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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

18 MAI 2004


Les relations de la Belgique avec l'Afrique centrale : la République Démocratique du Congo


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR MME de BETHUNE ET M. GALAND


SOMMAIRE


  1. Introduction
  2. Recommandations
  3. Votes
    ANNEXE
    Auditions
    1. M. Gaetan Kakudji, vice-président du Sénat de la RDC
    2. M. Olivier Kamitatu Etsu, président de l'Assemblée nationale de la RDC
    3. M. Wamu Oyatambwe, responsable chez Acodev et chercheur au Brussels Centre of African Studies (BCAS) de la VUB
    4. M. Katalay Muleli Sangol, sénateur, président de l'Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC)
    5. Filip Reyntjens, professeur, UA
    6. M. Armand De Decker, président du Sénat
    7. Mme Colette Braeckman, journaliste, Le Soir
    8. M. Guido Gryseels, directeur du Musée de l'Afrique centrale
    9. M. Peter Verlinden, journaliste à VRT-nieuws, chef de la rédaction « étranger »
    10. M. Jean-Pierre Mutamba Tshampanja, ambassadeur de la RDC
    11. M. Justin-Marie Bomboko, 2e vice-président du Sénat, ancien ministre de la RDC
    12. Mme Marie-France Cros, journaliste, La Libre Belgique
    13. M. Guy Poppe, journaliste (informations radio de la VRT)
    14. Représentants de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB)
    15. M. Athanassios Theodorakis, conseiller hors classe, Commission européenne et M. A. Christiansen, chef d'unité pour l'Afrique centrale, de la DG développement de la Commission européenne
    16. M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères
    17. M. Prosper Sendwe, auteur de « La loi fondamentale belge du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo ­ Pour un Commonwealth entre le Congo, le Rwanda, le Burundi et la Belgique » (mai 2003)

I. INTRODUCTION

La commission des Relations extérieures et de la Défense a décidé, le 15 octobre 2003, de soumettre à un examen approfondi la thématique des « Relations de la Belgique avec l'Afrique centrale ». À cet effet, elle a désigné les rapporteurs suivants : Mme Sabine de Bethune, M. Pierre Galand, M. Patrick Hostekint et Mme Erika Thijs.

Le thème principal comporte évidemment trois volets : La République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi.

Mme Sabine de Bethune et M. Pierre Galand ont été désignés rapporteurs pour le volet « RDC ».

Dans le cadre de ce volet, la commission a organisé une vingtaine d'auditions, au cours desquelles elle a entendu des personnalités politiques congolaises, des experts belges, le président du Sénat de Belgique, l'ambassadeur de la RDC, des professeurs d'université, des journalistes et des représentants d'ONG belges et d'associations congolaises.

La chronologie des auditions a été la suivante :

M. Gaetan Kakudji, vice-president du Sénat de la RDC : 22 octobre 2003.

M. Olivier Kamitatu Etsu, président de l'Assemblée nationale de la RDC : 23 octobre 2003.

Dr. Wamu Oyatambwe, responsable Éducation chez Acodev et chercheur au Brussels Centre of African Studies (BCAS) de la VUB : 10 décembre 2003.

M. Katalay Muleli Sangol, sénateur, président de l'Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC) : 11 décembre 2003.

Professeur Filip Reyntjens, UA : 6 janvier 2004.

M. Armand De Decker, président du Sénat : 6 janvier 2004.

Représentants d'ONG belges : 6 janvier 2004

­ Mme Montserrat Carreras, Relations extérieures, Amnesty International Belgium;

­ M. Thierry Dethier, Projets Afrique Centrale & Urgences, Oxfam Solidarité;

­ M. Marc-Olivier Herman, service Politiek en Communicatie, Broederlijk Delen;

­ Mme Indra Van Gisbergen, coordinatrice Afrique, Koepel van de Vlaamse Noord-Zuid beweging ­ 11.11.11;

­ M. Arnaud Zacharie, directeur du Service Programmes et Recherches, Centre National de Coopération au Développement.

Représentants d'Associations congolaises : 7 janvier 2004

­ M. Pambu Kita-Phambu du Comité pour la reconstruction du Congo;

­ M. Luc Mubikangiey de la Fédération des Congolais de Belgique;

­ Mme Louise Ngandu de l'Union des femmes congolaises;

­ M. Michel Alex Luzolo du Centre d'initiatives économiques sociales et culturelles Elikya-Espoir et de la Fédération des associations africaines pour la recherche de l'emploi, des formations et d'éducation permanente;

­ M. Assoumani Budagwa d'Espérance Revivre au Congo;

­ Les Amis de Wetchi;

­ M. Lwasi Lwabanji de SIMA KIVU;

­ M. Eric Sangara de Carrefour interculturel;

­ M. Ifeto Bombi, président de l'APAC (Association pour la paix en Afrique centrale);

­ Mme Mélanie Mwimba-Risasi Amba, Ambassadeur, directeur chef de service du ministère des Affaires étrangères et la Coopération internationale, Direction des études, planification et recherches de la République Démocratique du Congo.

Mme Colette Braeckman, journaliste, Le Soir : 8 janvier 2004.

M. Guido Gryseels, directeur du Musée de l'Afrique : 13 janvier 2004.

M. Peter Verlinden, journaliste VRT-nieuws, hoofd van de buitenlandse redactie : 13 janvier 2004.

S.E. M. Jean-Pierre Mutamba Tshampanja, ambassadeur de la RDC : 14 janvier 2004.

M. Justin Bomboko, ancien ministre des Affaires étrangères du Congo : 27 janvier 2004.

Mme Marie-France Cros, journaliste, La Libre Belgique : 27 janvier 2004.

M. Guy Poppe, journaliste (radionieuws VRT) : 27 janvier 2004.

Représentants de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) : 3 février 2004

­ M. Tony Vandeputte, administrateur délégué,

­ M. Baudouin Velge, directeur du département économique,

­ Mme Elisabeth Wandeler, conseiller du département Europe et international,

­ M. Bernard de Gerlache de Gomery, président de la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture Belgique-Luxembourg-Afrique-Caraïbes-Pacifique (CBL-ACP)

M. A. Theodorakis, conseiller hors classe et M. A. Christiansen, chef d'unité pour l'Afrique centrale, de la DG développement de la Commission européenne : 5 février 2004.

M. Prosper Sendwe, auteur de « La loi fondamentale belge du 19 mai 1960 relatives aux structures du Congo ­ Pour un Commonwealth entre le Congo, le Rwanda, le Burundi et la Belgique » (mai 2003) : 5 février 2004.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères : 1er mars 2004.

Les textes des auditions sont annexés au présent rapport.

Les rapporteurs désignés pour le volet RDC, Mme de Bethune et M. Galand, ont rédigé un projet de recommandations sur la base des auditions. De larges échanges de vues ont eu lieu à ce propos au cours des réunions des 23 mars, 20 avril, 27 avril, 4 mai et 11 mai 2004. Le texte du projet de recommandations a dès lors été amendé en de nombreux points par M. Pierre Chevalier, Mme Sabine de Bethune, Mme Isabelle Durant, M. François Roelants du Vivier et M. Lionel Vandenberghe, et il a été corrigé le 27 avril et le 4 mai 2004.

Pour faciliter la lecture du présent rapport, une note rédigée sur la base de la fiche pays de la DGCD y a été annexée. Cette note décrit le contexte politique et régional de la RDC depuis les années '90 (avec une analyse des accords de paix), le cadre social et humain, la situation économique et financière, la problématique de la transition et le cadre belge de l'aide au développement.

II. RECOMMANDATIONS

Parler de la politique étrangère d'une petite puissance, comme la Belgique, ne semble pas éveiller grand intérêt, dans la mesure où sa voix se trouve généralement étouffée par celles des grandes puissances.

Mais, néanmoins, la Belgique n'en possède pas moins les atouts humains, historiques, culturels et politiques lui permettant d'exprimer haut et clair ses opinions, ses valeurs et ses intérêts. Or, il faut bien constater que tel n'a pas toujours été le cas dans la politique africaine de la Belgique. Récemment et après une bonne décennie de politique étrangère que nous pourrions qualifier « de l'abandon », le ton diplomatique belge semblerait s'animer de nouveaux accents davantage volontaristes.

Force est de constater, de manière générale, que le problème de la République Démocratique du Congo (RDC) aujourd'hui n'est plus un problème propre à la RDC. L'instabilité régionale y joue un grand rôle.

L'avenir de la RDC s'inscrit dès lors dans cet avenir régional. Toute approche qui consisterait à appréhender le problème de la RDC de manière isolée serait illusoire.

Le but du présent rapport consiste à établir, suite aux auditions et aux travaux de la commission des Relations extérieures et de la Défense du Sénat, dans la mesure du possible, des recommandations au gouvernement belge afin que celui-ci réponde au mieux aux attentes des populations de la RDC, par un travail diplomatique, par la coopération au développement et par les différentes relations politiques, économiques, scientifiques, sociales et culturelles entre la Belgique et la RDC et la région des Grands Lacs.

Nous recommandons de manière générale au gouvernement belge dans sa politique de coopération au développement :

0.1. De soutenir prioritairement l'expertise et la compétence congolaise, dont il faut tirer parti plutôt que de vouloir tout faire organiser par des experts et observateurs étrangers.

0.2. Dans ses engagements tant en matière de coopération bilatérale que d'orientation des choix des opérateurs multilatéraux, de rechercher une large adhésion populaire, élément indispensable pour la réussite de la reconstruction de ce pays sinistré.

0.3. D'inscrire la coopération belgo-congolaise dans la durée afin que celle-ci porte ses fruits.

0.4. D'avoir une approche régionale de la coopération belge tout en gardant à l'esprit les spécificités des pays concernés. L'instabilité régionale doit constamment être prise en considération.

0.5. Les recommandations qui suivent constituent un inventaire des priorités qui devront être prises en charge par une multitude d'acteurs et d'opérateurs, soutenus par différents gouvernements et/ou instances européennes et internationales.

Au delà de sa coopération propre, c'est ce travail de mise en avant et de répartition des priorités qui incombe à la Belgique.

1. Paix et sécurité :

1.1. Cette recommandation insiste sur la nécessité absolue d'apporter notre aide au rétablissement de la paix en République démocratique du Congo et plus largement dans l'ensemble de l'Afrique centrale, en particulier dans les neuf pays qui bordent la RDC. C'est pourquoi la communauté internationale doit soutenir aussi l'organisation, avant la fin de l'année, d'une conférence internationale pour la paix et la sécurité dans la région, à laquelle seraient associés au moins tous ces pays. Toute tentative de reconstruction du pays est vouée à l'échec si la paix et la sécurité ne sont pas garanties.

1.1.1. Nous recommandons également au gouvernement belge de permettre aux autorités congolaises d'assurer l'intégrité territoriale de la RDC et sa pacification, tout en ayant une politique équilibrée envers les différents acteurs régionaux présents afin de ne pas donner l'impression de privilégier une des parties.

1.1.2. Nous demandons au gouvernement qu'il inscrive la démilitarisation des différentes milices comme un point essentiel, avant même la mise en place d'élections libres. Car des élections organisées dans un pays non stabilisé militairement et administrativement ne peuvent conduire à une véritable démocratie.

1.1.2.1. La persistance de poches d'insécurité à l'est du pays rend indispensable la mise au point de mécanismes renforcés de surveillance de l'embargo sur les armes imposé dans l'est du pays par la résolution 1493 du Conseil de Sécurité des Nations unies mise en oeuvre par un mécanisme de suivi prévu dans la résolution 1533 du 12 mars 2004. Nous recommandons au gouvernement de soutenir pleinement toute initiative allant en ce sens.

Nous recommandons également au gouvernement belge :

1.1.2.2. D'appuyer les programmes de démobilisation et de réinsertion des enfants soldats, et ce avec l'implication de la société civile.

1.1.2.3. D'accorder une priorité à l'encadrement des militaires (démobilisation, encadrement, et intégration), afin qu'ils retrouvent une nouvelle activité et une utilité sociale et économique au sein de la société, et d'insister auprès des instances internationales sur cette question.

1.1.2.4. De faire pression auprès des différentes parties afin qu'elles n'enrôlent plus d'enfants soldats.

1.1.3. Nous demandons au gouvernement d'insister auprès des Nations unies pour que soit instauré immédiatement un embargo à l'égard de tous les acteurs, qu'ils soient ou non des États, qui ne respectent pas l'intégrité du territoire congolais, en dépit des règles de droit international et des accords de paix. En outre, le gouvernement fédéral comme les gouvernements régionaux doivent s'en tenir au code de conduite européen en matière d'exportations d'armes et s'abstenir de livrer des armes (légères) ou tout autre matériel aux pays de la région des Grands Lacs.

1.1.4. Nous demandons au gouvernement belge de continuer de soutenir le programme de réunification et de restructuration de l'armée nationale et de la police congolaises et de veiller à son amplification, avec la participation d'autres acteurs, dont l'Union européenne. Une formation adéquate en ce sens de l'armée et de la police devrait être assurée. En particulier, la capitale Kinshasa, qui est le siège des institutions démocratiques, doit être sécurisée et surveillée par une police dûment formée.

1.1.5. Nous demandons au gouvernement de faire en sorte d'assurer la durabilité du projet de coopération, d'une part, et de garantir la sécurité des militaires et des instructeurs belges, d'autre part, par un encadrement explicite de la mission au moyen de règles d'engagement claires au niveau de l'UE et de l'ONU.

1.1.6. La transition résultant des Accords de Sun City doit être menée à son terme dans les délais convenus. Nous demandons au gouvernement belge d'apporter en ce sens son appui à la transition démocratique.

1.1.7. La question des pillages des ressources naturelles du pays est étroitement liée au processus de rétablissement de la paix dans la région. Nous ne pouvons ignorer ce problème au nom de la réconciliation. C'est pourquoi, nous demandons au gouvernement belge :

1.1.7.1. D'insister sur un traitement rapide et sérieux, par le Point de contact national, des dossiers des entreprises et des personnes qui lui sont transmis par le groupe d'experts de l'ONU.

D'oeuvrer à la mise en pratique des recommandations du groupe d'experts de l'ONU sur l'Est du Congo, en particulier à la création d'un mécanisme de surveillance du commerce des armes à destination de cette région. Ce mécanisme doit également permettre de contrôler le lien entre le commerce des armes et l'exploitation du diamant, de l'or et du coltan.

D'insister sur le plan international pour que les règles du processus de Kimberley soient effectivement appliquées.

De prendre davantage l'initiative dans l'affinement et l'application concrète des directives de l'OCDE concernant les entreprises multinationales, pour les encourager à entreprendre de manière socialement responsable.

D'investir dans une surveillance permanente de la manière dont les matières premières sont exploitées au Congo.

1.1.7.2. En matière de patrimoine culturel, la Belgique doit poursuivre son travail de collaboration avec les musées congolais afin notamment de récupérer et de rendre les biens culturels restitués après l'indépendance par la Belgique et dont un grand nombre de pièces se trouve sur le marché international de l'art.

D'engager davantage de moyens en faveur du Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC) de Tervueren.

1.1.8. Nous recommandons au gouvernement d'insister auprès de tous les gouvernements des pays voisins de la RDC, et en particulier auprès du gouvernement rwandais, pour qu'ils mettent fin à la déstabilisation dans l'Est du Congo en retirant effectivement toutes leurs troupes

1.1.9. Nous demandons au gouvernement belge de plaider activement en faveur d'une application meilleure et plus efficace du mandat de la MONUC dans la région.

2. État de droit et démocratie

2.1. Nous demandons avec insistance au gouvernement belge de favoriser la consolidation d'un État qui soit capable de se prendre en charge pour sa propre reconstruction. Nous recommandons en ce sens au gouvernement :

2.1.0. De soutenir la consolidation de l'État de droit et de la démocratie, notamment par l'installation de la Territoriale.

2.1.1. D'apporter son soutien à la remise en place de l'administration dans son ensemble et de veiller à ce que ses projets de coopération renforcent l'État à tous les niveaux (local, régional, ministères, etc.). Une équipe de fonctionnaires belges devrait être mise à la disposition des différentes administrations congolaises afin de soutenir la réhabilitation de l'administration. De même, des fonctionnaires congolais devraient pouvoir être accueillis en formation dans nos administrations.

2.1.2. De soutenir et équiper l'école d'administration publique (ENA).

2.1.3. D'apporter son appui à la restructuration et à la réhabilitation de l'administration publique décentralisée, de soutenir la mise en place de programmes spéciaux pour Kinshasa, l'Ituri, le Nord et le Sud Kivu et le Katanga.

2.2. Nous devons promouvoir la justice et l'État de droit en RDC. En l'absence d'un mécanisme crédible permettant d'appliquer la loi et de régler les différends, le recours à la violence et à l'illégalité risquent de s'imposer. De plus, la tenue d'élections dans un contexte de trop grande fragilité de l'État de droit ne favoriserait guère l'instauration d'une gouvernance démocratique durable. Nous demandons au gouvernement belge :

2.2.1. D'insister auprès des autorités congolaises pour que des mesures soient prises en vue de mettre un terme au climat d'impunité et de restaurer la confiance publique en RDC. Nous devons toutefois nous rappeler que le processus qui consiste à rendre justice aux victimes peut prendre de nombreuses années et qu'il ne doit pas s'imposer aux dépens de la nécessité plus immédiate d'instaurer l'État de droit. Les mécanismes transitoires mis en place aux fins de l'administration de la justice doivent non seulement tendre à établir les responsabilités individuelles vis-à-vis des crimes graves mais aussi tenir compte de la nécessité de parvenir à la réconciliation nationale.

2.2.2. De soutenir les projets de rétablissement des forces de l'ordre (police) et de la justice (formation de juges, mise en place des tribunaux de commerce, formation des services d'ordre et de gardiennage qui fonctionnent dans le cadre du système pénitentiaire, etc.).

2.3. Les élections restent la priorité : le gouvernement de transition en place est le résultat d'un accord minimum entre les forces en présence dans le pays et aux 9 frontières (Accord de Sun City). Seul un gouvernement issu des urnes et représentatif de l'ensemble de la société congolaise pourra parachever la construction d'un État démocratique en RDC. Dans cette optique, nous demandons au gouvernement belge :

2.3.1. D'insister auprès des autorités de transition et de leur appporter son soutien afin que chacune, dans son domaine de compétence, accomplisse toutes les réformes prévues.

2.3.2. D'appuyer, plus particulièrement, la mise en oeuvre des quatre points suivants qui restent essentiels pour l'organisation du processus électoral :

2.3.2.1. Le recensement de la population préalablement aux élections; celui-ci pourrait être réalisé avec la participation des autorités locales et se réaliser sur la base de l'inscription volontaire des populations.

2.3.2.2. Conformément aux accords de Sun City, le débat sur la nationalité congolaise doit être tranché avant les élections. C'est une des bases fondamentales de la réussite de la transition actuelle.

2.3.2.3. Le parachèvement du découpage électoral.

2.3.2.4. La création de nouveaux registres d'état civil. Ceux-ci seront précieux pour la tenue des élections, mais particulièrement par la suite afin de permettre à l'État de collecter les impôts et de générer ainsi des revenus pour qu'il puisse accomplir ses fonction.

2.3.3. De veiller au renforcement des capacités de la société civile en vue de la préparation de ces élections. Dans ce sens nous demandons au gouvernement belge d'apporter son soutien à une campagne populaire nationale d'information et de mobilisation des citoyens en y intégrant les acteurs non institutionnels et non étatiques, dans le but de créer une conscientisation politique indépendante. Cette mobilisation citoyenne peut avoir un effet de levier sur le cadre organique en charge de l'organisation des élections.

2.4. Promotion d'une culture démocratique : le gouvernement de transition doit s'attacher à l'enracinement de la démocratie dans ses institutions (réhabilitation par exemple du pouvoir judiciaire et de l'appareil d'État dans son ensemble), dans les textes (consolidation des libertés fondamentales) et, surtout, dans les esprits par l'utilisation de tous les relais sociaux (écoles, ONG, formations politiques, etc.). Il s'agit donc de développer une culture de la démocratie et de la tolérance, en particulier au sein de la jeunesse et de l'armée. Dans ce but, nous demandons au gouvernement belge :

2.4.1. De faire pression sur le gouvernement congolais afin que les faits incriminés par la Cour pénale internationale soient transposés dans la législation de la RDC.

2.4.2. De soutenir les cinq institutions d'appui à la démocratie et toutes les initiatives institutionnelles mais aussi informelles visant à renforcer la société civile congolaise, en appuyant notamment la commission Justice et Vérité mais aussi les programmes d'éducation civique, en soutenant la presse et en faisant pression sur les autorisées pour une meilleure protection des défenseurs des droits humains sur le terrain. Ces structures qui nourrissent l'esprit critique et éveillent la conscience des citoyens sont une véritable richesse pour le pays et l'on se doit de les protéger.

2.4.3. D'encourager une formation spéciale relative aux droits de l'homme et au droit international humanitaire pour tous les membres de la nouvelle armée nationale et de la nouvelle police congolaises.

2.4.4. De poursuivre son aide financière, et ce via le Fonds de la prévention des conflits, à la formation syndicale en RDC. Dans l'avenir, il conviendrait que cette formation soit progressivement prise en charge par les réseaux et les organisations syndicales sur la base d'une formule de co-financement entre la DGCD et les syndicats.

2.4.5. De soutenir moralement et financièrement la société civile, et ce par le biais d'ONG et d'associations congolaises existantes qui ont montré qu'elles avaient un réel impact positif sur l'évolution politique en RDC. Nous demandons également au gouvernement d'encourager toutes les initiatives visant à enraciner le processus démocratique en RDC.

2.5. De lutter contre l'impunité :

2.5.1. en accordant, au départ de la Belgique, le soutien nécessaire à la traduction des statuts de la Cour pénale internationale, que le Congo a ratifiés, dans sa législation nationale;

2.5.2. par la concertation diplomatique au sein de l'ONU, pour que celle-ci effectue rapidement une enquête sur le rôle du Rwanda, de l'Ouganda et des milices hutues dans la persistance du conflit et dans les crimes contre l'humanité;

2.5.3. par l'édification de systèmes judiciaires nationaux, ce qui implique des investissements considérables dans l'infrastructure, l'organisation des systèmes judiciaires, la formation et l'assistance technique;

2.5.4. en déployant les efforts nécessaires pour parvenir enfin à une réconciliation durable entre les différents groupes.

2.6. Nous demandons que des pressions soient exercées pour qu'il soit mis fin à l'utilisation de la violence sexuelle contre les femmes et les jeunes filles comme arme de guerre. Le recours largement répandu à la violence sexuelle contre les femmes et les enfants par les soldats, les rebelles et les miliciens de différentes parties au conflit doit être condamné et sanctionné.

Il faut oeuvrer activement à protéger les victimes, à leur apporter une assistance médicale et à les accompagner. Il doit être mis fin à l'impunité. Pour ce faire, il convient d'apporter un soutien financier, technique et politique aux instruments judiciaires de recherche, de poursuite et d'accompagnement des auteurs.

Il y a lieu de mettre à exécution la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations unies sur les femmes et la paix et de débloquer des moyens budgétaires suffisants à cet effet.

3. Bien-être social et développement

3.1. Nous demandons au gouvernement belge d'accorder la priorité au développement humain, c'est-à-dire un développement axé sur l'être humain et la satisfaction de ses besoins prioritaires dans les domaines de la sécurité alimentaire, de la santé, de l'éducation et la formation, l'accent devant être mis sur les catégories les plus démunies ou les plus vulnérables de la population (victimes, femmes, jeunes, paysans). Une telle priorité doit à la fois s'inscrire dans la durée et doit pouvoir être chiffrée. En ce sens nous demandons également au gouvernement belge d'insister auprès des autorités congolaises afin que celles-ci fassent du développement humain leur priorité.

3.1.1. L'alimentation et la souveraineté alimentaire sont des droits fondamentaux. Nous demandons au gouvernement belge d'accorder un soutien actif à ce titre à la RDC avec une priorité au désenclavement des régions et des villages, à la distribution d'intrants agricoles, à l'entretien des pistes et des voies navigables. Nous recommandons en ce sens au gouvernement belge :

3.1.1.0. De soutenir les priorités en matière de sécurité alimentaire telles que dégagées par la table ronde pour la sécurité alimentaire qui a eu lieu à Kinshasa en mars 2004.

3.1.1.1. De soutenir les formations aux méthodes de l'agriculture durable avec une attention particulière à l'écologie dans l'élevage et les techniques du sol.

3.1.1.2. D'encourager la diversification des productions, et de soutenir une politique agricole plus équilibrée.

3.1.2. Les soins de santé élémentaires constituent aussi un droit fondamental.

Nous demandons au gouvernement belge de donner une priorité aux soins de santé élémentaires qui concernent tant la prévention, les soins curatifs et la postcure que l'information et les mesures de promotion de la santé.

Nous demandons au gouvernement belge de soutenir les soins de santé primaires en appliquant la stratégie des zones sanitaires pour la santé primaire, dans les villes comme dans les campagnes. Dans chaque zone de santé, la mission du médecin responsable est de proposer un plan d'action.

Nous recommandons également au gouvernement belge de tenir compte de la prochaine table ronde qui rassemblera tous les acteurs belges de la santé actifs au Congo et qui devra permettre de tracer les objectifs prioritaires :

3.1.2.1. Accorder la priorité en matière de soins de santé aux femmes et enfants des régions sinistrées.

3.1.2.2. Veiller à ce qu'à l'avenir les ONG remettent dans les mains de l'État congolais les dispensaires et les hôpitaux publics dont ils ont assuré la charge en l'absence de l'État. Veiller à ce qu'il dispose des moyens financiers nécessaires permettant ce transfert.

3.1.2.3. Soutenir une formation permanente et durable du personnel médical afin de soutenir la réhabilitation de ces services. Favoriser également, en ce sens, l'échange de savoir-faire, en y associant étroitement nos mutualités et les ONG.

3.1.2.4. Apporter son soutien prioritairement à la réhabilitation des zones médicales les plus sévèrement touchées par les conflits.

3.1.2.5. Axer également son soutien sur les initiatives proposées et réalisées par la base de la société congolaise elle-même, privilégier en ce sens le vaste secteur informel et ne pas négliger les microprojets.

3.1.2.6. Appuyer le programme d'éradication de la maladie du sommeil, de la tuberculose, de la bilharziose et de lutte contre le sida et le paludisme.

3.1.2.7. Veiller à l'amélioration de l'accès aux services de prévention et de traitement.

3.1.2.8. Veiller à ce que les moyens nécessaires soient accordés à la distribution des médicaments.

3.1.2.9. Encourager, dans le cadre de la lutte contre le sida, l'industrie pharmaceutique à mettre à disposition ­ à des prix raisonnables ­ des médicaments.

3.1.2.10. Réorganiser le contrôle médical scolaire.

3.1.3. Les taux de scolarisation étant faibles en RDC, nous demandons au gouvernement belge de continuer à orienter sa coopération en matière d'éducation et de formation vers un soutien aux programmes de scolarisation. En ce sens, la Belgique doit mener une politique concertée avec les différents partenaires (les autorités locales et les différents donateurs et acteurs). Nous recommandons au gouvernement belge de :

3.1.3.1. Renforcer les capacités des ressources humaines locales et soutenir le monde associatif congolais très actif dans ce domaine.

3.1.3.2. Veiller également à ce qu'il dispose des infrastructures et des moyens financiers nécessaires.

3.1.3.3. Prévoir du matériel didactique, en particulier des manuels scolaires.

3.1.4. L'éducation et la formation sont des éléments clés pour la réinsertion des enfants-soldats et elles leur permettraient de contribuer plus tard, grâce aux connaissances acquises, au développement de leur pays. L'enseignement et la formation doivent être une priorité et nous demandons au gouvernement belge d'accorder une attention particulière en ce sens à l'enseignement primaire et à la formation professionnelle et technique.

3.1.5. Nous demandons au gouvernement belge de soutenir la création au sein de la RDC des conditions permettant aux intellectuels de mettre à profit leur savoir dans leur pays, notamment en favorisant les échanges par va-et-vient, ce qui implique un accueil digne et une collaboration avec l'Office des Étrangers en Belgique. Nous recommandons également au gouvernement belge de :

3.1.5.1. Libérer plus de moyens pour renforcer la capacité des institutions culturelles et éducatives publiques et du réseau libre en Afrique centrale (enseignement supérieur, musées, etc.).

3.1.5.2. Continuer de soutenir la formation d'enseignants dans les matières scientifiques et technologiques au niveau de l'enseignement supérieur.

3.1.5.3. Appuyer la réhabilitation des laboratoires scolaires et universitaires, des bibliothèques, et des centres de recherches agronomiques et scientifiques, dénommés au Congo « centres d'excellences ».

3.1.6. L'infrastructure

Nous demandons avec insistance au gouvernement belge de :

3.1.6.1. Soutenir les investissements dans les infrastructures de base, avec une attention particulière pour l'infrastructure rurale.

3.1.6.2. S'engager dans la réhabilitation du fleuve Congo et des centrales hydroélectriques d'Inga, Ruzizi l, Zongo, Nsanga, devenues vétustes et dangereuses.

3.1.6.3. Appuyer la SNEL pour la distribution de courant électrique à la population dans certains centres ou villes en les approvisionnant en cabines électriques et pour le recouvrement des factures de livraison de courant.

3.1.6.4. Réhabiliter des infrastructures de distribution d'eau potable à travers les villes du pays.

3.1.6.5. Investir dans des infrastructures pour l'évacuation des eaux usées, sources de maladies endémiques en RDC.

3.1.6.6. Apporter son soutien aux projets hydrauliques ruraux, notamment par la construction de puits d'eau munis de filtres.

3.1.6.7. Aider à la réhabilitation des principales voies d'évacuation des produits agricoles vers les centres urbains.

3.1.6.8. Réhabiliter les grandes routes nationales.

3.1.6.9. Réhabiliter et moderniser les chemins de fer ainsi que les infrastructures portuaires et aéroportuaires.

3.1.6.10. Réhabiliter prioritairement les télécommunications et la poste publiques.

3.1.6.11. Réhabiliter les infrastructures sportives et les développer pour que l'on puisse mener une politique sportive s'adressant aux jeunes.

3.1.7. L'environnement

3.1.7.1. Nous demandons au gouvernement belge de soutenir et de promouvoir les programmes de sensibilisation, et de veiller à assurer, à l'avenir, la protection de la biodiversité du bassin congolais. Ce bassin est aussi important que l'Amazonie pour l'Amérique latine et pour le monde.

3.1.7.2. Pour la conservation de l'intégrité de la nature, le développement durable et la gestion rationnelle des ressources naturelles de la RDC, voire de la sous-région d'Afrique centrale, nous demandons à la Belgique de :

3.1.7.2.1 Soutenir la restauration des écosystèmes dégradés, la gestion du fleuve Congo et de ses bassins versants et la préservation des écosystèmes fragiles (montagnes) représentant d'habitats viables de flore et de faune de la RDC et de la sous-région.

3.1.7.2.2. Appuyer le renforcement des capacités nationales dans la planification des ressources naturelles et environnementales en RDC.

3.1.7.2.3. Apporter son appui aux communautés locales en vue de leur participation active à la gestion durable des ressources contribuant à l'amélioration de leur niveau de vie.

3.1.7.2.4. Afin de promouvoir une gestion durable des écosystèmes forestiers, d'apporter son appui à la création d'une École régionale de foresterie pour la formation de spécialistes dans le domaine de la gestion rationnelle des ressources forestières.

3.1.7.3. Les conséquences d'une eau malsaine sont catastrophiques pour la population et plus particulièrement pour les enfants. Nous recommandons au gouvernement belge d'apporter une contribution significative à l'amélioration de la problématique de l'eau en partenariat notamment avec les ONG locales. Et plus largement, de veiller à la réhabilitation d'un environnement sain afin de combattre les maladies endémiques.

3.1.8. Les revenus et l'épargne :

Nous demandons au gouvernement belge :

3.1.8.1. D'appuyer les petites banques locales pour faciliter l'accès au crédit aux petits opérateurs économiques locaux et ainsi réhabiliter le système bancaire national.

3.1.8.2. De soutenir la renaissance d'une vraie banque de crédit agricole en partant du Kivu et des expériences acquises par les organisations paysannes.

3.1.8.3. De favoriser la réhabilitation des coopératives d'épargne et de crédit ainsi que des associations mutualistes.

3.1.8.4. De soutenir le développement d'un entreprenariat local capable de produire des produits pour le marché national et international, notamment en soutenant toutes les initiatives visant à renforcer les capacités productives des cadres par la formation.

3.1.8.5. D'encourager le retour de capitaux en RDC et d'encourager le gouvernement de la RDC à prendre des mesures susceptibles de promouvoir le retour des capitaux congolais, et ce en les encourageant à réinvestir dans l'économie locale. Ceci permettrait de réinsérer dans l'économie les fonds congolais conservés à l'étranger.

3.1.8.6. De soutenir le retour des investisseurs en RDC et de veiller à la restauration d'un climat de confiance propice à l'investissement.

En effet, il faut non seulement encourager le retour des investisseurs, mais aussi soutenir ceux qui sont restés sur place.

3.1.8.7. De veiller à ce que le soutien que le gouvernement belge accorde aux entreprises actives en RDC vise à promouvoir l'entreprise socialement et écologiquement responsable.

3.1.8.8. De veiller au développement d'un partenariat économique avec la RDC qui soit équitable et réciproquement enrichissant, fondé sur des efforts visant à répondre aux besoins du pays.

3.1.8.9. De demander aux entreprises belges présentes en RDC de mener des actions transparentes et responsables.

4. Finances publiques et remise de la dette

4.1. Sans une solution, tous les efforts économiques que le pays va réaliser aboutiront trop exclusivement au remboursement de la dette extérieure. Une partie importante de la dette extérieure du Congo peut ne pas être remboursée car elle n'a aucunement bénéficié aux populations congolaises et a été détournée au profit des proches du régime mobutiste. Ces fonds et une série des biens « mal acquis » doivent faire l'objet d'une récupération par l'État congolais. Nous soulignons les efforts déjà entrepris par la Belgique et demandons au gouvernement de poursuivre ceux-ci et d'oeuvrer au sein des organisations financières internationales en ce sens. Dans cette optique, nous recommandons au gouvernement belge de :

4.1.1. Renoncer unilatéralement à ses propres créances sur la RDC et utiliser au bénéfice de la population congolaise l'argent qu'elle se prépare à donner aux institutions de Bretton Woods et s'engager à une remise du prêt d'État à État.

4.1.2. Faciliter des enquêtes au sein de son secteur bancaire afin de réattribuer au peuple congolais l'argent mal acquis et placé dans des banques belges.

4.1.3. Se préoccuper avec les grands bailleurs de fonds internationaux de la gestion des douanes afin de mettre fin aux trafics dans les différents ports et aux frontières du Congo.

4.1.4. Soutenir l'identification des différentes sources de recettes de l'État, entre autres en appliquant une politique stricte de payement des services rendus également par l'État, afin qu'un contrôle démocratique soit possible sur les finances publiques. Ceci vaut également pour les dirigeants politiques.

4.1.5. Identifier les sources de recette pour les productions de l'État et soutenir la mise en place d'une comptabilité de l'État et l'établissement d'un instrument de contrôle des comptes.

4.1.6. Faire en sorte que la Cour des comptes congolaise fonctionne pleinement. Si nécessaire, renforcer aussi les capacités de cette Cour.

5. Les autres acteurs de la coopération au développement

Nous demandons au gouvernement belge :

5.1. De continuer à soutenir la démarche des autres acteurs belges de coopération : les Communautés et Régions, les ONG, les universités, la VVOB et l'APEFE et d'autres instituts de formation, les institutions scientifiques telles que l'institut de médecine tropicale, les institutions d'accueil de stagiaires et de boursiers, la coopération communale, la coopération syndicale, le programme de soutien des organisations locales avec la coopération des migrants et des organisations de migrants, ...

5.2. Compte tenu des nouvelles orientations décidées par le gouvernement belge relatives à la décentralisation d'une partie de la coopération belge, d'accorder une attention particulière à ce sujet afin que tout transfert de compétences vers les communautés et régions respecte la cohérence de la politique de coopération au développement, qui exige une continuité dans les engagements pris par la Belgique.

5.3. Eu égard à l'autonomie des acteurs indirects et à l'exécution de leurs programmes existants, de mettre en oeuvre une meilleure coopération et complémentarité avec les deux autres « piliers » de la coopération au développement belge que sont la coopération bilatérale et multilatérale.

5.4. De soutenir et de reconnaître pleinement le rôle des ONG, notamment :

5.4.1. l'expertise des ONG doit être mise à profit dans le cadre de l'appui à la reconstruction de la RDC;

5.4.2. les projets et programmes agréés par la DGCD en matière de coopération structurelle devraient, durant une période déterminée, bénéficier d'un financement public à 100 % et ce, via des crédits complémentaires.

5.5. Activer la participation des acteurs indirects ­ dont les idées et propositions peuvent être également décisives dans la politique de coopération au développement belge ­ aux dialogues politiques, aux commissions mixtes et à d'autres réunions de concertation.

5.6. Face à la déperdition de l'expertise sur l'Afrique en Belgique, de favoriser un travail de coordination qui regrouperait les universités, centres de recherches et de compétences travaillant sur l'Afrique centrale en vue de développer le partenariat et le croisement des expertises belges et congolaises. Le musée de Tervueren peut jouer un rôle moteur dans cette coordination.

5.7. Nous demandons au gouvernement, en concertation avec les entités fédérées, de financer et d'accompagner les conventions communales et les associations de villes avec les pouvoirs locaux au Congo, mises sur pied par les pouvoirs locaux belges, par un programme de coopération décentralisée. Dans le même temps, il faut d'urgence créer un cadre légal qui permette aux villes et communes d'élaborer un plan pluriannuel.

5.8. De mener une politique active, en vue d'aider les entreprises belges qui souhaitent investir en RDC.

Simultanément, il y a lieu de dessiner un cadre éthique pour les entreprises belges actives dans les pays en développement :

5.8.1. un cadre légal clair et transparent pour qu'aucune forme d'aide liée ne surgisse;

5.8.2. des procédures de rapport permettant un contrôle de la mise en oeuvre;

5.8.3. un lien entre l'octroi de crédits par l'Office national du Ducroire aux entreprises et le respect des directives de l'OCDE concernant les entreprises multinationales.

6. Mise en oeuvre, suivi et évaluation

Nous demandons au gouvernement belge :

6.1. De développer un dialogue politique reposant à tous les niveaux sur le principe de « mutual accountability ». Il est indispensable que les engagements de coopération soient conclus en terme de réel partenariat. Il est normal d'une part que la partie qui reçoit l'assistance technique et l'aide financière réponde à des conditions de mise en oeuvre et d'autre part que la partie congolaise, en l'occurrence, puisse attendre de la Belgique qu'elle remplisse honnêtement, et dans les délais, ses engagements.

6.2. De subordonner la coopération au développement avec le Congo au respect de certains critères, à savoir la bonne gestion des affaires publiques, le respect des droits de l'homme, la reconstruction et la réconciliation, la défense de l'intégrité humaine et territoriale, le respect des principes démocratiques et la mise en place d'un appareil judiciaire indépendant.

6.3. D'établir un plan pluriannuel en concertation avec les principaux bailleurs bilatéraux et multilatéraux et avec le Congo en vue de la réalisation des objectifs tels que définis dans les critères.

6.4. De prévoir, en concertation avec les bailleurs et avec le Congo, une évaluation semestrielle des objectifs atteints. Lors de cette évaluation, une baisse de l'aide au développement peut être liée compte tenu de la réalisation des objectifs atteints ou pas.

6.5. Afin de garantir la bonne mise en oeuvre de ses politiques de coopération au développement, nous recommandons au gouvernement belge de :

6.5.1. Veiller à se concerter avec la RDC afin d'élaborer des projets adaptés à la réalité des Congolais. (Comme pour la formation de l'armée : en concertation et à la demande de la RDC). Cette nouvelle approche de la coopération doit être défendue au sein des I.F.I et de l'UE.

6.5.2. Rendre plus souples les mécanismes de libération des fonds. Les fonds belges restent difficilement accessibles, même décentralisés à Kinshasa. Un tel mécanisme nécessite un pilotage des actions de coopération.

6.5.3. Veiller à fixer les priorités de sa coopération en évaluant correctement les coûts des projets et programmes, et en identifiant clairement « qui va payer ».

6.5.4. Élaborer un programme indicatif ­ qui soit structuré dans le temps, avec des échéances précises, et qui soit, par ailleurs, complémentaire et concerté avec les différentes autres formes de coopération nationale et internationales ­ en attendant que la situation du Congo soit stabilisée. Il pourra ensuite faire place à une commission mixte.

6.5.5. Pour assurer le suivi, le contrôle et l'ajustement de l'application des présentes recommandations, mettre en place une commission permanente de suivi associant parlementaires belges et congolais ainsi qu'acteurs de la société civile belge et congolaise.

6.6. La RDC est le pays de concentration belge qui bénéficie du plus grand apport APO en coopération bilatérale et multilatérale. Pour garantir le suivi de ces politiques, nous demandons au gouvernement belge de :

6.6.1. Maintenir un dialogue régulier avec les différents responsables administratifs en charge de cette coopération afin d'en assurer le suivi.

6.6.2. Soutenir l'élaboration d'un mécanisme de suivi adéquat, qui doit être mis en place avec un apport important de la société civile, du parlement et des autorités locales, afin d'empêcher l'usage des moyens financiers à d'autres fins que celles établies.

6.7. Des mesures en matière d'évaluation sont nécessaires mais ne peuvent constituer une fin en soi. Une trop grande rigidité mine l'enthousiasme des initiateurs et des partenaires et peut décourager les gestionnaires, ce qui ne garantit pas l'amélioration qualitative du travail de développement. Nous demandons au gouvernement belge de mettre en place une meilleure évaluation des projets de coopération, et ce dans toutes les phases des projets (conception, réalisation, post-réalisation).

7. La coopération avec la société civile

7.1. En RDC, les populations ont une formidable capacité d'auto-organisation : nous demandons au gouvernement belge de veiller à ce que les ONG occidentales et les organisations locales se mettent en partenariat. Nous recommandons en ce sens au gouvernement belge :

7.1.1. D'encourager et de former les ONG afin qu'elles travaillent avec les structures congolaises de base en renforçant leurs capacités.

7.1.2. De reconnaître et de soutenir le rôle de la société civile dans l'élaboration de tous les plans de développement.

7.1.3. De travailler avec les interfaces sociales et économiques locales.

7.1.4. De soutenir le monde associatif congolais; ainsi notre coopération répondra mieux aux besoins de la population locale.

7.1.5. De réorienter sa coopération au développement : le partenariat initié par les ONG doit se poursuivre et devrait se substituer au modèle ancien de coopération dans les années à venir.

7.1.6. De ne jamais perdre de vue le but final, qui est d'aider la population;

7.1.7. De plaider explicitement pour une coopération équilibrée qui, outre la coopération bilatérale, accorde une grande place et un large soutien à la coopération avec la société civile en RDC.

7.2. Nous demandons au gouvernement belge d'accorder une importance particulière aux micro-crédits dans le cadre de la coopération avec la RDC.

7.3. Tous les projets ne peuvent pas être dirigés depuis Kinshasa ou Lubumbashi. Nous recommandons au gouvernement belge, dans un pays comme la RDC, de soutenir une décentralisation de la coopération, et ce afin d'avoir une proximité de la coopération. Le pilotage est indispensable pour éviter la dispersion et l'inefficacité que peut générer la multiplication des partenaires belges.

8. La politique étrangère belge et ses partenaires internationaux

8.1. L'accord de paix actuel n'existe que grâce aux pressions internationales. L'accord de paix ne permettra d'arriver aux élections que si ces pressions continuent. Nous demandons au gouvernement belge de s'activer pour le maintien de cette cohérence internationale.

8.2. Nous recommandons au gouvernement belge d'oeuvrer auprès de la communauté internationale pour l'annulation de la dette qui freine le développement de la RDC.

8.3. En ce qui concerne la reconstruction de la RDC, la Belgique ne peut pas y faire face toute seule; nous demandons au gouvernement belge de solliciter, en ce sens, de l'aide au niveau européen et au niveau international.

8.4. Nous recommandons au gouvernement belge de promouvoir une meilleure coordination entre les bailleurs de fonds, même au niveau européen, et, en particulier, d'insister auprès de la Banque européenne d'investissement pour qu'elle s'engage à nouveau en RDC comme l'a expressément souhaité le Conseil européen.

8.5. Nous demandons au gouvernement belge qu'un soutien international soit accordé à la RDC pour la mise en place des élections.

8.6. La priorité doit également être le retour des investisseurs privés en RDC. Nous recommandons au gouvernement belge d'effectuer un travail auprès des autres partenaires afin de renforcer la confiance en la RDC, et ce afin d'encourager les investisseurs privés.

8.7. La documentation scientifique relative aux ressources naturelles est un bien collectif congolais. Ce savoir ne peut être pillé par des transnationales à des fins privées qui nuiraient au développement national indépendant de la RDC. Nous demandons au gouvernement belge de veiller à ce que l'usage de ces données scientifiques, principalement détenues en Belgique, se fonde sur le respect de la souveraineté de la RDC sur ces richesses et ressources naturelles. À cette fin, le gouvernement belge doit oeuvrer auprès des instances internationales compétentes en la matière et notamment auprès de l'UNESCO.

8.8. Afin de permettre la réorganisation des forces armées congolaises, nous recommandons au gouvernement belge de soutenir les initiatives visant à réhabiliter les camps militaires qui existent, avec l'appui de la Banque mondiale et d'autres banques de reconstruction.

8.9. Nous demandons au gouvernement belge de soutenir un système de crédit pour relancer les PME congolaises dans le cadre de la tripartite gouvernement belge ­ UE /BM ­ Gouvernement congolais, ce qui permettrait de réhabiliter les entreprises pillées à Kinshasa et de relancer l'emploi en milieu urbain.

III. VOTES

Les recommandations ont été adoptées à l'unanimité des 9 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé par 8 voix et 1 abstention.

Les rapporteurs, La présidente,
Sabine de BETHUNE.
Pierre GALAND.
Anne-Marie LIZIN.

ANNEXE


AUDITIONS

1. M. Gaetan Kakudji, vice-président du Sénat de la RDC

1.1. Exposé de M. Gaetan Kakudji

M. Kakudji remercie la commission de lui avoir donné l'occasion de venir s'exprimer au Sénat de Belgique. Pour lui, c'est la deuxième invitation, et l'orateur souligne que la première lui a été adressée à l'époque où il était rebelle.

L'orateur déclare que l'expérience vécue par la RDC, actuellement, a pour but principal de sortir le pays du chaos qu'il subit depuis maintenant quatre ans.

Un Sénat avait été installé après l'indépendance en 1960, mais le bicaméralisme a été supprimé rapidement.

Le retour au bicaméralisme aujourd'hui fait partie des résultats du consensus obtenu en Afrique du Sud, avec l'aide de la communauté internationale, et dans lequel la Belgique a joué un très grand rôle, par son ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, qui s'est impliqué très fortement.

Le Sénat a été installé il y a deux mois. Une session extraordinaire a été convoquée au mois de septembre 2003, afin de mettre en place les institutions. Évidemment, l'installation est loin d'être achevée, et l'orateur rappelle que la communauté internationale et la Belgique en particulier ont promis d'aider la RDC dans la mise en place des nouvelles institutions.

Le but du Parlement est d'installer la démocratie. Les élections doivent permettre d'organiser pacifiquement les rapports entre les anciens opposants armés (1). C'est une expérience sans précédent. Les gagnants des élections pourront gouverner et les perdants feront partie de l'opposition.

Les nouvelles structures sont peu communes. L'orateur cite l'armée comme exemple : elle sera composée des éléments des différents armées. Il espère que cela réussira, parce que le maître-mot au Congo aujourd'hui est la sécurité, c'est-à-dire la sécurisation du territoire et des biens des personnes.

La RDC demande l'assistance de la communauté internationale. La Belgique, ayant des liens d'amitié avec certains pays agresseurs du Congo, peut jouer un rôle et les pousser à se retirer réellement.

Le Congo n'a pas besoin d'étendre son territoire, contrairement à certains autres petits pays de la région.

Les problèmes de la guerre sont intimement liés aux problèmes socio-économiques. La région des Grands Lacs souffre de la surpopulation et de la pauvreté. Les richesses naturelles doivent subvenir aux besoins du peuple.

L'Europe, qu'Hitler a voulu unifier par la force, et que Jean Monnet a réussi à unifier par le biais économique, est un modèle pour l'Afrique.

1.2. Échange de vues

La présidente demande si les bâtiments du Parlement sont déjà opérationnels.

M. Kakudji répond que c'est le cas pour la salle des séances plénières, et il espère que les autres bureaux seront prêts pour le mois prochain. Les parlementaires et les fonctionnaires travaillent dans des conditions difficiles. La communauté internationale et la Belgique en particulier ont fait des promesses d'aide financière.

M. Hostekint déclare qu'en tant qu'ancien pays colonisateur, la Belgique a une responsabilité historique et morale vis-à-vis de ses anciennes colonies que sont le Congo, le Rwanda et le Burundi. L'intervenant se réjouit que le gouvernement Verhofstadt ait fait de l'Afrique centrale, et plus particulièrement de ses anciennes colonies, une priorité absolue de sa politique étrangère et de développement. Lors de leur visite récente dans cette région, les ministres Michel et Verwilghen ont fait d'importantes promesses en matière de coopération au développement.

Aujourd'hui, la RDC traverse une période de transition difficile, avec l'installation d'un gouvernement transitoire particulièrement hétérogène (36 ministres, 500 sénateurs, 120 députés, un premier ministre et quatre vice-premiers ministres dont deux chefs de mouvements rebelles). La mission première du gouvernement transitoire consiste à préparer les élections de 2005, avec l'aide de la communauté internationale, et de contribuer ainsi au processus de démocratisation du Congo. L'intervenant demande à M. Kakudji comment il évalue la situation en RDC, compte tenu du contexte difficile, des meurtres, des pillages et de la guerre dans l'Ouest-Congo. Comment va-t-on parvenir à organiser les élections dans ces conditions ? Qu'attendent les Congolais des Belges ? Les espoirs qu'ils ont fondés comprennent-ils une aide militaire ?

L'intervenant fait référence au drame du Rwanda et aux recommandations de la commission Rwanda, qui visaient à réduire autant que possible l'immixtion militaire belge dans les anciennes colonies. Enfin il demande l'avis de M. Kakudji sur la proposition du ministre Michel concernant la Conférence régionale qui devait stabiliser la région

M. Roelants du Vivier demande également quel rôle la Belgique pourrait jouer. Le ministre des Affaires étrangères, M. Michel, est revenu de la région avec un réel sentiment d'optimisme. Selon lui, on est à la veille de la reconstruction de l'État au Congo. Il s'ensuit que tout se mobilise en Belgique pour venir à l'aide, non seulement au niveau de l'État central, mais aussi au niveau des collectivités locales. L'intervenant mentionne l'initiative de la ville de Liège, qui soutient la ville de Lubumbashi à la reconstruction de son état civil. Quelles sont, selon M. Kakudji, les priorités dont devrait s'occuper la Belgique ?

L'intervenant aimerait connaître l'opinion de M. Kakudji sur le rôle à jouer par l'Afrique du Sud, puissance régionale très présente depuis un certain temps. Doit-elle poursuivre le rôle qu'elle a joué jusqu'à maintenant ou devrait-elle diminuer ses activités ?

Finalement, qu'en est-il de l'idée d'un marché commun des Grands lacs, à l'image de la Communauté européenne, qui devrait permettre la libre circulation des biens et des personnes dans la région. Devrait-on promouvoir cette idée ?

M. Lionel Vandenberghe souligne que, ces dernières années, de nombreuses organisations non gouvernementales actives au Congo ont joué un rôle essentiel auprès de la population locale. C'est ainsi que dans la région de Kikwit, une ONG a eu une attitude héroïque face aux troupes rebelles. Comment le nouveau pouvoir en place envisage-t-il le rôle de ces ONG ?

Mme de Bethune rappelle les travaux de la commission d'enquête sur les Grands Lacs qui s'est penchée, sous la législature précédente, sur le pillage des richesses naturelles de la région. Quelle suite le Parlement congolais réserve-t-il à ces travaux ? L'intervenante sait qu'il était question l'année passée d'un nouveau code minier. Comment M. Kakudji entrevoit-il l'élaboration d'une nouvelle législation relative aux multinationales actives dans le négoce de matières premières ? Quelles ambitions nourrit-on à cet égard ?

Quel est le point de vue de M. Kakudji sur les relations avec le Rwanda et sur les récentes résolutions des Nations unies à ce sujet ? Enfin, l'intervenante lui demande s'il a des recommandations concrètes à faire en ce qui concerne la coopération interparlementaire entre la Belgique et le Congo, plus précisément entre le Sénat de Belgique et le Sénat congolais.

Mme Thijs pose une question sur la sécurité interne au Congo. Au cours d'une mission parlementaire en 2003, elle a pu constater que la MONUC était présente à Kinshasa. Conviendrait-il de renforcer ce mandat ? De quelle manière peut-on mieux garantir la sécurité ? Comment la Belgique pourrait-elle y contribuer ?

La présidente déclare que le rapport contiendra un nombre de recommandations précises au gouvernement. Le Sénat veut bien entendu aider la fonction parlementaire et étendre le volet coopération, mais la question cruciale d'une coopération militaire accrue peut en faire partie également. La difficulté de subir une présence militaire parfois non adaptée à la situation est une autre donnée potentielle.

M. Galand revient sur la question de la MONUC. Son mandat a été élargi, les troupes françaises ont terminé leur mission à Bunia et 12 000 Interahamwe se trouvent toujours sur le territoire congolais. Ils restent en permanence un argument pour le Rwanda pour justifier des rumeurs de guerre qui se font encore entendre. Pourquoi la MONUC n'arrive-t-elle pas à encadrer ces gens, les désarmer et les faire rentrer chez eux ? Ce retour est une condition préalable à la paix.

Le même intervenant a pu constater que la Gécamines est en faillite, à l'exception de la partie sauvée par le groupe Forrest. L'entreprise est en voie de privatisation et son personnel a été légèrement indemnisé. Des membres belges du personnel se sont évertués pour que les pompes continuent à fonctionner et que les galeries ne s'inondent pas. Cependant, ces gens ne sont plus rémunérés et ils s'en plaignent amèrement. Pour éviter qu'ils ne rentrent en Belgique et ne s'inscrivent au chômage, il faudrait accélérer le règlement des indemnités pour qu'ils continuent à rendre leurs services indispensables.

Finalement, l'intervenant attire l'attention sur le poids exceptionnel que les sectes prennent dans la vie congolaise, non seulement dans la capitale, mais aussi à l'intérieur du pays.

M. Kakudji insiste sur le fait que la question de la sécurité est la clef de tous les problèmes. Il faut d'abord sécuriser le territoire avant que la population et les investisseurs ne retrouvent confiance. Les potentialités du pays doivent être transformées en richesses. Aucun investisseur ne se rendra au pays pour acheter son cercueil.

M. Kakudji explique que la nouvelle structure du gouvernement, qui est assez complexe, a été suggérée par l'ancien gouvernement congolais. Les belligérants étaient d'avis qu'ils devaient faire partie du gouvernement avant les élections. En quelque sorte, le secteur public est devenu un secteur d'embauche, puisque c'est l'un des rares secteurs qui fonctionne encore.

Le Sénat congolais est demandeur pour des relations plus développées avec le Sénat belge, tant sous forme d'assistance administrative que par l'échange de fonctionnaires. M. Kakudji donne l'exemple du protocole, qui est très important.

Pour ce qui concerne les relations avec le Rwanda, M. Kakudji déclare que la paix est la seule solution. Il plaide pour que les politiciens belges fassent du lobbying auprès de Washington. Les liens étroits entre le Rwanda et les États-Unis ne sont pas un secret. La communauté internationale doit pouvoir raisonner les pays agresseurs du Congo pour qu'ils se retirent définitivement.

L'idée d'un marché commun de la région des Grands Lacs est un projet très encourageant. M. Kakudji insiste sur le fait qu'il faudra des emplois pour que les armes, en l'occurrence les kalashnikovs, soient déposées et pour qu'on arrête les pillages. En même temps, il met en garde contre la création d'une superstructure sans base réelle.

La question d'une aide militaire belge doit être située dans le cadre de l'ONU, qui est présente au Congo (MONUC). La coopération militaire doit se faire au niveau de la formation, notamment des officiers.

Parlant en son nom personnel, M. Kakudji est d'avis que la grande majorité de la population préfère une présence des Belges à celle de l'Afrique du Sud, puisque ce dernier pays a soutenu les pays agresseurs.

Les ONG jouent un rôle très important. Leurs actions doivent être amplifiées par l'aide bilatérale.

Il est nécessaire d'élargir les moyens de la MONUC. La MONUC doit être capable d'imposer la paix et elle doit se retirer après la cessation des hostilités et après que les institutions congolaises auront repris le pouvoir.

M. Kakudji déclare à propos de la présence des Interahamwe que la communauté internationale devrait faire pression sur M. Kagame, le président rwandais, pour qu'il proclame l'amnistie pour les personnes concernées. La peur les empêche de rentrer dans leur pays. Il faut donner des garanties pour la sécurité de ceux qui rentrent ­ mais ne pas assimiler réconciliation et impunité.

M. Galand déclare qu'il faut aussi faire pression sur l'ONU, pour que la MONUC permette à ceux qui veulent rentrer de le faire.

La présidente pose le problème de l'identité à donner aux groupes d'origine tutsi qui se trouvent autour de Goma : auront-ils droit à la nationalité congolaise ?

M. Kakudji répond que, selon lui, tout qui réside sur le territoire congolais et se soumet à la législation congolaise, peut obtenir la nationalité. C'est une question qui sera examinée lors de la prochaine session ordinaire du Parlement. L'orateur répète que les problèmes socio-économiques sont à la base de tout. L'Europe a réglé ses conflits en créant l'Union européenne, le marché commun. Les potentialités économiques du pays sont tellement grandes que la main d'oeuvre congolaise ne suffira point.

La question de la Gécamines devrait être posée aux membres du gouvernement.

En ce qui concerne les sectes, M. Kakudji admet que la religiosité a une emprise incroyable sur le pays. Les dirigeants des sectes font fortune. D'aucuns disent qu'il vaut mieux les laisser faire, étant donné la situation de profonde misère de la population et l'effet anesthésiant du phénomène.

La présidente ajoute que les sénateurs ont pu constater lors d'une mission à Kinshasa que les sectes peuvent servir comme canal de distribution de visas.

M. Kakudji déclare que, au sujet des pillages, la communauté internationale doit considérer les congolais comme des gens responsables. La commission d'enquête-KASSEM, instaurée à la demande du gouvernement congolais, a publié un rapport sur les pillages des ressources naturelles de la République Démocratique du Congo. Le tribunal pénal international, à la demande du président congolais, va débuter ses travaux. Les coupables doivent être jugés.

2. M. Olivier Kamitatu Etsu, président de l'Assemblée nationale de la RDC

2.1. Exposé de M. Olivier Kamitatu Etsu

M. Kamitatu explique qu'après cinq années de conflit, les dirigeants de la RDC ont décidé d'unir leurs efforts pendant une période de transition qui doit aboutir dans vingt-quatre mois à l'organisation d'élections libres, démocratiques et transparentes. C'est une période très courte pour essayer de consolider, voire même de reconstruire l'État. Pendant les cinq années de guerre, le territoire faisait l'objet d'une partition de fait, avec trois grands territoires ­ c'est-à-dire trois administrations, trois armées, fonctionnant sans connection entre elles ­, plus de petits territoires dirigés par des entités.

L'accord politique global signé le 17 décembre 2002 à Prétoria décide de réunifier le territoire. Ce compromis a été forgé sur la base de plusieurs principes : premièrement, la volonté de mettre un terme définitif à la guerre; deuxièmement, l'implication de toutes et tous dans le processus devant conduire aux élections; troisièmement, la technique du consensus pour élaborer les grandes étapes de la transition.

La Constitution de transition a mis en place une architecture institutionnelle complexe. Le président de la République est entouré de quatre vice-présidents, soixante et un ministres et vice-ministres. Ceux-ci sont désignés par les composantes du dialogue inter-congolais (DIC), au sein desquelles on retrouve les ex-belligérants.

L'Assemblée nationale est composée de cinq cents membres, eux aussi désignés par leurs composantes et entités respectives.

Cinq composantes importantes désignent, chacune, nonante-quatre députés. Le Gouvernement de la RDC, c'est-à-dire la famille politique de l'ex-président Joseph Kabila, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) sont les trois anciens belligérants. À ceux-ci s'ajoutent la société civile qui s'est choisi librement à travers le pays ses représentants à l'Assemblée nationale (les Forces vives), et l'Opposition politique, une composante plurielle regroupant vingt-six partis politiques. Les députés restants sont désignés par trois petites entités qui contrôlaient les territoires principalement dans l'est du Congo : les Mayi Mayi, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-National (RCD national) et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement Libération (RCD-ML).

La configuration politique ne permet donc pas de disposer d'une majorité automatique au sein de l'assemblée. Cela signifie que seul le dialogue permettra de dégager un consensus sur les grandes questions à régler au cours de la phase de transition.

Le Sénat comprend 120 membres, eux aussi choisis par les composantes et entités du DIC.

Il reste maintenant à mettre en place les institutions d'appui à la démocratie. L'une des plus importantes est la commission indépendante des élections qui est le pouvoir organisateur des élections aux termes de la Constitution. Les autres sont l'Observatoire des droits de l'homme, la Commission vérité et réconciliation, la Haute autorité des médias et la Commission de lutte contre la corruption. Ces cinq institutions citoyennes sont présidées par des personnalités issues de la société civile. Dans leurs bureaux est toutefois représentée chacune des entités et composantes.

La Constitution prévoit un délai de vingt-quatre mois pour restaurer l'autorité de l'État à travers toute la république. Il est essentiel pour cela de redoter la RDC d'une véritable armée. Après cinq ans de conflit, entre 200 000 et 250 000 jeunes gens qui ont combattu pour l'un des camps doivent être démobilisés dans l'urgence. Il faut au préalable que le gouvernement décide de la taille, de la composition et de la mission de la nouvelle armée congolaise.

Cette priorité peut surprendre mais il est indispensable de rétablir d'abord la sécurité et la stabilité dans le pays.

Une nouvelle police doit aussi être organisée. La sécurité ne peut être assurée que par une véritable police intégrée.

À l'intérieur du pays doivent être installés de nouveaux gouverneurs de région qui ne soient plus dépendants des groupes qui ont contrôlé les territoires, mais relèvent de l'autorité du ministre de l'Intérieur. Il s'agit pour eux non seulement d'administrer le territoire, mais aussi de préparer avec les autres institutions le processus électoral.

Enfin, les recettes fiscales et douanières, particulièrement dans l'est du pays, doivent être recanalisées vers le gouvernement central. Il est connu que, dans l'est du pays, les extrémistes n'agissent plus pour des causes politiques. Ils favorisent le trafic illicite des matières précieuses de l'Ituri en échange d'armes importées illicitement des pays frontaliers.

En restaurant l'autorité de l'État, il faut lancer un signal très fort aux pays voisins, l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi : les dirigeants congolais ne sont plus disposés à ce que leur pays demeure un sanctuaire à partir duquel des rebelles venus de divers horizons attaquent et déstabilisent les pays voisins. La souveraineté du Congo sera rétablie sur l'ensemble du territoire, y compris les frontières de l'est. Mais le Congo attend de ses voisins un signal semblable. Il y a actuellement 350 000 réfugiés congolais en Tanzanie, le Congo va tout faire pour qu'ils puissent revenir mais également pour favoriser le retour chez eux des réfugiés étrangers qui se trouvent en RDC.

La Conférence des Grands lacs ne donnera pas de solution immédiate, mais permettra d'enclencher un processus de dialogue avec les pays voisins. La seule solution durable à la crise dans l'Est réside dans la définition en commun d'un projet d'intégration économique.

Le scénario est sombre, les délais sont brefs, mais toutes les familles politiques partagent une volonté ferme de s'atteler à la tâche. Il faut maintenant voter des lois qui permettront l'organisation des élections : sur la nationalité, la décentralisation ... D'autres lois doivent remettre sur pied le système judiciaire afin de pouvoir sanctionner sévèrement les extrémistes. Ceci implique aussi la construction de prisons.

La population doute encore de la sincérité des acteurs politiques. C'est pourquoi transparence et lutte contre la corruption seront des priorités pour les deux assemblées. Il n'était plus dans les usages que les ministres se justifient devant les parlementaires. Le principe du contrôle de l'exécutif par le législatif doit à nouveau être appliqué.

Les résolutions du DIC comprennent notamment la révision des conventions signées pendant les deux guerres.

Enfin, le projet de Constitution de la 4e République du Congo devra être adopté.

En conclusion, il y aujourd'hui un large consensus pour aider les Congolais à consolider leur réconciliation et aller de l'avant. Il se traduit au niveau international par des moyens financiers substantiels destinés à la réhabilitation des infrastructures. La RDC doit s'astreindre à une discipline budgétaire très contraignante en ne perdant pas de vue que le bénéfice de la réunification doit se traduire in fine par une amélioration de la vie quotidienne de la population.

Sans l'action continue de la Belgique, il est probable que la RDC ne serait pas arrivée à ce stade. Cet effort doit être soutenu pour qu'il y ait enfin des perspectives de stabilité et de paix durables au Congo et dans la région.

2.2. Échange de vues

M. Hostekint remarque que l'orateur a parlé des conséquences de cinq années de conflit, mais les difficultés du Congo datent de bien plus tôt, on peut même dire de l'indépendance du Congo. En principe, des élections libres doivent avoir lieu en 2005, mais le membre se demande si le régime parviendra à respecter la date prévue.

Depuis la formation du gouvernement Verhofstadt II, il y a en Belgique un changement d'attitude à l'égard du Congo. M. Michel et M. Verwilghen, respectivement ministre des Affaires étrangères et ministre de la Coopération au Développement, se sont rendus au Congo, Burundi, Rwanda et Ouganda où ils ont pris plusieurs engagements importants. On ne peut que se féliciter de ceux-ci sur le plan de la coopération au développement. Mais qu'attend la RDC dans les autres domaines ? Au Parlement belge et dans l'opinion publique, il a déjà beaucoup été question de savoir si la Belgique peut apporter une contribution sur le plan militaire et sur le plan de la sécurité au Congo.

M. Kamitatu déclare que le Congo est à un tournant de son histoire. Un terme a été mis à un conflit qui a occasionné directement ou indirectement 3 millions de morts, plusieurs centaines de milliers de déplacés, l'assassinat d'un chef d'État. Si la sécurité est mise au rang de priorité, c'est parce qu'il faut absolument revenir sur les bases saines d'un État de droit.

La Belgique a connu des événements tragiques dans son intervention au Rwanda mais son action en Afrique centrale ne doit pas être vue à travers ce prisme.

La Belgique peut aider la RDC au niveau de la formation d'officiers, afin de reconstruire une armée à travers des officiers qui auront un profil digne de ceux d'une armée d'un État moderne. Cette formation peut se faire en Belgique ou au Congo via des instructeurs belges.

Le génie militaire est une voie qui peut être utilisée pour démobiliser les 250 000 soldats et leur donner un autre horizon. Là aussi la Belgique peut apporter son expérience.

La réorganisation de la police au Congo pourra s'inspirer de la réforme des polices en Belgique.

Pour reconstruire son système judiciaire, le Congo a besoin de partenaires qui connaissent bien la situation. Dans l'Ituri, il n'y a ni magistrats, ni tribunaux de peine, ni prisons.

Le Congo attend encore un appui pour le renforcement de sa capacité administrative. Ces douze dernières années, la RDC a été privée de toute coopération structurelle. Elle a un retard important à combler.

Ce que le Congo attend donc, c'est un partenariat pour l'aider à reconstruire ses fonctions de souveraineté essentielles : défense, justice et administration. La garantie d'un État de droit devrait attirer les investisseurs privés au Congo et permettre ainsi d'éradiquer les germes du conflit qui s'enracinent dans une extrême pauvreté.

Mme Lizin est d'avis que le soutien de la Belgique au Parlement congolais constitue un volet de travail spécifique. Les ministres ont la même base électorale que les parlementaires, la seule différence est qu'ils sont ensuite sélectionnés par le parti. Le Congo ne pouvait commencer par des élections, il fallait nécessairement un accord de transition, mais il est dans une situation privilégiée pour passer à l'étape suivante.

On a peu évoqué la restauration de l'état civil. Ce qui fait un État de droit, c'est notamment l'identification des citoyens. Or, jusqu'à présent, la vision de l'état civil en RDC était floue : difficulté d'identifier l'origine congolaise, achat de documents d'identité en tous genres ... L'organisation d'élections ne devrait-elle pas s'accompagner d'une action globale d'« enregistrement » de la population congolaise ? La Belgique pourrait-elle appuyer ce volet ?

M. Roelants du Vivier ajoute que 89 communes francophones et 20 communes flamandes ont participé à un programme de coopération avec les collectivités locales (exemple : Liège et Lubumbashi), financé par le service fédéral des affaires étrangères. Les résultats sont significatifs pour peu d'investissements. Ne faudrait-il pas demander aux collectivités locales de s'impliquer davantage dans la reconstruction de l'état civil ?

M. Kamitatu explique qu'il n'y a pas eu de recensement en RDC depuis 1984. La dernière carte d'identité nationale a été émise en 1986. Sur base de projections démographiques, il y aurait aujourd'hui 55 millions de Congolais, avec tout le hasard que cette estimation implique, compte tenu du conflit, des pandémies, du sida, des déplacements de population ...

La préparation des élections est une lourde tâche. Il faut éviter de réveiller les conflits à l'occasion de la préparation de la loi sur la nationalité. Cela ne dispense pas d'identifier les électeurs. Un recensement scientifique à l'issue duquel chaque Congolais aurait une carte biométrique serait la solution idéale, mais elle serait très onéreuse. Le recensement administratif exige une administration préalable. Un recensement électoral devrait commencer le plus rapidement possible. On peut encore envisager un enrôlement volontaire à la faveur du référendum constitutionnel. C'est la commission électorale qui décidera des priorités.

Les projets tels que Liège-Lubumbashi sont très importants. M. Kamitatu est conscient du travail à faire dans ce domaine et soutient pleinement ce type d'initiatives.

3. M. Wamu Oyatambwe, responsable chez Acodev et chercheur au Brussels Centre of African Studies (BCAS) de la VUB

3.1. Exposé de M. Wamu Oyatambwe

La situation socio-économique étant fort catastrophique au Congo, il est difficile de dégager des axes d'intervention prioritaires, étant donné les urgences et le fait que tout y paraît prioritaire. Néanmoins, deux principes majeurs devraient guider la politique d'aide en faveur du Congo :

1. Toute aide doit être orientée vers l'amélioration des conditions de vie ou correspondre aux aspirations de la population (et donc ne plus se laisser guider seulement par des intérêts économiques ou politiques!);

2. L'État étant le centre ou la base de tout développement, il faut aussi appuyer tout ce qui concourt à rebâtir un tant soit peu l'État congolais.

Par le passé, les politiques d'aide des nombreux bailleurs des fonds et partenaires étrangers du Zaïre ont privilégié les intérêts économiques ou stratégiques ainsi que les bonnes relations avec le régime Mobutu. Faisant en cela fi des conditions de vie et des aspirations de la population, autant que de la délitescence progressive des structures étatiques. On en paie les frais aujourd'hui, et on ne devrait plus répéter des erreurs d'approche de ce genre.

De là découlent, eu égard aux aspirations de la population et au contexte spécifique des relations belgo-congolaises, quelques axes et recommandations majeurs qu'on peut résumer ainsi :

a) Sur le plan des principes ou des lignes directrices :

1. Appuyer la transition démocratique, afin qu'elle débouche sur un cycle électoral prévu par les différents accords. La population attend fermement ces élections, et la décevoir serait catastrophique. Il faut donc accompagner les institutions mises en place, et appuyer les initiatives de mobilisation citoyenne et d'éducation civique en vue de l'aboutissement de cette transition;

2. Contribuer autant que possible à la reconstruction de l'État congolais, condition sine qua non pour atteindre aussi bien la démocratisation que le développement; l'État est en délabrement depuis des années, alors qu'on on ne peut pas espérer le développement d'un pays si celui-ci n'est pas pris en charge ou piloté par un appareil étatique local;

3. Éviter d'envoyer des signaux négatifs ou des messages équivoques aux dirigeants autant qu'à la population; les prises de position de la Belgique ont encore une forte influence sur l'évolution de la situation là-bas, et donc il faut éviter des discours ambigus;

4. Plaidoyer et pressions : maintenir la pression sur les pays voisins et sur toutes les forces qui menacent la stabilité du Congo, et accentuer en même temps le plaidoyer auprès des différents bailleurs des fonds afin que tous appuient la stabilisation politique et la reconstruction de ce pays.

b) Sur le plan opérationnel

La Belgique ne peut pas tout faire en RDC mais il y a des choses qu'elle peut faire en bilatéral, puis d'autres qu'elle peut stimuler par le biais multilatéral. Quelques exemples concrets :

1. Dans le bilatéral, la Belgique devrait poursuivre, et même accroître son appui à des secteurs dans lesquels elle dispose d'une vraie expertise, comme la santé ou l'enseignement; mais il faut y ajouter assez rapidement l'aide à la réforme ou à la modernisation de l'administration publique. Par exemple, pourquoi ne pas se lancer dès aujourd'hui dans l'informatisation des services publics ? Cela aiderait énormément aussi bien comme appui à la transition démocratique que comme contribution à la consolidation de l'État.

2. Dans le multilatéral, la Belgique reste encore (malgré tout) le principal porte-parole ou défenseur de la RDC au sein de nombreuses institutions multilatérales. Il faudrait utiliser davantage cette position pour pousser les autres à agir et à s'investir au Congo. Mais cela suppose que la Belgique elle-même fasse preuve de davantage de volontarisme et d'engagement, en acceptant parfois le risque de piloter ou d'initier des interventions multilatérales dans quelque domaine que ce soit (militaire, économique, politique, ...) même avec des moyens limités. Prêcher par l'exemple permet de convaincre d'autres.

3. La reconstruction des infrastructures est une tâche de longue haleine et fort coûteuse que la Belgique ne peut pas faire seule mais son engagement ainsi décrit peut contribuer à mobiliser d'autres acteurs. De même, c'est aussi là un domaine dans lequel il est nécessaire de responsabiliser l'État congolais, car c'est de ce dernier que relèvent en dernier ressort les politiques de reconstruction des infrastructures.

4. La relance de la coopération militaire semble aussi relever des ces diverses préoccupations. Le Congo a besoin d'être stabilisé politiquement, de restaurer l'État dans ses fonctions essentielles, et pour cela la question de l'armée est cruciale voire centrale. Or dans l'état actuel on ne dispose pas d'une armée digne de ce nom; celle-ci est à créer, à former, à responsabiliser. Même la réussite des programmes de démobilisation passe par la consolidation préalable (ou concomitante) d'une armée nationale. Il n'est évidemment pas question que des troupes belges aillent s'occuper de la défense du territoire ou de la sécurité en RDC mais d'appuyer la RDC par la formation et l'encadrement technique en ces matières. La Belgique ne peut pas le faire toute seule, vu l'immensité de la tâche; mais elle ne doit pas non plus attendre que les autres bougent d'abord; le fait qu'elle s'y engage peut justement contribuer à susciter l'intérêt auprès des autres partenaires occidentaux ou multilatéraux.

Dans toutes ces recommandations, l'orateur n'a pas fait allusion à des financements éventuels des institutions aux effectifs pléthoriques mises en place pour la gestion de la transition. Celles-ci ne sont pas l'émanation du peuple, mais juste une sorte de « partage du gâteau » entre des acteurs (essentiellement des mobutistes et des seigneurs de guerre) dont les appétits ont justement détruit le pays et qui ne disposent que d'une légitimité de fait. Néanmoins, ces acteurs sont et restent des interlocuteurs incontournables avec lesquels il faut compter et traiter. Cependant, face à eux, c'est surtout la fermeté et la pression vers des élections générales et transparentes (même si on ne peut pas s'attendre à des élections parfaites dans l'état actuel) qu'il faudra exercer, avec comme recommandation : « allez vite aux élections, de sorte que la légitimité acquise par ce biais nous permette de vous soutenir par la suite ».

En attendant donc, l'orateur ne croit pas utile de vouloir aider le régime ou les institutions politiques en place, sinon de manière conditionnée à l'avancement de la transition démocratique, ou par la collaboration nécessaire dans la réalisation des programmes précis.

Par contre, il faut soutenir tout ce qui aide à soulager la population d'une part (car celle-ci a trop souffert et reste la principale victime des erreurs du passé) et d'autre part soutenir tout ce qui concourt à la consolidation de l'État, c'est-à-dire des structures qui devraient rester opérationnelles et efficaces quels que soient les changements des gouvernements ou des régimes politiques, comme justement l'administration publique, l'armée, etc.

3.2. Échange de vues

Mme de Bethune voudrait en savoir davantage sur les compétences et les missions de M. Oyatambwe.

Mme Durant souhaite connaître la perception de M. Oyatambwe par rapport à la démilitarisation non seulement des enfants-soldats mais également, dans le cadre d'une fin de guerre, de tous ceux qui disposent d'armes nombreuses et qui peuvent être nuisibles en étant lâchés dans la nature. L'expert peut-il donner son avis sur l'expérience mozambicaine qui a donné des résultats fort intéressants en matière de démobilisation et de « recivilisation » de toutes les personnes, enfants y compris, qui avaient été engagées dans la guerre. Apparemment, au Congo, seules 5 à 10 % des personnes actuellement armées sont dans l'armée nationale. Il y a donc environ 90 % de personnes armées qui vont se retrouver sans revenu. Quel type d'aide la Belgique pourrait-elle apporter en cette matière ? La Belgique peut-elle aider, par exemple, pour amener le Conseil européen à adopter une attitude et des moyens communs, éventuellement déléguer ces moyens à des ONG spécialisées, et en tout cas, permettre de toute urgence que des actions soient menées et des moyens dégagés, dans le cadre de la démobilisation des milliers de jeunes hommes ou d'adolescents sans revenu et donc dans une situation très difficile.

M. Lionel Vandenberghe a pu se rendre compte au Congo de la grande sympathie dont jouissent les Belges auprès de la population locale. D'autre part, il a constaté le grand délabrement des infrastructures. La Belgique est très fière de son passé, mais elle n'est en fin de compte qu'un petit pays et ce qui s'est déroulé autrefois n'est pas toujours très positif. La Belgique est-elle réellement en mesure de collaborer à la reconstruction des infrastructures ?

Ne serait-il pas préférable que la Belgique agisse à plus petite échelle et dans des domaines où les Belges sont particulièrement compétents, notamment l'enseignement, la prévention sanitaire, ... Les grands travaux d'infrastructure ne doivent-ils pas plutôt être réalisés dans un contexte plus large, au moins européen ? L'intervenant plaide en faveur d'une politique européenne de coopération au développement plus cohérente.

M. Hostekint attire l'attention sur le fait que la population de plusieurs pays africains nourrit de grands espoirs, malgré ce qui a pu se passer, entres autres, à l'époque coloniale (pillage des matières premières, exploitation de la population, soutien au régime corrompu de Mobutu pendant des décennies). Notre pays a le devoir historique d'aider le Congo dans la mesure du possible. L'Afrique centrale, et plus particulièrement les anciennes colonies, représentent une priorité absolue du gouvernement. C'est l'une des raisons pour lesquelles la commission organise ces auditions. Il ne sert à rien que la Belgique investisse des capitaux dans des grands projets d'infrastructure; ceux-ci doivent être menés dans un cadre européen. Notre pays doit se concentrer sur les domaines où il possède une expertise : les soins de santé, l'enseignement, le soutien au gouvernement de transition, l'organisation d'élections.

La Belgique entend aussi s'engager sur le plan militaire et envoyer un certain membre de militaires au Congo en vue d'y assurer la formation d'unités congolaises. M. Hostekint n'est pas d'accord. En revanche, en cas d'aggravation éventuelle de la situation au Congo, il faudrait examiner si la Belgique doit ou non envoyer des unités de combat. La population congolaise a-t-elle des attentes à l'égard de notre pays en matière d'assistance militaire ?

Mme Lizin propose d'isoler quelques grandes recommandations. Certaines concernent la façon dont la Belgique doit travailler avec le gouvernement de la RDC et d'autres avec les ONG. Vaut-il mieux travailler avec, par exemple, la société civile plutôt qu'avec le gouvernement ? Les ONG pourraient-elles êtres porteuses d'un programme d'éducation sur l'ensemble du Congo ? Ne serait-il pas aussi important que la Belgique aide à structurer des choses fondamentales comme par exemple l'état civil, la justice, etc.

M. Wamu Oyatambwe précise à l'attention de Mme de Bethune qu'il a une formation de base en philosophie. Ensuite, il s'est spécialisé en étude de développement et en sciences politiques, notamment à l'université d'Anvers. Il a obtenu un master degree en sciences politiques, a effectué une spécialisation en études fédéralistes à Fribourg et un doctorat en sciences politiques à la VUB. Actuellement, il travaille à temps plein à Acodev, qui est spécialisé en éducation et développement mais il est également rattaché pour la recherche à un centre conjoint VUB et ULB. Ce centre a, entre autres, été créé par Pierre de Maret, recteur de l'ULB, pour faciliter la recherche africaine et créér une synergie entre les deux universités. Par ce biais, M. Oyatambwe garde un lien étroit avec certaines universités au Congo, en termes d'échanges. Il est également auteur de quelques publications dans ce cadre-là. Ses recherches portent sur le processus de démocratisation en Afrique mais aussi sur les perspectives de développements.

En ce qui concerne le processus en cours, M. Oyatambwe estime que la grande démilitarisation est un processus fondamental car il s'agit d'une situation instable et fragile dans laquelle le recours à la force est devenu une tentation permanente, que ce soit à un niveau macro-sociétal ou de proximité. Dans ce contexte, celui qui détient une arme, devient une vraie menace que ce soit pour l'équilibre de la situation mais également en ce qui concerne la sécurité des personnes.

L'expérience mozambicaine qui est une première en Afrique est intéressante, même si elle se déroule dans un contexte politique clarifié et stabilisé, alors qu'au Congo, il y a encore beaucoup de flou et d'incertitude. Par exemple, le soldat qui va rendre son arme, qui va être démobilisé, voudra en retour quelques garanties sur sa survie ultérieure. Sinon, qu'arriverait-il ? Celui qui a deux armes, n'en rendra qu'une et gardera l'autre en réserve pour, le cas échéant, pouvoir y recourir. C'est un problème très complexe et M. Oyatambwe pense que l'on ne s'y prend pas de la bonne façon, parce qu'il s'agit d'une façon trop isolée. Par exemple, en plein coeur de Kinshasa, des familles de militaires doivent quitter un immeuble désaffecté d'une ancienne école de formation médicale qu'elles occupent, parce qu'il est insalubre. N'importe quoi peut arriver dans cet immeuble. Avant de faire partir ces familles de soldats ­ qui ne sont même plus répertoriés dans l'armée ­ il faut leur retrouver un autre logement. Dans les camps militaires, actuellement, il y a de véritables poudrières, parce que personne ne connaît les effectifs réels, que ce soit de la population qui y habite ou des soldats. Le régime de Laurent-Désiré Kabila a recruté d'anciens Mobutistes. Les mouvements rebelles ont également recruté des soldats. Quand on parle de bandes armées à l'heure actuelle ou de la démobilisation, il est difficile de se faire une idée de ce qu'il y a comme forces armées ou comme éléments armés au sein de la population congolaise. Officiellement, 10 % des personnes armées seraient dans l'armée nationale, mais ces chiffres ne correspondent pas à la réalité car on ne tient pas compte des engagements forcés, des engagements à la hâte, etc., surtout quand la guerre a explosé. Il faut une amélioration du système administratif pour qu'il soit efficace. Il faut identifier les gens, établir des statistiques, avoir un registre pour procéder à la démobilisation.

En ce qui concerne la reconstruction des infrastructures, il est évident que ce n'est pas la Belgique à elle seule qui va pouvoir tout faire, ni la communauté internationale. Il faut travailler en amont et faciliter la consolidation d'un État qui peut se charger de cela. Même si la Belgique intervient massivement pour la santé, l'enseignement, etc., il faut une prise en charge réelle par l'État congolais. Même si la communauté internationale, en ce compris la Belgique, parvient à mobiliser 10 milliards d'euros de dollars pour la reconstruction du Congo, cette somme est minime par rapport au volume et aux besoins de la population. Pendant plusieurs années, l'État a démissionné et a presque disparu. La consolidation de l'État peut se faire à travers les filières informelles, la société civile, les ONG, puisque les structures étatiques sont dans un tel état de délabrement que l'on ne peut s'appuyer sur elles.

Un autre problème concerne le système administratif qui fait défaut à plusieurs niveaux : état civil, santé, défense. L'accès à la nationalité devrait être résolu mais puisque tout le monde peut acheter une carte d'identité, comment savoir qui est Congolais ? En la matière, la Belgique possède une certaine expertise qui devrait être exploitée dans les prochaines années.

Il faudrait procéder à l'informatisation des services publics. Mais l'électricité n'est pas disponible partout. Aujourd'hui, un criminel qui a tué à Kinshasa peut acheter une autre carte d'identité à Matadi et s'installer ailleurs.

Certaines expériences valent la peine d'être imitées. Par exemple, dans le cadre de l'église catholique, des communautés ecclésiastiques vivantes ont été mises en place. L'église doit faire face à une certaine concurrence à la suite de l'émergence de nombreux mouvements religieux qui prolifèrent à travers le pays et ce système permet une administration et un encadrement ecclésiastique de proximité. Les gens se connaissent et s'organisent entre eux.

Au niveau de l'engagement militaire de la Belgique, l'intervention s'est faite de façon trop émotive et maladroite. Actuellement, on parle de 3 millions de morts au Congo. Au Rwanda, le retrait des troupes belges a eu les conséquences que l'on sait. L'orateur pense que la Belgique devrait avoir honte du fait que c'est la France qui a pris la direction des opérations en Ituri, par exemple, alors qu'il y avait urgence.

Dans le cas de la pacification en Sierra Leone, c'est la Grande-Bretagne qui est intervenue avec un mandat des Nations unies et a envoyé des troupes, ce qui a aidé à décanter la situation.

Si on reconnaît que la Belgique a un devoir moral ou historique vis-à-vis de ses anciennes colonies, ou vis-à-vis des pays qui continuent à compter sur la Belgique, il faut une intervention militaire de temps à autre, au cas par cas. Selon l'orateur, la décision de ne plus envoyer de soldats dans les anciennes colonies est une erreur. Des coopérants ont été tués au Rwanda. Est-ce pour cela qu'il ne faut plus envoyer de coopérants dans les anciennes colonies ?

Comment peut-on consolider l'État et rétablir la stabilité dans la région, avec l'armée d'aujourd'hui ? Si on veut démobiliser, il faut en parallèle construire une armée digne de ce nom.

Le travail d'éducation civique nécessaire au niveau du gouvernement central est déjà en cours au niveau des associations, comme par exemple le Conseil national des ONG du Congo qui a mis des réseaux citoyens en place, à travers tout le pays. Pendant les années Mobutu, il n'y avait pas de cours d'éducation civique, il y avait des cours d'éducation au Mobutisme, des cours idéologiques sur le Mobutisme. Il faut sensibiliser la population aux enjeux actuels.

La tâche est énorme. Il faut appuyer les initiatives locales et offrir un appui permanent au gouvernement central, car il faut l'amener à prendre conscience de ses responsabilités.

Aujourd'hui les dirigeants politiques prennent davantage conscience de leur positionnement politique que de la reconstruction d'un État au service de la nation.

4. M. Katalay Muleli Sangol, sénateur, président de l'Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC)

4.1. Exposé de M. Katalay Muleli Sangol

La population congolaise vit dans une très grande insécurité. Ce problème doit être résolu en priorité afin qu'un climat de confiance s'installe vis-à-vis des candidats investisseurs.

L'Union nationale des travailleurs du Congo (UNTC) demande une aide financière au gouvernement belge pour permettre aux travailleurs congolais de suivre, d'une part, des formations spéciales relatives aux droits de l'homme et, d'autre part, des cours de formation professionnelle.

4.2. Échange de vues

Mme Lizin précise que la question de la défense des droits syndicaux sera reprise dans les recommandations du Sénat au sujet du Congo.

M. Hostekint demande avec quels partenaires belges l'intervenant souhaite collaborer en ce qui concerne la défense des droits syndicaux des travailleurs congolais.

M. Katalay Muleli Sangol répond qu'il s'agit plus spécialement de la FGTB.

M. Hostekint demande à combien s'élèvent les subventions qui ont été versées à l'organisation de M. Katalay Muleli Sangol par le gouvernement belge et de combien celle-ci aura encore besoin à l'avenir.

M. Katalay Muleli Sangol répond qu'une première démarche a été entreprise dans le cadre de la diplomatie préventive. Tous les leaders syndicaux, toute appartenance confondue, ont été réunis au mois de février 2003 pour qu'ils formulent vis-à-vis des trois syndicats belges leurs besoins spécifiques pour la remise en place de leurs structures touchées par la guerre. En RDC, une intersyndicale a été créée au niveau interrégional, dépassant les clivages. Cette organisation regroupe les sept syndicats les plus représentatifs au Congo.

Une première intervention de la part des syndicats belges a permis de financer les voyages en Belgique des leaders syndicaux du Rwanda, du Burundi et du Congo.

L'orateur explique qu'à l'heure actuelle les syndicats belges réfléchissent à la demande de la part de l'ensemble des syndicats burundais, congolais et rwandais.

Mme Lizin demande si les syndicats congolais sont organisés par ethnie.

M. Katalay Muleli Sangol répond que les syndicats s'organisent au plan national à partir des entreprises.

5. Filip Reyntjens, professeur, UA

5.1. Exposé de M. Filip Reyntjens

M. Reyntjens avertit d'emblée que malgré son travail quotidien sur les questions d'Afrique centrale, il ne prétend pas connaître plus de 5 % de la réalité sur le terrain. Beaucoup de Congolais et de Burundais eux-mêmes n'en savent pas davantage.

Son exposé se limitera à quelques éléments essentiels pour la manière de concevoir les relations entre la Belgique et l'Afrique centrale.

Sur le plan géopolitique, l'Afrique centrale se caractérise par des alliances mouvantes : tous les acteurs, étatiques ou non, au niveau national, régional, local, raisonnent selon la logique « L'ennemi de mon ennemi est mon ami ». Cela donne lieu à des alliances conjoncturelles très mouvantes, dont on a eu ces dernières années des exemples spectaculaires. Ainsi, les pays alliés dans la coalition anti-Mobutu pendant la première guerre du Congo (Rwanda et Ouganda d'un côté, Angola de l'autre côté) sont devenus des ennemis pendant la deuxième guerre commencée en août 1998. De même, le Rwanda et le Burundi, alliés pendant la première guerre et au début de la deuxième, ont ensuite pris les armes l'un contre l'autre à plusieurs reprises sur le territoire congolais. L'évolution des relations entre le régime rwandais et les banyamulenge au Congo est aussi frappante : il y a maintenant une fracture assez nette entre eux et le régime de Kigali.

Le paysage politique et militaire est très fragmenté. Il ne s'agit pas simplement d'un mouvement de rebelles qui combat l'armée du gouvernement; mais de dizaines d'acteurs, petits et grands. À l'est du Congo, par exemple, on compte sur le terrain quinze ou seize acteurs politiques, qui franchissent les frontières, font la guerre ou se livrent à des pillages hors de leur territoire. Ce sont donc des situations très complexes et pour lesquelles il est difficile de faire des prévisions : on ignore à quoi ressemblera le paysage militaire et politique dans six mois.

Deuxième élément dont il faut tenir compte : même lorsqu'un accord est signé, le processus de négociation continue. L'accord d'Arusha signé par le Burundi en août 2000 en est une illustration : trois ans et demi après sa conclusion, le FNL (Forces nationales de Libération) vient d'annoncer qu'il était disposé à parler avec le président burundais. Ce phénomène se retrouve ailleurs en Afrique et même dans le monde, mais pas dans la tradition européenne. La mise en oeuvre de l'accord est en soi un processus de négociations continues. De cette façon, l'accord est constamment adapté.

Le troisième phénomène est celui des « dérailleurs » du processus de paix. Ce sont des acteurs politiques pour lesquels l'option des armes reste toujours ouverte si les négociations s'engagent dans une direction qui, à leurs yeux, semble en contradiction avec un intérêt vital. On les trouve tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Le quatrième élément est la relative absence de coordination entre partenaires bilatéraux et multilatéraux. Il n'y a pas de politique européenne vis-à-vis de l'Afrique centrale car les positions des membres sont très différentes. Par exemple, la France a une position radicalement différente de celle des « nouveaux amis du Rwanda », les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Par le biais des relations privilégiées qu'ils ont développé avec le Rwanda depuis 1994, ils ont adopté une position de soutien assez prononcé envers le nouveau régime puis envers Laurent Désiré Kabila au moment de sa marche vers le pouvoir.

Cinquièmement, il y a des incohérences dans la politique de la communauté internationale. Celle-ci soutient le processus de transition politique au Congo et, parallèlement, le régime rwandais en place à Kigali. Or, dans la partie non publiée du rapport final du panel des Nations-Unies sur l'exploitation illégale des ressources du Congo, il apparaît clairement que le Rwanda ferait partie des dérailleurs du processus de paix au Congo, notamment en continuant d'armer des mouvements rebelles, y compris sous la forme d'une nouvelle rébellion au Kasaï. Le Rwanda a aussi joué un rôle dans l'Ituri.

Comment concevoir la coopération au développement ? Sur le plan militaire, la commission « Rwanda » du Sénat a recommandé de ne plus envoyer de troupes de maintien de la paix dans des anciennes colonies. Si cette recommandation est compréhensible, elle limite cependant singulièrement les moyens d'action de la diplomatie belge. Actuellement, il n'est question que d'un appui logistique et d'une assistance dans la formation des officiers mais il faudra envisager la possibilité d'engager des troupes belges dans des opérations de maintien de la paix.

La coopération avec le Congo doit viser avant tout la reconstruction de l'État congolais. Le délabrement étatique coûte des vies humaines, non seulement à cause de la guerre, mais à cause de l'absence d'infrastructures sociales, sanitaires ou médicales. La reconstruction étatique passe par l'installation d'une armée nationale. Dans ce contexte, la nécessité d'une coopération militaire entre la Belgique et le Congo paraît une évidence.

La reconstruction de l'État congolais sera une tâche titanesque car il n'y a plus rien. Il faudra un effort de coordination entre les bailleurs de fonds.

Enfin, quelle est la situation des États voisins ? Le Burundi et le Rwanda connaissent des problèmes politiques nationaux comme au Congo. Parmi les neuf voisins du Congo, sept connaissent une instabilité politique aigue ou endémique. Ces problèmes nationaux entraînent une instabilité dans toute la région.

Au Burundi, la Belgique ne peut faire beaucoup plus qu'aujourd'hui, à savoir appuyer dans la mesure du possible le processus de paix. L'annonce qui vient d'être faite par l'aile la plus importante du mouvement rebelle des FNL se disant prête à rencontrer le président pourrait constituer une avancée importante

Le plus rapidement possible, il faudra fournir une aide structurelle à la reconstruction du Burundi. Il ne s'agit pas tellement comme au Congo de reconstruction de l'État, mais d'une aide dans tous les domaines : enseignement, justice, gestion de l'économie, santé ...

Au Rwanda, la situation est extrêmement complexe. Le régime actuel abuse de la référence au génocide d'il y a dix ans pour s'assurer une impunité pour les crimes de guerre qu'il commet. Une « road map » doit être négociée avec le gouvernement rwandais. Il faut accepter le fait que le Rwanda n'est pas prêt pour une démocratie pluraliste et essayer de négocier avec le gouvernement rwandais, la société civile et un consortium de partenaires bilatéraux et multilatéraux du Rwanda, un plan d'action pour les années à venir.

5.2. Échange de vues

Voir l'échange de vues après l'exposé de M. A. De Decker, président du Sénat.

6. M. Armand De Decker, président du Sénat

6.1. Exposé de Armand De Decker

M. A. De Decker avait été invité en République du Congo à l'occasion de l'installation des Chambres du régime de transition mais il trouvait préférable d'y aller plus tard, dans le cadre d'une visite de relations bilatérales. Il s'y est dès lors rendu à l'invitation du président du Sénat congolais, au mois de décembre 2003, en compagnie de M. Happart. M. Timmermans et M. Wille, initialement prévus, n'ont finalement pu, pour des raisons personnelles, participer au voyage.

La délégation a rencontré le président Kabila mais pas les vice-premiers ministres pour cause de conseil des ministres ce jour-là. En plus du président du Sénat, la délégation a aussi pu s'entretenir avec le président de l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur, le ministre de la Santé, le gouverneur de la Banque centrale, le gouverneur de la ville-province de Kinshasa, le représentant personnel du secrétaire général de l'ONU et patron de la Monuc sur place, enfin les ambassadeurs d'Italie, de France et le représentant permanent de l'Union européenne qui font tous trois partie du comité d'accompagnement de la transition. Les présidents des cinq institutions d'appui à la démocratie (commission électorale, haute autorité des médias, commission vérité et réconciliation, observatoire national des droits de l'homme, commission de l'éthique et de la lutte contre la corruption) étaient déjà désignés, mais les institutions elles-mêmes devaient encore être mises en place. En principe, les lois relatives aux deux premières d'entre elles devaient être adoptées avant la fin de l'année. M. De Decker a insisté pour qu'on y ajoute l'observatoire des droits de l'homme.

Au Sénat, la délégation belge a rencontré aussi les trois vice-présidents et les trois rapporteurs, les présidents des groupes parlementaires politiques, des groupes provinciaux et les présidents des commissions parlementaires.

Elle a eu des contacts avec le chef d'état-major de l'armée, le procureur général et le premier président de la Cour suprême, les officiers belges de la Monuc et de la coopération militaire, les membres de la Chambre de commerce belge. Enfin, M. De Decker a pu visiter l'hôpital central de Kinshasa.

Le but de la mission était de se faire une opinion sur l'évolution de la situation, l'état de la préparation des élections et la volonté politique d'arriver à des élections libres, d'étudier de plus près le rôle spécifique du Sénat et de voir comment le Sénat belge pourrait apporter un appui au Sénat congolais.

Pourquoi cet intérêt particulier pour le Sénat ?

Sous Mobutu, le système parlementaire était monocaméral puisqu'on était dans un régime de parti unique. Dans le cadre de la transition vers la démocratie, les trois pays, Congo, Rwanda et Burundi, ont décidé de se doter d'un Sénat. Dans chacun de ces pays, la composition du Sénat est différente de celle de la Chambre, avec une insistance sur la représentation régionale, provinciale, ethnique, coutumière, etc. Dans la phase de transition actuelle, les institutions réunissent des forces antagonistes qui se sont fait la guerre pendant cinq ans. Lorsque la Constitution sera adoptée, on y trouvera nécessairement des traces de cette période de transition. On gardera sans doute un président, flanqué de plusieurs vice-présidents. Les assemblées seront composées d'une multitude de partis politiques. Dans une telle structure, une deuxième assemblée comportant une représentation spécifique des provinces, des personnalités régionales fortes, jouera un rôle très important.

Dans la Constitution de transition, le Sénat est chargé de deux missions spécifiques : l'arbitrage des conflits pendant la période de transition et la rédaction de l'avant-projet de Constitution qui sera envoyé à l'Assemblée nationale avant d'être soumis à référendum. Le processus de conception de la future république congolaise va donc démarrer au Sénat. C'est la raison pour laquelle cette institution a particulièrement besoin d'assistance, de soutien, de conseils.

Le Parlement congolais est confronté à des enjeux importants à court terme. Il faut rédiger une loi électorale, adopter les lois mettant en place les institutions d'appui à la démocratie, élaborer la loi sur la nationalité congolaise, réorganiser les forces armées et la sécurité, enfin préparer la Constitution.

Après avoir rencontré les différentes personnalités de tous horizons, il apparaît que la priorité pour le Congo est indiscutablement l'intégrité du territoire, la pacification et la sécurité. Cela signifie aux yeux de M. De Decker que la priorité doit être donnée à la coopération militaire avec le Congo.

De trois cent mille hommes actuellement en armes, il faudrait arriver à composer une armée qui, pour le gouvernement congolais, devrait compter cent mille soldats.

Le gouvernement belge a décidé de coopérer sur le plan militaire. Cinq officiers belges ont été envoyés afin de former une première brigade de 2 500 hommes qui sera en poste à Kisangani. La formation de cette brigade nécessitant 120 à 150 coopérants, la Belgique a fait appel à la coopération internationale. Chaque brigade sera composée de factions opposées, qui se sont combattues ces dernières années.

Membre des trois commissions qui se sont penchées sur les événements du Rwanda, M. De Decker estimait déjà que la recommandation de ne plus envoyer de troupes dans les anciennes colonies ne serait pas tenable à long terme. Une autre conclusion, qui lui semble plus rationnelle, recommandait de ne pas envoyer de troupes pour mission humanitaire ou de paix quand on envoyait dans le même pays des coopérants militaires. Il faut en effet choisir. Dans l'affaire du Rwanda, on s'est rendu compte que les coopérants militaires avaient eu une analyse différente de l'état-major des forces de l'ONU sur place.

Il serait donc utile que le Sénat réexamine les conclusions des commissions consacrées au Rwanda pour éventuellement reformuler les recommandations qui ont été émises dans un contexte de grande émotion, mais peut-être avec trop peu de réflexion sur le long terme. Il faut être conscient de ce que, si la Belgique ne montre pas sa bonne volonté envers le Congo, il risque d'y avoir peu de réaction de la communauté internationale.

L'orateur souligne le rôle essentiel de la Monuc, dont le budget équivaut à 70 % du budget annuel du Congo. Elle joue déjà un véritable rôle stabilisateur, notamment dans l'est du pays. Avec l'apaisement du conflit dans l'est du Congo, les forces politiques burundaises ont été obligées d'entrer dans un débat politique, sentant qu'il n'y avait pas d'avenir pour un conflit ouvert. La Monuc ne compte pourtant que 11 000 hommes, pour un territoire grand comme l'Union européenne.

Il faut encore rétablir l'État dans ses fonctions régaliennes, c'est-à-dire justice, police et administration, réussir la transition et apporter un changement réel pour la population. La politique de santé du Congo doit recevoir une aide énorme. Il faut travailler à l'état civil. La ville de Liège travaille à l'état civil de Lubumbashi et la ville de Bruxelles à l'état civil de Kinshasa. De la même façon, on pourrait envisager des opérations de jumelage entre des hôpitaux belges et congolais.

Pour encourager le développement économique, il convient d'améliorer la sécurité juridique pour les investisseurs. Des tribunaux de commerce ont été créés mais vu le salaire très bas de ces juges, il serait utile de recourir aussi au système de l'arbitrage pour rassurer les investisseurs étrangers.

En guise de conclusion, M. De Decker livre quelques impressions. Il se dit frappé par la sérénité du président Kabila, chef d'État à 29 ans, confronté à un enjeu aussi gigantesque que l'avenir du Congo. Ce dernier répète que l'important était la pré-phase de transition et l'installation, après des élections libres, de nouvelles institutions et d'un nouveau président, quel qu'il soit. Il estime que ces élections doivent avoir lieu dans le délai prévu par les accords de Pretoria, c'est-à-dire avant la fin de 2005, avec éventuellement aussi des élections locales. Celles-ci revêtent une grande importance pour la population, pour qui les élections législatives ou présidentielles concernent des choses trop abstraites.

Chez tous les ministres et parlementaires transparaît une volonté politique très ferme de faire progresser le processus de transition. Pour certains, la guerre a été une source d'enrichissement, de pouvoir, d'action. Pourtant ils ont tous intégré l'idée qu'aujourd'hui, ils ont davantage intérêt à la paix qu'à la guerre. En cas de non-respect des délais fixés à Pretoria, la communauté internationale risque de les abandonner et tout va s'arrêter à nouveau pour des années.

En ce qui concerne la loi sur la nationalité, on sent une grande ouverture chez certains hommes politiques. Serait considéré comme congolaise toute personne, quelle que soit son origine, vivant depuis un certain temps dans le pays. Au niveau des institutions, il est évident qu'un pays d'une telle taille ne peut être gouverné que selon un système très décentralisé. Certains envisagent même un système fédéral.

On sent indiscutablement chez tous une reconnaissance vis-à-vis de la Belgique. Le développement de ce pays n'est pas à la mesure de la Belgique, l'aide de l'Union européenne est indispensable mais l'Union n'agira que si la Belgique prend l'initiative et affirme une volonté politique ferme de soutenir le Congo.

6.2. Échange de vues après les exposés de M. Filip Reyntjens et M. Armand De Decker

M. Lionel Vandenberghe déclare que, sur les questions d'assistance militaire, il s'oppose aux points de vue des deux orateurs. Il lui semble toutefois discerner une différence d'opinion entre les deux. M. Reyntjens donne la priorité à la reconstruction de l'État, entre autres par le rétablissement de la sécurité, tandis que M. A. De Decker place la question militaire au tout premier plan. L'intervenant reconnaît qu'il s'est presque laissé convaincre, mais il rappelle que l'expérience de militaires belges à l'étranger, dans le passé lointain ou proche, n'est pas très positive. Admettons que l'État congolais doive être reconstruit, notamment en faisant des différents groupes de rebelles une armée régulière, pourquoi serait-ce notre tâche ? La Belgique a de bien meilleurs experts dans d'autres domaines tels que l'enseignement, les soins de santé ... Laissons les aspects militaires à d'autres, dans un contexte international.

Mme Thijs s'inscrit dans la même optique. La Belgique peut aider à la reconstruction de l'État congolais mais elle ne peut agir seule. Le pays est complexe. Une telle opération ne peut être menée qu'avec plusieurs autres pays, même si ce n'est pas toute l'Union européenne. Prenons l'exemple de l'état civil. S'il y a plusieurs projets, il y aura autant de systèmes d'état civil que de pays donateurs. Il faut y travailler en coordination, sur une base adéquate, en retenant le meilleur de notre propre expérience de l'administration. Il faut disposer de moyens suffisants et modernes. Il ne s'agit pas d'envoyer à Kinshasa tous nos vieux ordinateurs.

Depuis son voyage à Kinshasa il y a un an et demi, la membre a l'impression que peu de progrès ont été enregistrés. Elle se demande quand on va poser les premiers jalons là-bas, quand on va enfin élaborer un plan d'action et qui devrait le faire.

Pendant un an, l'AWEPA a reçu beaucoup de parlementaires du Congo, Rwanda et Burundi pour leur faire faire connaissance avec le fonctionnement des institutions parlementaires belges. La membre appelle ses collègues parlementaires à s'engager pour poursuivre, dans le cadre de l'AWEPA, la formation des parlementaires congolais sur place.

M. Galand trouve que les deux exposés relèvent d'une approche « par le haut ». Selon lui, le problème essentiel est le vécu des gens, leur désespérance dans une situation de déstabilisation permanente. Le pays est en mouvement, on est dans une situation à risque élevé, c'est pourquoi il faut aborder la question de la sécurité. Toutefois, l'idée qu'on pourrait former dans un délai court une nouvelle armée, capable de remplir l'ensemble des missions de sécurité territoriale lui paraît un peu utopique. Ne faudrait-il pas plutôt renforcer les troupes de la Monuc, de manière à pouvoir assurer la sécurité à l'intérieur et aux frontières ?

Le membre plaide pour l'organisation d'une conférence régionale sur les questions de sécurité dans l'Afrique centrale.

En ce qui concerne la coopération au développement, les jumelages sont une bonne solution à condition que les opérations soient bien coordonnées. Or, il y a un déficit dans la coordination au niveau de l'Union européenne. Celle-ci dispose de moyens énormes au Congo dans la mesure où les accords de Lomé n'ont pas été engagés mais elle continue à jouer un rôle passif, à la remorque du plan de la Banque mondiale. La Belgique pourrait intervenir pour faire en sorte que les engagements de l'Europe dans la coopération avec le Congo soient coordonnés et orientés vers les besoins essentiels de la population.

M. Reyntjens ajoute quelques éléments à la présentation qu'a faite M. De Decker. Le régime mis en place avec quatre vice-présidents et un nombre élevé de ministres et de parlementaires peut sembler lourd, mais il vise à inclure le plus de monde possible. Il essaie d'atteindre un équilibre entre un objectif de stabilité pendant la période de transition et l'impératif de lutte contre l'impunité. Il ne faut pas oublier en effet que la présidence collective au Congo devrait être qualifiée d'association de malfaiteurs ! Un seul parmi eux ne devrait sans doute pas être poursuivi pour crimes contre l'humanité. D'autre part, ils savent que l'impunité est conditionnée par leur bonne volonté : s'ils mettent en danger le processus de paix, ils seront poursuivis.

C'est peut-être faire montre de trop d'optimisme que de penser que la classe politique tout entière a intérêt à la paix. Il faut rester vigilant car tous les acteurs concernés procèdent en fait à une analyse coûts-bénéfices. Or, le résultat est souvent que guerre et absence d'État rapportent plus que paix et reconstuction. Certes, la communauté internationale répète au Congo qu'elle lui offre une dernière chance. Mais en principe, l'aide internationale n'aboutit pas dans le portefeuille des politiciens. Les bénéficiaires d'opération de reconstruction structurelle ne sont pas ceux qui bénéficiaient des pillages.

En réponse à M. Vandenberghe, l'orateur déclare que la différence entre sa position et celle de M. De Decker n'est pas si grande. Un État, c'est la réunion d'un territoire, d'une population et d'une autorité publique qui gouverne le tout. La construction d'une armée régulière est l'un des éléments de la reconstruction de l'État. Cela ne signifie pas en soi que cette armée doit être en campagne.

Comme l'a dit Mme Thijs, l'aide au Congo doit venir d'un consortium. Provisoirement, il y a quelques activités coordonnées sous l'égide de l'UNDP à Kinshasa, les interventions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire à travers le Cebeco mais pas un cartel des amis du Congo. Il est essentiel de coordonner l'aide internationale au Congo, à tout le moins au niveau des ambassadeurs.

La sénatrice a donné l'exemple de l'état civil où l'on risque d'avoir différents systèmes en fonction du donateur. Il existe une loi congolaise sur l'état civil, il ne peut donc y en avoir qu'un et c'est aux Congolais à contrôler ce processus. Il n'est même pas question de leur envoyer de vieux ordinateurs. Des registres suffisent. S'il n'y plus d'état civil au Congo, c'est parce qu'il n'y a pas de registres, pas de livres.

Sans remettre en cause ce que fait AWEPA, M. Reyntjens déplore l'absence de « project cycle management » chez cette organisation et trouve son fonctionnement peu transparent. On a évoqué l'impact énorme d'une intervention externe comme celle de la Monuc. Or, le budget 2001 d'AWEPA pour le Burundi était plus important que le budget du Parlement burundais. Cela pèse très lourd sur les processus internes.

Comme l'a dit M. Galand, la situation de la population est désastreuse, mais on ignore pratiquement tout de son fonctionnement quotidien. Il est évident qu'elle est animée par des dynamiques de coopération, débrouillardise, conflits, flux transfrontaliers, etc. La conférence nationale souveraine a opté pour la création d'un système fédéral, mais les hommes politiques congolais sous-estiment les difficultés d'un système fédéral.

Enfin, la sécurité du territoire ne dépend pas seulement de la présence d'une armée. Elle est liée à la présence d'un système d'enseignement, d'un système sanitaire et médical. Les relations avec les États voisins ont aussi un impact crucial sur l'intégrité territoriale.

La Conférence internationale sur la paix, la sécurité, le développement et la démocratie dans la région des Grands Lacs est en préparation. Le premier sommet des chefs d'État des six pays de la région, plus quelques États voisins du Congo non repris dans la région des Grands Lacs, devrait avoir lieu avant la fin de l'année.

M. A. De Decker précise que l'installation d'une armée régulière est aussi dans son optique une condition nécessaire pour reconstruire l'État. Il est d'avis que l'instabilité à l'est du Congo est née en grande partie du départ des coopérants belges. Ce départ a créé un tel vide dans l'organisation de l'État et des services primaires à la population qu'il a laissé la porte ouverte à l'intérêt des voisins pour les richesses du Congo. Les problèmes du Congo, du Rwanda et du Burundi doivent être réglés ensemble, mais beaucoup, notamment des puissances étrangères importantes, ont tenté de séparer Rwanda et Burundi du Congo pour toutes sortes de raisons, liées à l'histoire, la géographie, etc.

Sans armée régulière, on court le risque de nouveaux massacres. La Belgique se doit de fournir un effort militaire car aux yeux de nombreux pays, la Belgique connaît le mieux cette région. Elle exerce une grande influence à l'égard de la communauté internationale.

La nécessité d'une coordination est une évidence. Toutefois, vu l'état de délabrement du pays, il ne faut pas rechercher la perfection.

Les ONG accomplissent au Congo un travail remarquable à travers de mini-projets de développement social urbain. La coopération belge est présente sur le terrain. Il faut cependant passer maintenant à une autre dimension, qui est celle de la reconstruction de l'État.

M. De Decker a signé un avant-projet d'accord de coopération entre le Sénat belge et le Sénat congolais, en vue d'organiser des échanges de fonctionnaires entre les deux pays, d'envoyer éventuellement au Congo des juristes pour aider à l'élaboration du projet de Constitution. Des parlementaires viendront en visite et le président Kabila lui-même, effectuera une visite officielle en Belgique en février.

Au sein de cet immense pays, certains projets apparaissent comme des modèles d'efficacité. Ainsi, alors que les universités sont dépourvues de livres, la Communauté française et l'Agence internationale de la Francophonie ont construits à Kinshasa une bibliothèque interuniversitaire moderne et bien équipée. Il faut multiplier les projets de ce type.

Enfin, il ne faut pas croire que la Belgique est seule à développer des efforts politiques et diplomatiques. Les Pays-Bas vont financer la Conférence des Grands Lacs à concurrence de 120 millions d'euros, soit 80 % de son coût.

7. Mme Colette Braeckman, journaliste, Le Soir

7.1. Exposé de Mme Colette Braeckman

Mme Braeckman estime que, contrairement à ce qu'on fait croire, la guerre n'est pas encore terminée en RDC. D'aucuns souhaitent même que la guerre soit reprise. De plus, des groupes mafieux ayant tiré profit des cinq années de guerre au pays, ont maintenu leurs réseaux politiques et leur force de frappe. Ces réseaux sont reliés à certaines capitales étrangères, à des forces financières internationales et à certaines personnalités au sein même du gouvernement congolais. Les flots d'armes continuent à se diriger vers la région. Les profits de ces organisations mafieuses ne bénéficient pas aux citoyens mais sont mis au service d'intérêts privés.

L'oratrice estime que cette situation est particulièrement visible au Kivu et dans l'Ituri. Les réseaux mafieux continuent à sévir sans jamais être mis en cause par la communauté internationale. La Belgique qui entend envoyer quelque 150 experts (formateurs) militaires à Kisangani et dans l'Ituri doit être attentive à cette situation. Les personnes que les experts belges sont appelés à former ne sont pas des étudiants militaires ni des soldats de carrière (ils n'appartiennent pas à l'armée régulière) mais sont « fournis » par les groupes rebelles.

Il est fort probable que certains d'entre eux seront reconnus coupables de crimes de guerre, de viols ou de massacres voire de cannibalisme. D'autres risquent de voir leur nationalité congolaise mise en cause. Les formateurs belges ne sont au courant ni de leurs antécédents ni de leur agenda secret. Il convient de se rendre compte de ces circonstances à la lumière des événements tragiques qui se sont déroulés au Rwanda il y a dix ans.

Les pays étrangers maintiennent leurs projets d'exploitation des richesses en RDC.

En ce qui concerne l'Ouganda, la partie non publiée du rapport d'experts de l'ONU en matière du pillage des ressources naturelles signale que les réseaux commerciaux existants ont bien l'intention de se perpétuer.

D'après ce rapport de l'ONU, la situation au Rwanda est pareil de ce point de vue. Le Rwanda est partisan d'un projet plus vaste qui reflète sa vision de l'être humain qui dépasse largement les frontières nationales.

Le projet de rayonnement économique, commercial, militaire voire politique vers l'est du Congo revêt un caractère national rassemblant les Hutus et les Tutsis. Ceci permet de dépasser les antagonismes ethniques, voire de reconstruire la nation.

L'oratrice suggère que les pays occidentaux (le Royaume Uni, la France, la Belgique, les États Unis et le Canada) se réunissent à huis clos avant qu'une conférence internationale sur les Grands Lacs n'ait lieu. Cela permettrait de se positionner par rapport au projet de rayonnement voire d'expansion du Rwanda, vis-à-vis des développements au Congo et en général envers les conditionnalités qui s'exercent à l'égard de tous les pays de la région.

La guerre perdure dans la région. Les exactions économiques se poursuivent et tous les groupes armés continuent à commettre des méfaits envers la population civile et à pratiquer des viols de manière systématique. Ceci entraîne des conséquences fâcheuses au niveau de la santé notamment par la propagation du sida et par la pratique de la mutilation sexuelle. Un problème démographique risque de se poser à plus longue échéance. Il est possible qu'il s'agisse d'une stratégie qui cherche à éliminer (à écarter) la population actuelle de l'est du Congo afin de la remplacer à terme par une autre plus nombreuse.

L'inadéquation entre les discours des ONG et de l'ONU, d'une part, et la situation tragique sur le terrain, d'autre part, a frappé l'oratrice. L'aide aux victimes est en effet fort limitée, voire inexistante.

Le rétablissement de la coopération au développement belge et internationale lui semble nécessaire. Bien que les infrastructures de ces pays se soient écroulées, la population locale prend des initiatives et en assume le financement. L'oratrice cite l'exemple des nombreux élevages de lapins qui permettent entre autres de couvrir les coûts de scolarisation des enfants.

Mme Braeckman estime qu'il convient de reconnaître l'efficacité de la société civile en RDC. Celle-ci dispose d'un savoir-faire aux niveaux politique et social qui remonte au temps de Mobutu. Elle est à même de veiller au bon déroulement des élections parce qu'elle connaît l'origine et les liens de parenté des locaux.

Il est dès lors important que l'aide au développement se fasse en étroite coopération avec la société civile sans se limiter à renforcer les structures administratives officielles.

La presse locale congolaise a joué un rôle mobilisateur au niveau de la population et a participé à la résistance par la circulation d'information via internet sur les massacres et les exactions.

En revanche, la presse internationale a fait preuve d'un manque cruel de motivation et d'intérêt. Les tragédies africaines se sont déroulées à l'écart des caméras. L'oratrice attire l'attention sur un paradoxe : les journalistes belges se plaignent d'un manque de moyens pour effectuer un travail d'investigation en Afrique mais les ONG assument cette tâche qui est l'apanage des journalistes.

Lors des élections présidentielles au Rwanda, la plupart des gens ont voté pour la sécurité offerte par le candidat Paul Kagamé.

Il faut que la communauté internationale se situe par rapport au projet. Il faut réfléchir à l'harmonisation entre d'une part la reconstruction du Rwanda et d'autre part celle du Congo.

À l'instar de la situation en RDC, le Burundi a recours à la formule qui récompense l'impunité et favorise le maintien au pouvoir des éléments criminels

L'oratrice dénonce la contradiction entre, d'une part, le dépassement du critère ethnique au Rwanda et, d'autre part, l'inscription de ce critère dans la formule de paix au Burundi. Pour ce dernier, le critère ethnique détermine la répartition du pouvoir.

En RDC, le gouvernement de réconciliation nationale est miné par le principe de l'impunité pour crimes de guerre et crimes économiques. Il attend le verdict de la Cour internationale pénale. D'aucuns estiment que les ex-rebelles seront punis tandis que d'autres espèrent que les partis au pouvoir seront condamnés.

Étant donné qu'on ne peut écarter l'hypothèse de débordement violent, quelle sera la position de la Belgique en matière de coopération au développement ? Notre pays entend-il exercer une quelconque pression sur des personnes ou des groupements ?

7.2. Échange de vues

La présidente estime qu'à l'heure actuelle la RDC vit toujours une situation de guerre.

M. Galand demande si les groupes mafieux, dont parlait Mme Braeckman dans son exposé introductif, font l'objet d'un quelconque contrôle de la part des autorités locales et/ou étrangères. Le membre craint que si ces groupes continuent à sévir, la région ne risque d'être déstabilisée.

Le Rwanda a toujours été lié à une zone d'expansion dans l'est du Congo.

En effet, les jeunes Rwandais préféraient suivre des cours au lycée au Kivu afin d'éviter l'enseignement chrétien qui était le seul disponible au Rwanda. Ce « hinterland » économique rwandais existe depuis déjà longtemps. Le gouvernement rwandais tente de légitimer l'expansion économique en invoquant les accord dits « post Berlin » conclus entre la Belgique, l'Allemagne et l'Angleterre. Ils ont fait perdre au Rwanda une partie de son territoire qui lui avait été accordé par les accords de Berlin.

La conférence intergouvernementale doit permettre au Rwanda d'exercer un rôle économique dans la région tout comme il l'a fait à travers sa diaspora.

La Belgique se doit de jouer un rôle important au sein de l'Union européenne dans l'élaboration des plans des grands travaux d'infrastructure au Rwanda afin de désenclaver le pays.

L'aide au développement tant au niveau gouvernemental que non gouvernemental doit s'inscrire dans les structures de la société civile congolaise. La population congolaise entend créer un observatoire qui lui permettrait de contrôler voire de co-gérer l'octroi de l'aide. L'orateur estime que la Belgique pourrait encourager cette aspiration.

Mme Braeckman répond que les rapports successifs de l'ONU ont fourni beaucoup d'information sur les réseaux mafieux. La commission d'enquête parlementaire des Grands Lacs du Sénat s'est également penchée sur cette problématique lors de la législature précédente. En dépit de cela, le trafic de diamants se poursuit dans l'impunité totale. Dès lors, l'oratrice estime qu'une enquête policière en Belgique et dans la région des Grands Lacs s'impose. Elle permettrait de sanctionner les personnes impliquées directement ou indirectement dans ce trafic.

L'oratrice cite l'exemple de la compagnie « Congo Holding Development Company » au Kivu. Celle-ci figure dans la partie censurée du dernier rapport de l'ONU. L'entreprise vend des matières premières au Kivu, dont l'or. La RDC-Goma, un Belge et peut-être d'autres y détiennent des intérêts et la firme a en plus des connections avec le Rwanda et au-delà.

La restructuration du Rwanda aux niveaux politique et économique lui paraît un pas en avant, pourvu qu'elle soit soigneusement encadrée par les pays « amis » de la région. Autrefois existait la conférence économique des pays des Grands Lacs (la CPG) qui organisait la coopération économique et la libre circulation des biens et des personnes dans toute la région. Celle-ci offrait une base équitable à la complémentarité naturelle entre, d'une part, le secteur des services et l'infrastructure administrative du Rwanda et, d'autre part, les atouts de l'est du Congo.

L'oratrice signale que les secteurs des assurances congolais et rwandais se disputent le pouvoir à Goma. Le RCD a même empêché l'atterrissage des avions en provenance de Kinshasa. En RDC, ce secteur relève de l'État tandis qu'au Rwanda, il est entre les mains du privé.

Il convient que la communauté internationale mette des balises afin que la souveraineté de toutes les parties soit respectée tout en tenant compte de la complémentarité économique des pays concernés.

M. Cornil signale que le 28 septembre 2002, il a pu assister à la mise en oeuvre de la première phase des accords de Pretoria de juillet 2002 entre le Rwanda et la RDC. Le président rwandais tenait particulièrement à l'accord conclu sous l'égide du président sud-africain.

Il a pu assister en présence du chef de l'état-major du Rwanda au retour des soldats rwandais qui s'étaient enfoncés bien trop loin au Kivu.

Il souhaite connaître l'appréciation que porte à l'heure actuelle Mme Braeckman sur la mise en application des accords de Pretoria dont le calendrier était extrêmement précis.

L'orateur désire savoir si le Rwanda a déjà engagé des pourparlers avec la Tanzanie pour réaliser son désenclavement économique vers la mer et pour assurer l'accès aux voies ferroviaires. Quelles sont les perspectives économiques du pays ?

Enfin, le sénateur demande à Mme Braeckman si les juridictions dénommées « Gacaca » destinées à rétablir la justice au Rwanda ont abouti.

Mme Braeckman répond que le désenclavement du Rwanda constitue un impératif de survie du pays et d'équilibre dans la région. Le Rwanda dispose d'une richesse en ressources humaines grâce au par le retour de la diaspora. Elle présente un vecteur de dynamisme au service de la reconstruction du pays et de la région. La RDC dispose d'une même diaspora qui a aussi contribué à la reconstruction de son pays. L'oratrice signale par ailleurs que l'apport financier de la diaspora de ces deux pays dépasse de loin l'aide officielle.

Il y a eu effectivement des retraits de troupes mais il y a eu des réinjections de troupes par la suite. L'oratrice signale que bon nombre de Congolais ayant étudié avant 1994 au sein du FPR et dont le réseau relationnel se situe au Rwanda font partie des groupes militaires rwandais déployés. Dans la future armée congolaise, les recrues garderont un système de hiérarchie qui restera connecté au Rwanda.

Cette situation pourrait miner le processus de paix par l'insertion d'agents rwandais à Kinshasa. Il y a de fortes chances que cette réalité échappe aux observateurs et aux troupes de la MONUC. La population locale par contre y voit très clair. Il faut trouver des accords politiques de sécurisation de la population.

Mme Braeckman répond que le système des « Gacacas » pourrait révéler que des milliers de personnes sont impliquées dans les assassinats. La vérité pourrait s'avérer insupportable.

La présidente demande comment évolue à l'heure actuelle la procédure relative au jugement des crimes de guerre au Rwanda devant le Tribunal international pénal d'Arusha.

Elle veut également savoir s'il y a encore des troupes rwandaises en territoire tanzanien exerçant éventuellement un rôle déstabilisateur. Quelle est la nature de l'impact sur Bunia ou d'autres zones pour ce qui concerne l'Ouganda ?

La présidente demande si le Rwanda fait preuve d'une volonté de vouloir décrisper les relations avec la France.

Mme Braeckman répond que la Tanzanie a pendant longtemps hébergé des groupes armés Hutu qui se sont servis de son territoire pour déstabiliser le Burundi et y ont trouvé un havre de sécurité.

Le rôle de l'Ouganda reste réel dans la déstabilisation de l'est du Congo (dans l'Ituri ) mais réside surtout dans l'encouragement de réseaux commerciaux. Le Burundi recherche moins une présence militaire et par conséquent, l'impératif de contrôle sécuritaire est beaucoup plus fort dans le cas du Rwanda.

Il y une décrispation entre le Rwanda et la France qui s'opère par le biais de la francophonie.

8. M. Guido Gryseels, directeur du Musée de l'Afrique centrale

8.1. Exposé de M. Guido Gryseels

Le Musée royal d'Afrique centrale possède, sur la région, la collection la plus riche au monde du point de vue ethnologique, zoologique, géologique et cinématographique.

Le musée est une institution scientifique unique en tant qu'il regroupe à la fois lse sciences humaines et les sciences naturelles.

Le musée est aussi un centre de diffusion des connaissances qui déploie d'innombrables activités culturelles et didactiques.

Il est en outre un important centre de formation au niveau de l'enseignement supérieur ou universitaire.

Le musée entretient des liens étroits avec plusieurs institutions d'Afrique centrale. Il collabore ainsi avec les musées de Lubumbashi et de Kinshasa en vue de la protection du patrimoine culturel, en participant à la réalisation d'inventaires et d'expositions permanentes.

Le musée assure également le rapatriement de données et de savoir-faire en Afrique centrale, en y renvoyant sous forme de copie des documents qui avaient disparu sur place.

Le musée s'éfforce aussi de rendre service aux pays d'Afrique centrale en mettant à leur disposition des cartes géologiques ou biologiques.

La collaboration scientifique avec le Rwanda, qui avait été interrompue à la suite du génocide de 1994, a repris en 2003.

L'exposition permanente du musée subit une mutation, qui se traduit par le renforcement de la collaboration avec la communauté africaine et, de ce fait, l'abandon du style plus colonialiste d'avant 1960.

Le musée organisera cette année encore une grande exposition sur le passé colonial de notre pays. On est en train de rassembler les contributions des différents groupes de population.

Il y aura en outre, à la demande de l'UNESCO, une exposition sur les richesses culturelles, géologiques et biologiques du Congo. Cette exposition sera présentée à Paris avant de rallier Bruxelles.

Beaucoup d'intellectuels ont quitté le Congo en raison des conditions de travail déplorables.

L'intervenant souligne que l'expertise de la Belgique concernant l'Afrique centrale va en s'amenuisant. Il faudrait d'urgence coordonner l'étude de l'Afrique centrale dans les univesités belges. L'enseignement devrait également accorder une place plus importante à l'Afrique centrale et à son histoire. La Belgique peut en effet encore compter sur la bonne volonté de l'Afrique centrale. Notre pays y est toujours considéré comme une puissance notable. Il s'agit d'éviter que cette expertise ne se perde.

Il faudrait sauvegarder le patrimoine immatériel de l'Afrique centrale, et ce, avant tout parce que les Africains en sont très fiers.

Le musée compose, dans ce cadre, un dictionnaire kirwandais/français et français/kirwandais, qui a nécessité quelque 50 années de recherche tant la langue rwandaise est complexe par rapport aux langues européennes.

Il est essentiel que pareil dictionnaire soit disponible sur place pour l'alphabétisation.

Il convient aussi de protéger la biodiversité de l'Afrique centrale. Malheureusement, cette question ne suscite que peu d'intérêt.

Il faut apporter un soutien financier aux organismes qui sont très mal équipés et dont le personnel est très mal rémunéré. La situation est particulièrement préocupante au Rwanda. La France souhaite le retrait du Rwanda de la coopération belge au développement, mais utilise pour ses brochures des copies d'originaux établis à Tervuren.

Actuellement, la collaboration avec le Burundi est pour ainsi dire au point mort.

Le musée procède aussi à la digitalisation des collections, de sorte qu'elles puissent être consultées sur internet.

8.2. Échange de vues

M. Galand estime que le musée de Tervueren contribue à la sauvegarde du patrimoine de l'humanité. Il rappelle que le musée a accueilli une manifestation « Dessine-moi l'Afrique » à laquelle 45 000 personnes ont participé. Une manifestation identique a été organisée en Afrique (« Dessine-moi la Belgique ») pour laquelle des associations ont envoyé du papier et des crayons pour que les enfants puissent dessiner. Elle a été organisée en collaboration avec le quartier Matongé à Kinshaha où les 600 dessins récoltés seront exposés. En ce qui concerne la perte évidente de l'expertise africaine en Belgique, celle-ci provient du vieillissement des experts mais également du fait que l'on n'a pas voulu renouveler ces experts. Actuellement, à la suite de la réforme de la coopération au développement, on envoie très peu de gens en Afrique. La coopération par l'envoi de coopérants est le reflet d'une attitude néocolonialiste. On est passé de 3 000 coopérants à 950 à l'heure actuelle. Il convient de revoir la notion de coopération qui consiste uniquement à envoyer des coopérants. Il faut créer une coopération sur la base d'échanges entre les Africains et les coopérants belges.

La Belgique n'a pas assuré la protection des patrimoines ethnologique, géologique et culturel de l'Afrique centrale. Le savoir de plus de 150 ans de nos musées est pillé par les sociétés transnationales qui l'utilisent pour réaliser des profits. Pourtant, ce savoir est la propriété du peuple africain. Comment peut-on garantir la sauvegarde de ce patrimoine ? L'orateur estime qu'il faut disposer de règles internationales en la matière. Il souhaite qu'à cet égard une recommandation soit formulée par le Sénat à l'attention du gouvernement belge.

Le membre se demande également comment on peut coordonner les connaissances des universités afin de les rendre utiles à la coopération ?

M. Gryseels répond qu'il est urgent de coordonner les connaissances des diverses universités et centres au sujet de l'Afrique centrale afin qu'elles puissent servir de base à la politique africaine de la Belgique. Or, le centre existant au sein du musée ne reçoit pour ainsi dire plus aucune subvention à cet effet.

M. Gryseels souligne en outre que les jeunes Belges nourrissent un intérêt croissant pour l'Afrique centrale; cet engouement est dû notamment aux vastes campagnes comme celle organisée par le journal Le Soir.

Il faudrait développer la coordination des connaissances. On doit faire appel à des coopérants motivés qui collaboreront d'égal à égal avec les Africains sur la base d'un partenariat. Ces derniers ont en effet aussi une grande expertise, notamment dans le domaine agricole.

L'accès des entreprises transnationales aux connaissances du musée est un sujet de préoccupation. En principe, en tant qu'institution publique, le musée doit mettre ses archives et sa bibliothèque à la disposition du public. Il s'efforce toutefois de protéger autant que possible les informations militaires et géologiques confidentielles lorsque les entreprises veulent les utiliser dans un but lucratif. Sa tâche n'est toutefois pas simple dans la mesure où les entreprises invoquent toutes sortes de prétextes pour tenter d'obtenir malgré tout les renseignements en question.

La présidente suggère à M. Gryseels de formuler une recommandation au gouvernement belge à cet égard afin de pouvoir disposer de plus de moyens pour protéger le patrimoine.

M. Gryseels est d'avis qu'à long terme, ce patrimoine universel devra être géré conjointement par les gouvernements congolais, rwandais et belge.

La présidente demande si les recommandations de la conférence contre le racisme qui s'est tenu à Durban du 31 août au 7 septembre 2001 relatives à la responsabilité des États vis-à-vis des peuples qu'elles ont colonisés peuvent être mises en oeuvre en ce qui concerne l'Afrique.

M. Gryseels répond qu'il s'agit d'une question très complexe. La restitution des biens culturels est soumise à la norme éthique depuis 1970. Il faut vérifier l'origine et les modalités d'exportation d'une pièce. Cela suppose une formation des contrôleurs ainsi qu'une numérisation des pièces.

Dans le cadre des travaux de la commission parlementaire Lumumba, une « fondation Lumumba » pour la diplomatie préventive en Afrique centrale a été créée par le gouvernement belge. L'intervenant estime qu'il s'agit d'une très bonne initiative.

9. M. Peter Verlinden, journaliste à VRT-nieuws, chef de la rédaction « étranger »

9.1. Exposé

M. Peter Verlinden précise que son exposé se limitera a un témoignage personnel.

Il donnera un aperçu des événements qui se sont déroulés au cours des périodes de 1996 à 1997, de 1997 à 2001 et de 2001 à aujourd'hui. Par ailleurs, il examinera le rôle et la responsabilité de notre pays en Afrique centrale.

1.1. Aperçu chronologique

Période 1996-1997

C'est l'époque où la guerre a débuté à partir du Kivu et où a pris fin le régime de Mobutu. On s'est rendu compte aussi, à cette occasion, de la relativité du pouvoir d'un dictateur. Vers la fin de sa présidence sont apparus des signes tangibles d'anarchie politique. Étienne Tshisekedi, qui était encore premier ministre de Mobutu au printemps de 1997, a d'ailleurs eu un parcours politique singulier. Les fils de Mobutu ont fait leur entrée sur la scène politique en 1997 et joueront peut-être encore un rôle important à l'avenir.

Il faut aussi relativiser la force d'une rébellion. L'entrée des rebelles de Kabila au Congo n'a été possible qu'avec l'appui militaire de l'Ouganda et surtout du Rwanda.

C'est aussi au cours de cette période que se sont produits des drames humanitaires, tels l'assassinat par des Rwandais de 200 000 réfugiés rwandais ou plus au Congo oriental, assassinat auquel la communauté internationale est restée aveugle. La visite d'Emma Bonino, le 2 février 1997, au camp de réfugiés de Tingi Tingi témoigne de ce manque de compréhension de la situation réelle.

Période 1997-2001

Sous le régime de Désiré Kabila, le drame économique et la gabegie politique se poursuivent. L'intervenant a notamment fait des reportages sur le drame personnel de personnages comme MM. Kakudji et Yerodia.

À l'est, une nouvelle rébellion éclate, dans laquelle le Rwanda veut à nouveau jouer un rôle à partir d'août 1998 en installant des Rwandais à des postes clés.

L'intervenant rappelle la rébellion de Jean-Pierre Bemba dans le nord, sur laquelle il a réalisé un reportage au printemps de 1999. M. Bemba avait des liens personnels très étroits avec la Belgique. On espérait alors l'avènement d'un nouveau leader sérieux, originaire de la région. Les rebelles dépendaient logistiquement de l'Ouganda et recevaient des armes de l'ancien bloc de l'Est.

L'intervenant insiste également sur le singulier système de cascade qui régit la vente de biens, le vendeur achetant l'aide des militaires qui, à leur tour, paient d'autres intermédiaires.

L'intervenant a fait un certain nombre de reportages sur le désarroi dans lequel se trouve la population du nord-ouest du Rwanda. Là aussi, il y a des drames humanitaires, surtout dans la région du Kivu et dans le nord-ouest du Rwanda. La guerre revêt de plus en plus un caractère transfrontalier.

Période de 2001 à aujourd'hui

Après l'assassinat de Désiré Kabila, c'est le fils de celui-ci qui arrive au pouvoir, ce qui n'a pas désolé Kinshasa, contrairement à ce qu'ont prétendu les médias.

Il y a eu un renversement de la place qu'occupait la RDC sur la scène internationale. Les États-Unis craignaient que l'Afrique ne devienne un foyer de terrorisme après les attentats contre les ambassades américaines de Dar-es-Salaam et de Nairobi. Ils ont donc envoyé l'Afrique du Sud au front pour négocier.

Le rôle personnel de Joseph Kabila, que l'intervenant a été le premier à interviewer en mai 2001, est également important. Il sait placer les bonnes personnes aux postes politiques appropriés et il a le sens du timing dans l'application des réformes. Tout le problème est en effet de préserver l'équilibre politique.

Les drames humanitaires ne sont plus un sujet tabou; on sait aujourd'hui qu'il y a eu trois millions de morts. L'intervenant renvoie au reportage qu'il a réalisé à Bukavu en juillet 2002 et dans le cadre duquel des femmes ont eu le courage de témoigner au sujet des sévices qu'elles ont subis.

La région de Kivu a été annexée économiquement par le Rwanda. On est en train de sortir de l'impasse politique, mais il reste beaucoup de questions : qui prend les décisions dans le cadre des accords de paix, ceux-ci sont-ils soutenus par les négociateurs, qui a ou prétend avoir le pouvoir, quel rôle joue l'entourage de personnalités politiques comme Tshisekedi, Yerodia, ou les chefs militaires rwandais, etc. ?

1.2. Le rôle de la Belgique en RDC :

Passé colonial

Selon les normes en vigueur de l'époque coloniale, le Congo belge était une colonie modèle. On a toutefois réalisé trop tard que le colonialisme, qui était propre à l'esprit d'alors implique une forme de racisme. La décolonisation a été un drame tant pour les Congolais que pour les Belges. La responsabilité de l'implosion du Congo entre 1960 et 1990 incombe à la direction politique congolaise qui était tolérée par les grandes puissances qui étaient en pleine guerre froide.

La classe politique belge a péché par manque de courage. On a surtout gaspillé une grande partie de l'argent consacré à l'aide au développement accordée par la Belgique, comme le montre notamment l'étude que réalisa en 1991 le cabinet de M. Geens, le secrétaire d'État à la coopération au développement de l'époque.

L'histoire récente (Impuissance belge et désintérêt consécutif à celle-ci)

Le regain d'intérêt qu'a témoigné le vice-premier et ministre des Affaires étrangères Louis Michel à l'égard du continent africain et de l'Afrique centrale en particulier a apporté un grand soulagement. L'on peut toutefois se demander pourquoi.

La politique étrangère actuelle à l'égard de l'Afrique centrale n'est pas toujours facile à comprendre, même pour un journaliste. Elle relève principalement de la tactique et de la stratégie politique, notamment en ce qui concerne l'attitude vis-à-vis du Rwanda et l'attitude vis-à-vis de Kabila I et de Kabila II et en ce qui concerne les engagements militaires.

On a mal mesuré l'ampleur des drames humanitaires (3 millions de morts). La responsabilité des médias belges est limitée en l'espèce, dans la mesure où les belligérants leur ont refusé l'accès au théâtre des hostilités.

La responsabilité actuelle

Il importe que la société belge prenne ses responsabilités. À cet égard, il faut se garder de tirer des conclusions erronées des travaux de la commission Lumumba. La volonté d'assumer à nouveau des responsabilités en Afrique centrale ne doit pas reposer sur un sentiment de culpabilité pour ce qui s'est passé dans la région dans les années cinquante et soixante du siècle dernier. La politique actuelle doit s'inscrire dans le cadre d'une solidarité internationale indispensable.

Les politiques doivent repenser leur rôle et oeuvrer non pas en faveur des intérêts des anciennes et des nouvelles élites, mais en faveur de droits universels et fondamentaux, comme le droit à la nourriture, à la santé, à l'éducation et à la sécurité. Les ONG devraient avoir les mêmes priorités. Il convient de souligner en passant que les ONG ne se font pas toujours l'interprète fidèle des besoins de la population.

M. Verlinden estime qu'il ne faut pas se braquer sur les représentants non élus et sur la ville de Kinshasa, qui ne représente tout compte fait que 10 % de la population congolaise. Kinshasa est devenue une espèce de microcosme de l'ensemble du Congo. Elle est plus ou moins divisée en quartiers qui représentent les diverses parties de la RDC. Il importe surtout de savoir ce qui se passe à l'intérieur du pays.

Le journaliste attire l'attention sur le danger de calquer des modèles de représentation occidentaux. Il faut constamment tenir compte des souhaits et des besoins de la population congolaise.

Nos modèles politiques qui se basent sur l'existence des partis ne sont probablement pas les instruments les plus aptes à être appliqués dans des pays comme la RDC et, surtout, le Rwanda. L'intervenant plaide non pas en faveur d'un despotisme éclairé, mais en faveur de l'application de modèles de participation qui seront sans doute différents des nôtres mais qui auront pu se développer dans certains microcosmes que l'on trouve surtout à l'intérieur du Congo.

Les Belges et les étrangers qui se trouvent encore au Congo peuvent souvent jouer un rôle important d'intermédiaires en raison de leur connaissance du terrain.

Il importe de consacrer le temps nécessaire à la collecte d'informations, à la réalisation de visites sur le terrain, surtout à l'intérieur du pays, et ce, même dans des circonstances difficiles.

9.2. Échange de vues

Madame Durant attire l'attention sur le système de cascade et de redistribution qui fonde presque toute la société congolaise.

L'oratrice estime que l'Est du Congo peut être considéré comme le baromètre pour l'avenir du pays. Il convient donc de régler le problème de l'occupation de l'Est afin de pouvoir entamer la reconstruction du pays. À cet égard, elle met en cause l'appui inconditionnel du gouvernement belge au Rwanda par rapport à la situation à l'Est du Congo.

Mme Durant souhaite connaître l'entourage des personnalités congolaises au niveau politique dont le fameux Jean-Pierre Bemba.

M. Lionel Vandenberghe estime qu'il faut surtout se préoccuper des besoins de base de la population congolaise. À cet égard, le soutien de l'armée congolaise lui paraît être de moindre importance, et l'éventualité d'une intervention militaire de la Belgique au Congo lui paraît être quasiment exclue.

M. Verlinden répond qu'il faut tenir compte du fait que de nombreux citoyens ont rejoint l'armée congolaise pour survivre. Ils ont également besoin d'aide pour satisfaire leurs besoins fondamentaux.

M. Hostekint désire connaître l'avis de M. Verlinden sur la politique que la Belgique doit mener vis-à-vis du Rwanda et du Congo. Il note que M. Verlinden se montre très critique à l'égard du régime rwandais. Il demande si M. Verlinden estime que la Belgique est capable de répondre aux grandes espérances que les pays d'Afrique centrale fondent en elle.

La présidente demande comment la Belgique peut aider le Congo à restructurer l'État. Elle souhaite savoir si une action parlementaire doit s'adresser à l'État fédéral congolais afin de dépasser la division en ethnies.

Mme Crombé-Berton demande quelle est l'aide la plus urgente que la Belgique puisse accorder au Congo.

M. Verlinden répond qu'il se montre surtout très critique à l'égard du président rwandais Paul Kagamé et de son élite, et non envers les Tutsi en général. Sous le nouveau régime, après 1994, de très nombreuses personnes ont en effet disparu sans laisser de traces. La Belgique ne s'est jamais beaucoup intéressée à ce drame.

L'attitude critique de l'intervenant à l'égard du régime de Désiré Kabila au Congo lui a, du reste, aussi été vivement reprochée dans certains milieux universitaires.

L'aide que le gouvernement apporte au Rwanda peut être considérée comme une forme de stratégie politique. L'ancien président rwandais Habyarimana, qui, à l'époque, était cité en exemple en Afrique centrale, a d'ailleurs été reçu officiellement en Belgique fin 1993, ce qui pouvait alors être considéré également comme une forme de stratégie politique.

M. Galand souligne que déjà en 1992, la fédération internationale des droits de l'homme, le Centre national de la coopération au développement et l'opération » 11.11.11 » avaient déposé auprès du premier ministre, du ministre des Affaires étrangères et du président de la Commission européenne un rapport détaillant l'ensemble de la préparation du génocide par le régime du président Habyarimana.

L'orateur estime que cela démontre qu'à cette époque le président n'était plus considéré comme un modèle par une partie de l'opinion publique en Belgique.

M. Verlinden répond que ces voix critiques n'ont quand même pas été entendues par les décideurs politiques.

M. Galand estime que le ministre des Affaires étrangères a développé une stratégie d'appui envers le Rwanda par laquelle il vise à contenir le pays. Il assume au moins sa responsabilité en la matière et est toujours disposé à rendre des comptes au parlement. Il considère qu'en général notre pays a une responsabilité collective par rapport au passé et vis-à-vis le présent.

Il est dès lors très important que la Belgique surveille de près les relations politiques dans la région.

À cet égard, le membre demande si le vice-président du Congo, Jean-Pierre Bemba et le président de Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso entretiennent des relations.

M. Verlinden répond qu'il y a toujours eu des contacts entre ces deux hommes, mais il n'a pas connaissance de la moindre alliance militaire entre eux.

M. Galand demande quelles actions la Belgique peut entreprendre aux niveaux bilatéral et multilatéral pour rétablir l'État de droit.

M. Verlinden répond que notre pays doit tenir compte des négociations de paix à l'échelle internationale. Il importe néanmoins aussi de prospecter afin de nouer des contacts avec des personnes qui jouent un rôle important dans la société congolaise. Il est primordial de trouver les gens qui jouissent de la confiance de la population. Le Parlement belge développe d'ailleurs aussi des contacts avec des parlementaires congolais.

L'essentiel, pour le Congo, c'est la survie, et c'est là une mission pour la coopération au développement.

10. M. Jean-Pierre Mutamba Tshampanja, ambassadeur de la République démocratique du Congo

10.1. Exposé de M. Jean-Pierre Mutamba Tshampanja

M. Mutamba Tshampanja rappelle que la RDC sort d'une guerre qui a duré plus de cinq ans, entraînant la mort de plus de 3,5 millions de personnes, des centaines de milliers de blessés, la destruction d'une partie de la forêt et des infrastructures socio-économiques.

La genèse du processus de pacification en RDC se trouve d'une part dans l'aspiration profonde de la population à vivre dans la paix et d'autre part dans la ferme volonté du chef de l'État, le général-major Joseph Kabila, de concrétiser cette aspiration en dépit de tous les obstacles.

Après son discours-programme du 26 janvier 2001, qui engageait le pays dans la voie de la pacification et de l'ouverture à la communauté internationale, le président de la RDC a amorcé un ballet diplomatique afin d'expliquer la détermination de son gouvernement pour la résolution du conflit et pour la réintégration de la RDC dans le concert des nations. Depuis lors, des résultats concrets ont été obtenus, grâce à l'appui de la communauté internationale, et notamment de la Belgique.

Parmi les acquis, on peut citer la signature d'accords de paix ou de normalisation des relations bilatérales avec les principaux pays qui ont soutenu les différentes rebellions, la cessation effective des hostilités, la mise en route du dialogue inter-congolais et la signature de l'accord global et inclusif de Pretoria, la mise en place d'un gouvernement national incluant toutes les parties et composantes ayant pris part au dialogue inter-congolais, la mise en place d'un parlement de transition devant fonctionner selon les normes d'une démocratie moderne, la reprise de la collaboration entre la RDC et les institutions financières internationales et la mise en place d'un programme d'assainissement du cadre macro-économique comme prémices d'une reprise de programmes structurels d'ajustement.

La communauté internationale a répondu dans un premier temps par une aide d'appoint pour l'aboutissement des acquis précités. Ces acquis étaient un préalable incontournable à une implication plus structurelle dans l'accompagnement de la transition.

Où en est la RDC actuellement ?

Sur le plan de la pacification et de la réunification du territoire national, le navire a bien quitté le port et se dirige vers l'avènement d'un Congo totalement réunifié et souverain. La circulation des biens et des personnes sur le territoire national se développe. Les réseaux commerciaux s'intègrent progressivement, le gouvernement de transition étend son autorité sur toute l'étendue du territoire. Les bases d'une armée réunifiée sont consolidées progressivement. On peut ici épingler l'implication de la Belgique et de la communauté internationale dans la formation d'une brigade mixte en Ituri, la formation d'officiers supérieurs à l'École royale militaire en Belgique et la mission Artemis qui a conforté la pacification de l'Ituri.

Certes, des inepties jouent à l'encontre de la dynamique de ce processus. La Belgique et l'Union européenne pourraient exercer une pression suffisante pour que s'estompe le soutien extérieur à des formes de résistance au processus de pacification et de réunification car des agendas cachés de tous bords sont de nature à déséquilibrer l'édifice de la paix.

Quid du gouvernement de transition ? À partir de composantes auparavant antagonistes est né un gouvernement homogène, fonctionnant de façon satisfaisante. Sur les matières politiques, il convient de souligner le rôle catalyseur du comité international pour l'appui de la transition. Ce comité pourrait aider davantage le gouvernement actuel en consolidant la souveraineté nationale, notamment par son intervention en cas de blocages.

La préparation des élections libres et démocratiques est aussi au centre de la phase de transition. Il semble que cette préparation soit jugée lente par certains. Mais le chef d'État a été clair : il entend convoquer ces élections dans le délai prévu par l'acte régissant la transition actuelle. Pour des élections libres et démocratiques, il faut des moyens conséquents et un soutien inconditionnel au processus électoral en préparation. Les problèmes qui pourraient perturber la bonne tenue des élections sont facilement identifiables. Il suffit de leur accorder une attention particulière. Le recensement de la population est une étape indispensable, mais pour le Congo, elle impliquera un déploiement sans précédent de moyens financiers. La RDC espère donc une participation conséquente de ses partenaires de la communauté internationale et de l'Organisation de l'unité africaine.

Un gros problème est celui de l'identification nationale. Il deviendra encore plus complexe en cas d'ingérence étrangère, mais aussi si l'on en fait un sujet tabou alors qu'il a été à la base des souffrances de la population congolaise. Pour éviter d'en faire un blocage dans le dialogue inter-congolais, la RDC a décidé d'en post-poser son traitement. Mais la RDC attend de la communauté internationale qu'elle empêche tout pays étranger de s'immiscer dans le règlement de la question de la nationalité.

Quid de la reconstruction économique du pays ? Le précédent gouvernement de la RDC avait mis en place sous la supervision des institutions financières internationales un programme de stabilisation du cadre macro-économique. Ce programme a permis de baisser sensiblement l'inflation et de rendre plus stable le franc congolais. La conduite de la politique économique a été satisfaisante bien que des efforts supplémentaires soient recommandés. Le rapport du FMI consacré à l'évaluation de ce programme est encourageant. Les institutions financières internationales, la Belgique, les États-Unis, l'Union européenne ont annoncé l'octroi de diverses aides à la RDC.

Avant la transition, un contrôle de la chaîne de dépenses publiques avait été mis en place. Son efficacité devrait être renforcée par l'action parlementaire.

Sur le plan socio-économique, il est flagrant que la RDC est à reconstruire. La lutte contre la pauvreté et la course pour le développement durable figurent parmi les priorités du gouvernement. C'est dans ce combat que la Congo souhaite développer un partenariat en lieu et place de l'ancien type de coopération où l'assisté demandait et se contentait de ce qu'il recevait. La RDC souhaite une coopération basée sur la concertation et la prise en compte des besoins de chacun.

Les domaines où les besoins se font sentir sont multiples. Le système de santé doit être rebâti. Les structures d'accueil sont déficientes. Les médecins congolais s'expatrient. Appelée à jouer un rôle majeur dans la vie sociale, la société civile congolaise a besoin de s'inspirer de l'apprentissage qu'ont connu les sociétés civiles des autres nations.

La situation est la même pour le système d'éducation. Des écoles doivent être organisées et des programmes de formation financés. Des échanges entre institutions universitaires seraient les bienvenus.

L'exploitation agricole, la réhabilitation des infrastructures routières, de distribution d'eau et d'électricité sont autant de secteurs où les partenaires belges pourraient trouver des intérêts convergents avec ceux des Congolais. Le programme multisectoriel de réhabilitation d'urgence lancé par le gouvernement de transition offre un cadre stratégique pour l'utilisation ciblée des ressources.

Toute initiative à venir sera d'autant plus bénéfique que la population sera réellement impliquée.

10.2. Échange de vues

M. Galand rappelle que la commission va présenter des recommandations qui seront votées en séance plénière, dans le but d'orienter l'action du gouvernement belge. Il aimerait savoir quelles recommandations M. Mutamba Tshampanja jugerait les plus pertinentes.

Dans sa coopération, la Belgique a créé un système de commission mixte pour élaborer les programmes de coopération entre l'État belge et le Congo. L'ambassadeur est-il favorable à ce qu'on mette en place rapidement cette commission ou trouve-t-il qu'il y a d'autres priorités, telles que la reconstruction de l'armée ?

L'ambassadeur a parlé de partenariat avec la société civile. La société civile congolaise a souvent été à l'avant-garde de la revendication démocratique au Congo. Quels mécanismes l'État congolais entend-il développer pour favoriser le renforcement de la société civile et accélérer la mise en oeuvre des programmes négociés par les différents acteurs de la société civile tels que universités, ONG, villes jumelées, etc. ? Comment faire pour favoriser la coopération avec les associations locales, sans devoir se limiter aux grandes villes ?

M. Lionel Vandenberghe se réjouit de ce que M. Mutamba Tshampanja ait décrit les grands problèmes structurels mais qu'il ait aussi mis l'accent sur la dimension micro-économique, le vécu des gens, les soins de santé, l'enseignement, etc.

Les parlementaires belges ont la mission de continuer à sensibiliser la population aux problèmes du Congo. La meilleure manière, selon lui, est de développer des petits projets, des contacts avec des communautés locales.

Quels sont les actions prioritaires aux yeux de l'ambassadeur ­ toute en étant envisageables au niveau belge ­ pour sortir les gens de la misère ?

Le membre souhaiterait aussi connaître l'avis de l'ambassadeur sur le rôle de l'armée belge en Afrique centrale. Lui-même déclare conserver une certaine réserve à cet égard.

Vu la taille du pays, comment va-t-on pouvoir organiser correctement les élections en dehors des grandes villes ?

Enfin, tout le monde sait que les dirigeants politiques actuels du Congo n'ont pas un passé irréprochable. Pour l'opinion publique belge, c'est assez difficile à accepter. D'une part, il y va du respect des droits de l'homme, et d'autre part, il lui semble que des dirigeants doivent inspirer un certain respect.

M. Chevalier estime, quant à lui, que le peuple congolais est libre de choisir les leaders politiques qu'il veut. Si ceux-ci n'ont pas toujours un passé exemplaire, on pourrait dire la même chose pour la classe politique belge.

S'il est clair que les ONG peuvent jouer un rôle important, il ne faut pas non plus négliger le monde des entreprises belges. Lui-même est convaincu que c'est des investissements du secteur privé que va venir le développement.

Le membre a participé il y a quelques semaines au forum de la banque mondiale à Paris. Il y a constaté l'intérêt des entreprises belges, wallonnes ou flamandes, pour le Congo. Ils attendent beaucoup de la Belgique et des Fonds internationaux. Beaucoup de promesses sont faites par la Banque mondiale, le FMI, la Banque européenne d'investissement. Le Conseil européen a exprimé à plusieurs reprises son souhait que des fonds importants soient alloués au Congo, Rwanda et Burundi. La présidence irlandaise affirme que l'Afrique centrale est une priorité absolue pour l'Union européenne. Cependant on ne passe pas à l'acte. La Banque européenne d'investissement est réticente quand il s'agit de mettre à disposition les fonds nécessaires pour que le pays puisse redémarrer. Quelle est l'opinion de M. Mutamba Tshampanja sur ces difficultés ?

Mme Lizin demande si la Banque mondiale s'est déjà engagée dans le cadre du plan stratégique de réduction de la pauvreté adopté par le Congo comme formule intérimaire ou si elle attend encore d'autres éléments.

M. Mutamba Tshampanja remarque que plusieurs sénateurs sont revenus sur les ONG ou, plus largement, la société civile. Si on accorde autant d'importance à la société civile au Congo aujourd'hui, c'est parce qu'elle a joué un rôle majeur pour arriver à la phase de transition actuelle. Il est important de noter les nombreux contacts qu'a eu la RDC avec le monde universitaire et d'autres institutions basées en Belgique pour relancer le dynamisme des structures qui font la vie d'un pays. Pour que la société civile joue un rôle efficace, il faudrait que tout le monde comprenne ce qu'on entend par là. C'est pourquoi il insiste pour partager l'expérience de la société civile en Belgique.

On en demande parfois trop à la RDC. Non seulement le pays sort d'une guerre prolongée mais avant celle-ci déjà, toute l'aide dont il bénéficiait avait été suspendue suite au massacre de Lubumbashi. Aujourd'hui, la RDC a besoin de l'expérience et de la stabilité de la Belgique pour essayer d'équilibrer la société congolaise. Le gouvernement congolais fait beaucoup de place à la société civile et lui donne des moyens importants pour qu'elle joue un rôle autonome dans la vie de l'État.

La mise en place d'une commission mixte fait l'objet d'un débat. L'important est de connaître la forme et la mission qu'on va confier à cette commission mixte. Si la RDC privilégie aujourd'hui le terme « partenariat », c'est en raison des résultats qu'a donnés dans le passé ce qu'on baptisait « commissions mixtes ».

Le partenariat avec la Belgique qui se déroule actuellement au niveau de l'armée est un exemple du type de collaboration que la RDC souhaite. Si la RDC a besoin de ressources financières pour redémarrer, elle a aussi besoin d'actions concrètes. La présence de l'armée belge au Congo est pour la population le signe que la guerre est finie et que les partenaires sont à nouveau là. C'est pourquoi un appel est aussi lancé aux investisseurs étrangers. Si les partenaires attendent, le peuple congolais s'imagine que c'est à cause d'informations selon lesquelles la guerre n'est pas finie et la stabilité menacée.

La RDC a été déstabilisée à cause de bandes armées, parfois soutenues par d'autres pays. La réforme de l'armée est donc une question très importante. La présence des Belges ne vise pas à former une milice apte à recommencer la guerre, mais à jeter les premières bases d'une armée correctement instruite, qui puisse jouer son rôle de défense du territoire et garantir ainsi la stabilité du pays. Ce rôle a été confié à la Belgique dont l'école royale militaire a formé la plupart des officiers de l'armée congolaise.

Enfin, l'ambassadeur confirme l'engagement de la Banque mondiale dans le cadre du plan stratégique de réduction de la pauvreté adopté par le Congo.

M. Galand estime qu'il est indispensable de réhabiliter l'économie du Congo. Les entreprises belges ont donc un rôle à jouer mais elles manquent d'informations sur la situation au Congo, notamment sur les garanties qu'on peut avoir sur les investissements là-bas.

Dans les années'90, après la Conférence nationale souveraine, l'Union européenne avait annoncé une somme de 30 millions d'euros destinée à soutenir le Congo dans la mise en place du processus électoral. Ces fonds existent-ils toujours et pourraient-ils être engagés ? La Belgique pourrait alors faciliter la mise en place d'équipes pour encadrer le processus de recensement, en se fondant sur l'expérience acquise à Lubumbashi et Kinshasa.

M. Mutamba Tshampanja pense qu'il s'agit en effet d'une piste à explorer. M. Kabila est déterminé à mener à bien le processus électoral dans le délai fixé. Toutes les pistes permettant d'aider à accomplir cette mission sont évidemment utiles.

M. Galand poursuit en plaidant en faveur d'un contrôle du Parlement sur les engagements pris par le gouvernement et les institutions internationales. Quand on examine quelques années après une conférence la mesure dans laquelle les engagements ont été suivis, on constate que les sommes ont été engagées à concurrence d'environ 15 %. Il faudrait pouvoir poursuivre les bailleurs de fonds qui ne respectent pas leur promesse.

Mme Lizin réplique que, souvent, les projets ne se concrétisent pas à cause de freins administratifs qui ne viennent pas toujours du bailleur de fonds, mais aussi du pays bénéficiaire.

La présidente est d'avis qu'il faut insister sur le processus électoral pour lequel un recensement préalable est indispensable. Le problème n'est pas propre à la RDC. Il faut concentrer l'aide sur les programmes de rétablissement de l'état civil avec des technologies modernes pouvant fonctionner même en l'absence d'infrastructures routières dans un pays. Ces programmes poursuivent un objectif de sécurité intérieure, mais contribuent aussi à la lutte contre la pauvreté en empêchant, par exemple, la vente d'enfants.

Par contre, financer des élections sans que le recensement et l'état civil soient gardés à jour serait du gaspillage.

La présidente résume les points essentiels pour les recommandations :

­ Recensement avec appui financier de l'Union européenne

­ Nationalité

­ Stabilité monétaire ­ rester dans la ligne FMI

­ Chaîne de dépenses publiques soumise à un contrôle réel

­ Développement du Parlement

­ Partenariat avec éventuellement une commission mixte. Il faut un lieu où les exécutifs se réunissent et s'engagent de façon précise en présence des donateurs internationaux.

M. Mutamba Tshampanja invite aussi la Belgique, forte de son expérience au Congo, à rassurer la Communauté internationale. Trop de pays ne font plus confiance à la RDC parce que le secteur privé belge n'y investit plus. La Belgique est le trou de la serrure par lequel les autres pays regardent le Congo.

Pour attirer les investisseurs privés, il faut restaurer la sécurité et la justice. Ce sont là deux domaines dans lesquels la RDC a besoin d'aide.

11. M. Justin-Marie Bomboko, 2e vice-président du Sénat, ancien ministre de la RDC

11.1. Exposé de M. Justin-Marie Bomboko

Depuis son arrivée en Belgique en 1955 et ses études à l'Université Libre de Bruxelles, les relations entre la Belgique et la RDC n'ont cessé d'être un sujet de préoccupation majeur quelles qu'aient été les fonctions que j'ai occupées. Aujourd'hui la présente invitation témoigne de l'attention et de l'intérêt renouvelé de la Belgique.

Tout d'abord il est remarquable que malgré l'interruption de la coopération d'État à État, sous le régime Mobutu, les liens entre la Belgique et la RDC (alors Zaïre) se soient maintenus. En effet la coopération humanitaire et les activités des ONG se sont poursuivies de sorte que les contacts n'ont jamais été suspendus et que la Belgique conserve donc un niveau d'expertise irremplaçable en ce qui concerne le Congo. Deuxièmement en Belgique, la législature précédente et l'actuel gouvernement ont insufflé un nouvel esprit et un nouvel élan à la politique de coopération.

De leur côté, les Congolais par la voix du Président Joseph Kabila sont demandeurs de collaborations extérieures en provenance entre autres de la Belgique. D'ailleurs celle-ci a répondu présente et a accompagné la RDC dans tous ses efforts récents pour résoudre la crise multidimensionnelle qu'elle connaît aujourd'hui comme en témoigne la table ronde qui fut organisée à Bruxelles en décembre 2001 et le soutien qu'elle apporte au DIC.

Le temps est donc venu de donner aux relations entre la Belgique et la RDC une nouvelle impulsion. Les besoins actuels de la RDC sont énormes. Dans pratiquement tous les secteurs d'activité la RDC a régressé depuis 44 ans d'indépendance. L'état des lieux dressé par la commission économique et financière du DIC a montré que :

­ de 1990 à 2000, le PIB a régressé en moyenne de 8 %;

­ dans le secteur agricole, la production d'exportation a régressé (pour certains produits que la RDC exportait au début de son indépendance, la baisse est telle qu'elle est devenue importatrice) et la production alimentaire s'est, en conséquence réduite pour n'être plus qu'une agriculture de survie;

­ dans le secteur minier la production a également subi des baisses importantes, hormis le diamant artisanal (2);

­ le système monétaire et financier est tombé en faillite, entraînant celle de la Banque centrale;

­ les infrastructures se sont délabrées ou ont été détruites; alors que, par exemple, la RDC dispose de 17 % des réserves hydroélectriques mondiales, les installations d'Inga ne sont utilisées qu'à un tiers de leur capacité.

Dans le domaine de la santé, la commission estime que la situation est très préoccupante. L'état sanitaire de la population s'est aggravé du fait de la « détérioration très avancée » des infrastructures, l'obsolescence des équipements, le manque de médicaments, le manque d'hygiène et l'insalubrité de l'environnement, l'insuffisance qualitative et quantitative du personnel médical.

Et le bilan analogue a été établi en matière d'enseignement, d'environnement (déforestation) etc. Le programme économique et social d'urgence a été estimé à 3,5 milliards de dollars US sur une période de trois ans (selon la Banque mondiale, ce montant a été ramené à 2 milliards de dollars).

Cependant, la conjoncture actuelle justifie amplement l'intensification de la coopération. Grâce aux apports du FMI, la RDC a pu rembourser une grande partie de sa dette extérieure et a bénéficié de l'initiative PPTE, ce qui lui a permis de réduire celle-ci d'environ 80 %. La Banque mondiale, dans le cadre du programme Multisectoriel d'urgence pour la reconstruction et la réhabilitation (PMURR), finance toute une série d'études en matière de « capacity building ». Le PIN (Programme indicatif national) a été adopté dans le cadre des relations ACP-UE. L'Union européenne a débloqué 120 millions d'euros des 7e et 8e FED, gelés depuis 1991.

Les institutions politiques de la transition sont en place et fonctionnent et les perspectives de croissance telles qu'évaluées par le FMI sont à nouveau positives. De nombreux chantiers commencent à s'ouvrir.

En outre, tant en RDC qu'en Belgique, il existe un potentiel de connaissances et d'expériences largement sous-employé. Il est un domaine, en effet où la RDC a accompli des progrès considérables depuis son accession à l'indépendance, c'est la formation de cadres au plus haut niveau. Mais étant donné le phénomène de la fuite des cerveaux, ces intellectuels ne participent pas au développement de leur pays car ils se retrouvent souvent sans emploi dans le pays de résidence. Il y a donc là une situation très préoccupante de part et d'autre.

Il y a un autre obstacle majeur au développement de la RDC dans le secteur agricole. Il s'agit du problème souvent évoqué mais jamais résolu des subventions aux agriculteurs et aux exportations de produits agricoles et des mesures protectionnistes mises en oeuvre par les pays industrialisés. Une autre difficulté est le poids absolument inhibiteur des coûts de production en Afrique subsaharienne en général et en RDC en particulier. Il est donc indispensable d'améliorer les niveaux de productivité grâce à des transferts de connaissances (Gembloux) et de capacités entrepreneuriales (PME).

Dans ce contexte, qu'il est apparu important de rappeler brièvement, quelles sont aujourd'hui les perspectives d'avenir qui permettraient effectivement de renforcer la coopération entre la Belgique et la RDC ?

La réponse à cette question est simple. Les relations entre nos deux pays doivent être conçues désormais en termes de partenariat et non plus en termes de donateur-récepteur.

Certes, la notion de partenariat est devenue, tout au moins dans les discours, un point de passage obligé de toute politique de coopération et de toute stratégie de développement (cf. NEPAD). Encore faut-il s'entendre sur le contenu à donner à ce concept pour éviter qu'il ne devienne un simple artifice terminologique camouflant le statu quo. L'accord de partenariat ACP-UE signé à Cotonou le 23 juin 2000 définit précisément les principes qui doivent guider des rapports de partenariat : égalité des partenaires, appropriation par les pays et les populations concernées des stratégies de développement, ouverture du partenariat au secteur privé et à la société civile, rôle central du dialogue (article 2). Cela signifie donc que désormais la relation de partenariat doit être génératrice de bénéfices réciproques. C'est ainsi que, par exemple, réduire la pauvreté aura aussi pour effet d'enrayer l'immigration qui pose aujourd'hui problème aux pays industrialisés (en particulier l'immigration clandestine), favorisant entre autres la montée de l'extrême droite. Autre exemple : en matière de transfert de connaissances, l'initiation aux technologies nouvelles est une nécessité pour l'Afrique, mais celle-ci peut offrir un vaste terrain d'expérimentation aux chercheurs occidentaux (cf. Gembloux en matière agricole). Ou encore, dans le domaine des PME, il existe de larges possibilités d'investissement et de collaboration mutuelle notamment en matière d'emploi.

En fait, c'est dans toute une série de secteurs que des relations de partenariat sont susceptibles de porter leurs fruits : rôle des femmes, administrations communales, établissements d'enseignement aux différents niveaux, santé ... De plus, de tels traits d'union ne doivent pas se limiter à une élite ou au milieu des décideurs au sommet. Trop souvent en effet, les projets de coopération se décident en l'absence de ceux qui en sont ou devraient en être les bénéficiaires et, en conséquence, ratent leur cible et ne remplissent pas leurs objectifs. Des filières de concertation doivent donc être créées verticalement et horizontalement. Les contacts entre communautés, administrations locales, associations, particulièrement les associations de femmes en milieu rural dont nous savons tous ici, le rôle fondamental qu'elles jouent dans la vie quotidienne de nos sociétés tant économiquement que socialement, ces contacts permettront une meilleure connaissance réciproque et deviendront le lieu où pourra s'exprimer en toute liberté l'inter-culturalité. L'indispensable dialogue s'ouvrira ainsi à la société civile et deviendra pour elle la source d'un enrichissement considérable de part et d'autre, évitant le poids d'une bureaucratie intermédiaire souvent paralysante.

Le partenariat suppose aussi la mise en place d'une structure de concertation permanente, consultative réunissant les personnalités qui, dans les divers milieux intéressés, économiques, politiques, culturels, académiques, possèdent un haut niveau d'expertise et qui serait un utile complément à la commission mixte à réactiver en tout état de cause, mais de nature essentiellement technique.

Il faut évidemment se réjouir, dans le cadre des ces relations de partenariat, de ce que la RDC et d'une façon plus générale, la région des Grands Lacs ait retrouvé sa place dans la politique étrangère de la Belgique et soit prioritaire dans sa politique de coopération. Cependant les perspectives sont peut-être moins prometteuses qu'en apparence. L'objectif, combien de fois répété du 0,7 % du PNB à consacrer à la coopération, n'est programmé qu'à échéance de 2010. Il ne faut donc pas s'attendre à court terme à des augmentations importantes. En outre s'il est vrai que la RDC figure en tête de liste des pays partenaires, un examen plus attentif révèle que si l'on tient compte du rapport des enveloppes financières prévues par rapport au nombre d'habitants ou à l'étendue du territoire, ce n'est plus, loin s'en faut, la RDC qui occupe la première place. À titre d'exemple, le montant total des contributions allouées au Rwanda en 2001 a été de 12 170 528 Euros, soit environ 1,5 euro par habitant et de 37 621 036 euros à la RDC soit environ 0,6 euro par habitant ou encore 600 euros par km2 au Rwanda et 16 euros par km2 à la RDC. Mon pays est donc en droit de penser que, compte tenu des nécessités de l'heure, un plus gros effort encore mériterait d'être programmé, j'y reviendrai dans un moment.

La nécessaire ouverture du partenariat au secteur privé paraît, dans la conjoncture actuelle, comme revêtant une importance capitale. L'histoire de la colonisation belge révèle, en effet, le rôle fondamental qu'a joué le capital privé dans la mise en valeur des ressources du Congo, quelles qu'aient été les critiques qui ont pu être formulées à ce sujet. Aujourd'hui, sans l'apport du secteur privé et entre autres l'établissement de relations de partenariat entre PME congolaises et belges, le développement sera impossible. En ce domaine, je souhaiterais insister sur deux choses.

Honorables sénateurs, je puis affirmer aujourd'hui que le syndrome de la zaïrianisation n'a plus aucune raison d'être. Ce triste épisode de l'histoire économique de mon pays, qui a créé de profonds traumatismes dans le chef de ceux qui ont été spoliés et qui a été un important sinistre encore bien plus considérable pour l'économie congolaise, doit être considéré comme un accident de parcours qui ne se reproduira plus.

Au contraire, c'est toute une série de mesures qui ont été adoptées récemment et qui sont de nature à redonner confiance aux investisseurs potentiels. Plusieurs lois réorganisant et sécurisant divers secteurs de l'économie ont été adoptées. En septembre 2001, lors d'une réunion conjointe à Kinshasa un mémorandum portant sur des « Propositions de mesures de relance économique en RDC » a été adopté. Il aborde plusieurs points très importants : dette intérieure, fiscalité des entreprises, protection juridique des investissements, simplification administrative et juridique concernant les sociétés (nouveau Code des investissements, nouveau Code minier, nouveau Code forestier avec une prospective réelle pour la gestion de l'environnement).

Dès à présent, le gouvernement de la RDC s'est engagé dans la recherche de solutions à ces divers problèmes (affiliation à l'OHADA, à la MIGA ...). Les autorités congolaises entendent aujourd'hui créer un climat suffisamment sécurisé pour que les investissements belges et congolais puissent se retrouver partenaires dans un cercle vertueux cette fois.

Un problème à aborder aussi dans le cadre de ces nouvelles relations de partenariat est celui de la diaspora congolaise vivant en Belgique. Il y a là un potentiel de ressources humaines dont beaucoup de haut niveau qui se sentent discriminées lorsqu'elles se présentent sur le marché du travail. L'accord Programme de l'actuel gouvernement belge prévoyant la création d'environ 200 000 nouveaux emplois, devrait être conçu de telle sorte que cette question y trouve sa place.

De plus, en tant que partenaire privilégié de la RDC, la Belgique a un rôle particulier à jouer au sein des enceintes internationales. Grâce à l'expertise qui est la sienne et qui lui est très largement reconnue, elle est à même d'intervenir en tant que catalyseur dans les décisions à prendre par les organismes multilatéraux en ce qui concerne la RDC, ce qu'elle a d'ailleurs fait à diverses occasions.

Les Belges et les Congolais sont les héritiers d'une histoire commune. Il est du devoir des deux peuples d'assumer cette communauté de destin. Or la réalpolitik oblige à reconnaître aujourd'hui que, malgré les signaux positifs évoqués toute à l'heure, la RDC traverse une crise très grave. Pour sortir de cette crise le pays a besoin d'un programme d'ensemble qui fixe les priorités, qui en détermine les articulations, qui définisse un échéancier et qui enfin en assure la cohérence globale. La Belgique qui a eu l'expérience du plan Marshall et qui a eu un bureau du plan au sein du ministère des Affaires économiques au lendemain de la deuxième guerre mondiale, peut prêter main forte dans la conception et la mise en oeuvre d'un tel programme.

L'avenir du partenariat entre les deux pays en dépend; ainsi il pourra se construire dans la continuité et la perspective d'une prospérité partagée.

11.2. Échange de vues

Mme Durant se réfère à une interview du président Kabila dans « Le Soir » du 26 janvier 2004. Elle demande comment on peut organiser le partenariat entre la Belgique et le Rwanda et souhaite connaître l'appréciation que porte M. Bomboko sur le retard par rapport au processus électoral mis en évidence par le président Kabila.

De plus, la sénatrice souhaite connaître l'avis de M. Bomboko sur la question de la menace à la sécurité qui prend surtout dans l'est du Congo l'allure d'une bombe à retardement.

Est-ce qu'il y a lieu, au delà de la coopération militaire, de promouvoir la pacification de l'est du Congo ?

Mme de Bethune fait observer que les 5 institutions appelées à soutenir la transition doivent encore être créées. Cela dépasse la simple préparation des élections. L'aide de la communauté internationale est sollicitée pour la préparation des élections.

L'intervenante demande si, pour les autres aspects du processus de transition, la même vigilance est de mise et si l'on peut également parler de partenariat.

Elle demande comment, à côté de la coopération bilatérale, il est possible de soutenir la société civile ou la population locale du Congo.

M. Galand estime qu'il faudrait clarifier et accélérer les procédures d'investissement pour attirer des candidats. Ceci vaut surtout en matière de douanes.

Il faut d'urgence faire appel à des facilitateurs tant au niveau bilatéral qu'international pour éliminer certaines conditionnalités absurdes qui encombrent la mise en oeuvre des programmes.

L'orateur souhaite que M. Bomboko pèse de toute son autorité morale pour que la peine de mort soit abolie au Congo.

M. Bomboko répond qu'il déplore les lenteurs à ce niveau. Certains crédits et facilités que le Congo devait obtenir ne sont pas encore arrivés faute de diligence administrative. L'orateur estime que la Belgique, comme le fait la France pour ses anciennes colonies, doit accompagner le Congo au niveau international. Le mémorandum présenté par les opérateurs économiques belges et congolais prévoit que nombre de pesanteurs, encombrant la coopération entre les deux pays, ont été relevés. Il faut se rendre compte que le pays est une jeune démocratie qui sort d'un régime dictatorial qui a duré plus de 30 ans.

M. Bomboko estime que le Congo a hérité des fléaux qui sévissent en Occident comme la violence. Le pays ne peut pas abolir la peine de mort à l'heure actuelle parce que les circonstances ne s'y prêtent pas.

La présidente estime qu'une commission permanente entre le Congo et la Belgique, se réunissant régulièrement, permettrait de trouver une solution rapide aux problèmes. Les commissions mixtes existantes ne s'y prêtent pas à cause des procédures lourdes. À l'heure actuelle, le ministre des Affaires étrangères accorde un appui financier à la Conférence des Grands Lacs, à la MONUC, à la Fondation d'unité pour la paix et la démocratie de l'ancien président du Burundi, M. Pierre Buyoya et aux mesures contre le génocide au Rwanda. Les engagements financiers pris par notre pays et par l'Union européenne lui paraissent cependant plutôt faibles.

M. Bomboko répond qu'il souhaite qu'il y ait, à côté de la commission mixte, une instance de consultation pour examiner et améliorer la coopération entre les deux pays tant au niveau officiel qu'à l'échelon de la société civile.

Le Congo sort d'un état de guerre et est arrivé à la cessation des hostilités. Il reste toutefois des foyers à l'est du pays. Tous ces problèmes trouveront une solution définitive à partir du moment où le Congo aura un gouvernement qui lui permet de réinstaller l'autorité de l'État central.

Le Congo a besoin de l'aide belge pour pacifier le pays. L'arrivée des paras belges à Kisangani, permettra de mettre en place un armée congolaise qui appartient véritablement à la république

Dans l'état actuel des choses, il faut mettre en place un partenariat pour l'organisation des élections, prévu par les accords de Pretoria et de Sun City. Un recensement pourrait être mis en place avec le concours d'autres pays. Bien qu'un report de 6 mois des délais soit admis par les accords de Pretoria et de Sun City, le pays fait tout son possible pour respecter le calendrier.

Le président Kabila a adressé une lettre à l'Assemblée nationale pour demander que la procédure de transition soit accélérée par l'adoption d'une loi sur les institutions de citoyenneté.

L'orateur signale que le Congo ne parvient pas à installer son parlement, faute de moyens financiers pourtant promis par la Communauté internationale

La présidente souhaite que le ministre belge des Affaires étrangères tienne compte de la proposition Bomboko, les deux pays ayant besoin d'une interaction en profondeur.

12. Mme Marie-France Cros, journaliste, La Libre Belgique

12.1. Exposé de Mme Marie-France Cros

1. Les Congolais nous appellent les Nokos. En Belgique, ce mot est pris comme un terme uniquement affectif, ce qui n'est pas le cas. L'expression est issue de l'ouest du Congo, où la filiation matrilinéaire fait de l'oncle maternel le responsable d'un enfant. Nous appeler les Nokos revient à se remettre entre nos mains; on attend de l'oncle qu'il assume les dépenses nécessaires à la formation et à l'installation dans la vie.

Le terme lui-même est une illustration de l'ambiguïté congolaise, oscillant ­ selon les moments, les individus et les intérêts en jeu ­ entre appel à notre paternalisme et discours nationaliste.

En raison de leur profond sentiment d'impuissance à être maîtres de leur propre destin, nombre de Congolais sont séduits par le discours nationaliste. Mais la principale version du nationalisme qu'ils connaissent est le chauvinisme : ils appellent nationalisme la passion jalouse avec laquelle ils refusent que des étrangers (non Congolais ou non originaires de leur région natale) aient accès aux richesses de leur territoire; beaucoup d'acteurs politiques et économiques congolais préfèrent ne rien gagner s'ils doivent partager ce qu'ils considèrent comme leur avec un non originaire.

Il y a en revanche peu d'hommes politiques congolais qui bâtissent sur le véritable nationalisme, compris comme la nécessité de consentir des sacrifices pour le bien de la nation.

Pour ces différentes raisons, renouer plus étroitement avec le Congo va inévitablement ramener des crises sentimentalo-politiques comme on en a connu dans le passé. Il faut le savoir et être prêts à les affronter.

On a déjà un petit goût de ce discours avec la pique lancée par Joseph Kabila (interview au Soir 26-1) aux entreprises belges qui ne reviennent pas au Congo et qu'il met en opposition avec les sud-africaines. Vous savez sans doute que lors de sa visite à Kinshasa, à la mi-janvier, M. Mbeki a prononcé un discours anti-belge devant le parlement congolais, vraisemblablement à baliser le chemin pour les entreprises sud-africaines.

Il est clair que l'Afrique du Sud a décidé de faire de l'Afrique son domaine d'expansion, alors que les Belges ont d'autres champs d'intervention qui les attirent, notamment en Europe de l'est; le combat me semble inégal.

2. Depuis des années, on évoque la démocratisation du Congo. Or, le terme ne recouvre pas tout à fait la même réalité pour les Belges et les Congolais. N'oublions pas que le mode relationnel, en Afrique, est beaucoup plus autoritaire que chez nous. Dans les écoles, il n'y a pas de débats; on apprend à recevoir un ordre et à en donner. Si certaines cultures traditionnelles congolaises fonctionnent sur un pouvoir de l'assemblée des hommes adultes, dès que l'on quitte le village, la relation est d'autorité. Les jeunes Africains qui viennent chez nous sont choqués par notre type de relations parents/enfants, parce qu'elles fonctionnent souvent sur la discussion. Ce n'est pas le cas au Congo.

Cela imprègne durablement la mentalité des Congolais. Lorsque vous parlez longuement de ces choses-là, vous vous rendez compte que beaucoup de Congolais souhaitent voir à la tête du pays, de leur région, un père sévère.

De ce que j'ai pu percevoir lors de très nombreuses conversations informelles, ce que la majorité des Congolais recherchent dans leur aspiration à des élections, c'est, en définitive, l'établissement éclatant d'une légitimité.

Il faut donc être prudent, à mon avis, lorsqu'on encourage ­ comme le font M. Armand De Decker ou William Swing ­ les nouvelles autorités congolaises à envisager des élections sans recensement. Il ne faut pas que les élections échouent à légitimer les futurs dirigeants ou elles auront été inutiles.

3. Les partis congolais sont très peu nombreux à se bâtir sur une idéologie (à part le fédéralisme). Les noms qu'ils portent (social, populaire, démocratique, etc.) ne sont là que pour les donateurs. Leur réalité est différente. Elle se rapproche plus de l'entreprise familiale destinée à récolter des avantages pour un groupe donné; ce groupe peut être une région, une ethnie, voire un clan. Conséquence : il peut se produire des alliances surprenantes pour un Occidental. En outre, les résultats des élections seront forcément très partagés.

4. C'est connu, mais il faut le rappeler : le Congo a un très gros problème de corruption. L'a-moralité est profondément ancrée dans les mentalités. C'est le seul mode de vie que toute une génération a connu; d'abord parce qu'elle a été institutionnalisée par le régime Mobutu, ensuite parce que c'est devenu le seul mode de survie. Il sera très difficile de faire tourner le cercle vicieux dans l'autre sens.

Dans ces conditions, il était normal d'éviter de confier directement des fonds à des Congolais, comme la Belgique l'a fait pendant plusieurs années. Mais cette technique empêche la résurrection d'un État ­ ce qui est précisément ce dont le Congo a le plus besoin. Il va falloir inventer de nouvelles techniques pour contourner ces deux obstacles.

5. L'accord de paix qui a permis l'ouverture d'une transition n'existe que grâce aux pressions internationales. À cet égard, il faut souligner le rôle important qu'a joué Louis Michel pour mobiliser un consensus.

Toutefois, l'accord de paix ne permettra d'arriver aux élections que si ces pressions continuent ­ plusieurs acteurs politiques de premier plan ne le cachent d'ailleurs pas dans les conversations privées, admettant que la tendance « naturelle » des nouveaux dirigeants est de « durer » à leur poste.

Cela ne peut évidemment pas être accepté, ne fût-ce que parce que cela ne permettra pas de stabiliser le pays. Celui qui voyage à Kinshasa ces derniers temps et se balade dans toutes les couches de la population sent très nettement une opposition entre ceux qui ont retiré un avantage à la transition et ceux qui n'ont pas retiré d'avantage. Et cela dans tous les camps. L'impatience sociale est perceptible.

Sans compter que la guerre rapportait plus que la transition à certains des dirigeants politiques aujourd'hui de premier ou second plan. Un ministre touche 1 500 dollars par mois; le poste frontière de Beni rapportait, durant la guerre, de quoi fournir 28 000 dollars de commission au commandant ougandais de la place ...

Il faut souligner que le volontarisme de Louis Michel est pour beaucoup dans la signature de l'accord de paix congolais. Notre ministre est toutefois perçu comme partisan, à la fois dans la région ­ où il est considéré comme pro-Congo ­ et au Congo-même, où il est vu comme partisan de Joseph Kabila.

12.2. Échange de vues

Mme Cros signale que l'accord entre le Congo et la Belgique pour l'envoi des paras belges à Kisangani n'a pas encore été signé par ce qu'on n'avait pas suivi la procédure prescrite par la transition. La commission de sécurité, présidée par le leader du RDC Goma, doit proposer au gouvernement de faire venir les paras belges.

M. Bomboko répond qu'à Kisangani l'aide au développement de la Belgique s'inscrit dans le cadre de la coopération internationale. La coopération bilatérale entre la Belgique et le Rwanda prévue par les accords de Pretoria et de Sun City sert entre autres à la création d'une armée congolaise. Au moment de la démobilisation, la communauté internationale s'occupera de la réinsertion des anciens soldats afin d'éviter des dérives.

M. Bomboko explique que la démocratie au Congo a été menacée par une mutinerie qui s'est déclarée juste après la proclamation de l'indépendance du pays. Le même phénomène s'est d'ailleurs produit au Kenya et en Tanzanie. La Grande Bretagne a pris des mesures contre les mutins et ces pays n'ont jamais connu de coup d'État.

13. M. Guy Poppe, journaliste (informations radio de la VRT)

13.1. Exposé de M. Guy Poppe

M. Guy Poppe déclare qu'il est rentré depuis peu de la province de l'Équateur, de Basankusu plus exactement, où il a réalisé un reportage. Cette région était, tout récemment encore, un territoire congolais aux mains des rebelles du MLC de l'actuel vice-président Jean-Pierre Bemba.

De Basankuvu, il a pris la route de l'est en direction de Baringa et, après avoir traversé la rivière Maringa, est arrivé à Bokoli (220 kilomètres en tout). Enfin, il a poursuivi son périple en direction du sud-ouest, vers Bolomba (soit un trajet de quelque 200 kilomètres). Bolomba est toujours restée aux mains des forces gouvernementales.

Son expérience toute récente dans cette partie de la RDC a permis à M. Poppe de faire les constatations suivantes :

1. La guerre est terminée

Les militaires, anciens rebelles, sont casernés dans des camps. Il n'y a plus de barrages, que ce soit sur les routes ou sur les rivières. Le harcèlement de la population, sous prétexte de levées informelles d'impôts, a aussi cessé. Les pillages par les soldats des champs de la population locale sont nettement moins fréquents, à défaut d'avoir cessé complètement.

Les conséquences sont perceptibles :

­ la population peut se déplacer librement, mais à pied exclusivement;

­ la sous-alimentation des enfants a régressé partiellement;

­ le commerce (de détail) reprend;

c'est-à-dire les importations et les exportations dans la région (importations de sucre, de sel et de tissus, exportations de manioc et de maïs),

­ les perspectives d'une reprise prochaine de la production agricole sont bonnes;

­ tous les Congolais interrogés répondent qu'ils pourront recommencer à cultiver leurs champs à partir de la prochaine saison de semailles en avril.

2. Les militaires détiennent la clé d'une paix durable

La période transitoire actuelle ne débouchera sur une paix durable que si les militaires casernés restent effectivement dans leurs campements. Cela dépend notamment du paiement de leur solde et de l'approvisionnement en rations alimentaires. Ni l'une ni l'autre n'a lieu de manière régulière. Cela suscite ça et là un certain mécontentement. Son entretien avec le commandant du bataillon de Waka, qui a menacé ni plus ni moins de reprendre les armes si ses troupes continuaient de se sentir délaissées « par Kinshasa », est éloquent à cet égard.

Il est fortement conseillé de procéder sans tarder à l'encadrement, à l'intégration au sein de la nouvelle armée unifiée et à la démobilisation des nombreux anciens rebelles dans cette partie de la province de l'Équateur.

3. Du point de vue économique

La reprise de la vie économique est très progressive et très lente.

Les infrastructures pour une reprise à grande échelle font défaut. Le parc automobile n'existe plus. Les machines, outils, générateurs, et autres, ont été pillés ou détruits.

À certains endroits, les routes sont inexistantes, de sorte qu'une bonne partie du trafic (commercial) doit s'effectuer par voie fluviale. Actuellement, les gros commerçants et planteurs de la région peuvent tout juste reprendre le travail ou ne le peuvent même pas du tout. Les projets de développement gérés par les missions catholiques et protestantes ne sont plus fonctionnels.

Lisafa, à environ 20 kilomètres de Basankusu, est le seul endroit où nous avons pu visiter une usine qui fonctionne à nouveau. On y produit de l'huile de palme. L'emploi n'y a pas encore retrouvé son niveau d'avant la guerre. La savonnerie est à l'arrêt parce que, faute de pouvoir d'achat, le savon ne trouve aucun débouché.

4. Sur le plan social : pauvreté et privations

D'une manière générale, le niveau de vie de la population est particulièrement bas et confine au minimum vital absolu, lorsqu'il n'y est pas inférieur. En voici quelques exemples :

­ Des récits faisant état de personnes qui ont habité longtemps dans la forêt, qui n'ont plus travaillé leurs champs et qui n'ont plus ni argent, ni vêtements;

­ dans une maternité, la sage-femme nous a raconté que certaines femmes avaient honte de s'y rendre pour accoucher, parce qu'elles n'avaient plus de vêtements, ni pour elles-mêmes, ni pour leur bébé;

­ une épidémie de rougeole sévit actuellement dans la région, ce qui ouvre la porte à une nouvelle vague de sous-alimentation, dont les enfants seront évidemment les premières victimes;

­ de nouveaux cas de maladie du sommeil sont signalés à des endroits où cette maladie n'apparaissait pas jusqu'il y a peu;

­ on ne vaccine pas, que ce soit contre la rougeole ou contre toute autre maladie (à l'exception d'une campagne de Médecins sans Frontières ici et là; à l'hôpital de Baringa, les vaccins sont conservés à des températures qui en affectent probablement l'efficacité.

5. Lueurs d'espoir

­ Les soins de santé ont été maintenus dans la région.

Les centres de santé et les dispensaires fonctionnent encore partout, grâce au dévouement du personnel infirmier et au soutien de Médecins sans Frontières, qui, à certains endroits, propose des médicaments gratuitement et prend en charge le salaire de certains membres du personnel. Cela fait des années que l'État congolais ne paie ni salaires ni de frais de fonctionnement.

Ça et là, un centre de santé réalise de véritables miracles, grâce à l'expérience d'un infirmier plus âgé, faisant office de « médecin aux pieds nus » et pratiquant même de petites opérations (appendicite, césarienne, hernie inguinale). Ces centres de santé ont un rayon d'action pouvant atteindre plusieurs dizaines de kilomètres.

­ La société fait preuve d'un grand dynamisme.

Un nombre étonnamment élevé de Congolais prennent leur sort en main et voient l'avenir avec optimisme, malgré la pauvreté dans laquelle ils vivent et malgré ces longues années de guerre qui les ont généralement privés de la plupart des biens matériels. On voit ainsi des jeunes filles qui, faute de pouvoir continuer à étudier, tiennent un petit commerce sur le marché, des femmes qui vendent des beignets parce que la banque ne paie plus leur salaire, des paysannes qui pourvoient à l'entretien de leur famille en vendant du bois mort, des écoles qui continuent à fonctionner grâce aux pauvres contributions des parents, etc.

Les élections qui sont prévues à la fin de la période de transition, à la moitié de l'année prochaine, sont manifestement très importantes pour un certain nombre de Congolais. Selon eux, ces élections devraient permettre au Congo de prendre un nouveau départ.

­ La situation économique s'améliore.

6. Que faire pour l'avenir ?

1º Tout mettre en oeuvre pour que les militaires ne reprennent plus les armes.

2º Soutenir les initiatives (souvent à petite échelle) de la population.

3º Infrastructure : un réseau routier minimal est absolument nécessaire et la centrale électrique de Kisangani, qui alimente la ville en eau et en électricité, doit être réhabilitée.

4º Contribuer à garantir la réussite des étapes clés du processus de transition et, en particulier, la réussite des élections.

13.2. Échange de vues

Mme Durant constate que l'armée régulière congolaise en formation n'intégrera que 5 à 10 % de rebelles (chefs de guerre, bandits, etc.). Pendant combien de temps les militaires qui sont hébergés actuellement dans les camps recevront-ils une solde ? Quelle garantie a-t-on qu'ils ne se remettront pas à piller ?

L'intervenante parle d'une situation particulièrement fragile où règne une pauvreté extrême et qui est marquée par la présence de nombreux militaires encore non démobilisés et non désarmés. La situation peut donc rapidement se retourner et évoluer à nouveau dans le mauvais sens.

Mme Durant demande par ailleurs si les soins de santé ne devraient pas être prioritaires. Le danger de famine n'est-il par réel ?

M. Galand souhaite que l'on formule quelques recommandations positives et quelques recommandations négatives.

M. Poppe estime lui aussi que la situation des militaires est particulièrement fragile, que la sécurité est très mal assurée et que la stabilité du pays est loin d'être garantie. À titre d'exemple il cite un événement qui a eu lieu il y quinze jours : un commandant devait apporter de l'argent pour payer la solde des soldats et l'approvisionnement en nourriture. L'argent n'est jamais arrivé et les soldats se sont remis à piller.

Un bon encadrement du processus de démilitarisation revêt une importance primordiale.

La première phase consistait à rassembler les militaires dans des camps. Maintenant, il faut intégrer les armées dans la vie courante; elles doivent par exemple obtenir une parcelle de territoire où elles puissent entreposer des semences ainsi que des machines. En tout cas, on doit donner aux militaires la possibilité, sur le plan économique, d'entretenir leurs familles.

Ce processus ne fait que commencer. La MONUC a fait des promesses. Dans la région que le journaliste de la VRT a visitée, rien n'indiquait qu'elle les tient.

M. Poppe estime qu'il faut donner une suite au processus politique de transition (voir la période de négociations avec, notamment, des réunions en Afrique du Sud).

Le processus de transition politique a vu le jour grâce à une pression internationale et à un vaste plan de financement. En réalité, la communauté internationale a acheté la paix.

Il sera absolument nécessaire d'accomplir un nouvel effort, sans doute encore plus important, pour s'assurer que les militaires continuent à soutenir la paix. On doit recommander prioritairement à cet égard un soutien massif au processus de démilitarisation et de démobilisation en RDC. L'intervenant cite l'exemple du Mozambique où l'Union européenne et les Nations unies (notamment le PNUD), entre autres, ont consenti, au cours de la période précédant les élections 1994, des investissements importants pour convaincre l'armée rebelle du Frelimo de déposer les armes.

Dans le secteur des soins de santé on constate également un tel phénomène. Les personnes qui travaillent encore dans ce secteur sont capables et motivées, en tout cas au niveau (faible évidemment) qui est le leur; à certains endroits, ils sont payés, à titre provisoire du moins, et reçoivent des médicaments gratuits (par l'intermédiaire de Médecins sans Frontières à Basankusu). À Baringa, c'est Relief Service qui pourvoit l'hôpital protestant en personnel.

Il serait judicieux de faire dépendre la structure de Médecins Sans Frontières du nouvel État congolais.

On a également besoin de médecins congolais qualifiés qui reviennent au pays.

Il faut développer une stratégie que Médecins Sans Frontières n'a pas élaborée, elle non plus.

En outre, force est de se demander si le nouvel État congolais sera capable de s'acquitter à nouveau de ses missions comme il convient de le faire. Il est permis d'en douter, car les hommes politiques congolais n'ont pas brillé par leurs qualités dans le passé. La guerre dans le pays a propulsé au pouvoir une série de politiciens qui ne sont pas les enfants du pays les plus méritants.

Il faut développer une stratégie pour pouvoir redonner à la population l'accès à l'enseignement et aux soins de santé. L'intervenant renvoie, à cet égard, à la situation des enseignants, qui n'ont plus été payés depuis longtemps.

Réponse de M. Galand

En ce qui concerne les recommandations, la première priorité se situe au niveau militaire. Dans un deuxième temps, il faut soutenir la dynamique de la société congolaise sans brandir de grands projets. C'est ainsi que la Conférence épiscopale congolaise met ses réseaux à la disposition des gens pour leur expliquer l'importance des élections.

Mme Durant répond que les projets à petite échelle, impliquant les communautés de base y compris les églises, s'imposent. Il faut utiliser les réseaux locaux.

M. Galand répond qu'il faut renforcer aussi bien le niveau macro-économique que le niveau micro-économique parce qu'ils sont complémentaires. Il est indispensable de construire des infrastructures qui soutiennent les petits projets.

M. Poppe répond qu'il serait préférable, pour l'instant, de laisser de côté les grands projets. Ce qui compte, c'est de rendre les rivières navigables, de déminer les routes et de les rendre praticables. Il faut également s'attaquer au problème de l'approvisionnement en électricité, dont les pannes sont fréquentes, car il s'agit là d'un des besoins fondamentaux de la population.

14. Représentants de la FEB

­ M. Tony Vandeputte, administrateur délégué;

­ M. Baudouin Velge, directeur du département économique;

­ Mme Elisabeth Wandeler, conseillère au département européen et international;

­ M. Bernard de Gerlache de Gomery, président de la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture Belgique-Luxembourg-Afrique-Caraïbes-Pacifique (CBL-ACP)

14.1. Exposés

M. Tony Vandeputte, administrateur délégué de la FEB, déclare que le secteur privé se réjouit des efforts du gouvernement belge pour améliorer les relations avec le Congo mais qu'il se garde toutefois d'un enthousiasme exagéré. Entre l'intérêt que suscite le Congo pour des raisons historiques ou personnelles, d'une part, et d'autre part, la décision d'investir et de développer des affaires sur place, la marge est importante.

La FEB suit l'évolution du Congo depuis de nombreuses années. M. Vandeputte lui-même s'y est rendu dans les années nonante, mandaté par le gouvernement belge pour aller y prendre le pouls de la situation économique. Cette visite a été suivie d'autres missions à intervalles réguliers au début des années 2000.

La FEB entretient des rapports étroits avec l'organisation des entreprises congolaises (AFEC). Des cadres de l'AFEC viennent notamment suivre des stages de formation en Belgique. La FEB est en effet persuadée qu'il faut non seulement agir au niveau du gouvernement et des instances internationales, mais aussi au niveau des opérateurs économiques sur le terrain et de leur organisation.

En 2001 a été rédigé un mémorandum afin d'inciter le gouvernement congolais à prendre des mesures. Certaines l'ont été effectivement. La FEB a également insisté pour inclure dans ce mémorandum un code d'éthique car s'il fallait encourager le monde des affaires à investir au Congo, il fallait aussi mettre l'accent sur la manière de faire des affaires en Afrique.

Malheureusement, pour différentes raisons, ce mémorandum n'a pas été signé du côté congolais.

Il est évident que le secteur privé a un rôle fondamental à jouer pour donner au Congo un nouvel avenir. Si on veut l'inciter à investir là-bas, il est une règle que le gouvernement congolais doit appliquer, il doit agir correctement vis-à-vis des opérateurs économiques présents aujourd'hui dans le pays. Aussi longtemps que les créances des entreprises belges présentes au Congo ne sont pas honorées par les pouvoirs publics, et que l'on n'essaie pas de réduire la part de l'économie informelle pour que tout le monde suive les règles du jeu, il est difficile pour la FEB d'encourager ses membres à aller sur place.

La FEB estime qu'il est trop tôt pour organiser une mission économique au Congo sous son égide car elle constituerait un faux signal, mais cela n'empêche qu'elle soutient pleinement tous les efforts faits par d'autres en la matière.

M. Bernard de Gerlache de Gomery, président de la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture CBL-ACP, estime que le secteur privé a connu au Congo la descente aux enfers entre 1991 et 2001, mais que des signes de remontée progressive apparaissent depuis l'arrivée de Joseph Kabila sur la scène politique.

La tâche ne sera pas accomplie en quelques mois, ni même en quelques années. Depuis les dernières années du règne du maréchal Mobutu, le secteur formel a peu à peu disparu au profit du secteur informel. La dette intérieure vis-à-vis des investisseurs belges et étrangers est énorme.

Certaines instances de la Banque mondiale voudraient que les investisseurs adoptent la même attitude que les bailleurs de fonds internationaux mais il n'y a pas de comparaison possible entre les investissements du secteur privé et l'aide internationale. Les créances du secteur privé vis-à-vis de l'État congolais concernent des services qui lui ont été rendus et ont en fait comme contrepartie les taxes que le secteur informel n'a pas payées.

Vis-à-vis du secteur industriel, le gouvernement congolais a essayé de mettre en place des mesures de protection au profit des industries nationales. Ce fut un échec à cause de la taille du pays et de l'étendue de ses frontières qui rendent les contrôles quasi impossibles.

Depuis l'arrivée du gouvernement de transition, la nouvelle politique consiste à essayer de rapprocher progressivement les secteurs formel et informel par un adoucissement du régime fiscal, administratif et douanier et des mesures y soumettant progressivement le secteur informel. C'est la condition essentielle pour que le secteur formel puisse se retrouver dans un environnement concurrentiel valable, lui permettant de réaliser les investissements indispensables au renouvellement des outils de production. Il faudra cependant du temps avant que cette politique ne soit intégrée et correctement appliquée par l'administration.

Le gouvernement congolais a adopté des mesures inspirées du mémorandum de 2001 : mise en place de tribunaux de commerce, adoption d'un code minier, d'un code forestier et d'un code des investissements, ainsi que différentes mesures allant dans le sens de la libéralisation de l'économie et de la transparence.

Le budget de l'État congolais équivaut à celui de la ville de Gand. À celui-ci s'ajoutent les sources de financement du PMUR, de la Banque mondiale, de l'Union européenne. Le BECECO a été créé pour la tranche B (santé, infrastructures de base, éducation) et le bureau Louis Berger pour la tranche A (infrastructures) avec des équipes de surveillance des adjudications aux appels d'offres.

Pour convaincre la fédération des entreprises congolaises d'adopter un code d'éthique, il faut commencer par des sujets précis. Les deux domaines essentiels auxquels le code devra s'appliquer sont les appels d'offres de l'État, d'une part, et les privatisations, l'instauration de sociétés de gestion ou de sociétés mixtes, d'autre part.

Il faut insister pour que les codes minier, forestier et des investissements fassent l'objet d'une protection internationale. En effet, ces codes ont été signés et avalisés par le gouvernement de transition actuel. Un nouveau gouvernement pourrait leur dénier toute valeur. C'est pourquoi il conviendrait que la possibilité de recourir à un arbitrage international pour le règlement des conflits soit reconnue dans les conventions bilatérales de protection des investissements. Celle conclue avec la Belgique date des années septante et devrait être actualisée.

On peut se réjouir de l'annonce de l'adhésion de la RDC à l'Organisation pour l'Harmonisation du Droit des Affaires (OHADA). Celle-ci se réfère en effet au droit napoléonien avec des procédures d'arbitrage international. Nous évitons ainsi l'application du common law qui laisse une grande marge de manoeuvre aux juges pour décider au fur et à mesure des jugements.

Pour terminer, l'orateur met en garde contre toutes les annonces par la presse selon lesquelles tel ou tel accord aurait été conclu avec des autorités ou des organismes étrangers. Dans le gouvernement de cohabitation actuel, la moindre décision est soumise à un parcours du combattant. Toute modification telle que privatisation ou mise en place de société de gestion mixte doit passer par le conseil d'administration de l'entreprise, par le ministre compétent, puis le vice-président dont dépend le ministre, ensuite le vice-président dont dépend le groupe Ecofin, et enfin le comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques qui dépend du président. Si la décision n'a pas franchi toutes ces étapes, elle est inexistante.

M. Baudouin Velge, directeur du département économique, souligne que le « sentiment belge » est bien ancré au Congo et que les Congolais caressent toujours l'espoir que les Belges vont revenir les aider à remettre sur pied le pays comme au temps de la colonie belge. Mais le pays est encore très loin des conditions que nous considérons comme le minimum minimorum pour pouvoir fonctionner.

L'action doit être menée simultanément sur deux terrains. Sur le plan politique, de gros progrès ont été accomplis, mais sur le plan du secteur privé, il ne s'agit pas seulement de convaincre les investisseurs d'y retourner mais aussi d'aider ceux qui y sont restés avec beaucoup de courage.

L'intérêt des parlementaires et du monde politique en Belgique et dans d'autres pays d'Europe est un signe encourageant. Toutes les parties sont prêtes à mettre de l'eau dans leur vin pour faire avancer les choses mais la situation manque de stabilité. Les autorités publiques et le secteur privé doivent travailler main dans la main pour obtenir des résultats.

14.2. Échange de vues

Mme Crombé-Berton aimerait savoir ce qui, selon les représentants de la FEB, devrait être privatisé en priorité au Congo. Des entreprises belges souhaiteraient-elles répondre à ces privatisations et si oui, dans quels secteurs ? Le secteur privé belge aurait-il l'opportunité d'investir dans ces privatisations ?

En ce qui concerne les codes minier, forestier et des investissements, un État peut-il, par une convention bilatérale, imposer son intervention à un autre État lorsque le code de droit interne n'est pas respecté ?

Des missions économiques au Congo sont-elles prévues prochainement et si oui, avec quelles entreprises ?

M. Vandeputte souhaite préciser le rôle du secteur privé dans le cadre du Congo car on pourrait lui reprocher de traîner la patte alors que la situation politique est assainie. Il faut bien souligner que, lorsque des efforts sont faits sur le plan politique, il est important d'insister simultanément sur les aspects économiques. La FEB encourage et soutient les entreprises qui, individuellement, décident d'agir même si elle ne peut pour le moment donner un signal général à l'ensemble de ses membres.

M. Bernard de Gerlache de Gomery déclare qu'il y aura des opportunités de privatisation et que certains pays s'y intéressent déjà. Cependant, aux yeux de l'orateur, il ne faut pas privatiser maintenant des entreprises qui n'ont aucune valeur. Dans les entreprises publiques autonomes, il convient d'abord de créer des sociétés mixtes de gestion.

Sizarail était une forme de privatisation de la gestion des chemins de fer entre Transurb et la SNCC. Pendant la durée de la privatisation, les importations de maïs au Congo ont été réduites de moitié. La gestion du rail étant mieux assurée, les paysans locaux ont pu produire et acheminer leurs produits vers les centres de consommation.

Il y a énormément de travail à faire avec ces entreprises publiques. Prenons l'exemple du balisage et dragage du fleuve Congo pour transport de bananes à Matadi. Actuellement, un seul bâteau peut arriver par jour. Si l'on ne va pas vers une gestion efficiente des arrivées de ces noeuds importants que sont Matadi et le fleuve, Pointe-Noire va se développer et faire le rail jusqu'à Brazzaville. Parallèlement, le Katanga va créer son chemin de fer avec ses amis angolais et tout le trafic échappera au Congo.

Comme on l'a déjà souligné, la création des sociétés mixtes de gestion représente un parcours du combattant. Cependant, la Belgique dispose d'atouts, dans la mesure où elle connaît le Congo et les parcours à réaliser. S'il n'y a plus guère de grands groupes en Belgique, nous présentons un intérêt pour un partenariat avec les groupes étrangers.

Les codes nationaux peuvent faire l'objet d'une protection internationale sans qu'il soit question d'ingérence, sur la base d'une convention bilatérale de protection des investissements signée entre le gouvernement belge et le gouvernement congolais. Un changement éventuel de gouvernement n'a alors pas d'impact sur la protection offerte par la convention.

Plusieurs missions économiques ont déjà eu lieu au Congo ces derniers temps. La prochaine est prévue pour la semaine du 14 au 20 mars 2004. Elle sera présidée par le ministre wallon de l'Économie et impliquera les trois régions.

M. Thissen pense que la grosse difficulté pour les entreprises concernera la gestion du temps. S'il y a effectivement des progrès au niveau politique, les informations ne semblent pas indiquer un retour rapide à l'État de droit au Congo. Les juges sont rétribués par les parties à la cause, les fonctionnaires sous-payés survivent en harcelant les entreprises sous n'importe quel prétexte pour obtenir des bakchichs.

Il est clair en tout cas que les entreprises qui se sont maintenues au Congo malgré des conditions dantesques constituent un capital précieux, un réservoir d'expérience dans lequel les PME pourront puiser pour aller se réinstaller là-bas.

L'économie ne pourra pas fonctionner sans un minimum d'État de droit dans le pays. Les entreprises envisagent-elles un soutien à la reconstruction de l'administration ?

M. Galand aimerait connaître la définition d'une société belge en RDC par rapport au droit belge et au droit congolais.

Les orateurs sont-ils favorables à la mise en route rapide d'une commission mixte avec le Congo afin de déterminer un programme d'ensemble pour l'engagement de la Belgique ?

Parmi les créances des entreprises étrangères sur la RDC, n'y a-t-il pas des créances douteuses à côté d'autres correspondant réellement à des services prestés par les entreprises ? En d'autres termes, ne devrait-on pas opérer un tri dans ces créances et qui pourrait le faire ? Il faudrait tenir compte aussi des aides reçues de l'extérieur, par le Ducroire ou par des bailleurs de fonds internationaux, qui eux-mêmes, en cascade, n'auraient pas été rétribués.

Que vise-t-on précisément par « secteur informel »? Quand il est question de politique fiscale adaptée pour le secteur informel, comment va-t-on veiller à l'intégration de ce secteur ?

Dans le passé, l'aide liée a souvent été critiquée dans les commissions mixtes. Comment l'entreprise d'aujourd'hui peut-elle participer à la coopération au développement sans qu'on puisse automatiquement l'accuser d'être subventionnée ou d'agir dans le cadre d'une aide liée ? Quelles sont les liaisons du monde belge des entreprises avec l'Union européenne dans le cadre des accords de Cotonou ? On voit peu apparaître les entreprises belges à l'occasion des appels d'offre.

Enfin, le membre s'inquiète des retards dans la recherche d'une solution qui permettrait à la Générale de carrière des mines (Gecamin) d'honorer les dettes qu'elle a vis-à-vis de personnes ayant travaillé pour elle en RDC. Comment sauver les secteurs qui peuvent encore l'être avant que les mines ne soient complètement noyées ?

Mme Durant évoque le know-how extrêmement pointu de Transurb. Quel soutien peut-on apporter pour orienter les entreprises de type Transurb vers des sociétés mixtes de gestion qui donneraient quelque chance aux secteurs essentiels tels que énergie, transport, etc. ?

Le Ducroire a-t-il un rôle spécifique à jouer, en particulier en termes de soutien de la politique étrangère de la Belgique et de sa volonté de soutenir la transition, non seulement sur le plan politique mais avec d'autres instruments ?

Si l'on veut mettre fin aux pillages des ressources, ne faudrait-il pas imposer un code de bonne conduite aux entreprises qui opèrent dans les zones de conflits ? On pourrait organiser des formations sur les recommandations de l'OCDE à l'intention de ces entreprises. Envisage-t-on des mesures structurelles ?

La présidente remarque que la Belgique n'ayant plus beaucoup de grands groupes industriels, il conviendrait peut-être de développer une stratégie particulière avec la France. Une telle stratégie commune se dessine-t-elle ?

Le Rwanda a-t-il réussi à rétablir des règles commerciales convenables dont la RDC pourrait s'inspirer ? La sénatrice pense notamment au transit par les compagnies aériennes.

À l'époque du gouvernement de Kabila père, le président était toujours accompagné de personnes qui avaient des intérêts importants aux États-Unis. Actuellement, le président et les vice-présidents sont-ils éloignés des intérêts américains ? Sinon, ne serait-il pas intéressant de conclure un pacte des investisseurs américano-franco-belge ?

M. Bernard de Gerlache de Gomery admet que la reconstruction de l'économie en RDC prendra du temps, mais d'un autre côté, un projet bien au point se concrétise au Congo beaucoup plus vite qu'ailleurs.

Avec la guerre, tous les fonctionnaires avaient été regroupés à Kinshasa, constituant ainsi une administration pléthorique et de surcroît non payée. Petit à petit, ces fonctionnaires se redéploient sur l'ensemble du territoire. En outre, des budgets ont été alloués aux différents ministres qui les affectent notamment au paiement du personnel. Les pressions invraisemblables auxquelles les entreprises ont été soumises dans le passé ont dès lors tendance à s'atténuer.

Les PME ont leur place au Congo à condition de s'appuyer sur les groupes existants car elles arrivent dans un environnement difficile où aucune entreprise petite ou moyenne n'est restée. Les entreprises qui ont réussi à survivre sur place sont les plus grosses. Le choix du partenaire local est essentiel.

Il n'y a pas de définition précise de la société belge au Congo. Les sociétés congolaises dont l'actionnaire majoritaire ou unique est une société belge est considérée comme société belge.

Price Waterhouse a été désigné par le gouvernement congolais pour trier les créances du secteur privé vis-à-vis de l'État congolais sur base de la date de 1997. Price Waterhouse termine en ce moment sa certification sous le contrôle de la Banque mondiale. Le gouvernement congolais a l'intention d'accorder un traitement honorable à ces dettes.

La majorité des entreprises privées ayant une créance sur l'État se sont dites prêtes à réinvestir le remboursement de ces créances dans leurs outils de production locaux.

Il y a évidemment un secteur informel associatif honorable. Par contre, dans le secteur minier par exemple, il existe un secteur informel criminel qui exploite des ouvriers.

La seule solution pour la survie de la Gecamines consiste à devenir une société holding de droit public. Elle a heureusement obtenu du gouvernement le renouvellement de ses permis de recherche et permis d'exploitation. Sans les premiers, la Gecamines pourrait seulement continuer à exploiter les mêmes zones, ce qui réduirait son terrain d'activité à une peau de chagrin. Il faut maintenant qu'elle sélectionne des partenaires économiques valables, zone par zone, et peu à peu elle devrait pouvoir se refaire une santé économique.

La coopération avec Transurb-SNCC a été une très bonne expérience. Des équipes sont encore actives sur le terrain et ont décroché trois études pour le ministère des transports congolais. Dans une éventuelle société mixte de gestion qui pourrait s'installer avec la SNCC, Transurb pourrait avoir un rôle fédérateur. Il faut espérer que la maison mère donnera à ses équipes les moyens d'exécuter leur travail.

Un fonds d'experts a été créé au niveau de la coopération à concurrence de 5 millions d'euros. Il faudrait que ce fonds puisse faire appel à des experts du secteur privé qui seraient mis à disposition des entreprises publiques congolaises afin de réaliser dores et déjà un audit de leur situation et d'évaluer ce qui devra être réalisé dans le futur. M. Verwilghen, ministre de la Coopération au développement a accepté de dégager un budget pour quatre experts vis-à-vis des infrastructures essentielles.

La restauration de l'État de droit, la création d'un code minier, la volonté de ramener dans la légalité le secteur informel sont les seuls moyens de lutter contre le pillage des ressources.

Le Rwanda est un exemple pour ses pratiques administratives. Cela s'explique par une histoire et des mentalités différentes.

Les relations avec les États-Unis sont bonnes. La situation au Congo est suivie de près par un trio constitué par l'ambassadeur de Belgique, l'ambassadeur de France et celui des États-Unis.

Sur l'intérêt des commissions mixtes, M. Tony Vandeputte a un avis mitigé. L'avantage est qu'elle permet de faire régulièrement le point. La condition sine qua non pour lui de la création d'une commission mixte est en tout cas qu'on y associe le secteur privé. Il faudra en outre bien définir sa mission car il faut éviter de donner l'impression que tout est réglé, qu'il suffit de continuer à suivre la situation.

L'aide liée est une question dépassée. La tendance est à l'aide déliée, même si des pays ne la suivent pas. Ce serait une mauvaise idée de rouvrir le dossier en Belgique car le secteur privé veut avant tout qu'on le prenne au sérieux.

À la question concernant le Ducroire, M. Baudouin Velge répond que le Congo est en catégorie 7, c'est-à-dire out of cover. Ces catégories sont déterminées au sein de l'OCDE, via un modèle qui a été développé par le Ducroire.

Il arrive que vis-à-vis de pays de catégorie 7, le Ducroire fasse des efforts avec des couvertures particulières, mais le cas du Congo est encore loin de pouvoir être envisagé. Le Ducroire a une créance gigantesque vis-à-vis du pays, ce qui rend évidemment la reprise de relations difficile. De plus, seraient plutôt concernés des investissements auxquels les Belges participeraient au Congo dans le cadre d'un financement de la Banque mondiale, l'Union européenne ou une autre institution internationale. La couverture du Ducroire ne porterait pas sur le risque congolais mais sur le risque que l'institution internationale n'honore pas son engagement dans ce qui est investissable aujourd'hui. L'investissement classique que garantit le Ducroire serait envisageable, mais il n'y a aucun dossier de demande de ce type.

M. Bernard de Gerlache de Gomery précise que la Chambre de commerce est demandeuse de nouveaux produits de la part du Ducroire, c'est-à-dire non des garanties de financements ou de crédits à l'exportation mais des garanties sur les investissements à réaliser dans les filiales au Congo. Ce serait des formes d'assurance aux nouveaux investissements faits à travers les filiales, soit en capital, soit en prêt.

M. Hostekint rappelle qu'avec les conflits internes de ces dernières années, Congo, Rwanda et Burundi figurent parmi les pays les plus pauvres du monde. Les besoins au niveau de la santé, de l'alimentation en eau potable, de l'enseignement, du logement, sont énormes. Comment la FEB peut-elle contribuer à y répondre ?

M. Tony Vandeputte répond que les travaux d'infrastructure, comme l'aménagement de routes ou de liaisons ferroviaires rencontrent les besoins primaires de la population sur place. Ce type de travaux doit aussi être soutenu financièrement par le gouvernement belge. Par contre, il ne faut pas attendre de la FEB qu'elle réponde à tous les besoins concrets sur le terrain. On soulignera quand même que, vu l'absence d'écoles, d'hôpitaux, beaucoup d'entreprises belges ont pris des initiatives pour que leurs employés bénéficient d'un minimum de formation et de soins de santé.

La présidente signale qu'il y a pour les entreprises des appels d'offres dans le cadre de la Banque mondiale et de l'Union européenne.

M. Bernard de Gerlache de Gomery ajoute qu'un montant de 470 millions de dollars est affecté à la tranche B de la Banque mondiale. Par ailleurs, parmi la centaine d'entreprises qui vont participer à la mission économique prochaine de la Belgique au Congo, figurent au moins une trentaine d'entreprises relevant du secteur médical ou de l'alimentation. Enfin, les entreprises belges au Congo ont créé leur propre hôpital dans lequel des investissements sont faits chaque année.

M. Galand évoque un problème de transparence du secteur bancaire en ce qui concerne les flux s'opérant entre l'Afrique centrale et nos pays. Les représentants congolais qui ont été entendus par la commission ont déclaré qu'ils faisaient tous leurs transferts par la Western Union. On sait que la génération Mobutu avait placé des fonds énormes à l'étranger, notamment en Afrique du Sud. Quels incitants envisage-t-on aujourd'hui pour qu'il y ait une clarification et un encouragement à ce que ces fonds retournent vers l'économie congolaise ?

M. Tony Vandeputte déclare qu'il faut être réaliste. Ce n'est pas un hasard si, dès le départ, la FEB a insisté sur la création d'un code d'éthique, pour arriver à ce que les règles du jeu soient les plus transparentes possible au niveau de l'administration comme du gouvernement. Mais il y a une marge entre cela et espérer récupérer des sommes qui ont été détournées de leur objectif il y a quinze ans.

La présidente trouve qu'il faudrait dépersonnaliser le problème et adopter une position au niveau international à l'égard des chefs de gouvernement qui s'en vont en laissant des problèmes financiers.

Mme Durant demande si le Ducroire ne pourrait pas jouer un rôle de protection en évitant de donner des garanties pour des exportations dans les pays voisins qui encouragent indirectement des filières sortant les richesses et matières premières du Congo.

M. Velge répond que le commerce d'armes auquel la membre pense principalement est régi en Belgique par des licences d'exportation. D'autre part, le Ducroire est une compagnie d'assurance-crédit qui a des concurrents en Belgique comme à l'étranger. On ne peut utiliser une entreprise dont le rôle spécifique consiste à couvrir des risques de non-paiement pour d'autres considérations qui dépassent ce que la société peut faire.

La très grande majorité des entreprises sont honnêtes. Si l'on veut utiliser le Ducroire pour empêcher que les autres entreprises ne fassent du commerce illicite via d'autres pays, elles trouveront d'autres voies. Parallèlement, on handicapera des entreprises légitimes pour des transactions normales et on handicapera le fonctionnement du Ducroire qui est une entreprise 100 % belge et rend des services appréciables à nos entreprises.

M. Bernard de Gerlache de Gomery souligne pour terminer que sur les cinq richesses du Congo, quatre sont destinées à l'exportation : le minier, l'agro-industriel, le forestier et l'énergie, la cinquième ressource potentielle étant le tourisme. Ces quatre secteurs doivent être pris en main par le secteur formel, pour avoir une garantie de bonne gestion et de bonne utilisation des fonds.

15. M. Athanassios Theodorakis, Conseiller hors classe, Commission européenne et M. A. Christiansen, chef d'unité pour l'Afrique centrale, de la DG développement de la Commission européenne

15.1. Exposés

La Commission européenne suit de très près l'évolution de la situation dans ces trois pays en raison des conséquences que celle-ci peut avoir sur la stabilité globale de la région des Grands Lacs. À ce titre, M. Theodorakis, nous avons salué avec enthousiasme les avancées positives vers la pacification durable qui ont eu lieu au cours de cette dernière année et je peux vous assurer que la Commission européenne, dans les limites de son mandat, ne ménage aucun effort afin de promouvoir cette dynamique positive.

Les relations entre l'Union européenne et la RDC sont régies par l'accord de Cotonou dont elle est signataire avec les autres pays du Groupe ACP. Cet accord prévoit que nos relations soient fondées sur un dialogue politique paritaire dans le respect des éléments essentiels liés à la protection des droits de l'homme et libertés fondamentales, des principes démocratiques de l'État de droit ainsi que sur des critères de bonne gouvernance.

Comme certains d'entre vous se souviendront, notre coopération officielle avec la RDC a connu une longue battue d'arrêts pendant toute la décennie des années 90, tout d'abord à cause des violations flagrantes dans le respect de droits de l'homme et des principes démocratiques par le régime du feu Président Mobutu et ensuite à cause de la guerre qui a secoué le pays et en a déterminé le partage du pays en trois grandes zones d'influence, situation qui a perdurée jusqu'aux accords intervenus à Pretoria en décembre 2002.

Néanmoins en dépit de la suspension officielle de la coopération, pendant toute cette période la Commission a été en mesure de rester présente dans le pays par le biais de programmes en faveur du secteur non gouvernemental dans le domaine de la santé, de l'infrastructure routière et de la relance de la production agricole ainsi que par une aide humanitaire substantielle dans les zones ravagées par la guerre. En excluant l'aide humanitaire, ces programmes, dont certains sont toujours en cours, représentent un montant de près de 160 millions d'euros.

Ce n'est qu'en février 2002, à la veille du Dialogue Intercongolais, que la Commission a renoué officiellement les relations de coopération avec la RDC par la signature du Programme indicatif 6e FED en tant que signe tangible d'encouragement de la Communauté européenne aux parties signataires de l'accord de Lusaka.

Néanmoins ce n'est que depuis la constitution du nouveau Gouvernement d'Unité Nationale en juillet 2003 que l'Union européenne et la Commission se sont résolument engagées à appuyer le processus de transition et ainsi que le rétablissement de la stabilité financière du pays.

À cet effet en septembre 2003, le Commissaire Nielson a autorisé la signature du Programme indicatif 9e FED pour un montant de 205 millions d'euros tandis que parallèlement les États membres ont confié à la Commission européenne une allocation supplémentaire de 105 millions d'euros en vue d'appuyer le processus électoral qui, d'ici deux ans, devra aboutir aux premières élections libres et transparentes du pays depuis son indépendance.

Actuellement pour atteindre ces objectifs, la Commission dispose d'un portefeuille global de projets qui avoisine les 0,7 milliards d'euros.

Les grandes lignes de la coopération présente et future de la Communauté européenne

Les grandes lignes de coopération présente et future de la Communauté européenne sont des actes d'encouragement d'un processus devant mener progressivement au rétablissement d'une paix irréversible et à la réinstauration d'un État congolais unitaire.

Pour la période de transition dans laquelle le pays s'est engagé, la stratégie d'appui à la RDC s'articule autour de deux axes dont les finalités correspondent aussi bien aux principes énoncés dans l'accord de Cotonou qu'aux orientations politiques à plusieurs reprises réitérées par l'Union européenne au sein du Conseil.

D'une part, la Communauté veut soutenir fermement la création d'un État de droit congolais dans une optique de développement durable, de stabilité et de paix pour le pays et la région des Grands Lacs.

D'autre part, dans l'objectif de réduction de la pauvreté et dans un souci de faire bénéficier la population congolaise des dividendes de la paix, la Communauté veut centrer ses activités sur les besoins urgents et de base des populations congolaises tels que la santé, la relance agricole et les infrastructures.

Pour la création d'un état de droit et le rétablissement des conditions minimales nécessaires au développement, la Communauté a dégagé trois priorités incontournables, qui sont partagées par l'État congolais et l'ensemble de la Communauté internationale. Il s'agit :

­ de la sécurisation du territoire;

­ de l'organisation d'élections libres et démocratiques dans les délais prévus par les accords;

­ et de la reconstruction d'un système judiciaire efficient.

Afin de réinstaurer le système sécuritaire, il est indispensable de réunifier effectivement le pays et de rétablir l'autorité de l'État.

Ceci passe par la démobilisation et la création successive d'une armée nationale restructurée et unifiée, adaptée aux besoins et aux possibilités de son maintien par le budget de l'État. Il apparaît donc essentiel d'avancer rapidement dans la mise en place du processus de démobilisation des ex-combattants et la réforme du système de police :

La Commission a versé 20 millions d'euros au fonds fiduciaire établi par la Banque mondiale pour la démobilisation et la réinsertion des ex-combattants en Afrique centrale et elle s'est engagée, avec les États membres à participer, à hauteur de 5 millions d'euros, à la mise en place de l'Unité de police intégrée, chargée de sécuriser la transition.

Le processus électoral est la deuxième priorité dans la transition. Une partie substantielle de l'allocation additionnelle de 105 millions d'euros pour la RDC sera affectée à cet effet si les conditions minimales de transparence, d'indépendance et de fiabilité pendant les différentes étapes de préparation du scrutin sont respectées. Par ailleurs la Commission est d'avis que le succès du processus électoral ne pourra être garanti que si celui-ci est conçu de manière simple, avec des techniques aisément utilisables et adaptées à la taille et aux capacités du pays.

Enfin, troisième priorité de la Communauté, la reconstruction du système judiciaire, indispensable pour lutter contre l'impunité et donc mener à une réconciliation durable. Dans ce domaine la Commission européenne agit à deux niveaux. Par une opération ponctuelle de remise en état de la chaîne pénale dans la ville de Bunia ainsi que par la mise en place d'une mission conjointe d'audit organisationnel du système judiciaire visant à établir un cadre d'intervention commun à tous les donateurs actifs dans ce secteur. Cette mission devrait aboutir à une coordination renforcée entre bailleurs de fonds et augmenter l'impact de leurs actions respectives.

Le deuxième axe d'intervention de la stratégie d'appui à la RDC concerne un appui direct à la population congolaise la plus nécessiteuse. Cet appui se traduit non seulement par de l'aide strictement humanitaire, mais aussi par de l'appui post conflit ou encore des projets de développement.

Pour ce qui est de l'aide humanitaire, en dépit des efforts que l'ensemble de la communauté internationale déploie pour la RDC, force est de constater que la situation humanitaire ainsi que la plupart des indicateurs sociaux restent catastrophiques. Le Congo détient depuis quelques années le malheureux record de premier pays bénéficiaire des allocations d'ECHO, notre office d'aide humanitaire, qui opère principalement dans la zone de front. En 2003 un total de 44 millions d'euros a été engagé pour des opérations en RDC tandis que pour 2004 un montant de 40 millions d'euros vient d'être alloué.

En ce qui concerne les projets de coopération, la Commission a déjà affecté des fonds d'un montant total de près de 166 millions d'euros pour des activités dans le domaine des infrastructures, de la santé et de la réhabilitation d'urgence principalement à l'Est du pays. Il s'agit d'une première tentative de relier l'urgence avec la réhabilitation et le développement là où les conditions de sécurité et accès le permettent.

Il s'agit notamment de réhabilitation routière à haute intensité de main d'oeuvre, de relance de la production alimentaire, de la fourniture de médicaments essentiels et d'eau potable, ainsi que d'autres services de base qui, mis à part leurs résultats directs, contribueront de manière substantielle au processus de pacification lié à la démobilisation et la réinsertion des ex-combattants.

Enfin, pour passer à ce qui est de l'intervention de la Commission européenne en appui à la stabilisation financière du pays.

En effet, afin que la RDC puisse respecter les conditions d'éligibilité à l'initiative PPTE, la Commission européenne n'a pas ménagé ses efforts afin de contribuer à une solution viable pour le traitement des arriérés avant la date du point de décision, qui a eu lieu le 23 juillet 2003.

Dans son rôle de donateur, la Commission a alloué 40 millions d'euros en dons non remboursables afin de permettre à la Banque africaine de développement de mettre en place son mécanisme mixte de paiement/rééchelonnement de la dette congolaise.

Tandis que, en tant que créancier privilégié, la Communauté européenne a apuré, par le biais du Programme indicatif national 9e FED, un montant de 106 millions d'euros correspondant aux arriérés dus par le Congo à la Communauté européenne et gérés par la BEI.

Il est donc indispensable que d'un côté le Gouvernement congolais s'engage résolument à faire avancer, dans les plus brefs délais, le processus de transition et que, d'un autre côté, la Communauté internationale et, en son sein, l'Union européenne veillent attentivement au bon déroulement du processus par la mise en oeuvre d'une politique commune à l'égard de la RDC aussi bien dans le domaine des relations extérieures que de coopération au développement.

16. M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères

16.1. Exposé

Le ministre Michel confirme que le processus de paix au Congo a indiscutablement progressé ces derniers temps.

Il y a un large consensus de toutes les forces politiques pour organiser l'État, entre autres, par l'enregistrement de la population. Cette méthode s'est avérée efficace au Mozambique. Une véritable inscription dans des registres de population demanderait trop de temps.

Ce processus de structuration de l'État est soutenu par l'ONU, et les experts belges sur place le soutiennent également.

Un planning en plusieurs phases a été prévu. Sa mise en oeuvre a malheureusement pris du retard. Il subsiste d'importants points de discussion. Le principal concerne la forme que devra adopter cette décentralisation. Sans doute procédera-t-on, à terme, à une fédéralisation, mais, à court terme, on risque un nouveau morcellement. C'est pourquoi le ministre est partisan d'une décentralisation administrative sur la base des anciennes provinces. Ce système est assez souple pour permettre d'intégrer les minorités et les groupes tels que le RCD-Goma. Il faut toutefois que la Belgique suive pas à pas les travaux du gouvernement transitoire.

Pour ce qui est du Burundi, il se dit optimiste. La conférence des pays donateurs a été un grand succès. Ici aussi la priorité est la reconstruction de l'État.

Un scrutin doit être organisé à propos de toutes les matières à débattre. Il faudra notamment organiser un référendum sur la nouvelle constitution. Les élections devront être pluralistes et s'inscrire dans le cadre d'un système multipartite.

Ce système ne sera pas idéal, mais il doit donner un fondement démocratique à la « normalisation ». Cette vision est d'ailleurs partagée par le président Kabila.

Il y a un certain retrait du Congo, ce qui détendra la situation. Il faudra consolider les choses au niveau rwandais.

Il ressort d'un entretien que le ministre a eu à Bruxelles avec le président Kabila que Kagame attend de Kabila qu'il prenne contact avec lui et qu'il fasse un geste de bonne volonté.

Le Congo n'a pas encore réagi. C'est sans doute parce que la population congolaise ne comprendrait pas un rapprochement officiel avec le Rwanda au stade actuel.

La région ne pourra pas être vraiment stabilisée tant qu'il faudra tenir compte d'un grand risque d'opposition et de mécontentement internes.

La France pourrait jouer un rôle dans le cadre des efforts de stabilisation de la région, mais elle n'a pas encore fait part officiellement de ses intentions.

De son côté, le ministre Michel a eu des entretiens dans cette optique avec entre autres Kabila et Bemba (moins qu'avec le RCD-Goma), avec la société civile et avec l'opposition.

En ce qui concerne la formation de la brigade, tout se passe normalement.

Il s'agit d'un effectif de 3 000 hommes et il existe un projet d'association d'autres pays européens.

Il ne faut pas oublier que 120 000 hommes armés doivent quitter l'armée pour réintégrer la vie civile.

La Banque mondiale n'a pas de norme en la matière, mais elle oeuvrera dans une perspective de développement dans le cadre du programme DDRR qui tarde toutefois à démarrer.

Si l'argent n'est pas encore disponible, c'est à cause de réflexes plutôt bureaucratiques de la Banque mondiale.

Du coup, il y a un autre problème, du fait que l'on ne peut pas payer la solde des militaires de la nouvelle force. Cela crée une situation explosive. Ce problème a été porté à la connaissance du secrétaire générale de l'ONU.

À cela s'ajoute un problème qui vient de la présence d'un grand nombre d'hommes armés qui ne sont pas enregistrés comme des soldats. Il faudrait dégager des moyens pour promouvoir le désarmement en rachetant les armes de ces personnes.

M. Galand se dit préoccupé par la situation à Bukavu. Il y existe un sérieux risque d'explosion. Le ministre Michel sait-il qui se trouve derrière la RDC ?

Il souhaite en outre formuler quelques réflexions sur la décentralisation. Il demande que l'on tienne compte, pour atteindre ce but, des besoins réels de la population. Le schéma est trop bureaucratique et l'UE se montre beaucoup trop hésitante.

Le ministre répond que les Rwandais se sont retirés, mais qu'un certain nombre d'entre eux sont encore en latence sur le terrain. Ils ne se montrent pas tous coopératifs et certains sont mécontents.

La situation à Bukavu reste préoccupante. Le RCD Goma abuse du recensement pour retarder le processus de normalisation.

En ce qui concerne la décentralisation, il partage l'avis de M. Galand. Il faut aller vite. Les sommes nécessaires sont disponibles, mais elles sont bloquées à Kinshasa, au niveau de l'état-major général.

Á ce propos, le ministre est en désaccord avec le commissaire européen Paul Nielsen, qui n'a qu'une vue théorique de la situation et qui ne semble pas se rendre compte de l'urgence de celle-ci. Par contre, l'opinion de M. Chris Patten est beaucoup plus proche de celle du ministre.

M. Hostekint rappelle que la Belgique a une responsabilité historique et morale à l'égard de ses anciennes colonies.

Ces trois pays ont accumulé entre-temps une dette à la fois bilatérale et multilatérale considérable. La Belgique envisage-t-elle d'accorder une remise de dette, d'une manière ou d'une autre ?

Ne vaudrait-il pas mieux que l'aide à ces pays s'organise à petite échelle, plutôt que par le biais de mégaprojets ? L'intervenant pense par exemple à l'enseignement, à l'agriculture, à la lutte contre le sida, etc.

D'autre part, les régions et les communautés sont désormais compétentes en matière de coopération au développement. Le gouvernement n'envisage-t-il pas de défédéraliser intégralement cette matière ?

Pour ce qui est de l'assistance militaire, notre pays est à nouveau engagé au Congo. Le gouvernement tient-il bien compte des recommandations de la commission Rwanda ? À cet égard, les paras sont-ils l'unité la plus appropriée ? Quelle est du reste la vision du gouvernement sur la présence militaire belge en Afrique centrale ?

Mme de Bethune revient à la problématique de la remise de la dette. Cette remise doit-elle se faire de manière bilatérale ou multilatérale ?

En ce qui concerne la formation militaire, elle constate que la collaboration prendra fin cet été. Qu'en est-il de la continuité et du follow-up, surtout en ce qui concerne la police et l'armée ? Elle estime que des mesures de soutien et d'accompagnement sont indispensables à cet égard.

Enfin, elle souligne la nécessité d'une bonne administration. Comment le processus de démocratisation est-il encadré sur ce plan ?

Elle lance un appel à de nouveaux investissements et suggère l'adoption d'un code de l'investissement et d'un code de conduite pour de bonnes relations commerciales internationales.

Mme Durant constate que la démilitarisation et la démobilisation est en cours. Selon ce qui a été dit, 10 % seront repris dans l'armée régulière. Que se passera-t-il avec les autres ?

Fera-t-on quelque chose pour arrêter le pillage des ressources ?

Il y a un problème en ce qui concerne l'accueil des Africains en Belgique. Les avatars de quelques citoyens congolais à l'aéroport de Zaventem démontrent qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire pour accueillir de façon décente des Africains qui viennent en Belgique pour faire du commerce.

Qu'en est-il de la Conférence des Grands Lacs ?

Le ministre déclare qu'en ce qui concerne la dette bilatérale, la Belgique a déjà consenti de nombreux efforts, ce que le Congo apprécie au plus haut point.

Pour ce qui est de la dette multilatérale, la Belgique a toujours plaidé en faveur d'une remise, notamment à l'occasion des conférences de Monterrey et de Johannesburg.

Elle n'a bénéficié d'aucun appui en la matière. La France, par exemple, n'est pas du tout d'accord. De ce fait, aucun projet concret n'a été mis en chantier.

Par ailleurs, la Belgique a toujours préconisé d'assujettir une remise de dettes, quelle qu'elle soit, à des conditions strictes. Ces conditions sont de nature sociale et requièrent une reconstruction efficace de l'appareil étatique.

En ce qui concerne l'aide à accorder aux projets à petite échelle, le ministre émet des réserves. S'il est vrai qu'il se réjouit de leur existence, il ne peut toutefois que constater qu'il faut une démarche globale permettant de régler tous ces projets dans leur ensemble. Une approche transversale est nécessaire. Lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux grands problèmes, comme la réforme de la justice et de l'administration, les projets morcelés sont inefficaces. La Belgique doit pouvoir apporter sa participation à de grands travaux d'infrastructure, sans quoi d'autres pays s'en chargeront. Il faut bien entendu soumettre cette participation à certaines conditions.

Pour ce qui est de l'aide au développement mise sur pied par les communautés, le ministre respecte les priorités. Il estime par exemple que la Communauté flamande a bien fait de sélectionner l'Afrique du Sud, puisqu'il est impératif, sur le plan stratégique, d'entretenir de bonnes relations avec ce pays. Ce n'est pas sans raison que la diplomatie belge se concentre sur ce pays. Sans l'Afrique du Sud, il est impossible de mener une politique africaine.

Il est vrai que les régions disposent de l'autonomie, mais le ministre est toujours partisan d'une coopération.

En réponse à la question relative à la formation militaire et à sa durée, il rappelle que la Belgique est actuellement chargée de former une brigade de 3 000 hommes.

On évaluera ensuite si cette initiative doit être poursuivie. Cela ne pourra toutefois se faire qu'à la demande du Congo, et pour autant que les moyens nécessaires soient octroyés.

Tant le Congo que les Nations unies étaient demandeurs. Si le projet réussit, il n'est pas exclu que d'autres pays collaborent, comme le Japon, la France et le Canada.

En ce qui concerne les pratiques de bonne gouvernance, on créera un groupe Congo/Belgique, qui oeuvrera à l'établissement d'un code d'investissement à l'intention des entreprises, dans le but d'éviter la double imposition, à la valorisation des richesses naturelles du Congo, et au règlement des litiges commerciaux par le recours à l'arbitrage.

Cela le mène à la question du pillage des richesses naturelles. Cette question a fait l'objet d'une entrevue avec M. Kabila. Il n'est pas évident d'élaborer un système de contrôle perfectionné. Il faut tendre vers un mécanisme qui permette de veiller au respect de certaines règles de base.

En ce qui concerne l'accueil des Congolais en Belgique, il est nécessaire de constater que si certains ne peuvent entrer, c'est dû au fait qu'ils ne sont pas là conformément aux règles en vigueur.

En ce qui concerne la conférence des Grands Lacs, il n'y a pas encore de consensus sur la forme d'organisation et autres questions essentielles, comme le rapport avec la conférence I Fall, qui est un préambule à la Nepad.

La Nepad perd de l'influence, à son tour, à défaut de projets dans le domaine de l'infrastructure et de la télécommunication.

La Belgique soutient la composition d'I Fall, mais ceci n'est pas nécessairement bien perçu par les Africains.

Mme Durant souhaite qu'il y ait un comité de suivi et d'interface qui prévoie une implication plus grande de la Belgique au niveau législatif et exécutif.

Le ministre trouve cette idée intéressante, mais estime qu'on a besoin d'un organe interparlementaire avec les régions, les communautés, la Chambre et le Sénat, doté d'un groupe de suivi du processus.

Il faut donc débattre de la matière, entre autres sur la prévention des conflits.

Soixante pour cent de ces budgets vont à l'Afrique centrale, dont les 3 anciennes colonies, ainsi que l'Ouganda et l'Angola.

Il faut assurer la continuité, avec une structure qui englobe des personnes qui se sont concertées, et non seulement avec des parlementaires.

Il s'agit d'une action de très grande envergure, alors qu'il n'y a toujours pas de contrôle du territoire.

Ce processus devra être en outre assorti de l'aide d'une pléiade de fonctionnaires.

M. Galand a le sentiment que la Belgique ne peut assumer pleinement ces missions, et demande qu'elle joue son rôle de leadership dans la coordination, ce qui permettra d'aboutir.

Le ministre indique qu'on ne sait pas faire plus. La Banque mondiale a conçu les DDRR.

L'armée est passée de 300 000 à 120 000 (ce qui demeure impressionnant).

Les Africains font confiance au processus tel qu'il se déroule. Ils sont présents sans être hyperactifs, et sont plutôt attentistes.

C'est pourquoi une certaine pression a été exercée sur M. Kagame.

17. M. Prosper Sendwe, auteur de « La loi fondamentale belge du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo ­ Pour un Commonwealth entre le Congo, le Rwanda, le Burundi et la Belgique » (mai 2003)

Le pasteur Prosper Sendwe a développé le point de vue de l'École africaine de Bruxelles (3) et du Comité pour l'avènement d'un Commonwealth entre le Congo, le Rwanda, le Burundi et la Belgique (CRBB).

Le pasteur Sendwe se réfère à son étude juridique de la loi fondamentale belge du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo. Il reconnaît dans cette loi trois fonctions principales : il s'agit d'une loi spéciale belge et d'une constitution pour la transition en République démocratique du Congo. C'est également une base constitutionnelle pour l'avènement d'un Commonwealth entre quatre états souverains, à savoir le Royaume de Belgique, la République démocratique du Congo, la République du Rwanda et la République du Burundi.

Quelle actualité comporte pour nous une telle loi, promulguée il y a quarante-trois ans et depuis tombée pratiquement en désuétude ?

Le pasteur Sendwe reconnaît que ni en Belgique, ni au Congo, cette loi n'a été abrogée conformément aux formes substantielles prévues : elle est donc toujours valide.

Ensuite, il examine l'intérêt de cette loi. Il constate que la République démocratique du Congo, dans ses frontières du 30 juin 1960, est la création de cette loi.

Il remarque que celle-ci comporte un programme de formation de l'État congolais et de consolidation de son indépendance. La République démocratique du Congo ne pourra être définitivement et complètement indépendante qu'à l'issue du processus fixé par la loi fondamentale, qui consiste en la mise en vigueur de la Constitution définitive, élaborée, adoptée et promulguée selon les formes substantielles prévues.

M. Sendwe constate que le coup d'État du Colonel Joseph-Désiré Mobutu du 14 septembre 1960, en neutralisant les principaux acteurs congolais prévus par la loi fondamentale, a ruiné définitivement toute la légalité au Congo. Depuis lors, le pouvoir n'a plus été exercé qu'à la suite de coups de force successifs. Du point de vue juridique, la République démocratique du Congo est en transition depuis le 30 juin 1960 en attente d'une Constitution congolaise définitive et cette transition légale n'est pas à confondre avec les multiples périodes transitoires que l'on connaît depuis le 14 septembre 1960.

La loi fondamentale du 19 mai 1960 est également d'actualité parce que, d'après l'étude du pasteur Sendwe, elle fournit la base constitutionnelle de l'établissement d'un Commonwealth entre les quatre États souverains de Belgique, du Congo, du Rwanda et du Burundi. D'après le pasteur Sendwe, les troubles, les guerres et les massacres génocidaires qu'ont connus au cours des quarante dernières années les régions d'Afrique centrale s'expliquent sans doute par l'absence d'un cadre institutionnel regroupant les quatre États, historiquement et longtemps unis, que sont la Belgique, le Congo, le Rwanda et le Burundi. Pourtant, la loi fondamentale, en parlant d'unions à établir entre ces États, prévoie un tel cadre. Deux fois, au Parlement belge, en mai 1984 et en mai 1986, le projet d'un Commonwealth à établir entre la Belgique, le Congo, le Rwanda et le Burundi, a été évoqué. Le pasteur Sendwe pense que cette double évocation n'a pas été suivie d'effet durable, parce qu'elle ne se référait pas aux dispositions pertinentes prévues par la loi fondamentale du 19 mai 1960.

Dans l'intérêt mutuel des peuples belge, congolais, rwandais et burundais, et tenant compte du capital historique de sympathie entre ces peuples, le pasteur Sendwe estime que les différents contentieux historiques, financiers et autres pourront sereinement et harmonieusement être résolus dans le cadre d'un Commonwealth entre les quatre États, tel que prévu par la loi fondamentale. Dans ce contexte, la Communauté chrétienne d'Auxiliaires pour l'Université africaine (CAUA) a contribué, depuis le 1er juillet 1998, à l'établissement d'un « Comité pour l'avènement d'un Commonwealth Congo-Rwanda-Burundi-Belgique », en abrégé « Comité CRBB ».


(1) Composantes et Entités du Dialogue intercongolais, parties au présent accord : le gouvernement de la République Démocratique du Congo, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le Mouvement de Libération du Congo (MLC), l'Opposition politique, les Forces vives, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Mouvement de Libération (RCD/ML), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/National (RCD/N), les Mai-Mai;

(2) À titre d'illustration, en 2000 la production de la Gécamines était de 16 fois moins élevée qu'en 1989.

(3) Programme d'études et de recherches scientifiques de la Communauté chrétienne d'Auxiliaires pour l'Université africaine (CAUA).