3-895/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

5 NOVEMBRE 2004


Proposition de loi modifiant l'article 682 du Code judiciaire

(Déposée par M. Hugo Vandenberghe)


DÉVELOPPEMENTS


Les rapports annuels de la Cour de cassation contiennent un certain nombre de propositions formulées par le ministère public, qui visent à modifier la législation. Ces propositions ont vu le jour à la suite notamment de problèmes juridiques liés à l'application des lois ou au fonctionnement du pouvoir judiciaire en général, et qui semblent nécessiter une modification de la législation.

La manière dont est organisée l'assistance judiciaire devant la Cour de cassation, par exemple, n'est que partiellement définie par les dispositions du Code judiciaire qui s'y rapportent. L'article 682, alinéa 2, du Code judiciaire prévoit que le bénéfice de l'assistance n'est accordé pour la procédure devant la Cour de cassation en matière civile qu'après avis demandé par le bureau à un avocat à la Cour de cassation désigné par le bâtonnier de son ordre.

Il est cependant clair que de nombreux pourvois en cassation envisagés n'ont aucune chance d'aboutir, soit pour des motifs de fond, soit pour des motifs de recevabilité. Dans ces circonstances, et plus spécialement en l'absence de dispositions légales claires, il y a lieu de se demander de quels moyens le bureau d'assistance judiciaire de la Cour de cassation dispose pour refuser l'assistance judiciaire et quelle est la procédure à suivre en la matière.

La présente proposition de loi vise dès lors à préciser de quelle manière la Cour accorde ou refuse l'assistance judiciaire.

À cet égard, il convient de citer avant tout un passage de l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Aerts contre Belgique, dans laquelle la Belgique a été condamnée pour violation de l'article 6 de la CEDH (arrêt du 30 juillet 1998):

«Dans ces conditions, le requérant, qui ne disposait pas de moyens pour rémunérer un avocat, pouvait légitimement vouloir s'adresser au bureau d'aide judiciaire afin de se pourvoir en cassation puisque, en matière civile, la législation belge impose la représentation par un avocat à la Cour de Cassation. Le bureau n'avait pas à apprécier les chances de succès du pourvoi envisagé; il appartenait à la Cour de cassation de décider. En rejetant la demande au motif que la prétention ne paraissait pas actuellement juste, le bureau d'assistance judiciaire a porté atteinte à la substance même du droit de M. Aerts à un tribunal. Partant il y a violation de l'article 6, § 1er

Après l'affaire Aerts, la Cour de cassation a adapté la procédure en matière d'assistance judiciaire de manière prétorienne. Cette procédure prétorienne a été soumise à l'appréciation de la Cour européenne des droits de l'homme à l'occasion de l'affaire Debeffe contre Belgique. Dans le cadre de la présente proposition de loi et pour la bonne compréhension de la procédure actuellement suivie par la Cour de cassation, nous tenons à citer un certain nombre de passages importants de l'arrêt Debeffe.

À propos de la description de la procédure, la Cour signale explicitement ce qui suit:

«Le président du bureau d'assistance peut prendre une décision de rejet immédiat s'il considère que le requérant n'est pas indigent ou pour des motifs intéressant la seule recevabilité de la requête. Parmi ces motifs figurent notamment le fait que le requérant refuse d'indiquer la décision qu'il a l'intention d'attaquer, le fait que le délai prévu pour le recours en cassation est manifestement expiré, ainsi que la circonstance que la requête ne peut plus être examinée utilement du fait que le délai de recours en cassation est presque expiré. Une décision de rejet immédiat peut aussi être prise si l'assistance d'un avocat à la Cour n'est pas requise et s'il n'y a pas d'autres frais justifiant l'octroi du bénéfice ou lorsqu'un pourvoi serait «manifestement mal fondé», ce qui signifie qu'il pourrait constituer un abus de droit caractérisé.

Si le président du bureau d'assistance judiciaire décide que la requête est recevable et que, a priori, l'insuffisance de revenus semble établie, il renvoie immédiatement la cause au bâtonnier de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation qui désigne un avocat à la Cour de cassation qui examinera la requête et communiquera son avis motivé au président du bureau.

Dans les causes qui ne sont pas urgentes, le président du bureau fixe la cause, après concertation avec le ministère public, à une audience du bureau qui se tiendra deux semaines après qu'il aura pris connaissance de l'avis. Les parties au litige sont entendues en chambre du conseil ; le ministère public émet son avis, les parties ont le dernier mot et le bureau statue ensuite. La décision du bureau est prononcée en audience publique, conformément aux dispositions générales prévues en la matière. Dans les causes urgentes, le président du bureau transmet le dossier au premier président de la Cour qui statue sur l'avis du président du bureau, de l'avocat à la Cour de cassation et du ministère public, sans entendre préalablement les parties.

Les décisions du bureau et du premier président sont motivées, souvent par référence à l'avis de l'avocat à la Cour de cassation qui y est joint. À ce stade, la circonstance qu'un pourvoi est raisonnablement dépourvu de chance de succès peut justifier le rejet de la demande.»

À propos de cette procédure, la Cour européenne des droits de l'homme dit pour droit ce qui suit:

«La Cour rappelle que la Convention n'oblige pas à accorder l'aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile. En effet, il y a une nette distinction entre les termes de l'article 6, § 3 c), qui garantit le droit à l'aide judiciaire gratuite sous certaines conditions dans les procédures pénales, et ceux de l'article 6, § 1er, qui ne renvoie pas du tout à l'aide judiciaire. Par ailleurs, un système d'assistance judiciaire ne peut fonctionner sans la mise en place d'un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d'en bénéficier (voir, par exemple, ses décisions du 10 juillet 1980 dans l'affaire X. c. Royaume-Uni, requête n° 8158/78, DR 21, p. 95, et du 10 janvier 1991 dans l'affaire Ange Garcia c. France, requête n° 14119/98) et un système qui prévoit de n'allouer des deniers publics au titre de l'aide juridictionnelle qu'aux demandeurs dont le pourvoi a une chance raisonnable de succès ne saurait en soi être qualifié d'arbitraire (Del Sol c. France, no 46800/99 (Sect. 3), CEDH 2002 - 26 février 2002, § 23).

Dans l'appréciation d'un refus d'aide juridictionnelle, il est important de prendre concrètement en compte la qualité du système d'assistance judiciaire dans un État et la manière dont il a été appliqué dans le cas d'espèce (arrêt Del Sol précité, § 25).

Il est vrai que, dans l'affaire Aerts c. Belgique, la Cour a conclu à une violation de l'article 6, § 1er, après avoir souligné qu'«en rejetant la demande d'assistance judiciaire au motif que la prétention ne paraissait pas actuellement juste, le bureau d'assistance judiciaire a porté atteinte à la substance même du droit [du requérant] à un tribunal» (arrêt Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, p. 1964, § 60). Suite à cet arrêt, un nouveau système a été mis en place par le législateur belge. La Cour constate que ce système offre des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire. Le bureau d'assistance judiciaire établi près la Cour de cassation est présidé par un magistrat du siège de cette cour assisté de son greffier. Sauf dans le cas particulier d'une requête qui ne répond pas aux conditions de recevabilité, un avocat à la Cour de cassation, désigné par le bâtonnier de l'Ordre des avocats à la Cour de cassation, examine la requête et remet un avis motivé au président du bureau. Dans les causes qui ne sont pas urgentes comme en l'espèce, une audience du bureau d'assistance judiciaire se tient deux semaines après le dépôt de l'avis. Les parties au litige, qui ont connaissance de l'avis, y sont convoquées. Si elles sont présentes, elles sont entendues, de même que le ministère public, et elles auront la parole en dernier. Le bureau d'assistance judiciaire se prononce en audience publique par décision motivée, même si ce n'est souvent que par référence à l'avis de l'avocat à la Cour de cassation qui y est joint. Telle a été la procédure suivie dans le cas d'espèce.

(...)

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le refus du bureau d'aide juridictionnelle de lui accorder l'aide judiciaire pour saisir la Cour de cassation rendu notamment sur base de l'avis de l'avocat spécialisé, n'a pas atteint dans sa substance même le droit d'accès à un tribunal du requérant.

Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée au sens de l'article 35, § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l'article 35, § 4.»

La procédure en matière d'assistance judiciaire que la Cour de cassation applique à l'heure actuelle a ainsi été déclarée conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.

Hugo VANDENBERGHE.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée par l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 682 du Code judiciaire est remplacé par la disposition suivante:

«Art. 682. — Devant le bureau de la Cour de cassation, la procédure est suivie conformément aux articles 675 à 677 et 681.

Sauf s'il s'agit du mémoire en réponse au pourvoi, le Bureau de la Cour de cassation ne se prononce, dans les matières visées à l'article 478 du Code judiciaire sur la demande d'assistance judiciaire, qu'après avoir recueilli l'avis d'un avocat à la Cour de cassation désigné par le bâtonnier de l'Ordre. Il peut néanmoins rejeter la demande sans cet avis préalable s'il constate que, soit la requête d'assistance judiciaire, soit le pourvoi envisagé est manifestement irrecevable ou manifestement fondé sur un moyen non sérieux ou que le délai d'introduction du pourvoi est trop proche de son expiration pour permettre à un avocat à la Cour de cassation de l'introduire en temps utile.

Les décisions du Bureau qui rejettent la requête ou n'accordent pas l'assistance judiciaire sont motivées.»

20 octobre 2004.

Hugo VANDENBERGHE.