, il n'existe pas de déontologie sanctionnée par un organe disciplinaire.

M. Mahoux se rallie à l'avis du président. De nombreuses personnes sont en effet réticentes à l'idée de créer un ordre des journalistes.

M. De Haan répond qu'on ne peut pas dire qu'il n'y a aucune sanction en cas de faute déontologique. Du côté flamand, un dispositif déontologique a déjà été mis en place, tandis que du côté francophone, il va l'être prochainement.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que l'organe déontologique créé en Flandre a un pouvoir de sanction symbolique. La sanction la plus grave qu'il puisse prononcer est le blâme.

M. Mahoux estime que le droit donné aux organismes déontologiques, qui sont des juridictions d'exception, d'interdire l'exercice de la profession est tout à fait exorbitant.

L'orateur se réfère par ailleurs aux articles 76 et 147 de la proposition de loi dite « Franchimont » (doc. Sénat, nº 3-450). À ce stade de l'information, il est prévu que lors de l'audition d'une personne, entendue en quelque qualité que ce soit, on précise à la personne interrogée qu'elle peut s'abstenir de répondre.

Le même principe vaut pour l'interrogatoire dans le cadre de l'instruction. Si ces dispositions prévoient que la personne peut s'abstenir de répondre, cela veut dire qu'elle n'a pas l'obligation de le faire, sauf l'hypothèse de la non-assistance à personne en danger.

Le président déclare que l'on pourrait insérer, dans le Code de procédure pénale, une disposition prévoyant que la personne entendue doit dire si elle invoque le secret professionnel ou le secret des sources.

L'intervenant pense qu'il est préférable d'inscrire ce principe dans le Code de procédure pénale plutôt que dans une loi spéciale.

B.4. Audition de Mme Carine Doutrelepont, professeur à l'ULB, et M. Jean-Claude Vantroyen, chef de l'information au Soir

M. Vantroyen considère que la définition du journaliste proposée à l'article 2 du projet de loi est très large. Quiconque écrit quelque part, dans n'importe quelle feuille, ou parle quelque part, sur n'importe quelle radio, peut bénéficier de la protection des sources prévue dans le projet.

L'intervenant pense qu'il faudrait soit modifier la définition du journaliste — et il est conscient que cette entreprise est ardue — soit ne pas définir le journaliste et se contenter de poser le principe selon lequel les journalistes sont protégés par l'application de la loi en projet.

M. Coveliers estime qu'au cas où l'on aurait voulu protéger un groupe clairement définissable, on aurait utilisé le terme « journaliste professionnel » qui est protégé par la loi qui dit clairement comment il peut s'obtenir. Il ressort de la longue genèse du texte que l'objectif est précisément de rendre la protection aussi large que possible pour toutes les personnes qui traitent l'information pour faire des communications régulières au public.

Mme Doutrelepont fait remarquer que le Conseil d'État a, dans plusieurs avis, précisé que l'on ne pouvait pas réserver la liberté d'expression aux journalistes professionnels. Même si la catégorie « journalistes professionnels » existe (loi du 30 décembre 1963 relative à la reconnaissance et à la protection du titre de journaliste professionnel), cela ne constitue pas une condition d'accès à la profession. La notion de journaliste dépasse celle de journaliste professionnel au sens de la loi de 1963. Une référence qui serait faite dans le projet à l'examen à la catégorie des journalistes professionnels serait probablement censurée par le Conseil d'État.

M. Hugo Vandenberghe constate que la question du champ d'application du projet tel qu'il est défini à l'article 2 a déjà été soulevée à plusieurs reprises au cours des auditions.

M. Mahoux rappelle le cadre dans lequel il faut situer le projet de loi à l'examen. L'objectif en est la protection des sources des journalistes au motif que l'on ne peut pas mettre en péril la liberté d'expression liée au travail spécifique du journaliste.

Il faut tenter, par une formule, de protéger non seulement les journalistes professionnels mais également inclure un certain nombre de collaborateurs qui, dans l'entourage desdits journalistes, sont amenés à détenir ou ont participé à l'obtention d'informations dont les sources nécessitent une protection. Il plaide pour une approche empirique du problème. Si l'on suit une approche trop restrictive, le législateur ne fera pas oeuvre utile par rapport à la protection des sources. Si l'on développe une approche trop extensive, on risque de rendre la protection inefficace.

Mme Doutrelepont pense que la commission doit, au cours de ses travaux, garder à l'esprit l'objectif de la loi en projet. Si l'on veut une information de qualité, ce qui est la noblesse du métier de journaliste, il faut assurer la protection des sources des journalistes. L'idée n'est cependant pas de protéger tout le monde, mais ceux qui contribuent à la liberté d'expression et qui font le métier de journaliste. On peut étendre la protection aux collaborateurs qui assistent le journaliste dans l'exercice de son métier.

Il faut cependant éviter une définition qui est tellement large qu'elle finit par dépasser le métier de journaliste, ce qui éloigne la commission de l'objet de ses travaux. Ainsi, tel qu'il est libellé, les porte-parole des partis politiques entrent dans le champ d'application de l'article 2. Mme Doutrelepont doute que cela corresponde aux intentions du législateur.

L'intervenante pense qu'il est préférable de supprimer la définition du journaliste et de faire confiance au juge pour fixer les contours du texte. L'élaboration d'une définition est toujours un travail délicat. En voulant que le champ d'application de la loi soit très large, le législateur se laisse entraîner au-delà de l'objectif qu'il visait.

Le but du projet, c'est de protéger le journaliste. Mme Doutrelepont propose d'y ajouter les collaborateurs qui l'assistent dans son métier de journaliste. L'idée n'est pas de protéger le porte-parole d'une organisation, l'attaché de presse d'un cabinet ministériel ou le membre d'une société commerciale qui publie ... Or, la définition proposée par la Chambre est bien trop large pour rencontrer l'objectif.

L'arrêt Goodwin du 27 mars 1996 et l'article 10 de la CEDH s'inscrivent dans une tradition différente qui est la protection du journaliste. D'autre part, si l'on a un statut clair pour la protection des sources, on aura un statut clair pour les exceptions à la protection. En effet, si le champ d'application de la protection est trop large, l'on aura des débats très complexes sur les très nombreuses exceptions qu'il faudra prévoir. Si l'objet de la protection est précis, cela facilitera l'application du texte et cela réduira le nombre d'exceptions qui devront être prévues.

M. Hugo Vandenberghe reconnaît que la question des définitions est délicate. Il faut à tout le moins que la loi ou les travaux préparatoires indiquent clairement les intentions du législateur. Or, une définition ouverte manquera souvent de précision alors qu'une définition fermée peut poser des problèmes pratiques, car il est impossible de prévoir tous les cas concrets qui se présenteront. D'autre part, on ne peut donner une définition qui offre une protection qui est en deçà de celle assurée par la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne.

C'est pour cette raison que Mme Doutrelepont propose de poser, dans le projet, le droit au secret des sources des journalistes et des personnes qui les assistent mais elle ne définirait pas le journaliste. L'article 2 du projet n'apporte rien et crée la confusion. L'oratrice propose de le supprimer. C'est la jurisprudence qui appréciera qui est journaliste.

Mme de T' Serclaes signale qu'au Luxembourg, la loi du 8 juin 2004 a défini le journaliste.

Mme Doutrelepont ne comprend pas pourquoi l'on veut définir le journaliste dans le projet de loi à l'examen. La définition proposée à l'article 2 a d'autre part pour effet de considérer comme étant journalistes de nombreuses personnes qui, aux yeux de l'intervenante, ne sont pas journalistes. Elle préfère que l'on s'en réfère à la jurisprudence et que l'on permette au juge de vérifier, au cas par cas, si la personne est journaliste.

M. Mahoux rappelle que le but n'est pas de protéger les personnes mais bien les sources journalistiques. Or, si l'on ne définit pas les sources journalistiques, les litiges persisteront.

Mme Doutrelepont répond que les litiges en matière de secret des sources ne portent pas sur la qualité de journaliste. Le litige porte sur la question de savoir si le journaliste a le droit de taire ses sources. Dans la doctrine du droit de la presse, le secret des sources est le droit de taire l'identité de l'informateur. La jurisprudence ne s'est jamais prononcé sur la question du statut du journaliste.

L'intervenante ne trouve pas normal que, sur la base de la définition proposée à l'article 2, l'attaché de presse d'une société commerciale ait droit au secret de ses sources. Elle ne voit pas l'intérêt de légiférer sur ce point. Par contre, elle est favorable à ce que l'on reconnaisse au journaliste et à ses collaborateurs le droit de taire leurs sources d'information.

M. Hugo Vandenberghe constate que dans l'arrêt Goodwin, la Cour européenne des droits de l'homme part de la liberté de presse sous l'angle de l'article 10 de la CEDH et dispose, qu'à la lumière de la liberté de presse, il faut protéger les sources journalistiques. Ce n'est pas le journaliste qui a droit au secret des sources, mais c'est la liberté de la presse qui exige la protection des sources. Ce que l'on veut protéger, c'est le secret journalistique dans le cadre de la liberté de la presse. Or, l'article 2 du projet part d'une autre approche.

M. Mahoux rappelle que l'on veut protéger les sources qualifiées de « journalistiques ». Or, la qualité journalistique d'une source est déterminée par la personne qui a obtenu l'information.

M. Hugo Vandenberghe constate que la Cour européenne pose le débat par rapport à la liberté de presse, qui est plus large que la liberté de la presse. Si l'on entre dans le champ d'application de l'article 10 de la CEDH, on peut invoquer le secret des sources journalistiques. Le raisonnement suivi par les auteurs de la proposition de loi est différent, car ils partent de la personne qui a droit au secret des sources, à savoir le journaliste. Et, pour éviter les problèmes, ils donnent une définition très large du journaliste.

Mme Nyssens s'étonne de la difficulté rencontrée pour arriver dans notre droit à une définition du journaliste. Cette question est-elle nouvelle ? Ne peut-on pas s'inspirer de la loi du 30 décembre 1963 ?

M. Vantroyen répond que la référence à la loi de 1963 n'est pas pertinente. Cette loi définit la notion de journaliste professionnel mais pas celle de journaliste. Elle précise les critères de reconnaissance du journaliste professionnel et les conditions d'octroi de la carte de presse. Or, il existe des journalistes qui ne sont pas de journalistes professionnels et qui doivent également pouvoir bénéficier de la protection de leurs sources.

Mme Doutrelepont constate que le projet mélange deux approches : celle partant de la personne du journaliste et celle partant de la liberté de la presse. Or, si l'on cumule la notion de protection des sources d'information avec la définition du journaliste donnée à l'article 2, on va bien au-delà de la protection des sources journalistiques telle que l'entend la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Hugo Vandenberghe s'interroge également sur l'influence du projet de loi sur le procès civil. Il faut s'assurer que l'on ne crée pas une sorte d'immunité en faveur du journaliste. Il cite l'exemple d'une partie qui intente une action en responsabilité civile à l'égard d'un journaliste, à qui elle reproche d'avoir publié à la légère des informations la concernant. Quelles sont les conséquences sur le procès civil si le journaliste invoque le secret de ses sources ?

M. Mahoux répond que le projet à l'examen n'a pas pour but d'immuniser le journaliste de sa responsabilité. On ferait fausse route si le résultat du projet était d'élargir sans limite la faculté de nuisance dont usent certains journalistes. Il est clair, aux yeux de l'intervenant, que le texte ne dédouane aucune personne, qui publie, qu'elle soit professionnelle ou non, d'amener les éléments qui étayent ses publications.

M. Coveliers estime qu'en tout état de cause, le journaliste reste responsable de la diffusion d'informations erronées, même s'il invoque le secret des sources.

M. Hugo Vandenberghe précise que l'on ne renverse pas la charge de la preuve en invoquant le secret des sources. Sans quoi, la loi accorderait en l'espèce un moyen d'instaurer une immunité.

Mme Doutrelepont répond que le journaliste n'est pas au-dessus des lois et que les règles de responsabilité civile s'appliquent. Elle formule cependant deux remarques.

La protection des sources est un droit pour le journaliste. Sur le plan juridique, il peut y renoncer et livrer l'information.

Certains pays ont créé une autorité intermédiaire qui sert de lien entre la juridiction et le journaliste.

L'intervenante cite l'hypothèse d'un procès impliquant un journaliste qui a publié un article sur la base d'une pièce exclusive. Si le journaliste refuse de produire la source, celle-ci révèlant l'identité de l'informateur, il est fait appel à une autorité intermédiaire qui atteste, le cas échéant, que le document est authentique et que l'article est conforme au contenu dudit document. Peut-être serait-il opportun de réfléchir à ce type de solution en Belgique.

M. Hugo Vandenberghe estime que cette solution pose un problème sous l'angle de l'article 6 de la CEDH. Le droit à un procès équitable a pour corollaire que chaque partie au procès a le droit de connaître toutes les pièces utilisées au cours de la procédure et de les contredire.

Mme Doutrelepont confirme que si une instance intermédiaire intervient, il faut que cela se fasse dans le respect des principes du procès équitable visé à l'article 6 de la CEDH. L'oratrice se réfère à une situation comparable, en matière civile, lorsque des avocats sont confrontés à la question de la production de pièces avec des secrets d'affaire. La partie adverse n'a pas accès au secret d'affaire. On prouve une série de choses mais les éléments qui ont trait au secret d'affaire sont retirés.

L'oratrice fait le parallèle avec le secret des sources car, dans certains cas, la protection de l'informateur s'étend à la pièce elle-même. Dans une telle situation, il faut pouvoir vérifier l'information et le recours à une instance intermédiaire est une piste intéressante. Cette instance intermédiaire, qui pourrait être composée de magistrats, pourrait prendre une décision d'autorité.

M. Hugo Vandenberghe évoque l'éventualité d'un journaliste qui ferait mention d'un coup d'État planifié et disposerait du compte rendu de la réunion au cours de laquelle celui-ci a été planifié. Le juge d'instruction peut saisir ce document.

M. Mahoux fait remarquer que dans l'hypothèse d'un coup d'État évoquée par le préopinant, l'article 4 du projet, qui prévoit une exception à la protection des sources, s'applique.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il est important de définir le champ d'application avec précision. Il faut prendre en considération le secret des sources journalistiques dans le cadre de l'exercice de la liberté de la presse. La déclaration d'un attaché de presse ne relève pas de l'exercice de la liberté de la presse. En outre, on légifère seulement dans le domaine du droit pénal, non dans celui du droit civil.

M. Coveliers demande si les conditions prévues à l'article 4 doivent être remplies de manière cumulative.

M. Vantroyen confirme que les conditions visées aux 1º et 2º de l'article 4 sont cumulatives. Par ailleurs, l'article 137 du Code pénal, qui vise le terrorisme, est une disposition dont le champ d'application est fort large. Il faudrait peut-être limiter le renvoi qui y est fait à l'alinéa 1er, aux seules infractions visées à l'article 137 du Code pénal qui présentent une menace grave pour l'intégrité physique des personnes.

L'intervenant se demande si le journaliste à qui on reconnaît le droit de taire ses sources, ne doit pas également être protégé contre des poursuites sur d'autres bases, par exemple pour complicité de violation de secret professionnel. Il cite le cas du journaliste qui reçoit une information d'un policier ou d'un magistrat. Si l'on parvient à identifier le policier ou le magistrat responsable de la fuite et qu'on poursuit cette personne pour violation du secret professionnel, il ne faudrait pas que l'on puisse, en plus, poursuivre le journaliste au motif qu'il a été complice de la violation de secret professionnel.

M. Hugo Vandenberghe pense que l'on ne peut déduire de la jurisprudence de l'arrêt Goodwin que la protection des sources mène automatiquement à l'immunité pénale en cas de complicité du journaliste à la commission d'une infraction. Le principe d'égalité ne permet pas d'immuniser un journaliste complice d'une violation du secret alors qu'un tiers, commettant un fait identique, serait punissable.

Mme Doutrelepont fait remarquer que l'idée de M. Vantroyen n'est pas d'exonérer de manière générale le journaliste de toute complicité en matière de violation du secret professionnel.

L'article 6 du projet prévoit que le journaliste qui exerce son droit de ne pas révéler ses sources, ne peut être poursuivi pour recel. Si on exonère le journaliste pour le recel, il ne faudrait pas que l'on puisse le poursuivre pour complicité de violation du secret professionnel, lorsqu'il exerce le droit de taire ses sources. Cette exonération doit cependant être limitée car, dans certains cas, il est manifeste que des journalistes sont responsables de violations du secret professionnel qui ne sont pas acceptables. L'oratrice se réfère sur ce point à la jurisprudence où des cours d'appel ont déjà condamné au civil des journalistes pour complicité de violation du secret professionnel.

M. Hugo Vandenberghe pense que l'on ne peut déduire de la jurisprudence de l'arrêt Goodwin que la protection des sources mène automatiquement à l'immunité pénale en cas de complicité du journaliste à la commission d'une infraction. Le principe d'égalité ne permet pas d'immuniser un journaliste complice d'une violation du secret alors qu'un tiers, commettant un fait identique, serait punissable.

L'orateur peut se rallier à l'idée que les poursuites pénales ne peuvent être utilisées pour faire pression sur le journaliste, afin de l'obliger à dévoiler ses sources.

M. Vantroyen pense que les journalistes attendent du projet de loi qu'il définisse un cadre qui fixe les conditions leur permettant de réaliser le mieux possible leur mission d'information en bénéficiant d'une sécurité juridique maximale. Les journalistes ne demandent pas de blanc-seing. Ils travaillent, pour la très large majorité d'entre eux, dans le respect des règles de déontologie et de l'éthique professionnelle.

Mme de T' Serclaes revient à l'article 3. Dans une chronique qu'elle a publiée dans Le Soir, Mme Doutrelepont considérait que la protection accordée au 4º de cet article allait trop loin.

Mme Doutrelepont confirme, qu'à son sens, le 4º est excessif. Elle rappelle que le secret des sources vise d'abord à protéger l'informateur. Chaque fois que la personne de l'informateur n'est pas impliquée, il est normal que l'on ait accès aux documents et à l'information elle-même.

L'oratrice pense que, tel qu'il est libellé, l'article 3, 4º, peut mener au grand secret. Or, comment peut-on assurer le débat contradictoire si le secret est trop étendu ? Il faudrait limiter la portée du 4º à l'hypothèse dans laquelle le document révèle l'identité de l'informateur.

Mme de T' Serclaes pense que cet objectif est déjà rencontré par l'article 3, 1º, qui permet au journaliste de ne pas communiquer « tout renseignement, enregistrement et document susceptible de révéler l'identité de ses informateurs ». Le noeud du projet est que l'on ne puisse inquiéter la personne qui a livré l'information.

Mme Doutrelepont pense qu'une autre possibilité serait de restreindre le champ d'application du 4º en ajoutant les mots « lorsque leur révélation conduit à révéler l'identité de l'informateur ».

D'autre part, l'oratrice constate que le projet est libellé de manière générale et que le secret joue également lorsque le journaliste est entendu en qualité de témoin. Pour éviter tout problème d'interprétation, l'intervenante pense qu'il faut qu'il ressorte clairement des travaux préparatoires que le journaliste a droit au secret même lorsqu'il est entendu en qualité de témoin.

M. Hugo Vandenberghe le confirme.

M. Mahoux se réfère aux travaux de la commission dans le cadre de l'examen de la proposition de loi contenant le nouveau Code de procédure pénale (doc. Sénat nº 3-450/1). Le droit de se taire y est reconnu comme un droit fondamental.

L'intervenant pense qu'il faut par ailleurs distinguer deux hypothèses différentes. Sur le plan civil, le journaliste est libre de dire ce qu'il veut. Il peut accepter de révéler ses sources ou a le droit de le refuser. Il assume cependant les conséquences de ses actes et sera, le cas échéant, redevable de dommages et intérêts.

Sur le plan pénal, le problème est différent et la protection est nécessaire.

L'orateur revient ensuite à l'idée de la structure intermédiaire proposée par Mme Doutrelepont. Comment cette structure serait-elle composée ?

Mme Doutrelepont répond qu'elle doit être composée de personnes jouissant d'une grande autorité morale. Cela pourrait être des hautes personnalités, des magistrats ou une composition mixte. Si l'on examine les organes créés à l'étranger, leur composition est variable, mais pluraliste, afin de garantir l'indépendance de la structure. Le Conseil supérieur de la Justice avait insisté pour que l'on réfléchisse à l'installation d'une structure intermédiaire.

L'oratrice attire ensuite l'attention des membres sur l'article 5 du projet. Il faut s'assurer que tous les moyens technologiques d'investigation qui sont à disposition des autorités sont bien visés. Elle pense par exemple à des techniques d'interception des courriels ...

M. Coveliers ne comprend pas l'inquiétude de la préopinante. Il rappelle que le recours aux méthodes particulières de recherche nécessite une décision d'un juge d'instruction. Si l'on utilise des méthodes particulières de recherche mettant en oeuvre des nouvelles techniques qui ne seraient pas acceptables, cela signifie qu'un juge d'instruction les a ordonnées. De telles craintes font preuve d'un manque de confiance vis-à-vis des juges d'instruction, qui sont des magistrats. C'est par ailleurs en contradiction avec l'idée de faire siéger des magistrats au sein de l'organe intermédiaire. Enfin, l'orateur estime que l'article 5 est libellé de manière générale. Il vise toutes les mesures d'information ou d'instruction.

Mme Doutrelepont fait remarquer que l'article se réfère aux écoutes téléphoniques mais qu'il existe d'autres types d'écoutes que téléphoniques. Elle voulait simplement s'assurer que les différents moyens de télécommunication étaient couverts.

M. Hugo Vandenberghe illustre la portée de l'article 5 par l'exemple suivant. Que se passe-t-il si un journaliste publie un faux document et que la seule manière pour la personne lésée de prouver le faux en écriture, c'est de saisir l'écrit qui est en possession du journaliste ? Peut-on déduire du projet de loi que la saisie de la pièce qui constitue la preuve matérielle de l'infraction n'est pas possible ?

L'intervenant rappelle qu'en vertu de l'article 6 de la CEDH, toute personne a droit à un procès équitable. Les systèmes d'immunité ne peuvent avoir pour conséquence que tout procès devient impossible.

Mme Doutrelepont pense que l'ambiguïté du projet sur ce point résulte du fait que le secret des sources est étendu, à l'article 3, au contenu des informations. Si tel n'était pas le cas, le problème soulevé par le préopinant serait résolu.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Intitulé

M. Mahoux dépose l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-670/2) visant à remplacer l'intitulé du projet par l'intitulé suivant : « Projet de loi relatif à la protection des sources journalistiques ».

La notion de protection doit être préférée à celle de « secret », car la notion de secret se rapproche trop de celle de secret professionnel, soit une obligation et non un droit.

L'amendement est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Article 2

L'amendement nº 2 de M. Mahoux (doc. Sénat, nº 3-670/2) est retiré en faveur de l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 3-670/3) du même auteur. Cet amendement vise à adapter et à rendre plus précise la formulation de l'article 2. L'objectif est de définir de manière ouverte les futurs bénéficiaires de la protection. Non seulement les journalistes, mais aussi les

collaborateurs de la rédaction bénéficient de cette protection. Au 1º proposé, l'amendement donne une définition du mot « journalistes » et, au 2º, il précise les circonstances dans lesquelles les collaborateurs de la rédaction peuvent bénéficier de la protection des sources. Le ministre peut se rallier à cette proposition.

Mme de T' Serclaes fait remarquer qu'initialement, le gouvernement soutenait le texte du projet de loi tel qu'il avait été voté par la Chambre des représentants. Ce texte avait d'ailleurs fait l'objet d'une discussion très approfondie à la Chambre et avait donné lieu à de nombreuses auditions. Le texte de compromis proposé avait finalement pu compter sur un très large consensus.

En ce qui concerne la définition prévue à l'article 2, l'intervenante renvoie au rapport de la commission de la Justice de la Chambre (doc. Chambre, nº 51-0024/010) : « Il va sans dire que les journalistes qui collaborent à un article bénéficient ensemble de la protection. Il en va de même du collaborateur qui prépare le dossier et participe au traitement des informations. Dès qu'une personne traite des informations (c'est-à-dire les vérifie, les complète, les analyse, etc.) pour en faire une communication régulière au public, elle bénéficie de la protection. »

L'intervenante a le sentiment que la définition proposée à l'article 2 répond à toutes les préoccupations de M. Mahoux.

M. Hugo Vandenberghe fait référence à l'audition de Mme Doutrelepont, laquelle a souligné que le texte proposé pourrait avoir pour conséquence de permettre à tout attaché de presse ou porte-parole d'invoquer le secret des sources.

M. Willems souhaite mettre sur l'accent sur le fait que ce texte crée une certaine immunité et doit donc être restrictif. Or, tout comme l'amendement de M. Mahoux, il semble formulé d'une manière très large. L'intervenant est d'avis que l'adhésion à une association professionnelle pourrait favoriser la sécurité juridique.

Quant à l'argument selon lequel les textes sont fondés sur une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, il le juge dénué de toute pertinence. En effet, contrairement à l'amendement de M. Mahoux, la recommandation met, elle, l'accent sur le traitement des données.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que l'amendement de M. Mahoux contient deux volets; le 1º concerne la définition du journaliste, le 2º règle le degré de protection des collaborateurs.

M. Willems précise que ses objections concernent surtout le deuxième volet, qui porte sur les collaborateurs de la rédaction. Cette formulation est trop large. Une certaine sécurité juridique semble nécessaire.

M. Hugo Vandenberghe estime que l'amendement répond à la remarque selon laquelle le texte tel qu'il a été voté à la Chambre des représentants laissait trop de marge.

M. Mahoux confirme que la définition qu'il propose est plus restrictive que celle proposée dans le texte du projet. Il estime cependant qu'il est impossible d'inscrire dans un texte de loi la condition d'affiliation à une association professionnelle. L'amendement vise à la fois les journalistes qui participent régulièrement au traitement de l'information en tant qu'indépendants et ceux qui y participent en tant que salariés, c'est-à-dire dans un lien de subordination.

Le 2º protège les collaborateurs de la rédaction. Le but visé ne saurait être de protéger tous ceux qui, quelle que soit leur fonction, travaillent pour un organe de presse. Il faut en revanche pouvoir protéger les sources de ceux qui collaborent sur une base régulière avec des journalistes à la collecte, au traitement ou à la diffusion des informations, et qui, par cette collaboration, connaissent par conséquent l'auteur des sources en question.

M. Willems fait remarquer qu'il ne ressort pas suffisamment du texte néerlandais de l'amendement nº 6 que les collaborateurs de la rédaction sont des personnes qui sont chargées de la collecte, du traitement ou de la diffusion des informations. Il faudrait remplacer les mots « ongeacht of » dans le 2º proposé par le mot « en ». L'intervenant dépose l'amendement nº 19 à cet effet (doc. Sénat, nº 3-670/4).

Mme de T' Serclaes est persuadée qu'une définition s'impose et elle renvoie aux discussions qui ont eu lieu à la Chambre à ce sujet. La définition qui a finalement été adoptée est aussi celle de l'Association générale des journalistes professionnels de Belgique. Les notions de « traitement de l'information » et de « communication régulière » sont essentielles pour cette définition.

Traiter des données suppose qu'on les collecte, qu'on les vérifie, qu'on les étoffe, qu'on les analyse, etc. Le traitement ne se limite donc pas à une manipulation physique, mais revêt aussi une dimension intellectuelle. De plus, la communication régulière (au niveau des médias utilisés) est un élément indispensable, de manière que l'auteur d'un livre ne tombe pas sous le coup de la législation. La définition proposée concerne donc les journalistes professionnels, mais aussi toutes les personnes qui traitent des informations en vue de les communiquer au public par l'entremise d'un média qui paraît régulièrement. La protection couvre donc aussi le collaborateur qui prépare le dossier et le photographe de presse, puisqu'ils coopèrent au traitement de l'information.

L'intervenante estime que le texte proposé dans le projet de loi est suffisamment clair et que l'amendement de M. Mahoux est superflu.

Quel est exactement le point de vue du gouvernement en la matière ? Pourquoi le texte adopté par la Chambre semble-t-il tout à coup ne plus donner satisfaction ?

La ministre renvoie également aux comptes rendus des travaux de la commission de la Justice de la Chambre des représentants. Le gouvernement n'a pas l'intention d'imposer un texte; son objectif est que le projet à l'examen recueille un soutien suffisant de la part du parlement. La question de la portée de la notion de journaliste s'est posée dès le début et elle est revenue régulièrement sur le tapis. D'aucuns estimaient que la définition était trop restrictive, d'autres, trop large. Au cours des auditions, on a même entendu dire qu'il fallait protéger également le chauffeur du journaliste. La définition donnée à l'article 2 peut en effet être considérée comme étant plutôt vague et pouvant prêter à discussion. Tout le monde a intérêt à ce que la définition de ce que l'on entend protéger exactement soit la plus précise possible.

M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que la présente législation s'appliquerait en droit pénal. Comme on créerait une forme d'immunité relative, la disposition en question doit être conforme au principe de légalité. Le texte doit donc être suffisamment précis.

Le champ d'application du texte qui a été approuvé par la Chambre des représentants n'est pas définissable. L'on en perçoit mal les limites. Le but n'est pas de protéger tout le monde (par exemple les porte-parole des hommes politiques). Le secret des sources est lié à la liberté d'expression s'exerçant par le biais des médias. Dans une société démocratique, la liberté d'expression est subordonnée à la protection des sources. Le secret des sources doit être considéré dans le prolongement de l'article 10 de la CEDH. La définition proposée dans le projet à l'examen coupe le lien avec l'article 10 de la CEDH.

Mme Nyssens renvoie à son amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui reprend la définition adoptée par le Conseil de l'Europe dans sa recommandation R (2000-7). Il y a lieu d'entendre par « journaliste » toute personne physique ou morale pratiquant à titre régulier ou professionnel la collecte et la diffusion d'informations au public par l'intermédiaire de tout moyen de communication de masse. L'intervenante estime que cette définition ne diffère guère, sur le fond, de celle donnée dans l'amendement de M. Mahoux.

M. Mahoux met en exergue les différences suivantes : l'amendement de Mme Nyssens parle de moyen de communication de masse tandis que son amendement à lui parle de « média ». De plus, l'amendement de l'intervenant fait référence au statut social du journaliste, c'est-à-dire travailleur indépendant ou travailleur salarié. L'amendement de l'intervenant paraît plus restrictif.

Mme de T' Serclaes se demande quelles différences il y a entre le texte du projet et le texte de l'amendement de Mme Nyssens.

Pour M. Hugo Vandenberghe, il faut faire la distinction entre communication au public et moyen de communication de masse. Il donne l'exemple de quelqu'un qui envoie chaque jour des centaines de courriels : ce n'est pas un moyen de communication de masse.

Mme de T' Serclaes fait remarquer qu'il ne s'agit pas là d'un traitement de l'information. De plus, la notion de journaliste a donné lieu à une jurisprudence constante. Dans la pratique, on ne s'écartera pas trop des définitions existantes ni de la jurisprudence en la matière. Les mots « contre rétribution » qui sont utilisés dans la définition proposée dans l'amendement de M. Mahoux constituent en revanche un élément nouveau.

À la suite de la discussion, MM. Mahoux et consorts déposent l'amendement nº 23 (doc. Sénat, nº 3-670/4) qui propose une nouvelle définition visant à définir le champ d'application ratione personae de la loi. Les amendements nos 2, 6, 19 et 14 sont retirés.

L'amendement nº 23 est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Article 3

Cet article définit le champ d'application ratione materiae de la loi.

M. Mahoux retire son amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 3-670/2), au bénéfice de l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 3-670/3). Cet amendement remplace l'article 3 et instaure une restriction afin de ne pas vider de sa substance la notion de secret des sources. Mme Nyssens dépose l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 3-670/4) visant à remplacer la première phrase de cet article par la phrase suivante : « Tout journaliste, qu'il soit entendu comme témoin, prévenu, accusé ou inculpé, a le droit de taire ses sources d'information. » Quelle que soit la situation du journaliste, celui-ci doit toujours avoir le droit de taire ses sources d'information.

Cet amendement est retiré et remplacé par l'amendement nº 22 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui sous-amende l'amendement nº 7 et a, sur le fond, la même finalité que l'amendement nº 15. Il précise que les personnes visées à l'article 2, qu'elles soient entendues comme témoin, prévenu, accusé ou inculpé, ont le droit de taire leurs sources d'information.

La commission estime que l'amendement vise à apporter une simple précision, qui ne doit pas nécessairement être insérée dans le texte de loi proprement dit. Il semble suffisant de faire figurer cette précision dans le rapport. Quelle que soit la qualité en laquelle elle est entendue, la personne visée à l'article 2 a le droit de taire ses sources.

Mme Nyssens retire donc son amendement.

L'amendement nº 7 est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Article 3bis (nouveau)

M. Mahoux dépose l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 3-670/2) qui instaure l'obligation d'informer préalablement les journalistes du droit dont ils bénéficient de taire leurs sources.

M. Willems demande quelle est la sanction en cas de non-respect de cette obligation.

M. Hugo Vandenberghe répond que c'est le droit commun qui s'applique. Il y a nullité en cas de violation des droits de la défense. Ce point devra être examiné de manière plus approfondie dans le cadre du nouveau Code de procédure pénale (doc. Sénat, nº 3-450).

M. Willems déclare que cette disposition n'a pas sa place ici, mais doit être intégrée dans le nouveau Code de procédure pénale.

Mme de T' Serclaes partage cet avis.

M. Mahoux admet que cette question sera réglée dans le nouveau Code de procédure pénale. Toutefois, la proposition de loi instaurant ce nouveau Code a encore un long chemin à parcourir. Aussi l'intervenant maintient-il son amendement.

L'amendement est rejeté par 5 voix contre 4 et 1 abstention.

Article 4

M. Mahoux retire son amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 3-670/2), au bénéfice de l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 3-670/3).

La première partie de l'amendement a une finalité purement technique et vise à adapter le texte à la lumière des modifications apportées par l'amendement nº 2 du même auteur.

La seconde partie de l'amendement vise à restreindre la portée de l'article 137 du Code pénal aux infractions qui pourraient avoir des conséquences pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

M. Hugo Vandenberghe indique que le principe de subsidiarité a été inséré dans le texte.

Mmes Defraigne et de T' Serclaes ainsi que M. Cheffert déposent l'amendement nº 17, qui vise à remplacer les mots « si elles sont de nature à prévenir des infractions » par les mots « si elles sont de nature à prévenir la commission des infractions ... ».

Mme de T' Serclaes ne voit pas très bien comment on pourra savoir que l'on se trouve dans la situation décrite à l'amendement nº 8, c'est-à-dire qu'il s'agit précisément d'infractions susceptibles d'avoir des conséquences pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes. En outre, il y a des infractions qui, sans entraîner une atteinte directe à l'intégrité physique, sont néanmoins très graves.

Mme Nyssens ne voit pas pourquoi il doit être fait explicitement référence ici à l'article 137. En effet, le texte précise déjà que l'on peut être tenu de livrer ses sources d'informations si celles-ci sont de nature à prévenir des infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

M. Mahoux cite l'exemple de la paralysie d'une centrale électrique à proximité d'un hôpital. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une atteinte directe à l'intégrité physique, une telle paralysie peut avoir de nombreuses conséquences sur l'intégrité physique de plusieurs personnes.

M. Hugo Vandenberghe se réfère à la doctrine de l'équivalence. Les infractions qui portent atteinte à l'intégrité physique ne requièrent pas l'existence d'un lien de causalité direct. L'atteinte directe à l'intégrité physique ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction. En outre, en cas de faute intentionnelle, il n'y a pas lieu d'examiner si l'intéressé avait l'intention de porter atteinte à l'intégrité physique des personnes. Un attentat est une infraction intentionnelle.

Mme Talhaoui demande si l'on pourrait vérifier la concordance entre le texte néerlandais et le texte français. Du fait de l'emploi du terme « waarbij », le texte néerlandais semble, à première vue, avoir une portée plus large que le texte français.

La ministre renvoie à la discussion en commission de la Justice de la Chambre. Il faut procéder, en l'espèce, à une mise en balance d'intérêts. Qu'est-ce qui est suffisamment important pour que l'on décide qu'un journaliste doit révéler sa source ?

On s'est référé à la Chambre à la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes. Celle-ci part d'infractions existantes, prévues dans le Code pénal, auxquelles elle ajoute un complément : si une certaine infraction, déjà définie par le droit pénal, est commise dans des conditions déterminées, elle devient une infraction terroriste. En d'autres termes, on ne crée pas de nouvelle infraction, mais on qualifie de « terroristes » des infractions existantes commises dans certaines conditions. Les infractions énumérées à l'article 137 du Code pénal ne constituent pas toutes d'emblée une menace pour l'intégrité physique.

L'intervenante cite l'exemple d'une cabine électrique située à la campagne. Si un journaliste détient des informations sur un projet d'attentat à l'explosif contre cette cabine, il faut procéder à une mise en balance d'intérêts. Il en irait tout autrement en cas de projet d'infraction identique en plein centre-ville. L'amendement vise à limiter le champ d'application dans le cadre duquel un journaliste est tenu de dévoiler ses sources. Les infractions énumérées dans la loi du 19 décembre 2003 n'entrent pas toutes en ligne de compte.

M. Hugo Vandenberghe aimerait savoir quelles infractions, parmi celles visées à l'article 137, peuvent être exclues a priori. Parmi les infractions énumérées dans cet article, quelles sont celles qui n'entraînent jamais une atteinte à l'intégrité physique ?

L'orateur réitère son objection de principe. Une jurisprudence constante prévoit qu'en cas de faute intentionnelle, l'auteur assume toutes les conséquences de ses actes intentionnels, que celles-ci soient prévisibles ou non. Même dans le cas de l'explosion intentionnelle d'une cabine électrique dans un champ, il peut y avoir atteinte à l'intégrité physique, par exemple, d'un cycliste ou d'un promeneur qui passe par là au moment de l'explosion. En liant ici à l'article 137 la possibilité d'une atteinte physique, on soulève la question de savoir ce qu'il faut faire en cas d'infraction intentionnelle. En effet, en cas d'infraction intentionnelle, le dommage physique va toujours de pair. L'article 137 requiert l'existence d'une intention particulière.

Mme de T' Serclaes partage cet avis. Selon elle, les mots « ou des infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique » sont superflus. La formulation de l'article 137 est suffisamment claire.

Mme Talhaoui demande s'il n'existe pas, pour les journalistes, un code de déontologie énumérant leurs droits et leurs devoirs.

M. Hugo Vandenberghe souligne que les infractions visées à l'article 137 concernent en fait des activités terroristes incluant la probabilité de mettre fin à la vie d'une personne.

La ministre cite une exception possible, à savoir la disposition relative à la législation sur les armes. Le port d'une arme sans permis est une infraction, qui n'a toutefois pas d'incidence sur l'intégrité physique.

M. Hugo Vandenberghe conclut qu'il faut revoir la formulation de l'article 5.

M. Cheffert et consorts déposent l'amendement nº 21 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui tend à sous-amender l'amendement nº 8 de M. Mahoux.

Le point A de cet amendement nº 21 vise à supprimer les mots « en ce qu'elles pourraient porter atteinte à l'intégrité physique, ».

Les auteurs considèrent que les infractions énoncées à l'article 137 du Code pénal comportent toutes potentiellement une atteinte à l'intégrite physique, directement ou indirectement.

Les points B et C visent à insérer, dans le texte français, après les mots « à prévenir » les mots « la commission ». On ne prévient pas les infractions, on prévient la commission de celles-ci.

M. Coveliers pense que les mots « en ce qu'elles pourraient porter atteinte à l'intégrité physique » peuvent poser des problèmes d'interprétation. L'on crée ainsi une grande latitude d'appréciation, qui aboutit à remettre en question le principe même de l'existence du secret des sources.

M. Mahoux estime que les mots « en ce qu'elles pourraient porter atteinte à l'intégrité physique » ont bel et bien leur importance.

M. Hugo Vandenberghe demande si la traite des êtres humains relève bien des infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes.

L'auteur de l'amendement nº 8 répond par l'affirmative.

Mme Nyssens n'est pas d'accord sur la formulation de l'amendement nº 8. Il est déjà fait mention, dans le premier membre de phrase, des infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique. Pourquoi faut-il répéter dans le deuxième membre de phrase, qui concerne l'article 137, que l'intégrité physique doit être menacée ?

M. Mahoux a l'impression que tous les commissaires sont d'accord pour mentionner l'article 137. Pourtant, les infractions visées à l'article 137 ne peuvent être prises en considération que pour autant qu'elles menacent l'intégrité physique. Si l'on mentionne l'article 137, il faut mentionner aussi la condition de la menace de l'intégrité physique.

M. Hugo Vandenberghe propose une formulation plus claire, à savoir « y compris les infractions visées à l'article 137 du Code pénal, dans la mesure où elles constituent une menace pour l'intégrité physique ».

M. Mahoux marque son accord sur la formule proposée, qui peut donc être considérée comme une correction rédactionnelle apportée à son amendement nº 8. Le libellé proposé indique clairement que les conditions de proportionnalité et de subsidiarité doivent être respectées. Une appréciation est nécessaire, y compris pour toutes les infractions terroristes.

L'amendement nº 8 de M. Mahoux, ainsi corrigé, est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Les points B et C de l'amendement nº 21 de M. Cheffert et consorts sont adoptés par 5 voix et 6 abstentions.

L'amendement nº 21A est rejeté par 7 voix contre 4.

L'amendement nº 17 est retiré.

Article 5

M. Mahoux dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 3-670/3), qui vise à adapter le texte de l'article 5 en fonction des modifications visées par l'amendement nº 6 relatif à l'article 2.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 16 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui élargit le spectre des écoutes exclues. La prise de connaissance de communications y est également mentionnée.

M. Hugo Vandenberghe souligne que l'énumération des mesures mentionnées n'est pas limitative car elle est précédée des mots « telles que ».

Mmes Defraigne et de T' Serclaes ainsi que M. Cheffert déposent l'amendement nº 18 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui vise à insérer le mot « notamment » après les mots « telles que ». Cet amendement est retiré.

M. Hugo Vandenberghe souligne que cet article ne peut donner lieu à aucune immunité.

L'amendement nº 9 est adopté par 10 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 16 est rejeté par 4 voix contre 1 et 6 abstentions.

Article 5bis (nouveau)

M. Mahoux dépose l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 3-670/3), qui détermine la sanction si des preuves sont recueillies ou si des actes de procédure sont posés en violation du secret des sources.

M. Willems déclare qu'il ne sera pas toujours facile pour les personnes procédant à l'interrogatoire de savoir si elles ont à faire à un collaborateur de rédaction. Connaît-on toujours suffisamment la qualité de la personne à qui l'on a à faire ? La personne entendue peut même dissimuler sciemment qu'elle est un collaborateur de la rédaction. Ici aussi, une plus grande sécurité juridique s'impose.

M. Hugo Vandenberghe se demande si l'on peut considérer la réponse à cette question indépendamment du contenu de la déclaration du collaborateur de la rédaction. Si le collaborateur de la rédaction ne fait pas de déclaration préalable, garde le silence et tait ainsi ses sources, il n'y a pas, selon l'orateur, violation du principe de droit que l'on entend sauvegarder. Dans ce cas, il n'y a pas de violation du secret des sources, ni de nullité de l'interrogatoire. On veut, en effet, protéger le secret des sources. En revanche, si un collaborateur de la rédaction n'est pas informé préalablement du droit dont il bénéficie de taire ses sources et viole ainsi le secret des sources, il y aura nullité.

M. Willems est d'avis que, si la personne n'a pas été avertie du droit qu'elle a de taire ses sources, il s'ensuit une nullité générale. Une deuxième question est de savoir ce qu'il faut entendre exactement par collaborateur de rédaction.

Selon M. Mahoux, il doit s'agir d'un collaborateur d'un journaliste qui, dans l'exercice de son activité journalistique, a été amené à prendre connaissance d'informations permettant d'identifier les sources.

M. Hugo Vandenberghe souligne que l'article 5bis fait référence aux articles 4 et 5. L'hypothèse de l'absence de déclaration préalable n'est pas couverte par cet article.

M. Mahoux renvoie à son amendement visant à introduire un article 3bis. Il sait que cette matière sera réglée dans le cadre du nouveau Code de procédure pénale, mais il souhaite d'ores et déjà prévoir, en attendant, une disposition à cet égard.

M. Hugo Vandenberghe souligne que les garanties du droit commun s'appliquent pleinement en l'espèce.

L'amendement nº 10 est rejeté par 5 voix contre 5 et 1 abstention.

Article 6

M. Mahoux dépose l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 3-670/3), qui vise aussi à adapter le texte de cet article en fonction des modifications visées par l'amendement nº 6 relatif à l'article 2.

L'amendement est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Article 6bis (nouveau)

M. Mahoux dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 3-670/3) qui concerne la question de la complicité d'un journaliste, au sens de l'article 67, alinéa 4, du Code pénal, lorsqu'il y a eu violation du secret professionnel au sens de l'article 458 du Code pénal. Il est en effet hors de question de priver des personnes du droit au secret des sources en arguant de leur complicité.

Mme de T' Serclaes trouve cet amendement trop large.

La ministre souligne que des personnes ont été poursuivies pour complicité de violation du secret professionnel, parce qu'elles avaient obtenu les informations de quelqu'un qui avait lui-même violé le secret professionnel auquel il était tenu. On a jadis recouru régulièrement à cette échappatoire avec le recel.

M. Hugo Vandenberghe estime que la formulation de l'amendement n'est pas tout à fait correcte. L'amendement semble dire qu'un journaliste qui invoque le secret des sources ne peut être poursuivi sur la base de l'article 67, alinéa 4, du Code pénal. Il faut insérer les mots « en cas de violation du secret professionnel » dans le texte du nouvel article.

Mmes Defraigne et de T' Serclaes ainsi que M. Cheffert déposent l'amendement nº 20 (doc. Sénat, nº 3-670/4), qui sous-amende l'amendement nº 12.

L'amendement vise à préciser le texte et insère les mots « En cas de violation du secret professionnel au sens de l'article 458 du Code pénal ».

M. Coveliers renvoie à l'article 67, alinéa 4, qui requiert une intention particulière. L'intervenant estime qu'il ne doit pas y avoir d'immunité si le dol spécial est établi et que le journaliste n'a donc d'autre intention que de violer le secret professionnel.

La ministre note que l'article 67 concerne la complicité et non la corréité visée à l'article 66. Le journaliste sait aussi le plus souvent qu'il reçoit des informations de quelqu'un qui est tenu par le secret professionnel. L'immunité conférée en l'espèce n'est pas aussi large que M. Coveliers semble le craindre.

M. Mahoux peut marquer son accord sur le sous-amendement nº 20, qui limite la portée de son amendement.

M. Hugo Vandenberghe pense que la portée de l'amendement nº 12 est effectivement large, compte tenu de la référence à l'article 67, alinéa 4. Toutefois, un journaliste qui publie volontairement un faux document se rend complice d'usage de faux. Cela n'a rien à voir avec le secret des sources.

L'intervenant fait remarquer qu'il peut arriver qu'une publication faite en violation du secret professionnel serve l'intérêt public (voir l'affaire dr. Gruber et Mitterand, dans laquelle l'éditeur a été mis hors cause).

L'intervenant tient aussi à souligner que le fait qu'un journaliste prête son concours à une violation du secret professionnel ne signifie pas a priori que sa responsabilité civile ne puisse pas être engagée. Le journaliste est en effet tenu à un devoir général de prudence.

L'unique finalité de l'amendement est de préciser que l'on ne peut pas être poursuivi pour une infraction qui est directement liée au secret des sources.

L'amendement nº 12, tel que sous-amendé par l'amendement nº 20, est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Article 6ter (nouveau)

M. Mahoux dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 3-670/3), qui prévoit que la loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

Mme Nyssens plaide pour l'application de la disposition de droit commun; il n'y a pas d'urgence spécifique.

M. Hugo Vandenberghe souligne que le secret des sources est protégé par la Convention européenne des droits de l'homme et concerne l'ordre public. De plus, il est fait pression sur l'exécutif pour qu'il ne tarde pas à faire publier le projet de loi.

L'amendement nº 13 est retiré.

V. VOTES

Le projet de loi amendé a été adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Philippe MAHOUX. Hugo VANDENBERGHE.