3-198/1

3-198/1

Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003

2 SEPTEMBRE 2003


Proposition de loi abrogeant l'article 150 du Code des impôts sur les revenus 1992, en ce qui concerne la réduction pour pensions, revenus de remplacement, prépensions, allocations de chômage et indemnités légales en matière d'assurance contre la maladie et l'invalidité

(Déposée par M. Hugo Vandenberghe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 19 mai 2000 (doc. Sénat, nº 2-444/1 ­ 1999/2000).

La loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre a non seulement réformé mais aussi diminué l'impôt des personnes physiques. Le relèvement du minimum exonéré pour les isolés, la fixation d'un taux marginal maximum d'imposition, l'uniformisation de la déduction fiscale, l'indexation des tranches de revenus et l'introduction du système du quotient conjugal en furent les principaux éléments de réforme.

Cette réforme n'a, toutefois, pas été complète. Elle a laissé subsister plusieurs discriminations. Par conséquent, la réforme fiscale de 1988 n'est pas tout à fait neutre à l'égard du mariage. Celui-ci continue même à être pénalisé dans une certaine mesure. Les pensionnés, les prépensionnés et les malades mariés subissent une discrimination par rapport aux cohabitants. Les allocations de chômage, les pensions, les prépensions, les indemnités de maladie ou d'accident et une série d'autres indemnités que la loi classe parmi les « revenus de remplacement » donnent droit à diverses déductions qui varient non seulement en fonction de la nature de ces revenus et de leur importance par rapport à l'ensemble des revenus, mais aussi et surtout suivant que leurs ayants droit sont des personnes mariées ou des cohabitants de fait. Il est curieux que l'on ait laissé subsister un vestige de l'ancien système en dépit de la modification fondamentale des modalités de calcul de l'impôt. Cette situation rend les choses particulièrement difficiles.

Pour calculer les déductions, l'on pratique le cumul de ce type de revenus. En conséquence, la réforme pèche contre ses propres principes de base.

C'est ainsi que l'on continue à cumuler les pensions et les autres revenus de remplacement dont bénéficient les contribuables mariés en vue de déterminer le revenu commun imposable, alors que les revenus professionnels des salariés mariés font l'objet d'un traitement fiscal séparé. En d'autres termes, la logique du décumul des revenus professionnels n'a pas été étendue totalement aux couples mariés dont les revenus se composent uniquement de pensions et d'autres revenus de remplacement, ce qui fait que les contribuables mariés ne bénéficient que d'une seule réduction de leur impôt de base pour les pensions et les autres revenus de remplacement qu'ils touchent, alors que les contribuables cohabitants bénéficient chacun d'une réduction.

La base légale sur laquelle repose la distinction qui précède figure à l'article 150 du CIR 1992 (Sous-section III - Réduction pour pensions et revenus de remplacement) qui prévoit que « lorsque la cotisation est établie au nom des deux conjoints et que ceux-ci bénéficient chacun de revenus, ces revenus sont cumulés par espèce et par catégorie pour déterminer la réduction prévue par la présente sous-section ».

Ce cumul est désavantageux à deux points de vue. Tout d'abord, parce que les déductions en question ne peuvent être appliquées qu'une seule fois dans le cas de personnes mariées bénéficiant d'un revenu de remplacement. Ensuite, parce que le montant des déductions est réduit lorsque les revenus cumulés des deux conjoints dépassent un certain plafond. Deuxièmement, la tranche est différente pour l'une et l'autre catégories de revenus. Il s'agit du dernier « bastion » du cumul qui fait que les chômeurs, les (pré)pensionnés et les personnes frappées d'incapacité de travail continuent à avoir intérêt à cohabiter sans être mariées.

Prenons l'exemple d'un couple marié de pensionnés dont le mari a un revenu de 400 000 francs et la femme un revenu de 300 000 francs. Ils paieront ensemble 45 149 francs d'impôt (revenus de 1999, exercice d'imposition 2000), en tant que couple.

En supposant qu'ils soient non pas mariés, mais seulement cohabitants, ils paieront ensemble 0 franc, soit 45 149 francs de moins que s'ils étaient mariés.

Présentation schématique :

Exercice d'imposition 2000/Revenus de 1999

Homme
­
Man
Femme
­
Vrouw
Pensions. ­ Pensioenen 400 000 300 000
Revenu net. ­ Netto inkomen 400 000 300 000
Revenu imposable globalement : revenus de remplacement + pensions. ­ Gezamenlijk belastbaar inkomen : vervangingsinkomsten + pensioenen 400 000 300 000
Revenu imposable globalement. ­ Gezamenlijk belastbaar inkomen 400 000 300 000
Revenu imposable globalement du ménage. ­ Gezamenlijk belastbaar inkomen gezin 700 000
Couple marié. ­ Gehuwd echtpaar.
Montant exonéré d'impôts. ­ Belastingvrije som 164 000 164 000
Impôt sur le revenus. ­ Belasting op inkomen 113 350 77 250
Impôt de base. ­ Basisbelasting 108 600
Réduction pour revenus de remplacement. ­ Vermindering vervangingsinkomsten - 67 925
Impôt de base réduit. ­ Verminderde basisbelasting 40 675
Taxe communale : 8 % de 40 675. ­ Gemeentebelasting : 8 % op 40 675 3 254
Cotisation complémentaire de crise : 3 % de 40 675. ­ Aanvullende crisisbijdrage : 3 % op 40 675 1 220
À payer. ­ Te betalen 45 149

Conformément à l'article 154 CIR, les cohabitants ne sont redevables d'aucun impôt « lorsque le revenu se compose exclusivement de pensions et de revenus de remplacement et que le total de ces revenus n'excède pas le montant maximum de l'allocation légale de chômage, non compris le complément d'ancienneté octroyé aux chômeurs âgés ».

Pour l'exercice d'imposition 1999, aucun impôt n'est dû si les revenus n'excèdent pas 420 046 francs. Pour l'exercice d'imposition 2000, ce montant sera d'environ 425 000 francs.

Concrètement, cela signifie que la réduction d'impôt dont bénéficie un pensionné s'amenuise lorsque son conjoint bénéficie de revenus. Pour les bénéficiaires de revenus de remplacement, le mariage reste donc très défavorable du point de vue fiscal.

Cette discrimination aux dépens des bénéficiaires de revenus de remplacement est d'autant plus injuste qu'elle frappe un groupe, en principe, vulnérable et, qui plus est, qu'à l'intérieur de ce groupe, les personnes dont les revenus sont les moins élevés subissent la discrimination proportionnellement la plus forte par rapport aux cohabitants de fait. Il faut noter, au demeurant, qu'il ne s'agit pas d'un désavantage unique, puisque la différence d'imposition se répète chaque année.

Nature des revenus
­
Aard van de inkomsten
Réduction maximale de l'impôt
­
Maximale belastingvermindering
Isolés
­
Alleenstaanden
Mariés
­
Gehuwden
I. Pensions, revenus de remplacement (autres que ceux qui sont visés au II et au III) et prépensions (nouveau régime allocations de chômage). ­ Pensioenen, vervangingsinkomsten (andere dan die vermeld onder II en III hierna) en brugpensioenen (nieuw stelsel werkloosheidsuitkeringen) :
Exercice d'imposition 1989. ­ Aanslagjaar 1989 59 964 59 964
Exercice d'imposition 1990. ­ Aanslagjaar 1990 51 299 60 049
Exercice d'imposition 1991. ­ Aanslagjaar 1991 53 845 62 845
Exercice d'imposition 1992. ­ Aanslagjaar 1992 55 744 64 994
Exercice d'imposition 1993. ­ Aanslagjaar 1993 57 303 66 803
Exercice d'imposition 1994. ­ Aanslagjaar 1994 59 653 69 653
Exercice d'imposition 1995. ­ Aanslagjaar 1995 59 653 69 653
Exercice d'imposition 1996. ­ Aanslagjaar 1996 59 653 69 653
Exercice d'imposition 1997. ­ Aanslagjaar 1997 59 653 69 653
Exercice d'imposition 1998. ­ Aanslagjaar 1998 59 653 69 653
Exercice d'imposition 1999. ­ Aanslagjaar 1999 59 653 69 653
Exercice d'imposition 2000. ­ Aanslagjaar 2000 60 223 70 318
II. Indemnités légales de maladie et d'invalidité ­ Wettelijke uitkeringen bij ziekte en invaliditeit :
Exercice d'imposition 1989. ­ Aanslagjaar 1989 74 361 74 361
Exercice d'imposition 1990. ­ Aanslagjaar 1990 66 249 74 999
Exercice d'imposition 1991. ­ Aanslagjaar 1991 69 355 78 355
Exercice d'imposition 1992. ­ Aanslagjaar 1992 71 798 81 048
Exercice d'imposition 1993. ­ Aanslagjaar 1993 73 826 83 326
Exercice d'imposition 1994. ­ Aanslagjaar 1994 76 575 86 575
Exercice d'imposition 1995. ­ Aanslagjaar 1995 76 575 86 575
Exercice d'imposition 1996. ­ Aanslagjaar 1996 76 575 86 575
Exercice d'imposition 1997. ­ Aanslagjaar 1997 76 575 86 575
Exercice d'imposition 1998. ­ Aanslagjaar 1998 76 575 86 575
Exercice d'imposition 1999. ­ Aanslagjaar 1999 76 575 86 575
Exercice d'imposition 2000. ­ Aanslagjaar 2000 77 306 87 402
III. Prépensions (ancien régime) ­ Brugpensioenen (oud stelsel) :
Exercice d'imposition 1989. ­ Aanslagjaar 1989 98 316 98 316
Exercice d'imposition 1990. ­ Aanslagjaar 1990 90 494 99 244
Exercice d'imposition 1991. ­ Aanslagjaar 1991 85 296 104 296
Exercice d'imposition 1992. ­ Aanslagjaar 1992 99 543 108 793
Exercice d'imposition 1993. ­ Aanslagjaar 1993 103 615 113 115
Exercice d'imposition 1994. ­ Aanslagjaar 1994 108 016 118 016
Exercice d'imposition 1995. ­ Aanslagjaar 1995 108 016 118 016
Exercice d'imposition 1996. ­ Aanslagjaar 1996 108 016 118 016
Exercice d'imposition 1997. ­ Aanslagjaar 1997 108 016 118 016
Exercice d'imposition 1998. ­ Aanslagjaar 1998 108 016 118 016
Exercice d'imposition 1999. ­ Aanslagjaar 1999 108 016 118 016
Exercice d'imposition 2000. ­ Aanslagjaar 2000 109 047 119 143

Dans le cadre du plan global, le gouvernement a décidé à l'époque de geler les montants des réductions d'impôt au niveau qu'ils avaient atteint à la fin de l'exercice 1994 et de les inscrire dans le CIR 1992. Néanmoins, l'exonération de fait en faveur des contribuables qui bénéficient exclusivement d'un revenu de remplacement limité est maintenue. L'article 11 de la loi du 30 mars 1994 portant exécution du plan global en matière de fiscalité remplace l'article 147 du CIR 1992 et prévoit la fixation des montants des réductions de l'impôt dans le Code des impôts sur les revenus. Si l'on multiplie les montants figurant au CIR 1992 (art. 147) par le coefficient 1,0998, en application de l'article 178, § 3, CIR 1992, l'on obtient les montants qui étaient applicables pour l'exercice 1994 et qui valent donc aussi pour les exercices fiscaux à venir.

Au cours de la discussion de la loi du 7 décembre 1988 portant réforme de l'impôt sur les revenus et modification des taxes assimilées au timbre, le problème a été soulevé tant à la Chambre qu'au Sénat. Le gouvernement en a reconnu la réalité par la voix du ministre des Finances. S'il a renoncé à éliminer cette discrimination, c'est uniquement en raison du coût budgétaire d'au moins 16 milliards de francs auquel il aurait fallu faire face (voir rapports de la commission des Finances, doc. Sénat, 1988-1989, nº 440-2, p. 91, et doc. Chambre, 1988-1989, nº 597-7, p. 8).

Le 1er juillet 1991, le ministre des Finances a défini son point de vue dans une lettre adressée à un contribuable, et ce dans les termes suivants :

« Cette pénalisation est antérieure à la réforme fiscale, puisqu'elle existe depuis le remplacement des abattements sur revenus par des déductions d'impôt ... Personnellement, je trouve cela regrettable, car on maintient une situation inéquitable. Je suis décidé à relancer la discussion dès que la situation budgétaire le permettra. »

Le 3 juin 1992, MM. De Roo, Geens et Wintgens ont déposé au Sénat une proposition de loi (doc. Sénat, nº 374-1, SE 1991-1992) abrogeant l'article 150 du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne la réduction pour pensions, revenus de remplacement, prépensions, allocations de chômage et indemnités légales en matière d'assurance contre la maladie et l'invalidité. Une première discussion relative à cette proposition de loi a eu lieu le 20 janvier 1993. Elle a été suspendue au mois de mai de cette année-là en raison des répercussions budgétaires que la loi proposée aurait eues. La commission des Finances du Sénat chargea le ministre des Finances de chiffrer les conséquences budgétaires de la loi proposée. Étant donné que la loi proposée aurait eu un impact budgétaire important au cas où elle aurait été votée, le ministre fut invité à examiner la possibilité d'appliquer progressivement la mesure en question aux diverses catégories de revenus de remplacement. La commission des Finances du Sénat n'a pas été informée des résultats de l'étude par le ministre des Finances.

Le 13 décembre 1996, MM. Vandenberghe, Bourgeois et Olivier ont déposé, au Sénat, une proposition de loi (nº 1-500/1) abrogeant l'article 150 du Code des impôts sur les revenus 1992, en ce qui concerne la réduction pour pensions, revenus de remplacement, prépensions, allocations de chômage et indemnités légales en matière d'assurance contre la maladie et l'invalidité. Cette proposition de loi a été transmise, le 9 janvier 1997, à la commission des Finances et des Affaires économiques, qui ne l'a toutefois pas examinée.

Dix ans plus tard, rien n'a encore été fait pour éliminer cette discrimination. La présente proposition de loi, qui trouve son origine dans les propositions de loi De Roo et consorts et Vandenberghe et consorts, vise à étendre le bénéfice des avantages du décumul aux prépensionnés, aux pensionnés, aux chômeurs et aux personnes qui bénéficient d'un revenu qui leur est alloué dans le cadre de l'assurance maladie-invalidité.

Hugo VANDENBERGHE.
Ludwig CALUWÉ.
Mia DE SCHAMPHELAERE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 150 du Code des impôts sur les revenus 1992, remplacé par la loi du 10 août 2001, est abrogé.

Art. 3

La présente loi entre en vigueur à partir de l'exercice d'imposition 2004.

21 juillet 2003.

Hugo VANDENBERGHE.
Ludwig CALUWÉ.
Mia DE SCHAMPHELAERE.