2-1202/1

2-1202/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

27 MARS 2003


L'impact du SIDA sur les femmes


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR MMES de BETHUNE ET KAÇAR


I. INTRODUCTION

Le 19 février 2002, le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du Sénat et le Comité d'avis pour l'émancipation sociale de la Chambre ont assisté à la projection d'un film documentaire « Staphie » illustrant l'impact du sida sur la vie des femmes au Botswana. Ce film était présenté par Mme Goedele Liekens, ambassadrice du Fonds des Nations unies pour la population et porte-parole en Flandre de la campagne « Face to face ». Cette campagne internationale du Fonds des Nations unies pour la population et de l'International Planned Parenthood Federation, vise à faire reconnaître dans le monde entier les droits de la femme au même titre que ceux de l'homme.

Pour compléter son information, le Comité d'avis pour l'égalité des chances du Sénat a ensuite invité des spécialistes de la lutte contre le sida à venir exposer la situation actuelle en Belgique et dans le monde (II). Ces auditions ont été l'occasion d'aborder la lutte contre le sida dans le contexte plus large de la problématique de la santé reproductive et sexuelle des femmes dans le monde.

Les travaux se sont poursuivis par une rencontre, le 14 janvier 2003, avec des experts, collaborateurs de M. E. Boutmans, secrétaire d'État à la Coopération au développement. Au cours de cette réunion, les experts ont expliqué la politique actuelle de la Belgique dans le domaine de la lutte contre le sida dans les pays en voie de développement (III).

Enfin, sur base de toutes les informations recueillies et s'inspirant de pistes proposées lors des différentes auditions, le Comité d'avis a élaboré des recommandations à l'intention du gouvernement, qu'il a adoptées le 27 mars 2003.

II. AUDITIONS

II.1. Audition de Mme A. Buvé, médecin à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers, unité de recherche et d'intervention sur le sida

II.1.a. Exposé de Mme A. Buvé

Médecin spécialisée en épidémiologie, Mme A. Buvé est directrice-adjointe de l'unité de recherche et d'intervention sur le sida à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers. Cette unité s'occupe de recherche épidémiologique sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles.

L'Afrique subsaharienne constitue le terrain d'action privilégié de l'unité de recherche. Depuis quelques années, en outre, des activités sont en cours au Cambodge.

En Afrique subsaharienne, l'épidémie de sida est due à des transmissions hétérosexuelles dans plus de 90 % des cas. C'est l'inverse en Belgique où la majorité des cas de séropositivité chez les Belges sont provoqués par des relations homosexuelles. Au sein des immigrés d'Afrique subsaharienne, toutefois, on retrouve le même modèle qu'en Afrique, à savoir une transmission principalement causée par des rapports hétérosexuels. Près de la moitié des cas de séropositivité en Belgique concernent ces immigrés.

Si les constats que l'on peut faire au sujet de l'Afrique ont un caractère extrême et doivent être replacés dans le contexte africain, il semble néanmoins possible d'en tirer des leçons générales. Il y a peu, le déséquilibre entre les sexes dans les statistiques relatives au sida était encore important en Belgique.

1. Quelques données épidémiologiques.

À la fin de l'année 2001, le nombre de cas de contamination du sida dans le monde était estimé à 40 millions, dont 28 millions répertoriés en Afrique subsaharienne. Cela signifie que pratiquement 70 % des cas concernent un continent habité par 10 % de la population mondiale.

Outre le fait que la transmission du sida y est essentiellement causée par des relations hétérosexuelles, l'épidémie de sida en Afrique présente les caractéristiques suivantes :

­ 58 % des personnes contaminées sont des femmes.

­ 9 % des adultes en Afrique seraient infectés, soit près d'une personne sur dix.

­ Le nombre important de femmes séropositives entraîne une contamination considérable chez les enfants. En 2001, on évaluait à 700 000 le nombre de nouveaux cas d'infection chez les enfants de moins de quinze ans.

­ Une étude comparative dans quatre villes [Cotonou au Bénin et Yaoundé au Cameroun (Afrique occidentale), et Kisumu au Kenya et Ndola en Zambie (Afrique orientale)] montre un taux de contamination des femmes plus élevé dans trois villes sur les quatre. Le contraste est particulièrement important à l'est où environ 20 % des hommes âgés de 14 à 49 ans sont séropositifs contre 30 % de femmes. À Yaoundé, le pourcentage est moins grand : 4 % d'hommes contre 7 % de femmes.

2. Les jeunes femmes.

Un regard sur la situation dans quatre villes d'Afrique (Yaoundé, Kisumu, Ndola et Carletonville) montre que la prévalence du sida chez les femmes âgées de 15 à 24 ans est trois fois supérieure à celle de la maladie chez les hommes du même âge. A Ndola par exemple, elle est de 35 % chez les femmes contre 10 % chez les hommes. Or, ces jeunes femmes vont fonder une famille, elles sont à l'aube de leur vie sexuelle.

Pourquoi cette situation ? Il n'apparaît pas que les jeunes femmes aient une vie sexuelle plus intense que les jeunes hommes, ni qu'elles aient davantage de partenaires sexuels. Mais il est évident que les femmes sont plus vulnérables au virus du sida pour des raisons biologiques et sociales.

Sur le plan biologique, on constate que le risque de transmission est plus grand de l'homme vers la femme qu'inversément. L'un des facteurs qui jouerait un rôle en l'occurence est l'herpès génital. Au Kenya, par exemple, on a observé que 40 % des jeunes femmes infectées souffraient d'herpès génital. Ces femmes ont donc régulièrement de petites lésions vaginales qui augmentent les risques de transmission du sida. Les hommes souffrent beaucoup moins d'herpès.

Une autre hypothèse a trait à la vulnérabilité d'un appareil génital immature, lorsque les filles commencent très jeunes leur vie sexuelle.

En ce qui concerne le contexte social, les femmes et a fortiori les jeunes filles ne sont pas en position de refuser des rapports sexuels. Dès lors, de très jeunes filles ont souvent des relations sexuelles avec des hommes plus âgés qui sont déjà séropositifs.

Autre facteur, les femmes « convenables » sont censées ne rien savoir de la sexualité et rester passives. Elles ne sont pas supposées avoir des condoms et ne peuvent pas davantage en demander l'utilisation.

Les femmes sont dépendantes sur le plan économique. À défaut de contrainte physique, l'argent et les cadeaux sont utilisés pour les convaincre d'avoir des rapports sexuels. D'un point de vue anthropologique, il s'agit là d'un schéma classique, même s'il prend des formes moins extrêmes chez nous.

Dépendantes de leur mari, il est aussi difficile pour les femmes mariées de se soustraire à une relation à risques. Même si elles savent que leur mari commet des infidélités, elles n'osent aborder le sujet du risque de contamination avec lui car la famille dépend économiquement de lui.

Le sexe pour de l'argent peut aussi être une stratégie de survie. En Zambie, une mère déclarait : « Pourquoi devrions-nous avoir faim alors qu'il y a une jeune fille dans la maison? »

3. Les prostituées

À Yaoundé, 33 % des femmes infectées par le virus sont des prostituées; à Cotonou, Kisumu et Ndola, ce pourcentage oscille entre 60 et 75 %.

En Europe occidentale, la situation est très différente : la contamination chez les prostituées n'est pas liée à leur activité sexuelle, mais plutôt associée à la consommation de drogue par voie intraveineuse. En Belgique, les prostituées ­ du moins les prostituées belges ­ utilisent systématiquement des préservatifs.

En Afrique, beaucoup de prostituées ne sont pas des professionnelles. Souvent veuves ou séparées, on peut supposer que ces femmes n'ont pas d'autre choix que de vendre leur corps pour survivre. À Kisumu, c'est le cas de 60 % des prostituées. Pour 83 % d'entre elles, la prostitution est la principale source de revenus. Pour les autres, c'est un supplément qui vient s'ajouter à un trop maigre revenu.

En Asie, on est intervenu assez rapidement auprès des prostituées, mais pas en Afrique. Il est vrai que l'action auprès des prostituées y est malaisée dans la mesure où elles ne sont pas organisées, travaillent rarement dans des maisons closes et sont par conséquent difficiles à atteindre. Depuis 10 ans, l'Institut de médecine tropicale participe à un projet en Côte d'Ivoire. En 1992, pratiquement 90 % des femmes qui venaient à la clinique pour prostituées étaient séropositives. Ce chiffre est tombé à 30 %. Comme l'usage régulier du préservatif s'est accrû significativement, cela laisse supposer un lien direct entre les deux.

4. Les mères de famille.

En Afrique, la transmission du virus du sida de la mère à l'enfant est beaucoup plus importante que dans les pays industrialisés. Sans intervention, entre 25 et 45 % des femmes transmettraient le virus à leur enfant. Ce pourcentage varie entre 10 et 30 % dans les pays industrialisés. La différence s'explique d'une part par l'allaitement et aussi parce que la pression poussant à avoir des enfants est telle que même des femmes en phase avancée de la maladie, chez qui le virus présente un taux élevé de concentration, sont enceintes. Il en résulte la perte d'un ou plusieurs enfants, associée à un très fort sentiment de culpabilité.

Il existe des moyens pour lutter contre la transmission de mère à enfant. On peut administrer des médicaments antirétroviraux durant la grossesse, l'accouchement et juste après la naissance et procéder à une césarienne. C'est pourquoi dans les pays industrialisés, la transmission du virus à l'enfant est devenue rare (2 % des cas).

Dans les pays en voie de développement, les moyens à disposition sont insuffisants. On estime que moins de 3 % des femmes ont accès à un programme visant à prévenir la transmission. En outre, il est très difficile de dissuader les mères séropositives d'allaiter, d'abord parce qu'elles pensent que c'est la meilleure façon de nourrir leur bébé, et surtout parce qu'une femme qui n'allaite pas sera tout de suite montrée du doigt et étiquetée séropositive.

5. En quoi le déséquilibre des forces dans les relations entre hommes et femmes augmente-t-il aussi la vulnérabilité des hommes ?

Lors de la conférence mondiale sur le sida de 1998, le docteur Geeta Rao Gupta, avait fait un exposé centré sur l'idée que le déséquilibre des forces entre hommes et femmes ne menait pas seulement à une plus grande vulnérabilité des femmes face au sida, mais aussi des hommes : « ... the imbalance in power between women and men in gender relations curtails women's sexual autonomy and expands male sexual freedom, thereby increasing women's AND men's risk and vulnerability to HIV » (1).

Les hommes étant présumés tout savoir dans le domaine de la sexualité, ils ne peuvent poser de questions et ont parfois des conceptions fausses.

Les jeunes hommes sentent sur eux la pression sociale les incitant à multiplier les partenaires. L'idée que les hommes doivent avoir beaucoup de partenaires pour prouver leur virilité tandis que les femmes doivent rester vierges ou presque, est toujours d'actualité.

Un autre problème est celui de la stigmatisation de l'homosexualité dans une société où les normes imposent à l'homme un certain comportement machiste. Dans tous les pays en voie de développement, l'homosexualité est un tabou, et même chez nous, elle n'est pas bien acceptée. Conséquence de cette criminalisation, les rapports homosexuels se font en cachette et dans l'insécurité.

6. Conclusion

Le docteur Rao Gupta insiste sur la nécessité d'un débat ouvert sur le genre et la sexualité, les rôles de l'homme et de la femme et leurs rapports entre eux.

Il faut au minimum veiller à ce que les campagnes de prévention ne renforcent pas les clichés et qu'elles soient adaptées aux besoins spécifiques des hommes et des femmes. Les hommes doivent être davantage impliqués dans les programmes de santé reproductive et sexuelle. Il faut intervenir pour modifier les comportements des jeunes, leur insuffler des conceptions reflétant un équilibre entre les sexes. Enfin, la position des femmes doit être améliorée, en leur facilitant l'accès aux formations, aux moyens économiques et au pouvoir politique et en les protégeant contre la violence.

II.1.2. Échange de vues

Mme de Bethune signale que lors du voyage au Congo de la commission d'enquête sur les Grands Lacs, on lui a affirmé que dans les régions de l'est où beaucoup de combats et de viols ont lieu, la prévalence du sida s'élevait à 30 %, voire 40 ou 50 %. Elle ignore toutefois si les sources de cette information sont fiables.

Mme Buvé déclare qu'il est tout à fait vraisemblable que le Congo oriental connaisse maintenant une grave épidémie de sida, vu les mouvements de troupes venant d'Ouganda, du Burundi, du Rwanda, où la prévalence de la maladie est supérieure à celle du Congo. En outre, il y a eu beaucoup de viols. Encore une fois, il s'agit d'une situation où les femmes sont extrêmement vulnérables. De plus, dans les situations de guerre où les conditions de vie sont précaires, les femmes se prêtent à des relations sexuelles contre rémunération, simplement pour une question de survie.

Mme Pehlivan aimerait avoir une idée de la répartition de l'épidémie dans le monde, notamment en Asie.

Mme Buvé répond que la situation de l'Asie est devenue préoccupante. Le Cambodge, la Thaïlande et le Myanmar connaissent une épidémie généralisée de sida, c'est-à-dire que plus d'un pour cent de la population est touchée. Ces pays sont caractérisés par une grande inégalité entre les sexes. Il y est tout à fait ordinaire de fréquenter les prostituées. On parle très peu de la sexualité féminine. La femme qui se marie doit être vierge, alors que les hommes sont parfois déjà contaminés vu leur fréquentation des prostituées. Des ONG sont maintenant actives dans ces pays afin de mieux armer les femmes dans leur situation. On a constaté en Afrique qu'il ne fallait pas forcément chercher à sortir les femmes de la prostitution mais essayer de professionnaliser leur travail et de leur apprendre à se protéger.

Mme Van Riet demande des précisions sur la situation en Belgique.

Selon Mme Buvé, il y aurait en ce moment en Belgique de 10 à 11 000 séropositifs. 45 à 50 % d'entre eux sont originaires d'Afrique, avec environ 50 % de femmes et 50 % d'hommes. Parmi les Belges, la population homosexuelle reste la plus touchée et davantage d'hommes sont séropositifs.

En 2000 et 2001, le nombre de cas de séropositivité recensés a légèrement augmenté. Il est à craindre, comme dans tous les pays industrialisés, que cette augmentation soit due à un certain relâchement dans les habitudes de se protéger à cause d'une nouvelle perception de la maladie : le sida n'est plus vu comme une affection mortelle, mais, grâce aux médicaments accessibles à tous, comme une maladie chronique. On oublie que la thérapie est très lourde, qu'elle doit être suivie de manière très scrupuleuse jusqu'à la fin de ses jours et qu'elle a des effets secondaires.

Mme de Bethune s'interroge sur les stratégies à suivre en termes de politique.

Mme Buvé est d'avis qu'en ce qui concerne la prévention, la priorité doit être donnée à des activités avec les jeunes. Dans les pays en voie de développement, des initiatives commencent seulement à se développer. En Belgique, dans les programmes d'éducation sexuelle à l'école, l'approche ne doit pas être centrée sur le sida et ses dangers, mais plutôt sur une conception plus équilibrée des rapports hommes-femmes.

Affranchir les femmes n'implique pas une diminution du pouvoir des hommes. Il faut partir de cette idée pour montrer aux jeunes gens qu'ils ne doivent pas se sentir menacés par des femmes qui s'affirment.

L'Institut de médecine tropicale a réalisé une étude pour la direction générale de la Coopération internationale, sur une politique intégrée du sida. Il y recommande d'examiner tous les projets ou programmes de développement pour voir s'ils fournissent l'occasion de travailler à la problématique du sida, que ce soit dans une optique de prévention ou pour atténuer l'impact du sida.

Mme Kaçar demande s'il existe une coordination sur le terrain entre UNAIDS et les projets dont parle Mme Buvé. Par ailleurs, l'accès aux médicaments, très chers jusqu'à présent, s'est-il amélioré ?

Mme Buvé explique que UNAIDS est le successeur, depuis 1995, du « Global Programme on Aids ». UNAIDS a redéfini son rôle et joue en fait un rôle de coordination entre différentes organisations des Nations-unies, avec pour conséquence une visibilité moindre sur le terrain. Cependant, UNAIDS joue aussi un rôle important de lobbying. C'est un de leurs grands mérites que d'avoir réussi à mettre la problématique du sida à l'agenda du Conseil de sécurité des Nations-unies.

En ce qui concerne l'accès aux médicaments, on peut citer l'exemple du Brésil où la loi oblige les autorités à mettre des médicaments antirétroviraux à la disposition gratuite des malades. Cependant, il faut noter que le Brésil a un PNB relativement élevé, comparé avec la plupart des pays en voie de développement, et un nombre relativement faible de séropositifs par rapport à la population totale.

En Thaïlande, une firme produit des antirétroviraux génériques pour un traitement d'un coût inférieur à 1 dollar par jour. Le pays s'achemine vers la mise sur pied de programmes à grande échelle.

En Afrique, la situation varie de pays à pays. Mais de manière générale, on estime qu'environ 30 000 personnes suivent une thérapie, soit moins de 10 % des gens qui en auraient besoin, et la plupart de ces gens sont des sud-africains, disposant d'un revenu raisonnable.

Au Congo, les médicaments antirétroviraux sont prescrits par les médecins, mais les patients doivent se les procurer par toutes sortes de canaux. La situation va peut-être changer car le ministère de la Santé publique a décidé d'importer des médicaments d'Inde. Le coût du traitement (57 dollars par mois) sera encore beaucoup trop élevé pour la moyenne des gens, mais une couche intermédiaire de la population pourra se l'offrir.

II.2. Audition de Mme M. Temmerman, gynécologue, professeur au département de gynécologie à l'Université de Gand

II.2.1. Exposé de Mme M. Temmerman

Mme Temmerman a travaillé plusieurs années en Afrique à la recherche et la mise en oeuvre de projets de lutte contre le sida, surtout pour les femmes. De retour à Gand, elle est restée responsable de plusieurs de ces projets qui sont essentiellement financés par la Commission européenne.

Au sein du département de gynécologie de l'université de Gand a été créé l'« International Centre for Reproductive Health ». Ce centre regroupe des médecins, des sociologues, des juristes et des représentants d'ONG actives dans le domaine de la santé des femmes et des enfants.

1. La situation au niveau mondial (2)

Actuellement, 42 millions de personnes dans le monde sont infectées par le virus du sida. En 2002, on a enregistré 5 millions de nouveaux cas et 3 millions de décès dus à la maladie.

3 millions d'enfants sont séropositifs et 1,5 million d'enfants sont décédés des suites du sida. 90 % d'entre eux ont été contaminés par leur mère, durant la grossesse ou via l'allaitement. Plus de 90 % vivent dans les pays en voie de développement.

2. En Belgique

La Belgique comptait en juin 2002 15 315 séropositifs enregistrés par les sept laboratoires agréés par le ministère de la Santé publique. Tout laboratoire en Belgique peut effectuer un test de dépistage du sida, mais ce test doit être confirmé par un des laboratoires agréés, ce qui permet un enregistrement assez fiable des cas de séropositivité.

Par contre, le test étant anonyme, on ne peut distinguer les cas où la même personne fait le test à plusieurs reprises. Si l'on tient compte de cette possibilité de « double comptage », il faut considérer que le nombre de séropositifs se situe entre 14 239 et 15 315.

Au début de l'épidémie en Belgique comme en Europe, la maladie touchait presque exclusivement les groupes à risque : homosexuels et drogués, mais elle s'étend aujourd'hui peu à peu à l'ensemble de la population.

Au niveau mondial, le nombre de femmes atteintes est légèrement supérieur à celui des hommes parce que la transmission se fait essentiellement entre hétérosexuels. En Belgique, on évaluait le nombre de femmes touchées à 5 100 contre 8 599 hommes. Ce rapport vient cependant de se modifier ces derniers temps pour atteindre 40 % de femmes.

Depuis 1986, les chiffres montrent 1,9 à 2,7 nouvelles infections par jour, avec une légère augmentation depuis 1997. En 2001, on a enregistré 965 nouveaux cas : 80 % sont des hommes et 2/3 d'entre eux ont été contaminés par des rapports homosexuels. Les femmes sont en majorité infectées par des contacts hétérosexuels, et une faible minorité (10 %) par l'usage de drogues.

Il y a en Belgique 2 969 malades du sida. Alors que le nombre de séropositifs augmente, on constate une forte baisse du nombre de malades à cause de l'existence, depuis quelques années, d'une thérapie. Il est possible de maintenir le virus sous contrôle de sorte que l'espérance de vie des séropositifs est allongée, mais il n'y a pas encore de guérison. Ce message ne passe pas assez. Vu l'existence de médicaments et leur accessibilité ­ leur coût est partiellement pris en charge par la sécurité sociale ­, on peut croire que la maladie est sous contrôle, mais ce n'est pas vrai.

On ne prescrit pas systématiquement des médicaments à un séropositif. Ils sont réservés aux individus qui commencent à montrer des symptômes d'une immunité déficiente.

3. En Europe

En Europe, on recense 232 407 cas de sida, soit 21,8 pour un million d'habitants. Si l'on observe la répartition selon les pays (voir tableau p. 5 de l'annexe 2), on constate que la Belgique figure en cinquième position, avec 10,5 cas pour 1 million d'habitants. Au Portugal, la situation est très préoccupante avec 105,8 cas pour 1 million d'habitants. Cela s'explique surtout par l'usage de la drogue.

4. La situation particulière des femmes et la transmission de mère à enfant

À côté des répercussions classiques sur la santé et les comportements sexuels, le sida a plus de conséquences pour les femmes que pour les hommes. On pense naturellement ici à la reproduction.

Il n'est pas rare que le virus soit détecté pendant un examen prénatal de routine.

Si l'on considère 100 femmes séropositives, sans traitement, 30 transmettront le virus à leur enfants. Ce pourcentage est évidemment inférieur en Europe et supérieur en Afrique à cause de l'allaitement et d'autres infections accessoires.

La plupart des enfants sont contaminés au moment de l'accouchement. L'allaitement est un risque supplémentaire.

Depuis une vingtaine d'années toutefois, d'importants progrès ont été enregistrés sur le plan de la prévention de la transmission. Avec un traitement préventif combiné ensuite à l'absence d'allaitement, la transmission du virus n'apparaît plus que dans 1 % des cas.

L'Organisation mondiale de la santé plaide pour une triple stratégie afin de prévenir le sida chez les enfants : prévention primaire auprès des jeunes gens pour les inciter à se protéger; prévention des grossesses non désirées chez des femmes séropositives; prévention de la transmission de mère à enfant par un traitement pendant la grossesse, pendant l'accouchement et par l'absence d'allaitement.

En Belgique, 600 000 tests de dépistage ont lieu chaque année. 50 % des patients s'y soumettent de leur propre initiative pour diverses raisons (risque encouru, début d'une nouvelle relation, départ à l'étranger pour lequel une attestation est requise ...). 50 % des patients ont couru un risque (3). 20 % de la population de plus de 15 ans s'est soumise un jour à un test de dépistage. De ce chiffre relativement important, on peut inférer que la population chez nous accepte le dépistage assez naturellement.

Cependant, 20 % des tests auprès des femmes ont lieu à l'occasion d'un examen de grossesse. C'est en soi une bonne politique : tout gynécologue devrait, au début de la grossesse, voire avant si la patiente vient en consultation avant la conception, proposer le test de dépistage du sida au même titre que d'autres tests. Toutefois, très souvent, par facilité ou manque de temps, le gynécologue se contente de dire à la patiente qu'il va lui faire une prise de sang « pour vérifier si tout va bien ». Une batterie de tests est effectuée, sans que la patiente soit mieux informée.

Le pire se passe quand un test fait à cette occasion se révèle positif et que le docteur, peu habitué à ce genre de situation, en informe la patiente sans ménagement.

Toutes les femmes enceintes devraient se voir proposer le test de dépistage du sida par leur gynécologue, ou, à tout le moins, être informées de la politique que pratique leur médecin à cet égard. Cela prend toutefois du temps d'expliquer à chaque patiente les risques du sida en plus des autres tests de toxoplasmose, rubéole, etc., alors que le test est finalement très rarement positif.

Au département de gynécologie de la RUG, chaque patiente reçoit une brochure d'information décrivant les tests pratiqués pendant la grossesse et leur raison d'être. Le médecin passe rapidement en revue avec elle le contenu de la brochure de sorte qu'elle sait quels tests elle va subir et qu'elle peut le cas échéant refuser.

Il faut noter que, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les femmes séropositives veulent quand même des enfants et, si elles sont enceintes, n'optent généralement pas pour l'avortement. Dans les pays en voie de développement, cela s'explique par leur culture : les femmes séropositives veulent encore plus d'enfants pour être sûres que quelques-uns survivront. Mais la volonté d'avoir des enfants se manifeste chez nous aussi. Heureusement, les médecins peuvent laisser le choix à ces femmes, dans la mesure où il existe une thérapie réduisant fortement les risques de transmission.

Les femmes séropositives doivent savoir qu'elles courent plus de risques de naissance avant terme et autres complications. Le gynécologue doit les soumettre à des contrôles fréquents. Elles doivent prendre des médicaments afin d'éviter la transmission lors de l'accouchement, opter de préférence pour une césarienne et éviter d'allaiter.

Jusqu'il y a peu, la séropositivité était considérée comme excluant d'office toute fécondation in vitro car les médecins refusaient de collaborer à la mise en route d'une grossesse alors que l'enfant qui naîtrait avait une chance sur trois d'être contaminé par le virus. Maintenant que les traitements permettent de réduire à 1 % le risque de transmission, le sida est mis sur le même pied que les autres maladies transmissibles telles que la mucoviscidose ou le diabète et une femme séropositive peut avoir accès aux techniques de procréation assistée. Certes, l'on peut objecter que ces femmes ont une espérance de vie réduite et que les enfants qu'elles mettront au monde seront orphelins prématurément. Mais ce raisonnement vaut aussi pour d'autres maladies telles le diabète, par exemple. On s'engage alors dans un vaste débat éthique.

5. Conclusion

La situation en Belgique est endémique, avec une augmentation des cas de transmission par voie hétérosexuelle.

Le travail de prévention doit continuer, en particulier auprès des jeunes. Le dépistage et le traitement doivent être accessibles à tous, mais le test de dépistage du sida doit être subordonné au consentement informé, notamment dans le cas des femmes enceintes.

Il faut continuer d'informer et sensibiliser correctement le personnel médical et paramédical de manière à éviter toute panique face aux cas de séropositivité. Les hôpitaux et maternités doivent appliquer des directives claires.

Si l'on dispose en Belgique d'un bon système d'enregistrement pour les tests effectués, on manque par contre de données sur le suivi des cas de séropositivité. On sait par exemple combien de tests sont réalisés à la naissance mais on ignore ce que deviennent les enfants contaminés.

Enfin, comparée à d'autres pays, la Belgique soutient peu la recherche. Les aspects sociologiques, l'aspect « gender », par exemple, ne sont pratiquement pas abordés.

La Belgique doit également soutenir la recherche et les initiatives en matière de santé reproductive au niveau international.

II.2.2. Échange de vues

Mme Willame-Boonen demande des précisions sur la manière de limiter le risque de transmission du virus lors de l'accouchement.

Mme Temmerman explique qu'il faut pratiquer une césarienne avant le début des contractions pour éviter que le virus ne se transmette avec la rupture des membranes. Lorsque le taux de concentration du virus à la fin de la grossesse est très bas, on peut éventuellement proposer un accouchement naturel. Mais c'est une question d'appréciation au cas par cas.

Mme de Bethune aimerait en savoir plus sur les initiatives prises dans les pays en voie de développement en partenariat avec le ministère de la Coopération au développement.

Mme Temmerman souligne le travail accompli par M. Boutmans, secrétaire d'État à la Coopération au développement, dans le domaine de la lutte contre le sida. Il soutient surtout les organisations multinationales dans la mise en oeuvre de programmes. En ce qui concerne la contribution à ces programmes, la Belgique ne cède en rien devant les autres pays.

Le problème est de connaître l'impact réel de ces programmes sur le terrain. Une expérience en Ouganda, dans des circonstances bien contrôlées, a montré que, lorsqu'une femme qui n'aurait normalement reçu aucun traitement, reçoit juste un médicament destiné à faire chuter la concentration virale au début de l'accouchement, le risque de transmission du virus diminue de 50 %. Mais le problème est qu'on ne sait pas comment ça se passe en pratique. Les femmes enceintes viennent en consultation prénatale, elles reçoivent le médicament à l'avance, mais le plus souvent elles accouchent à la maison : combien d'entre elles exactement prennent le médicament ? Combien le prennent trop tôt ou trop tard ? Pour ce genre d'enquête, il est très difficile d'obtenir des fonds.

Au Kenya, le taux de mortalité des femmes des suites d'une grossesse est de 700 pour 100 000. Ce qu'on a réalisé là-bas dans le domaine de la lutte contre le sida est remarquable. Mais on ne prête pas assez attention par exemple au fait que 20 % des femmes ont la syphilis alors que la syphilis provoque aussi des problèmes pendant la grossesse. 25 % des femmes souffrent d'anémie lourde, ce qui entraîne un risque important de décès lors de l'accouchement.

Il est donc essentiel d'intégrer la recherche et la prévention du sida dans des programmes plus larges de santé reproductive.

Mme de Bethune demande comment fonctionne UNAIDS sur ce plan.

Mme Temmerman répond que UNAIDS est le « big brother ». La « division of transmission of sexual diseases » ne représente qu'un petit bureau. Le grand mérite de UNAIDS est de donner beaucoup de visibilité à la problématique du sida, il réalise un grand travail d'information, mais malheureusement dans une optique trop peu intégrée. Certes, des programmes verticaux sont nécessaires mais il faudrait aussi sur le terrain plus de soutien pour les programmes intégrés de planning familial, de soins pour les enfants, et dans lequels une attention spécifique doit être portée aux femmes.

Il ne faut pas perdre de vue que les femmes n'ont encore aucun moyen de protection contre le sida. Si elles n'osent pas demander l'usage du préservatif, ou si leur partenaire refuse, elles sont à sa merci. Il existe bien un préservatif féminin, mais outre son prix élevé, il présente l'inconvénient d'être visible. Le préservatif féminin peut être utile pour des femmes qui peuvent se permettre de l'imposer, comme les prostituées d'un certain niveau, mais il est évident que ce n'est pas le cas de la plupart des jeunes prostituées qui acceptent déjà un contact pour 0,50 euro et qui obtiennent un peu plus si elles acceptent le rapport sans préservatif.

L'usage du diaphragme pourrait apporter une solution. Si le diaphragme permet d'éviter la grossesse dans 85 % des cas, on constate aussi qu'il y a moins de cas de gonorrhée et de chlamydia chez les femmes qui l'utilisent. Celui-ci pourrait donc être un moyen utile pour éviter le passage du virus, mais on n'en sait pas suffisamment à l'heure actuelle pour pouvoir en âme et conscience conseiller ce moyen de protection aux femmes. Malheureusement, il il est extrêmement difficile d'obtenir des fonds pour étudier cette question de façon plus approfondie. Cela ne s'intègre dans aucun programme de UNAIDS et ne constitue pas non plus une priorité pour un des centres de recherche scientifique en Belgique.

Aux Pays-Bas, il existe au sein des fonds pour la recherche scientifique une section consacrée à la recherche sur les maladies tropicales. Ces fonds soutiennent notamment la recherche sur la malaria ou sur l'amélioration de la santé des femmes et des enfants en général.

Mme Van Riet aimerait savoir s'il existe des directives émanant du ministère de la Santé publique au sujet de l'accès aux tests de dépistage, l'obligation d'informer la patiente, etc.

Mme Temmerman répond qu'il n'existe aucun cadre légal en la matière. Les seules directives existantes ont été élaborées à sa propre initiative, au sein de sa profession. Même si chaque hôpital reste maître de sa propre politique, la patiente a au moins le droit de savoir quelle est la politique pratiquée par l'établissement.

Certaines directives font l'objet d'un accord unanime, d'autres suscitent des discussions. C'est le cas par exemple de l'amniosynthèse pour déceler les risques de mongolisme chez l'enfant. Dans certains cas, la ponction amniotique peut entraîner des complications. Certains gynécologues effectuent ce test systématiquement, d'autres laissent le choix à la patiente en lui exposant les risques du test.

En matière de dépistage du sida, si l'on veut donner aux praticiens une directive claire, il faut leur recommander de proposer le test à la patiente et de subordonner sa réalisation à son consentement informé écrit (« written informed consent »). Ce principe doit d'ailleurs s'appliquer aux tests de dépistage du sida dans toutes les circonstances (avant une intervention chirurgicale, par exemple) et pas seulement pendant la grossesse.

II.3. Audition de Mme B. Minne, responsable de la coopération bilatérale avec l'Amérique latine et l'Asie et conseillère en matière de genre, M. D. Van der Roost, conseiller en santé publique et coopération bilatérale indirecte, représentants de M. E. Boutmans, secrétaire d'État à la Coopération au développement, et de M. J. Labeeuw, expert sida à la direction générale de la Coopération au développement

II.3.1. Exposé de Mme B. Minne, M. D. Van der Roost et M. J. Labeeuw

1. L'état de la situation

Au niveau mondial, 11,8 millions de jeunes gens âgés de 15 à 24 ans sont atteints du sida. Dans cette

catégorie d'âge, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes (7,3 millions, essentiellement en Afrique subsaharienne).

Plusieurs facteurs expliquent ce déséquilibre entre les hommes et les femmes en Afrique :

­ Une vulnérabilité deux à quatre fois plus grande sur le plan physiologique;

­ Des discriminations sur le plan social, économique et culturel;

­ La pauvreté, le statut social inférieur des femmes et l'inégalité des droits qui mène souvent au travail sexuel;

­ Le faible niveau d'éducation;

­ Le mariage précoce;

­ L'importance sociale donnée à la fertilité et la maternité;

­ Le fait que les violences sexuelles soient des pratiques courantes.

Or, l'impact du sida est plus grand sur les femmes que sur les hommes :

­ La mère risque de transmettre la maladie à son enfant;

­ Les femmes ont moins facilement accès aux soins de santé;

­ Les femmes ont des charges familiales plus lourdes à assumer;

­ La maladie entraîne une perte de productivité, les femmes sont moins scolarisées et le cercle vicieux menant à la pauvreté se réinstalle.

2. Les stratégies

La coopération au développement belge poursuit un objectif de développement durable en luttant contre la pauvreté. Son action se concentre sur cinq secteurs, à savoir les soins de santé de base, la formation et l'enseignement, l'agriculture et la sécurité alimentaire, l'infrastructure de base et le développement de la société. Elle s'articule autour de trois thèmes transversaux : l'égalité des chances, l'environnement et l'économie sociale.

La stratégie en matière de santé publique vise à consolider les soins de santé de base. L'accent est mis sur la santé reproductive, la lutte contre le sida et contre la malaria, la tuberculose et d'autres maladies négligées.

Les interventions ont lieu à tous les niveaux, depuis le niveau international jusqu'à l'échelon des communautés locales. Il s'agit notamment de renforcer les capacités des communautés locales en ce qui concerne les soins de santé, les clubs de jeunes, les mouvements de femmes, etc.; d'augmenter les moyens financiers disponibles; de défendre les droits des femmes et leur rôle spécifique dans la société; enfin de soutenir la recherche.

En ce qui concerne plus spécifiquement la lutte contre le sida, l'objectif est de réduire l'impact de la maladie, mais aussi celui des maladies sexuellement transmissibles et des infections périnatales. Il faut pour cela réduire les risques de transmission, améliorer les soins, renforcer les services de santé et services sociaux, développer la connaissance de la maladie et lutter contre les disciminations et la stigmatisation.

La Belgique soutient ses partenaires, États, institutions ou associations, dans leurs efforts pour développer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Elle veille à ce que la dimension de genre soit prise en compte dans tous les secteurs (approche transversale), tant dans les cinq secteurs qui ont été énumérés que dans les secteurs de l'environnement ou de l'économie sociale, par exemple. De même, la dimension de genre doit être partie intégrante de tous les projets ou programmes (approche longitudinale).

Parallèlement, la Belgique soutient des actions positives dans le cadre des soins de santé reproductive et de la lutte contre la violence à l'égard des femmes.

La politique spécifique d'égalité entre hommes et femmes ne se limite plus comme auparavant à quatre ou cinq priorités. Cette évolution s'explique notamment par l'importance accrue du partenariat dans la coopération au développement : la Belgique soutient ses partenaires dans leurs priorités et ne peut donc plus se limiter à quelques thèmes déterminés.

Quels sont les principes qui sous-tendent la politique de coopération belge dans le domaine de la lutte contre le sida ?

1. Une approche intégrale, multifacettes : les soins de santé ne sont pas seulement un problème médical, mais aussi économique et social;

2. Une amélioration de la communication entre les partenaires sexuels pour supprimer les tabous et répondre aux difficultés qu'ont les femmes pour parler et négocier avec les hommes en matière de sexe;

3. Une augmentation de la participation des hommes dans le travail de prévention.

La politique belge de coopération au développement aborde avant tout la problématique du sida à travers les soins de santé. Elle insiste sur la nécessité de développer les services de base pour les femmes.

Notre politique met ensuite l'accent sur l'importance d'une approche de genre dans la prévention du sida, ce qui implique une remise en question des rapports de force entre les hommes et les femmes.

Dans le cadre de la fourniture de meilleurs soins de santé aux femmes, il faut prévoir un accès à bas prix, voire gratuit, à des consultations et des tests de dépistage.

Enfin, les aspects socio-culturels et institutionnels ne sont pas négligés : il est important de pouvoir discuter ouvertement des problèmes. C'est pourquoi la coopération belge soutient les réseaux locaux qui abordent les questions liées au sida.

3. Les interventions

D'une part, la Belgique peut entretenir un dialogue permanent avec les États partenaires, les donateurs bi- ou multilatéraux, les ONG et les institutions scientifiques.

D'autre part, elle a la possibilité d'aborder la problématique « genre et sida » dans toute une série de documents, notes de stratégie, rapports, qui doivent être rédigés pour se conformer à des exigences légales.

Enfin, la politique belge de coopération au développement a à sa disposition tous les instruments classiques que sont le budget, la recherche, la politique des ressources humaines, la formation, le suivi et l'évaluation.

Le secrétaire d'État à la Coopération au développement actuel a fait de sérieux efforts pour faire jouer à la Belgique un rôle politique important dans la lutte contre le sida.

En décembre 1999, il était le seul membre d'un gouvernement occidental à participer au lancement de l'« International partnership against aids in Africa », à l'initiative de UNAIDS.

En juin 2001, M. Boutmans représentait la Belgique lors de l'assemblée générale extraordinaire des Nations unies à New York. Notre pays y a joué un rôle important, tant sur le plan du fond que de la logistique et de l'appui financier pour la création d'un nouveau « Global Fund to fight Aids, Tuberculosis and Malaria ».

La Belgique a ensuite fortement contribué au Plan d'action de la Commission européenne. M. Boutmans a notamment tenu le discours d'ouverture pour le lancement de la campagne de lutte contre le sida et la Belgique intervient dans tous les domaines repris dans le plan, que ce soit dans la recherche ou l'amélioration de l'accès aux médicaments, par exemple.

Enfin, pendant la présidence belge de l'Union européenne, la Belgique a organisé une conférence en collaboration avec l'Institut de médecine tropicale sur le thème « Health care for all ».

Sur le plan des documents politiques, le secrétaire d'État à la Coopération au développement avait chargé l'Institut de médecine tropicale d'effectuer une étude sur l'application du mainstreaming dans la problématique de la lutte contre le sida. Les premiers drafts ont été diffusés auprès des différents acteurs de la coopération internationale.

Des efforts ont été faits pour intégrer la préoccupation de la lutte contre le sida dans les différents canaux de la coopération belge.

En ce qui concerne la coopération multilatérale, par exemple, la contribution de la Belgique à UNAIDS est passée, entre 1999 et 2002, de 1,6 million d'euros à 6,7 millions d'euros. La contribution au UNFPA a aussi plus que doublé pendant cette période. De plus, suite à la décision du gouvernement américain de supprimer sa contribution au financement du fonds à cause de l'appui qu'il accorde à la Chine dans le cadre de sa mission mondiale, la Belgique a décidé d'intensifier son aide. Cette aide qui s'élevait à 4,6 millions d'euros sera augmentée de 1,7 million d'euros pour l'année 2003.

La coopération multilatérale vise aussi le « Global Fund to fight Aids, Tuberculosis and Malaria », dont 2/3 des contributions sont consacrées à la lutte contre le sida. Pour la période 2002-2003, la Belgique finance ce fonds à concurrence de 18 millions d'euros.

La coopération indirecte a pour principaux acteurs les ONG et les institutions scientifiques. Pour la coopération avec les ONG, la lutte contre le sida a fait partie des priorités politiques dès le début, mais c'était un thème nouveau pour la plupart d'entre elles, surtout celles ne travaillant pas dans le secteur médical, ce qui a donné lieu à une certaine inertie de ces organisations. L'accent a continué à être mis chaque année sur l'urgence que le sida soit repris dans les préoccupations de toutes les organisations et, entre 2001 et 2002, la contribution des ONG à la lutte contre le sida est passée de 1,9 million d'euros à 5,3 millions d'euros.

Parmi les institutions scientifiques, un accord a été conclu avec l'Institut de médecine tropicale pour la mise sur pied d'un « Aids Impuls Programme » de recherche sur le sida, dont beaucoup d'éléments sont axés sur la dimension de genre. Ce programme de recherche inclut par exemple la mise au point d'un gel microbicide qui permettrait à la femme de se protéger lors de rapports sexuels.

L'institut effectue également une enquête sur l'impact du sida sur les structures de soins de santé.

Plusieurs projets de l'International Centre for Reproductive Health de Gand, notamment au Kenya, Mozambique et Nicaragua, sont financés via la coopération interuniversitaire. Plus spécifiquement un contrat a été conclu pour une étude en partenariat avec l'OMS dans six pays africains. L'étude vise à évaluer les effets d'un traitement antirétroviral hautement actif sur la transmission du virus à l'enfant et sur la santé de la mère.

Vu l'expansion de l'épidémie, les besoins en moyens financiers pour les soins de santé ne cessent d'augmenter chaque année, que ce soit pour la prévention, le traitement ou d'autres aspects liés à l'impact de la maladie (aide sociale ou psychologique par exemple). La contribution de la politique de coopération belge à la lutte contre le sida augmentera encore considérablement en 2003, en particulier via les ONG et la coopération bilatérale.

Les besoins dans le domaine de la santé sont infinis, c'est pourquoi il faut être réaliste. Selon la Banque mondiale, le traitement d'un patient atteint du sida durant un an coûte autant qu'une année d'enseignement de base à dix enfants. On dit généralement que la scolarisation des filles, vu le bénéfice pour leur famille, pour la communauté, et pour le pays lui-même, est l'investissement économiquement le plus rentable. Il convient donc de trouver un équilibre entre la prévention, le traitement du sida et la problématique de genre dans sa totalité.

Pour terminer, citons trois exemples concrets de coopération belge bilatérale.

Un nouveau projet a été lancé pour une durée de trois ans au Congo. Dans certaines provinces, des consultations et tests de dépistage ont été organisés dans le cadre des structures de soins de santé. Plusieurs maternités vont veiller à la prévention de la transmission du virus de la mère à l'enfant. On va tenter aussi d'améliorer la sécurité des transfusions sanguines. Enfin, une part du budget sera consacrée à l'administration d'une thérapie antirétrovirale pour 10 % de la population.

Un grand projet bilatéral a aussi commencé à l'automne dernier dans la province du Bas-Congo. On peut ainsi profiter d'une synergie entre un projet global de soins de santé dans l'ensemble d'une province et le projet portant spécifiquement sur la lutte contre le sida.

Au Kenya, un projet d'une durée de dix ans est arrivé à sa fin. Le Kenya a été ainsi le premier pays africain dans lequel des directives ont été élaborées pour le traitement des maladies sexuellement transmissibles, dont sont particulièrement victimes les femmes. La vulnérabilité de certains groupes de femmes, dont les prostituées, a été appréhendée dans son ensemble.

Les auteurs du projet se sont également intéressés à la circoncision chez les hommes. On a en effet constaté que le sida était moins répandu dans les régions d'Afrique où l'on pratique la circoncision. Avec l'ablation du prépuce, la peau du gland devient plus résistante et le virus peut moins facilement s'infiltrer. De plus, les maladies sexuelles sont plus visibles et les hommes circoncis consultent plus rapidement un médecin. On ne peut cependant pas rendre cette intervention obligatoire car cela aurait pour conséquence de stigmatiser les ethnies qui ne la pratiquent pas. Un des aspects du projet au Kenya a consisté à chercher une manière acceptable d'introduire la circoncision.

Enfin, un cours de postgraduat incluant la problématique de genre a été instauré pour les médecins, puis étendu aux infirmières. Ce cours qui était organisé sur un mode participatif a rencontré un grand succès. Tous les livres étaient rédigés à partir d'ateliers de travail au sein desquels la problématique du sida était régulièrement abordée à travers la question de genre.

Un troisième projet devrait être lancé au Maroc. Des condoms y ont été distribués mais lorsqu'une femme est surprise à en avoir, elle est assimilée à une prostituée et passible de sanctions. Le projet vise notamment à sensibiliser les policiers en organisant des cours à leur intention. La dimension de genre est un élément fondamental de ce projet.

Ces trois projets visent spécifiquement la lutte contre le sida, mais l'idéal serait que dans cinq ou dix ans, cette problématique fasse partie intégrante de tous les programmes et projets.

Enfin, l'une des faiblesses de la politique de coopération belge est le manque d'indicateurs, le peu de mesure des résultats de ces projets. C'est en fait une faiblesse au niveau mondial : il est temps d'injecter des moyens importants dans la coopération, plus particulièrement dans les soins de santé, mais il faut pouvoir évaluer non seulement le bon déroulement du projet mais aussi son impact concret.

II.3.2. Échange de vues

Mme Kaçar demande si l'on parvient à surmonter les barrières culturelles pour faire passer les messages de prévention et de lutte contre le sida dans la population. Comment appréhende-t-on notamment les aspects religieux ?

M. Labeeuw répond qu'il faut être à l'écoute et faire preuve de patience. La culture n'est pas statique, certains aspects sont susceptibles d'évolution. Il faut impliquer la population, amener les gens à trouver eux-mêmes des solutions. Lorsque le premier projet de lutte contre le sida a démarré au Kenya, parler de préservatifs était étranger à la culture des Kenyans. Quelques années plus tard, le meilleur moyen de passer à un barrage de police consistait à distribuer des condoms.

Mme Minne ajoute que l'on veille systématiquement à travailler avec des partenaires locaux, qui connaissent la culture et la religion du pays, et qui élaborent eux-mêmes une stratégie adaptée, que ce soit au niveau de la durée ou des étapes.

M. Labeeuw fait remarquer que le sida est un drame, mais que c'est aussi l'une des premières situations dans lesquelles on a pu réellement apprendre à parler avec les gens et où ils ont appris à trouver leurs propres solutions. Il y eu là un énorme potentiel de développement.

Selon M. Van der Roost, les séropositifs ont un rôle important à jouer dans l'éducation concernant la problématique du sida. Il y a des réticences à surmonter, certes, mais la culture doit s'adapter sous la pression de la réalité de l'épidémie de sida. Les séropositifs contribuent à confronter les gens à la maladie et à jeter les ponts pour faire évoluer les mentalités.

Mme Van Riet aimerait savoir si le condom féminin constitue une solution et s'il est possible d'exercer une quelconque influence pour faire baisser son prix.

Par ailleurs, la présidente a été frappée par la comparaison entre le coût du traitement d'un malade du sida et celui d'une année d'enseignement de base pour dix enfants. Ce coût élevé est-il lié au prix des médicaments ? On entend dire que l'industrie pharmaceutique pourrait fournir des médicaments à un prix plus abordable, spécialement en Afrique, mais on ne voit guère de percée en ce sens. Le gouvernement belge a-t-il déjà entrepris des efforts pour essayer d'améliorer la situation ?

À la première question, M. Van der Roost répond qu'il n'existe encore aucune méthode de protection généralisée pour les femmes. À la clinique de Confiance, située à Abidjan en Côte d'Ivoire, l'une des recherches porte sur l'introduction du condom féminin. Cette introduction rencontre beaucoup de difficultés car le condom féminin n'est pas pratique, pas très agréable à utiliser, coûte plus cher que le préservatif et est mal accepté par les hommes. C'est pourquoi des recherches sont menées tant sur le plan anthropologique que technique.

Quant au gel microbicide, sa mise au point est encore au stade expérimental.

Faut-il privilégier la prévention par rapport au traitement ? Il existe de plus en plus un consensus sur une approche intégrale, appréhendant tous les aspects de la lutte contre le sida. Il faut poser des jalons dans tous les domaines et essayer de trouver un équilibre entre les moyens qu'on consacre dans les différents secteurs. Dans une société où la thérapie antirétrovirale n'est pas disponible, se développe un certain fatalisme. Par contre, si la population est consciente de la possibilité de suivre une thérapie, même si elle n'est pas accessible à tous, il y a parallèlement une motivation plus grande pour la prévention.

La démocratisation du prix des traitements est au centre de nombreux débats. Pour l'industrie pharmaceutique, le prix n'est qu'un des éléments de la problématique car dans certains pays où le médicament est produit, le gouvernement ne le met pas à la disposition de sa population. Par ailleurs, des ONG se plaignent de ne pouvoir mener à bien leurs projets parce qu'elles ne sont pas en mesure de payer les médicaments. Il faut donc, d'une part, des médicaments à un prix accessible, et d'autre part, de plus en plus de centres susceptibles d'appliquer une thérapie compliquée de façon convenablement.

Dans ce secteur, le secrétaire d'État à la Coopération au développement joue un rôle de « diplomatie silencieuse » auprès du ministre compétent, à savoir Mme Neyts, adjointe au ministre des Affaires étrangères, ainsi qu'au niveau européen. Lors de la phase préparatoire du « Global Funds to fight Aids, Tuberculosis and Malaria », la Belgique a été l'un des seuls pays à plaider pour que le fonds finance l'achat de médicaments antirétroviraux. Certains pays, notamment les États-Unis et les pays scandinaves s'opposaient à ce que cette mission soit inscrite dans le texte-cadre du Fonds global.

L'accessibilité des médicaments est évidemment une question très importante. Il est difficile de faire évoluer les choses, mais la Belgique, malgré sa petite taille, joue quand même un rôle exemplaire dans ce domaine.

III. RECOMMANDATIONS

Le Comité d'avis invite le gouvernement fédéral :

1. à poursuivre son travail dans le cadre de conventions et d'engagements internationaux;

2. à consacrer une attention particulière, dans le cadre de la politique belge en matière de santé, aux femmes et au sida :

a. en s'adressant à des groupes cibles, comme les garçons, les filles, les hommes, les femmes, les prostituées, les allochtones et les autochtones ...;

b. en défendant une politique de prévention axée sur les jeunes et fondée sur une approche équilibrée de la relation homme-femme et sur un suivi sérieux des campagnes de prévention menées;

c. en poursuivant la politique d'égalité des chances en ce qui concerne le rapport de force entre les hommes et les femmes;

d. en définissant, pour ce qui de l'examen prénatal, des conditions et de nouvelles règles visant par exemple à l'information par le médecin et à l'exécution du test sida moyennant l'autorisation écrite de la femme enceinte;

e. en développant la formation et l'accompagnement spécifiques des prestataires de soins médicaux et paramédicaux;

f. en assurant un enregistrement efficace des séropositifs et un meilleur suivi des personnes enregistrées;

3. à contribuer, par le biais de la politique de coopération au développement, en particulier :

a. à la sensibilisation au problème du sida et à la prévention de celui-ci en y oeuvrant de manière plus rationnelle dans le cadre de tous les programmes de coopération au développement;

b. à l'intégration systématique de la dimension du genre dans tous les programmes d'aide aux pays en développement, y compris une attention particulière pour la spécificité des groupes cibles;

c. à la responsabilisation des intéressés et à l'organisation de la sensibilisation et de la prévention en concertation avec eux;

d. à l'amélioration de l'accès aux soins médicaux;

e. à la diffusion et au renforcement des thérapies et, notamment, de la thérapie antirétrovirale visant à prévenir la transmission du sida de la mère à l'enfant et à associer les pères, les hommes et les garçons à l'approche du problème de l'infection de l'enfant par la mère et à les responsabiliser en la matière;

f. à l'augmentation des moyens nécessaires aux régions les plus touchées, y compris l'aide financière aux projets locaux de lutte préventive contre le sida consacrant une attention particulère aux enfants vulnérables et aux enfants devenus orphelins en raison des ravages dus au sida;

4. à soutenir la recherche scientifique relative aux moyens d'autoprotection pour les femmes;

5. à poursuivre son soutien à l'Institut de médecine tropicale en vue de poursuivre le développement de l'expertise en matière de sida.

IV. VOTES

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité des 8 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les rapporteuses, La présidente,
Sabine de BETHUNE. Iris VAN RIET.

Meryem KAÇAR.


ANNEXE 1


Ces annexes, pp. 26 à 47, sont uniquement disponible sur support papier.


ANNEXE 2


ANNEXE 3


(1) Voir l'exposé du docteur Geeta Rao Gupta en annexe 1.

(2) Les chiffres cités par Mme Temmerman pour la Belgique proviennent notamment du rapport semestriel publié en juin 2002 par l'Institut scientifique de santé publique. Ce rapport est repris en annexe 2.

(3) Plusieurs raisons peuvent être données, ce qui explique que le total des pourcentages dépasse 100.