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17 OCTOBRE 2002
Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer une disposition nouvelle permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Le 14 novembre 2000, le gouvernement a déposé une proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer une disposition nouvelle permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (doc. Sénat, 2000-2001, nº 2-575/1).
Le 4 septembre 2001, il déposait un projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage (doc. Sénat, 2000-2001, nº 2-897/1).
Le 29 novembre 2001, M. Johan Vande Lanotte, vice-premier ministre et ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale, est venu présenter les deux projets devant la commission des Affaires institutionnelles (II).
Les trois réunions suivantes (11 janvier 2002, matin et après-midi, et 17 janvier 2002) ont été consacrées à l'audition de constitutionnalistes, de représentants de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour d'arbitrage (III). La commission a ensuite entamé la discussion générale conjointe des deux projets lors de ses réunions des 7 et 21 février 2002 (IV).
Le 18 avril 2002, la commission a procédé à un vote indicatif sur la question de l'insertion de l'article 32bis inscrivant dans la Constitution les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Suite aux résultats de ce vote indicatif, le gouvernement a retiré sa proposition de révision du titre II de la Constitution (V).
Avec l'accord du gouvernement, la commission a poursuivi la discussion du projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage lors de ses réunions des 6 et 27 juin 2002, et du 2 juillet 2002 (VI).
Le 2 juillet 2002, la commission a adopté en l'amendant le projet de loi spéciale déposé par le gouvernement (VII).
Le présent rapport a été soumis à l'approbation de la commission le 17 octobre 2002.
Le gouvernement a l'honneur de présenter au Sénat deux nouvelles initiatives législatives importantes. Elles concernent d'une part une proposition de révision du titre II de la Constitution et, d'autre part, un projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Bien que ces deux initiatives puissent être considérées indépendamment, il existe un lien logique entre elles. La proposition de révision de la Constitution stipule en effet dans un nouvel article 32bis que chacun jouit des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) du 4 novembre 1950 et les Protocoles additionnels à ce traité, ratifiés par l'État belge. De cette manière, la portée d'un certain nombre de droits et libertés existants est élargie et certains nouveaux droits et libertés sont ancrés explicitement dans notre Constitution. Cela n'a en effet que peu de sens d'inscrire des droits et libertés dans la Constitution lorsque le respect de ces droits et libertés ne peut pas être imposé. C'est pourquoi le projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage a pour but de prévoir une protection spécifique de ces droits et libertés.
La proposition de révision du titre II de la Constitution a des origines lointaines. Non seulement dans la déclaration de révision de 1991 mais aussi dans celles de 1995 et de 1999, l'on projetait, au titre II de la Constitution « d'insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (cf. Moniteur belge, nº 88 du 5 mai 1999).
Il est quelque peu regrettable que, dans ces déclarations de révision, seuls la CEDH et les Protocoles additionnels soient pris comme critères et que les autres traités internationaux ayant un effet direct, lesquels sont d'une importance cruciale pour notre catalogue de droits fondamentaux, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ne soient pas pris en considération. Le gouvernement n'a pas choisi cette limitation mais est lié par l'option du Préconstituant dans la déclaration de révision de 1999. Avec ce carcan étroit, le présent projet de révision de la Constitution s'expose naturellement à des critiques.
Dès le début, un double objectif a été poursuivi avec la disposition citée à cet effet dans la déclaration de révision de la Constitution.
Un premier objectif consiste à donner une valeur indépendante et constitutionnelle aux droits et libertés garantis par la CEDH et par les Protocoles additionnels à ce traité, ratifiés par la Belgique. Tel que manifesté dans l'exposé des motifs de ce projet de déclaration de révision de la Constitution en 1991, ceci « actualisera et complétera les dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales » (doc. Sénat, 1991-1992, nº 1449-1). L'on n'insistera jamais assez sur la plus-value juridique et symbolique de cette incorporation. Elle assure en effet un élargissement et un approfondissement de notre Constitution. La CEDH donne en effet une protection à un certain nombre de droits et libertés. La Constitution belge ne prévoit pas cette protection ou ne la prévoit que dans une moindre mesure. Le droit à un procès public et équitable dans un délai raisonnable, garanti par l'article 6, et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (plus stricte), contenu à l'article 7, en sont des exemples qui n'ont pas de statut constitutionnel en Belgique mais dont le respect est contrôlé par les cours et tribunaux, par suite de l'effet direct de la CEDH. L'article 32bis proposé de la Constitution a pour but, outre les droits et libertés déjà inscrits dans la Constitution, d'ancrer explicitement dans celle-ci les droits garantis par la CEDH : sur la base de l'article 32bis, ils seront considérés comme des normes de droit interne.
Sur le plan des droits et libertés, il existe sans conteste un certain nombre de contradictions et de chevauchements entre les dispositions de la CEDH et celles de la Constitution. Il ressort des déclarations successives de révision de la Constitution que le Préconstituant n'y a vu aucun problème. Conformément au principe de priorité de la protection la plus étendue, fixé à l'article 53 de la CEDH, les dispositions de la CEDH laissent exister sans restriction des garanties plus étendues, instaurées par des dispositions de droit interne ou d'autres traités internationaux. Logiquement, la Constitution devra être lue de façon à ce que la priorité soit donnée aux dispositions qui offrent aux droits et libertés la protection la plus étendue. Le principe de protection la plus étendue offrira dès lors pratiquement toujours une solution aux éventuels chevauchements et contradictions.
Le deuxième objectif de l'introduction dans la Constitution d'un article 32bis découle du premier. Comme déjà indiqué, une réelle protection des droits et libertés suppose une protection juridique efficace. L'article 32bis fournira une base juridique afin d'organiser cette protection au niveau de la Cour d'arbitrage. En 1995, le premier ministre de l'époque a affirmé clairement à ce sujet : « [...] que si l'on envisageait d'élargir progressivement la compétence de la Cour d'arbitrage en ce qui concerne le contrôle de la Constitution, entre autres en ce qui concerne les droits et libertés, une éventuelle mention explicite dans la Constitution peut être utile ». C'est dans cette perspective que le gouvernement a déposé le présent projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Lors de la discussion du projet de déclaration de révision de la Constitution au cours de la législature précédente, la proposition d'introduire de nouvelles dispositions au titre II de la Constitution en vue de protéger les droits et libertés garantis par la CEDH a pu compter sur une majorité très large, presque unanime, dans les commissions compétentes de la Chambre et du Sénat. Le gouvernement espère dès lors que la proposition déposée pourra donner suite au souhait du pouvoir législatif de revoir la Constitution sur ce point.
La Cour d'arbitrage a joué un rôle toujours plus important dans notre régime depuis les années quatre-vingt du siècle passé.
En 1980, le Constituant a confié à la Cour d'arbitrage, dans ce qui est actuellement l'article 142 de la Constitution, la compétence d'exercer un contrôle du respect des règles de répartition de compétence établies par ou en vertu de la Constitution.
Au départ, l'on nourrissait une certaine méfiance à l'égard de la création de la Cour. Un grand nombre craignait que la porte ne soit ouverte au « gouvernement des juges », un pouvoir judiciaire qui pourrait porter préjudice aux prérogatives du pouvoir législatif.
Cette crainte ne s'est pas confirmée. Lorsqu'en 1988, la compétence de l'enseignement a été transférée aux Communautés et que la nécessité de créer un régime de protection pour les minorités philosophiques et idéologiques dans l'enseignement s'est fait sentir, la Cour d'arbitrage a été garante de la liberté de l'enseignement, fixée à l'article 24 de la Constitution. En outre, le Constituant a donné à la Cour d'arbitrage la compétence de confronter des normes ayant force de droit aux principes d'égalité et de non-discrimination contenus aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette attribution de compétence témoignait encore d'une certaine crainte. Dans l'actuel article 142 de la Constitution, la possibilité est restée ouverte d'élargir par loi spéciale la compétence de contrôle de la Cour à d'autres articles de la Constitution.
C'est surtout la compétence en matière de contentieux sur des questions d'égalité et de non-discrimination qui a permis à la Cour de passer d'une Cour constitutionnelle à compétence limitée, telle que la Cour se qualifiait elle-même initialement, à une Cour constitutionnelle à part entière. La Cour a en effet donné dès le début une large interprétation de sa compétence de contrôle.
Dans le célèbre arrêt Biorim du 13 octobre 1989 (nº 23/89) (Moniteur belge, 8 novembre 1989), la Cour estimait que les articles 10 et 11 de la Constitution avaient une portée générale et que l'article 11 en particulier faisait partie intégrante de tout article qui garantit les droits et libertés. La Cour a déduit de cela que les règles constitutionnelles d'égalité et de non-discrimination s'appliquent à l'égard de tous les droits et libertés qui sont conférés aux Belges par la Constitution. La Cour s'est dès lors estimée être compétente pour utiliser tous les droits et libertés garantis par la Constitution comme moyens de contrôle, mais toujours en relation avec les principes d'égalité et de non-discrimination.
Dans son arrêt Pacification du 23 mai 1990 (nº 18/90) (Moniteur belge, 27 juillet 1990) la Cour a élargi, sur la base d'un même raisonnement, la protection des articles 10 et 11 à toutes les dispositions de traités ayant un effet direct. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont été lus en parallèle avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), sur la base de cette jurisprudence. Les droits fondamentaux repris dans des traités internationaux à effet direct doivent donc être garantis sans discrimination.
La même méthode de contrôle indirect a amené la Cour d'arbitrage à intégrer dans sa portée de contrôle deux autres articles constitutionnels, à savoir l'article 172 (contenant le principe du traitement égal en matière d'impôts) et l'article 191 (qui fixe le principe du traitement égal des Belges et des étrangers). La Cour a en effet estimé que ces articles sont une application particulière du principe d'égalité qui est repris à l'article 10 de la Constitution et peuvent dès lors être utilisés comme moyens de contrôle.
Malgré le fait que l'interprétation extensive que la Cour d'arbitrage donne à ses compétences a mené à une protection effective de presque tous les droits et libertés, la manière dont la Cour exerce sa compétence de contrôle n'est clairement pas parfaite. La Cour a en effet dû constater dans différents arrêts qu'elle n'avait pas encore la compétence d'annuler des normes législatives ou de les considérer comme contraires à la Constitution en raison d'une violation directe d'articles de la Constitution autres que les articles 10, 11 et 24, de dispositions de traités à effet direct ou de principes juridiques généraux. Une violation de ces normes doit dès lors toujours être soulevée en rapport à une violation des articles 10, 11 ou 24. Dans bon nombre de cas, cela implique qu'une partie demanderesse doit déployer toute son énergie pour démontrer ce lien. Cette pratique est non seulement peu favorable à une définition pure du principe d'égalité et de non-discrimination mais elle porte également atteinte à une procédure orthodoxe.
Par le présent projet de loi spéciale, le gouvernement souhaite mettre un terme à cette situation hybride. Le projet tend en effet, à l'instar de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, à élargir la compétence de contrôle de la Cour à tous les droits et libertés repris au titre II de la Constitution, ainsi qu'aux articles 172 et 191 de la Constitution. Dans cette optique, le projet n'est donc pas du tout révolutionnaire.
Le gouvernement estime que l'élargissement proposé du nombre de dispositions constitutionnelles que la Cour d'arbitrage peut utiliser comme moyen de contrôle se trouve dans le prolongement de ce qui était déjà à l'esprit du Constituant en 1988. Bien que la discussion politique sur les compétences et le rôle de la Cour d'arbitrage ne fût pas encore réglée à ce moment, le Constituant a choisi en 1988 de ne pas limiter explicitement les compétences de la Cour d'arbitrage aux règles de répartition de compétences et aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution, mais a prévu une autorisation qui permet au législateur spécial de donner à la Cour la compétence de confronter des normes législatives à d'autres articles de la Constitution. Le gouvernement propose à présent au Parlement de faire usage de cette autorisation.
Les dispositions du projet de loi spéciale concernant la confrontation de normes législatives tant à des règles de répartition de compétences qu'aux articles du titre II « Des Belges et de leurs droits », et aux articles 172 et 191 de la Constitution, donneront sans aucun doute lieu à des discussions lorsqu'elles seront lues en parallèle avec la proposition d'insérer un article 32bis dans la Constitution.
Un des problèmes est la compétence que la Cour d'arbitrage s'est attribuée pour contrôler des traités par le biais de l'acte d'assentiment, sur leur constitutionnalité non seulement extrinsèque mais aussi intrinsèque. La Cour souhaite ainsi éviter que le législateur ne viole indirectement, c'est-à-dire par un acte d'assentiment, la règle constitutionnelle qui interdit d'adopter des normes législatives contraires à la Constitution.
L'argument que certains ont soulevé selon lequel le législateur ne respecterait pas systématiquement cette règle ces dernières années n'est pas nouveau. Ainsi, le projet de loi portant approbation de la CEDH a déjà été jugé contraire à l'article 33 de la Constitution selon lequel « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. » Ce n'est que le 20 juillet 1970 que le Constituant a établi, avec l'article 34, une base constitutionnelle pour le transfert ou la limitation de souveraineté. Cet article stipule en effet que l'exercice de certains pouvoirs peut être confié par un traité ou par une loi à des institutions de droit international. Cela n'empêche cependant pas que le législateur qui doit exprimer son assentiment à un traité doive veiller à ce que ce traité soit conforme à la Constitution. Plus récemment, le Conseil d'État a indiqué en 1992, à l'occasion de l'approbation du traité de Maastricht, que le droit de vote attribué par ce traité aux citoyens de l'Union européenne pour les élections communales était contraire à l'article 8 de la Constitution selon lequel l'exercice de droits politiques est réservé aux Belges. Malgré l'avis du Conseil d'État selon lequel il n'était pas conseillé d'approuver ce traité avant que l'article 8 de la Constitution ne soit révisé, le traité a quand même été approuvé. Ce n'est que plus tard que la Constitution a été révisée et alignée sur le traité précité.
Le problème du rapport entre la Constitution et les normes internationales à effet direct peut naturellement être pallié en avançant la primauté de ces normes sur la Constitution. Le procureur général émérite près la Cour de cassation J. Velu a défendu cette affirmation mais est bien seul à le faire à présent. La Cour d'arbitrage s'est en tout cas, avec sa jurisprudence, opposée farouchement au fait qu'un traité doive être en harmonie avec la Constitution.
Il est à noter que le désaccord dans la doctrine au sujet du problème du rapport entre le droit international, la Constitution et les lois ordinaires reflète une certaine tension parmi nos plus hautes juridictions. Ainsi, la Cour de cassation a traditionnellement défendu la primauté du traité international à effet direct sur les normes juridiques nationales (cf. l'arrêt SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski du 27 mai 1971, Arr. Cass., 1971, 959 et J.T., 1971, 460, concl. W.J. Ganshof van der Meersch), alors que le ministère public se montre favorable, dans ses conclusions pour certains arrêts de la Cour, à la compétence juridique de contrôler la constitutionnalité des lois (cf. les arrêts-Le Compte du 3 mai 1974, R.W., 1974-1975, 77, concl. W.J. Ganshof van der Meersch, et du 25 juin 1974, R.W., 1974-1975, 108, concl. F. Dumon). La Cour d'arbitrage a réglé par la suite la discussion relative au rapport entre la Constitution et un traité à effet direct en affirmant que la Cour peut contrôler la conformité intrinsèque et extrinsèque d'un traité avec la Constitution par le biais de l'acte d'assentiment. À la lumière entre autres de la jurisprudence de la Cour de Justice européenne selon laquelle le droit communautaire européen prime même sur la Constitution des États membres de l'Union européenne, le point de vue de la Cour d'arbitrage est, selon le vice-premier ministre, peut-être un peu extrême.
Le Conseil d'État, section d'administration, a dès lors avancé, dans ses arrêts Orfinger du 5 novembre 1996, l'article 34 de la Constitution en tant que fondement juridique du principe de priorité du droit communautaire européen sur la Constitution, en réponse à un différend concernant la compatibilité, d'une part, de l'article 10, deuxième alinéa de la Constitution, qui stipule entre autres que seuls les Belges peuvent être nommés aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour les cas particuliers et, d'autre part, l'article 39, quatrième alinéa (ancien article 48, quatrième alinéa) du Traité CE, qui, selon l'interprétation de la Cour de justice, contient l'obligation de laisser les emplois aux services de l'État qui n'impliquent pas une participation à l'exercice de l'autorité publique accessibles aux citoyens de l'Union européenne. En d'autres termes, le Conseil d'État a estimé que l'article 39, quatrième alinéa, du traité CE, tel qu'interprété par la Cour de Justice, a un effet direct dans l'ordre juridique belge et a la priorité sur l'article 10, deuxième alinéa, de la Constitution, qui est en contradiction avec celui-ci.
Dans un rapport que M. M. Melchior, président de la Cour d'arbitrage, et M. P. Vandernoot, à l'époque référendaire à la Cour d'arbitrage, ont présenté en 1997, au nom de la Cour, lors d'un colloque des Cours constitutionnelles des États membres de l'Union européenne, il était stipulé que le Constituant avait voulu exprimer par l'article 34 de la Constitution le principe selon lequel les traités, par lesquels la Belgique a cédé une partie de sa souveraineté à une institution de droit international, ont une valeur constitutionnelle. Il s'agit principalement en l'espèce du traité sur l'Union européenne qui, selon la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, ne peut pas être considéré comme subordonné à la Constitution. Cela signifie, en ce qui concerne le rapport entre la Constitution et un traité à effet direct, qu'il convient d'opérer une distinction selon qu'un traité est conclu ou non en application de l'article 34 de la Constitution. Dans l'affirmative, un tel traité, comme le traité CE, serait placé au même niveau que la Constitution, étant une lex specialis par rapport à la Constitution. Ce point de vue va donc dans le même sens que l'affirmation que le Conseil d'État a défendu dans ses arrêts Orfinger (M. Melchior et P. Vandernoot, Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé, R.B.D.C., 1998/1, 3-45).
Les auteurs précités adhèrent au point de vue selon lequel le Constituant, en introduisant l'article 34 dans la Constitution, a donné au législateur la compétence de signifier son assentiment avec un traité portant transfert de certaines parties de sa souveraineté. Ainsi, le Constituant a, selon eux, accepté que de tels traités, comme le traité UE, aient une base constitutionnelle et ne puissent plus être considérés comme subordonnés à la Constitution. Cela signifie que les dispositions de ces traités ne peuvent pas être confrontées à la Constitution.
Les traités qui n'impliquent pas de transfert de pouvoir conformément à l'article 34 de la Constitution ne peuvent par conséquent jamais contenir une modification de la Constitution. Une telle révision doit se faire selon la procédure définie à l'article 195 de la Constitution.
Le législateur ne doit donc pas modifier implicitement la Constitution par une loi qui donne assentiment à un traité. C'est pourquoi la Cour d'arbitrage a développé une jurisprudence constante par laquelle les traités qui n'impliquent pas de transfert de souveraineté, comme prévu à l'article 34 de la Constitution, sont considérés comme subordonnés à la Constitution et peuvent donc être contrôlés quant à leur constitutionnalité. L'on respecte ainsi la thèse quelque peu paradoxale selon laquelle la réalisation d'un traité plus élevé dans la hiérarchie des normes juridiques est liée à des exigences moindres par rapport à une modification de la Constitution qui, elle, ne peut être exécutée qu'après une déclaration de révision, en respectant un quorum de présence et de décision parlementaire de deux tiers des membres des assemblées concernées.
Le ministre attire l'attention sur le fait que les Cours constitutionnelles des autres États membres de l'Union européenne sont toutes confrontées à cette problématique. Elles ont également dû trouver une solution quant à la position juridique du traité CE dans leur ordre juridique interne. Ainsi, le Bundesverfassungsgericht allemand a dû procéder à quelques manoeuvres afin de maîtriser le rapport entre le droit européen et le droit constitutionnel allemand. Dans le premier arrêt Solange du 29 mai 1974 (BVerfGE, 37, 271), la Cour constitutionnelle allemande a avancé que le transfert de la souveraineté à la Communauté européenne en vertu de l'article 24 de la Constitution ne pouvait pas impliquer que l'on porte atteinte à la structure fondamentale de la Constitution par une législation communautaire. C'est pourquoi la Cour constitutionnelle a estimé qu'une confrontation supplémentaire de la législation communautaire aux droits fondamentaux garantis par la Constitution était nécessaire, tant qu'il y avait absence dans l'ordre juridique communautaire d'un parlement élu démocratiquement, ayant une compétence législative et de contrôle, ainsi qu'un catalogue codifié de droits fondamentaux. À ce sujet, la Cour de justice a confirmé que le respect des droits fondamentaux faisait partie des exigences de validité auxquelles les actes communautaires doivent satisfaire et qu'il doit dès lors être imposé dans le cadre du droit communautaire lui-même. Après analyse de la jurisprudence de la Cour de justice et en référence à l'intérêt que les instances communautaires adhèrent à la protection des droits fondamentaux et au processus décisionnel démocratique, la Cour constitutionnelle allemande a déclaré dans le deuxième arrêt Solange du 22 octobre 1986 (BVerfGE, 73, 339) qu'elle n'estimait plus nécessaire de procéder à une confrontation supplémentaire de la législation communautaire aux droits fondamentaux garantis par la Constitution, tant que la juridiction de la Cour de justice offre la protection constatée en la matière (K. Lenaerts et P. Van Nuffel, « Europees recht in hoofdlijnen », Antwerpen, Maklu, 1995, nº 598, pp. 498-499).
Cela indique que la Cour constitutionnelle allemande, tout comme la Cour d'arbitrage, a accepté la primauté de la Constitution par rapport à d'autres traités internationaux.
Le présent projet de loi est basé sur le même point de départ, entre autres en raison de la procédure stricte de révision de la Constitution. C'est pourquoi les Chambres fédérales doivent veiller, lors de l'approbation de traités internationaux, à ce que la Constitution soit respectée. Le respect de cette règle est garanti par la Cour d'arbitrage. Cette protection juridique peut être obtenue de deux manières.
La Cour prend dans un premier temps connaissance d'une affaire à la suite d'un recours en annulation introduit dans un délai de soixante jours après publication de l'acte législatif qui donne assentiment au traité. Le projet de loi spéciale laisse cette possibilité intacte.
Une deuxième possibilité consiste à ce que les juridictions puissent poser des questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage sans limitation de temps au sujet de la constitutionnalité d'un traité. Étant donné le caractère spécifique d'un traité international, la question de l'opportunité du maintien de la possibilité de remettre à jamais des traités en question par des questions préjudicielles se pose. Il n'est en effet pas exclu que la Cour, à la suite d'une question préjudicielle, en arrive à la conclusion qu'un traité, qui est en vigueur depuis des années déjà dans notre ordre juridique interne, ne soit pas compatible avec la Constitution.
Sur la base de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, le gouvernement estime devoir répondre par la négative à la question de savoir s'il est souhaitable de maintenir la procédure de question préjudicielle pour certains traités qui impliquent une cession de pouvoir, conformément à l'article 34 de la Constitution. La possibilité de continuer à remettre en question, par voie de question préjudicielle, un traité après sa ratification porte en effet atteinte à la sécurité juridique et à la stabilité des relations internationales. C'est pourquoi il est proposé dans le projet d'exclure la possibilité de poser des questions préjudicielles pour des lois, décrets et ordonnances par lesquels certains traités qui impliquent le transfert de pouvoir fixé à l'article 34 de la Constitution ont reçu un assentiment, à savoir un traité constituant concernant l'Union européenne et la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Pour ces traités, la primauté de la Constitution ne peut être maintenue. Dans cette optique, il est plutôt question d'une juxtaposition. Par conséquent, une directive qui est décrétée en respectant le Traité CE ne peut pas être confrontée à la Constitution.
Le projet de loi spéciale a également pour but de réaliser un contrôle uniforme des droits fondamentaux en en attribuant le monopole à la Cour d'arbitrage. La procédure préjudicielle est revue à cet effet.
Étant donné ce qui précède, le gouvernement exprime le souhait que ce projet de loi spéciale fasse l'objet d'une discussion approfondie et constructive. Il a été introduit au Sénat à cet effet.
Soucieuse de faire le tour juridique de la question, la commission a organisé des auditions les 11 et 17 janvier 2002 dans le but de soumettre la réforme proposée à un examen critique, notamment sous l'angle de la suprématie du droit international sur le droit interne et ses répercussions sur le fonctionnement de la Cour d'arbitrage.
À cet effet, elle a invité les constitutionnalistes et les représentants des juridictions les plus élevées dont les noms suivent, dans l'ordre chronologique de leur audition :
1. M. Jacques Velu, procureur général émérite à la Cour de cassation et professeur émérite de l'ULB, partisan de la suprématie du droit international sur le droit interne. M. Velu a d'ailleurs fourni dès le 28 novembre 2001 un avis écrit à la Cour de cassation concernant le projet de loi spéciale (cf. l'annexe 1);
2. M. Pierre Vandernoot, conseiller d'État et chargé de cours à l'ULB, qui, avec M. Michel Melchior, défend un autre point de vue que M. Velu sur ce point (cf. M. Melchior et P. Vandernoot, Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé, R.B.D.C., 1998/1, 3-45);
3. M. Henri Simonart, professeur à l'UCL;
4. M. Pierre Marchal, premier président de la Cour de cassation;
5. M. Jean du Jardin, procureur général près la Cour de cassation.
Le premier président et le procureur général ont par ailleurs adressé dès le 4 mai 2001 une lettre au ministre de la Justice dans laquelle ils font part de leurs critiques à l'égard de la réforme proposée (cf. l'annexe 2);
6. M. Jan Velaers, professeur ordinaire à l'Universiteit Antwerpen (UFSIA/UA);
7. M. Dirk Vanheule, chargé de cours à l'Universiteit Antwerpen (UFSIA/UA), qui a défendu, le 9 juillet 2001, à ladite université, une thèse de doctorat intitulée « Modèles américains de contrôle de constitutionnalité appliqués à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage relative aux articles 10 et 11 de la Constitution » (Traduction);
8. M. Willy Deroover, premier président du Conseil d'État;
9. M. Michel Roelandt, auditeur général au Conseil d'État;
10. M. Michel Melchior, président de la Cour d'arbitrage;
11. M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage.
Le 14 décembre 2001, les présidents de la Cour d'arbitrage ont transmis à M. Armand De Decker, président du Sénat, des propositions d'adaptations techniques à apporter aux lois sur la Cour d'arbitrage (cf. annexe 3).
Pour faire en sorte que les auditions se déroulent suivant un fil conducteur, un questionnaire établi par les services « Évaluation de la législation » et « Affaires juridiques et Documentation » du Sénat a été communiqué au préalable aux personnes invitées. Ce questionnaire s'articule autour des deux grands thèmes précités et insiste sur les points qui posent problème et sur les questions juridiques de principe que la réforme proposée soulève, notamment à la lumière de l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi spéciale et des explications fournies par le vice-premier ministre. Les experts ont été invités à suivre la trame du questionnaire, sans préjudice de leur droit d'évoquer d'autres problèmes ou aspects de la réforme.
Le questionnaire envoyé aux experts est reproduit ci-après (III.2). Viendront ensuite leurs exposés ainsi que, le cas échéant, les questions et l'échange de vues auxquels ils ont donné lieu (III.3 à 5).
A.1. La proposition de révision du titre II de la Constitution est-elle conforme à la déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999 ?
L'article 32bis de la Constitution en projet dispose que « chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge. » De ce fait, les droits et libertés garantis par la CEDH sont incorporés dans la Constitution.
La déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999 a énoncé qu'il y a lieu de réviser le titre II de la Constitution « en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Cette déclaration de révision visait à permettre la mise en conformité du titre II de la Constitution avec la CEDH (1). Comme le Conseil d'État l'a observé, « les dispositions de la Constitution et de la CEDH relatives à un même droit fondamental ne correspondent pas en tous points » (2). Le titre II de la Constitution a été soumis à révision en vue d'assurer le « parallélisme des textes » (3). La proposition de révision du titre II de la Constitution est-elle conforme avec la déclaration de révision si l'on tient compte de la motivation de cette déclaration, reprise plus haut ?
Si l'on devait répondre à cette question par la négative, quelles en seraient les conséquences ? Le constituant peut-il prendre une autre option que le préconstituant ?
Le titre II de la Constitution est intitulé « Des Belges et de leurs droits » et doit se comprendre à la lumière de l'article 191 de la Constitution selon lequel tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et à leurs biens, sauf les exceptions établies par la loi. Les droits et libertés proclamés par la CEDH bénéficient à toutes les personnes nationaux, étrangers et apatrides qui relèvent de la juridiction des États signataires, peu importe qu'ils se trouvent simplement sur leur territoire ou y résident effectivement.
Le mot « Chacun » utilisé dans le texte de l'article 32bis en projet a-t-il de la sorte une portée différente de celle qu'a le même mot dans d'autres articles du titre II de la Constitution ? Il semble en tout cas que la faculté reconnue à la loi par l'article 191 de la Constitution d'établir des exceptions à l'égard des étrangers ne peut pas trouver à s'appliquer en tant que telle aux droits et libertés auxquels renvoie l'article 32bis en projet (4).
B.1. L'obligation de poser une question préjudicielle
B.1.1. La compétence des cours et tribunaux de contrôler le respect de la CEDH
L'instauration d'un contrôle direct du respect de la CEDH par la Cour d'arbitrage aura-t-elle, par elle-même, pour conséquence de priver les cours et tribunaux du pouvoir qu'ils ont d'exercer ce même contrôle ?
Si oui, ne risque-t-on pas de porter atteinte au principe général de droit constitutionnel selon lequel chaque juge peut apprécier la compatibilité d'une norme législative avec les dispositions d'un traité international qui ont des effets directs (5) ?
Si non, comment les autres juridictions pourraient-elles contrôler la compatibilité d'une norme législative avec la CEDH sans contrôler simultanément sa compatibilité avec l'article 32bis de la Constitution ?
B.2. La recherche d'uniformité
B.2.1. Ne revient-il pas plutôt à la Cour européenne des droits de l'homme d'assurer une interprétation uniforme de la CEDH ?
Aux termes de l'exposé des motifs, le projet permet d'atteindre plus d'unité dans l'interprétation de la CEDH. Les cours et tribunaux, en ce compris la Cour de cassation et le Conseil d'État, sont obligés de poser une question préjudicielle sur la compatibilité d'une norme législative avec la CEDH et ses Protocoles. L'uniformité de jurisprudence n'est-elle cependant pas déjà réalisée sous l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ?
B.2.2. La recherche d'uniformité n'est-elle pas relative, vu que les cours et tribunaux restent compétents pour vérifier la conformité à la CEDH et à ses Protocoles des normes autres que les actes législatifs ?
Sous réserve de la réponse à la question B.1.1., les cours et tribunaux ne pourront plus se prononcer sur la compatibilité des normes législatives avec la CEDH et ses Protocoles. Ils restent toutefois compétents pour examiner la conformité des actes des autorités administratives à cette convention. À l'avenir, cette situation ne va-t-elle pas engendrer une jurisprudence divergente, quant à la portée des droits et libertés garantis par la CEDH ainsi qu'à leurs limites ?
B.3. Autres traités internationaux
B.3.1. Une juridiction peut-elle décider de ne pas appliquer une norme de droit interne qu'elle estime contraire à une disposition du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PICP) ou du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIESC), si le titre II de la Constitution ou la CEDH garantissent un droit fondamental similaire ?
On présume que la compétence de la Cour d'arbitrage de vérifier la conformité d'un acte législatif au principe constitutionnel d'égalité empêche les autres juridictions de vérifier si un acte législatif est compatible avec le principe d'égalité contenu dans un traité international. La compétence des cours et tribunaux d'assurer le respect du principe d'égalité contenu dans un traité international viderait la compétence de la Cour d'arbitrage de sa substance. Il suffirait en effet qu'une juridiction vérifie le respect par un acte législatif de, par exemple, l'article 26 PICP, pour qu'elle échappe à l'obligation de poser une question préjudicielle (6).
L'extension de compétence de la Cour d'arbitrage aux droits garantis par le titre II de la Constitution, la CEDH, ainsi que les Protocoles ratifiés par la Belgique, implique-t-elle qu'à l'avenir une juridiction ordinaire ne pourra plus décider de ne pas appliquer une norme législative de droit interne qu'elle estime contraire à une disposition du PICP ou du PIESC, ou d'un autre traité international de protection des droits de l'homme, si le titre II de la Constitution ou la CEDH garantissent un droit fondamental similaire ?
S'il faut répondre à cette question par la négative, l'uniformité d'interprétation souhaitée n'est-elle pas menacée ?
S'il faut répondre affirmativement, cette réponse est-elle également valable pour les traités garantissant des droits spécifiques, comme la Charte sociale européenne, ou pour les traités qui garantissent les droits fondamentaux d'une catégorie spécifique de personnes, comme la Convention relative aux droits de l'enfant ?
B.3.2. L'article 53 de la Convention européenne des droits de l'homme
L'article 53 de la CEDH interdit d'interpréter la Convention comme limitant les droits reconnus par « toute autre Convention à laquelle l'État est partie ». N'a-t-il pas précisément pour effet d'obliger la Cour d'arbitrage à intégrer dans son appréciation tous les autres traités internationaux de protection des droits de l'homme qui lient la Belgique ?
Au demeurant, n'est-il pas vrai qu'en toute hypothèse, par le détour des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour pourra se référer à l'ensemble de ces traités ?
B.3.3. Comment lire conjointement plusieurs traités de protection des droits de l'homme ?
Lorsque les droits et libertés sont consacrés par la CEDH et par la Constitution, le gouvernement, dans la note explicative de la proposition de modification de la Constitution, propose de joindre les deux protections et de faire prévaloir la disposition qui assure la meilleure protection à l'individu (doc. Sénat, nº 2-575/1, 2).
H. Simonart et M. Verdussen considèrent à ce sujet que « c'est de manière simplificatrice que la lecture juxtaposée est présentée comme mettant au regard les uns des autres les textes européens et les textes de droit interne. Il a déjà été relevé qu'en matière de droits de l'homme la Belgique est liée par d'autres traités internationaux. On se permet de citer un seul exemple, celui de la liberté syndicale. La Constitution l'évoque dans ses articles 23, 25 et 26. La Convention européenne des droits de l'homme la consacre explicitement à l'article 11 tout en permettant notamment d'y apporter des restrictions légitimes en ce qui concerne les membres des administrations publiques. Ces restrictions relatives à la fonction publique ne figurent toutefois pas dans l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elles ne paraissent, par ailleurs, guère compatibles avec les termes de la Charte sociale européenne. On constate qu'en l'espèce il convient de procéder à une lecture à quatre voix » (7).
« La question relative à l'intensité de la protection accordée aux droits et libertés se complique lorsque des restrictions à l'usage des droits sont explicitement imposées dans le souci de protéger les droits et libertés d'autrui dans un ordre juridique sans que pareille limitation soit formellement exprimée dans l'autre. Tel paraît être le cas de la liberté d'expression qui, en droit interne, est proclamée de manière assez catégorique par l'article 19 de la Constitution, alors que l'article 10 de la Convention européenne permet de soumettre l'exercice de cette liberté à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions pour les motifs qui y sont énoncés. De ces deux textes quel est finalement celui qui est le plus respectueux des droits de l'homme ? » (8).
B.3.4. Une juridiction peut-elle contrôler la conformité à la CEDH d'un acte législatif qui transpose ou exécute le droit communautaire ?
Selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice de la Communauté européenne, lorsqu'un État membre agit dans le cadre du droit communautaire, les exigences communautaires concernant la protection des droits fondamentaux s'imposent à lui. Lorsqu'un État membre applique les dispositions du traité CE ou exécute les actes communautaires en transposant une directive dans le droit national, ou lorsqu'une réglementation nationale rentre dans le champ d'application du droit communautaire, les droits fondamentaux communautaires doivent être respectés (9).
Selon l'article 6, § 2, du traité sur l'Union européenne (ancien article F), l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.
En conséquence, les cours et tribunaux doivent contrôler si les actes législatifs pris dans le cadre du droit communautaire sont compatibles avec les droits fondamentaux protégés dans l'ordre communautaire, y compris les droits garantis par la CEDH
Ce contrôle direct sera-t-il toujours possible à l'avenir, ou les cours et tribunaux devront-ils dans cette hypothèse poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage ? Cette obligation de poser une question préjudicielle ne serait-elle pas contraire à la primauté du droit communautaire, qui oblige chaque juge national à appliquer le droit communautaire de manière intégrale et à protéger les droits des particuliers garantis par ce droit communautaire (10) ?
C.1. Ne faut-il pas étendre la compétence de la Cour d'arbitrage en matière de contrôle du respect du principe de légalité à d'autres dispositions constitutionnelles que l'article 172 de la Constitution ?
Aux termes du projet de loi spéciale, la Cour d'arbitrage pourra à l'avenir opérer directement un contrôle de conformité à l'article 172 de la Constitution. Le Conseil d'État observe à ce sujet que cette disposition met en oeuvre non seulement le principe d'égalité sur le plan fiscal, mais aussi le principe de légalité. Selon une jurisprudence constante de la Cour d'arbitrage, il résulte des articles 170 et 172 de la Constitution que nul ne peut être soumis à un impôt ou en être exempté qu'en vertu d'une norme prise par une assemblée délibérante démocratiquement élue. L'extension de compétence de la Cour d'arbitrage offre à la Cour la possibilité d'opérer directement un contrôle de conformité des lois fiscales au principe de légalité.
Selon le gouvernement, cette extension de compétence cadre tout à fait avec la ratio legis de la réforme. La compétence de la Cour d'arbitrage ne doit-elle pas alors être étendue à d'autres dispositions qui consacrent également le principe de légalité ? On pense par exemple aux articles 170, 182 et 184 de la Constitution.
D. Conséquences de l'extension de compétence
D.1. Augmentation du nombre de questions préjudicielles
D.1.1. La modification projetée ne risque-t-elle pas, dans toutes les hypothèses, d'induire une augmentation considérable des affaires dont la Cour sera saisie ? Ne convient-il pas dès lors de prévoir des adaptations de la procédure devant la Cour, d'autant plus lorsque le délai maximum accordé à la Cour pour statuer par voie d'arrêt sera ramené de dix-huit à douze mois ? Déjà aujourd'hui, le délai moyen s'élève à plus de 12 mois.
D.2. Voies de recours internes
D.2.1. Le droit de recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme ne peut être exercé que si l'on a épuisé au préalable toutes les voies de recours internes. Si la compétence de la Cour d'arbitrage est étendue au contrôle direct de conformité à tous les droits garantis au titre II de la Constitution, devrat-on au préalable poser une question préjudicielle auprès de la Cour, si l'on veut éviter de perdre son droit de recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme ?
Peut-on reprocher à une partie de ne pas avoir demandé au juge de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité d'une norme législative à la CEDH ? Pour répondre à cette question, doit-on tenir compte du fait qu'il n'existe pas de voie de recours distincte contre une décision judiciaire de poser ou de ne pas poser une question préjudicielle ?
D.3. Effets des arrêts sur question préjudicielle
D.3.1. N'est-il pas souhaitable de donner compétence à la Cour de régler les effets dans le temps des arrêts préjudiciels (par analogie avec l'actuel article 8, deuxième alinéa, qui concerne les arrêts sur recours en annulation), nonobstant le caractère relatif de l'autorité de la chose jugée des arrêts sur question préjudicielle ?
E.1. Le fait qu'on ne pourra plus poser de questions préjudicielles au sujet des actes par lesquels les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH reçoivent assentiment, est-il compatible avec l'article 142 de la Constitution, ainsi qu'avec le principe d'égalité et de non-discrimination ?
Le projet supprime la possibilité de poser une question préjudicielle au sujet des lois, décrets ou ordonnances par lesquels les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH reçoivent assentiment. Une question préjudicielle reste toutefois possible en ce qui concerne les actes d'assentiment aux autres traités.
Selon le gouvernement, il y a lieu de distinguer, en ce qui concerne le rapport entre la Constitution et un traité international, selon que le traité a été conclu en application de l'article 34 de la Constitution ou non. Si la réponse est affirmative, le traité prime toute norme de droit national, y compris la Constitution.
La Cour d'arbitrage a-t-elle reconnu cette distinction entre traités conclus en application de l'article 34 de la Constitution et les autres traités ? Dans un arrêt du 26 avril 1994, la Cour d'arbitrage répond par la négative à la question de savoir si la loi du 13 mai 1955 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en donnant son assentiment à l'article 6.1. de la CEDH. La Cour ne s'estime cependant pas incompétente pour contrôler la constitutionnalité de cette loi d'assentiment (11).
S'il faut répondre négativement à la question ci-dessus, la limitation des compétences de la Cour d'arbitrage concernant les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH, n'est-elle pas alors incompatible avec l'article 142 de la Constitution et/ou le principe d'égalité et de non-discrimination ?
E.2. Comment interpréter les termes « traités constituants de l'Union européenne »? S'agit-il uniquement du traité instituant la Communauté européenne, du traité sur l'Union européenne, ainsi que des traités modifiant ces deux traités ?
F.1. Le champ d'application des exceptions à l'obligation de renvoi
F.1.1. La réforme dispense le juge de l'urgence d'un renvoi préjudiciel dans trois procédures particulières. Qu'en est-il des autres procédures d'urgence, qui ne sont pas visées par la loi spéciale ? L'on peut penser notamment aux procédures « comme en référé ».
F.1.2. Comment un juge peut-il savoir si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet ? La publication dans le Moniteur belge d'un avis indiquant l'auteur et l'objet du recours ou de la question préjudicielle est-elle suffisante ?
F.1.3. Aux termes de l'article 26, § 3, en projet, une juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle dans le cadre du référé administratif et du référé devant le juge ordinaire, sauf
s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er;
ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
En d'autres mots, si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, la juridiction est tenue de poser une question préjudicielle.
Ne serait-il pas souhaitable, comme l'a suggéré le Conseil d'État, qu'une juridiction soit dispensée de l'obligation de poser une question préjudicielle si la Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle qui va dans le même sens (12) ?
Si l'on dispensait une juridiction, statuant dans le cadre d'une procédure d'urgence, de l'obligation de poser une question préjudicielle en raison du fait que la Cour est saisie d'une question ayant le même objet, la question se pose de savoir si elle peut poursuivre la procédure ou si elle doit attendre l'arrêt de la Cour d'arbitrage ?
F.2. Procédure
F.2.1. L'article 26, § 3, proposé maintient l'obligation de poser une question préjudicielle, même si la Cour est déjà saisie d'une demande ayant le même objet. Ne doit-on pas prévoir une suspension provisoire de la procédure devant la Cour elle-même de toutes les affaires subséquentes, jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée sur la première demande (13) ?
F.2.2. Le juge de l'urgence est tenu de poser une question préjudicielle s'il envisage de fonder sa décision sur une disposition au sujet de laquelle il y a des doutes sérieux quant à sa constitutionnalité. L'absence de décision immédiate ne pourrait-elle cependant pas vider les recours d'urgence de leur utilité en même temps qu'elle compromettrait le droit à un recours effectif garanti par la CEDH ?
Une autre solution a déjà été préconisée par la doctrine (14). Le juge devrait pouvoir se fonder sur l'apparence d'inconstitutionnalité de la norme pour prendre des mesures provisoires. Dans le même temps, il poserait une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage. Le monopole de la Cour pour le contrôle de constitutionnalité des lois serait ainsi assuré. Dans le même temps, une décision rapide pourrait être adoptée. Le Conseil d'État pourrait accorder une suspension provisoire, ou la refuser; le juge judiciaire pourrait adopter des mesures qui visent à préserver les droits des parties. Ceci, sans préjudice de leur obligation de renvoi lorsque la norme contestée constitue l'un des fondements de leur décision.
F.2.3. N'y a-t-il pas lieu de prévoir pour la Cour d'arbitrage des règles de procédure lui permettant de statuer rapidement dans des procédures d'urgence ?
G.1. Aux termes de l'article 26, § 3, en projet, la juridiction est tenue de poser une question préjudicielle si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet. Ne faudrait-il pas écrire « si la Cour est saisie d'une question ou d'un recours ayant le même objet », comme le fait également l'actuel article 26, § 2, troisième alinéa, 1º ?
G.2. Une juridiction est obligée de poser une question préjudicielle « s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er » (article 26, § 3, en projet).
Acte législatif : la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage utilise toujours les termes « une loi, un décret ou une règle visée à l'article 26bis (134) de la Constitution ».
Pourquoi cet article se réfère-t-il à « une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er » ? L'article premier détermine la compétence d'annulation de la Cour d'arbitrage. La compétence de répondre aux questions préjudicielles est déterminée par l'article 26, § 1er. Ne serait-il pas logique que l'article 26, § 3, en projet renvoie à l'article 26, § 1er, comme le fait également l'article 26, § 2, troisième alinéa, 3º ?
G.3. L'article 7 du projet prévoit que les parties pourront consulter le dossier et le rapport des rapporteurs au greffe.
Selon l'exposé des motifs, les parties pourront consulter également le rapport complémentaire. Cette faculté ne figure cependant pas dans le texte du projet.
La loi ne détermine pas le contenu du rapport. Chaque juge fixera en toute liberté le contenu de son rapport.
Il convient de signaler aussi que la loi actuelle prévoit que l'ordonnance décidant que l'affaire est en état, est notifiée aux parties. Dans la pratique, la Cour y insère souvent des questions ou des points en discussion. En plus, le greffier transmet une copie des mémoires déposés aux autres parties ayant introduit une requête ou déposé un mémoire.
G.4. Le nombre maximum de référendaires est porté de quatorze à vingt-quatre. Selon l'exposé des motifs, cette augmentation permettra d'adjoindre deux référendaires à chaque juge (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 9). Ne revient-il pas à la Cour d'arbitrage de décider seule de la répartition des référendaires, en tenant compte du volume et de la nature du travail ?
G.5. N'y a-t-il pas lieu de prévoir une disposition transitoire stipulant, par exemple, que les affaires pendantes devant la Cour d'arbitrage au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi spéciale restent régies par les dispositions de la loi spéciale actuelle ?
3.1. M. Jacques Velu, procureur général émérite de la Cour de cassation et professeur émérite de l'ULB
L'exposé de M. Velu comportera quatre parties relatives respectivement :
à l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution;
à l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage;
à l'exclusion de la faculté pour la Cour d'arbitrage de contrôler dans le cadre du contentieux préjudiciel, les actes législatifs d'assentiment à un traité constitutif de l'Union européenne, à la Convention européenne des droits de l'homme ou à ses Protocoles additionnels;
à la suppression de l'obligation pour les juridictions de poser une question préjudicielle dans le cadre de certaines procédures d'urgence.
Première partie. La proposition d'insérer au titre II de la Constitution un article 32bis incorporant dans ce titre les droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses Protocoles
Le Gouvernement propose d'insérer au titre II de la Constitution un article 32bis, libellé comme suit : « Chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge » (doc. Sénat, nº 2-575/1).
Considérons pour le moment cette norme en elle-même, indépendamment des problèmes qu'elle soulève lorsqu'elle est lue en combinaison avec le projet de loi spéciale.
Question A.1. Cette proposition est-elle conforme à la déclaration de révision de la Constitution, dès lors que, suivant les travaux préparatoires de cette déclaration, la révision du titre II sur ce point avait en vue d'assurer le parallélisme des textes et non l'incorporation d'un texte dans l'autre ?
M. Velu est d'avis que oui. La déclaration de révision elle-même énonce qu'« il y a lieu de réviser le titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'homme ».
Lorsqu'une déclaration de révision envisage l'insertion de dispositions nouvelles ayant un objet déterminé, le pouvoir constituant est certes limité par cet objet mais pas par les indications qui se déduisent des travaux préparatoires de la déclaration de révision, ni en ce qui concerne les motifs pour lesquels le législateur préconstituant a considéré qu'il y avait lieu à révision, ni en ce qui concerne les fins en vue desquelles celui-ci a envisagé la révision (J. Masquelin, Études et procédures de la récente révision de la Constitution, A.D.1972, p. 9 et suivantes, spécialement p. 108 et suivantes; J. Velu, Droit public, 1986, I, nº 110, p. 174).
L'objet de la proposition d'insertion de l'article 32bis paraît se situer dans le cadre des termes de la déclaration de révision, à savoir assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'homme. Ceci ne signifie pas qu'on ne puisse regretter que, dans sa proposition, le gouvernement ait préféré adopter une solution de fusion des textes plutôt qu'une solution de parallélisme, comme l'envisageait le préconstituant.
La proposition du gouvernement appelle trois séries d'objections.
1. La portée de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)
L'article 53 de la CEDH interdit de lui donner une interprétation ayant pour effet de limiter les droits et libertés reconnus notamment par le droit interne. La volonté des auteurs de la Convention n'était pas d'instaurer une uniformisation des droits et libertés dans le droit interne des États européens, mais de garantir en Europe un minimum irréductible, un noyau dur de droits et libertés qui devait laisser la place à des constructions plus généreuses. Les normes constitutionnelles régissant les droits et libertés devraient dans cette optique être plutôt, soit des normes plus favorables aux individus que celles de la Convention, soit des normes qui, tout en étant conformes à celles de la Convention, seraient adaptées aux spécificités nationales.
M. Velu partage les considérations de MM. Simonart et Verdussen dans leur article sur la réforme de la Cour d'arbitrage (15) : « N'est-il pas (...) préférable de ne pas confondre les genres et de conserver aux divers textes qui consacrent les droits fondamentaux leur nature propre et leur technique de contrôle ? N'est-ce pas une manière de consacrer cette double réalité qui veut, d'une part, que la Convention du 4 novembre 1950 et ses Protocoles constituent le noyau dur des droits de l'homme qui fonde la civilisation européenne et que tout État européen digne de ce nom se doit de respecter tout en demeurant libre, d'autre part, d'y donner par ailleurs la configuration qu'il estime devoir donner à ces droits compte tenu de son histoire, de ses traditions et de ses expériences propres ? »
2. La coexistence dans le titre II de la Constitution des droits reconnus par la Convention européenne et ses Protocoles et de droits déjà reconnus par la Constitution.
La note explicative du gouvernement admet que si la Convention européenne et ses Protocoles contiennent des dispositions qu'on ne retrouve pas dans la Constitution belge, une partie considérable des droits et libertés reconnus par des instruments internationaux sont déjà garantis par la Constitution.
Il s'agit du droit à la liberté et à la sûreté, du droit à la légalité des délits et des peines, du droit au respect de la vie privée et familiale, de la correspondance et du domicile, du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, du droit à la liberté d'expression, du droit à la liberté de réunion pacifique et l'association, de l'interdiction des discriminations, du droit au respect des biens, du droit à l'instruction et du droit aux élections libres.
Cette coexistence dans la Constitution de dispositions relatives à des droits fondamentaux antérieurement reconnus par celle-ci et de dispositions de la CEDH relatives à ces mêmes droits est critiquable à un triple point de vue.
Elle risque d'abord d'entraîner des confusions en raison de la signification différente attachée à des concepts selon qu'ils sont utilisés dans la Constitution ou dans la CEDH.
La Cour européenne des droits de l'homme a en effet donné à toute une série de notions contenues dans la Convention ou ses Protocoles, un contenu normatif propre « autonome » qui ne coïncide pas avec celui de notions identiques auxquelles la Constitution se réfère.
Exemples parmi d'autres : les notions de loi et de domicile.
Ensuite, la coexistence de deux types de normes relatives à un même droit fondamental ne peut qu'être source d'ambiguïtés et d'imprécisions.
Dans sa note explicative, le gouvernement expose qu'en cas d'une telle coexistence, « il faut joindre les deux protections » et qu'« en cas de contradiction, la disposition assurant la meilleure protection à l'individu prévaut » (doc. Sénat, 2000-2001, nº 2-575/1, p. 2).
Cependant, les discordances au sujet d'un même droit fondamental entre le texte de la Constitution et celui de la Convention européenne ne se réduisent pas à une solution aussi simple (16).
Enfin, cette coexistence pose problème au regard des exigences de l'article 195 de la Constitution relatif à la révision de celle-ci.
Avec les professeurs Simonart et Verdussen, on peut en effet poser la question de savoir si, compte tenu des termes de la déclaration du 5 mai 1999, le constituant est en droit, par l'insertion d'une disposition comme celle figurant à l'article 32bis, d'obliger d'écarter, au bénéfice de droits internationaux, l'application d'articles qui ne figurent pas dans la liste de ceux qui sont susceptibles de révision. Cela paraît douteux.
3. Les diverses incertitudes suscitées par l'article 32bis en projet
Les incertitudes portent d'abord sur les titulaires des droits reconnus. Alors que les droits consacrés par les articles du titre II de la Constitution sont reconnus aux ressortissants belges et que les étrangers se trouvant sur le territoire national jouissent, aux termes de l'article 191 de la Constitution, « de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi », les titulaires de droits reconnus par la Convention européenne et ses Protocoles additionnels sont en principe les personnes relevant de la juridiction des États contractants, même si elles ne se trouvent pas ou ne résident pas sur le territoire d'un État contractant.
Les auteurs de la proposition d'insertion de l'article 32bis dans un titre II de la Constitution ne concernant que les droits des Belges semblent avoir perdu de vue que l'article 16 de la Convention européenne, l'article 4 de son 4e Protocole et l'article 1er du 7e Protocole (non encore signé et ratifié par la Belgique) visent exclusivement les droits des étrangers.
En outre (question A.2.), le terme « chacun » figurant dans l'article 32bis en projet de la Constitution est ambigu en ce qu'il ne permet pas de distinguer si, eu égard à l'intitulé du titre II de la Constitution, il ne s'applique en principe qu'aux Belges ou si, compte tenu de l'article 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, il s'applique en principe non seulement aux Belges mais aussi à toutes les autres personnes relevant de la juridiction des États parties à la Convention européenne.
Dans le second cas, il s'accorderait mal avec l'article 191 de la Constitution qui reconnaît au législateur la faculté d'apporter des exceptions à la règle énoncée par cet article. L'article 191 de la Constitution n'étant pas repris dans la déclaration de révision du 5 mai 1999, il s'agirait alors d'une révision de cet article effectuée en dehors des conditions exigées par l'article 195 de la Constitution.
D'autres incertitudes ont trait à l'incorporation dans le titre II de la Constitution des limitations générales à l'exercice des droits reconnus par la Convention européenne et ses Protocoles additionnels ou encore à l'application dans le temps des règles de ces instruments internationaux incorporées dans le titre II de la Constitution.
Pour toutes ces raisons, l'orateur formule les plus vives réserves au sujet de l'article 32bis en projet.
Deuxième partie. Le projet d'étendre la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec, notamment, l'ensemble des articles du titre II de la Constitution
Combiné avec la proposition d'insertion d'un article 32bis dans la Constitution, le projet de loi spéciale aurait pour effet l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage, tant au contentieux d'annulation qu'au contentieux préjudiciel, au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses Protocoles additionnels.
Selon M. Velu, ce système méconnaît l'article 142 de la Constitution et le principe général de droit constitutionnel de la primauté du droit international. En outre, il n'est pas de nature à assurer une plus grande unité dans l'interprétation des droits fondamentaux, ce qui est son objectif déclaré.
1. La méconnaissance de l'article 142 de la Constitution relatif à la Cour d'arbitrage
En instituant la Cour d'arbitrage, le Constituant a entendu formellement exclure des attributions de cette juridiction le règlement des conflits entre les actes législatifs et les traités internationaux.
Ainsi qu'il résulte des textes constitutionnels et légaux aussi bien que des travaux préparatoires de ceux-ci, la Cour d'arbitrage est constitutionnellement incompétente pour exercer un contrôle direct de la compatibilité d'un acte législatif avec une règle de droit international. Cette compétence ne peut lui être attribuée, même par une loi spéciale.
La ferme volonté du Constituant sur ce point s'est clairement manifestée, tant lors de l'élaboration du texte initial de l'ancien article 107ter de la Constitution (devenu l'article 142) adopté en 1980, que lors de la révision de cet article en 1988. Elle fut confirmée sans équivoque au cours des travaux préparatoires des lois organiques de la Cour d'arbitrage de 1983 et 1989.
Par le biais de l'incorporation des normes de la CEDH dans la Constitution, le projet, lu à la lumière de l'article 32bis en projet de la Constitution, a manifestement pour objet et pour effet de rendre la Cour d'arbitrage compétente pour exercer un contrôle autonome et direct sur la compatibilité des actes législatifs avec ces normes internationales.
L'exposé des motifs du projet et la note explicative de la proposition du gouvernement relative à la révision du titre II de la Constitution l'admettent explicitement.
Or, n'étant pas inscrit dans la liste des dispositions visées par la déclaration de révision du 5 mai 1999, l'article 142 de la Constitution n'est pas actuellement révisable.
2. La méconnaissance du principe général de droit constitutionnel de la prééminence des traités directement applicables et des implications de ce principe
Ni le texte de l'article 32bis en projet de la Constitution ni celui du projet de loi spéciale ne précisent si l'attribution à la Cour d'arbitrage d'un contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les droits et libertés garantis par la CEDH impliquerait la suppression du pouvoir qu'ont les juridictions judiciaires et administratives d'écarter l'application des actes législatifs, qu'elles jugent incompatibles avec les dispositions directement applicables de ces actes internationaux.
Mais la note explicative de la proposition de révision du titre II de la Constitution et l'exposé des motifs du projet de loi spéciale laissent entendre de manière implicite qu'un contrôle direct du respect de la CEDH par la Cour d'arbitrage entraînerait la suppression de ce pouvoir reconnu aux juridictions judiciaires et administratives.
Or, la suppression de ce pouvoir méconnaîtrait nécessairement le principe général de droit constitutionnel de la primauté sur les normes juridiques internes, des normes des traités internationaux ayant des effets directs dans l'ordre juridique national.
Ce principe actuellement incontesté a été consacré pour la première fois par la Cour de cassation dans son arrêt Le Ski du 27 mai 1971, lequel décide que « lorsqu'un conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir ».
Il implique pour toutes les juridictions judiciaires et administratives le pouvoir et le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui seraient contraires aux dispositions directement applicables des traités internationaux.
Le pouvoir de contrôle appartenant aux juridictions judiciaires et administratives inclut à la fois le pouvoir de constater qu'une règle d'un acte législatif est incompatible avec une règle directement applicable d'un traité et, une fois cette incompatibilité constatée, le pouvoir d'écarter l'application de la règle de l'acte législatif en décidant qu'en l'espèce les effets de celui-ci sont arrêtés.
La volonté du Constituant de 1980 et de 1988 a été, en déterminant les attributions de la Cour d'arbitrage, de sauvegarder intégralement ce pouvoir des juridictions judiciaires et administratives.
Si, comme le prétend l'exposé des motifs, l'obligation pour les juridictions judiciaires et administratives de poser une question préjudicielle en ce domaine à la Cour d'arbitrage ne portait pas atteinte au pouvoir de ces juridictions d'écarter l'application d'un acte législatif jugé incompatible avec un traité international directement applicable, parce que seule l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendrait à la Cour d'arbitrage, le constituant en 1980 ou en 1988 ou le législateur spécial en 1989 n'auraient pas rejeté les diverses propositions tendant à attribuer à la Cour d'arbitrage la compétence de statuer sur les questions préjudicielles qui lui seraient posées en ce domaine, au motif notamment que l'octroi d'une telle compétence méconnaîtrait le pouvoir de ces juridictions.
La compétence de la Cour d'arbitrage en la matière ne saurait donc constitutionnellement exclure celle des juridictions judiciaires et administratives.
L'instauration d'un contrôle direct du respect de la CEDH par la Cour d'arbitrage ne peut avoir en soi pour conséquence de priver les cours et tribunaux du pouvoir qu'ils ont d'exercer ce même contrôle à titre incident (question B.1.1.).
Comment les juridictions judiciaires et administratives pourraient-elles contrôler, dans ce cas, la compatibilité d'une norme législative avec la CEDH sans contrôler simultanément sa compatibilité avec l'article 32bis de la Constitution ?
L'article 142 de la Constitution, qui n'est pas actuellement révisable, ne permet pas à la Cour d'arbitrage d'exercer un contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les normes des traités internationaux, celles-ci fussent-elles incorporées dans la Constitution. Les juridictions judiciaires et administratives, n'ayant pas le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des actes législatifs auront cependant dans le cas envisagé, la faculté ou le devoir de suivre la Cour d'arbitrage suivant les modalités prévues par l'article 26 de la loi spéciale.
Loin d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation des droits fondamentaux, la réforme proposée pourrait entraîner ainsi une juxtaposition de contrôles juridictionnels de nature à accroître les risques de divergences entre les décisions portant sur l'application de ces droits.
3. L'inadéquation du système proposé par rapport au but poursuivi, consistant à assurer une plus grande unité dans l'interprétation des normes relatives aux droits fondamentaux.
D'une part, à supposer même que la réforme proposée permette constitutionnellement de rendre la Cour d'arbitrage exclusivement compétente pour exercer un contrôle direct sur la compatibilité des actes législatifs avec les normes directement applicables de la CEDH, les juridictions judiciaires et administratives conserveraient de toute façon la compétence de contrôler la conformité à ces normes de tous les actes émanant des autorités judiciaires et administratives ainsi que la conformité aux normes directement applicables des nombreux autres traités internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme, de tous les actes émanant des autorités publiques, en ce compris les actes législatifs (question B.2.2.).
D'autre part (question B.2.1.), une autorité autre que la Cour d'arbitrage a en charge la tâche d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de la CEDH. En tant que partie à cette Convention, l'État belge a reconnu à la Cour européenne des droits de l'homme la mission d'interpréter les normes de celle-ci.
En vertu de la Convention, la compétence de la Cour européenne s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses Protocoles qui lui sont soumises. Comme la Cour européenne l'a relevé elle-même, il s'en déduit que ses arrêts servent, non seulement à trancher les affaires dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect des engagements assurés par les États contractants. Ces arrêts sont, dès lors, susceptibles de produire des effets débordant les limites du cas d'espèce. Encore qu'elle ne comporte que peu de références explicites aux arrêts de la Cour européenne, la jurisprudence belge a évidemment égard à l'autorité spécifique qui s'attache à la jurisprudence interprétative de cette Cour.
À la question B.3.1. relative au contrôle de conformité à des traités autres que la CEDH, l'orateur répond qu'une juridiction peut décider de ne pas appliquer une norme de droit interne qu'elle estime contraire à une disposition des Pactes ONU si le titre II de la Constitution ou la CEDH garantissent un droit fondamental similaire.
La compétence de la Cour d'arbitrage de vérifier la conformité d'un acte législatif au principe constitutionnel d'égalité n'empêche pas les autres juridictions de vérifier si un acte législatif est compatible avec le principe d'égalité contenu dans un traité international. La compétence des cours et tribunaux d'assurer le respect du principe d'égalité contenu dans un traité international ne vide pas la compétence de la Cour d'arbitrage de sa substance : la jurisprudence existante le montre.
L'extension de compétence de la Cour d'arbitrage ne saurait priver les juridictions judiciaires du pouvoir de ne pas appliquer une norme législative de droit interne qu'elles estiment contraire à des normes directement applicables de traités internationaux, même si le titre II de la Constitution ou la Convention européenne garantissent un droit fondamental similaire.
L'uniformité d'interprétation souhaitée s'en trouve effectivement menacée.
La réponse vaut également pour les traités spécifiques visés dans la question dans la mesure où il s'agit de normes directement applicables de ces traités.
Quant à la question B.3.2., l'article 53 de la Convention européenne a pour effet que la Cour d'arbitrage aurait effectivement à intégrer indirectement dans son appréciation les autres traités internationaux de protection des droits de l'homme qui lient la Belgique. Dans la logique de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, la Cour pourrait indirectement, par le détour des articles 10 et 11 de la Constitution, se référer à l'ensemble de ces traités.
Quant à la question B.3.4, l'orateur estime que les juridictions judiciaires et administratives pourront toujours procéder directement au contrôle de la conformité à la Convention européenne d'un acte législatif transposant ou exécutant le droit communautaire.
L'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage serait contraire à la jurisprudence de la Cour de Justice connue par l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978.
À la question C.1. relative à l'étendue de l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage, M. Velu répond qu'il ne s'indique pas, selon lui, d'étendre cette compétence en matière de contrôle du respect du principe de légalité, à d'autres dispositions constitutionnelles que l'article 172 de la Constitution.
Quant à la question D.1. il est évident que la modification proposée risque d'entraîner une augmentation considérable des affaires dont la Cour sera saisie et aura nécessairement une incidence sur les délais dans lesquels les juridictions judiciaires et administratives pourront rendre leurs décisions définitives.
Sur la question D.2. relative aux voies de recours internes, M. Velu est d'avis que la règle de l'épuisement des voies de recours internes impose au justiciable qui entend introduire un recours devant la Cour européenne, de demander à la juridiction judiciaire ou administrative qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour d'arbitrage. Exceptionnellement, des circonstances particulières selon les principes de droit international généralement reconnus, pourraient relever ce justiciable de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes, par exemple, la circonstance que le recours serait vain ou inefficace, ce caractère vain ou inefficace pouvant découler de l'existence d'une jurisprudence nationale bien établie. Lorsque le requérant devant la Cour européenne avait le choix entre plusieurs voies de recours internes, les difficultés qui pouvaient surgir de ce fait ont été résolues par les organes de contrôle de Strasbourg en fonction des données de chaque cas d'espèce (17).
Enfin (question D.3.), la suggestion de donner compétence à la Cour d'arbitrage de régler les effets dans le temps des arrêts préjudiciels, par analogie avec l'actuel article 8, alinéa 2, de la loi spéciale qui concerne les arrêts sur recours en annulation, a été formulée par certains auteurs surtout comme un moyen d'atténuer le risque de dichotomie entre l'ordre juridique international et l'ordre juridique interne suite à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage relative à sa compétence de contrôler la constitutionnalité des actes législatifs d'assentiment aux traités internationaux (18). Ce dernier problème doit être examiné dans une perspective plus large. La suggestion proposée, de toute manière, pourrait atténuer le risque de dichotomie signalé, mais non le supprimer.
Troisième partie. Le projet d'exclure la faculté pour la Cour d'arbitrage de statuer par voie de questions préjudicielles sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution et les règles répartitrices de compétence lorsqu'il s'agit d'un acte portant assentiment à un « traité constituant » de l'Union européenne, à la Convention européenne des droits de l'homme ou à un Protocole additionnel de celle-ci
Selon M. Velu, si le projet va dans une bonne direction, la réforme qu'il propose est insuffisante et devrait être complétée.
Suivant l'exposé des motifs du projet, l'objectif poursuivi est de « garantir la stabilité des relations internationales. Désormais, des actes d'assentiment à ces traités pourront uniquement faire l'objet d'un recours en annulation à introduire devant la Cour d'arbitrage dans les soixante jours de la publication des actes, à l'exclusion de toute compétence en la matière d'autres juridictions » (doc. Sénat, nº 2-897/1, pp. 3 et 8).
Si la loi spéciale reconnaît expressément la compétence de la Cour d'arbitrage pour statuer sur les recours en annulation dirigés contre un acte législatif par lequel un traité reçoit l'assentiment, aucune disposition de cette loi ne prévoit ni n'exclut la possibilité pour les juridictions de poser des questions préjudicielles au sujet des actes d'assentiment aux traités.
Ni les travaux du constituant relatifs à l'article 142 de la Constitution, ni les travaux parlementaires des lois organiques de la Cour d'arbitrage ne fournissent d'éléments précis d'interprétation quant à cette possibilité. Lors des travaux préparatoires de la première loi organique sur la Cour d'arbitrage, le législateur a seulement exprimé sa préoccupation de garantir la sécurité et la stabilité internationale, pour justifier la durée du délai de recevabilité des recours en annulation dirigés contre les actes législatifs d'assentiment, (durée réduite à soixante jours au lieu de six mois) (doc. Sénat, 1981-1982, nº 246/1, pp. 6 et nº 246/2, pp. 40, 52 et 105).
Mais la jurisprudence de la Cour d'arbitrage s'est fixée dans le sens de la possibilité, voire de l'obligation, pour les juridictions de poser des questions préjudicielles en la matière : depuis un arrêt du 16 octobre 1991, la Cour d'arbitrage se considère compétente tant au contentieux de l'annulation qu'au contentieux des questions préjudicielles pour contrôler la compatibilité d'un acte législatif portant assentiment à un traité international en vigueur en Belgique avec les règles et les articles visés à l'article 1er de la loi spéciale.
Cette jurisprudence très controversée a ranimé le débat relatif à l'éventualité d'un conflit entre le traité et la Constitution.
Est-ce à la Constitution ou au traité qu'il convient de reconnaître la primauté ? Et parallèlement, si le conflit est assujetti à un contrôle juridictionnel, s'agit-il d'un contrôle de constitutionnalité du traité ou d'un contrôle de compatibilité de la Constitution avec le traité ?
Le point de vue de M. Velu va dans le sens de la primauté du droit international conventionnel directement applicable sur le droit constitutionnel et, donc d'un contrôle de compatibilité de la Constitution avec le traité.
Toutefois, selon l'orateur, cette primauté ne revêt pas un caractère absolu.
Elle signifie qu'une fois qu'un traité ayant des effets directs est entré en vigueur internationalement à l'égard de l'État belge, les juridictions non plus que les autres organes étatiques ne sauraient, sous prétexte de son inconstitutionnalité intrinsèque, entraver son exécution ou méconnaître ses effets.
1. Ce point de vue peut être justifié d'abord par les exigences de l'ordre juridique international.
Le droit international ne donne pas aux États le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution. Mais par la loi du 10 juin 1992, le législateur a donné son assentiment à la Convention sur le droit des traités faite à Vienne le 23 mai 1969 et entrée en vigueur le 1er octobre 1992 à l'égard de l'État belge. L'article 27 de cette convention énonce expressément la règle, suivant laquelle « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d'un traité ».
Ceci implique qu'un État partie à un traité ne peut invoquer les dispositions de sa Constitution pour justifier qu'il n'a pas exécuté les obligations de ce traité.
La règle énoncée à l'article 27 de la Convention de Vienne ne revêt toutefois pas un caractère absolu.
Ainsi que l'indique cet article, elle est « sans préjudice » de l'article 46 de la Convention, aux termes duquel « le fait que le consentement d'un État à être lié par un traité a été exprimé en violation d'une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet État comme viciant son consentement, à moins que cette violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d'importance fondamentale ».
Dans l'ordre juridique international, le traité en vigueur a donc primauté sur les constitutions des États qui y sont parties sauf si le traité viole manifestement des règles constitutionnelles d'importance fondamentale relatives à la compétence pour conclure des traités, auquel cas, en principe, le traité doit, dans cet ordre juridique, être considéré comme annulable.
2. Ce point de vue se fonde aussi sur les exigences de l'ordre juridique interne.
Dans cet ordre juridique, la contradiction entre le traité et la Constitution revêt un caractère foncièrement différent selon qu'elle se présente avant ou après l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge.
a) Avant l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge, les exigences de l'ordre juridique interne consacrent la prééminence de la Constitution sur le traité : le Constituant ne permet pas au législateur de déroger à ses normes par le biais d'actes d'assentiment à des traités internationaux.
Dès lors, si le traité non encore en vigueur à l'égard de l'État belge comporte des dispositions incompatibles avec la Constitution, les autorités publiques intervenant dans la procédure de conclusion, d'approbation ou de ratification du traité doivent opter pour l'une de ces trois attitudes :
ou bien elles refusent de donner leur assentiment au traité ou de le ratifier;
ou bien, au moment de signer, de ratifier, d'accepter le traité ou d'y adhérer, elles formulent une réserve, sauf si les réserves sont interdites par le traité, si le traité dispose que seules des réserves déterminées peuvent être faites parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question ou si la réserve est incompatible avec l'objet et le but du traité (Convention de Vienne, article 19);
ou bien elles mettent en oeuvre la procédure de révision de la Constitution prévue par l'article 195 de la Constitution et veillent à ce que la révision de la disposition constitutionnelle incriminée soit réalisée préalablement à l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État.
Par conséquent, avant l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge, la Cour d'arbitrage est assurément compétente pour contrôler la conformité des actes législatifs d'assentiment à des traités avec les règles répartitrices de compétence et les articles 10, 11 et 24 de la Constitution.
b) La situation est différente face à un traité en vigueur dans l'ordre juridique international et liant la Belgique.
Si la contradiction entre le traité et la Constitution trouve son origine dans la violation manifeste de règles constitutionnelles fondamentales relatives à la compétence pour conclure des traités, il n'y a pas d'inconvénient à admettre la primauté de la règle constitutionnelle puisque cette primauté est admise par l'article 46 de la Convention de Vienne dans l'ordre juridique international.
Il n'en va pas de même pour les autres contradictions entre le traité et la Constitution : M. Velu estime que lorsque, après l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge, surgit devant les juridictions un conflit entre une norme constitutionnelle et une norme du traité ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne qui ne trouve pas son origine dans la violation manifeste d'une norme interne d'importance fondamentale concernant la compétence pour conclure des traités, il appartient à ces juridictions de faire prévaloir, sauf dispositions contraires du traité, la norme de celui-ci. Dans le cas envisagé, la Cour d'arbitrage perd sa compétence pour exercer un contrôle de constitutionnalité intrinsèque sur l'acte législatif d'assentiment au traité.
En consacrant, par son arrêt Le Ski, le principe général de droit constitutionnel de la primauté des normes des traités directement applicables dans l'ordre juridique interne, la Cour de cassation s'est exprimée en ces termes : « lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir; la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel ».
Cette formule que l'on retrouve dans plusieurs arrêts ultérieurs n'établit pas de distinction entre les diverses normes de droit interne. Pour la Cour de cassation, la primauté des traités internationaux ayant des effets directs dans l'ordre juridique belge vaut notamment à l'égard des normes constitutionnelles.
De plus, si, comme le considère la Cour de cassation, c'est en raison de la nature du droit international conventionnel que celui-ci doit primer la loi interne, il doit nécessairement primer aussi la Constitution.
Ce faisant, la Cour de cassation a opté pour une solution qu'elle jugeait la plus conforme à l'éthique internationale, qui procède de l'idée que le droit ne peut être qu'un, à peine de ne pas être, et qui permet au juge de veiller à ce que l'État remplisse ses obligations internationales. Si elle n'a pas établi de distinction parmi les normes relevant de l'ordre juridique interne, c'est qu'une telle distinction ne se justifie pas.
En 1988, M. le sénateur Lallemand, co-rapporteur au Sénat sur la proposition concernant l'ancien article 107ter de la Constitution (l'article 142 actuel), affirmait à juste titre que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la norme de droit international prime, en Belgique, non seulement la loi, mais aussi la Constitution (Annales, Sénat, session extraordinaire, 14 juin 1988, p. 471).
Le principe général de droit constitutionnel dégagé par cette jurisprudence s'est trouvé conforté par la loi du 10 juin 1992 approuvant la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Dès lors, s'agissant d'un conflit entre une norme constitutionnelle et une norme d'un traité en vigueur à l'égard de l'État qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la primauté qui doit être reconnue à la norme du traité confère aux juridictions judiciaires et administratives le pouvoir et le devoir d'écarter l'application de la norme constitutionnelle en déclarant que les effets de celle-ci sont arrêtés dans la mesure où elle est incompatible avec la norme du traité.
Par exemple si, sous le régime antérieur à la modification constitutionnelle du 5 mai 1993 où la matière de la responsabilité pénale des ministres était régie par les articles 90 et 134 anciens de la Constitution, la Cour de cassation avait eu à juger un ministre pour des faits relatifs à la fonction ministérielle qui n'étaient pas prévus par la loi pénale au moment où ils avaient été commis, elle aurait eu le pouvoir et le devoir d'assurer le plein effet des normes directement applicables des articles 7 de la CEDH et 15 du Pacte PIDCP en écartant de sa propre autorité l'application de l'ancien article 134 de la Constitution qui, par son contenu, s'avérait inconciliable avec ceux-ci.
C'est au demeurant ce que la Cour de cassation paraît avoir implicitement admis dans son arrêt INUSOP du 12 février 1996 rendu chambres réunies (Pas. 1996, I, nº 75, note de J. Velu).
Pour justifier sa compétence en la matière dans le cadre du contentieux préjudiciel, la Cour d'arbitrage a considéré en 1991 que la reconnaissance de cette compétence n'était pas de nature à porter atteinte à la sécurité et à la stabilité des relations internationales, au motif que, par elle-même, une décision préjudicielle par laquelle la Cour constate une violation n'est pas applicable erga omnes et ne fait pas disparaître de l'ordre juridique belge la règle de droit qui en fait l'objet (arrêt nº 26/91 du 16 octobre 1991).
Cette motivation était peu convaincante car une déclaration d'inconstitutionnalité rendue sur question préjudicielle aurait nécessairement pour effet que le juge de renvoi ne pourrait plus appliquer le traité auquel l'acte d'assentiment donnait sa force obligatoire, alors que le traité lie internationalement la Belgique. Une telle déclaration qui entraverait l'exécution du traité est de nature à engager la responsabilité internationale de la Belgique.
Dans un deuxième temps, en 1994, la Cour d'arbitrage, confrontée au conflit pouvant exister entre la mise en cause de la responsabilité internationale de la Belgique du fait de ses arrêts et les exigences du respect des normes constitutionnelles, a choisi délibérément de donner la primauté au respect de la Constitution en se fondant sur deux arguments.
Le premier est de droit constitutionnel : « Le constituant, qui interdit que le législateur adopte des normes législatives internes contraires aux normes visées par l'article 107ter de la Constitution (actuel article 142), ne peut être censé autoriser ce législateur à le faire indirectement par le biais de l'assentiment donné à un traité international. »
Le second relève du droit international : « Aucune norme de droit international lequel est une création des États , même pas l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, ne donne aux États le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution. »
Cette argumentation procède d'une vision du droit suivant laquelle l'ordre juridique international et l'ordre juridique interne doivent être considérés comme deux systèmes de droit égaux et séparés qui ne se confondent jamais, ce qui revient à affirmer que l'ordre juridique interne a une valeur propre, indépendante de sa conformité avec l'ordre juridique international. Dans la logique de cette doctrine, le droit international conventionnel n'a pas, en droit interne, primauté sur les normes constitutionnelles. Si le contrôle de la constitutionnalité intrinsèque des traités a un sens, le contrôle de la compatibilité de la Constitution avec les traités n'en a aucun.
M. Velu partage une vision toute différente, suivant laquelle, d'une part, l'ordre juridique international et l'ordre constitutionnel sont des sphères d'un seul ordre juridique plus large, non des ordres juridiques séparés; deux règles contradictoires, la règle du traité en vigueur directement applicable et la règle de la Constitution régissant les mêmes matières et les mêmes sujets, ne peuvent logiquement, dans le même temps, être valables et obligatoires l'une et l'autre. D'autre part, l'État a l'obligation sanctionnée par sa responsabilité internationale de veiller à ce qu'une règle constitutionnelle incompatible avec une règle d'un traité directement applicable auquel il est partie ne puisse valablement être opposée à celle-ci; cette obligation pèse sur tous les pouvoirs, et notamment sur les juridictions.
Entre ces deux visions du droit, il convient d'établir son choix dans la cohérence.
En affirmant, dans l'arrêt Le Ski en 1971, et dans plusieurs arrêts ultérieurs, la prééminence de la norme directement applicable d'un traité international en vigueur sur la norme de droit interne, et en fondant cette prééminence sur la nature du droit international conventionnel, la Cour de cassation a sans ambiguïté fait sienne cette deuxième vision.
Ne serait-il pas déraisonnable aujourd'hui d'écarter cette logique, alors surtout qu'elle est celle qui se concilie le mieux avec la règle de droit international faisant depuis quelques années partie de notre ordre juridique interne qui interdit à un État d'exciper de ses normes de droit interne, en ce compris les normes constitutionnelles, pour justifier l'inexécution d'obligations découlant des traités auxquels il est partie ?
Pour le surplus, les arguments avancés par la Cour d'arbitrage et les publicistes qui approuvent sa jurisprudence paraissent pour la plupart reposer sur une lecture inexacte voire incomplète de cette opinion. Ainsi, cette thèse n'affirme ni que la Constitution autorise le législateur à déroger à la Constitution par le biais de l'assentiment donné à des traités, ni que le droit international donne aux États le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution.
La doctrine reste partagée. Une étude datant de 1997 signalait que la majeure partie de la doctrine approuve la jurisprudence de la Cour d'arbitrage et que son maintien semblerait bien accepté (Rev. belge de dr. const., 1998, p. 3-43, spécialement, p. 10-12).
Or, il convient de rappeler que la thèse de la primauté du traité sur la Constitution a été défendue avant les années nonante par d'éminents auteurs comme J. De Meyer, P. De Visscher, R. Ergec, J.V. Louis, K. Rimanque, J. Salmon et A. Vanwelkenhuyzen.
Depuis lors, la jurisprudence de la Cour d'arbitrage a été sévèrement critiquée par J. Delva, président émérite de cette Cour. Bon nombre de publicistes, avec des nuances diverses, continuent à soutenir la thèse de la primauté du traité sur la Constitution en marquant leur désaccord avec la jurisprudence de la Cour d'arbitrage. Parmi eux, citons notamment les noms de A. Alen, C. Barthélémy, J. Delva, J. De Meyer, G. Duffy, R. Ergec, J.V. Louis, K. Rimanque et J. Wouters, J. Salmon, J. Sohier, J. Vande Lanotte et G. Goedertier, P. Van Orshoven, J. Velaers, M. Verdussen.
3. Quelles conclusions tirer de ces réflexions ?
L'on peut se réjouir que le souci du gouvernement de garantir la sûreté et la stabilité des relations internationales l'ait conduit à proposer d'exclure la faculté pour la Cour d'arbitrage de statuer dans le cadre du contentieux des questions préjudicielles, sur la compatibilité d'un acte d'assentiment à deux catégories d'instruments internationaux, avec les règles et les articles visés à l'article 1er de la loi spéciale.
On comprend mal par contre que ce souci n'ait pas incité le gouvernement à proposer d'exclure du champ d'application du contentieux préjudiciel de la Cour d'arbitrage les actes législatifs portant assentiment aux autres traités internationaux et d'apporter certaines limitations au champ d'application du contentieux d'annulation quant au contrôle des actes législatifs portant assentiment aux traités internationaux en général et aux nouveaux « traités constituants » de l'Union européenne et aux nouveaux Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme en particulier.
a) Pour ce qui est du contentieux préjudiciel, la jurisprudence de la Cour d'arbitrage a pour effet que n'importe quelle disposition d'un traité est susceptible, après son entrée en vigueur, d'être, à la suite d'une question préjudicielle, déclarée incompatible avec une règle ou un des articles visés à l'article 1er de la loi spéciale et d'être ainsi privée, même après plusieurs années, de son efficacité dans l'ordre juridique interne. Qui plus est, sauf circonstance exceptionnelle, une question préjudicielle n'est susceptible d'être posée à la Cour que lorsque le traité, en contradiction avec la Constitution, lie internationalement la Belgique.
L'exposé des motifs admet expressément la nécessité « d'éviter que la confiance à l'égard des autres parties contractantes puisse être ébranlée à cause d'une décision ultérieure de la Cour d'arbitrage ».
À cet égard, il observe avec pertinence qu'« alors que le délai pour introduire un recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance d'assentiment est limité à soixante jours pour les autres actes législatifs, ce délai est de six mois , la procédure préjudicielle offre la possibilité de mettre un traité en question sans restriction dans le temps et donc éventuellement plusieurs années après sa ratification », et que « l'existence d'une telle faculté nuit à la sécurité juridique et à la stabilité des relations internationales » (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 8).
La situation créée par la jurisprudence de la Cour d'arbitrage constitue un facteur d'insécurité juridique et d'instabilité dans les relations internationales et est tout aussi contraire aux exigences de l'ordre juridique international et de l'ordre juridique interne que celle à laquelle le projet entend mettre fin.
On n'aperçoit pas la raison pour laquelle la circonstance que les deux types de traités visés dans le projet jettent les bases, soit de l'Union européenne, soit des droits fondamentaux reconnus au niveau européen, et font l'objet d'un contrôle judiciaire supranational, supprimerait la nécessité de garantir la sécurité et la stabilité internationales en ce qui concerne l'exécution d'autres traités en vigueur.
Contrairement à l'opinion du gouvernement, M. Velu estime que l'exclusion du champ d'application du contentieux préjudiciel de la Cour de tous les actes législatifs d'assentiment à des traités ne serait contraire ni à l'article 142 de la Constitution ni au principe constitutionnel d'égalité, et cela pour les raisons indiquées par le Conseil d'État dans ses avis des 11 mars 1998 et 25 avril 2000.
b) Pour ce qui est du contentieux d'annulation, il faut être conscient de ce que le contrôle de la Cour d'arbitrage qui est uniquement dépendant de la publication de l'acte d'assentiment au Moniteur belge, est susceptible de porter sur des traités déjà en vigueur à l'égard de la Belgique à ce moment. Tel est le cas lorsque la publication de l'acte législatif d'assentiment s'effectue postérieurement à la ratification du traité ou à son entrée en vigueur sur le plan international.
Il conviendrait donc d'exclure les recours en annulation pour des actes d'assentiment à des traités lorsque le contrôle interviendrait postérieurement à la ratification du traité ou à son entrée en vigueur sur le plan international, à l'égard de la Belgique.
Une telle exclusion ne serait contraire ni à l'article 142 de la Constitution, ni au principe constitutionnel d'égalité, pour les raisons exposées dans les deux avis du Conseil d'État cités précédemment.
Sans doute, le problème pourrait-il être résolu, comme le suggère le Conseil d'État, si chaque acte d'assentiment était publié avant la ratification du traité et si le traité n'était ratifié qu'à l'issue du délai d'introduction d'un recours contre l'acte d'assentiment ou en cas d'introduction d'un tel recours, après que la Cour d'arbitrage aura rejeté le recours (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 29-30). Le souci du législateur de 1989 était déjà que le contrôle éventuel de la Cour s'effectue avant l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge ou avant sa ratification, mais la pratique montre qu'il n'est pas rare que l'acte législatif d'assentiment soit publié au Moniteur après la ratification du traité ou son entrée en vigueur à l'égard de la Belgique sur le plan international.
Par conséquent, selon M. Velu, l'exclusion des questions préjudicielles au sujet des actes par lesquels les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH reçoivent assentiment paraît compatible avec l'article 142 de la Constitution ainsi qu'avec le principe d'égalité et de non-discrimination (question E.1.).
Il n'aperçoit pas où et quand le gouvernement aurait explicitement développé la thèse qu'il y avait lieu de distinguer, en ce qui concerne le rapport entre la Constitution et un traité international, selon que le traité a été conclu en application de l'article 34 de la Constitution ou non. Lors des travaux préparatoires de la loi du 25 mai 2000 portant assentiment au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, fait à Rome le 17 juillet 1998, le ministre des Affaires étrangères, parlant au nom du gouvernement, a déclaré que « si la Belgique ratifie le Statut de Rome, les dispositions de ce statut auront un effet direct et primeront le droit interne belge, en ce compris la Constitution », sans faire de distinction basée sur l'article 34 de la Constitution (doc. Sénat, nº 2-329/2, p. 5).
La Cour d'arbitrage ne paraît pas non plus avoir fait une telle distinction. Toutefois, dans un rapport que MM. Melchior et De Greve ont établi en 1993 pour la Cour d'arbitrage, il est affirmé que, si le problème du contrôle à exercer sur la compatibilité des traités instituant les Communautés européennes au regard de la Constitution était soumis à la Cour d'arbitrage, « la question de la compétence de celle-ci ne pourrait être tranchée sans tenir compte de l'article 25bis (actuellement 34) de la Constitution ».
À la question E.2., l'orateur répond que c'est aux auteurs du projet de loi qu'il faudrait demander ce qu'ils entendent par les termes « traité constituant de l'Union européenne ».
Quatrième partie. Le projet de supprimer en principe l'obligation pour les juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage dans le cadre de certaines procédures d'urgence.
Le projet prévoit la suppression en principe de l'obligation de poser une question préjudicielle, d'une part dans le cadre des procédures en référé, d'autre part dans la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive.
1. Pour ce qui est des procédures en référé :
a) Sur le principe de la suppression de l'obligation de poser une question préjudicielle :
Suivant le projet, une juridiction ne serait pas tenue en principe de poser une question préjudicielle dans le cadre de la procédure visée aux articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d'État ou de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire.
S'agissant de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire, M. Velu attire l'attention sur deux points.
En ne visant que l'article 584 du Code judiciaire, le texte exclut de son champ d'application les procédures dites « comme en référé » vraisemblablement parce que les pouvoirs dévolus aux présidents dans le cadre de telles procédures s'exercent au principal, seules étant empruntées les formes du référé. Les présidents statuent au fond par une décision ayant autorité de chose jugée sur la question litigieuse de savoir si un comportement déterminé est ou non conforme aux règles de droit. Il conviendrait qu'il soit précisé au cours des travaux parlementaires que, de cette exclusion, on ne saurait déduire que la dispense de poser une question préjudicielle ne peut être invoquée dans le cadre d'une action présidentielle au provisoire exercée par la personne qui s'estime lésée à l'occasion d'une action présidentielle « comme en référé » (question F.1.1.).
L'expression « dans le cadre de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire » ne permet pas de discerner si la procédure en question est uniquement la procédure de référé qui se déroule devant le président du tribunal de première instance, le président du tribunal du travail ou le président du tribunal de commerce ou si elle se rapporte également à la procédure suivie devant les juridictions ayant à connaître de voies de recours dirigées contre la décision de référé et notamment devant le juge d'appel ou devant la Cour de cassation. Cette ambiguïté devrait être levée soit par un ajout au texte soit par un commentaire approprié au cours des travaux parlementaires.
b) Sur les exceptions à ce principe :
La dispense accordée par le projet dans le cadre des procédures de référé administratives et civiles est assortie de deux exceptions :
lorsqu'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er de la loi spéciale;
lorsque la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
Dans ces deux cas, l'obligation pour la juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage subsiste.
Ces exceptions appellent deux observations d'ordre général.
La première est que ni le texte du projet, ni l'exposé des motifs ne permettent de discerner avec certitude si dans ces deux cas, les exceptions à l'obligation de renvoi prévues à l'article 26, § 2, de la loi spéciale sont ou non applicables aussi aux juridictions ayant à statuer dans le cadre des procédures de référé.
Cette incertitude devrait être levée.
Deuxièmement, le texte en projet s'avère également source d'incertitude quant à l'attitude que les juridictions doivent adopter dans l'attente de la décision de la Cour d'arbitrage.
En vertu de l'article 30 de la loi spéciale, la décision de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage suspend la procédure ainsi que les délais de procédure et de prescription. Cette disposition paraît bien impliquer que la juridiction de référé qui pose une question préjudicielle doit surseoir à prendre toute autre décision jusqu'à l'arrêt de la Cour, et notamment à ordonner les mesures provisoires qu'impose l'urgence. Or, des explications fournies au Conseil d'État par le délégué du gouvernement, il ressort que le juge des référés qui, ayant des doutes sérieux quant à la validité d'un acte législatif, pose une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, pourrait néanmoins ordonner une ou des mesures provisoires en attendant que la Cour statue sur la question préjudicielle. (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 33).
La première exception visée dans le projet est l'existence de doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles visés à l'article 1er de la loi spéciale : sans doute vaudrait-il mieux corriger la terminologie suivant les suggestions contenues dans la question G.2.
Des explications fournies par le délégué du gouvernement au Conseil d'État, il ressort que « si une juridiction a des doutes (sérieux) quant à la validité de l'acte concerné, elle doit, en principe, poser une question préjudicielle; dans ce dernier cas, la juridiction peut néanmoins ordonner une mesure provisoire en attendant que la Cour d'arbitrage statue sur la question préjudicielle par laquelle la question de la validité de l'acte concerné est soumise à la Cour. Dans ce cas, il appartient à la juridiction concernée de préciser que la mesure provisoire cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle l'arrêt de la Cour d'arbitrage constatant que la disposition contestée ne viole aucune norme supérieure est communiquée aux parties, soit à une date que fixe la juridiction elle-même en tenant compte de la réponse fournie par la Cour d'arbitrage à la question préjudicielle ». Concluant son avis sur ce point, le Conseil d'État estimait qu'il convenait que le texte du projet fût réécrit dans ce sens (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 33).
Tout en tenant compte de ces précisions, le texte du projet autant que l'exposé des motifs restent lacunaires à défaut d'indiquer clairement que, dans l'esprit du gouvernement, lorsqu'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, la juridiction de référé devrait poser une question préjudicielle tout en ayant le pouvoir d'ordonner une ou des mesures provisoires produisant leurs effets jusqu'à la décision de la Cour d'arbitrage. Autrement dit, dans l'hypothèse envisagée, l'ordonnance ou l'arrêt de référé devrait contenir normalement deux décisions : la première par laquelle la question préjudicielle est posée à la Cour d'arbitrage; la seconde par laquelle une ou des mesures provisoires sont ordonnées.
La situation pourrait être quelque peu clarifiée sur la base des suggestions faites par la doctrine et reproduites dans la question F.2.2.
Pour la seconde exception visée dans le projet (Cour d'arbitrage saisie d'une demande ayant le même objet), la terminologie pourrait aussi être corrigée comme l'indique la question G.1.
Question F.1.2. : Pour que le juge puisse savoir si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, la publication dans le Moniteur belge d'un avis indiquant l'auteur et l'objet du recours ou de la question préjudicielle serait suffisante.
Dans la question F.1.3. on se demande s'il ne serait pas souhaitable, comme l'a suggéré le Conseil d'État, qu'une juridiction soit dispensée de poser une question préjudicielle si la Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle qui va dans le même sens.
M. Velu se demande si cette seconde exception qui ne figurait pas dans l'avant- projet de loi ne repose pas sur une interprétation erronée de l'avis du Conseil d'État ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes en ce qui concerne la portée de l'obligation faite aux juges nationaux de poser des questions préjudicielles à cette Cour.
Si l'on transpose cette dialectique de la Cour de Justice à l'obligation pour les juridictions de référé de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, on devrait considérer que les juridictions ne sont pas tenues de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures de référé sauf dans le cas où il existerait des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er de la loi spéciale, et que la Cour d'arbitrage ne serait pas déjà saisie de la question ayant pour objet cette compatibilité. Dans le cas où il existe des doutes sérieux sur cette compatibilité de l'acte législatif, la juridiction des référés peut ordonner des mesures provisoires produisant leurs effets jusqu'à ce que la Cour d'arbitrage ait statué sur la question de compatibilité. Elle doit, dès lors, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de compatibilité, renvoyer elle-même cette question à la Cour d'arbitrage.
Dans cette optique, la circonstance que la Cour d'arbitrage soit déjà saisie d'une demande ayant le même objet ne devrait pas constituer une exception nouvelle et indépendante, à côté de celle qui se rapporte à l'existence de doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, mais une atténuation de cette dernière exception. Ceci répond aussi à la question F.2.1.
Quant à la question F.2.3., il y aurait lieu effectivement de prévoir de toute manière pour la Cour d'arbitrage, des règles de procédure lui permettant de statuer rapidement dans des procédures d'urgence.
2. Pour ce qui est des procédures d'appréciation du maintien de la détention préventive :
Suivant le texte du projet, la dispense de poser une question préjudicielle ne se rapporte qu'à la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive visée aux articles 21, 22, 30 et 31 de la loi du 20 juillet 1990, ce qui donne lieu à deux observations.
Premièrement, des incertitudes existent quant au champ d'application de la dispense découlant de l'article 30, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990, en ce que cet article renvoie aux articles 25, 27 et 28 de cette loi, non visés dans le texte du projet.
Seconde remarque, le texte en projet exclut du champ d'application de la dispense de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, les procédures d'appréciation du maintien d'une détention préventive autres que celles qui sont régies par la loi du 20 juillet 1990 alors qu'il existe des régimes particuliers de détention préventive organisés par des lois spéciales et protégés par l'article 5, § 1er, c), de la Convention européenne des droits de l'homme. Il en est ainsi par exemple de la détention préventive des ministres, de leurs coauteurs ou complices, ainsi que des auteurs des infractions connexes, régie au niveau fédéral par les dispositions de la loi du 25 juin 1998 et au niveau communautaire et régional par les dispositions de la loi spéciale de la même date.
On n'aperçoit pas la raison pour laquelle la dispense de poser une question préjudicielle ne pourrait être accordée dans ces procédures.
Enfin, M. Velu souligne les difficultés pratiques liées au fait que la Cour de cassation et le Conseil d'État ne sont pas dispensés comme les autres juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsque, à leur estime, la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre leurs décisions.
Le Conseil d'État a exposé ces difficultés dans son avis du 25 avril 2000.
« Dans pareil cas » écrit notamment le Conseil d'État, « contraindre néanmoins le juge à poser une question préjudicielle donne lieu à des situations absurdes, dont on peut difficilement estimer qu'elles contribuent à l'efficacité de la procédure. En outre, cette manière de procéder peut être incompatible avec l'exigence de traiter les affaires dans un délai raisonnable si le litige au fond relève de l'application de l'article 6, § 1er, de la CEDH » (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 31 et les références citées à la note 2).
Cette situation, conclut le Conseil d'État, devrait « inciter les auteurs du projet à également dispenser ces juridictions de l'obligation de poser une question préjudicielle dans les cas visés à l'article 26, § 2, alinéa 3, 2º ».
Les auteurs du projet de loi n'ont pas donné suite à cette suggestion.
L'obligation faite par la loi de saisir la Cour d'arbitrage dans l'hypothèse où la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable à la Cour de cassation ou au Conseil d'État pour rendre leurs décisions a été qualifiée par la doctrine, tantôt d'aberrante, tantôt de discriminatoire et déraisonnable à l'égard de ces juridictions.
Au surplus, cette obligation s'avère dans bon nombre de cas incompatible avec les exigences de l'article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme en tant que cette disposition, qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne et doit prévaloir sur les règles de cet ordre juridique, garantit au justiciable de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable lorsque cette cause est relative à des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou au bien-fondé d'accusations en matière pénale.
Le maintien d'une telle obligation est regrettable à une époque où les retards dans l'administration de la Justice constituent une des faiblesses majeures de l'organisation et du fonctionnement de l'État.
M. Michel Barbeaux remercie l'orateur de son analyse approfondie, dont se dégagent des objections d'ordre constitutionnel (contrariété avec l'article 142 de la Constitution), des critiques quant à l'inadéquation par rapport au but poursuivi et la mise en évidence d'un risque d'inefficacité dans le rendu de la justice.
Si à l'avenir, d'autres Protocoles additionnels sont adoptés, ils seront approuvés en Belgique par une loi à majorité simple. Or, avec l'insertion dans la Constitution par le biais de l'article 32bis de la CEDH et de ses Protocoles, la ratification d'un Protocole n'entraînera-t-elle pas une modification de la Constitution à partir d'une loi à majorité simple ?
M. Velu rappelle qu'un Protocole qui serait ratifié et entrerait en vigueur aurait primauté sur les règles constitutionnelles, notamment pour les juridictions placées devant l'éventualité d'une contradiction entre les normes internes et le droit international conventionnel.
Quant à la distorsion entre les majorités requises pour une révision de la Constitution, d'une part, et pour l'assentiment à un traité international, d'autre part, il s'agit d'un problème récurrent, qui devra être abordé.
Des propositions de solutions avaient été avancées en 1970. On avait notamment envisagé d'imposer une majorité spéciale pour l'assentiment à des traités conclus en application de l'article 25bis (devenu l'article 34 de la Constitution). Depuis lors, la question est posée régulièrement dans les déclarations de révision, mais aucune solution n'a encore été adoptée.
Le cas échéant, l'on pourrait s'inspirer de la solution hollandaise, selon laquelle l'assentiment à un traité international requiert une majorité spéciale des deux tiers lorsqu'il y a des raisons de croire que le traité déroge à la Constitution.
3.2. M. Pierre Vandernoot, conseiller d'État et maître de conférences à l'ULB
M. Vandernoot avertit qu'il fera de son mieux pour répondre à la plupart des questions qui lui ont été soumises, compte tenu de la brièveté du délai qui lui est imparti. Les questions auraient mérité un exposé plus détaillé et plus nuancé; c'est sous cette réserve que la commission est invitée à apprécier le caractère parfois sommaire de certaines considérations. Il lui faut en outre introduire la problématique par quelques considérations générales, prérequis à la compréhension des réponses qu'il va formuler.
L'orateur précise qu'il s'exprime ici en sa qualité de maître de conférences et sur la base de son expérience de référendaire à la Cour d'arbitrage, et non en tant que membre du Conseil d'État. Ce dernier s'est déjà prononcé sur certaines des questions posées dans l'avis rendu par la section de législation, le 25 avril 2000, sur l'avant-projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
a. Considérations générales
Le constituant se trouve dans une position délicate. Lorsque surgissent des controverses dans la doctrine, il appartient au législateur de trancher. Mais le législateur se trouve sous la tutelle du constituant et de la Cour d'arbitrage, gardienne de la Constitution. Et le constituant agit sous le regard du droit international et sous la surveillance des organes de contrôle instaurés le cas échéant par le droit supranational, tels que la Cour de Justice des Communautés européennes. Les choix opérés par le constituant seront donc nécessairement soumis à une éventuelle critique quant à leur compatibilité avec le droit international.
1. Une répartition des tâches en trompe-l'oeil
Le système juridictionnel belge n'est pas aussi simple que ce que la répartition des compétences telle qu'elle figure dans la Constitution peut laisser entendre. Aux juridictions judiciaires appartient le contentieux des droits civils et, en principe, celui des droits politiques. Aux juridictions administratives revient normalement le contentieux objectif, soit les procès faits à des actes administratifs. La Cour d'arbitrage connaît du contentieux constitutionnel.
Pourtant, quelques exemples permettent de parler plutôt de système en trompe-l'oeil.
1.1. Le contrôle de la légalité et la constitutionnalité des actes administratifs
Lorsqu'un acte administratif est en cause, on peut recourir aussi bien au référé judiciaire qu'au référé administratif. En cas de violation par un acte administratif de droits subjectifs, notamment ceux consacrés dans la Constitution, la compétence d'annulation du Conseil d'État coexiste avec la compétence des juges judiciaires d'écarter l'application de cet acte en vertu de l'article 159 de la Constitution. Cette coexistence est d'ailleurs d'autant plus source de conflits que la Cour de cassation n'admet pas l'autorité de chose jugée d'un arrêt de rejet du Conseil d'État : le rejet d'un recours sur la base d'un moyen précis dirigé contre un acte administratif n'empêche pas le juge judiciaire de rejuger l'affaire sur la base de sa compétence générale fondée sur l'article 144 de la Constitution, sans être lié par la solution donnée par le Conseil d'État, et ce, même pour examiner un moyen identique.
1.2. L'interprétation de la Constitution
Par le biais des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour d'arbitrage fait respecter l'ensemble des droits et libertés, en exerçant un contrôle complet. Certes, les plaideurs ne peuvent invoquer la violation d'un droit ou d'une liberté qu'en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, mais cela ne limite en rien le contrôle de la Cour. À l'occasion d'un recours contre la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale, par exemple, le contrôle exercé par la Cour d'arbitrage dans son arrêt nº 62/95 a porté véritablement sur l'étendue et les limites du droit à la liberté d'expression.
La Cour d'arbitrage interprète les libertés constitutionnelles « internes » à la lumière des conditions dans lesquelles ces libertés sont proclamées par la Convention européenne des droits de l'homme, par les Pactes ONU et même par d'autres instruments internationaux.
C'est encore plus vrai dans le cas du droit communautaire européen. D'abord parce que celui-ci possède une intensité particulière, et ensuite parce que les normes de contrôle de la Cour d'arbitrage, notamment les règles de répartition des compétences, renvoient directement au droit européen. L'union économique et l'unité monétaire, compétences réservées à l'autorité fédérale, se définissent par rapport à la loi, mais aussi par rapport aux traités internationaux. Il y a donc une imbrication intime entre la Constitution et le droit international. La Cour résoud les conflits entre ces droits par un mécanisme de conciliation.
Il convient également de rappeler que la Cour d'arbitrage fut la première juridiction constitutionnelle de l'Union européenne à saisir la Cour de Justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, alors que beaucoup de juridictions sours ne se résolvaient pas à recourir à ce mécanisme préjudiciel.
Il faut ajouter que la Cour d'arbitrage intègre, dans son contrôle de la constitutionnalité, non seulement les textes internationaux ayant un effet direct mais aussi, notamment par l'application du principe dit de l'effet de « standstill », ceux qui sont dépourvus de cet effet, spécialement en matière de droit à l'enseignement.
La Cour d'arbitrage intègre même à son contrôle le respect de règles procédurales, par exemple l'obligation de notifier les « règles techniques » à la Commission européenne pour prévenir toute atteinte à la libre concurrence.
De leur côté, les juridictions judiciaires et administratives interprètent déjà la Constitution. Face à une question de conformité à la Constitution d'un acte administratif, le juge judiciaire, à titre incident, et le Conseil d'État, à titre principal, se livrent à une interprétation de la Constitution qui, le cas échéant, peut diverger de celle de la Cour d'arbitrage, même si, en pratique, il y a le plus souvent mais pas toujours convergence spontanée des jurisprudences.
1.3. La prééminence du droit international directement applicable sur le droit interne
Ce paysage juridique est complété par la jurisprudence de la Cour de cassation née de l'arrêt franco-suisse « Le Ski » du 27 mai 1971.
L'arrêt « Le Ski » se prête à deux lectures. Selon la première celle privilégiée par la section de législation du Conseil d'État , la prééminence du droit international telle qu'elle est admise par cet arrêt consacre un principe général de droit constitutionnel.
Une seconde lecture peut résulter de la motivation même de l'arrêt : « Lorsqu'un conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir, la prééminence de celle-ci résultant de la nature même du droit international conventionnel. » Le siège de la matière, selon cette approche, est le droit international, conformément à la thèse moniste qui a été défendue par le procureur général émérite près la Cour de cassation, M. Velu.
En 1970, un article 107bis visant à affirmer dans la Constitution la prééminence du droit international sur le droit interne était en projet. Cet article n'a jamais été adopté. Certes, l'arrêt Le Ski avait réglé la question. Mais peut-on pour autant en déduire un principe constitutionnel là où précisément le constituant s'est abstenu ? Ne peut-on considérer que le constituant ne consacre des principes qu'en les affirmant ?
En revanche, le constituant s'est prononcé de manière expresse en adoptant l'article 25bis (aujourd'hui article 34), qui nuance le principe de l'article 25 (aujourd'hui article 33) selon lequel « tous les pouvoirs émanent de la Nation » par la règle selon laquelle des traités peuvent accorder l'exercice de certains de ces pouvoirs à des institutions de droit international public. Ce texte a été inséré dans la Constitution principalement pour faire taire les critiques d'ordre constitutionnel qui planaient sur la validité de l'adhésion de la Belgique aux Communautés européennes, mais, de manière plus large, il manifeste la confiance faite au législateur de porter assentiment à des traités internationaux qui impliquent un transfert de compétence.
En conclusion, à l'heure actuelle, plusieurs ordres juridictionnels exercent concurremment les compétences suivantes : le contrôle de la légalité et de la constitutionnalité des actes administratifs individuels et réglementaires (Conseil d'État et juridictions judiciaires (19)), l'interprétation de la Constitution (Cour d'arbitrage et juridictions judiciaires et administratives), l'interprétation du droit international, spécialement de la Convention européenne des droits de l'homme et du droit européen (Cour d'arbitrage et juridictions judiciaires et administratives).
On se limitera à un seul exemple de solutions dégagées de manière contradictoire sur un même point de droit par deux ordres juridictionnels concurrents, soit la Cour d'arbitrage et le Conseil d'État. La question portait sur la compatibilité avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme de la pratique selon laquelle un conseiller d'État s'étant prononcé sur une demande de suspension pouvait siéger dans la même affaire pour statuer sur le recours en annulation, alors même qu'il s'était prononcé en référé sur le caractère sérieux des moyens; même si la Cour d'arbitrage a dû examiner cette question par référence aux articles 10 et 11 de la Constitution, ce que n'a pas dû faire le Conseil d'État, ce détour n'affectait en rien comme on l'a dit précédemment l'intensité du contrôle de la Cour par rapport à la Convention précitée. Alors que la Cour d'arbitrage, saisie d'ailleurs par le Conseil d'État lui-même, avait admis par ses arrêts nºs 17/99 et 48/99 que cette pratique ne violait pas l'article 6 de la Convention, le Conseil d'État, statuant directement, sans interroger à nouveau la Cour d'arbitrage, a décidé en sens contraire et a prononcé la récusation du conseiller d'État concerné en raison de l'apparence de partialité, jugée contraire à l'article 6 précité, résultant de la présence de ce magistrat tant en référé qu'au fond. La pratique révèle d'autres conflits de jurisprudence.
2. La possibilité de centraliser le contrôle ?
La présence de germes de conflits plaiderait donc en faveur d'une centralisation du contrôle, quoiqu'avec moins d'intensité en droit communautaire européen dans la mesure où l'unification de la jurisprudence est assurée par la Cour de Justice, par le biais du mécanisme des questions préjudicielles.
Les articles 142, 144 à 146, 160 et 161 de la Constitution actuelle s'opposent à la centralisation du contentieux. Si l'objectif est d'assurer l'unité de lecture des textes fondamentaux, une révision de la Constitution tout à fait radicale s'impose.
Dans le contexte du droit européen, l'arrêt Simmenthal de la Cour de Justice du 9 mars 1978 pousse jusqu'au bout de la logique institutionnelle et juridictionnelle la primauté du droit européen et l'existence d'un ordre juridique propre des Communautés européennes.
L'arrêt Simmenthal fait suite à une pratique des juges italiens qui n'acceptaient d'écarter une loi nationale faisant application du droit communautaire qu'après avoir saisi la Cour constitutionnelle italienne, juge exclusif de la constitutionnalité de cette loi. La Cour de Justice a répondu que même une disposition constitutionnelle ne peut faire obstacle à l'efficacité du droit communautaire : « Serait incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d'un ordre juridique ou d'une pratique nationale qui aurait pour effet de diminuer l'efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent le pouvoir de faire tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité du droit communautaire. »
Selon la lecture dominante de cet arrêt, tout juge amené à appliquer le droit communautaire doit en même temps, en vertu de l'efficacité du droit communautaire, pouvoir écarter une loi nationale, indépendamment même de tout contrôle juridictionnel quant à la conformité à la Constitution.
Dans une autre lecture, minoritaire, cette jurisprudence se limiterait à empêcher les juridictions nationales de s'abriter derrière leur Constitution pour empêcher l'efficacité du droit communautaire. Cette lecture se fonde aussi sur l'autonomie procédurale des États, en vertu de laquelle chaque État organise son système juridictionnel comme il l'entend, à la condition de faire en sorte que le droit communautaire s'applique de manière efficace. Dans cette approche, il n'y aurait donc pas d'obstacle à la centralisation d'un contrôle juridictionnel de la conformité des lois au droit communautaire, à la condition que le juge amené à trancher ait la possibilité de faire respecter entièrement, dans des délais raisonnables, la solution dégagée par la juridiction interne compétente pour faire respecter le droit communautaire. Dans le cadre de l'autonomie procédurale, rien ne ferait obstacle à ce que ce soit la cour constitutionnelle qui exerce cette fonction. Cette dernière aurait l'obligation de saisir elle-même la Cour de Justice dans l'hypothèse où la contrariété avec le droit européen se poserait.
Une troisième solution serait envisageable, à savoir renoncer à la technique de la question préjudicielle au profit d'une technique d'inspiration allemande, selon laquelle l'ensemble des juridictions pourraient contrôler la conformité des règles dont elles assurent le respect (lois, règlements, actes individuels) aux normes supérieures, en ce compris la Constitution, le droit européen et le droit international. Le cas échéant, un recours postérieur devant la Cour constitutionnelle permettrait à celle-ci d'interpréter de manière uniforme l'ensemble des normes supérieures.
Beaucoup de difficultés seraient ainsi levées. Les juridictions continueraient à respecter la jurisprudence Simmenthal en appliquant directement le droit communautaire, tandis que le monopole d'interprétation de la Constitution serait assuré. La conciliation nécessaire entre les normes constitutionnelles et les normes de droit international trouverait son siège dans le contrôle final exercé à l'occasion d'un recours constitutionnel. Ce système créerait en quelque sorte les conditions d'une unification organique de l'interprétation de la Constitution et des normes internationales.
Une révision de la Constitution en ce sens aurait pour avantage de lever les doutes constitutionnels quant à la compétence de la Cour d'arbitrage de faire respecter le droit international. Mais quoi qu'il en soit, les articles de la Constitution concernés, spécialement les articles 142, 144, 145, 146, 159, 160 et 161, ne sont pas ouverts à révision (20).
3. La doctrine de la Cour d'arbitrage sur la primauté de la Constitution sur le droit international conventionnel
Sans développer la doctrine de la Cour d'arbitrage sur la question de la primauté de la Constitution sur le droit international conventionnel, il faut observer que la conception de la Cour d'arbitrage est au fond relativement simple.
Le législateur a toujours dû respecter la Constitution, et depuis 1989, il est en outre soumis à un contrôle. Si le législateur doit respecter la Constitution, on ne peut admettre qu'il contourne cette exigence en donnant son assentiment à des règles de droit international qui y seraient contraires. Le principe de primauté de la Constitution a été conforté par l'article 142 qui instaure un contrôle juridictionnel; ce contrôle ne peut pas être détourné par la voie d'un traité, et ce d'autant plus que les traités internationaux font l'objet d'un assentiment du pouvoir législatif, qui est une des conditions de l'entrée en vigueur interne du traité.
Deux légitimités s'affrontent : où se trouve dans la société contemporaine le lieu principal d'exercice de la souveraineté ? Sont-ce les États ou l'improbable société internationale ?
On peut affirmer sans aucun doute l'existence d'un ordre juridique des Communautés européennes résultant de ce que le droit communautaire s'adresse aux États, mais aussi aux particuliers. L'article 34 de la Constitution aurait intégré la validité du transfert de l'exercice de ces compétences au regard de la Constitution. Mais soutenir cette approche pour l'ensemble du droit international fait fi de la simple constatation selon laquelle le droit international reste fondamentalement et principalement une création des États.
Toujours en ce qui concerne la primauté du droit européen sur la constitution, qui résulterait de l'article 34 de la Constitution, on pourrait considérer, dans une lecture se fondant sur le postulat de la rationalité du constituant et sur l'importance que la Constitution attâche à l'effectivité d'un contrôle juridictionnel des droits et des libertés (articles 13, 144, 145 et 146 de la Constitution), que, lorsqu'il a adopté l'article 25bis, actuellement l'article 34 de la Constitution, il a certes admis que s'opèrent par le vou de la loi des transferts d'exercice de certains pouvoirs au profit d'institutions supranationales, mais que cet abandon n'impliquait un abandon de la souveraineté nationale relative au contrôle juridictionnel de l'exercice de ces compétences transférées que s'il s'accompagnait d'un contrôle supranational effectif à caractère juridictionnel présentant les garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité, ce qui est manifestement le cas en ce qui concerne le droit communautaire européen et la Convention européenne des droits de l'homme, par l'existence de la Cour de Justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l'homme. Une pareille conception se trouve renforcée par la compétence octroyée à la Cour de Justice par l'article 46, d), nouveau, du Traité de l'Union européenne, de contrôler le respect par les institutions communautaires de l'article 6, §§ 1er et 2, nouveau, du même Traité aux termes duquel « L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit, principes qui sont communs aux États membres [et] l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».
b. Réponses au questionnaire
Question A.1. Au sujet de la conformité de la proposition de révision de la Constitution à la déclaration de révision, l'orateur se rallie à la réponse donnée par M. Velu, à savoir que le préconstituant ne lie le constituant que lorsqu'il l'a dit de manière expresse dans la déclaration de révision de la Constitution. Les travaux préparatoires ne sont qu'une indication. Le constituant étant issu d'élections nouvelles, il retrouve une liberté d'appréciation.
Ceci étant, l'intégration de l'article 32bis en projet dans la Constitution belge, où figurent des droits comparables à ceux de la Convention européenne des droits de l'homme, peut paraître inutile lorsque ces droits sont circonscrits de manière identique. Si ces droits n'ont pas un contenu identique, diverses difficultés surgissent, liées à la différence entre les concepts utilisés par l'un et par l'autre instrument (par exemple la notion de droit civil), au conflit potentiel ou actuel entre deux conceptions de la liberté, spécialement dans le cadre de conflits entre libertés (par exemple l'admissibilité de restrictions préventives en matière de liberté de la presse audiovisuelle, le conflit entre le droit à la sécurité sociale et le droit à la protection de la vie privée), au conflit quant à la différence de champ d'application de certaines libertés (en principe, la Convention s'applique de manière plus large aux étrangers), etc.
L'intégration à la Constitution des droits garantis par la Convention paraît d'autant moins nécessaire que, comme il a été exposé plus haut, la Cour d'arbitrage assure la convergence jurisprudentielle entre les droits garantis par la Constitution et ceux, de même nature, assurés par la Convention.
Le renvoi à la Convention présente certes une utilité pour les droits non expressément visés par la Constitution belge, comme par exemple le droit à la vie ou l'interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, mais le même objectif pourrait être atteint par une révision constitutionnelle ajoutant ces droits au catalogue figurant actuellement dans notre charte suprême.
Question A.2. Quant à la portée du terme « chacun », il n'a pas une signification fondamentalement différente parce qu'il se référerait à un texte international dont l'angle d'approche serait différent.
Le titre II de la Constitution est intitulé « Des Belges et de leurs droits », mais un intitulé n'a pas de portée normative en soi. De plus, le titre II doit être lu à la lumière de l'article 191 de la Constitution qui accorde aux étrangers la protection qui leur est due. La Cour d'arbitrage a interprété cette disposition de manière très restrictive, en estimant que l'article 191 permet certes de faire des distinctions entre nationaux et étrangers, mais à la condition que ces distinctions reposent sur des critères objectifs et qu'elles soient proportionnelles au but poursuivi, conformément au principe d'égalité lui-même.
L'article 14 de la CEDH ne proscrit pas toute limitation en rapport avec l'origine nationale, s'il existe des motifs éminemment justifiés et proportionnés à une éventuelle distinction de traitement. Ainsi, en ce qui concerne le droit à l'instruction ou le droit de fonder une famille, les étrangers ne sont pas traités de manière tout à fait identique à celle dont on traite les Belges.
Question B.1.1. Il est généralement admis, malgré quelques cas rares de pratiques juridictionnelles en sens contraire, que l'option prise par le constituant par l'adoption de l'article 142 de la Constitution, consistant à centraliser le contrôle de la constitutionnalité des lois, des décrets et des ordonnances entre les mains de la Cour d'arbitrage, serait détournée si les juridictions pouvaient, de leur côté, exercer un contrôle identique sur la base d'une disposition de droit international ayant une portée normative comparable à celle qui trouve sa source dans la Constitution; tel est le cas par exemple en ce qui concerne d'une part les articles 10 et 11 de la Constitution et d'autre part l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et, plus encore, l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toutes ces dispositions consacrant les principes d'égalité et de non-discrimination.
L'extension des compétences de la Cour d'arbitrage lui permettant de contrôler le respect de la Convention européenne des droits de l'homme, qui résulterait de l'adoption de l'article 32bis en projet, aurait donc pour effet de priver les juridictions ordinaires de la compétence d'exercer un contrôle par rapport à ladite Convention.
Sur les difficultés résultant de la coexistence de la pluralité de contrôles juridictionnels identiques ou comparables et sur l'opportunité de favoriser une centralisation de ce contrôle, il est renvoyé aux considérations générales émises plus haut.
Question B.2.1. L'interprétation uniforme de la CEDH est certes assurée par la Cour européenne des droits de l'homme, mais pas de manière organique et certaine. Le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme ne constitue pas un passage obligé. On peut donc imaginer qu'il se développe une divergence de jurisprudence quant à l'interprétation de la CEDH dans l'ordre juridique interne, sans que qui que ce soit n'introduise un recours à Strasbourg.
Question B.2.2. L'uniformité d'interprétation serait relative, mais l'on observerait là le même phénomène qu'aujourd'hui, à savoir une unification spontanée de la jurisprudence, sous réserve de quelques cas où cette convergence ne se réalise pas. Sur les problèmes suscités par la pluralité des sources jurisprudentielles d'interprétation des normes supérieures, il est renvoyé aux considérations générales émises plus haut, sous le point 1.2.
Question B.3.1. Dès aujourd'hui, l'article 26 du Pacte ONU, qui consacre le principe d'égalité de manière autonome, permettrait aux juridictions de contrôler directement le respect du principe d'égalité.
Cette pratique pourrait se renouveler dans l'hypothèse où la CEDH tomberait dans le bloc de constitutionnalité revenant à la Cour d'arbitrage.
Comme il a été exposé plus haut, en réponse à la question B.1.1., il s'agirait d'une espèce de détournement de procédure. Si le constituant prend position en considérant qu'il doit y avoir une centralisation du contrôle, celui-ci doit s'exercer à l'égard de règles ayant un contenu matériel précis et ne pourrait pas être contourné par le recours à d'autres instruments internationaux comparables.
Question B.3.2. En ce qui concerne l'article 53 de la CEDH, l'orateur se réfère aux propos de M. Velu. Aujourd'hui déjà, les articles 10 et 11 de la Constitution consacrent le principe de la prise en compte de l'ensemble des traités internationaux dans le bloc de constitutionnalité (voir aussi plus haut les considérations générales, 1.2 et 1.3).
Question B.3.3. La lecture conjointe de plusieurs textes internationaux pose des problèmes complexes, tels que ceux qui ont été exposés par MM. H. Simonart et M. Verdussen dans leur étude consacrée à la réforme de la Cour d'arbitrage et à la protection des droits fondamentaux (Rev. b. dr. const., 2000, p. 188), résultant notamment de la différence de conception qui a pu présider à la définition de droits comparables ou voisins. Ceci, plutôt que de décourager l'instauration d'un contrôle centralisé, milite plutôt en faveur d'une telle formule, en ce qu'elle permettrait d'assurer, mieux que la dispersion actuelle, la conciliation des règles et des principes. Il y aurait lieu d'appliquer à l'égard de textes supérieurs ce que les juridictions pratiquent quotidiennement lorsqu'elles assurent la cohérence de l'ordre juridique malgré la persistance de textes consacrant des règles qui ne sont pas toujours univoques.
Question B.3.4. Sur la possibilité d'un contrôle de la conformité à la CEDH d'un acte législatif exécutant le droit communautaire, l'article 6, § 2, nouveau, du Traité sur l'Union européenne intègre les droits fondamentaux, et notamment la CEDH, parmi les règles que les instances de l'Union européenne doivent respecter. Il faut mettre ce texte en rapport avec l'article 46, littera c), de ce même Traité qui inclut l'article 6 parmi les règles dont la Cour de Justice doit assurer le respect. La Cour de Justice peut donc faire échec à un acte de droit dérivé européen qui violerait la CEDH.
Dans ces conditions, si une loi belge devait mettre en oeuvre un acte de droit dérivé européen qui violerait un droit fondamental protégé par la CEDH, le juge belge, en ce compris le juge constitutionnel, serait tenu d'interroger la Cour de Justice pour savoir si l'acte européen est conforme aux traités internationaux et plus particulièrement à l'article 6, § 2, nouveau, du Traité sur l'Union européenne.
Question C. Dans l'état actuel de sa jurisprudence, la Cour d'arbitrage applique les principes d'égalité et de non-discrimination non seulement aux droits et aux libertés proprement dits, mais aussi à divers aspects davantage institutionnels de la protection des citoyens. Ainsi en va-t-il du principe de la légalité, non seulement en matière fiscale, mais aussi en ce qui concerne l'armée (article 182 de la Constitution), les forces de police (article 184 de la Constitution) et, de manière plus générale, toute disposition constitutionnelle posant le pouvoir législatif comme le garant de l'équilibre des pouvoirs. De même, les principes liés au fonctionnement des juridictions, tels que le droit à un recours, les principes d'indépendance et d'impartialité, qui nécessitent aussi des mesures positives à caractère institutionnel, tombent aussi, par le biais des articles 10 et 11 de la Constitution, sous l'emprise de la Cour d'arbitrage.
Il serait donc paradoxal de constater quod non que l'extension légistique des compétences de la Cour d'arbitrage, par la combinaison de l'article 142 de la Constitution et de l'article 32bis en projet, aboutisse à une restriction de ses compétences réelles, telles qu'elles résultent de la jurisprudence.
Question D.1. Compte tenu de ce que la Cour d'arbitrage dispose déjà, par les implications des principes d'égalité et de non-discrimination, de la compétence réelle de contrôler le respect par les législateurs des droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, il paraît peu probable que l'extension des compétences de la Cour entraîne une augmentation significative du nombre d'affaires devant elle.
Question D.2. On admet généralement que, sauf situations particulières (par exemple lorsque la Cour d'arbitrage s'est déjà prononcée sur une question dans des conditions telles qu'il n'est pas envisageable qu'elle revoie sa jurisprudence; cf. CEDH, Pressos Compania Naviera SA e.a., 20 novembre 1995), avant de saisir la Convention européenne des droits de l'homme en raison des atteintes portées par une loi interne à l'une des dispositions de la Convention, il y a lieu de saisir la Cour d'arbitrage, soit par un recours en annulation, soit par une action devant le juge compétent assortie d'une question préjudicielle devant la Cour d'arbitrage. Si le juge saisi refuse de poser une question préjudicielle, la « victime » de la violation de la Convention doit attendre l'épuisement de la compétence de ce juge pour exercer les recours internes organisés, puisqu'il n'y a pas de possibilité d'introduire un recours séparé contre une décision interlocutoire refusant de poser une question préjudicielle. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il est des situations où le non-épuisement des voies de recours internes ne peut faire obstacle à l'introduction d'un recours auprès d'elle, spécialement lorsque le grief invoqué consiste précisément en le dépassement du délai raisonnable dans une procédure civile ou pénale au sens de l'article 6 de la Convention.
Question D.3. La question de l'effet dans le temps des arrêts préjudiciels est en quelque sorte réglée par le silence de la loi, dont il résulte que la solution dégagée par la Cour ne vaut que pour le litige en cause et que la Cour ne peut limiter dans le temps son constat d'inconstitutionnalité. Toutefois, les réponses à une question préjudicielle ont un effet élargi puisque les juridictions peuvent, par exception, se dispenser d'une nouvelle question lorsque la Cour y a déjà répondu; en ce cas, les juridictions appliquent à leur espèce la solution dégagée par la Cour (21).
Les particularités de certaines affaires préjudicielles ont conduit la Cour a réduire dans le temps de manière prétorienne la rétroactivité de son constat d'inconstitutionnalité, spécialement lorsque celui-ci est dû à une évolution dans le temps de l'interprétation de la norme supérieure.
Il pourrait être envisagé de consacrer cette pratique dans la loi organique de la Cour. Il paraît toutefois peu conciliable avec le mécanisme même de la question préjudicielle qu'après avoir constaté dans un cas particulier la violation de la Constitution, la Cour déclare qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les conséquences de cette inconstitutionnalité dans le cas d'espèce.
À la question E.1., concernant la suppression de la possibilité de poser des questions préjudicielles au sujet des actes d'assentiment aux traités de l'Union européenne et de la CEDH, il est renvoyé aux considérations générales exposées plus haut, sous le nº 3.
De manière générale, on peut admettre que, par l'adoption de l'article 34 de la Constitution, le constituant a entendu admettre la validité constitutionnelle du transfert par la loi de l'exercice de certains aspects de la souveraineté à des institutions de droit international public. Dans ces cas, il peut se justifier que l'on prévoie une exception à la possibilité d'interroger la Cour d'arbitrage sur la compatibilité avec la Constitution d'une loi d'assentiment à un traité.
Sur la question E.2., on peut en effet regretter que l'exception ne vise que les « traités constituants de l'Union européenne » et non les traités relatifs aux Communautés européennes, ce qui correspondrait davantage aux intentions qui paraissent sous-tendues par le projet.
Par manque de temps, il n'est pas possible de répondre aux questions, regroupées au littera F, qui portent sur la procédure. L'orateur se permet de renvoyer à un article qu'il vient de publier dans la Revue de droit de l'ULB (« Le mécanisme préjudiciel devant la Cour d'arbitrage », 2002, nº 1, pp. 1 à 106, notamment les nºs 35 et 36), dans lequel il soulève plusieurs difficultés nécessitant, selon lui, l'intervention du législateur :
le défaut éventuel d'impartialité objective pesant sur les juges-rapporteurs qui, dans la procédure préliminaire, invitent la Cour à déclarer un recours ou une question préjudicielle manifestement irrecevable, non fondée, sans objet, nécessitant une réponse immédiate ou ne relevant pas de la compétence de la Cour, et qui, en cas de rejet des conclusions par la Cour, continuent néanmoins à siéger comme rapporteurs;
l'absence de notification à l'autorité publique normalement amenée à défendre la constitutionnalité du texte contesté, des conclusions déposées par les juges-rapporteurs au cours de cette procédure préliminaire;
le maintien de l'obligation faite à la Cour de cassation et au Conseil d'État de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, et ce, même lorsque celle-ci a déjà statué sur une même question ou que la réponse n'est pas indispensable à la solution de l'affaire;
l'organisation de l'échange des mémoires au cours de la procédure ordinaire, ne permettant pas un dialogue suffisant entre les parties;
l'absence de notification préalable à l'audience des rapports des juges-rapporteurs;
la brièveté de certains délais;
la difficulté de déposer certaines pièces en dehors des conditions strictes prévues par la loi;
l'absence de dialogue organisé entre le juge qui pose la question préjudicielle et la Cour d'arbitrage.
Il faut relever aussi le vide juridique, contra legem, en matière d'assistance judiciaire, nécessitant l'adoption d'un arrêté royal.
En ce qui concerne les exceptions prévues à l'obligation de poser une question préjudicielle lorsqu'on est en présence d'une procédure nécessitant des délais brefs (question F.1.1), il y aurait lieu de les étendre à toutes les hypothèses de ce type, par exemple le contrôle de la détention des étrangers, la protection de la jeunesse, la faillite, sans les limiter à celles visées par le projet.
Quant à l'obligation de poser une question préjudicielle dans les procédures d'urgence lorsque la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet (question F.1.2), il est renvoyé à l'observation faite par le Conseil d'État sur cette question (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 33), dont la portée ne paraît pas avoir été appréciée correctement par l'auteur du projet : compte tenu des motifs d'urgence qui président à la compétence du juge saisi, il vaut mieux dispenser de manière générale ce juge de l'obligation de poser une question, même si la Cour est saisie d'une question ayant le même objet. En ce dernier cas, le juge pourra toujours, comme certains juges de référé le font aujourd'hui, ménager des solutions dans l'attente de la décision que doit rendre la Cour d'arbitrage sur l'affaire pendante devant elle.
Ceci étant, il serait opportun d'étendre expressément aux questions préjudicielles la règle prévue seulement pour les recours en annulation à l'article 9, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage selon laquelle les arrêts rendus au terme de cette procédure qui rejettent les moyens tendant à établir la violation de la Constitution « sont obligatoires pour les juridictions en ce qui concerne les questions de droit tranchées par ces arrêts ».
Par ailleurs, la solution suggérée par la question F.2.1, selon laquelle toutes les affaires identiques subséquentes à une première affaire devraient être suspendues jusqu'à ce que la Cour vide son délibéré sur celle-ci, ne paraît pas nécessaire. Il est en effet possible de joindre les affaires ayant un objet identique lorsque leur introduction n'est pas éloignée dans le temps. Pour les autres, il vaut mieux, compte tenu de la nécessité d'éviter les lenteurs de la procédure, laisser se poursuivre ces affaires, quitte à ouvrir un droit aux parties de déposer un nouveau mémoire après le prononcé de l'arrêt dans la première affaire.
S'agissant de la question F.2.2, il y a lieu de se référer à la solution suggérée dans le questionnaire, évoquée d'ailleurs plus haut, selon laquelle le juge statuant dans des délais brefs pourrait se fonder sur l'apparence de constitutionnalité ou d'inconstitutionnalité et ménager des solutions d'attente dans l'attente d'un arrêt de la Cour. Le cas échéant, en recourant par exemple à des formations plus réduites que celles des chambres à sept, voire à dix ou à douze juges ou en faisant appel à la participation plus active des référendaires, on ne saurait exclure que la Cour d'arbitrage elle-même soit invitée à juger dans des délais compatibles avec les nécessités de l'urgence ou des particularités de certaines procédures requérant des solutions à court terme (cf. question F.2.3.).
Le vice-premier ministre a des doutes quant à l'affirmation formelle de M. Vandernoot. Celui-ci prétend que, dans sa formulation actuelle, l'article 142 de la Constitution, qui n'est pas, pour le moment, susceptible de révision, ne permet pas que la compétence qu'a la Cour d'arbitrage de contrôler la conformité à la suite d'un recours en annulation soit élargie, par loi spéciale, aux traités internationaux, ni qu'à l'instar de ce qui se fait en Allemagne, l'on supprime la procédure préjudicielle en la matière.
M. Hugo Vandenberghe observe que l'on va importer la CEDH dans la Constitution. Cela ne pose-t-il pas un problème de méthodologie dans la mesure où la méhode d'interprétation de la Cour de Strasbourg est différente de celle de la Cour d'arbitrage face aux droits et libertés de la Constitution ? Va-t-on dès lors appliquer deux modes d'interprétation ?
M. Vandernoot est d'avis que cette différence d'approche résulte davantage des textes de la Constitution et de la CEDH que des méthodes d'interprétation des juridictions. Toutes deux précitées adoptent des méthodes d'interprétation largement convergentes. La Cour d'arbitrage interprète presque systématiquement les droits constitutionnels à la lumière de la pratique de la Cour européenne des droits de l'homme. Mais il est vrai que les textes sont différents : ainsi, les articles de la Constitution sont souvent rédigés sous la forme d'un seul alinéa affirmant un droit, sans être suivis, comme dans la CEDH, d'un alinéa 2 déterminant les conditions dans lesquelles les limitations aux droits peuvent intervenir.
3.3. M. Henri Simonart, professeur à l'UCL
Dans son exposé, le professeur Simonart regroupe les questions autour de trois axes :
a) Révision du titre II de la Constitution.
b) Extension de la compétence de la Cour d'arbitrage à certains traités internationaux.
c) Questions techniques, relatives au fonctionnement et à l'organisation de la Cour d'arbitrage.
1e partie. Révision du titre II de la Constitution
Question A.1. Pour savoir si la proposition de révision est conforme à la déclaration de révision, il faut partir des textes.
Aux termes de la déclaration de révision de la Constitution du 4 mai 1999, « Il y a lieu à révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) ».
Deux éléments méritent d'être relevés : il s'agit d'insérer des dispositions nouvelles, d'une part; pour permettre d'assurer la protection des droits et libertés dont il s'agit, d'autre part.
La déclaration du 4 mai 1999 est comme le dit la note explicative de la proposition de révision , la troisième du genre. Dans le rapport de la commission de la Chambre, le premier ministre a précisé à ce propos que les considérations émises dans le cadre de la déclaration précédente, en 1995, gardaient toute leur pertinence.
Lors de la discussion de la déclaration de 1995, un membre de la Chambre avait explicitement posé la question de l'utilité ou de la nécessité de cette modification. Le premier ministre avait alors répondu « que cette proposition de révision figurait déjà dans le projet de déclaration de révision déposé à la fin de la législature précédente ».
À chacun d'apprécier la pertinence de cette réponse. Les travaux préparatoires de la déclaration de 1991 ne fournissent aucune explication.
Par ailleurs, en 1995, le premier ministre de l'époque déclarait : « Certes, la Convention européenne est directement applicable en Belgique, mais il paraît souhaitable de veiller au parallélisme des textes ».
La CEDH est donc directement applicable et, compte tenu de toute la jurisprudence qui se fonde sur l'arrêt Le Ski, le justiciable est efficacement protégé contre tout acte législatif contraire à la CEDH. Mais malgré cette protection efficace assurée en droit interne, le premier ministre juge souhaitable de veiller au parallélisme des textes (ce qui suppose que ces textes puissent être mis en parallèle).
Considérons maintenant la proposition du gouvernement du 14 novembre 2000 tendant à exécuter la déclaration. On trouve dans la note explicative du gouvernement l'affirmation suivante : « Il est vrai que la CEDH et ses Protocoles additionnels ont un effet immédiat (mauvaise traduction de l'expression « directe werking ») dans l'ordre juridique belge, mais la mention explicite dans la Constitution est utile ».
D'un parallélisme des textes qui paraît souhaitable, on glisse vers l'idée que la mention explicite dans la Constitution paraît utile. Toutefois, cette prétendue utilité n'est toujours pas démontrée dans la note explicative du gouvernement.
Or, cette question est essentielle.
Dans l'état actuel des choses, à la suite de la jurisprudence Le Ski de la Cour de cassation, tout justiciable quel qu'il soit bénéficie de la protection effective des droits et libertés garantis par la CEDH, puisqu'un juge constatant qu'un acte législatif est contraire à la CEDH, doit refuser de l'appliquer.
Cette protection est effective et efficace car l'obligation de refuser d'appliquer pèse sur tout juge depuis le juge de paix jusqu'à la Cour de cassation, en passant par le Conseil d'État , et qu'elle met d'emblée et sans détour le justiciable à l'abri d'une atteinte à ses droits.
Enfin, cette protection s'opère sous le contrôle de la Cour de Strasbourg, ce qui, tout naturellement, conduit les juges, lorsqu'ils font application de la CEDH, à l'interpréter à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, et, par conséquent, assure l'unité de jurisprudence.
L'affirmation dans la Constitution belge que chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la CEDH, ne semble guère en soi de nature à changer quoi que ce soit à la situation du justiciable.
Toute tentative de constitutionnaliser des droits et libertés consacrés dans un autre instrument, en l'espèce la CEDH, expose à des questions extrêmement délicates. Se pose le problème du champ d'application personnel; celui de savoir si les droits et libertés consacrés sont exactement les mêmes et protégés d'égale manière. Là intervient d'ailleurs la question des concepts utilisés. Quand bien même la CEDH et la Constitution belge s'expriment de la même manière, c'est-à-dire à l'aide des mêmes mots, des divergences peuvent apparaître. Combien de fois les meilleurs spécialistes de la CEDH n'ont-ils pas attiré l'attention sur ce que certains concepts utilisés par la CEDH avaient une signification autonome. Ainsi le mot « domicile » n'a-t-il pas nécessairement la même signification. Et quand bien même les termes auraient aujourd'hui la même signification, cela pourrait évoluer demain en fonction de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Les droits fondamentaux sont consacrés dans des instruments divers, d'ordre interne ou d'ordre international. N'aurait-on pas intérêt à maintenir les choses distinctes ?
Comme l'a souligné M. Velu, la CEDH est un monument. Elle est l'expression d'un certain nombre de valeurs qui fondent la civilisation européenne 41 États l'ont ratifiée, c'est notre patrimoine commun, c'est le « noyau dur » de la dignité humaine, telle que nous la concevons. Nous nous sommes engagés à ne pas aller en deçà. Le respect de ces engagements est assuré efficacement tant en droit interne qu'à Strasbourg.
À côté de la CEDH, les constitutions nationales sont le résultat de nos histoires, de nos traditions, de nos compromis aussi. Elles peuvent être plus exigeantes que la CEDH et c'est très bien ainsi. L'Europe de demain n'est pas uniforme et grise. Elle gagne à être diversifiée dès l'instant où l'essentiel est sauf, à savoir la dignité de l'homme.
De tout ceci résulte, de l'avis de l'orateur, qu'il n'est ni utile ni même souhaitable, d'inscrire dans la Constitution les droits et libertés de la CEDH.
Question A.2. Sur la portée du terme « chacun » à l'article 32bis, M. Simonart fait remarquer que cette expression est empruntée à la Constitution belge elle figure aux articles 22, 23, 28 et 32 de la Constitution alors que, précisément, la CEDH ne l'utilise pas. D'où cette idée exprimée par M. Verdussen et l'orateur, que, pour les droits et libertés visés à l'article 32bis, le mot « chacun » est susceptible d'avoir une portée différente de celle qu'a le même mot dans d'autres articles du titre II (22).
2e partie. Extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle direct de la conformité à certains traités internationaux
Il faut ici distinguer plusieurs questions :
1) Peut-on par le biais de l'introduction de l'article 32bis dans la Constitution et une modification corrélative de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, étendre la compétence de la Cour au contrôle direct de la conformité à la CEDH de la loi, du décret ou de l'ordonnance ? M. Simonart est d'avis que non.
Selon l'orateur, il doit être clair que si l'on étend la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle direct de la conformité à la CEDH, cela doit signifier logiquement que toutes les autres juridictions perdent la compétence qui leur est reconnue depuis 1971 d'assurer la primauté des traités directement applicables sur la législation belge (question B.1.1.).
Il semble inimaginable et contradictoire de laisser subsister la compétence des cours et tribunaux de refuser de leur propre initiative d'appliquer des textes législatifs contraires à la CEDH et de les obliger dans le même temps à poser à cet égard une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
C'est pourquoi M. Simonart juge trompeuse l'affirmation contenue dans l'exposé des motifs du projet de loi spéciale, selon laquelle le texte ne porte pas atteinte au principe selon lequel le juge doit lui-même assurer la prééminence des traités directement applicables sur la législation belge. Il en est privé par cela même qu'il doit poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
Or, priver les cours et tribunaux de la compétence de vérifier la conformité des lois aux conventions internationales va directement à l'encontre du partage des compétences entre la Cour d'arbitrage d'une part, et l'ensemble des juges d'autre part, tel que l'a voulu le constituant lui-même.
La section de législation du Conseil d'État relève à juste titre les discussions qui ont eu lieu en 1988 au Sénat lors de la modification de l'actuel article 142 de la Constitution, afin d'étendre la compétence de la Cour d'arbitrage aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Il en ressort que l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution d'abord et aux autres articles de la Constitution ensuite, ne porterait pas atteinte à la compétence des juges de refuser d'appliquer un acte législatif qui serait contraire au droit international. Il en résulte :
une consécration constitutionnelle de la compétence des cours et tribunaux de refuser d'appliquer les lois contraires aux traités internationaux. C'est une consolidation de la jurisprudence Le Ski;
un démarquage très net entre ce qui revient à la Cour d'arbitrage, d'une part, et aux cours et tribunaux, d'autre part.
Utiliser l'article 32bis nouveau de la Constitution pour remettre en cause cette répartition constitutionnelle constituerait un détournement de procédure. En effet, l'article 142 de la Constitution ne figurant pas dans la déclaration de révision du 4 mai 1999, ce serait tenter de réaliser indirectement ce qu'il n'est pas possible de réaliser directement.
2) À supposer même quod non qu'on puisse, dans le respect de la Constitution, étendre la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle direct du respect de la CEDH, quelle en serait l'utilité ou l'avantage pour le justiciable ?
Aux termes de l'exposé des motifs du projet de loi spéciale : « Ce mécanisme permettra d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de ces droits fondamentaux » (à savoir ceux inscrits dans la CEDH).
Questions B.2.1. et B.2.2. : La réalisation de cette unité ne revient-elle pas à la Cour de Strasbourg ? Cette unité n'est-elle pas relative dans la mesure où la jurisprudence Le Ski reste applicable pour les actes non législatifs ?
Poser ces questions, c'est y répondre. Il n'est pas exact d'affirmer qu'en instaurant le mécanisme nouveau, on assure une plus grande unité dans l'interprétation.
L'unité d'interprétation est déjà assurée par la Cour de Strasbourg. C'est de manière naturelle que, sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d'État, tous les juges interprètent la CEDH à la lumière et en tenant compte des enseignements de Strasbourg.
Sur le caractère relatif de l'unité d'interprétation, M. Simonart ne se fait pas beaucoup de souci. C'est vrai théoriquement mais en pratique, le risque n'est pas très grand.
De tous les droits fondamentaux dont un individu peut se prévaloir devant un juge belge, ceux à propos desquels l'unité d'interprétation est aujourd'hui la mieux assurée, sont précisément ceux qui figurent dans la CEDH, grâce au rôle de la Cour de Strasbourg. Or, c'est précisément à propos de ceux-là qu'on vante l'avantage d'une meilleure unité d'interprétation.
Non seulement le mécanisme nouveau n'offre aucune utilité pour l'interprétation uniforme de la CEDH en Belgique, mais par ailleurs, ce système risque d'être défavorable au citoyen, et de porter atteinte à l'effectivité de la CEDH. Jusqu'à présent, le justiciable était directement protégé contre les actes législatifs contraires à la CEDH. Dans le système nouveau, il faudra poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, ce qui retardera l'issue du litige de douze mois environ. On allonge une fois de plus les procédures devant les juges.
On a cité l'arrêt Simmenthal de la Cour de Justice, du 9 mars 1978, qui condamna le système italien au nom de l'effectivité et de l'effet utile du droit européen. Or, ce qui à l'époque a été condamné par la Cour de Justice, serait à présent instauré au niveau de la CEDH.
Au nom de l'effectivité, M. Simonart plaide pour la suppression de l'obligation systématique de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
3) Une série de questions ont trait à l'existence de droits fondamentaux consacrés dans d'autres conventions internationales et aux conséquences par rapport au système que l'on veut mettre en place.
La question B.3.1. demande en substance, si l'on peut encore invoquer les dispositions des Pactes ONU dans l'hypothèse où un droit similaire est protégé par le titre II de la Constitution ou par la CEDH.
Faisant référence à l'ouvrage de M. Velaers (23), les commentaires de la question précisent que la compétence de la Cour d'arbitrage de vérifier la conformité d'un acte législatif par rapport aux articles 10 et 11 de la Constitution est présumée empêcher les cours et tribunaux de vérifier si cet acte serait contraire au principe d'égalité contenu dans un traité international.
L'orateur fait observer que M. Velaers ne dit pas cela. L'auteur envisage uniquement l'ordre dans lequel les critiques d'inégalité doivent être abordées : le juge belge doit d'abord poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage au sujet de la compatibilité de la loi avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Si la Cour d'arbitrage répond que la loi ne viole pas ces dispositions, le juge peut encore vérifier la compatibilité de la loi avec le principe d'égalité tel qu'il figure dans les conventions internationales.
Le principe d'égalité est inscrit à l'article 26 du pacte ONU relatif aux droits civils et politiques. Postulons, à titre d'hypothèse de travail, que ce principe d'égalité est quant au fond identique à celui consacré aux articles 10 et 11 de la Constitution. Ajoutons-y l'article 14 de la CEDH qui, lui, est lié aux droits consacrés par la CEDH selon lequel la jouissance des droits consacrés par la CEDH doit être assurée sans discrimination aucune.
Trois textes consacrent donc le principe d'égalité : les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 14 de la CEDH et l'article 26 du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques, sans parler des textes des traités concernant les Communautés européennes.
M. Simonart n'est pas convaincu par la thèse de M. Velaers, pour le motif principal que, malgré la dénégation formelle dans les travaux préparatoires de 1988 relatifs à l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage, cette extension aurait quand même eu une conséquence sur la compétence des cours et tribunaux de vérifier la conformité des lois aux traités internationaux.
Le fait qu'un droit soit consacré par la Constitution belge n'interdit pas au juge d'appliquer la jurisprudence Le Ski dès lors qu'il apparaît que le même droit est protégé par une autre convention internationale. Par conséquent, le juge doit refuser d'appliquer la loi belge qui y serait contraire.
L'orateur est donc d'avis que le justiciable qui, devant le juge belge, invoque une atteinte à un droit fondamental, peut librement choisir la règle, de droit international ou de droit constitutionnel, dont il revendique le bénéfice. Il estime même que si le justiciable invoque devant le juge le non-respect par une loi belge de l'article 26 du Pacte ONU, ce juge doit trancher la question.
À la question B.3.2, M. Simonart répond que l'article 53 de la CEDH est une règle relative à l'interprétation de cette convention. Elle signifie que l'interprétation de la CEDH ne peut pas porter atteinte aux droits fondamentaux consacrés dans des textes de droit interne ou d'autres conventions internationales. Cela signifie donc que si l'on confie à la Cour d'arbitrage la compétence de vérifier la compatibilité des lois avec la CEDH, la Cour doit indiquer dans son analyse, c'est-à-dire dans son interprétation de la CEDH, tous les autres traités.
Ceci pose deux problèmes. Premièrement, la Cour d'arbitrage doit, pour interpréter la CEDH, tenir compte de ce que disent les autres traités internationaux. Or, dans le système projeté, la Cour d'arbitrage ne serait pas compétente pour vérifier la conformité des lois par rapport à ces autres traités internationaux. Les cours et tribunaux restent compétents pour ce faire, et dans cette mesure, ils doivent nécessairement interpréter ces conventions. Mais la Cour d'arbitrage n'est-elle pas liée par l'interprétation que donnent les cours et tribunaux des autres conventions internationales ?
Le deuxième problème est celui contenu dans la question B.3.3. concernant la lecture conjointe de plusieurs traités. Avec M. Verdussen, l'orateur a montré que l'affirmation selon laquelle il suffit de choisir la règle la plus favorable aux droits de l'homme n'est pas aussi simple qu'il y paraît (24).
À propos de la question C.1. et de l'extension du contrôle de la Cour d'arbitrage à l'ensemble des matières où la Constitution consacre le principe de légalité, M. Simonart formule trois observations.
1. Le principe de légalité ne participe-t-il pas de la nature même des droits fondamentaux ? En l'espèce, ce droit fondamental serait celui de ne pouvoir faire l'objet d'une réglementation que si cette réglementation est l'oeuvre d'une assemblée parlementaire démocratiquement élue.
Le principe de légalité figure, en tant que tel, à différents endroits du titre II de la Constitution et pratiquement dans tous les titres de celle-ci. Il paraît dès lors légitime de se demander si le respect de ce principe ne devrait pas être assuré par la Cour d'arbitrage dans l'ensemble de ses manifestations. Du reste, contrôler le respect du principe de légalité en matière fiscale et pas dans les autres matières risque de poser un problème au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.
2. Du point de vue juridique, il n'y a aucune objection à l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage aux autres articles de la Constitution concernant le principe de légalité.
3. L'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au respect du principe de légalité dans son ensemble requiert une analyse attentive de l'ensemble de la Constitution pour identifier les articles où il est consacré.
Les questions D abordent les conséquences de l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage.
À la question D.1.1., M. Simonart répond que le nombre de questions préjudicielles va très certainement augmenter si l'on étend la compétence de la Cour d'arbitrage à la CEDH, laquelle est invoquée pratiquement tous les jours devant les juges belges.
Quant à savoir si la procédure devrait être adaptée pour éviter l'allongement des délais, la question reste posée.
Question D.2. Dans le cadre de la règle de l'épuisement des voies de recours internes, peut-on reprocher à un justiciable de ne pas avoir demandé au juge de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage à propos de la violation par une norme législative d'une disposition de la CEDH ? La réponse est oui.
Mais il convient d'opérer des distinctions.
1e hypothèse : il n'y a pas encore d'arrêt de la Cour d'arbitrage tranchant une question analogue. La seule façon de tenter d'échapper à l'application de la loi consiste à demander au juge de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
2e hypothèse : un arrêt de la Cour d'arbitrage a jugé que la loi en cause ne violait pas la CEDH mais le justiciable estime que cet arrêt n'est pas conforme à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il semble que, dans cette hypothèse aussi, il faille demander au juge de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage pour tenter d'obtenir que celle-ci s'aligne sur ce que le justiciable croit être la jurisprudence de Strasbourg.
3e hypothèse : Un arrêt de la Cour d'arbitrage a jugé que la loi ne violait pas la CEDH, mais, après cet arrêt, la Cour de Strasbourg a rendu un arrêt de nature à remettre en cause l'interprétation donnée à la CEDH par la Cour d'arbitrage.
Le justiciable doit demander au juge de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
4e hypothèse : Un arrêt de la Cour d'arbitrage a jugé que la loi ne violait pas la CEDH mais il s'agit d'une question d'interprétation de la CEDH à propos de laquelle la Cour de Strasbourg n'a pas encore eu à se prononcer et le justiciable estime l'interprétation de la Cour d'arbitrage contestable.
Il semble que dans ce cas également, il faille demander de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
5e hypothèse : Un arrêt de la Cour d'arbitrage a jugé que la loi ne violait pas la CEDH et cette interprétation paraît conforme à la jurisprudence de Strasbourg.
À première vue, on pourrait se dire qu'il n'y a pas lieu de poser de question préjudicielle. Mais si le justiciable estime que la loi viole la CEDH, c'est donc en l'espèce qu'il conteste la jurisprudence de Strasbourg. S'il veut se ménager un accès à la Cour de Strasbourg, il est obligé de faire poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
Ces cinq hypothèses montrent que l'accès à la Cour de Strasbourg passe inévitablement par le détour de la Cour d'arbitrage.
La question D.3. est relative à l'opportunité de limiter l'effet dans le temps des arrêts préjudiciels. M. Simonart dit ne pas avoir d'opinion tranchée sur le sujet.
Il existe un arrêt préjudiciel de la Cour de Justice de Luxembourg qui en dehors de tout texte a limité dans le temps la portée de l'arrêt, au nom de la sécurité juridique.
Par ailleurs, dans une affaire où la Cour de Strasbourg a condamné la législation belge en matière de filiation, la commission, au nom de la sécurité juridique, a estimé devoir limiter dans le temps les effets de sa constatation de violation.
Dans un arrêt de la Cour d'arbitrage rendu ensuite sur question préjudicielle, on trouve la considération que si un arrêt préjudiciel n'est juridiquement obligatoire que pour l'espèce à propos de laquelle la question était posée, un tel arrêt a, en réalité, une portée plus large.
Les questions de la rubrique E ont trait à la compétence de la Cour d'arbitrage à l'égard des lois d'assentiment, plus particulièrement au projet de suppression de la possibilité de poser des questions préjudicielles à propos des actes d'assentiment aux traités relatifs à l'Union européenne, d'une part, et à la CEDH et à ses Protocoles additionnels, d'autre part.
Selon le gouvernement, il faudrait distinguer à ce sujet selon que le traité est conclu ou non en application de l'article 34 de la Constitution.
M. Simonart se demande si un critère de distinction tiré de l'article 34 de la Constitution est pertinent en l'espèce. Il ne croit pas que la CEDH et ses protocoles additionnels puissent être considérés comme des traités conclus en application de l'article 34 de la Constitution.
À sa connaissance, la Cour d'arbitrage n'a jamais fait état de cette prétendue distinction. Tous les arrêts de la Cour d'arbitrage relatifs au contrôle des traités internationaux sont formulés de façon générale, visant tous les traités internationaux sans exception, sans distinction.
Quant à savoir si la distinction proposée par le projet de loi viole l'article 142 de la Constitution et/ou le principe d'égalité et de non-discrimination, c'est une question délicate. Tout dépend du caractère acceptable ou non des motifs invoqués pour réserver un sort particulier aux traités dont il s'agit.
Le motif tiré de la nécessité de garantir d'une manière générale la stabilité et la sûreté des relations internationales n'a en tout cas pas été jugé convaincant par le Conseil d'État. L'exposé des motifs n'explique du reste pas pourquoi cette stabilité devrait être assurée en ce qui concerne les traités dont il s'agit, et non pour les autres.
L'exposé des motifs se contente de faire état du caractère particulier de ces traités et du contrôle juridictionnel international dont ils font l'objet, mais nulle part il ne justifie en quoi ce prétendu caractère particulier ou ce contrôle international exigeraient un traitement spécial. Au demeurant, n'existe-t-il pas d'autres traités qui eux aussi bénéficient d'un contrôle juridictionnel international ?
Les arguments invoqués sont donc peu convaincants.
3e partie. Questions relatives au fonctionnement et à l'organisation de la Cour d'arbitrage
L'orateur signale qu'il n'abordera pas les questions F car elles nécessitent des investigations et réflexions plus approfondies.
Aux questions de nature plus technique figurant sous la lettre G, il répond très brièvement.
En ce qui concerne la question G.1., il est préférable, en effet, d'écrire « question ou recours ayant le même objet » comme à l'actuel article 26, § 2, alinéa 3.
Les suggestions de modifications faites à la question G.2. paraissent aussi judicieuses par souci d'uniformisation.
La question G.3. est relative au dossier et au rapport de l'affaire portée devant la Cour d'arbitrage. La possibilité de consulter le rapport constitue une modification importante, pour assurer l'égalité de traitement des parties devant la Cour. Elle est, au demeurant, réclamée à l'unanimité par tous ceux qui plaident devant la Cour d'arbitrage. M. Simonart est d'avis que cela permettra d'augmenter la qualité des audiences devant la Cour d'arbitrage.
Quant au rapport complémentaire, il faudra le mentionner dans la loi.
Il est exact que la loi ne détermine pas le contenu du rapport, mais il ne paraît pas à M. Simonart qu'on puisse le faire dans la loi. Il est inévitable que ce contenu varie de rapport à rapport. Normalement, il doit contenir le relevé des questions qui devront être tranchées.
La loi prescrit en tout cas deux choses essentielles : le rapport doit être écrit et il doit être mis à la disposition des parties avant l'audience.
Question G.4. M. Simonart ne croit pas qu'il faille laisser l'affectation des référendaires à la seule compétence de la Cour d'arbitrage. Le législateur est compétent pour décider de l'organisation et du fonctionnement de la Cour d'arbitrage. Il peut dès lors régler la question.
Question G.5. Il est exact qu'insérer une disposition transitoire expresse dans la loi est préférable du point de vue de la sécurité juridique. Celle-ci pourrait effectivement prévoir en l'espèce que les dispositions de la loi nouvelle ne s'appliquent qu'aux recours et questions introduits après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.
4.1. M. Pierre Marchal, premier président de la Cour de cassation
En tant que magistrat du siège, en l'espèce de la Cour de cassation, le premier président ne souhaite pas, par un souci de réserve, s'exprimer publiquement sur les questions qui lui ont été communiquées préalablement et qui, si la réforme proposée était adoptée, pourraient être soumises ultérieurement à la Cour de cassation.
C'est pourquoi il se limitera à formuler une observation générale (1) et à examiner un aspect de la réforme qui n'a pas été évoqué dans le questionnaire (2).
1. Utilité du projet de loi spéciale
La réforme proposée est importante, entre autres parce qu'elle organise une ingérence de la Cour d'arbitrage dans l'exercice du pouvoir judiciaire. La question est de savoir si une telle ingérence est utile. L'exposé des motifs du projet de loi spéciale semble contenir à cet égard une contradiction. D'une part, il est affirmé que « ce mécanisme (à savoir l'obligation pour les juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational) permettra d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de ces droits fondamentaux », alors que, d'autre part, il est déclaré dans l'alinéa suivant que « les autres juridictions et plus spécifiquement la Cour de cassation, qui doit assurer l'uniformité de la jurisprudence tiendront compte de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage en la matière (25) ». Or, depuis 1950, la Cour de cassation a assuré au niveau national, comme la Cour européenne des droits de l'homme l'a fait au niveau européen, l'unité de la jurisprudence en ce qui concerne le respect et l'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Le premier président s'interroge dès lors sur l'utilité de la réforme proposée au vu de son objectif déclaré.
2. Incidence de la procédure préjudicielle sur la durée et le coût des procédures judiciaires
Un aspect qui n'a pas été abordé dans le questionnaire, concerne l'incidence de la procédure préjudicielle envisagée sur la durée et le coût des procédures devant les cours et tribunaux. Cet aspect n'est pas sans importance, dès lors que nos concitoyens se plaignent des lenteurs de la justice et de son coût.
a. Situation actuelle
Il est intéressant de vérifier la fréquence des griefs portés devant la Cour de cassation qui se fondent sur une violation de la CEDH ou qui, sans viser expressément une disposition de la Convention, invoquent la violation d'un droit fondamental.
Des 348 arrêts prononcés par la Cour de cassation en octobre 2001, 204 pourvois étaient pertinents (c'est à dire des pourvois recevables, dont les demandeurs ne se sont pas désistés et à l'appui desquels des moyens de cassation ont été présentés) et, parmi ceux-ci, la violation de la CEDH ou d'un droit fondamental a été invoquée à 66 reprises.
Comme plusieurs griefs déduits de la CEDH ont parfois été invoqués dans le même pourvoi, on constate que de tels griefs ont été soulevés dans 32 pourvois sur 204, soit 15 % du total. En d'autres termes, en octobre 2001, la Cour de cassation a dû se prononcer dans 32 arrêts sur 204 sur une ou plusieurs violations alléguées de la CEDH.
La question se pose alors de savoir quel impact la réforme proposée aura sur cette fréquence, si elle est adoptée.
b. Prévision
Il est vrai que les griefs soumis à la Cour de cassation et qui se fondent sur la contrariété d'une norme interne avec une disposition de la CEDH ne sont pas si nombreux. Mais il n'en serait plus ainsi si la réforme proposée était adoptée.
En vertu de l'article 35.1 de la CEDH, la Cour européenne des droits de l'homme ne peut être saisie qu'après l'épuisement de toutes les voies de recours internes. Cette règle repose sur la considération qu'il faut permettre aux parties contractantes de mettre un terme à la violation invoquée de la convention avant que la Cour européenne ne puisse en être saisie. Selon une jurisprudence constante de la cour, ces voies de recours nationales doivent être utilisées dans les délais et les formes prescrits par le droit national. En outre, d'après la même jurisprudence, les griefs que la partie demanderesse veut soumettre à la Cour européenne doivent à tout le moins avoir été soulevés en substance devant les juridictions internes et toutes les ressources de procédure doivent être utilisées pour empêcher une violation de la CEDH (26).
Il résulte donc de l'article 35.1 de la CEDH et de l'interprétation que la Cour européenne en a donnée qu'une partie désireuse de se réserver la possibilité d'invoquer une violation de ladite convention devant la Cour européenne doit d'abord épuiser tous les moyens de procédure nationaux. On peut supposer que si la réforme proposée est approuvée, cette partie à titre de mesure conservatoire et peut-être aussi pour ralentir la procédure demandera au juge de poser à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle concernant la compatibilité d'une loi nationale avec la CEDH. On peut donc s'attendre à ce que le nombre de cas dans lesquels cette demande sera faite au juge, du moins au juge de cassation, approche les pourcentages susvisés.
c. Conséquences
Les conséquences de la procédure préjudicielle telle que proposée par le projet de loi spéciale sont faciles à prévoir. Des retards importants se produiront dans le déroulement des procédures dans lesquelles la Cour de cassation et le Conseil d'État seront contraints de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage quel que soit son intérêt pour la solution du litige sur la conformité d'une norme interne avec la CEDH.
Actuellement, alors que le contentieux préjudiciel de la Cour d'arbitrage ne porte que sur les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, le temps pris par la procédure préjudicielle n'est pas négligeable. Ainsi, la troisième chambre de la Cour de cassation que le premier président a l'honneur de présider, a rendu au mois de décembre 2001 5 arrêts à la suite d'arrêts préjudiciels prononcés par la Cour d'arbitrage sur des questions posées par la Cour de cassation. L'examen de ces arrêts montre qu'il faut à la Cour d'arbitrage 12 mois en moyenne pour répondre à la question. Or, les questions que la Cour de cassation était obligée de poser étaient parfaitement dénuées d'intérêt car il était évident d'emblée que ces questions portant sur une éventuelle violation de la CEDH devaient nécessairement amener une réponse négative. La Cour d'arbitrage s'est naturellement prononcée en ce sens. Constatant que son pourvoi serait rejeté, le demandeur qui avait fondé son moyen sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, s'est alors désisté. La troisième chambre a dès lors rendu 5 arrêts de désistement qui n'ont rien apporté sauf un allongement des procédures et une augmentation des frais de justice. En effet, devant la Cour d'arbitrage se déroule un nouveau procès, qui nécessite le dépôt de mémoires et, si possible, l'intervention d'avocats spécialisés. Inutile d'ajouter que ces arrêts n'ont pas fait progresser la science du droit.
Les risques inhérents à la nouvelle procédure préjudicielle sont évidents sans même aborder le problème des questions préjudicielles qui, essentiellement en matière pénale, seront posées à des fins purement dilatoires. Ainsi, la deuxième chambre de la Cour de cassation qui traite des affaires pénales, est confrontée pratiquement à chaque audience avec des questions portant sur les articles 10 et 11 de la Constitution. S'agissant de questions dilatoires, elle parvient souvent à les écarter au prix de beaucoup d'ingéniosité. Il est à craindre que le recours à ce moyen de procédure ne se multiplie si la réforme proposée est adoptée.
d. Considérations finales
On se plaint à juste titre de l'arriéré judiciaire, que l'on qualifie de déni de justice. Les cours et tribunaux, submergés par le nombre d'affaires, font de leur mieux pour réduire ce retard. La Cour de cassation, en particulier, fournit à cet égard un important effort qui commence à porter ses fruits. Un avant-projet de loi visant à simplifier et à accélérer les procédures est à l'étude au ministère de la Justice. Il est à craindre que la réforme proposée ne réduise ces efforts à néant et ne porte préjudice à l'administration de la justice.
M. Hugo Vandenberghe désire savoir si l'opposition du premier président de la Cour de cassation concerne exclusivement l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage, proposée par le projet de loi spéciale, qui permettrait à la Cour de vérifier la conformité des actes législatifs à l'ensemble des articles du titre II ainsi qu'aux articles 172 et 191 de la Constitution, ou si elle vise aussi l'ampleur que prendrait cette extension par suite de l'incorporation, à l'article 32bis de la Constitution, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en tant que critère de contrôle qui serait le domaine réservé de la Cour d'arbitrage.
M. Pierre Marchal, premier président de la Cour de cassation, répond qu'il n'a pas d'objection à l'extension du pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage prévue par le projet de loi spéciale. Elle se fonde en effet sur l'article 142 de la Constitution. Ce qui pose problème du point de vue juridique, c'est le fait que la Cour d'arbitrage aurait l'exclusivité du contrôle de conformité des actes législatifs aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il serait ainsi porté atteinte au principe général de droit constitutionnel, selon lequel les cours et tribunaux ont le pouvoir et l'obligation de vérifier la conformité des normes du droit interne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce principe tire son fondement, non seulement de la Constitution, mais aussi de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme elle-même. Dans l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski » du 27 mai 1971, le Cour de cassation a en effet estimé que la prééminence sur la norme de droit interne d'une convention valablement réalisée et ayant des effets directs, résulte de la nature même du droit international conventionel (27).
M. Michel Barbeaux souhaite savoir si le premier président resterait sur ses positions si l'obligation de poser une question préjudicielle devenait une faculté.
Le premier président répond par l'affirmative. Dans son exposé, il s'est attaché aux conséquences pratiques du projet de loi spéciale. Mais, que la Cour de cassation soit obligée ou non de poser une question préjudicielle, n'empêche pas que la procédure prévue par le projet de loi spéciale constitue une violation des principes que la Cour de cassation a posés dans son arrêt SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski.
4.2. M. Jean du Jardin, procureur-général près la Cour de cassation
1. Introduction
La proposition de révision de la Constitution et le projet de loi spéciale actuellement à l'examen prêtent amplement à réflexion juridique. À cet égard, comme le montre le questionnaire, les aspects constitutionnels sont à l'avant-plan. Ils constituent une véritable mine d'or pour les éminents constitutionnalistes entendus par la commission.
Le procureur général ne se considère toutefois pas comme un constitutionnaliste. Il privilégiera donc pour sa part une approche pragmatique, sous l'angle qui lui est le plus familier, celui de la mission du ministère public près la Cour de cassation. Cette mission consiste à garantir la sécurité juridique par une interprétation de la loi ne laissant aucune place à l'équivoque. Tout ce qui peut y contribuer, comme les procédures des questions préjudicielles, doit dès lors être accueilli favorablement. D'où l'importance que le droit national comme le droit international attachent à ces procédures. Quelques exemples empruntés à l'arsenal existant le démontreront.
Le Code d'instruction criminelle prévoit ainsi une série de procédures dans le cadre desquelles le juge pénal doit suspendre l'action publique jusqu'à ce que le juge civil se soit prononcé sur une question préjudicielle relative à certains aspects de droit civil de l'affaire (cf. les articles 16-19, titre préliminaire, du Code d'instruction criminelle). En ce qui concerne le droit social, l'article 74 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail prévoit que les questions préjudicielles qui se posent devant la juridiction répressive au sujet de l'interprétation de cette loi sont tranchées par la juridiction du travail.
La Cour d'arbitrage, la Cour de justice Benelux et la Cour de Justice des Communautés européennes peuvent elles aussi être saisies, dans le cadre de leur mission d'interprétation respective, d'une question préjudicielle (28).
La question prioritaire pour ne pas dire préjudicielle que soulève la réforme proposée, est celle de savoir si la modification de la procédure préjudicielle proposée par le projet de loi spéciale est satisfaisante.
À l'instar du premier président de la Cour de cassation, le procureur général en doute sérieusement.
La règle demeure que l'introduction d'une obligation de renvoi en vertu de laquelle le juge saisi d'une affaire doit la soumettre à un autre juge, à titre de question préjudicielle, doit rester l'exception, parce que le juge du fond doit en principe conserver la pleine compétence (iudex actionis, iudex exceptionis)
a. Conformité de la proposition de révision de la Constitution à la déclaration de révision
L'extension envisagée de la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage ne peut ni mettre à néant ni limiter le pouvoir des cours et tribunaux ordinaires de contrôler la conformité des actes législatifs aux conventions internationales ayant des effets directs, sauf à modifier l'article 142 de la Constitution dans ce sens. Ce dernier article n'est toutefois pas soumis à révision actuellement.
Les cours et tribunaux restent donc tenus d'écarter l'application d'un acte législatif lorsque celui-ci est contraire à une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne. Le principe de la prééminence du droit international sur le droit national, consacré par la Cour de cassation dans son arrêt « Le Ski » du 27 mai 1971, résulte de « la nature même du droit international conventionnel ». Ce principe général de droit constitutionnel relève du droit contraignant. Vu la primauté du droit international, il est dès lors inacceptable que les cours et tribunaux soient tenus par l'interprétation que la Cour d'arbitrage donnerait à la CEDH.
L'extension du pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage envisagée par le projet de loi spéciale, lue en corrélation avec la proposition de révision de la Constitution, va en outre à l'encontre de la volonté expresse du constituant de 1980 et de 1988. Le 14 juin 1988, le vice-premier ministre et ministre des Communications et des Réformes institutionnelles de l'époque, M. Jean-Luc Dehaene, a fait à cet égard la déclaration suivante au Sénat :
« (...) le gouvernement ne peut organiser en aucune manière la Cour d'arbitrage de manière telle qu'il en résulte une contradiction entre le droit international et supranational, d'une part, et le droit national, d'autre part. C'est pourquoi le gouvernement limite strictement la possibilité de poser des questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage au droit national et, plus particulièrement, aux conflits de compétence entre loi et décret, aux articles 6, 6bis et 17 de la Constitution et aux autres articles de la Constitution qui seraient, dans une phase suivante, désignés par une loi à majorité spéciale.
L'obligation pour les tribunaux et le Conseil d'État de poser des questions préjudicielles ne concerne donc nullement le droit international et le droit supranational » (29).
b. Problèmes d'application
L'article 32bis proposé suscite nombre de questions et de critiques.
b.1. Questions
Comment certaines normes juridiques seront-elles interprétées à la lumière de la CEDH, eu égard au monopole de la Cour européenne des droits de l'homme et à l'autonomie de son interprétation ?
L'extension de la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage au titre II de la Constitution relatif aux Belges et à leurs droits, soulève la question de savoir quelle règle sera d'application aux étrangers, qui bénéficient de la protection de la CEDH.
L'exposé des motifs du projet de loi spéciale indique que les « juridictions conservent (...) leur compétence de contrôle (à l'égard du droit international ayant des effets directs), mais (que) l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendra à la Cour d'arbitrage, via la procédure d'une question préjudicielle » (30). La question est de savoir s'il est effectivement possible de dissocier l'obligation faite aux cours et tribunaux ordinaires de constater l'incompatibilité d'une norme interne avec une convention internationale ayant des effets directs, de la mission d'interprétation qui va inéluctablement de pair.
b.2. Critique
Selon le procureur général, la proposition de réserver à la Cour d'arbitrage le monopole du contrôle de conformité à la CEDH comporte plusieurs inconvénients.
Tout d'abord, comme l'a signalé le premier président de la Cour de cassation, la durée d'examen des affaires s'en trouvera allongée.
Deuxièmement, la Cour d'arbitrage sera excessivement sollicitée.
Troisièmement, le système proposé risque de mener à des divergences dans la jurisprudence si on ne supprime pas le pouvoir des cours et tribunaux de contrôler la conformité des actes législatifs à la CEDH.
Enfin, on risque de perturber l'unité du droit et la sécurité juridique.
3. Projet de loi spéciale : dispense de l'obligation de renvoi dans les procédures urgentes
Le projet de loi spéciale crée une exception à l'obligation de poser une question préjudicielle dans le cas de procédures qui requièrent une certaine urgence et doivent être clôturées dans certains délais, et où le jugement n'est que provisoire.
Il s'agit plus particulièrement des procédures du référé administratif devant le Conseil d'État, du référé civil et des procédures relatives au maintien de la détention préventive.
Il faut se réjouir que pareille dispense soit créée. Elle est même indispensable.
Mais comme on va le voir, la dispense contenue à l'article 26, §§ 3 et 4, proposé (article 4, §§ 3 et 4, du projet) est inutilement compliquée et lacunaire (voir l'exposé de M. Velu, procureur général émérite).
Quels sont les problèmes ?
1. La dispense est-elle aussi applicable au juge d'appel et à la Cour de cassation en cas de pourvoi contre une décision rendue en référé ?
2. Quid des procédures qui se déroulent selon la forme du référé ou « comme en référé » ? Outre les neuf cas énumérés à l'article 587 du Code judiciaire, de nombreuses lois particulières prévoient un système similaire. Pour souligner l'importance de ces procédures, il suffit de citer les trois lois suivantes : la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers, la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur et la loi du 10 août 1998 transposant en droit judiciaire belge la directive européenne du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. Dans ce dernier cas, une règle de droit international intervient dans l'application d'une procédure que le juge traite selon la forme du référé.
3. L'article 26, § 3, prévoit deux exceptions à la dispense. En d'autres termes, le juge concerné est quand même tenu de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage dans deux cas : s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
Les questions suivantes se posent à cet égard :
3.1. Ces exceptions à l'exception valent-elles aussi pour le juge des référés ?
3.2. Ce juge, quand il est amené à poser une question préjudicielle, peut-il prendre des mesures provisoirs ou doit-il suspendre la procédure ? La dernière solution serait contraire à la ratio legis de la procédure en référé, qui consiste précisément à pouvoir prendre d'urgence des mesures provisoires.
3.3. Ne serait-il pas plus simple de faire suspendre la procédure si une question de même objet a été posée à la Cour ? Dans ce cas, il faudrait permettre explicitement de prendre des mesures provisoires. En outre, il faudrait obliger la Cour d'arbitrage à rendre son arrêt préjudiciel à bref délai.
4. L'article 26, § 4, proposé dispose que « dans la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive telle que visée aux articles 21, 22, 30 et 31, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, une juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle. »
Cette règle trouve son origine dans l'article 5.3 de la CEDH.
Toutefois, son champ d'application est trop limité, comme le montrent les articles de loi sur la détention préventive auxquels on fait référence. On ne prend pas en considération les procédures visées aux articles 25, 27 et 28.
Il faudrait en tout cas régler identiquement la dispense de l'obligation de renvoi pour la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation comme pour le tribunal correctionnel et le juge d'appel.
En outre, l'abrogation de l'obligation de poser une question préjudicielle devrait être généralisée à d'autres cas de privation provisoire de liberté soumis au contrôle judiciaire, comme la privation de liberté des étrangers et la libération provisoire que le juge pénal peut accorder.
5. Le champ d'application du régime de dispense pourrait être élargi.
5.1. Il n'existe aucune raison de poser une question préjudicielle si la réponse à la question n'est pas utile à la solution du litige. Sinon, on méconnaît la finalité de la procédure.
Ce point n'est pas nouveau. On peut faire un parallèle avec le droit de la Communauté européenne (article 234 du traité CE). Ainsi, la Cour de cassation ne doit pas poser de question préjudicielle si elle juge qu'une décision de la Cour de justice n'est pas nécessaire pour rendre son arrêt, par exemple parce que l'application du droit communautaire est évidente et qu'il n'y a aucune marge d'interprétation (c'est la théorie dite de l'acte clair) ou lorsqu'il existe un précédent.
L'avantage d'un tel élargissement est qu'il permet d'éviter des procédures dilatoires et de ne pas allonger inutilement la durée des affaires.
5.2. L'article 26, § 1erbis, proposé dispose qu'aucune question préjudicielle ne peut être posée concernant les lois, les décrets et les ordonnances par lesquels un traité constituant de l'Union européenne ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ou un Protocole additionnel à cette convention reçoit l'assentiment.
Compte tenu de l'obligation, pour la Belgique, de respecter ses engagements de droit international, on peut se demander pourquoi cette exception n'est pas étendue à d'autres conventions internationales. La réglementation proposée comporte en effet le risque que l'exécution de ces conventions soit différée.
M. Hugo Vandenberghe désire savoir si l'exclusion, prévue à l'article 26, § 1erbis, proposé, de la possibilité de poser une question préjudicielle sur des actes législatifs par lesquels un traité constituant de l'Union européenne ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ou un protocole additionnel à cette convention reçoit l'assentiment n'est pas contraire à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. En effet, en ratifiant cette dernière convention, la Belgique s'est engagée à la respecter en toutes circonstances.
Supposons que la Belgique transfère par traité certaines compétences à l'Union européenne, le degré de protection juridique des citoyens étant assuré avec autant d'intensité que par la CEDH. On pourrait objecter qu'en votant la loi portant approbation du transfert de compétence, la Belgique enfreint l'article 1er de la CEDH, qui oblige les parties contractantes à assurer dans leur ordre juridique interne le fonctionnement général de cette convention. La Belgique priverait en effet ses citoyens, dans l'ordre juridique belge, d'une garantie de la CEDH dont ils disposent actuellement. Un justiciable pourrait alors soulever devant la Cour de cassation l'exception selon laquelle la loi d'approbation en question est contraire à la CEDH parce que portant atteinte à l'un des droits garantis par ladite convention, dans la mesure par exemple où l'on infirmerait les garanties procédurales prévues dans cette dernière en disposant que le justiciable devra s'adresser exclusivement à la Cour de Justice des Communautés européennes. L'exception prévue à l'article 26, § 1erbis, proposé ne risque-t-elle pas d'entraver, dans certaines hypothèses, le fonctionnement de la CEDH ?
Le procureur général près la Cour de cassation, M. Jean du Jardin, confirme le danger. Différents principes peuvent se heurter en l'occurrence, à savoir la prééminence du droit international et celle de la CEDH. Il n'est pas exclu que d'autres dispositions conventionnelles ou des règles de droit interne offrent une protection plus favorable que la CEDH. L'article 53 de la CEDH dispose qu'en pareil cas, il faut donner la priorité à la disposition qui offre à l'individu la protection la plus large. On peut ainsi remédier au problème soulevé par M. Vandenberghe.
4.3. M. Jan Velaers, professeur ordinaire à l'Université d'Anvers (UFSIA/UA)
Voici la note écrite que le professeur Velaers a commentée lors de l'audition.
1. L'insertion d'un article 32bis dans la Constitution et la modification de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage sont extrêmement radicales sur le plan de la protection juridique des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans l'ordre juridique national. Elles appellent bon nombre de questions. Nous examinerons ci-après, d'abord la portée de l'article 32bis proposé, ensuite celle du projet de loi spéciale. Nous tenterons de traiter à cette occasion les diverses questions qui nous ont été soumises par les services du Sénat.
2. La déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999 dispose « qu'il y a lieu à révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Il appert des travaux préparatoires de cette déclaration que l'objectif était d'assurer « le parallélisme des textes » (31) et de mettre le titre II en concordance avec la CEDH. La note explicative de la proposition de révision du titre II de la Constitution indique qu'il s'agit d'incorporer les dispositions de la CEDH qui ne se retrouvent pas, ou n'y sont pas inscrites explicitement, dans la Constitution belge (32). La note explicative mentionne à cet égard : « (le) droit à la vie, la préservation des personnes contre la torture et le traitement inhumain, l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé, le droit à un procès public et équitable dans un délai raisonnable, le droit de se marier et de fonder une famille, le droit à l'octroi d'un recours effectif, le droit de la libre circulation dans un pays, d'y choisir un domicile et de quitter le pays, la préservation des ressortissants contre les expulsions, le droit d'accès au territoire de l'État dont on est ressortissant et la préservation des étrangers contre l'expulsion collective ». Toutefois, à notre avis, en faisant état d'un parallélisme et d'une concordance, l'on vise non seulement les droits et libertés manquants, mais aussi ceux qui sont inscrits tant dans la Constitution que dans la CEDH, même s'il s'agit d'un système différent de restrictions autorisées. Deux méthodes seulement sont concevables dans notre optique afin de réaliser un « parallélisme » pour ces droits et libertés également : soit, chaque article du titre II de la Constitution est reformulé à la lumière de la CEDH, soit l'on ajoute une seule disposition incorporant dans la Constitution l'ensemble de la CEDH, y compris ses droits et libertés et son système de restrictions. Étant donné que la préconstituante n'a pas déclaré susceptible de révision chaque article du titre II de la Constitution, la première méthode est exclue. Il ne reste plus, dans ce cas, que la seconde méthode.
L'article 32bis proposé est dès lors compatible, à notre avis, avec la déclaration de révision de la Constitution. Mieux encore, il offre la seule méthode afin de réaliser les ambitions considérables de la préconstituante.
3. L'article 32bis proposé dispose que « chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge ». Tant l'article 1er de la CEDH que l'ensemble du titre Ier de cette Convention sont ainsi incorporés à la Constitution belge, non seulement les droits et libertés qui y sont garantis, mais aussi le système des restrictions autorisées, et les dispositions figurant aux articles 15 (possibilité de déroger à la Convention en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation), 16 (restrictions à l'activité politique des étrangers), 17 (interdiction de l'abus de droit) et 18 (interdiction du détournement de pouvoir lors de la restriction de droits fondamentaux). Enfin, il nous semble que le « droit de plainte » garanti à l'article 34 de la CEDH le droit d'adresser des requêtes à la Cour acquiert un statut constitutionnel sur la base de l'article 32bis.
4. À notre avis, l'article 53 de la CEDH fait partie, lui aussi, des dispositions de la CEDH qui obtiennent désormais un statut constitutionnel. En effet, cet article contient une règle interprétative générale aux termes de laquelle « aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie ». Que l'intention est d'incorporer cet article également avec sa règle interprétative à la Constitution belge ressort clairement de la note explicative qui s'y réfère expressément bien que visant erronément l'ancienne numérotation (l'article 60). Nous lisons en effet dans cette note explicative : « Il faut lire la Constitution et la CEDH ensemble. L'article 60 de la CEDH dispose en outre que la convention est complémentaire par rapport aux droits et libertés reconnus au droit interne. En d'autres mots, il faut joindre les deux protections et en cas de contradiction, la disposition assurant la meilleure protection à l'individu prévaut » (33).
5. Le fait que l'article 32bis figure au titre II de la Constitution, « Des Belges et de leurs droits », n'implique d'ailleurs aucunement que ces droits appartiendraient désormais aux seuls Belges, et non aux étrangers. Il est évident que l'article 1er de la CEDH est inscrit en tant que tel dans la Constitution, avec la signification étendue qui lui est attribuée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. En d'autres termes, les droits énumérés à l'article 32bis sont garantis pour toute personne qui ressortit au pouvoir juridique de l'État. Il a été avancé que le mot « chacun » dans l'article 32bis proposé revêt dès lors une signification plus large que le mot « chacun » figurant dans un nombre d'autres articles du titre II de la Constitution « Des Belges et de leurs droits » (34). Bien que cette thèse soit correcte « en soi », il convient néanmoins de relativiser considérablement la portée de cette différence, ce à la lumière de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage au sujet de l'article 191 de la Constitution. Il ressort de cette jurisprudence que la possibilité que cet article semble offrir d'établir par la loi des exceptions à la jouissance « de la protection accordée aux personnes et aux biens » des étrangers, ne signifie pas qu'une loi formelle suffise. En effet, cette loi devra pouvoir supporter le contrôle à la lumière de l'interdiction de discrimination (35).
6. Le gouvernement propose d'élargir la compétence de la Cour d'arbitrage à l'ensemble du titre II « Des Belges et de leurs droits », ainsi qu'aux articles 172 et 191 de la Constitution.
I. Extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au titre II actuel de la Constitution
7. Aucune objection d'ordre constitutionnel ne s'oppose à l'élargissement par voie de loi spéciale de la compétence de la Cour d'arbitrage au titre II actuel de la Constitution « Des Belges et de leurs droits ». En effet, l'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution dispose que la Cour statue sur la violation des articles de la Constitution « que la loi détermine ». Il appert de l'article 142, alinéa 4, que cette loi doit être adoptée à une majorité spéciale.
8. Il existe de bonnes raisons d'élargir la compétence de la Cour à l'ensemble du titre II. En premier lieu, cela mettrait fin à la limitation à trois des articles du titre II de la Constitution, limitation difficile à justifier du point de vue des principes et opérée exclusivement pour des motifs d'ordre politique et pragmatique (articles 10, 11 et 24 de la Constitution).En effet, il a peu de sens de ne permettre à la Cour d'arbitrage que de contrôler à la lumière de quelques droits fondamentaux déduits de la Constitution et de maintenir pour le surplus « l'inviolabilité de la loi ». Il ressort d'ailleurs de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage que la Cour contrôle d'ores et déjà, par le biais des articles 10 et 11 de la Constitution, à la lumière d'autres droits et libertés, qui sont d'ailleurs déduits non seulement de la Constitution, mais également de traités internationaux à effet direct (36). En effet, en règle générale, la violation d'un droit fondamental constituera également une discrimination, dès lors que certaines personnes ou certains modes d'exercice seulement sont atteints, tandis que d'autres ne le sont pas. En élargissant la compétence de la Cour à l'ensemble du titre II de la Constitution, l'« acrobatie » consistant à soumettre à la Cour la violation d'un droit fondamental comme étant la violation de l'interdiction de discrimination, deviendra superflue à l'avenir.
II. Extension aux articles 172 et 191 de la Constitution
9. De même, l'élargissement de la compétence de la Cour aux articles 172 et 191 de la Constitution n'est que la confirmation de la jurisprudence de la Cour. Ces articles concrétisent une application particulière du principe d'égalité. La Cour effectue d'ores et déjà un contrôle sur cette base (37). Il ressort de l'exposé des motifs que le gouvernement propose de confirmer expressément cette compétence.
10. Une note marginale s'impose cependant à propos de l'élargissement de la compétence de la Cour à l'article 172 de la Constitution. En effet, cet article consacre non seulement le principe d'égalité, mais aussi le principe de légalité en matière « d'exemption ou de modération ». Par le passé, la Cour a également eu recours au principe de légalité dans son contrôle à la lumière de l'article 10 de la Constitution, et ce non seulement dans la mesure où ce principe figure à l'article 172 (38), mais aussi en tant qu'il est inscrit aux articles 170 (39) et 182 (40) de la Constitution. L'élargissement de la compétence de la Cour à l'article 172 de la Constitution ne devrait pas conduire à un raisonnement a contrario dont il résulterait qu'à l'avenir la Cour ne pourrait plus avoir recours à l'occasion de son contrôle qu'au principe de légalité inscrit à l'article 172 de la Constitution. Rien n'indique que telle soit l'intention du Gouvernement (41). Il nous paraît souhaitable de confirmer expressément au cours des travaux préparatoires que l'intention n'est pas de mettre en cause l'interprétation extensive que la Cour d'arbitrage a donnée jusqu'à présent à l'interdiction de discrimination et, partant, de mettre en cause son pouvoir de contrôle.
1. Portée de la proposition
11. L'intention du gouvernement est d'accorder à la Cour d'arbitrage la compétence de contrôler les lois, décrets et ordonnances à la lumière de la CEDH, ce par le biais de l'article 32bis de la Constitution, dans lequel la CEDH serait constitutionnalisée. Que l'intention soit de permettre à la Cour d'arbitrage d'acquérir le monopole en matière de contrôle des lois, décrets et ordonnances à la lumière de la CEDH, à l'exclusion des cours et tribunaux et des juridictions administratives, y compris la Cour de Cassation et le Conseil d'État, n'est certes pas expressément confirmé dans le projet, mais cette option n'en constitue pas moins l'essence. Nous lisons en effet dans l'exposé des motifs : « Le texte en projet a pour conséquence de conditionner l'application de ce principe à l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational. Ces juridictions conservent dès lors leur compétence de contrôle, mais l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendra à la Cour d'arbitrage, via la procédure d'une question préjudicielle. Ce mécanisme permettra d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de ces droits fondamentaux » (42). Le fait que l'intention n'est pas d'autoriser, outre un contrôle central des lois, décrets et ordonnances à la lumière de la CEDH par la Cour d'arbitrage, un contrôle diffus, ayant le même objet, par toutes les autres juridictions, ressort de ce que l'obligation de poser des questions préjudicielles vaut pour l'ensemble du titre II, y compris le nouvel article 32bis de la Constitution, et, en d'autres termes, également en ce qui concerne la CEDH. Le projet de loi spéciale implique donc manifestement qu'en ce qui concerne la CEDH, la doctrine de l'arrêt SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski du 27 mai 1971 est mise à néant. Désormais, il n'appartient plus à tout juge de déterminer la portée des dispositions à effet direct de la CEDH et de contrôler la loi à la lumière de ces dispositions.
2. Motifs pour élargir la compétence de la Cour d'arbitrage
A. L'unité dans l'interprétation de la CEDH ?
12. Le motif donné par le gouvernement pour élargir la compétence de la Cour d'arbitrage est que cela « conduira à assurer une plus grande unité » dans l'interprétation de la CEDH (43). Ce motif ne nous convainc pas. Même après l'élargissement de sa compétence, ce ne sera pas la Cour d'arbitrage qui pourra assurer l'unité dans l'interprétation de la CEDH. Dans l'ordre juridique belge, même après l'adoption de l'article 4 du projet de loi spéciale, la CEDH ne sera pas appliquée exclusivement par la Cour d'arbitrage. En effet, la Cour ne contrôlera que la conformité des lois, décrets et ordonnances à l'article 32bis de la Constitution et, partant, à la CEDH. Toutefois, les cours et tribunaux et les juridictions administratives continueront de leur côté à interpréter la CEDH, notamment lorsque, sur la base de l'article 159 de la Constitution, ils contrôlent des arrêtés à la lumière de la CEDH et encore, lorsqu'en interprétant des lois elles poursuivent une interprétation conforme à la CEDH. La Cour de cassation continuera, elle aussi, à contrôler l'application de la CEDH par les juridictions. En outre, le Conseil d'État appliquera encore la CEDH, notamment dans le cadre de son pouvoir de suspension et d'annulation d'actes et règlements des autorités administratives. Pour l'unité d'interprétation, il ne faudra donc pas compter avant tout sur la Cour d'arbitrage, mais plutôt sur l'autorité que revêt la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
B. La cohérence dans le système du contrôle judiciaire : le choix univoque en faveur du contrôle central, la suppression du contrôle diffus
13. À notre avis, un motif susceptible de justifier un élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage est qu'il serait possible de réaliser ainsi la cohérence indispensable en matière de contrôle des lois, décrets et ordonnances à la lumière des droits et libertés fondamentaux. À l'heure actuelle, cette cohérence fait défaut dans le système judiciaire belge. Jusqu'en 1971 les lois étaient, dans notre pays, inviolables. Les juges étaient censés statuer conformément à la loi et non sur la loi. Cette inviolabilité s'est perdue d'une manière peu cohérente. D'une part, la Cour de cassation a jugé dans l'arrêt SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski du 27 mai 1971 que tout juge a pour mission de contrôler les lois, y compris dès lors les décrets et ordonnances, à la lumière des traités internationaux à effet direct, et notamment des traités internationaux en matière de droits de l'homme, tels que la CEDH et le pacte DCP. D'autre part, la constituante a décidé qu'il appartient exclusivement à la Cour d'arbitrage de contrôler les lois, décrets et ordonnances à la lumière de certains articles de la Constitution, notamment ceux qui sont relatifs aux droits de l'homme, à partir de 1989 des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, présentement de l'ensemble du titre II de la Constitution. Cette situation est insatisfaisante. Nous combinons un contrôle central effectué par la Cour d'arbitrage à la lumière de la Constitution avec un contrôle diffus par les cours et tribunaux à la lumière des traités internationaux à effet direct. Ce système ne peut se justifier, ni d'un point de vue de principe, ni d'un point de vue plus pragmatique (44).
14. Il ne se justifie pas d'un point de vue de principe, dès lors que le choix d'un système de contrôle central ou diffus constitue un choix de politique juridique, portant sur le juge désigné pour statuer sur les lois à la lumière de règles juridiques d'un ordre supérieur, et notamment des droits et libertés fondamentaux. Lorsque la constituante est d'avis que le contrôle à la lumière des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution doit se faire, non de manière diffuse par chaque juge, mais de manière centrale, par une Cour constitutionnelle la Cour d'arbitrage ayant une composition bien déterminée, il se conjugue mal avec cette optique que, dans le même système juridique, sur la base d'un principe constitutionnel reconnu par la Cour de cassation, tous les juges s'estiment compétents pour contrôler les lois à la lumière des droits fondamentaux inscrits dans des traités internationaux à effet direct. Cela est inconsistant parce que la Constitution et les traités internationaux en matière de droits de l'homme contiennent des dispositions analogiques.
15. Ce n'est pas uniquement d'un point de vue de principe que la coexistence d'un système de contrôle central et d'un système diffus ne peut guère se défendre; dans la pratique également, celle-ci constitue une source de difficultés. Que doit faire le juge lorsqu'il est invoqué qu'une loi viole l'interdiction de discrimination ? Il trouve l'interdiction de discrimination aux articles 10 et 11 de la Constitution et à ce sujet il doit poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage. Toutefois, il retrouve cette même interdiction à l'article 14 de la CEDH, à l'article 26 du pacte DCP ainsi qu'aux articles 12 et 141 du traité CE, articles dont il peut contrôler lui-même la violation (45). Quelle est la relation mutuelle entre les systèmes de contrôle central et diffus ? Dans la pratique, le juge préfère, dans le cas présent, poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage. Cela se justifie, car en statuant d'abord lui-même à la lumière du principe d'égalité, le juge faucherait l'herbe sous le pied de la Cour d'arbitrage et irait ainsi à l'encontre de la volonté de la constituante qui a voulu qu'il appartienne à cette Cour de statuer à la lumière du principe d'égalité. Cet état de choses se représentera encore à l'avenir. Supposons qu'il soit invoqué devant le juge pénal que la loi antiracisme est contraire à la liberté d'expression et à la liberté de la presse telle que celles-ci sont garanties aux articles 19 et 25 de la Constitution, à l'article 10 de la CEDH et à l'article 19 du pacte DCP. Que doit faire le juge ? L'on peut s'attendre à ce qu'il pose une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, portant sur la conformité à la Constitution. Mais ne serait-il pas indiqué qu'il puisse d'emblée poser à la Cour la question relative à la conformité à la CEDH et au pacte DCP ? En effet, il importe de combiner ces articles. Il a peu de sens et il ne se recommande d'ailleurs pas d'un point de vue pratique que la Cour réponde uniquement à la question de savoir si la loi est contraire aux articles 19 et 25 de la Constitution, le juge devant contrôler lui-même, par la suite, si la loi n'est pas contraire aux traités internationaux.
En outre, il convient d'avoir égard à ce qui suit. L'on observera peut-être qu'à l'heure actuelle, la Cour d'arbitrage parvient déjà à impliquer également, dans son contrôle à la lumière des articles 10 et 11 de la Constitution, des droits et libertés garantis dans des traités internationaux. Toutefois, à l'avenir, les articles 10 et 11 de la Constitution ne seront plus souvent invoqués dans les recours en annulation, ni dans les questions préjudicielles. En effet, la Cour pourra effectuer son contrôle directement à la lumière des autres articles du titre II de la Constitution « Des Belges et de leurs droits ». Le « détour » par le biais des articles 10 et 11 deviendra superflu. Le juge demandera si la loi n'est pas contraire aux articles 19 et 25 de la Constitution. La Cour parviendra-t-elle encore, dès lors, à impliquer également dans ce contrôle les articles 10 de la CEDH et 19 du pacte DCP relatifs à la liberté d'expression ? On peut l'espérer. Mais si on peut l'espérer, pourquoi ne pas aussi l'autoriser expressément sur-le-champ ?
16. Il ressort d'ailleurs de la comparaison des droits qu'à l'étranger également, l'on tente d'éviter la combinaison de deux systèmes de contrôle : l'un central, l'autre diffus. Dans des pays tels que l'Autriche (46), l'Allemagne (47), l'Italie (48), qui ont confié le contrôle de la constitutionnalité des lois à une cour constitutionnelle, le juge ordinaire ne peut déclarer les lois contraires aux traités en matière de droits de l'homme. Dans des pays tels que les Pays-Bas (49) et le Luxembourg (50) qui autorisent un contrôle diffus à la lumière de la CEDH il n'existe aucune cour constitutionnelle. En France, qui reconnaît également l'effet direct de la convention (51), il n'existe aucun contrôle de constitutionnalité sur des lois déjà en vigueur. Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle préventif, antérieurement à la promulgation de la loi (52).
17. Maintenant que la compétence de la Cour d'arbitrage est élargie au titre II de la Constitution, il serait indiqué, à notre avis, de tenter de rétablir la cohérence dans notre système. La question se pose toutefois de savoir si une extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle des lois, décrets et ordonnances à la lumière de la CEDH n'est pas contraire au droit international, à la CEDH même et au droit communautaire européen (voir 3 ci-après) et s'il n'existe pas, dans le droit national, d'autres objections contre l'élargissement par une loi spéciale de la compétence de la Cour (voir point 4 ci-après).
3. L'option du contrôle central est-elle contraire au droit international, à la CEDH ou au droit communautaire ?
18. L'option du contrôle central à la lumière de la CEDH n'est contraire, ni au droit international en général, ni à la CEDH elle-même. En effet, ni le droit international, ni la CEDH ou d'autres traités portant sur les droits de l'homme n'imposent aux États l'obligation d'assurer le respect de traités internationaux en autorisant dans l'ordre juridique interne que tout juge puisse contrôler la loi à la lumière de ces traités. La preuve en est d'ailleurs fournie par le statut fort différent qui est celui de la CEDH dans les divers États membres du Conseil de l'Europe (53). De même, la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé cela dans sa jurisprudence relative à l'article 13 de la CEDH. Selon cet article, toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg que cet article 13 n'implique pas que les États soient tenus d'autoriser dans l'ordre juridique interne le contrôle par le juge des lois à la lumière de la CEDH. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la CEDH n'implique aucune obligation d'effet direct dans l'ordre juridique interne. La CEDH ne requiert pas que dans l'ordre juridique national, un juge, moins encore tout juge, soit compétent pour contrôler les lois à la lumière de la CEDH. La Cour a énoncé : « que l'article 13 ne va pas jusqu'à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d'un État contractant comme
contraires en tant que telles à la Convention ou à des
normes juridiques nationales équivalentes » (54). Lorsqu'en Belgique le juge refusera l'application d'une loi après que celle-ci aura été jugée contraire à la CEDH dans un arrêt préjudiciel par la Cour d'arbitrage, il aura donc certainement été satisfait à l'article 13 de la CEDH.
19. Un certain doute peut néanmoins surgir quant à savoir si la centralisation du contrôle est effectivement conforme au droit communautaire européen. Il résulte en effet de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes que tout juge doit être en mesure, le cas échéant après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de Justice, de contrôler une loi à la lumière du droit communautaire et, le cas échéant, de ne pas appliquer celle-ci si elle y est contraire. Toute règle nationale qui exclurait ou entraverait l'application directe du droit européen par tout juge national est contraire au droit communautaire même. Il n'est pas loisible de réserver à la Cour constitutionnelle le contrôle des lois nationales à la lumière du droit communautaire européen, ce qui est apparu de l'arrêt de la Cour de Justice du 9 mars 1978 dans l'affaire Simmenthal (55).
Ce qui précède concerne l'effet direct du droit communautaire européen. La question se pose toutefois de savoir s'il n'en va pas de même dans le cas de la CEDH. En effet, l'on n'ignore pas que la Cour de Justice des Communautés européennes compte la CEDH parmi les principes généraux du droit communautaire dont la Cour, sur la base de l'article 220 du traité instituant la CE, assure le respect « dans l'interprétation et l'application du présent traité » (56). En effet, les traditions constitutionnelles des États membres, ainsi que les traités relatifs aux droits de l'homme, tels que la CEDH, sont réputés appartenir au « droit ». De ce fait, la CEDH devient un facteur que la Cour associe de plus en plus d'ailleurs à l'application et à l'interprétation du droit communautaire. L'obligation pour l'Union de respecter les droits fondamentaux de la CEDH a été expressément confirmée dans les traités de Maastricht et d'Amsterdam. En effet, l'article 6, § 2, du traité sur l'UE (ex-article F) dispose que l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. En outre, sur la base de l'article 46, d), du traité sur l'UE, la Cour de Justice est expressément compétente pour contrôler les actes des institutions à la lumière des droits fondamentaux de la CEDH.
Il appert en outre de la jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés européennes que toute intervention des États membres « dans le cadre du droit communautaire » est sujette aux exigences communautaires en matière de protection des droits fondamentaux. Lorsque les États membres mettent en oeuvre les dispositions du traité de la CE ou exécutent des actes communautaires en transposant des directives dans le droit national, ou lorsqu'une réglementation nationale tombe dans le champ d'application du droit communautaire, il convient d'observer ce droit qui doit être interprété et appliqué dans le respect du « droit » dont fait partie la CEDH (57).
Il est vrai que cet aspect de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes n'a pas été expressément codifié par les Traités de Maastricht et d'Amsterdam (58). Rien n'indique toutefois que la Cour de Justice renoncerait à sa jurisprudence selon laquelle les États membres qui interviennent dans le cadre du droit communautaire sont soumis au droit communautaire, lequel doit être appliqué et interprété dans le respect de la CEDH. La question se pose, dès lors, de savoir si la CEDH doit être réputée faire partie du droit communautaire européen en une mesure telle qu'il est requis, dans son chef, que tout juge national en assure l'effet direct. Une thèse aussi avancée ne se retrouve pas, jusqu'à présent, dans la jurisprudence de la Cour de Justice. À cet effet, le fondement dans le droit conventionnel nous paraît être assez étroit. L'assujettissement (indirect) des États vis-à-vis de la CEDH trouve, dans le droit communautaire, son fondement à l'article 220 du Traité instituant la CE, qui dispose que la Cour de Justice assure « le respect du droit dans l'interprétation et l'application du présent traité ». À notre avis, l'on ne peut faire état d'une source autonome de droit communautaire qui engagerait directement les États en vertu d'une disposition du traité instituant la CE (59).
En outre, cet assujettissement (indirect) au droit CE n'a qu'une portée restreinte : il ne vaut que dans la mesure où les États membres interviennent « dans le cadre du droit communautaire ». C'est pour ces motifs qu'il nous semble que la Cour de Justice à Luxembourg ne considérera sans doute pas sans plus que la CEDH appartient au droit communautaire européen dans une mesure telle que les États membres seraient tenus d'en assurer l'effet direct, en permettant à tout juge de l'ordre juridique national de contrôler des lois à la lumière de cette CEDH. Il faut cependant ajouter que des évolutions dans la jurisprudence ne peuvent, de toute évidence, être exclues et que la jurisprudence de la Cour quant à la primauté du droit communautaire en tant que tel n'était pas davantage fondée sur des dispositions expresses du traité instituant la CE, mais présentait plutôt une « teneur » hautement « axiomatique » (60).
4. Conditions pour l'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage
20. L'instauration par voie de loi spéciale d'un contrôle central à la lumière de la CEDH par la Cour d'arbitrage de lois, décrets et ordonnances se heurte à un nombre d'objections d'ordre constitutionnel, ainsi qu'à des objections du point de vue d'une bonne réglementation et d'une bonne administration de la justice. Pour un choix cohérent d'un contrôle central, il est requis à notre avis que les quatre conditions suivantes soient remplies :
A. le choix doit être fait dans la Constitution;
B. il doit conduire à une adaptation de l'article 142 de la Constitution;
C. il doit porter, non uniquement sur la CEDH, mais sur tous les traités internationaux en matière de droits de l'homme;
D. il doit être assorti d'un assouplissement de l'obligation de poser la question préjudicielle.
A. Le choix doit être fait dans la Constitution
21. Lorsque la Cour de cassation énonça, le 27 mai 1971 (61), qu'il revient à tout juge national de contrôler des lois à la lumière du droit international à effet direct, elle a comblé une lacune dans le droit. La Constitution ne contient aucune disposition expresse relative à la relation entre le droit international et le droit national. Il est assez généralement admis que, dans son arrêt, la Cour de cassation a formulé un principe général du droit, et plus particulièrement un principe de droit constitutionnel. Cette thèse, que nous retrouvons également dans l'avis du Conseil d'État (62), fut déjà confirmée antérieurement par la Cour de cassation elle-même (63).
22. La question se pose de savoir si le législateur spécial est habilité à rendre inopérant ce principe général du droit. La réponse à cette question dépend de la force juridique des principes généraux de droit et la place qu'ils occupent dans la hiérarchie des normes. La doctrine défend souvent la thèse selon laquelle, dans la mesure où il s'agit d'un principe constitutionnel, ce principe prend rang après la Constitution, mais avant la loi spéciale et la loi. Pareils principes ne peuvent donc être rendus inopérants que par la Constitution elle-même. C'est selon nous à bon droit que cette thèse est défendue dans la doctrine, notamment par des auteurs tels qu'Alen (64), Dumon (65), Popelier (66), Suetens (67), Van Orshoven (68), et, last but not least, Vande Lanotte et Goedertier (69).
Bien qu'il ne soit pas possible, dans le cadre du présent avis, d'esquisser en des termes généraux le point doctrinal, qui reste plutôt imprécis jusqu'à présent, relatif aux principes généraux de droit du droit constitutionnel et leur place dans la hiérarchie des normes, il est évident pour nous en tout état de cause que le principe reconnu par la Cour de cassation quant à la compétence de tout juge pour contrôler la loi à la lumière du droit international à effet direct, est un principe très étroitement associé à la mission du juge.
C'est donc à juste titre que le principe reconnu dans l'arrêt du 27 mai 1971 est considéré comme un principe constitutionnel qui ne peut être abrogé purement et simplement par une loi spéciale ou par une loi ordinaire. Pour l'ordre juridique, le principe de l'effet direct ou de l'effet indirect de traités internationaux et le droit de contrôle du juge présentent une importance telle qu'il convient de les régler dans la Constitution. Les différentes initiatives qui ont été prises afin d'inscrire dans la Constitution même l'effet direct de traités en constituent d'ailleurs la confirmation (70). Dès lors que la Cour de cassation a reconnu cet effet direct et ce droit de contrôle du juge comme étant un principe constitutionnel, il revient exclusivement à la constituante elle-même d'abroger ce principe en ce qui concerne la CEDH.
23. L'on peut d'ailleurs s'attendre à ce que la Cour de cassation ne soit pas disposée à renoncer purement et simplement au principe constitutionnel de l'arrêt de cassation du 27 mai 1971. Il ne peut être exclu, dès lors, que la Cour juge par la suite que l'article 4 de la loi spéciale si tant est qu'il serait voté qui enlève aux cours et tribunaux le droit de contrôler eux-mêmes les lois, décrets et ordonnances à la lumière de traités internationaux à effet direct, est contraire au principe constitutionnel général qui prime la loi spéciale dans la hiérarchie des normes.
24. Le législateur spécial ne peut dénier au juge le droit de contrôler lui-même la loi à la lumière de la CEDH. Cela ne veut pas dire qu'une extension de la compétence de la Cour, dans le respect du principe constitutionnel énoncé dans l'arrêt Franco-Suisse Le Ski, soit impossible. L'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage pour contrôler à la lumière de la CEDH, dans le cadre de recours en annulation, des lois, décrets et ordonnances, ne se heurte pas à la doctrine de l'arrêt Franco-Suisse Le Ski. En outre, l'on peut défendre la thèse selon laquelle le juge qui pose une question préjudicielle au sujet de la conformité d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance à un droit fondamental garanti dans un article du titre II de la Constitution, devrait de ce fait avoir également la possibilité de poser la question connexe quant à la conformité au droit fondamental analogique, garanti dans un article de la CEDH. Cette thèse nous paraît justifiée dans la mesure où il s'agit de questions connexes, requérant une réponse connexe. Nous avons démontré ci-dessus (voir nºs 14 et 15) qu'il est souhaitable que la Cour d'arbitrage puisse répondre aux questions connexes en matière de protection de droits fondamentaux.
B. Il serait préférable d'inscrire à l'article 142 de la Constitution l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle à la lumière d'un traité
25. L'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage au droit de contrôler à la lumière de la CEDH devrait, à notre avis, être inscrit à l'article 142 de la Constitution même. En effet, l'article 142 de la Constitution détermine la compétence de la Cour d'arbitrage. Il est vrai que, sur la base de l'article 142, alinéa 2, 3º, le législateur spécial peut étendre la compétence de la Cour à d'autres articles de la Constitution. Toutefois, une extension au contrôle à la lumière de la CEDH n'y est pas comprise. Le Gouvernement déclare certes, dans l'exposé des motifs (71), en réponse à l'avis du Conseil d'État (72), que la Cour d'arbitrage ne contrôlera pas à la lumière de la CEDH; non, elle effectuera ce contrôle à la lumière de l'article 32bis de la Constitution dans lequel la CEDH est inscrite. Cette réponse me paraît être assez surréaliste. Elle me rappelle ce tableau de Magritte, représentant une pipe parfaite et portant le texte : « Ceci n'est pas une pipe. » En Belgique, à l'avenir, la CEDH portera en exergue la mention : « Ceci n'est pas la CEDH, c'est l'article 32bis de la Constitution belge. » L'on pourrait dire évidemment : « Mais Magritte avait raison ». Et dans ce même sens, le gouvernement a lui aussi raison. Mais cela n'en reste pas moins du surréalisme. En effet, même après avoir été constitutionnalisée à l'article 32bis, la CEDH restera toujours, en soi, un traité. L'opération combinée insertion de l'article 32bis dans la Constitution et extension de la compétence de la Cour par une loi spéciale à l'ensemble du titre II, y compris l'article 32bis, peut ne pas être contraire à la lettre de l'article 142 de la Constitution, mais elle n'est pas vraiment « comme il faut », dès lors qu'il a toujours été considéré par le passé, à l'occasion de l'examen des compétences de la Cour d'arbitrage, que la Cour ne contrôlerait pas à la lumière de traités tels que la CEDH, l'effet direct devant valoir pour ces derniers (73).
C. En raison de la cohérence voulue dans le système de contrôle, l'extension de la compétence à tous les traités internationaux en matière de droits de l'homme est requise
26. Étant donné que le souci de la cohérence dans le système de contrôle de lois, décrets et ordonnances à la lumière des droits fondamentaux et des libertés fondamentales peut constituer, à notre avis, un motif justifié pour élargir la compétence de la Cour d'arbitrage, il a forcément peu de sens de rétablir cette compétence exclusivement en ce qui concerne la CEDH. Si, à l'avenir, les cours et tribunaux ainsi que le Conseil d'État peuvent continuer à contrôler les lois, décrets et ordonnances, par exemple à la lumière du pacte DCP, l'incohérence subsistera forcément. En effet, la CEDH et le pacte DCP font double emploi dans une très large mesure (74). Selon l'article 4 proposé du projet, les juridictions judiciaires et administratives devront poser des questions préjudicielles relatives à la conformité de lois, décrets et ordonnances à la CEDH, tandis qu'elles pourront procéder elles-mêmes au contrôle à la lumière du pacte DCP et des autres traités relatifs aux droits de l'homme. Seul un élargissement de la compétence de la Cour à tous les traités en matière de droits de l'homme rétablira la cohérence (75). À notre avis, une extension de la compétence à d'autres traités en matière de droits de l'homme n'est pas possible à l'heure actuelle. Il faut à cet effet une révision de la Constitution, notamment de l'article 142. Le procédé consistant à inscrire également dans la Constitution, à l'article 32bis, les autres traités en matière de droits de l'homme, n'est même pas réalisable, puisque l'actuelle déclaration de révision, à la différence de ce qui se passe pour la CEDH, ne permet rien de tel.
D. Afin de ne pas retarder inutilement la procédure devant les cours et tribunaux et devant la Cour d'arbitrage, un assouplissement de l'obligation de poser des questions préjudicielles s'impose
27. L'abrogation de l'effet direct et l'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage à la CEDH ne conduiront pas, dans notre optique, à réduire la protection juridique, mais à retarder celle-ci. En effet, le juge devra poser des questions préjudicielles, alors qu'à l'heure actuelle il effectue lui-même le contrôle.
28. Afin d'éviter des retards inutiles, tant dans la juridiction des cours et tribunaux que dans celle de la Cour d'arbitrage, l'obligation de poser la question préjudicielle nous paraît devoir être assouplie. À tout le moins il y aurait lieu, à notre avis, de dispenser également la Cour de cassation et le Conseil d'État de l'obligation actuellement en vigueur, obligation stupide dans notre optique, de même poser des questions préjudicielles « lorsque la Cour a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet » (article 26, § 2, alinéa 3, 1º) et « lorsqu'elle estime que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision » (article 26, § 2, alinéa 3, 2º). Mais aussi lorsque la loi, le décret ou l'ordonnance, de l'avis de la Cour de cassation et du Conseil d'État, ne viole manifestement pas le titre II de la Constitution, la théorie dite « de l'acte clair », ils devraient ne pas être tenus de poser la question préjudicielle.
En effet, l'expérience enseigne que si la violation de la CEDH par une loi est souvent invoquée, elle n'est admise que fort rarement par le juge. À notre avis, l'obligation de devoir poser chaque fois une question préjudicielle à ce sujet aurait pour effet de retarder considérablement la procédure.
Ainsi qu'il a déjà été indiqué ci-dessus, en l'absence d'une révision de la Constitution, il ne pourra être prévu que la faculté de poser une question préjudicielle (voir ci-dessus, nº 24).
IV. Les questions préjudicielles dans le projet de loi spéciale
1. La question préjudicielle en tant que moyen du droit interne, devant être épuisé
29. Après l'élargissement de la compétence de la Cour à la CEDH, cette Cour pourra contrôler directement à la lumière de la CEDH. Les voies de droit devant la Cour d'arbitrage peuvent être considérées comme une « voie de recours interne » qui doit être épuisée avant de pouvoir saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une plainte recevable (article 35 CEDH). À notre avis, tel était déjà le cas par le passé, du moins sous la double réserve ci-après (76).
En ce qui concerne le recours en annulation, il conviendra inévitablement de tenir compte des conditions de recevabilité, à savoir, l'intérêt et le délai. Il n'est évidemment pas exclu qu'après la promulgation de la loi, l'on ne justifie encore d'aucun intérêt, et que lorsque l'on devient la victime d'une violation de la CEDH, le délai pour former un recours soit entre temps épuisé. En ce qui concerne la question préjudicielle, il faut se rendre compte que celle-ci ne constitue pas vraiment une voie de recours. En effet, la question est posée, non par une partie, mais par le juge; c'est lui qui en est le maître. Il peut la poser d'office. La partie doit cependant soumettre la violation de la CEDH au juge et peut suggérer de poser la question.
2. Exceptions à l'obligation de poser la question dans des « procédures urgentes » particulières
30. L'article 4, § 3, du projet de loi spéciale tend également à supprimer l'obligation de poser la question préjudicielle dans le cadre du référé administratif devant le Conseil d'État et du référé devant le président d'un tribunal de l'ordre judiciaire (article 584 du Code judiciaire). Le gouvernement justifie cette exception supplémentaire en affirmant qu'il s'agit de « procédures urgentes ou dans le respect de certains délais, quand l'arrêt rendu n'a qu'un caractère provisoire » (77).
31. La question est posée de savoir si cette dispense de l'obligation de poser la question préjudicielle ne devrait pas valoir également dans d'autres procédures d'urgence, comme par exemple les procédures « comme en référé ». De telles procédures se distinguent des procédures en référé en ce que la décision du juge ne revêt aucun caractère « provisoire ». Cette différence nous paraît être pertinente. Dans une procédure en référé, la question préjudicielle pourra encore être posée dans la procédure sur le fond. Dès lors que le juge « comme en référé » tranche également d'emblée le litige sur le fond, il se justifie de maintenir en l'occurrence l'obligation de poser la question préjudicielle, étant entendu que les exceptions à cette obligation, résultant de l'article 26, § 3, de la loi spéciale, restent en vigueur.
32. Dans deux hypothèses, l'obligation de poser la question préjudicielle est maintenue, même dans les procédures en référé, à savoir « s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet ».
33. En formulant la première hypothèse, le gouvernement a tenu compte des observations faites par le Conseil d'État dans son avis (78). Il résulte de la disposition proposée que le juge des référés ne doit poser aucune question préjudicielle s'il n'a pas un doute sérieux quant à la conformité avec la loi ou avec la Constitution (79). Cela signifie en fait que le juge des référés peut refuser de poser une question préjudicielle s'il juge que le moyen n'est pas sérieux (80). Par contre, le juge des référés devra poser une question préjudicielle lorsqu'il a un doute sérieux quant à la constitutionnalité d'une loi, qui procure son fondement légal à la décision attaquée. Dans pareil cas, il ne pourra donc plus refuser de poser la question en considérant qu'une disposition d'un décret doit être réputée « être conforme à la Constitution tant que la Cour d'arbitrage n'a pas statué sur la violation par cette disposition des articles 10, 11 ou 24 de la Constitution coordonnée » (81). Le fait de poser la question préjudicielle n'exclut pas, toutefois, que le Conseil d'État prenne des mesures provisoires et, par exemple en attendant la décision de la Cour d'arbitrage, suspende une décision fondée sur une loi qui fait l'objet de la question préjudicielle. Dans ce cas, le moyen peut d'ailleurs être considéré comme sérieux (82). Dans ce cas, le droit à une protection juridique effective n'est pas compromis. Étant donné que tout cela ne ressort que d'une déclaration faite au Conseil d'État par un délégué du gouvernement (83), il nous paraît indiqué que la jurisprudence actuelle du Conseil d'État au sujet de la faculté de suspension et de mesures provisoires soit confirmée expressément et de manière univoque dans la loi spéciale même, ou à tout le moins par une prise de position non équivoque au cours des travaux préparatoires.
34. Selon l'article 26, § 3, proposé, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, la question préjudicielle devra effectivement être posée dans des procédures en référé si « la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet ». Cette deuxième exception à la dispense de poser la question préjudicielle nous paraît peu sensée. Afin d'éviter que des questions préjudicielles superflues ne soient posées, ce qui aurait pour effet de retarder inutilement tant la procédure devant les juges en référé que la procédure devant la Cour d'arbitrage même, il nous paraît beaucoup plus indiqué que, dans cette hypothèse, le juge des référés judiciaire ou administratif puisse, d'une part, prendre une mesure provisoire, ou suspendre la décision, s'il estime que le moyen est sérieux (84), mais ne soit pas tenu, d'autre part, de poser la question préjudicielle qui a déjà été soumise à la Cour. Dans ce cas, il est beaucoup plus indiqué de permettre au juge d'attendre l'arrêt de la Cour. Il existe dans la jurisprudence du Conseil d'État des exemples de ce procédé. Un bon exemple en est l'arrêt du Conseil d'État nº 35.485, du 31 août 1990 (85). Le Conseil était saisi de demandes en annulation et de suspension d'une décision qui était fondée sur une loi contre laquelle un recours en annulation et une demande de suspension avaient été introduits devant la Cour d'arbitrage. Le Conseil d'État prononça lui-même la suspension de la décision, jugeant qu'il existait un moyen sérieux. Toutefois, le Conseil ne posa pas lui-même de question préjudicielle, mais stipula dans son arrêt de suspension : La suspension cessera de produire ses effets si la Cour d'arbitrage rejette la demande de suspension de la loi. Le Conseil motiva cette décision comme suit : Le principe et l'économie générale de la loi spéciale du 6 janvier 1989 prescrivent, selon la portée qui lui sert de fondement et selon les objectifs qu'elle poursuit, que le Conseil d'État considère comme sérieux un moyen déduit de la violation de l'article 10 de la Constitution par un acte législatif contre lequel un recours en annulation et une demande de suspension ont été introduits devant la Cour d'arbitrage, tant que la Cour n'aura pas rejeté la demande de suspension.
3. Procédure en référé devant la Cour d'arbitrage
35. La suggestion qu'il devrait exister une procédure en référé devant la Cour d'arbitrage nous paraît ne pas présenter la solution aux problèmes qui ont surgi. Il est certes possible et cela existe d'ailleurs déjà de prévoir une procédure sommaire en cas d'irrecevabilité manifeste, d'incompétence manifeste et d'absence de fondement manifeste du recours en annulation ou de la question préjudicielle (86). Toutefois, il ne nous paraît ni possible ni justifié qu'à l'issue d'une procédure sommaire, la Cour d'arbitrage doive en arriver à un jugement sur la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance. À l'heure actuelle, il faut environ un an à la Cour. Même si l'on devait organiser des procédures d'urgence, celles-ci seraient encore d'une durée trop longue pour fournir une réponse qui permettrait au juge des référés d'encore prendre sa décision en temps utile. L'on ne peut faire attendre aussi longtemps le juge des référés.
4. Questions préjudicielles relatives à des lois, décrets ou ordonnances portant assentiment à des traités (87)
A. Problématique
36. Le pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage porte sur des lois, décrets et ordonnances. La Cour peut contrôler à la lumière de la Constitution même des lois, décrets et ordonnances purement formels, sans portée normative propre. De même, des lois portant assentiment à des traités internationaux sont susceptibles de ce contrôle (88). Cela est, en principe, justifié. Il est vrai que le droit international prime le droit national, y compris la Constitution nationale. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut pas respecter la Constitution en concluant des traités ni que, dans l'ordre juridique interne, aucun contrôle ne pourrait être exercé sur ce point par la Cour constitutionnelle.
37. Toutefois, il est indiqué et opportun que le contrôle de constitutionnalité intervienne avant que l'État belge ne se trouve définitivement engagé par la ratification du traité. En effet, si la Cour d'arbitrage devait encore déclarer inconstitutionnelle une loi portant assentiment à un traité, alors que le Roi a déjà ratifié le traité, la responsabilité internationale risque de se trouver compromise.
En effet, dès que le traité est ratifié, l'État ne peut plus, ou à tout le moins ne peut guère (89), se soustraire au traité en argumentant que ce dernier contient des dispositions contraires à la Constitution. La force obligatoire du traité dans l'ordre juridique interne ayant été compromise dès que la Cour d'arbitrage a déclaré la loi d'assentiment contraire à la Constitution, l'État ne pourra plus, dans la majorité des cas, respecter pleinement ses obligations conventionnelles. Bien souvent, en effet, les solutions radicales qui existent encore théoriquement afin de résoudre ce problème la révision de la Constitution et/ou la dénonciation du traité s'avèrent irréalistes dans la pratique. Il est donc certes légitime d'avoir le souci d'éviter que l'on se trouve placé dans pareille situation. Il est dès lors indispensable de permettre un contrôle de la Cour d'arbitrage préalablement à la ratification du traité par le Roi.
38. Le législateur spécial de 1989 était conscient du problème, mais il n'a prévu qu'une solution partielle. Le législateur spécial a voulu qu'il soit clair dès que possible si un recours en annulation était formé contre la loi portant approbation d'un traité. C'est ce qui explique pourquoi l'article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 prévoit un court délai 60 jours au lieu de 6 mois pour former ce recours en annulation. L'intention du législateur spécial était de toute évidence que le Roi attende l'expiration de ce délai ou l'arrêt à rendre par la Cour. Mais cette règle n'est pas parfaite. Cette disposition n'exclut pas que le Roi n'attende pas et ratifie le traité avant l'expiration de ce court délai ou si le recours a été introduit avant que la Cour n'ait statué. L'on pourrait considérer qu'un tel procédé serait contraire à l'esprit de la loi spéciale, mais il n'est aucunement exclu. En outre, le législateur spécial n'a donné aucune solution au problème qui se pose si la Cour d'arbitrage, dans un arrêt sur une question préjudicielle relative à la loi d'assentiment, constate une violation de la Constitution. En effet, de telles questions sont toujours posées après la ratification, souvent des années plus tard. Si la Cour constate à cette occasion une violation de la Constitution, la loi n'est certes pas annulée d'emblée. Il est vrai qu'en principe, la force de chose jugée de l'arrêt reste limitée au juge qui a posé la question préjudicielle (article 28). Ce juge ne peut plus faire application de la loi d'assentiment ni, partant, du traité. En outre, il faut tenir compte également de l'article 26, § 2, alinéa 3, 1º, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 qui dispense les juridictions inférieures de l'obligation de poser la question préjudicielle lorsque la Cour d'arbitrage « a déjà statué sur une question ( ....) ayant le même objet » (90). Il nous semble évident que même cette mise en cause relative de la force juridique du traité est susceptible de compromettre la responsabilité internationale de l'État belge.
B. Le projet ne présente qu'une solution partielle
39. Le projet de loi spéciale vise à offrir une solution pour le problème qui se pose. Toutefois, une fois de plus cette solution s'avère insuffisante. Il est proposé d'ajouter à l'article 26 un § 1er bis qui exclut qu'il soit encore posé des questions préjudicielles au sujet de lois, décrets et ordonnances par lesquels un traité constituant de l'Union européenne ou la CEDH ou un protocole additionnel à cette Convention reçoit l'assentiment. Le gouvernement justifie cette exclusion partielle de questions préjudicielles en invoquant « la sûreté et la stabilité des relations internationales ». En outre, il se réfère au « caractère particulier de ces deux textes le premier jette les bases de l'Union européenne et le second les bases des droits fondamentaux reconnus au niveau européen » et « également en raison du contrôle judiciaire supranational dont ils font l'objet » (91).
40. L'on peut considérer, avec le gouvernement, qu'il existe des motifs particuliers pour exclure en tout état de cause de la procédure de la question préjudicielle les lois portant assentiment à ces traités. En ce qui concerne la CEDH, la question préjudicielle a perdu tout sens, compte tenu de la constitutionnalisation de cette Convention et eu égard à l'article 53 de la CEDH. Pour les traités constituants, il existe une menace de violation du droit européen, à savoir, les obligations conventionnelles en matière d'entrée en vigueur des traités ou des modifications de ceux-ci, sur lesquelles la Cour possède un pouvoir juridictionnel, ce en connexité avec le devoir de loyauté inscrit à l'article 10 du traité CE (92).
41. Et pourtant la solution offerte par le gouvernement n'est qu'une demi-solution. En premier lieu, les recours en annulation contre des lois portant assentiment à des traités constituants restent possibles, et il n'est toujours pas exclu que le Roi ratifie le traité avant l'expiration du délai de soixante jours prévu pour introduire le recours en annulation, ou avant que la Cour d'arbitrage n'ait statué sur un recours introduit. En outre, le motif invoqué par le gouvernement en faveur du nouveau § 1er bis de l'article 26 « la sécurité juridique et la stabilité des relations internationales » vaut non seulement pour les traités constituants et pour la CEDH, mais pour tous les traités internationaux. Que l'on s'imagine ce qui se serait passé, par exemple, si la Cour d'arbitrage, dans l'arrêt dit de Lanaken (93), avait jugé, après question préjudicielle, que le traité entre la Belgique et les Pays-Bas, visant à éviter la double imposition, comporte bel et bien une violation des articles 10 et 11 de la Constitution. De toute évidence, cela compromettrait considérablement « la sûreté et la stabilité des relations internationales » entre la Belgique et les Pays-Bas.
Une solution plus large est indiquée
42. Afin que le problème puisse être entièrement résolu, deux choses doivent être faites. En premier lieu, il conviendra plus tard car ce n'est pas possible à l'heure actuelle, l'article 167 de la Constitution n'étant pas susceptible de révision de disposer que le Roi ne peut ratifier un traité qu'après expiration du délai pour former un recours en annulation devant la Cour d'arbitrage ou quand la Cour aura statué sur ce recours. Il conviendrait évidemment d'ajouter que le traité ne peut être ratifié, si la Cour l'a jugé contraire à la Constitution, qu'après révision de la Constitution (94). Tout ceci devrait être inscrit à l'article 167 de la Constitution, qui n'est cependant pas susceptible de révision à l'heure actuelle. En outre, ainsi que le Conseil d'État le suggère à bon droit (95), il y aurait lieu de prévoir qu'il ne peut être posé de questions préjudicielles au sujet de lois, décrets ou ordonnances portant assentiment à un traité.
43. Le problème du contrôle à la lumière de la Constitution de lois, décrets et ordonnances portant assentiment à un traité peut encore être résolu d'une autre manière. Dans la doctrine, plusieurs suggestions ont été faites qui s'analysent en un renforcement du contrôle préventif (96). L'on pourrait rendre contraignant l'avis sur le projet de loi portant assentiment au traité international. Après un avis négatif, les Chambres ne pourraient pas approuver cette loi, sauf après révision de la Constitution. De même, le Roi ne pourrait pas ratifier le traité. Le cas échéant, l'on pourrait inscrire une disposition semblable à celle qui figure dans la Constitution néerlandaise. L'article 91, alinéa 3, de la Constitution néerlandaise permet en effet de déroger à la Constitution, pour autant qu'une majorité des deux tiers le décide (97). Ces propositions sont évidemment tout à fait radicales. Elles ne se situent pas dans la tradition des avis non contraignants que nous connaissons depuis 1946. Elles impliquent en outre que, lorsque le contrôle préventif est contraignant, le contrôle curatif devient superflu. Il a dès lors été proposé de faire émettre l'avis contraignant, non par le Conseil d'État, mais par la Cour d'arbitrage.
Quoi qu'il en soit, la réalisation de ces propositions requiert la révision d'articles de la Constitution qui ne sont pas susceptibles de révision à l'heure actuelle (article 167, éventuellement article 142, article 160).
5. Les effets d'arrêts rendus sur des questions préjudicielles
44. La question a été posée de savoir s'il ne serait pas indiqué d'accorder à la Cour d'arbitrage la compétence de régler « dans le temps » les effets d'arrêts préjudiciels, par analogie avec l'actuel article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 en ce qui concerne les effets des arrêts rendus sur des recours en annulation. Ainsi que l'auteur de la question l'indique lui-même, les effets des arrêts rendus sur des questions préjudicielles sont plutôt limités. L'arrêt a une autorité relative de chose jugée pour le juge qui a posé la question, dans l'affaire qui a donné lieu à la question (98). D'autres juges, sauf les plus hautes juridictions, peuvent en outre refuser de poser la question lorsque la Cour a déjà statué sur une question ayant le même objet. Ils doivent cependant se conformer à l'arrêt. Enfin, un nouveau délai pour former le recours en annulation est ouvert (99). Compte tenu de ces effets limités dans le temps, il ne nous paraît ni nécessaire, ni souhaitable d'accorder à la Cour la compétence de limiter les effets de l'arrêt rendu sur une question préjudicielle.
V. Procédure et fonctionnement de la Cour d'arbitrage
1. Consultation du dossier et du rapport
45. L'article 7 du projet dispose que les parties peuvent consulter le dossier et le rapport des rapporteurs au greffe. Le pluriel « rapporteurs » porte sans doute, d'une part, sur le rapport du premier rapporteur c'est-à-dire celui qui appartient au groupe dont la langue est celle de l'instruction et, le cas échéant, sur un rapport complémentaire de l'autre rapporteur. C'est à bon droit que l'exposé des motifs énonce que les parties peuvent, le cas échéant, prendre connaissance également du rapport (100). L'expression « le cas échéant » porte sur le fait qu'il n'y a pas toujours un rapport complémentaire. Le rapporteur qui appartient à l'autre groupe linguistique peut, le cas échéant à savoir, s'il le juge opportun émettre un rapport complémentaire (article 106, alinéa 2). Afin d'éviter des malentendus, il serait indiqué, à l'article 7, de ne pas utiliser le pluriel, car selon l'article 106 il n'est pas exclu qu'il n'y ait qu'un seul rapport. L'article 7 pourrait être rédigé comme suit : « Pendant ce délai, ils peuvent consulter au greffe le dossier, le rapport et, le cas échéant, le rapport complémentaire, des rapporteurs. »
2. Référendaires
46. L'article 6 du projet de loi spéciale porte le nombre des référendaires de 14 à 24. L'exposé des motifs précise : « Cette augmentation permet d'adjoindre deux référendaires à chaque juge. » Une question est formulée comme suit : Ne revient-il pas à la Cour d'arbitrage seule de décider, en fonction du volume et de la nature du travail, comment les référendaires seront répartis entre les juges ? Je pense que la réponse à cette question ne peut être qu'affirmative. Toutefois, le texte de l'article 6 du projet ne l'exclut pas et l'exposé des motifs aussi ne fait état que d'une possibilité (101), ce qui n'implique aucune obligation et signifie dès lors que la Cour elle-même dispose d'une autonomie complète en matière de répartition des tâches entre les référendaires.
VI. Droit transitoire
47. La question a été posée de savoir s'il n'y aurait pas lieu de prendre des mesures transitoires. De telles mesures me paraissent indispensables. À cet égard, il convient de se référer à l'article 3 du Code judiciaire qui dispose : « Les lois d'organisation judiciaire, de compétence et de procédure sont applicables aux procès en cours sans dessaisissement cependant de la juridiction qui, à son degré, en avait été valablement saisie et sauf les exceptions prévues par la loi » (102). Selon la Cour d'arbitrage (103) et le Conseil d'État (104), il s'agit en l'occurrence d'un principe général du droit qui, en d'autres termes, est également applicable aux règles nouvelles en matière de compétence et de procédure devant la Cour d'arbitrage. La nouvelle loi sera immédiatement applicable, en principe 10 jours après la publication au Moniteur belge. Après avoir parcouru les articles, il me semble qu'il ne se pose aucun problème en matière de droit transitoire.
4.4. M. Dirk Vanheule, chargé de cours à l'Université d'Anvers (UFSIA/UA)
On trouvera ci-après l'avis écrit que le professeur Vanheule a présenté au cours de l'audition.
A. La proposition de révision du titre II de la Constitution (doc. Sénat nº 2-575/1)
1. La conformité à la déclaration de révision de la Constitution
La proposition susvisée du gouvernement de révision du titre II de la Constitution est formulée comme suit :
Au titre II de la Constitution, il est inséré un article 32bis, rédigé comme suit :
« Art. 32bis. Chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge. »
À l'occasion de la déclaration de révision de la Constitution, le préconstituant a indiqué, en 1999, qu'il y a lieu à révision du titre II de la Constitution, « en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Le préconstituant entendait mettre ainsi le titre II en concordance avec la CEDH.
Bien que les intentions du préconstituant n'engagent pas le constituant, ce dernier est néanmoins tenu d'agir dans les limites des possibilités de révision de la Constitution, telles que celles-ci ont été exprimées dans la déclaration du préconstituant. Dans le cas d'insertions dans ou d'ajouts à la Constitution, le constituant doit s'en tenir à l'objet de l'ajout proposé par le préconstituant : le constituant est tenu de rester dans les limites des compétences c'est-à-dire de la compétence « ratione materiae » indiquées par le préconstituant. Toute nouvelle matière inscrite dans la Constitution doit être désignée expressément, ou du moins d'une manière suffisamment claire, dans la déclaration de révision. Le constituant a déterminé avec précision la procédure de révision, à l'article 195. La révision d'une disposition qui n'est pas « désignée » dans la déclaration du pouvoir législatif n'est pas autorisée. Il s'agit là d'un principe fondamental de notre droit constitutionnel (105).
Cela signifie concrètement que, s'agissant de l'insertion d'un article nouveau, le constituant est limité par le sujet désigné dans la déclaration de révision et qu'il ne peut pas délibérer sur un autre sujet. En outre, en insérant un article nouveau, le constituant ne peut pas modifier explicitement ou implicitement le sens ou la portée de dispositions qui n'ont pas été déclarées susceptibles de révision (106).
La « constitutionnalisation » par l'article 32bis de la Constitution des droits et libertés garantis par la CEDH semble ne pas être contraire aux intentions du préconstituant. Le simple fait que la disposition proposée de la Constitution procède par référence aux droits et libertés inscrits dans la CEDH ne diminue en rien le fait que son objet réel est effectivement la protection matérielle de droits et libertés.
Il convient cependant de souligner la différence de teneur et de portée qui existe entre certaines dispositions de la CEDH et les dispositions de la Constitution qui ont trait au même type de droits. Les articles 19 (liberté des cultes, liberté d'expression), 25 (liberté de presse) et 29 (inviolabilité du secret des lettres) garantissent ces libertés et droits en des termes plus absolus que les dispositions protectrices comparables de la CEDH. En effet, il est caractéristique pour la CEDH qu'en ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), de la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9), de la liberté d'expression (article 10) et de la liberté de réunion et d'association (article 11), la Convention formule également chaque fois, outre la reconnaissance du droit, les possibilités d'ingérence dans ou de restriction de ces droits. Ces restrictions doivent être celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (107).
L'intention du constituant ne peut pas être de restreindre la protection éventuellement plus large des droits et libertés par les dispositions existantes de la Constitution en incorporant la protection moins étendue, prévue par la CEDH. En effet, cela s'analyserait en une modification implicite d'articles de la Constitution que la préconstituante n'a pas déclarés susceptibles de révision.
En outre, il convient de tenir compte de l'article 53 de la CEDH qui est formulé comme suit : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. » Si la préconstituante a créé la faculté d'ajouter ces droits et libertés à la Constitution, il convient, en déterminant la portée de ces droits et libertés, de tenir compte de l'article 53 de la CEDH. Cela signifie, dès lors, que l'extension de la protection de droits et libertés par la Constitution aux droits et libertés de la CEDH doit être comprise comme constituant la garantie que chacun jouit des droits et libertés prévus par la CEDH et par les protocoles additionnels à cette Convention, ratifiés par l'État belge, sans que ces dispositions puissent être interprétées comme imposant des restrictions aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales qui sont garantis par les autres dispositions du titre II de la Constitution.
Il est vrai que la coexistence dans un même texte de droits et libertés formulés et limités différemment peut fournir matière à discussion dans la pratique du droit. En effet, l'on constate dans la jurisprudence actuelle de la Cour d'arbitrage que pour l'interprétation de droits et libertés, garantis tant par la Constitution que par le droit international, la Cour se fonde sur les motifs de restriction du droit international afin de situer l'étendue de droits et libertés inscrits dans la Constitution (108).
Bien qu'une constitutionnalisation généralisée des droits et libertés inscrits dans la CEDH ne soit pas contraire aux intentions du préconstituant, la constituante doit bien se rendre compte que, dans la pratique, une interprétation plus étroite des droits et libertés garantis par la Constitution ne peut être exclue, et à tout le moins que des discussions peuvent surgir à ce sujet. Du point de vue politique, la question peut être posée s'il ne serait pas plus indiqué de procéder à un débat sur le fond en ce qui concerne les droits et libertés et d'adapter la Constitution en fonction de ce débat. De cette manière, il devient également possible d'adapter la Constitution en fonction d'autres droits et libertés garantis par le droit international, mais ne figurant pas dans la CEDH. Il va de soi que, faute de déclaration de révision portant sur toutes les dispositions du titre II de la Constitution, le constituant actuel ne peut procéder lui-même à la révision et à l'actualisation des droits et libertés inscrits dans la Constitution dans un sens plus large.
2. Signification de la notion « chacun »
Eu égard à l'article 191 de la Constitution qui règle la protection accordée aux étrangers par la Constitution, le terme « chacun », figurant au titre II de la Constitution, doit être interprété de manière restrictive et il ne peut avoir la même portée que dans la CEDH.
L'incorporation des droits et libertés de la CEDH au titre II de la Constitution porte sur la teneur de ces droits et libertés et non nécessairement sur le titulaire de ces droits. Dans le cas contraire, l'élargissement du titre II menace de rendre caduc l'article 191 de la Constitution qui n'a pas été déclaré susceptible de révision.
Toutefois, cela ne signifie pas que les non-Belges devraient être privés de la protection du nouvel article 32bis. L'article 191 de la Constitution étend la protection aux intéressés. L'article 191 de la Constitution, combiné avec les articles 10 et 11, interdit en outre toute discrimination, tant entre non-Belges qu'entre non-Belges, d'une part, et Belges, d'autre part.
B. L'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage et ses effets pour la relation entre la Cour et les cours et tribunaux ordinaires
1. Observation préliminaire
Le débat portant sur l'élargissement des compétences de la Cour d'arbitrage peut être abordé sous deux angles. Une approche partant de la teneur met l'accent sur l'adaptation de la législation à la pratique actuelle en matière de contrôle de légalité. Dans la majorité des cas, il n'est pas demandé à la Cour d'arbitrage de statuer uniquement sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution; il s'agit généralement de la violation de ces dispositions, combinées avec d'autres dispositions de la Constitution et avec des dispositions du droit international. La lecture de la motivation des arrêts de la Cour nous apprend que celle-ci examine essentiellement si ces dernières dispositions ont été violées pour décider ensuite, dans l'affirmative, que le principe d'égalité a, lui aussi, été violé. Le contrôle de proportionnalité dans le cadre du principe d'égalité se déroule donc parallèlement avec le contrôle de la proportionnalité lors de l'évaluation du respect de ces droits et libertés matériels, tels qu'on les retrouve également dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Du fait de cette évolution, les principes d'égalité et de non-discrimination ont obtenu dans la jurisprudence constitutionnelle belge un champ d'application beaucoup plus vaste que, par exemple, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ou d'autres cours constitutionnelles.
Il s'indique de remplacer par un contrôle direct à la lumière des dispositions dont un requérant devant la Cour d'arbitrage invoque la violation, cette forme indirecte de contrôle à la lumière d'autres droits et libertés, par le truchement des articles 10 et 11 de la Constitution, qui est généralement utilisée et admise. Cela se fera à l'avantage du débat essentiel, portant sur la teneur, devant la Cour, ainsi que du débat dans la jurisprudence et la doctrine quant à la portée des droits et libertés. L'élargissement de la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage à toutes les dispositions du titre II mérite certainement, de ce point de vue, d'être applaudi.
Un avertissement s'impose cependant à cet égard. L'extension de ce pouvoir de contrôle ne peut être utilisée dans un raisonnement a contrario, qui reviendrait à imposer des limites à l'application élargie des articles 10 et 11 de la Constitution. L'on ne peut inférer, dès lors, de l'élargissement l'impossibilité du contrôle à la lumière des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec d'autres dispositions de celle-ci, qui ne tombent pas sous la compétence directe de contrôle, ou en combinaison avec d'autres droits et libertés, protégés par le droit international, qui n'ont pas été incorporés par l'article 32bis proposé de la Constitution. Pareille interprétation porterait atteinte à la protection existant dans la pratique du droit constitutionnel, ce qui s'avère ne pas être l'intention du gouvernement dans le projet de loi spéciale (109).
Une seconde approche se place au point de vue de la procédure : selon quelle procédure les droits et libertés du citoyen bénéficieront-ils de la protection la meilleure et la plus efficace contre des restrictions illicites apportées par le législateur ? Cette approche est principalement celle des questions portant sur la coexistence, d'une part, du contrôle constitutionnel par la Cour d'arbitrage, par le truchement du recours en annulation et de la question préjudicielle, et, d'autre part, du contrôle direct par le pouvoir judiciaire à la lumière des droits et libertés inscrits dans le droit international, qui sont à effet direct dans l'ordre judiciaire belge. L'extension de la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage par les modifications projetées à la Constitution et à la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage appelle une fois de plus la question relative au juge le plus adéquat pour contrôler le législateur. L'exercice parallèle des compétences, tel qu'il existe à l'heure actuelle, du juge constitutionnel (par le truchement des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les dispositions à effet direct de traités internationaux) et du juge ordinaire (par le contrôle direct à la lumière de ces mêmes dispositions conventionnelles) doit-il céder le pas à une compétence exclusive de la Cour d'arbitrage, dans la mesure où il s'agit des dispositions conventionnelles internationales qui relèveront du pouvoir de contrôle de la Cour, par le truchement de l'article 32bis de la Constitution ? Le choix de l'un des deux systèmes appartient à la constituante et au législateur spécial. Ils peuvent décider qu'une forme fortement centralisée du contrôle de constitutionnalité, excluant le cas échéant toute autre forme de contrôle de la législation à la lumière de normes juridiques supérieures, appartient à une seule juridiction centralisée qui sera une cour constitutionnelle à part entière. De cette manière, il sera possible d'éviter des jugements contradictoires.
Il ne peut être inféré du projet de loi spéciale à l'examen qu'un degré aussi élevé de centralisation soit effectivement voulu. Il est douteux que, partant d'une approche fondée sur la procédure, le projet de loi spéciale puisse effectivement conduire à un résultat consistant qui contribue à une meilleure protection juridique du titulaire des droits et libertés qui doit constituer, en définitive, la finalité de tout système de contrôle de la constitutionnalité en matière de droits et libertés. Ce doute est inspiré par plusieurs motifs :
a) le principe du contrôle direct des lois à la lumière des dispositions conventionnelles internationales à effet direct n'est pas expressément abrogé, de sorte que les juges ordinaires peuvent toujours contrôler à la lumière de ces dispositions si la législation est contraire aux droits et libertés inscrits tant dans la Constitution (y compris par le truchement de l'article 32bis de la Constitution les droits et libertés inscrits dans la CEDH) que dans des traités internationaux à effet direct (notamment la CEDH et le pacte DCP). Un exercice parallèle des compétences reste dès lors possible, les juges ordinaires ayant le choix, soit de statuer eux-mêmes, de manière sporadique, sur des violations de droits inscrits dans la CEDH, soit d'adresser une question préjudicielle à ce propos à la Cour d'arbitrage lorsque cette violation est formulée comme une violation de l'article 32bis de la Constitution; en tout état de cause, ils peuvent continuer à contrôler des lois à la lumière d'autres traités internationaux à effet direct;
b) en tant que des violations des droits inscrits dans la CEDH doivent donner lieu à une question préjudicielle posée à la Cour d'arbitrage, dès lors qu'elles impliquent également la violation de l'article 32bis de la Constitution, rien n'empêche les juges ordinaires de contrôler la disposition législative contestée à la lumière d'autres dispositions conventionnelles internationales, garantissant les mêmes droits;
c) dans la mesure où le pouvoir judiciaire soumettrait à la Cour d'arbitrage, par la voie d'une question préjudicielle, toutes les violations par une loi de droits et libertés à la lumière de l'article 32bis de la Constitution, la protection juridique existante n'en serait que retardée;
d) même si la compétence de principe pour apprécier la constitutionnalité d'une législation, élargie par le contrôle à la lumière des droits et libertés inscrits dans la CEDH, était réservée à la Cour d'arbitrage, cela ne signifie pas que plus aucune tâche ne reviendrait aux autres juridictions en matière de contrôle concret de l'application de la législation à la lumière de la CEDH. Il ressort en effet de la jurisprudence existante de la Cour d'arbitrage que la Cour elle-même aboutit à une certaine répartition des tâches dans le contrôle lorsqu'il s'agit de contrôler la législation à la lumière des droits et libertés matériels, ce par le truchement, il est vrai, des articles 10 et 11 de la Constitution. Le contrôle abstrait de la loi, tel qu'elle est formulée, se fait par la Cour. Toutefois, lorsque la violation des droits et libertés résiderait dans une application concrète de la loi, que ce soit par les pouvoirs publics ou par le pouvoir judiciaire, le contrôle est laissé à l'appréciation du juge ordinaire. Une telle répartition des tâches est logique dans le système belge de protection juridique, où le juge ordinaire contrôle la conformité aux lois et aux normes juridiques supérieures des actes administratifs et des décisions judiciaires (inférieures). La question préjudicielle obligatoire, chaque fois que la violation d'un droit ou d'une liberté de la CEDH est évoquée, peut conduire à une protection juridique plus complexe, la Cour d'arbitrage devant, dans ce cas, statuer d'abord sur la violation in abstracto par les dispositions législatives dont la constitutionnalité est mise en doute. Lorsque la Cour constate qu'il n'y a pas violation de la Constitution, et moyennant définition des conditions de l'application concrète, il incombera ensuite au juge du fond d'encore contrôler cette application concrète à la lumière de la CEDH.
Un exemple de ce qui vient d'être exposé se retrouve dans l'arrêt sur le révisionnisme (110). La partie requérante, un éditeur, demandait l'annulation de la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale. Selon elle, cette loi violait le principe d'égalité, en ce que les critères mis en oeuvre par le législateur pour déterminer le champ d'application de la répression ne seraient pas objectifs et seraient trop vastes. La loi limiterait ainsi de manière excessive le droit à la liberté d'expression et atteindrait abusivement et de manière disproportionnée des catégories déterminées de personnes. En outre, la limitation au génocide commis au cours de la seconde guerre mondiale, sans viser les autres génocides, serait contraire au principe d'égalité. Elle invoquait comme moyen la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 19 de la Constitution, 10 de la CEDH et 19 du Pacte DCP. La Cour d'arbitrage décréta que le droit à la liberté d'expression n'est pas absolu, mais que cette liberté peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la protection des objectifs explicitement mentionnés dans les dispositions conventionnelles précitées (111).
Dans cette mise en balance, la Cour a fait ressortir que celle-ci comporte une mise en balance en partie in abstracto, en partie in concreto. L'un des points les plus critiques de la loi est la répression outre de manifestations publiques d'opinions témoignant ouvertement et sans équivoque d'antisémitisme ou souscrivant à l'idéologie nazie de la recherche dite pseudo-scientifique « qui ne vise nullement à contribuer à un débat historique objectif et scientifiquement fondé mais cherche à nier ou à justifier les crimes racistes commis par le régime national-socialiste allemand, afin de pouvoir justifier ainsi la diffusion d'un message politique, à savoir la réhabilitation ou la légitimation de ce régime » (112). La restriction imposée à la liberté d'expression n'est possible que moyennant de strictes conditions : seules les formes d'expression d'opinions menaçantes pour une société démocratique ou gravement injurieuses pour un groupe déterminé de la population sont réprimées; la recherche scientifique en général et la recherche historique objective et scientifique en particulier ne tombent nullement sous l'application de la loi, ainsi qu'il ressort également des travaux préparatoires (113). En répondant à la question de savoir si cette loi est nécessaire dans une société démocratique et s'il est satisfait à la proportionnalité entre la mesure et l'objectif poursuivi, la Cour tient compte du fait que la loi ne contient aucune mesure préventive en vue d'empêcher la diffusion des opinions dont il s'agit. La loi se limite à l'intervention répressive contre les opinions exprimées dans les lieux publics ou dans les autres circonstances limitativement énoncées par cet article (114). Ce n'est pas l'opinion en tant que telle qui est réprimée, mais ses effets nuisibles pour d'autres personnes et pour la société démocratique en tant que telle. La législation belge rejoint des initiatives législatives similaires dans d'autres pays européens et prévient que la Belgique ne devienne la plaque tournante du négationnisme. En outre, le législateur peut se sentir conforté par l'article 17 de la CEDH qui dispose qu'aucune des dispositions de la Convention ne peut être interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention : « Cette disposition vise ainsi à exclure de la sphère de protection de la CEDH les abus de droits fondamentaux commis par des régimes antidémocratiques, des groupements ou des individus. Concernant en particulier l'affaire à l'examen, la liberté d'expression, telle qu'elle est garantie par l'article 10 de la CEDH, ne peut être invoquée en contradiction avec l'article 17 » (115). La Cour précise à cet égard que l'application de la loi requiert chaque fois une appréciation in concreto par le juge pénal « qui devra déterminer, dans chaque cas, où cessent le caractère scientifique de la recherche et le souci d'objectivité dans l'information. Un tel pouvoir est nécessaire en raison de la multiplicité et de la subtilité des formes que peut emprunter l'expression des thèses négationnistes » (116).
Une collaboration entre la Cour d'arbitrage et le juge ordinaire est donc requise afin de pouvoir déterminer s'il y a eu ou non violation in concreto de la CEDH. La Cour d'arbitrage trace les contours du contrôle, et c'est dans ce cadre que le juge devra intervenir in concreto. Une violation éventuelle de la CEDH sera plutôt la résultante d'une imprudence du juge dans l'application concrète que du législateur lui-même.
2. L'obligation de poser une question préjudicielle
Depuis l'arrêt Fromagerie Franco-Suisse Le Ski du 27 mai 1971 (117), la Cour de cassation admet en Belgique la priorité des dispositions à effet direct du droit conventionnel international, ce sur la base de la nature même du droit conventionnel international. La Cour y a également attaché l'obligation pour les juges nationaux, en cas de contradiction entre une loi nationale et une telle norme du droit international, d'accorder la priorité à cette dernière :
« (...) lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir; que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel (118). »
Dans le cas spécifique Le Ski, une norme législative belge était contraire à une disposition du traité instituant la CEE. La Cour observa que cette disposition du traité « produit des effets immédiats et engendre dans le chef des justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder », de sorte que « le juge avait le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui sont contraires à cette disposition du Traité » (119).
Avant d'examiner plus avant l'obligation de poser une question préjudicielle, il convient d'observer que la question de la primauté d'une norme juridique est indépendante, dans la hiérarchie des normes juridiques, de la question de savoir qui doit déterminer si une disposition législative est conforme à cette norme supérieure et peut, le cas échéant, ne pas appliquer la loi. Dans la hiérarchique pyramidale classique des normes, qui caractérise également l'ordre juridique belge, la Constitution prime la loi ordinaire. Il résulte de la nature même de la Constitution que celle-ci prime et doit primer les lois et les autres normes occupant un rang inférieur dans la hiérarchie. Toutefois, en Belgique, l'on n'a pas, par le passé, assorti ce classement logique de la conséquence qu'il appartient au juge, en cas de contradiction, d'accorder la priorité à la Constitution. Il y eut même une réaction en sens inverse, venant du Parlement (120), à la suggestion faite en ce sens par le procureur général de l'époque, Ganshof van der Meersch, dans sa conclusion à propos de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1974, que le principe de la séparation des pouvoirs ne s'oppose pas, à défaut d'une disposition de la Constitution, à ce que le pouvoir de contrôler sous certaines conditions la constitutionnalité des lois soit accordé aux cours et tribunaux (121).
À titre de comparaison, il peut être signalé qu'aux États-Unis, la Cour de justice suprême américaine décida dès 1803, dans l'arrêt bien connu Marbury v. Madison, notamment sur la base de cette hiérarchie des normes entre la Constitution et les lois, que le juge a pour mission et pour tâche de dire le droit, de sorte qu'en application de la loi et de la Constitution qui occupe une place supérieure dans la hiérarchie, il est tenu de considérer cette dernière comme le droit applicable (122).
La hiérarchie des normes ne permettant pas, en soi, d'inférer immédiatement une obligation pour le juge de contrôler les lois à la lumière de normes juridiques supérieures et de ne pas les appliquer si elles y sont contraires, il convient plutôt d'examiner la question relative à la répartition de la juridiction pour statuer sur pareils conflits entre normes, en partant de la perspective de la protection juridique : comment le législateur (la constituante) entend-il (elle) organiser effectivement cette protection juridique ?
À cet égard, la constatation devient inévitable qu'à l'heure actuelle, il existe en Belgique un système de contrôle parallèle : d'une part, il y a le système de contrôle de la constitutionnalité par la Cour d'arbitrage, inscrit dans la Constitution; d'autre part, l'on a le système de contrôle à la lumière de traités par le pouvoir judiciaire, qui s'est développé de manière prétoriale. À ce sujet, il convient d'observer également que la Cour d'arbitrage a graduellement repris ce contrôle à la lumière du droit conventionnel dans sa pratique du contrôle de constitutionnalité, en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Inversement, l'on constate que le pouvoir judiciaire laisse plutôt à la Cour d'arbitrage, par la voie de la question préjudicielle, les violations du principe d'égalité tel que celui-ci est garanti dans le droit conventionnel international.
Le projet ne limite pas, en tant que tel, le principe de la compétence de contrôle à la lumière du droit international. L'obligation de poser une question préjudicielle ne vaut que dans la mesure où le justiciable invoque une violation de la Constitution, à laquelle appartiendront désormais également les droits et libertés inscrits dans la CEDH et qui, outre leur statut constitutionnel nouvellement acquis, conserveront également leur statut de droit conventionnel (123). Dans la mesure où le principe de la primauté du droit international reste conservée et où le pouvoir judiciaire continuera également à y attacher la compétence pour contrôler lui-même la conformité du droit interne au droit international, la pratique établie depuis l'arrêt Le Ski restera maintenue. Selon qu'une partie formule une plainte relative à une disposition législative comme impliquant la violation du droit interne (les droits et libertés inscrits dans la Constitution) ou comme une violation du droit international, un mécanisme de protection différent pourra jouer, d'autant que les parties pourront faire valoir, outre la violation de la CEDH, la violation de dispositions analogiques du Pacte DCP dont le contrôle par le pouvoir judiciaire semble ne pas être contesté (124).
L'attitude adoptée par le pouvoir judiciaire lui-même décidera en grande partie si et comment ce règlement parallèle de litiges prendra ultérieurement forme. Plusieurs options sont à la fois concevables et défendables sur le plan juridique :
a) le pouvoir judiciaire peut décider que, faute d'une disposition contraire explicite de la Constitution, le principe constitutionnel de la primauté de la CEDH continue purement et simplement à valoir, ce qui signifie qu'il continue lui-même à pouvoir contrôler chaque fois directement les lois à la lumière de la CEDH dans la mesure où une partie invoque la violation d'une disposition conventionnelle en tant que telle, sans se référer à l'article 32bis proposé;
b) le pouvoir judiciaire peut abandonner le principe de la primauté de la CEDH en faveur de la protection spécifique par la voie de la question préjudicielle posée à la Cour d'arbitrage, les parties requérantes ayant néanmoins la faculté d'invoquer les dispositions analogiques, par exemple du pacte DCP dont la primauté continue à valoir purement et simplement et dont le pouvoir judiciaire peut faire application;
c) dans l'intérêt de la sécurité juridique et de l'unité du droit, le pouvoir judiciaire peut considérer également toute violation d'un droit ou d'une liberté garantis sur le plan international par la CEDH comme constituant une violation du droit similaire garanti par la Constitution, dont le contrôle ne peut être effectué par le pouvoir judiciaire, que ce soit de manière explicite (directement à la lumière de la CEDH), ou de manière implicite (par le truchement de la disposition équivalente, inscrite par exemple dans le pacte DCP). Cela reviendrait à abandonner en majeure partie la primauté du droit international dans des secteurs importants de la protection des droits de l'homme.
Compte tenu de la pratique de la protection de droits et libertés dans le droit international, constante depuis plus de trente ans, il paraît peu vraisemblable que le pouvoir judiciaire renonce à ce pouvoir de contrôle, d'autant que cette compétence est actuellement reconnue comme un principe constitutionnel (non écrit). Il en résultera indubitablement des discussions, l'uniformité voulue s'en trouvant dès lors menacée.
Si le législateur (la constituante) estime qu'il est effectivement utile de réserver à la compétence exclusive de la Cour d'arbitrage le contrôle de normes législatives à la lumière des droits et libertés inscrits dans la CEDH, il est indiqué d'inscrire explicitement cette juridiction dans la Constitution par le truchement de la modification de l'article 142 de la Constitution, après que cette disposition aura été déclarée susceptible de révision (125). Le contrôle des lois à la lumière de la CEDH et, par extension, à la lumière d'autres traités internationaux à effet direct, relèverait dès lors de la compétence de la Cour d'arbitrage. Cette approche qui passe par la définition des compétences de la Cour diffère donc en principe de la technique présentement mise en oeuvre afin d'inscrire (en partie) dans la Constitution les droits et libertés protégés par le droit international.
La simple référence qui est faite dans l'article 32bis, proposé, de la Constitution aux droits et libertés inscrits dans la CEDH et dans les Protocoles additionnels est cependant insuffisante pour conclure que la doctrine Le Ski ne peut plus en aucun cas s'appliquer dans la relation de la loi à la CEDH.
3. L'uniformité voulue
Dans la mesure où des juges soumettraient néanmoins systématiquement à la Cour d'arbitrage, par la voie d'une question préjudicielle, toutes les violations de la CEDH, sans distinguer celles qui sont formulées en tant que violation de la CEDH même ou en tant que violation de l'article 32bis de la Constitution, une certaine uniformité de jurisprudence est réalisable, l'accent étant déplacé de la Cour de cassation vers la Cour d'arbitrage.
Pour la réalisation de cette uniformité, il ne faut pas nécessairement compter uniquement sur la Cour européenne des droits de l'homme. La protection offerte par cette Cour revêt un caractère complémentaire, à savoir, quand la protection dans le droit national fait défaut. Les États qui sont partie à la Convention doivent, en premier lieu, assurer eux-mêmes la protection. Compte tenu de la diversité des procédures de droit interne, une uniformité absolue dans le droit interne ne sera jamais réalisable. Cela tient également à la nature de la CEDH même, qui peut donner lieu tant à un contrôle abstrait de la conformité des lois à la Convention qu'à un contrôle plus concret, c'est-à-dire le contrôle de l'application individuelle dans une affaire par les pouvoirs publics ou par le juge. Il ressort de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage même que la Cour ne conclura pas à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les droits et libertés inscrits dans la CEDH, si cette violation peut résulter uniquement de l'application concrète de la loi, occasion à laquelle la Cour confère une mission de contrôle concrète au pouvoir judiciaire. C'est principalement en appréciant la proportionnalité des restrictions imposées aux droits fondamentaux que la Cour a jugé que cette proportionnalité doit être appréciée in concreto. Ici encore, il est à nouveau question d'une répartition des compétences de contrôle, selon le niveau du litige.
Cela subsistera également dans le système de la modification proposée de la Constitution et de la loi spéciale. L'on n'aboutira pas, par l'instauration des modifications législatives proposées, à une uniformité absolue quant à la teneur dans la jurisprudence relative à l'application de la CEDH. Tant le Conseil d'État que la Cour de cassation resteront compétents pour statuer sur des violations de la CEDH par des autorités administratives et judiciaires. Par contre, l'uniformité dans la protection juridique vis-à-vis du législateur pourrait être réalisée. Tant l'obligation de poser la question préjudicielle dans la mesure où le pouvoir judiciaire ne contrôlerait plus directement la violation alléguée à la lumière de la CEDH que le recours direct en annulation font de la Cour d'arbitrage l'ultime arbitre en cas de violations de droits et libertés inscrits dans la CEDH.
Toutefois, l'on peut mettre en question que cette forme de protection juridique soit meilleure. La question préjudicielle implique que le justiciable se trouve confronté à une procédure de contrôle supplémentaire, qui n'est pas requise à l'heure actuelle dans la mesure où la violation de la CEDH n'est pas invoquée devant le juge ordinaire en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il est hors de doute que la question préjudicielle aura un effet de ralentissement et elle est susceptible de mettre en péril le délai raisonnable pour trancher le litige relatif à un droit civil ou à la question pénale, dans le cadre duquel la question préjudicielle fut posée. En effet, le délai pour traiter la question préjudicielle doit être pris en considération, lui aussi, pour le calcul du délai raisonnable (126).
4. Autres traités internationaux
Le contrôle par le juge ordinaire d'une loi à la lumière d'autres traités internationaux restera possible pour autant que le principe constitutionnel de la primauté du droit international soit maintenu.
Quand il s'agit de dispositions qui protègent des droits et libertés qui sont également protégés par la Constitution, sur la base de l'article 32bis proposé (dénommées ci-après « dispositions conventionnelles analogiques »), il incombera cependant au pouvoir judiciaire de déterminer si le contrôle direct à la lumière de la disposition conventionnelle analogique est encore possible. En l'espèce, le pouvoir judiciaire peut opter pour l'une de deux thèses.
Selon une première thèse, même lorsque les parties n'invoquent pas la violation de la CEDH, combinée avec l'article 32bis de la Constitution, le contrôle d'une loi à la lumière de dispositions conventionnelles analogiques revient à un contrôle occulte ou implicite par le juge d'une disposition législative à la lumière de la Constitution. Pareil contrôle relève de la juridiction exclusive de la Cour d'arbitrage. Cette thèse reviendrait à priver ces dispositions conventionnelles de tout effet direct, dans la mesure où elles garantissent les mêmes droits et libertés que le titre II revu de la Constitution.
Selon une seconde thèse, lorsque les parties invoquent uniquement la violation de la disposition conventionnelle analogique, elles ne demandent pas au juge de statuer sur la conformité de la loi à la Constitution et le principe de la primauté du droit international n'empêche pas le juge de statuer lui-même sur cette violation.
Dans la mesure où l'intention de la constituante et du législateur spécial est de laisser à la Cour d'arbitrage la protection juridique en cas de violation par des lois de droits et libertés inscrits dans ces dispositions conventionnelles analogiques (l'idée de l'uniformité de la protection juridique), il est recommandé d'en faire expressément mention au cours des travaux préparatoires. D'un point de vue constitutionnel, il n'est pas possible, à l'heure actuelle, d'inscrire cette obligation dans la Constitution, compte tenu des possibilités de révision restreintes de celle-ci (127).
Cela n'empêchera pas, néanmoins, que le pouvoir judiciaire, pour autant que la primauté des dispositions conventionnelles analogiques reste intacte, puisse décider, sans poser la question préjudicielle, de contrôler des lois à la lumière de ces dispositions conventionnelles analogiques.
En tout état de cause, il incombera à la Cour d'arbitrage, dans son interprétation des lois et libertés inscrits dans la CEDH, de tenir compte de l'article 53 de cette Convention et de ne pas donner aux droits et libertés qui y sont inscrits des interprétations qui auraient pour effet de restreindre, le cas échéant, une protection juridique individuelle plus étendue, accordée soit par la Constitution, soit par d'autres traités internationaux. Toutefois, le contrôle de la loi à la lumière de ces traités mêmes ne sera possible, soit par le juge ordinaire, soit par la Cour d'arbitrage même, qu'en les combinant avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
En définitive, l'on en arrive ici à la question relative à la signification actuelle du catalogue des droits fondamentaux belges. Il est évident que celle-ci va au delà des seuls droits et libertés inscrits au titre II de la Constitution et à la CEDH et dans les Protocoles additionnels de celle-ci. La question est dès lors de savoir comment ce vaste catalogue doit être protégé. Convient-il, dans l'intérêt de la protection juridique, de confier le contrôle à une juridiction unique (la Cour d'arbitrage) quand il s'agit de la conformité de la législation à des normes supérieures, constitutionnelles et de droit conventionnel, ou faut-il conserver la diversité existante, avec toutes les questions complexes de délimitation qu'elle comporte, ou encore, convient-il de se prononcer en faveur d'une forme intermédiaire encore plus complexe, telle que celle qui, présentement, figure dans les modifications proposées ? À la lumière des développements auxquels l'on peut s'attendre, également au niveau de l'Union européenne, il se recommande peut-être de surseoir à la recherche d'une solution.
5. La position du droit de la CE
Lorsque les États membres agissent dans le cadre du droit communautaire, c'est-à-dire lorsqu'ils mettent en oeuvre des dispositions conventionnelles, mettent à exécution des actes communautaires (comme la transposition de directives dans le droit national) ou encore, lorsqu'une réglementation nationale tombe dans le champ d'application du droit communautaire, ils sont tenus de respecter les droits fondamentaux faisant partie du droit communautaire (128).
La faculté de contrôle à la lumière du droit communautaire, parmi lequel il y a les droits fondamentaux, de normes législatives qui transposent ou mettent en oeuvre le droit CE, résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice telle qu'elle a été consacrée notamment dans l'arrêt Simmenthal (1978) (129) :
« Que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers,en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire » (130).
Toutes mesures législatives, administratives ou judiciaires de droit national, qui limiteraient cette compétence, sont incompatibles avec cette exigence qui est inhérente au caractère propre du droit communautaire. Plus spécifiquement, cela signifie que
« le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel » (131).
L'objectif de la jurisprudence consacrée dans l'arrêt Simmenthal, et par la suite fondée sur cet arrêt, est de renforcer l'« effet utile » du droit communautaire.
Compte tenu de la spécificité de l'ordre juridique européen, qui présente un caractère propre et fait partie de l'ordre constitutionnel national, tout comme il dépasse cet ordre du fait de la priorité accordée au droit communautaire y dérogeant, les juges ordinaires demeurent compétents pour contrôler les dispositions à la lumière du droit communautaire, y compris les droits fondamentaux. Il s'agit en l'espèce de l'application des droits fondamentaux dans un contexte de droit communautaire. Des restrictions imposées aux droits découlant du droit communautaire ne peuvent être contraires aux droits et libertés fondamentaux. Cette possibilité subsistera en vertu de la proposition à l'examen.
C. Importance de l'élargissement des compétences de la Cour d'arbitrage
Étant donné que l'article 172 de la Constitution contient effectivement aussi le principe de légalité, l'extension de la compétence de contrôle doit porter également sur les articles 170, 182 et 184, ainsi que la Cour d'arbitrage l'a d'ailleurs déjà constaté dans sa jurisprudence, par le truchement des articles 10 et 11 de la Constitution.
Observons au passage que la Cour a impliqué dans son contrôle encore d'autres droits non substantiels, notamment les articles 144 et 145 de la Constitution qui ont trait à la répartition des compétences en matière de contentieux portant sur des droits individuels (132). Le choix d'un contrôle direct à la lumière de ces dispositions, plutôt que par un détour par les articles 10 et 11 de la Constitution, peut également aller dans le sens de l'élimination voulue de cet usage impropre des articles 10 et 11 de la Constitution.
D. Effets de l'élargissement des compétences
1. Accroissement du nombre de questions préjudicielles
Dans la mesure où le pouvoir judiciaire décide effectivement que toute violation par le législateur de droits et libertés, inscrits dans la CEDH et constitutionnalisés en vertu de l'article 32bis proposé de la Constitution, ne peut être contrôlée que par la Cour d'arbitrage, par la voie d'une question préjudicielle, cela donnera lieu à un accroissement du nombre de questions préjudicielles et aura pour effet, à la suite de la charge de travail accrue de la Cour d'arbitrage, de ralentir le rythme auquel la protection juridique peut être obtenue.
2. La question préjudicielle comme voie de recours interne à épuiser
Selon l'article 35 de la CEDH, la Cour des droits de l'homme ne peut être saisie d'une plainte qu'après l'épuisement des voies de recours internes.
Dans la mesure où le contrôle direct à la lumière des droits et libertés inscrits dans la CEDH ne serait plus possible, et dans tous les cas où le juge doit soumettre à la Cour d'arbitrage, par voie de question préjudicielle, une violation éventuelle de l'article 32bis, on peut considérer qu'il s'agit là une voie de recours à épuiser.
Toutefois, vu les niveaux de contrôle à la lumière de la CEDH, il convient de relativiser cette constatation également. Lorsque la violation de la CEDH ne résulte pas de la loi comme telle, mais de son application concrète, une question préjudicielle éventuelle ne sera pas nécessaire. Il suffit que le juge ordinaire interprète et applique la disposition législative d'une manière conforme à la convention, sans que le recours à la Cour d'arbitrage puisse être une voie de recours d'une utilité quelconque pour le justiciable.
3. Effets dans le temps
C'est précisément du fait de l'autorité relative de chose jugée des arrêts rendus par la Cour d'arbitrage sur une question préjudicielle, qu'une adaptation des effets dans le temps n'est pas requise. En effet, cette adaptation a essentiellement pour but de tempérer les effets trop radicaux sur le plan social, économique, politique, financier, etc., qui sont ceux d'un arrêt d'annulation erga omes. Cette nécessité n'existe pas dans le cas d'une question préjudicielle qui part d'un conflit ad hoc, tout en laissant subsister la législation pour le surplus.
E. Contrôle d'actes d'assentiment à des traités internationaux
La question relative au contrôle d'actes d'assentiment à la lumière de traités internationaux est inspirée par la préoccupation que la position de la Belgique sur la scène internationale ne se trouve compromise si l'acte d'assentiment devait, le cas échéant, être déclaré inconstitutionnel. Cet objectif est, en soi, légitime afin de restreindre le pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue la proportionnalité entre le but poursuivi et le moyen mis en oeuvre, ce à la lumière des principes invoqués.
C'est à bon droit que la Cour d'arbitrage a souligné qu'un législateur ne peut faire, par la voie d'un acte d'assentiment, ce que la Constitution lui interdit de faire :
« Au demeurant, le constituant, qui interdit que le législateur adopte des normes législatives internes contraires aux normes visées par l'article [142] de la Constitution, ne peut être censé autoriser ce législateur à le faire indirectement par le biais de l'assentiment donné à un traité international.
Par ailleurs, aucune norme du droit international lequel est une création des États , même pas l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, ne donne aux États le pouvoir de faire des traités contraires à leur Constitution » (133).
Une exclusion générale de la protection juridique contre les actes d'assentiment contraires à la Constitution serait disproportionnée à la lumière de ces principes. Des restrictions imposées au pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage sont, certes, autorisées, comme notamment la limitation existante du délai pour attaquer des actes d'assentiment par la voie d'un recours en annulation (60 jours contre 6 mois) (134).
La proposition à l'examen entend limiter également la faculté de poser une question préjudicielle dans la mesure où il s'agit d'actes portant assentiment à des traités constitutifs de l'UE et à la CEDH. Bien que des motifs objectifs puissent être trouvés pour les deux types de traités, l'on peut toutefois se demander si l'exclusion ne pourrait pas être étendue de manière conséquente à tous les traités internationaux. Cette mesure va dans le sens de l'objectif énoncé, à savoir la stabilité internationale, sans que le justiciable soit privé totalement de sa protection juridique constitutionnelle. Il reste possible d'attaquer la loi d'assentiment par la voie d'un recours en annulation. Si le législateur spécial devait n'exclure le pouvoir de contrôle par la voie de question préjudicielle que pour les seuls traités UE susvisés et pour la CEDH, cette mesure ne contribuerait pas de manière efficace à la réalisation de l'objectif poursuivi.
Le législateur spécial doit cependant se rendre compte que pareil choix radical en faveur de l'exclusion absolue de la faculté de poser la question préjudicielle, a pour effet de réduire la protection juridique. Des conflits portant sur la constitutionnalité d'actes d'assentiment à des traités internationaux peuvent ne se manifester qu'après un certain temps, à l'occasion de l'application concrète de ces traités. Le justiciable qui n'aurait pas prévu ces conflits dans la courte période de 60 jours dont il dispose pour former un recours en annulation, est dès lors privé d'une protection juridique nationale.
Il appartient au législateur de déterminer dans quelle mesure le souci de la stabilité internationale peut primer un tel titre à la protection juridique.
F. Questions préjudicielles et procédures d'urgence
1. Procédures en référé et comme en référé
Il existe une différence importante entre les procédures en référé et les procédures comme en référé. Dans le premier cas, il s'agit de procédures à l'occasion desquelles un juge peut ordonner une mesure provisoire qui n'a qu'une force limitée de chose jugée : le juge des référés ne statue que sur la base d'une apparence de droit et compte tenu des intérêts en jeu, le juge du fond n'est pas tenu par la décision, la mesure ne vaut qu'à titre provisionnel et ne peut trancher le litige de manière définitive. Des procédures comme en référé, par contre, se déroulent certes selon la même procédure accélérée, mais impliquent un exercice à part entière et complet de la juridiction sur le fond de la cause (135).
Compte tenu de la différence fondamentale entre les deux procédures, il s'indique de maintenir, dans les procédures comme en référé, l'obligation de poser la question préjudicielle.
2. Exception à l'obligation de poser la question préjudicielle
Selon la proposition à l'examen, une juridiction n'est pas tenue, dans le cadre d'un référé, de poser une question préjudicielle, sauf s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
C'est une bonne chose en soi que l'obligation de poser la question disparaisse dans le cas du référé. En effet, cette obligation entrave la rapidité de la procédure qui est caractéristique du référé. En outre, elle n'est pas vraiment requise, puisque le juge ne statue que sur une apparence de droit ou sur le sérieux d'un moyen et peut faire intervenir en outre, dans sa délibération, les intérêts respectifs des parties.
L'obligation de poser néanmoins la question préjudicielle dans le cadre d'un référé administratif ou civil lorsqu'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité avec les dispositions de la Constitution à la lumière desquelles un contrôle peut être effectué, revêt un sens dans la mesure où cela laisse au juge des référés lui-même une certaine liberté d'appréciation. N'importe quel doute sur la compatibilité ne peut suffire pour devoir poser une question préjudicielle. En tout état de cause, il doit être possible au juge des référés, compte tenu de l'urgence du litige, d'ordonner néanmoins une mesure provisoire en attendant que la Cour d'arbitrage ait statué.
Il serait également préférable de remplacer la mention de l'obligation de poser malgré tout une question, alors que la Cour est déjà saisie d'une question ayant le même objet, par la faculté d'ordonner des mesures provisoires en attendant que la Cour d'arbitrage ait statué sur la question dont elle est déjà saisie.
M. Hugo Vandenberghe souhaite approfondir la question, soulevée par le professeur Velaers, du manque de cohérence entre le système de contrôle centralisé de la constitutionnalité par la Cour d'arbitrage, d'une part, et le système de contrôle diffus par les cours et tribunaux de la conformité des normes législatives aux conventions internationales ayant des effets directs, d'autre part.
Il convient en effet de se demander si, en pratique, un problème se pose effectivement en l'espèce. Le professeur Velaers a lui-même indiqué que les cas où une norme législative a été jugée contraire à la CEDH se comptent sur les doigts de la main. Autrement dit, il n'existe pour ainsi dire pas de véritable précédent d'un manque de cohérence où la Cour d'arbitrage et la Cour de cassation adoptent une interprétation différente de la CEDH. Il en va tout autrement en France dans la mesure où il existe, au sein même de la Cour de cassation, des différences d'interprétation entre chambres civiles et chambres pénales. Dans notre pays, lorsqu'est invoquée une violation tant des articles 10 et 11 de la Constitution que de l'article 14 de la CEDH, il est devenu habituel que le juge donne la priorité à l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, ce qui favorise la cohérence de l'interprétation de la Constitution et de la CEDH.
On peut aussi évaluer la procédure préjudicielle proposée sous un autre angle, et se demander dans quelle mesure elle sert la protection juridique du citoyen. Si, comme on l'a dit ci-avant, aucun problème de cohérence ne se pose, l'obligation de soumettre une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage pourrait précisément créer des problèmes. La protection juridique devant le juge du fond est en effet imparfaite dans la mesure où celui-ci ne peut pas contrôler personnellement la conformité d'un acte législatif à la CEDH. Il devra engager lui-même, en cours de procédure, une procédure juridique supplémentaire devant la Cour d'arbitrage. Cela est susceptible de nuire à la protection juridique concrète du citoyen. La valeur de la protection offerte par l'État de droit s'apprécie en effet en fonction du degré de concrétisation des principes de droit au profit des citoyens.
À cet égard, la répercussion du droit international dans l'ordre juridique interne et son interprétation dans celui-ci sont capitales.
Trente années plus tard, on ne peut nier que la théorie du monisme, que la Cour de cassation a appliquée pour la première fois en Belgique dans son arrêt SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski du 27 mai 1971, s'est imposée dans plusieurs États européens. La conception dualiste a, quant à elle, perdu de son influence.
Le droit anglais en est un bon exemple. L'Angleterre n'a pas de cour constitutionnelle. Comme récemment encore, la CEDH n'y avait pas d'effet direct, un recours pour violation de la convention ne pouvait être introduit que devant la Cour européenne des droits de l'homme. Il s'en est suivi un manque d'intégration des obligations conventionnelles dans l'ordre juridique interne anglais, notamment dans la jurisprudence des cours et tribunaux anglais rigoureusement basée sur le respect des précédents. Cela explique pourquoi, proportionnellement, l'Angleterre s'est vu infliger beaucoup de condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. L'adoption du Human Rights Act 1998, loi en vertu de laquelle tout juge peut appliquer directement la CEDH en Angleterre et au Pays de Galles, depuis le 2 octobre 2000, dans les conditions prévues par ladite loi, constitue un tournant.
En Autriche et en Allemagne aussi, la position de la CEDH a évolué. La question s'est posée de savoir s'il fallait ou non tenir compte du délai imparti aux cours constitutionnelles pour traiter un litige préjudiciel relatif à des griefs de nature constitutionnelle pour déterminer si la condition du délai raisonnable prévue par l'article 6 de la CEDH était respectée. La réponse à cette question a été négative. La Cour européenne de Strasbourg a toutefois rejeté cette interprétation. La complexité juridique d'une procédure ne dispense pas un État de l'obligation conventionnelle de respecter la condition précitée.
En France, une loi peut être contestée préventivement, c'est-à-dire avant sa promulgation, devant la Cour constitutionnelle. Même le rejet de l'objection de constitutionnalité par la Cour ne préjudicie pas au pouvoir de la Cour de cassation et du Conseil d'État d'appliquer la CEDH.
Avec ces considérations, l'intervenant en revient à son point de départ et à sa question de savoir si la constitutionnalisation de la CEDH par l'article 32bis proposé n'affaiblira pas la protection juridique effective du citoyen, compte tenu de ce que :
à son avis, à défaut de divergences d'interprétation entre la Cour d'arbitrage et la Cour de cassation, aucun problème de cohérence ne se pose;
au niveau international, on emprunte une autre voie;
la Cour européenne des droits de l'homme, à la suite de l'arrêt Francovich (136), a adopté le principe de l'« effet utile » appliqué en droit communautaire européen. En vertu de ce principe, les États membres doivent veiller à garantir dans leur ordre juridique interne la pleine application ou l'effet utile de la CEDH. Ces juges doivent par conséquent écarter l'application des dispositions nationales contraires à celle-ci. Il s'en est suivi un affaiblissement de la théorie du dualisme dès lors que les États membres qui ne donnent pas d'effet utile à la CEDH dans leur ordre juridique national sont condamnés plus fréquemment.
Le professeur Jan Velaers répond que le problème de la cohérence n'a pas des proportions telles qu'il devrait inquiéter hautement les citoyens. Il n'empêche qu'il existe bel et bien. La déclaration du préopinant selon laquelle aucun problème ne se pose pour l'instant, par exemple en ce qui concerne le contentieux d'égalité, méconnaît le fait que le juge devant lequel est invoquée une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en corrélation avec l'article 14 de la CEDH, laisse tout simplement de côté l'article 14 de ladite convention et pose à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle concernant les articles susvisés de la Constitution. Si l'on place l'ensemble du titre II de la Constitution dans la sphère de contrôle de la Cour, il sera possible devant le juge pénal d'invoquer l'incompatibilité de la loi antinégationniste du 23 mars 1995 avec l'article 19 de la Constitution et l'article 10 de la CEDH (137). Le juge n'appliquera toutefois pas lui-même l'article 10 de ladite convention, mais posera à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle concernant la conformité de la loi à l'article 19 de la Constitution, lu en corrélation avec l'article 10 de la CEDH.
Ce qui précède montre que la cohérence entre des droits fondamentaux comparables contenus dans la Constitution et dans la CEDH est plus forte que beaucoup ne le pensent. En cas de conflit entre une loi et un droit fondamental, on ne fera plus de facto de distinction selon que ce droit fondamental est garanti par la Constitution, auquel cas le contrôle de conformité revient à la Cour d'arbitrage, ou par une convention internationale, qui peut être interprétée par toutes les cours et tous les tribunaux. Dans ce dernier cas, le juge posera en effet aussi une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage.
C'est pourquoi le professeur Velaers plaide pour un système cohérent qui confirme cette pratique. Il ne faut toutefois pas perdre de vue les dangers que cela comporte, notamment celui de voir la Cour d'arbitrage assaillie de questions inutiles au point d'assister non pas certes à une diminution, mais bien à un ralentissement de la protection juridique du citoyen. La solution pourrait consister à supprimer l'obligation de poser une question préjudicielle ou, à tout le moins, à adopter la théorie de l'acte clair, c'est-à-dire que l'obligation de renvoi ne vaudrait pas lorsque l'application correcte du droit international est tellement évidente qu'il ne peut y avoir aucun doute quant à la solution de la question.
Dans l'hypothèse où le gouvernement déciderait de retirer le projet de loi spéciale, M. Michel Barbeaux aimerait que le procureur général émérite près la Cour de cassation, M. J. Velu, lui indique quelle est la valeur ajoutée de l'article 32bis proposé de la Constitution, au vu de la prééminence du droit international à effet direct, établie par l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski » et compte tenu du fait que le PIDCP, qui produit des effets directs dans notre pays, ne peut pas, en vertu de la déclaration de révision de mai 1999, être incorporé dans la Constitution sous la présente législature.
Le procureur général émérite près la Cour de cassation, M. Jacques Velu, répond que des problèmes de divergence peuvent se produire à la suite de la coexistence entre, d'une part, la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui serait constitutionnalisée par le biais de l'article 32bis proposé, et, d'autre part, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui a été proclamée solennellement par le Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen lors du Conseil européen de Nice du 7 au 9 décembre 2000 (138), mais qui n'a à ce stade pas de valeur juridiquement contraignante.
M. Michel Barbeaux désire savoir comment il est possible de remédier à ce problème de concurrence.
Le professeur Jan Velaers fait observer que la constituante actuelle ne dispose d'aucune marge de manoeuvre à cet égard. Étant donné que l'article 142 de la Constitution n'est pas révisable au cours de la présente législature, la constituante ne peut pas, actuellement, étendre aux conventions internationales le pouvoir de contrôle de conformité de la Cour d'arbitrage. Le PIDCP ne peut pas non plus être placé dans la sphère de contrôle de la Cour d'arbitrage comme la CEDH, parce que la déclaration de révision vise exclusivement cette dernière.
Si une future constituante y était habilitée, elle devrait choisir entre deux méthodes. Tout d'abord, elle pourrait énumérer nommément toutes les conventions relatives aux droits de l'homme et leurs protocoles additionnels. Le risque est toutefois dans ce cas de devoir réviser la Constitution chaque fois que de nouvelles conventions sur les droits de l'homme seraient approuvées par la suite. Une autre option consisterait à insérer dans la Constitution une mention telle que « les conventions internationales relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales ». La question sera alors de savoir quelles sont précisément les conventions visées. Le Traité UE, par exemple, en relèverait-il parce qu'à l'article 62, il se réfère explicitement à la CEDH ?
Le professeur Jan Velaers opte pour cette dernière formule, étant entendu que, à l'instar de tant de dispositions constitutionnelles, elle demanderait une interprétation plus précise.
Mme Nathalie de T' Serclaes revient sur la remarque du professeur Velaers selon laquelle, compte tenu de la déclaration de révision du 5 mai 1999, aucune référence à des conventions internationales relatives aux droits de l'homme autres que la CEDH ne peut être inscrite à l'article 32bis proposé de la Constitution. Si une future constituante optait pour une formulation générale telle que les conventions internationales relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, comme la Convention de l'ONU du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ou la Convention de l'ONU du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, cela élargirait considérablement la sphère de contrôle de la Cour d'arbitrage en matière de droits fondamentaux. Souhaite-t-on aller dans cette direction ? À son avis, les dispositions constitutionnelles doivent être formulées de manière à tenir compte de l'évolution sociale dans l'interprétation de ces droits.
En outre, une modification de la Constitution doit également prendre en considération l'incorporation éventuelle de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans notre ordre juridique et les problèmes de concurrence que cela peut engendrer entre cette charte et la CEDH, en l'occurrence entre la Cour de Justice et la Cour européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne la première question, le professeur Jan Velaers confirme que la catégorie des « conventions internationales relatives aux droits de l'homme » doit être considérée au sens large. La Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant en fait donc également partie. Cela ne veut pas dire d'après lui, que des questions préjudicielles seront posées dans tous les litiges en cours concernant les droits de l'enfant. D'abord, il n'est pas si fréquent de voir invoquer qu'une norme ayant force de loi soit contraire à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. En second lieu, une application claire et large de la théorie de l'acte clair et l'assouplissement de l'obligation de poser des questions préjudicielles permettront de résoudre de nombreux problèmes.
La deuxième remarque de la préopinante est la plus importante et rejoint la question qu'il avait soulevée sur la faisabilité de la réforme proposée. En effet, l'inconnue de cette opération est l'évolution du droit communautaire européen. Il y a d'abord la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Comme l'a signalé le procureur général émérite Velu, il n'est pas exclu que cette charte soit incorporée dans le droit communautaire et qu'elle soit censée avoir un effet direct. La question est en outre de savoir ce que la Cour européenne de justice nous réserve encore par rapport à la CEDH, notamment en ce qui concerne le statut de la convention et la manière dont les États membres sont liés par celle-ci.
Compte tenu des objections constitutionnelles faites au contrôle central par la Cour d'arbitrage de la compatibilité des normes législatives avec la CEDH, il paraît souhaitable d'attendre que le droit communautaire évolue et que l'on sache plus clairement à quoi s'en tenir concernant cette problématique.
En ce qui concerne la première question de Mme de T' Serclaes, le procureur général émérite Jacques Velu souligne que la constituante méconnaîtrait la déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999, et partant la volonté de la préconstituante, si elle inscrivait également à l'article 32bis proposé une référence à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant ou des dispositions empruntées à cette dernière. La déclaration dit en effet explicitement qu'« il y a lieu de réviser le titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Le vice-premier ministre ajoute que c'est la raison pour laquelle l'article 32bis proposé ne comporte aucune référence au PIDCP.
La remarque de Mme Nathalie de T'Serclaes, selon laquelle la déclaration de révison ne lie pas la constituante à la lettre sur ce point, est contredite tant par le vice-premier ministre que par le procureur général émérite Jacques Velu, le professeur Jan Velaers et M. Hugo Vandenberghe.
Quant à la proposition visant à inscrire à l'article 32bis, lors d'une prochaine révision de la Constitution, une référence générale aux conventions internationales relatives aux droits de l'homme en vue d'y incorporer l'évolution du droit communautaire européen, le vice-premier ministre déclare que si la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne venait à être dotée du statut de Constitution européenne, avec une cour constitutionnelle européenne à la clé, le mécanisme de protection des droits fondamentaux institué par la CEDH s'en trouverait fondamentalement modifié. Il s'ensuivrait que la Cour européenne des droits de l'homme et cette cour constitutionnelle auraient droit de juridiction sur les mêmes matières.
Étant donné qu'une protection parallèle des droits fondamentaux par la CEDH et par une Constitution européenne engendrerait des problèmes insurmontables, le système et les procédures de contrôle judiciaire du respect des droits fondamentaux garantis par les conventions internationales devraient être revus intégralement.
M. Hugo Vandenberghe souligne que le problème de la concurrence se pose déjà aujourd'hui.
Il n'est pas d'accord avec le vice-premier ministre lorsque celui-ci dit que l'avènement de la Charte européenne des droit fondamentaux conférerait nécessairement à toutes les questions de l'espèce un caractère communautaire. Diffèrentes thèses s'affrontent à ce propos dans la doctrine. D'aucuns soutiennent que la charte ne serait applicable que pour autant que les États membres agissent dans le cadre du droit communautaire. En outre, il faut attendre de voir si tous les États membres feront leur le point de vue selon lequel les droits fondamentaux dans leur ensemble font partie du droit communautaire européen.
Le problème est toutefois plus complexe encore. À moins de dénoncer la CEDH, les États membres de l'UE sont liés par celle-ci, y compris en cas de transfert de compétence. Dans l'arrêt Matthews du 18 février 1999, la Cour européenne des droits de l'homme a rappelé que la constatation qu'une matière relève du droit communautaire européen ne dispense pas de l'obligation de respecter la CEDH à cet égard (139). Mme Matthews s'est opposée au refus de la Grande-Bretagne de l'inscrire en tant qu'habitante de Gibraltar sur les listes électorales pour l'élection du Parlement européen. En vertu de l'annexe II à l'acte CE de 1976 relatif aux élections directes au Parlement européen, aucune élection ne devait en effet être tenue à Gibraltar pour cette assemblée. Selon Mme Matthews, ce fait constituait une violation du droit à des élections libres qui est garanti par l'article 3 du premier protocole à la CEDH. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que, la Communauté européenne n'étant pas partie à la CEDH, ses actes ne peuvent pas être contestés comme tels devant la Cour. Toutefois, un transfert de compétence en faveur de la Communauté européenne ne délie toutefois pas les États membres de leur obligation de sauvegarder les droits garantis par la CEDH. Dès lors que Mme Matthews ne pouvait pas participer, à Gibraltar, à l'élection du Parlement européen, l'article 3 du premier protocole à la CEDH était violé.
Un autre exemple des conflits auxquels peut donner lieu la coexistence actuelle est la différence de protection que la Cour de Justice (140) et la Cour européenne des droits de l'homme (141) offrent à l'inviolabilité du domicile, garantie par l'article 8 de la CEDH en cas de perquisition.
Pour des raisons politiques et des raisons de prééminence, on n'a pas encore, à ce jour, abordé le problème de la coexistence et, le cas échéant, du conflit entre la CEDH et le droit communautaire européen.
Le problème promet toutefois de devenir aigu si la Charte européenne des droits fondamentaux devient directement applicable. Cela supposerait cependant que la charte soit mieux restructurée juridiquement. Selon l'intervenant, il y a une nette différence de qualité en faveur de la CEDH. L'énumération d'un certain nombre de principes ne suffit, pas, en effet, pour mériter l'appellation de Constitution.
En tout cas, la marge dont disposent le constituant et le législateur belges pour résoudre cette question est juridiquement limitée. En outre, ils ignorent ce que l'avenir nous réserve.
M. Vandenberghe envisage ensuite l'hypothèse où l'on ferait entrer tous les droits et libertés garantis par le titre II de la Constitution dans la sphère de contrôle de la Cour d'arbitrage, sans insérer dans la loi fondamentale un article 32bis constitutionnalisant la CEDH.
Comme l'a démontré le procureur général émérite Velu, on se retrouve au point de départ, à savoir le problème de la primauté du droit international sur le droit national. En d'autres termes, le problème que l'on a évacué par la porte de derrière se représente immédiatement à la porte de devant.
Supposons que dans l'hypothèse esquissée par l'intervenant, un recours en annulation soit introduit devant la Cour d'arbitrage pour violation du droit de propriété garanti par l'article 16 de la Constitution. L'article 1er du premier protocole à la CEDH offre dans certains cas, une protection beaucoup plus large que l'article précité de la Constitution, qui ne garantit pas toujours une indemnisation. La question se pose de savoir si le requérant peut demander à la Cour d'arbitrage d'interpréter l'article 16 de la Constitution conformément à la convention, ce qui suppose qu'il puisse plaider que l'article 1er du premier protocole à la CEDH offre une protection plus large.
L'insertion d'un article 32bis engendrera, ainsi que l'ont démontré ci-avant plusieurs constitutionnalistes, de nombreux problèmes juridiques. Si on écarte cette proposition et qu'on se limite à l'extension, proposée par le projet de loi spéciale, du pouvoir de contrôle de conformité de la Cour d'arbitrage, force est de demander si la Cour pourra interpréter les droits figurant au titre II de la Constitution sans tenir compte de la CEDH. Selon l'intervenant, la réponse à cette question ne peut être que négative.
Le professeur Jan Velaers fait observer que dans l'affaire du pilotage, la Cour d'arbitrage a interprété l'article 11 de la Constitution en corrélation avec l'article 16 de la Constitution et l'article 1er du premier protocole à la CEDH (142). Par la suite, la Belgique a toutefois été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (143).
Le vice-premier ministre, M. Johan Vande Lanotte, déclare qu'il ne faut pas perdre de vue le point de départ de la réforme proposée. À l'heure actuelle, le justiciable est tenu de baser tout recours en annulation d'une loi pour méconnaissance d'un droit fondamental sur la violation des articles 10, 11 ou 24 de la Constitution. Cette façon de procéder est perçue comme passablement singulière, ainsi qu'on l'a déjà montré à plusieurs reprises au moyen de l'arrêt rendu par la Cour d'arbitrage concernant la loi antinégationniste du 23 mars 1995. Les parties requérantes ont fondé leur recours en annulation sur les articles susvisés de la Constitution, en sachant bien que ni elles-mêmes, ni les autres parties, ni la Cour d'arbitrage ne baseraient respectivement leurs moyens et leurs considérations sur ces articles (144). L'élément clé du litige était le principe de la liberté d'expression garanti par l'article 19 de la Constitution. La Cour d'arbitrage a développé cette question dans son argumentation pour, brusquement, conclure en fin d'arrêt, par une sorte de coq-à-l'âne, que les articles 10, 11 et 24 de la Constitution n'avaient pas été violés. La considération relative au principe d'égalité fait donc figure d'appendice à la motivation de l'arrêt. Ce qui prouve la haute teneur virtuelle de la procédure devant la Cour d'arbitrage. La conséquence en est que la motivaiton de l'arrêt, qui a également son importance pour la protection juridique du citoyen, n'a pas été fondée sur une prémisse correcte.
Le vice-premier ministre se dit d'accord avec la thèse du professeur Velaers selon laquelle l'obligation, pour les cours et tribunaux, d'écarter l'application d'une norme de droit interne si elle est contraire à une convention internationale à effet direct, est un principe général de droit d'ordre constitutionnel qui ne peut être révisé que par une modification de la Constitution, et non par une loi spéciale. Il pose à ce propos trois questions au professeur Velaers.
1. L'obligation, pour le juge qui est soumis au principe susvisé, de poser quand même dans certains cas une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage représente-t-elle une limitation de cette compétence ou une modalité d'application de celle-ci ? Si l'on part du principe que son pouvoir de contrôle de la conformité à la convention internationale est limité ou supprimé par une procédure préjudicielle obligatoire, la question se pose de savoir comment on peut concilier ce principe avec l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes.
2. Comme on l'a déjà noté ci-dessus à plusieurs reprises, l'expérience nous apprend qu'une obligation générale de poser des questions préjudicielles est inefficace. Si l'on envisageait de permettre au juge de poser une question préjudicielle à une autre juridiction à des conditions bien déterminées et dans des hypothèses spécifiques, la question serait alors de savoir si cela n'est pas contraire au principe général de droit constitutionnel selon lequel le juge est le garant de la primauté du droit international.
3. Ne pourrait-on remédier au manque de cohérence entre, d'une part, le droit de contrôle de la Cour d'arbitrage au regard de la Constitution et, d'autre part, le droit de contrôle des cours et tribunaux au regard des conventions internationales à effet direct, en réglant la procédure préjudicielle de manière identique dans les deux cas et notamment en ce qui concerne son caractère obligatoire ou facultatif ? Si le pouvoir de contrôle de conformité de la Cour d'arbitrage est étendu au titre II de la Constitution, ce qui est déjà le cas de facto, avec maintien de l'obligation de renvoi pour les cours et tribunaux, on se trouve confronté à une incohérence si cette obligation ne s'applique pas au contrôle de la conformité des normes législatives à la CEDH. Compte tenu des difficultés pratiques, ne serait-il pas dès lors préférable de supprimer, d'assouplir ou de moduler d'une manière identique l'obligation générale de poser une question préjudicielle au regard des deux catégories de normes juridiques ?
Le professeur Jan Velaers répond que si l'on révisait par une modification de la Constitution le principe de droit constitutionnel consacré par la Cour de cassation dans l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski » du 27 mai 1971, il faudrait d'abord déterminer la portée exacte de ce principe. Il défend à cet égard la thèse selon laquelle tout juge est tenu de contrôler lui-même la conformité de la loi à une convention internationale directement applicable, sans avoir à poser une question préjudicielle à ce sujet
1. Si l'on soumet le respect de cette obligation à certaines conditions, en disposant par exemple dans la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage que le juge devra d'abord poser une question préjudicielle à la Cour dont la réponse le liera, cela implique une modification du principe susvisé qui ne peut pas être apportée par la loi spéciale. Elle nécessite une révision de la Constitution.
L'argument du parallélisme avec la procédure préjudicielle devant la Cour de justice n'est pas pertinent, dès lors que l'obligation d'engager cette procédure est imposée par le droit communautaire européen, qui, dans la hiérarchie des normes juridiques, prévaut sur un principe général de droit constitutionnel belge.
2. Créer la possibilité de poser à la Cour une question préjudicielle ne paraît pas au professeur Velaers contraire au principe de droit consacré par l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski », à moins d'interpréter cet arrêt de manière si radicale que tout juge serait tenu de procéder lui-même au contrôle de conformité sans pouvoir recourir à une procédure préjudicielle. L'instauration de la possibilité d'engager cette procédure implique alors une variante et, partant, une modification de ce principe, ce qui n'est réalisable que par une révision de la Constitution.
3. Si la principale raison d'être de la réforme proposée est de permettre au justiciable de s'adresser directement à la Cour d'arbitrage lorsqu'il excipe d'une violation de la CEDH, sans qu'il soit porté atteinte au principe contenu dans l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski », on peut se demander s'il ne suffirait pas de n'ouvrir cette possibilité que pour les recours en annulation. Le citoyen désireux d'attaquer la loi antinégationniste du 23 mars 1995 devant la Cour d'arbitrage ne devrait donc plus le faire sur la base d'une violation supposée des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, mais sur celle d'une violation de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CEDH. La compétence dont dispose déjà actuellement la Cour d'arbitrage ne serait donc étendue au contrôle de conformité à la CEDH de normes ayant force de loi que dans le cadre des recours en annulation. Dans ce cas, les cours et tribunaux ne devraient plus poser de question préjudicielle concernant la CEDH. Le principe posé par l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski » serait ainsi préservé. L'inconvénient de la formule est qu'elle ne résout pas le problème de cohérence soulevé ci-dessus.
Le vice premier ministre, M. Johan Vande Lanotte, retient de ce qui précède que la distinction entre un recours direct en annulation d'une norme législative, d'une part, et une procédure préjudicielle engagée à l'occasion d'un litige en cours, d'autre part, constitue un aspect important pour la solution du problème de cohérence mis en évidence par différents intervenants. Cette solution passe en tout cas, selon lui, par l'insertion de l'article 32bis dans la Constitution.
Le vice-premier ministre attire l'attention sur le fait que la Cour d'arbitrage n'applique pas le principe juridique de la primauté du droit international consacré par la Cour de cassation dans l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski » du 27 mai 1971. La Cour d'arbitrage s'estime en effet habilitée à contrôler la constitutionnalité intrinsèque d'une loi d'assentiment et, partant, des dispositions d'une convention internationale. Bien qu'il appuie sur ce point la thèse du procureur général émérite Velu, le vice-premier ministre ne saurait ignorer la jurisprudence de la Cour d'arbitrage qui a affirmé la prééminence de la Constitution.
C'est pourquoi le gouvernement a opté pour la formule, peut-être un peu équivoque, disant qu'une procédure préjudicielle de contrôle de conformité à la Constitution ne peut en tout cas pas être engagée à l'encontre d'actes législatifs par lesquels assentiment a été donné aux traités conclus sur la base de l'article 34 de la Constitution, c'est-à-dire les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH. En insérant l'article 34 dans la Constitution, en 1970, le constituant a en effet confirmé le principe constitutionnel selon lequel la Communauté européenne marque l'avènement d'un ordre juridique de nature quasi-constitutionnelle. La portée de cette exclusion n'est pas purement hypothétique. La Cour d'arbitrage a déjà été appelée à se prononcer sur une question préjudicielle du Conseil d'État concernant la compatibilité de la loi du 13 mai 1955 portant approbation de la CEDH avec les articles 10 et 11 de la Constitution (145).
Le vice-premier ministre invite le procureur général émérite Velu et le professeur Velaers à expliciter la problématique du contrôle de conformité du droit international à la Constitution.
Le professeur Jan Velaers rappelle brièvement le raisonnement suivi par la Cour d'arbitrage pour justifier son pouvoir de contrôler la conformité à la Constitution des conventions internationales. Le législateur, qui ne peut pas adopter de normes légales internes contraires à la Constitution, ne saurait contourner cette interdiction par l'approbation d'une convention internationale. C'est pourquoi la Cour s'estime habilitée, lors du contrôle de conformité de la loi d'assentiment, à examiner également la constitutionnalité des dispositions de la convention.
Ce contrôle devrait toutefois être organisé de manière à intervenir avant que la Belgique ne soit liée en droit international. Tel n'est pas le cas actuellement, ni en ce qui concerne les recours en annulation, ni en ce qui concerne la procédure préjudicielle.
Il est vrai que le gouvernement tente, dans son projet de loi spéciale, de résoudre le problème. Mais pourquoi ne va-t-il pas jusqu'à exclure tout simplement la possibilité de poser des questions préjudicielles concernant les lois d'assentiment ? La Cour d'arbitrage ne pourrait alors exercer le contrôle de conformité qu'à l'occasion d'un recours en annulation qui devrait être introduit dans les soixante jours de la publication de la loi en question au Moniteur belge. Il faudrait alors inscrire ultérieurement à l'article 167 de la Constitution, qui n'est pas soumis à révision pour l'instant, une disposition prévoyant que le Roi ne peut pas ratifier une convention durant ce délai de recours ou aussi longtemps que la Cour d'arbitrage ne s'est pas prononcée définitivement sur un recours dont elle serait saisie. Une telle disposition se situerait dans la ligne du bref délai de recours que prévoit déjà la loi spéciale et constituerait une garantie supplémentaire contre la ratification d'une convention avant qu'il n'ait été statué sur une contestation de constitutionnalité relative à la loi portant assentiment à la convention.
Cependant, l'exclusion de la possibilité de poser une question préjudicielle sur les traités constituants de l'Union européenne et la CEDH, proposée par l'article 4, § 2, du projet, ne permet pas de résoudre par exemple le problème de la convention préventive de la double imposition conclue avec les Pays-Bas et de toutes les autres conventions qui lient la Belgique sur le plan international.
Le vice-premier ministre, M. Johan Vande Lanotte marque son accord sur les propositions du professeur Velaers concernant la ratification des conventions. Il précise que l'exclusion inscrite par le gouvernement à l'article 4, § 2, du projet se fonde sur la distinction à faire selon qu'une convention a été conclue ou non sur la base de l'article 34 de la Constitution. Si tel est le cas, la convention ne peut pas faire l'objet d'une question préjudicielle. Dès lors que, dans la convention susvisée sur la double imposition, cette base constitutionnelle fait défaut, la loi d'assentiment peut donner lieu à une procédure préjudicielle.
Le professeur Jan Velaers constate que la possibilité de poser une question préjudicielle sur certaines conventions est abrogée sans que le gouvernement ne prenne position, dans le projet de loi spéciale, sur le motif qui le conduit à agir de la sorte. S'agit-il d'une question d'opportunité ou d'une obligation imposée par le droit international ? Ou d'une autre raison encore ?
Mme Nathalie de T' Serclaes désire savoir si, par exemple, la transposition en droit belge par la loi de la décision-cadre de l'Union européenne sur le mandat d'arrêt européen est susceptible d'un recours en annulation devant la Cour d'arbitrage au motif que la décision-cadre elle-même serait contraire à la CEDH.
Le vice-premier ministre répond par l'affirmative. C'est déjà possible actuellement, pour autant que le recours contre la loi d'approbation soit fondé sur une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Quant à la question de savoir si la Constitution prime ou non les conventions internationales à effet direct, il attire également l'attention sur le contrôle qu'exerce la section de législation du Conseil d'État sur l'avant-projet de loi d'assentiment qui lui est soumis pour avis.
On en trouve un exemple dans l'avis émis par le Conseil d'État à l'occasion de l'approbation du traité de Maastricht du 7 février 1992, qui accorde notamment le droit de vote aux Européens lors des élections communales. L'article 8 de la Constitution disposait toutefois à cette époque que l'exercice des droits politiques était réservé aux Belges. On se trouvait donc en présence d'un conflit entre une norme internationale et la Constitution. Dans son avis, le Conseil d'État a déclaré que « la section de législation est d'avis qu'il ne convient pas d'approuver le Traité sur l'Union européenne avant d'avoir procédé à la révision de l'article 8 de la Constitution ». Le Conseil d'État n'a donc pas dit explicitement que la Constitution avait priorité, mais bien qu'il ne convenait pas de modifier la Constitution par le biais de l'approbation d'un traité. Il est à noter que le traité a été approuvé sans modification préalable de la Constitution. Depuis lors, l'article 8 de la Constitution a effectivement été modifié et adapté aux prescriptions du Traité de Maastricht (146).
Le procureur général émérite près la Cour de cassation, M. Jacques Velu, déclare qu'il n'est pas opposé à ce que la Cour d'arbitrage exerce sa compétence de contrôle des actes législatifs d'assentiment tant que le traité ne lie pas la Belgique au niveau international.
En ce qui concerne le contentieux d'annulation, aucun problème ne se pose si la ratification intervient après l'expiration du délai de soixante jours suivant la publication de l'acte d'assentiment, pendant lequel la Cour d'arbitrage peut être saisie, ou en cas d'introduction d'un tel recours, après que la Cour aura rendu un arrêt de rejet.
Il faut donc limiter la possibilité pour la Cour d'arbitrage d'exercer un contrôle sur les actes législatifs d'assentiment, de sorte que ce contrôle ne puisse être exercé si le traité est entré en vigueur au niveau international à l'égard de la Belgique.
En ce qui concerne le contentieux préjudiciel, le problème se pose de manière plus aiguë. En effet, la Cour d'arbitrage ne peut statuer sur la compatibilité avec la Constitution d'un acte législatif d'assentiment et par conséquent d'un traité, qu'après que celui-ci soit entré en vigueur et lie la Belgique au niveau international. De plus, cette question préjudicielle peut être posée plusieurs années après la publication de l'acte législatif d'assentiment.
Le problème ne peut être résolu qu'en supprimant la possibilité du contrôle préjudiciel. Éventuellement, cette suppression pourrait être subordonnée à certaines conditions : le contrôle préjudiciel pourrait subsister par exemple lorsque la contradiction d'un traité avec la Constitution trouve son origine dans la violation manifeste d'une règle fondamentale de compétence au sens de l'article 46 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969. Autre exception, une juridiction interne, administrative ou judiciaire, serait habilitée à poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage en se prévalant des dispositions du Code judiciaire qui permettent d'intenter une action pour éviter un dommage imminent, à la condition toutefois que le traité ne soit pas encore entré en vigueur.
5.1. M. Willy Deroover, premier président du Conseil d'État
Le premier président déclare qu'il se limitera dans son exposé à apporter des réponses au questionnaire fouillé et extrêmement intéressant qui a été rédigé par les services du Sénat.
A.1. Compatibilité de la proposition de révision de la Constitution avec la déclaration de révision
Dans son avis sur le projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage (147), le Conseil d'État a indiqué que l'on pouvait se demander si l'article 32bis de la Constitution proposé pouvait se concilier avec la déclaration de révision. Selon le Conseil, l'objectif de la préconstituante était de voir combler les lacunes du titre II de la Constitution par des dispositions qui traduiraient dans l'ordre juridique belge les normes de la CEDH. Le simple renvoi à la CEDH, dans l'article 32bis proposé, ne répond pas à cet objectif : dès lors que les dispositions du titre II de la Constitution ne sont pas alignées sur la CEDH, des contradictions vont se produire entre les dispositions en vigueur du titre II et les dispositions de la CEDH auxquelles l'article 32bis en projet fait référence.
Le procédé consistant à aligner point par point les dispositions du titre II de la Constitution sur la CEDH, outre qu'il correspondrait mieux à ce que la préconstituante avait en vue, permettrait d'éviter les objections soulevées dans l'avis à l'encontre de la méthode adoptée par le gouvernement qui, combinée aux modifications envisagées de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, a pour effet d'une part, que la compétence de la Cour d'arbitrage serait étendue au contrôle direct de conformité des normes législatives à la CEDH (ce qui est contraire à l'article 142 de la Constitution) et, d'autre part, que les autres juridictions (cours et tribunaux, juridictions administratives et collèges disciplinaires) ne seraient plus compétentes pour contrôler la conformité des normes législatives à la CEDH (points 2.2 et 2.3 de l'avis du Conseil d'État).
La question de savoir si le constituant est lié par la déclaration de révision appelle une réponse nuancée. Le constituant est lié en ce sens qu'il ne peut pas modifier d'autres articles constitutionnels que ceux qui ont été déclarés révisables par la préconstituante. Le constituant n'est toutefois pas tenu de réviser les dispositions qui ont été soumises à révision. la préconstituante n'est pas compétente non plus pour fixer le contenu précis de la future disposition constitutionnelle. Elle peut en revanche indiquer l'orientation que doit prendre la révision. La déclaration de révision du 5 mai 1999 habilite le constituant à mettre la Constitution en conformité avec la CEDH; cette déclaration ne peut toutefois être invoquée pour assurer la concordance de la Constitution avec le PIDCP. Le lien qui rattache le constituant à la déclaration de révision n'a donc pas un caractère absolu. La violation de ces principes n'est cependant soumise à aucune sanction. Le respect de ces principes n'est pas exigible en droit.
L'article 32bis en projet étant inséré dans le titre relatif aux Belges et à leurs droits, on doit logiquement supposer que cette disposition concerne les Belges. Le terme « chacun » dans cette disposition n'a donc pas d'autre signification que celle qu'il a dans les autres dispositions du titre II.
En ce qui concerne la possibilité, prévue à l'article 191 de la Constitution, d'établir des exceptions à l'égard des étrangers, l'article 32bis en projet ne change rien à la situation existante : le législateur peut établir de telles exceptions, mais en respectant l'interdiction de discrimination. Les droits et libertés garantis par la Constitution et la CEDH ne sont pas d'application absolue. Le législateur peut y déroger pour des motifs raisonnables, objectifs et pertinents et s'il respecte le principe de proportionnalité.
B.1. La compétence des cours et tribunaux de vérifier la conformité des normes législatives à la CEDH
Ainsi que le Conseil d'État l'a observé dans son avis (point 2.3), l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage a effectivement pour effet de limiter d'autant celle des autres juridictions. Il est ainsi porté atteinte au principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les cours et tribunaux peuvent contrôler la conformité des normes législatives aux normes du droit international.
B.2. Interprétation uniforme de la CEDH
B.2.1. Il appartient bien entendu à la Cour européenne des droits de l'homme d'assurer l'uniformité de l'interprétation de la CEDH. Il ne serait toutefois pas contraire à la CEDH de charger, en Belgique, une seule juridiction de l'interprétation de cette convention (de tels systèmes existent dans d'autres États, comme par exemple en Autriche).
B.2.2. Il n'est pas touché à la possibilité de contrôler la conformité des règlements et autres actes administratifs à la CEDH. Il n'est dès lors pas exclu qu'une jurisprudence divergente puisse, de ce fait, voir le jour.
B.3. Contrôle de conformité à d'autres conventions internationales
B.3.1. Le point de départ de la question posée au B.3.1. est que d'autres juridictions que la Cour d'arbitrage ne peuvent confronter la conformité des normes administratives au principe d'égalité garanti par les conventions internationales, parce que le contrôle de conformité au principe d'égalité est dévolu à la Cour d'arbitrage. Cette thèse, défendue notamment par M. Velaers, est contestable et n'a pas l'aval du Conseil d'État.
Dans son avis (point 3), le Conseil d'État est parti au contraire de l'idée que le fait que la Cour d'arbitrage soit chargée de contrôler la conformité des normes législatives à la CEDH n'empêche pas d'autres juridictions de contrôler la conformité de ces normes à d'autres conventions, même si ces dispositions sont le pendant de dispositions de la CEDH.
B.3.2. L'article 53 de la CEDH implique qu'il faut faire prévaloir la disposition qui offre la protection la plus étendue.
Cette disposition n'entraîne pas que la Cour d'arbitrage ait la compétence exclusive du contrôle direct de conformité aux autres conventions relatives aux droits de l'homme. Le contrôle direct de conformité au regard de ces autres conventions est l'affaire des autres juridictions. En revanche, la Cour d'arbitrage, tout comme la Cour européenne des droits de l'homme, interprétera dans toute la mesure du possible la CEDH en harmonie avec les autres conventions internationales, en particulier celles relatives aux droits de l'homme, en tenant compte des dispositions de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.
B.3.4. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, constante depuis l'arrêt du 9 mars 1978 dans l'affaire Simmenthal, le contrôle de conformité à la CEDH des normes législatives transposant le droit de la CE, doit rester possible par d'autres juridictions que la Cour d'arbitrage. Le juge n'effectue alors toutefois pas ce contrôle seulement par rapport à la CEDH, mais aussi au regard des principes généraux du droit communautaire déterminé non seulement par la CEDH mais aussi par les traditions constitutionnelles communes des États membres.
C. Portée de l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage
C.1. La question de savoir si la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage doit être étendue à d'autres articles de la Constitution confirmant le principe de légalité, comme les articles 170, 182 et 184, est une question d'opportunité. Mais il n'y a effectivement aucune bonne raison de ne pas ajouter ces autres articles à l'énumération.
D. Effets de l'extension de compétence
D.1. Le Conseil d'État a noté dans son avis qu'il ne semblait « guère cohérent d'étendre les compétences de la Cour d'arbitrage, d'une part, ce qui devrait normalement induire une augmentation des affaires dont la Cour sera saisie et, d'autre part, de raccourcir la durée maximale du délai dans lequel les arrêts doivent être rendus. »
D.2. Il appartiendra au premier chef à la Cour européenne des droits de l'homme de répondre à la question de savoir si la formulation d'une question préjudicielle doit être considérée comme une « voie de recours interne ». Étant donné qu'il n'appartient pas à la partie concernée de décider de poser ou non la question préjudicielle, mais au juge lui-même, il peut y avoir un doute à ce sujet.
D.3. Il paraît effectivement souhaitable, dans l'intérêt de la sécurité juridique, que la Cour d'arbitrage puisse régler les effets dans le temps des arrêts, y compris ceux rendus à la suite d'une question préjudicielle.
On peut renvoyer à cet égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour européenne des droits de l'homme, 13 juin 1979, Marckx/Belgique, Publ. Cour, série A, vol. 31) et à celle de la Cour de Justice (arrêt du 9 mars 2000 dans l'affaire C-437/97, Evangelischer Krankenhausverein Wein/Oberösterreichische Landesregierung).
E. Contrôle de conformité des actes d'assentiment aux conventions internationales
E.1. Le Conseil d'État, dans son avis relatif à l'article 4, § 2, du projet de loi spéciale, a confirmé que ni l'article 142 de la Constitution, ni le principe d'égalité ne font obstacle à ce que tous les actes portant assentiment à des traités soit exclus de la procédure préjudicielle. Le Conseil a en outre observé que, eu égard au but poursuivi la stabilité des relations internationales , aucune justification pertinente n'était fournie pour la limitation de la réglementation en projet aux actes donnant assentiment aux traités constitutifs de l'UE et à la CEDH (148).
E.2. Il appartient au législateur spécial de préciser le notion de « traités constitutifs »
F. Questions préjucielles et procédures d'urgence
F.1.1. Il serait préférable de rendre la dispense applicable à toutes les procédures d'urgence.
F.1.2. La publication au Moniteur Belge paraît être un moyen suffisant. De plus, les parties peuvent attirer l'attention du juge sur le fait qu'une question préjudicielle est pendante devant la Cour d'arbitrage.
F.1.3. Aux termes de l'article 26, § 3 (article 4, § 3, du projet), une juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle dans certaines procédures (d'urgence) sauf si, notamment, « la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet ».
Cette disposition ne figurait pas dans le texte de l'avant-projet soumis au Conseil d'État.
Au sujet de la disposition en projet, l'exposé des motifs indique que « dans les cas visés dans le nouveau § 3 de l'article 26, seules les exceptions suggérées par le Conseil d'État sont d'application » (149).
Ce commentaire se réfère manifestement à l'observation suivante du Conseil d'État :
« Il convient de signaler que la Cour de Justice n'exige pas que, statuant dans le cadre d'une affaire urgente, le juge national soumette à la Cour une question préjudicielle portant sur la validité de l'acte réglementaire communautaire si la Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle qui va en ce sens au moment où le juge national rend sa décision. Il serait utile que le présent projet comprenne également pareille nuance en ce qui concerne la restriction en question ». (150)
La suggestion du Conseil d'État consistait, non pas à maintenir l'obligation de poser une question préjudicielle lorsque la Cour était saisie d'une question préjudicielle de même objet, mais au contraire, dans ce cas, à dispenser de cette obligation. Le choix opéré par le gouvernement est donc quelque peu illogique.
S'agissant de la question de savoir si, dans l'hypothèse où il serait décidé de prévoir cette dispense, le juge peut ou non poursuivre la procédure, il importe de souligner que, conformément à la ratio legis de la réglementation en projet, la procédure doit effectivement être poursuivie. On peut éventuellement penser à la possibilité d'une décision provisoire en attendant un arrêt de la Cour d'arbitrage (voir l'arrêt du Conseil d'État, pp. 32-33 et la note 1, p. 33).
F.2.1. Compte tenu de la remarque faite au F.1.3., cette question est sans objet.
F.2.2. Il y a lieu d'opter pour la solution suggérée par la doctrine et mentionnée à l'alinéa 2 de la question. On renvoie en la matière à l'observation suivante de l'avis du Conseil d'État :
« En outre, le délégué a déclaré que la réglementation en projet n'entend pas non plus porter atteinte à la jurisprudence du Conseil d'État, dans le cadre du référé administratif, lorsqu'un moyen fondé sur la constitutionnalité d'un acte législatif est jugé sérieux et où la suspension est, dès lors, ordonnée provisoirement, en attendant que la Cour d'arbitrage ait statué sur la question préjudicielle posée par le même arrêt de suspension » (151).
G. Divers et remarques techniques
G.1. Voir la remarque faite au F.1.3.
Si la dispense de l'obligation de poser une question préjudicielle est prévue, mieux vaudrait écrire « ... une question ou un recours... ».
G.2. Il serait effecitvement préférable d'adapter le texte du projet de la manière suggérée.
G.3. En ce qui concerne la référence éventuelle au « rapport complémentaire », il est à noter que le texte en vigueur des articles 71 et 72 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage ne parle que de « rapport », et non de « rapport complémentaire ». Si le rapport complémentaire peut être consulté par les parties, il faut d'abord définir ce que contiendra au juste ce rapport complémentaire.
G.4. Le projet lui-même ne comporte aucune règle obligatoire concernant l'attribution des référendaires aux juges. La Cour d'arbitrage devra donc s'organiser elle-même à ce sujet.
G.5. Il n'est pas strictement nécessaire de prévoir un régime transitoire : en vertu de l'article 2 du Code judiciaire, une nouvelle procédure est en principe applicable immédiatement aux instances en cours.
5.2. M. Michel Roelandt, auditeur-général au Conseil d'État
A.1. Conformité de la proposition de révision de la Constitution à la déclaration de révision
La section de législation du Conseil d'État a rendu, le 25 avril 2000, un avis passablement négatif.
Faire entrer la CEDH dans le champ de contrôle de la Cour d'arbitrage serait contraire à l'article 142 de la Constitution : seule la violation des articles de la Constitution et non celle des conventions internationales peut relever de la compétence de la Cour d'arbitrage (point 2.2 de l'avis) (152).
Ce point de vue fait de la forme l'élément principal et il s'appuie sur une interprétation restrictive de la notion d'« articles de la Constitution ».
Il est lié en effet au choix du procédé législatif que le constituant entend utiliser pour atteindre son objectif : légiférer par référence aux droits et libertés internationalement reconnus ou inscrire ces droits et libertés dans l'ordre juridique interne.
Le premier procédé ne serait pas admis, contrairement au second, parce que dans ce dernier cas les articles de la Constitution intégreraient ces droits fondamentaux par le biais d'une « adaptation ponctuelle ».
À ce moment-là, ces droits seraient effectivement devenus des « articles de la Constitution ». La section de législation du Conseil d'État a marqué sa préférence pour ce procédé.
Le premier procédé qui on le reconnaît peut susciter des problèmes d'interprétation (mais le second également) ne serait alors pas conforme aux intentions de la déclaration de la révision de 1999.
L'objectif de la préconstituante (153) était clairement d'insérer de nouvelles dispositions pour assurer la protection des droits et libertés garantis par la CEDH.
La préconstituante n'a donné aucune directive quant à la manière dont cela devait se faire concrètement, c'est-à-dire en ce qui concerne le procédé légistique à adopter par le constituant.
Rien n'empêche par conséquent, selon l'auditeur général, que le titre II de la Constitution puisse être mis en conformité avec la CEDH de deux manières, lesquelles peuvent être considérées comme répondant l'une et l'autre à l'objectif de la déclaration de révision et entre lesquelles le constituant peut choisir librement.
L'article 32bis est inséré au titre II de la Constitution, lequel s'intitule »Des Belges et leurs droits ». La question se pose de savoir si cet intitulé correspond toujours bien au contenu de ce titre. L'article 8 par exemple, traite aussi des citoyens de l'Union européenne n'ayant pas la nationalité belge ainsi que des ressortissants, résidant en Belgique, de pays non-membres de l'Union européenne. Il serait dès lors opportun de remplacer cet intitulé par « Des droits fondamentaux ».
Le terme « chacun » par lequel débute l'article 32bis n'a en principe trait qu'aux Belges.
L'article 191 de la Constitution octroie cependant à tout étranger se trouvant sur notre territoire les mêmes droits et libertés, sauf les exceptions établies par la loi.
Tout d'abord, on peut faire remarquer que la possibilité d'établir des exceptions, inscrite à l'article 191 de la Constitution, doit déjà s'interpréter en ce sens qu'elles ne peuvent être contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution.
La loi ne peut donc, pour cette raison, établir des exceptions instaurant une différence de traitement qui méconnaîtrait les principes d'égalité et de non-discrimination (154).
En outre, la lecture conjointe des articles 32bis et 191 de la Constitution doit conduire à une interprétation de ces dispositions conforme à la convention internationale.
Étant donné que la CEDH est porteuse de droit supranational auquel le législateur ordinaire ne peut déroger, l'article 191 de la Constitution doit se lire en ce sens que l'exception ne peut s'appliquer à la jouissance des droits et libertés qui sont garantis par l'article 32bis.
B.1. La compétence des cours et tribunaux de contrôler la conformité des normes législatives à la CEDH
L'insertion de l'article 32bis dans la Constitution, la modification conjuguée à celle-ci de la compétence de la Cour d'arbitrage et l'obligation de principe de poser des questions préjudicielles ont pour conséquence que les cours et tribunaux ne pourront plus en principe apprécier la compatibilité d'une norme législative avec la CEDH. La question est toutefois de savoir qui interdira à ces juridictions de le faire. La Cour de cassation et le Conseil d'État ont en effet développé une jurisprudence quelque peu rebelle dans laquelle ils invoquent une norme juridique supérieure pour échapper à l'obligation de renvoi.
L'aspect positif de la réforme proposée est que l'unité de la jurisprudence dans ce domaine sera assurée par une seule Cour, la Cour d'arbitrage.
La question de savoir si cette construction modifie les compétences des cours et tribunaux paraît à l'auditeur général être un point controversé (cf. l'avis du Conseil d'État, point 2.3.).
Les compétences des cours et tribunaux changent constamment. Et ce changement ne nécessite même pas une modification de la Constitution ou une « loi spéciale ».
Le Code judiciaire et les autres lois délimitant qui doit statuer sur quel litige peuvent être modifiés par le législateur ordinaire.
En conséquence, l'auditeur général a plutôt tendance à dire que les règles de compétence ne sont pas modifiées.
B.2. Interprétation uniforme de la CEDH par la Cour européenne des droits de l'homme
B.2.1. La notion d'interprétation uniforme doit s'envisager en relation à la compétence territoriale de la Cour concernée.
La Cour européenne des droits de l'homme assure l'interprétation uniforme de la CEDH pour tous les États qui ont adhéré à la convention; la Cour d'arbitrage dans la construction actuellement proposée le fait pour le territoire belge.
Il va de soi que la Cour d'arbitrage devra se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne.
Une hiérarchie des normes doit avoir comme pendant une hiérarchie des juridictions, sans quoi l'anarchie jurisprudentielle n'est pas loin.
D'autres constructions sont bien sûr envisageables, dans lesquelles la Cour de cassation, le Conseil d'État et la Cour d'arbitrage assurent parallèlement, chacun pour son domaine propre de compétences, l'interprétation uniforme de l'article 32bis de la Constitution et de la CEDH (ce qui est en fait la réglementation en vigueur).
Pour en revenir à cette situation, la question préjudicielle devrait être supprimée à l'article 26, § 2, en projet de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage pour la Cour de cassation et pour le Conseil d'État, en ce qui concerne l'article 32bis de la Constitution.
Dans cette contruction, les trois hautes juridictions se conformeraient à la jurisprudence de la Cour européenne.
B.3. Contrôle de conformité aux autres traités internationaux
B.3.1. La constatation que les cours et tribunaux peuvent encore contrôler la conformité des normes législatives à des traités internationaux autres que la CEDH découle de la portée de la déclaration de révision de la Constitution, qui a limité la modification du titre II à la CEDH.
Dès lors que les droits et libertés garantis par les autres traités internationaux ne sont pas mentionnés explicitement dans la déclaration de révision, et non plus, dès lors, dans l'article 32bis proposé de la Constitution, rien ne change aux possibilités actuelles de contrôle sur ce plan.
B.3.2. Il n'est certainement pas simple de déterminer quelle disposition de la Constitution ou de la CEDH offre la plus grande protection.
Ce principe découle en ligne directe de l'article 53 de la CEDH.
B.3.4. En ce qui concerne les normes législatives transposant le droit communautaire, il est préférable que leur compatibilité avec la CEDH ressortisse au contrôle centralisé de la Cour d'arbitrage.
C. Portée de l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage
Une extension de compétence à l'article 170 de la Constitution serait souhaitable.
L'article 172, alinéa 2, confirme le principe de la légalité de l'impôt et est indissociablement lié à l'article 170 qui précise le principe de légalité en matière fiscale, notamment par la portée du terme « loi » qui figure à l'article 172, alinéa 2.
La cohérence commande par conséquent d'inclure l'article 170; le gouvernement déclare en effet dans l'exposé des motifs qu'il est conscient que la Cour d'arbitrage pourra contrôler si les lois fiscales sont conformes au principe de légalité (155).
Pour d'autres articles, comme l'article 182 et l'article 184, il s'agit d'une question d'opportunité politique, pour laquelle il convient de rappeler l'objectif initial tel qu'il a été formulé par M. Jean-Luc Dehaene, vice-premier ministre et ministre des Affaires institutionnelles de l'époque, lors de la révision de l'article 107ter, § 2, actuel article 142 de la Constitution : « en y disposant que la loi adoptée à une majorité spéciale peut étendre le contrôle de constitutionnalité à d'autres articles de la Constitution, on opte à l'article 107ter pour la mise en place fût-ce par étape d'une cour constitutionnelle. Il ne peut y avoir aucun malentendu à ce sujet. » (Annales Sénat, 16 juin 1988, p. 644) (Traduction).
Si l'on souhaite inscrire les articles constitutionnels précités comme normes de référence dans la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, on fait un pas supplémentaire dans la voie de la transformation de la Cour d'arbitrage en cour constitutionnelle.
D. Conséquences de l'extension de compétence
D.1. On se reportera à l'avis du Conseil d'État sur l'article 10 du projet de loi. (156).
D.2. La réponse à cette question devrait être fournie par quelqu'un qui soit familiarisé avec la jurisprudence de la CEDH concernant l'épuisement des voies de recours nationales.
E. Contrôle des actes d'assentiment aux traités internationaux
E.1. En ce qui concerne le contrôle des actes d'assentiment aux traités, on peut se référer à l'analyse détaillée qui en est faite dans l'avis du Conseil d'État concernant l'article 4, § 2, du projet de loi (157).
La section de législation confirme qu'aucune objection constitutionnelle ne s'oppose à ce que tous les actes législatifs portant assentiment à un traité soient exclus de la possibilité de poser une question préjudicielle. Elle conclut également que la simple exclusion des questions préjudicielles pour les traités relatifs à l'UE et la CEDH ne suffit probablement pas pour atteindre l'objectif poursuivi, à savoir la stabilité des relations internationales.
S'agissant de ce dernier point, l'auditeur général fait remarquer qu'il aurait peut-être été plus correct de parler de l'objectif d'assurer la stabilité des relations européennes
F. Questions préjudicielles et procédures d'urgence
F.1. L'article 4, §§ 3 et 4, énumère un certain nombre de cas dans lesquels le juge doit se prononcer avec une certaine urgence et où il est dispensé pour cette raison de poser une question préjudicielle.
Cette énumération risque d'être trop restrictive et de perdre de vue pas mal de cas dans lesquels il y a lieu d'agir d'urgence. Il n'est pas fait mention par exemple de la procédure visée à l'article 93 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section d'administration du Conseil d'État, qui est suivie lorsqu'il apparaît que le Conseil d'État n'est manifestement pas compétent ou que la demande est manifestement irrecevable ou non fondée. Dans ce cas, le président peut convoquer les parties dans les dix jours après le dépôt du rapport pour statuer sans délai, après avoir entendu les parties. Si, dans cette procédure, le Conseil d'État n'est pas dispensé de l'obligation de renvoi et que le demandeur souhaite malgré tout faire poser une question préjudicielle, le Conseil d'État devrait alors encore se tourner vers la Cour d'arbitrage.
Plutôt que de donner une énumération qui comporte malgré tout toujours le risque de rester incomplète, il serait préférable d'insérer dans la loi spéciale une exception générale disposant qu'une juridiction n'est pas non plus tenue de poser une question préjudicielle lorsqu'elle est amenée à statuer dans l'urgence.
L'énumération qui figure présentement dans le projet pourrait alors être insérée à titre d'exemple dans les travaux parlementaires.
En effet, on peut souligner une fois encore ici que la Cour de cassation et le Conseil d'État sont traités avec plus de rigueur que les autres juridictions (151).
F.2. Lorsqu'un juge doit statuer dans l'urgence, une question préjudicielle ne devrait pas entraîner de retard sérieux, sans quoi elle deviendrait un moyen dilatoire permettant d'allonger la procédure et de priver l'urgence de toute signification.
En pareil cas, une question préjudicielle devrait aussi être traitée en urgence par la Cour d'arbitrage et la Cour elle-même devrait pouvoir connaître déjà d'une apparence d'inconstitutionnalité, de manière telle qu'en cas de confirmation, des mesures conservatoires provisoires puissent être prises.
La question formulée au F.2.3. peut dès lors aussi faire l'objet d'une réponse positive.
Il est préférable de faire juger de l'apparence d'inconstitutionnalité par la Cour d'arbitrage plutôt que par le juge du fond.
Sans cela, le risque existe que les juges de cours et tribunaux différents ne se contredisent sur la constitutionnalité d'une disposition (par exemple le Conseil d'État reconnaîtrait une apparence d'inconstitutionnalité qui serait ensuite mise à néant par la Cour d'arbitrage).
G. Divers et remarques techniques
Les corrections de texte suggérées au G.1. et au G.2. sont jugées correctes par l'auditeur général.
G.3. Il est recommandé de faire référence aussi dans le texte du projet au rapport complémentaire et de déterminer quel doit être le contenu du rapport (par exemple, le rapport contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens; il contient aussi une analyse des moyens et un avis sur la recevabilité et le bien-fondé du recours en annulation ou de la question préjudicielle).
Il conviendrait également que le rapport (de même que le rapport complémentaire) soit notifié aux parties.
Le projet prévoit seulement la possibilité d'une consultation au greffe durant les quinze jours précédant l'audience.
Outre que ce délai est effectivement très court, la question se pose de savoir pourquoi le rapport n'est pas notifié aux parties (comme cela est du reste prévu aux articles 71 et 72, alinéa 2, de la loi spéciale, les parties disposant encore de quinze jours pour introduire un mémoire justificatif).
Il est à craindre que la réglementation proposée n'entre en conflit avec la jurisprudence stricte de la CEDH (158) : les parties doivent encore pouvoir répondre aux conclusions du juge rapporteur; elles doivent aussi se voir notifier le rapport complet, en ce compris la solution proposée.
G.4. Il est répondu clairement à cette remarque dans l'exposé des motifs, p. 9, article 6.
G.5. La disposition transitoire pour les affaires pendantes peut assurément se défendre. Il ne suffit pas d'abroger l'article 124 de la loi spéciale; cet article réglait en effet le passage de la loi de 1983 à la loi de 1989. À présent, il s'agit d'organiser le passage de la loi de 1989 à la loi spéciale en projet. À défaut, les nouvelles dispositions s'appliqueront immédiatement aux affaires en cours, c'est-à-dire celles qui ont été intentées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.
5.3. M. Michel Melchior, président de la Cour d'arbitrage
M. Melchior souligne que la Cour d'arbitrage voit dans le projet d'extension des ses compétences la reconnaissance de son intégration réussie dans le système constitutionnel et juridictionnel de la Belgique.
Si on laisse de côté provisoirement les questions suscitées par le projet d'insertion de l'article 32bis dans le titre II de la Constitution, force est de constater qu'en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, le projet de loi est réellement de nature à simplifier le contact du citoyen et du juge avec la Cour d'arbitrage. Actuellement, la Cour assure déjà le respect des droits fondamentaux du titre II, mais dans le cadre du contrôle de la conformité des lois au principe d'égalité et de non discrimination. Intellectuellement, le processus est un peu compliqué.
À titre d'exemple, la Cour d'arbitrage vient de rendre un arrêt à propos de la situation du failli qui, selon l'ancienne loi sur les faillites, était désaisi complètement de ses biens. Il y a là une limitation du droit de propriété dont la Cour ne peut connaître. Mais en comparant la situation du failli et celle du salarié dont, en vertu de certaines dispositions du Code judiciaire, une partie du salaire est insaisissable, la Cour a pu déclarer que l'article 544 de la loi était contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le droit à la propriété.
Avec l'adoption du projet de loi, il ne sera plus nécessaire de traduire dans le langage des articles 10 et 11 de la Constitution les atteintes prétendues à des droits fondamentaux du titre II.
À cet égard, la modification des compétences envisagée est plus apparente que réelle.
Les questions A ayant trait à la constitutionnalité de la proposition de révision du titre II de la Constitution, le président de la Cour d'arbitrage estime qu'il appartient au constituant lui-même de trancher ces questions.
Les questions B envisagent la situation juridique résultant de l'insertion de l'article 32bis et de l'extension des compétences de la Cour d'arbitrage. L'orateur tente d'y apporter une réponse globale.
À l'heure actuelle, la Cour d'arbitrage exerce un contrôle indirect, via les articles 10 et 11 de la Constitution, des droits et libertés garantis par la CEDH ou le Pacte ONU sur les droits civils et politiques. Mais le contrôle direct de la conformité des lois et décrets aux dispositions de la CEDH substituera un contrôle unique et centralisé au contrôle diffus résultant de la mise en oeuvre de la jurisprudence Le Ski de 1971.
Compte tenu de la spécificité de la procédure devant la Cour d'arbitrage, faisant intervenir les gouvernements et, éventuellement, les présidents d'assemblées, le nouveau système est de nature à garantir une meilleure protection, une meilleure défense procédurale de la loi que ce n'est le cas actuellement.
De plus, l'uniformité de l'interprétation de la CEDH sera assurée au niveau belge, en tout cas en ce qui concerne les lois et décrets, ce qui constitue l'essentiel de la législation.
Le régime envisagé comporte néanmoins des inconvénients.
Parallèlement à l'allongement de la durée du traitement des affaires devant les juridictions ordinaires, la Cour d'arbitrage va devoir faire face à une augmentation du nombre de questions préjudicielles. Il devrait toutefois pouvoir être remédié à ce problème par le recours accrû aux procédures de filtrage. En outre, cette augmentation pourrait être atténuée si l'on supprimait l'obligation pour la Cour de cassation et le Conseil d'État de poser une question préjudicielle lorsque la Cour d'arbitrage s'est déjà prononcée sur une question ayant le même objet.
Un autre inconvénient réside dans la suppression de la compétence des juridictions ordinaires de contrôler les lois par rapport aux dispositions de la CEDH. Toutefois, si ce changement est susceptible de créer une certaine tension, il n'est pas pour autant contraire au principe constitutionnel qui se dégage de l'arrêt Le Ski. L'arrêt Le Ski affirme la primauté sur les normes de droit interne, des dispositions de droit international ayant effet direct, mais il ne prescrit pas la technique à utiliser pour assurer cette primauté.
Enfin, la CEDH étant seule visée, l'on peut craindre que les juridictions ne soient tentées de contourner les conséquences de l'article 32bis, en contrôlant la loi par rapport aux dispositions correspondantes du Pacte ONU relatif aux droits civils et politiques. Mais n'est-ce pas là un procès d'intentions ? L'article 26 du Pacte ONU consacre un principe d'égalité et de non discrimination en toute matière. Or, actuellement, on peut constater que les juridictions n'exercent en général pas leur contrôle par rapport à cet article, mais bien par rapport aux dispositions de la Constitution.
En tout état de cause, la Belgique doit respecter la jurisprudence Simmenthal de la Cour de Justice des Communautés européennes. En adoptant les modifications envisagées, la Belgique se trouverait dans une situation comparable à celle de l'Italie, situation qui n'est pas du tout incohérente.
La question C concerne l'extension de la compétence de la Cour au contrôle du respect d'autres dispositions que celles prévues par le projet de loi. Le projet de loi mentionne l'article 172, dont le premier alinéa consacre l'égalité en matière d'impôts et le second alinéa prévoit que toute limitation en matière d'impôt doit résulter d'une loi. Par là, un contrôle de la légalité serait confié à la Cour.
Compte tenu de la jurisprudence de la Cour, M. Melchior pense qu'il serait utile d'y ajouter l'article 170, car c'est aussi un droit fondamental que de n'être soumis à l'impôt que par une assemblée élue. Son appréciation ne va pas au-delà.
À la question D.2. (épuisement des voies de recours internes), M. Melchior fait observer que c'est à la Cour de Strasbourg qu'il appartient de décider si la question préjudicielle à la Cour d'arbitrage fait partie des voies de recours internes à épuiser avant de pouvoir saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt du 28 septembre 1995, Spadea et Scalabrino c/ Italie, rendu à propos de questions préjudicielles posées à la Cour constitutionnelle italienne, la Cour européenne a en tout cas décidé que ce recours préjudiciel ne devait pas nécessairement être exercé préalablement à sa saisine.
Au sujet de la question D.3., M. Melchior estime qu'il serait en effet très utile de reconnaître la compétence de la Cour d'arbitrage de régler les effets dans le temps des arrêts préjudiciels, par analogie avec ce que prévoit l'article 8 de la loi pour les arrêts d'annulation. Certes, les arrêts préjudiciels n'ont en principe qu'une autorité relative de chose jugée, mais c'est une autorité relative particulièrement renforcée.
La Cour de Justice des Communautés européennes a elle-même été amenée à limiter dans le temps, de manière prétorienne, les effets de ses arrêts sur question préjudicielle alors que ce n'était pas prévu par les textes.
La question E relative au contrôle des lois d'assentiment aux traités internationaux pouvant être posée un jour à la Cour, le devoir de réserve interdit au président de celle-ci d'y répondre.
En ce qui concerne les lois d'assentiment à la CEDH, l'orateur remarque toutefois qu'il est vrai qu'en 1994, la Cour a contrôlé la loi d'assentiment à la CEDH en ce qui concerne l'article 6, mais ce contrôle n'était pas exclu à l'époque. D'autre part, si l'article 32bis est adopté, la norme conventionnelle deviendra une norme de référence et il est normal que la norme de référence ne soit pas contrôlable. Sur les lois d'assentiment aux traités constituants des communautés européennes, la Cour ne s'est jamais prononcée.
Quant aux procédures d'urgence abordées aux questions F, M. Melchior rappelle que la Cour d'arbitrage a communiqué une liste de propositions d'adaptations techniques de la loi sur la Cour d'arbitrage.
Pour conclure, l'orateur insiste sur le fait que et c'est le sentiment profond de la Cour d'arbitrage l'augmentation probable du nombre d'affaires ne doit pas conduire à l'augmentation du nombre de juges ni à la constitution de deux chambres. Il y va du maintien de l'unité de la jurisprudence ainsi que de l'efficacité de la méthode de travail mise au point par la Cour d'arbitrage depuis 1984.
5.4. M. Alex Arts, président de la Cour d'arbitrage
On peut considérer le projet de loi spéciale visant à étendre la compétence de la Cour d'arbitrage comme une forme de reconnaissance et d'appréciation pour une institution relativement jeune.
La Cour a pour souci principal de continuer, même en cas d'extension de ses compétences, à rendre des arrêts de qualité, afin que sa jurisprudence puisse être durablement acceptée, tant au niveau juridique que par la société.
Il est extrêmement délicat, pour le président de la Cour d'arbitrage, de prendre position dans les controverses cachées dans les questions rédigées par les services du Sénat, dans la mesure où ces controverses pourraient aussi faire l'objet de litiges sur lesquels la Cour devrait se prononcer ultérieurement. Les parties pourraient dans ce cas faire référence aux opinions et/ou interprétations rendues par un président, même s'il l'a fait in tempore non suspecto (et qui auraient pu éventuellement influencer le législateur), alors que ce même président participerait au processus décisionnel menant à l'élaboration d'arrêts et dans lequel il est tenu d'appliquer les textes concernés.
C'est pour ces raisons que les présidents de la Cour sont réticents à répondre aux questions posées.
a) Selon la note explicative jointe à la proposition de révision de la Constitution, l'objectif est d'étendre la compétence de la Cour d'arbitrage de manière à ce qu'elle puisse contrôler la conformité de notre législation directement à la lumière des droits et libertés garantis par la CEDH, plus particulièrement de « certaines dispositions qu'on ne retrouve pas ou pas explicitement dans la Constitution belge » (159). Par le biais de l'article 32bis proposé, on complète donc le catalogue des droits fondamentaux, tel qu'il figure actuellement dans la Constitution, par une série de droits fondamentaux inscrits dans la CEDH.
b)Selon l'exposé des motifs joint au projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, cette extension des compétences de la Cour au contrôle direct de conformité des normes à l'ensemble des dispositions du titre II de la Constitution y compris l'article 32bis proposé « conduira à assurer une plus grande unité dans la détermination de la portée » (160) de ces droits fondamentaux.
Abstraction faite des objections en matière de constitutionnalité, il n'y a pas de doute que la construction proposée, pour autant qu'elle soit votée permettra à la Cour d'arbitrage de développer une jurisprudence centrale et uniforme en matière de droits fondamentaux. À cet égard, il ne faut pas oublier que la Cour européenne des droits de l'homme veille à l'application uniforme de la CEDH.
Avant d'adopter la réforme proposée, le constituant et le législateur spécial doivent toutefois s'interroger quant à l'importance capitale pour le citoyen et notre système juridique de disposer de pareille interprétation uniforme.
Il convient de souligner que la Cour d'arbitrage inclut presque toujours dans son contrôle de la conformité et ce, à la demande des parties ou d'office les droits fondamentaux garantis par la CEDH et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais toujours dans l'optique de leur connexité avec le principe d'égalité et de non-discrimination qui figure aux articles 10 et 11 de la Constitution. Si la Cour conclut qu'un acte législatif n'est pas conforme à une disposition de la CEDH, elle annulera cet acte pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en corrélation avec la disposition y afférente de la CEDH. Autrement dit, la Cour d'arbitrage procède déjà au contrôle de la conformité aux dispositions de la CEDH, par le truchement toutefois des articles 10, 11 et 24 de la Constitution.
La question qui se posera forcément à cet égard est de savoir s'il existe, entre les diverses juridictions, et plus particulièrement entre la Cour de cassation, le Conseil d'État et la Cour d'arbitrage, des dissensions en ce qui concerne le contrôle de la conformité des actes législatifs à la CEDH. En d'autres termes, les interprétations que ces institutions donnent de la CEDH sont-elles divergentes ? Dans l'affirmative, il faudra en tirer les conclusions qui s'imposent. Dans la négative, il y a lieu de se demander quelle est l'utilité de la réforme proposée à la lumière des différents problèmes qu'elle entraîne, le président faisant abstraction des objections constitutionnelles et des autres objections purement juridiques que la réforme suscite et qu'il ne souhaite pas approfondir.
Selon l'exposé des motifs joint au projet de loi spéciale, l'extension des compétences y compris ou sans l'article 32bis proposé de la Constitution « aura certainement pour effet d'augmenter le nombre d'affaires portées devant la Cour d'arbitrage. » (161). Cette affirmation soulève évidemment la question de l'ampleur de cette augmentation. Un afflux massif d'affaires ne risque-t-il pas d'avoir un effet désorganisateur sur le fonctionnement de la Cour ? Celle-ci préférerait ne pas être confrontée à des difficultés sur ce plan.
Pour répondre à l'augmentation considérable du nombre d'affaires qui est escomptée, le projet de loi spéciale prévoit de porter le nombre de référendaires de 14 à 24.
La Cour d'arbitrage apprécie la collaboration des référendaires et se réjouit de l'extension prévue de son cadre du personnel. Aussi insiste-t-elle pour que l'on modifie la loi ordinaire sur la Cour d'arbitrage dans le but d'aligner la carrière pécuniaire de ses référendaires sur celle des référendaires du Conseil d'État. Elle demande également à pouvoir bénéficier de toute la liberté nécessaire pour ce qui est de son organisation interne et à ne pas être obligée, comme le prévoit le commentaire de l'article 6 proposé, « d'adjoindre deux référendaires à chaque juge » (question G.4.).
L'extension des compétences proposées nécessitera également une extension du cadre du personnel en vue de renforcer le service linguistique, le service de la documentation et les services administratifs. Dans le prolongement de cette extension, il faudra également prévoir des installations supplémentaires pour héberger ce personnel.
Les présidents de la Cour d'arbitrage ont remis à la commission une note contenant des propositions visant à apporter des adaptations techniques aux lois sur la Cour d'arbitrage (cf. les annexes). Ces propositions visent à réduire la pression du travail, sans pour autant rien changer aux exigences de qualité ni restreindre de manière déraisonnable les droits des parties. Certaines de ces propositions concernent des points qui figurent dans le questionnaire rédigé par les services du Sénat. Certaines d'entre elles sont commentées ci-après.
a) La Cour d'arbitrage demande avec insistance qu'elle soit déclarée compétente pour régler les conséquences de ses arrêts dans le temps, en ce qui concerne non seulement les arrêts d'annulation, mais aussi les arrêts rendus sur une question préjudicielle et constatant une violation (question D.3.1.). Peut-être pourra-t-on éviter qu'à la suite d'un arrêt de la Cour, rendu sur une question préjudicielle, l'État belge ne soit rendu responsable du fait qu'un acte législatif ayant effet depuis assez longtemps déjà constitue une violation de la Constitution. Il semble en effet qu'il y ait une tendance croissante, dans les juridictions inférieures, à donner suite à l'action en réparation d'un dommage qu'une personne prétend avoir subi à la suite de l'application d'une loi que la Cour d'arbitrage a déclarée non conforme à la Constitution. La possibilité de limiter dans le temps les conséquences d'un arrêt rendu sur une question préjudicielle serait bénéfique pour la jurisprudence de la Cour et lui permettrait de procéder de manière conséquente au contrôle de la conformité, sans devoir tenir compte des effets catastrophiques qui lui seraient reprochés si elle devait conclure à une violation.
b) En ce qui concerne les questions préjudicielles posées dans le cadre d'une procédure d'urgence (questions figurant au point F), la Cour d'arbitrage propose, à l'article 4 du projet, de décharger sans autres conditions, en cas de référé ou de référé administratif, le juge de l'obligation de poser une question préjudicielle.
Quant au reste, on peut néanmoins se poser la question de savoir s'il ne faudrait pas conseiller au juge des référés de suivre la doctrine qui figure dans l'arrêt Waleffe rendu par la Cour de cassation le 20 avril 1950 et selon laquelle, si une disposition de loi est susceptible d'être interprétée de deux manières différentes, il convient d'opter pour l'interprétation qui est conforme à la Constitution.
c) Pour limiter l'afflux d'affaires, il faudrait peut-être prévoir de nouvelles procédures de filtrage (question D.1.1.). La Cour d'arbitrage propose d'adapter le chapitre II existant « De la procédure préliminaire » de la loi spéciale (art. 69 et suivants), de sorte que l'on puisse également appliquer d'une manière adéquate la procédure rapide qui y est prévue dans le cas des questions préjudicielles « si, de par la nature de l'affaire ou de par la simplicité relative des problèmes qui y sont soulevés, on peut y mettre fin par un arrêt de réponse immédiate ». En plus des cas prévus dans la loi, de la nature manifestement irrecevable et non fondée du recours ou de la question, un certain nombre d'autres cas se présentent en pratique lors de l'examen des questions préjducielles auxquels on pourrait mettre fin par un arrêt de réponse immédiate, par exemple lorsqu'un juge se trompe complètement. Il est souhaitable que la Cour ne doive pas invoquer son pouvoir prétorien pour rendre pareil arrêt, mais qu'elle y soit habilitée par la loi. Si les conclusions des juges-rapporteurs proposent de constater une violation, elles devraient également être notifiées aux « parties mentionnées à l'article 76 » (soit le Conseil des ministres, les gouvernements des entités fédérées et les présidents de toutes les assemblées législatives), de sorte que ces parties institutionnelles puissent déposer un mémoire en défense de la norme concernée.
d) L'article 103, alinéa 2, proposé de la loi spéciale (art. 7 du projet) prévoit que les parties peuvent, pendant un délai de quinze jours précédant l'audience consulter le dossier et le rapport des rapporteurs au greffe (question G.3.). Cette disposition a probablement été prévue parce qu'on craignait que l'absence de cette possibilité ne soit considérée par la Cour européenne des droits de l'homme comme contraire au principe, garanti à l'article 6, du procès équitable et, particulièrement, de la procédure contradictoire.
Quel est cependant le contenu de ce rapport ? À cet égard, l'article 106, alinéa 1er, de la loi spéciale prévoit qu'à l'audience, le rapporteur appartenant au groupe dont la langue est celle de l'instruction résume les faits de la cause et indique les questions juridiques que la Cour doit résoudre. On ne peut donc aucunement comparer ce rapport aux avis qui sont rédigés par l'auditorat du Conseil d'État. Le juge-rapporteur ne peut, sous aucun prétexte, adopter une position en ce qui concerne la recevabilité ou la nature fondée du recours ou de la question préjudicielle. Il doit se limiter à faire état des faits qui fondent l'affaire, des dispositions légales qui s'y appliquent et des points de vue des parties. Il ne faut dès lors pas surestimer l'importance de ce rapport.
La consultation du rapport complémentaire ne pose aucun problème. L'article 106, alinéa 2, prévoit que le rapporteur appartenant à l'autre groupe linguistique peut, le cas échéant, faire un rapport complémentaire. Cela signifie en pratique, mis à part de rares exceptions, que ce rapporteur souscrit au rapport établi par son collègue.
La valeur de ces rapports est donc très relative. À l'égard des parties, ils constituent la confirmation que la procédure a été suivie et indiquent quelles questions juridiques sont en cause.
Eu égard à tous les délais prévus dans la loi spéciale en vue de garantir le caractère contradictoire de la procédure écrite, il faut six mois pour qu'une affaire puisse être mise en état. Afin d'encore mieux garantir ce caractère contradictoire, la Cour d'arbitrage propose de donner un fondement légal à une pratique prétorienne de la Cour. Lorsque la Cour a encore des questions au moment de rendre l'ordonnance de mise en état, les parties sont invitées, dans l'ordonnance qui leur est notifiée, à y répondre dans un mémoire supplémentaire ou à l'audience.
Cette procédure permet de bien mieux garantir le caractère contradictoire que la possibilité de prendre connaissance d'un rapport formel qui, en pratique, ne sera pas consulté. Non seulement elle rend inutile le dépôt d'un rapport consultable par les parties, mais encore elle évite que les parties ne contestent le contenu dudit rapport.
e) Finissons brièvement par quelques mots sur les délibérations de la Cour d'arbitrage. Sur ce plan, on peut établir un parallèle entre la Cour d'arbitrage et les assemblées législatives, qui est dû probablement à la composition spécifique de la Cour, laquelle est constituée de juges ayant exercé un mandat parlementaire.
Dans les assemblées parlementaires, des propositions ou des projets de loi, commentés par leurs auteurs, sont soumis à examen et à discussion en commission (admettons, pour la comparaison, qu'il s'agisse d'une commission se réunissant à huit clos). Au cours de la discussion générale et de la discussion des articles, des arguments sont avancés de part et d'autre dans le but d'arriver à un consensus ou, à tout le moins, à une opinion remportant les suffrages de la majorité, ainsi qu'à un texte pouvant faire l'objet d'amendements tant linguistiques que portant sur le contenu.
La Cour d'arbitrage s'est fait sienne cette méthode de travail. La Cour est en effet appelée à contrôler la conformité d'actes législatifs établis par des organes élus démocratiquement et à les annuler éventuellement. Pareille décision importante ne peut être prise qu'après un examen approfondi du dossier sous tous les angles. La procédure parlementaire constitue une garantie en la matière. Comment la Cour d'arbitrage procède-t-elle ?
À la Cour d'arbitrage, les projets d'arrêts sont établis par les juges-rapporteurs et leurs référendaires. Ces projets d'arrêts sont rarement adoptés ne varietur. Au cours des délibérations restreintes rassemblant 7 ou 12 juges, le projet est commenté par les juges-rapporteurs et examiné lors d'une discussion générale et d'une « discussion des motifs » ponctuelle. Des arguments sont avancés de part et d'autre dans le but d'arriver à un consensus ou, à tout le moins, à une opinion remportant les suffrages de la majorité, ainsi qu'à un texte pouvant faire l'objet d'amendements tant linguistiques que portant sur le contenu. Cela a pour conséquence que la motivation est parfois rédigée de telle manière qu'elle n'est pas tout à fait dans le droit fil de la conclusion finale ou qu'elle est pour ainsi dire quelque peu en retrait par rapport à elle. La Cour indique ainsi au législateur, aux parties ou au juge que l'arrêt doit être interprété d'une manière restrictive.
Cette procédure s'impose d'autant plus dans le cas d'un contrôle marginal de la conformité par le biais du principe de la proportionnalité et de la motivation y afférente, contrôle qui implique une évaluation délicate par rapport à des valeurs et à des droits fondamentaux. Aussi faut-il d'ordinaire plus d'une seule délibération pour arriver à une décision et à l'élaboration du texte final d'un arrêt.
La Cour d'arbitrage espère pouvoir maintenir cette procédure dans l'intérêt tant de la qualité juridique de ses arrêts que de leur acceptation par la société. La Cour est en effet consciente du fait que sa mission ne se limite pas à examiner des dossiers concernant des faits mais consiste à évaluer le travail d'assemblées qui bénéficient d'une légitimité démocratique à la lumière des disposition répartitrices de compétences et des articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Dans cette matière, la quantité est bien entendu l'ennemie de la qualité.
Si la compétence de la Cour d'arbitrage en matière de contrôle de la conformité est étendue, il est fort douteux que la Cour puisse continuer à se conformer aux normes élevées qu'elle s'impose, au cas où le délai maximum dans lequel elle doit rendre ses arrêts serait réduit de dix-huit à douze mois, comme le prévoit l'article 8 du projet de loi spéciale.
Cela implique qu'il n'est pas souhaitable d'accorder à la Cour d'arbitrage une compétence générale en matière de contrôle de la conformité. Ce point de vue, que le président M. Arts partage entièrement, a été traduit par le président émérite Henri Boel de la manière suivante dans une interview publiée dans Jura Falconis :
« Si les juridictions n'étaient plus compétentes pour contrôler la conformité des normes législatives à la CEDH, le risque serait réel que la Cour soit inondée d'un grand nombre d'affaires, à la suite, en particulier, de questions préjudicielles que les juridictions, précédemment compétentes en la matière, seraient obligées de poser. On peut se demander si la Cour d'arbitrage pourrait, dans ce cas, se maintenir dans la position enviable qui est la sienne en ce qui concerne la rapidité relative du règlement des affaires. De plus, une extension du nombre de juges et la création de deux chambres ou plus au sein de la Cour ne seraient pas une bonne chose; outre d'autres objections de nature pratique, cela compromettrait inévitablement l'unité de la jurisprudence, si essentielle pour une cour constitutionnelle. Dans l'optique de la protection juridique, pareille concentration ne serait pas non plus une bonne chose : le temps nécessaire pour répondre dans cette hypothèse à l'afflux massif de questions préjudicielles obligatoires ne ferait qu'allonger les procédures. Il vaudrait dès lors mieux se limiter à une éventuelle extension du contrôle de la conformité au titre II de la Constitution, qu'il serait d'ailleurs préférable de mettre à jour. (162) »
Mme Nathalie de T' Serclaes aimerait connaître l'avis des présidents de la Cour d'arbitrage sur l'utilité d'insérer dans la Constitution une disposition faisant référence à un traité déjà applicable dans l'ordre juridique belge, ceci d'autant plus que cette disposition se limitera à la CEDH, alors qu'il existe beaucoup d'autres traités relatifs aux droits de l'homme.
M. Melchior, président de la Cour d'arbitrage, rappelle que l'insertion dans la Constitution de la seule CEDH résulte d'un choix politique fait par le préconstituant. D'autre part, l'insertion de l'article 32bis vient véritablement compléter la Constitution car la CEDH garantit des droits beaucoup plus nombreux que ceux inscrits dans la Constitution. Certes, cette insertion n'est pas indispensable, dans la mesure où le droit international ayant effet direct trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique interne, mais la démarche est rationnelle.
Le vice-premier ministre ajoute que, pour le moment, la Cour d'arbitrage ne peut invoquer la CEDH que par voie indirecte, par le biais du contrôle du respect de l'égalité et de la non discrimination. Intellectuellement, la démarche est compliquée. En outre, le résultat consiste en une jurisprudence considérable sur le principe d'égalité, mais beaucoup plus modeste sur les autres droits puisque la Cour d'arbitrage est obligée de focaliser son attention sur le principe d'égalité.
D'un point de vue technique, l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage et l'insertion de la CEDH dans la Constitution aura pour effet d'obtenir une jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur les droits et libertés formulée beaucoup plus logiquement.
Actuellement, l'obligation de construire le raisonnement autour des articles 10 et 11 de la Constitution limite forcément le contenu de la jurisprudence sur les droits et libertés. Ainsi, si la Cour est amenée à contrôler le respect du droit de propriété en comparant la situation de catégories de personnes soumises à des saisies, elle peut conclure à une discrimination dans la manière dont il est porté atteinte au droit de propriété, mais cela n'équivaut pas à dire que toute saisie, toute atteinte au droit de propriété est interdite.
M. Arts, président de la Cour d'arbitrage, fait remarquer que si l'on étend le pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage au titre II de la Constitution sans y incorporer la CEDH par le biais de l'article 32bis, la Cour pourra continuer comme actuellement à contrôler la conformité des normes ayant force de loi aux droits fondamentaux définis dans ce titre, lu en combinaison avec les droits correspondants garantis par la CEDH et le PIDCP. Ceci répond à l'argument selon lequel une violation de ces traités qui prévoient pour certains droits une protection plus étendue que celle garantie par la Constitution belge, ne pourrait pas dans l'hypothèse envisagée ci-dessus être soulevée directement devant la Cour d'arbitrage. Par la méthode de la lecture combinée, la Cour intégrera ces dispositions dans le contrôle qu'elle exerce. Dès lors que l'article 23 de la Constitution, relatif aux droits fondamentaux socioéconomiques, sera érigé en critère de contrôle, rares seront encore les textes de la législation belge à échapper au contrôle direct de la Cour d'arbitrage.
Mme Nathalie de T' Serclaes remarque que l'article 23 de la Constitution consacre déjà des droits économiques et sociaux, qu'on retrouve dans la CEDH. Comment va-t-on concilier les dispositions portant sur des droits similaires ?
Le vice-premier ministre fait remarquer qu'il existe peu de dispositions consacrant des droits similaires. Généralement, la Constitution belge est plus favorable, et c'est la disposition accordant la protection la plus importante qu'il convient d'appliquer (article 53 de la CEDH).
M. Michel Barbeaux admet que le but poursuivi par la réforme est louable, mais se demande si le fait de travailler par référence, en introduisant un article 32bis renvoyant à la CEDH, n'est pas critiquable. N'eût-il pas été plus judicieux d'insérer dans la Constitution les divers droits et libertés consacrés par la CEDH, et aussi éventuellement par d'autres instruments de droit international, ce qui aurait permis un « toilettage » du titre II de la Constitution ?
Le vice-premier ministre partage tout à fait l'opinion selon laquelle il aurait été préférable de pouvoir consacrer aussi dans la Constitution les pactes ONU, mais le champ d'action est limité par la déclaration de révision de la Constitution. Il remarque accessoirement qu'il ne jugerait pas opportun par contre d'insérer le Traité international relatif aux droits de l'enfant, dans la mesure où l'effet direct de certaines de ses dispositions sont encore sujettes à discussion.
Quant au procédé de législation par référence, le ministre juge celui-ci préférable. Si l'on inscrit tous les droits explicitement selon une suite d'articles bien coordonnés, il lui semble qu'on se priverait alors d'une dynamique concrétisée notamment dans l'article 53 de la CEDH, qui prescrit d'appliquer la disposition la plus favorable. La CEDH bénéficie d'une dynamique d'interprétation qui lui est propre, grâce à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'utilisation de concepts différents, ou interprétés différemment, ne pose pas de problème puisque les protections se cumulent. Dans cette optique, la coordination des articles du titre II de la Constitution serait un appauvrissement.
Tout cela doit d'ailleurs s'envisager à la lumière de l'évolution du droit européen, en particulier de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Si cette charte devient un instrument juridique à caractère obligatoire, il faudra de toute manière revoir le titre II de la Constitution. D'immenses problèmes se poseront, et pas tellement au niveau de la Constitution belge, mais plutôt au niveau international. Quelle sera en effet la relation entre la Cour de Justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme ? Eu égard au risque de shopping juridictionnel, on arrivera immanquablement à la conclusion qu'une de ces deux instances est de trop. À cet égard, le vice-premier ministre regrette que l'on n'ait pas saisi l'occasion historique qui se présentait de faire adhérer les Communautés européennes à la CEDH. Cette lacune est toutefois compensée en partie par le fait que la Cour de Justice suit systématiquement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
À propos de la question de savoir si la réforme proposée privera la Cour de cassation et le Conseil d'État de leur compétence de contrôle de la conformité d'un acte législatif au PIDCP, par suite de la faculté de recours devant la Cour d'arbitrage contre les violations de la CEDH, M. Hugo Vandenberghe demande quel sera l'impact de l'article 32bis proposé de la Constitution sur une pratique qui existe selon lui à la Cour de cassation. Celle-ci consiste, lorsque la Cour est confrontée à un moyen de cassation fondé sur une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 14 de la CEDH et de l'article 26 du PIDCP, à renvoyer l'affaire devant la Cour d'arbitrage par le biais d'une question préjudicielle en ce qui concerne les articles 10 et 11 et à réserver sa décision sur la violation des articles 14 de la CEDH et 26 du PIDCP jusqu'à ce que la Cour d'arbitrage ait rendu son arrêt préjudiciel. Si la Cour d'arbitrage conclut à la compatibilité, la Cour de cassation se ralliera généralement à ce point de vue pour ce qui est de la conformité aux dispositions de la CEDH et du PIDCP.
Il n'est pas à exclure que les avocats changent leur fusil d'épaule à la lumière du nouvel article 32bis. Plutôt que de fonder leurs moyens de cassation sur une violation d'un article du titre II de la Constitution ou de la CEDH, ils pourraient pour éviter le contrôle de conformité par la Cour d'arbitrage appelée à statuer sur une question préjudicielle, se limiter à invoquer une violation du PIDCP. La Cour de cassation et le Conseil d'État pourront-ils objecter qu'ils ne peuvent pas appliquer le PIDCP parce qu'en vertu de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, c'est à cette dernière qu'il appartient de contrôler la conformité d'une norme législative à la CEDH ?
Selon M. Melchior, une telle réaction de la Cour de cassation ou du Conseil d'État serait logique. Ignorer l'article 32bis et l'obligation de poser une question préjudicielle et préférer effectuer un contrôle direct par rapport à d'autres instruments internationaux est une attitude qui pourrait être qualifiée de détournement de procédure.
Mme Nathalie de T' Serclaes aimerait savoir si les présidents de la Cour sont satisfaits de l'article 4, § 2, du projet de loi spéciale excluant du champ d'application des questions préjudicielles les actes d'assentiment aux traités constituants de l'Union européenne et à la CEDH.
Le vice-premier ministre souhaite connaître le point de vue des présidents de la Cour d'arbitrage sur l'opportunité de la proposition suivante, soutenue par une large majorité. Il s'agit, d'une part, de permettre à la Cour d'arbitrage, dans le cadre d'un recours en annulation, de vérifier dans un délai abrégé durant lequel un traité ne pourrait être ratifié, si en donnant leur assentiment au traité en question, les Chambres légilatives auront respecté le principe de constitutionnalité et, d'autre part, d'exclure la procédure préjudicielle une fois que la Belgique a ratifié un traité, en raison que des problèmes juridiques et politiques qu'entraînerait l'issue négative d'un contrôle de conformité sur le plan de la responsabilité internationale de la Belgique. Si, après avoir été ratifié, un traité est entré en vigueur vis-à-vis de la Belgique au niveau international et si la loi portant assentiment à ce traité est annulée ultérieurement par suite d'une procédure préjudicielle, la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités ne prévoit guère de possibilités de retrait en pareilles circonstances.
M. Melchior estime que la spécificité du droit communautaire justifie un traitement différent pour les traités constituants de l'Union européenne. L'Union européenne constitue un ordre juridique tout à fait spécifique, auquel il ne faut en rien porter atteinte. Pour la CEDH, l'exclusion s'explique par le fait qu'elle devient un instrument de référence dans la Constitution. On voit mal dès lors comment contrôler la constitutionnalité d'une disposition constitutionnelle.
Pour les autres traités internationaux, il faut être conscient de ce que certains contiennent des dispositions tout à fait discriminatoires. Faut-il permettre que le législateur fasse indirectement, en approuvant un traité, ce qu'il ne peut faire directement en votant une loi ou un décret ? Certes, la remise en cause de l'assentiment à un traité est susceptible d'affecter la stabilité des relations internationales. Mais entre la stabilité des relations internationales et l'application d'une discrimination dans l'ordre juridique interne, il faut faire un choix. Par ailleurs, les traités ne sont pas intangibles. On peut les renégocier de façon à les adapter aux exigences de non discrimination. Il y a là de toute manière un choix de société.
Mme Nathalie de T' Serclaes s'inquiète de la multiplication des recours devant la Cour d'arbitrage que risque de provoquer l'extension de compétences envisagée par le projet de loi. Le danger d'allonger encore les procédures et de gonfler l'arriéré judiciaire est bien réel.
M. Melchior objecte que la Cour exerce déjà un contrôle du respect des droits fondamentaux par le biais de la combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il pense donc que la charge de travail de la Cour ne devrait pas s'en trouver alourdie tandis que le raisonnement juridique sera désormais beaucoup plus simple et l'accès à la Cour plus aisé.
Le vice-premier ministre ajoute que le justiciable n'a pas toujours intérêt à ce que son affaire soit rapidement traitée et, que, précisément, le système proposé permettra moins de détournements de procédure. Actuellement, il est souvent possible de trouver une combinaison avec les articles 10 et 11 permettant de poser une question préjudicielle. Cette possibilité, combinée avec l'obligation pour la Cour de cassation et le Conseil d'État de poser la question préjudicielle, constitue un outil redoutable pour allonger la procédure.
M. Michel Barbeaux aimerait savoir comment M. Melchior envisage de pouvoir filtrer les questions préjudicielles pour éviter que l'obligation d'interroger la Cour ne soit source d'inefficacité dans le rendu de la justice en entraînant des retards d'au moins un an.
Si la Cour de cassation et le Conseil d'État ne sont plus obligés de poser une question préjudicielle lorsque la Cour d'arbitrage a déjà rendu un arrêt ayant le même objet, ne pourrait-on étendre cette dispense à tous les cours et tribunaux ?
M. Melchior rappelle qu'à l'heure actuelle, les autres juridictions ne sont pas tenues d'interroger la Cour d'arbitrage lorsqu'il existe déjà un arrêt tranchant une question analogue. C'est pourquoi la proposition de supprimer l'obligation de poser une question préjudicielle ne vise que la Cour de cassation et le Conseil d'État.
Par possibilités de filtrage, le président de la Cour d'arbitrage vise, par exemple, des procédures rapides applicables lorsque l'affaire ne pose pas de gros problèmes. Actuellement, déjà, l'article 72 de la loi sur la Cour d'arbitrage permet de statuer par un arrêt de réponse immédiate, notamment dans les affaires qui ont déjà fait l'objet d'une question préjudicielle, ou dont l'objet est voisin de celui d'une affaire sur laquelle la Cour a déjà statué. La procédure est malgré tout contradictoire car les rapporteurs communiquent un rapport aux parties, lesquelles peuvent introduire un mémoire justificatif. Dans certains cas, ce mémoire donne finalement lieu à la procédure ordinaire, mais nombre d'affaires peuvent quand même être réglées par cette voie rapide.
En matière de droits de l'homme, le système du « manifestement mal fondé », applicable devant la Cour de Strasbourg pourrait aisément être transposé à la Cour d'arbitrage, ce qui permettrait aussi d'éliminer bon nombre d'affaires.
1) L'introduction de la CEDH dans la Constitution
L'introduction globale de la CEDH dans la Constitution semble correspondre à la déclaration de révision de la Constitution que la préconstituante a établie (163). Cette introduction a une valeur symbolique mais permet également que les dispositions de la CEDH soient directement invoquées devant la Cour d'arbitrage et non plus via les articles 10, 11 et 24, comme cela est nécessaire actuellement. Elle permettra à la Cour d'arbitrage de développer à cet égard une jurisprudence « plus pure » et aux parties de mettre également en oeuvre une contradiction plus cohérente.
2) La constitutionnalité du mécanisme de la question préjudicielle
a) Il existe un principe général de droit constitutionnel qui prévoit que les cours et tribunaux sont tenus de faire abstraction des dispositions légales en cas de contrariété entre ces dispositions et un traité international. Ce principe trouve son origine dans l'arrêt Le Ski (164) et peut être tenu pour constant (165).
b) Comme tout principe général de droit constitutionnel, il s'agit là d'un complément à la Constitution qui doit être interprété et appliqué avec circonspection. Le constituant a considéré qu'une certaine stabilité des dispositions constitutionnelles forme une caractéristique essentielle de notre droit constitutionnel. Il en va de même des principes généraux de droit constitutionnel.
c) Il est beaucoup moins évident de répondre à la question de savoir si ce principe de droit implique également qu'aucune question préjudicielle ne peut être posée quant à la compatibilité d'une norme législative interne avec une norme législative internationale. La jurisprudence existante relative aux articles 10 et 11 de la Constitution se fonde en effet sur une autre vision. Conformément à cette jurisprudence, toute violation du principe d'égalité ou de non discrimination, quelle qu'en soit la formulation, doit conduire à une question préjudicielle à poser à la Cour d'arbitrage (166). D'ailleurs, il semble que l'on
admette plutôt la thèse selon laquelle la primauté du droit international sur le droit national suppose soit une procédure effective, soit une procédure spécifique (examen direct ou examen par la voie d'une question préjudicielle). L'obligation de poser une question préjudicielle doit alors faire l'objet d'une approche critique en fonction de l'effectivité du mécanisme.
d) Ce raisonnement connaît d'importantes dérogations en ce qui concerne le droit communautaire européen. Il appert en effet de la jurisprudence de la Cour de Justice que tout juge doit être à même, éventuellement après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de Justice, de contrôler la conformité d'une norme législative avec le droit communautaire et, en cas de contrariété, de faire abstraction de la norme de droit interne (167).
3) L'opportunité du mécanisme de la question préjudicielle
L'obligation de poser une question préjudicielle induit une plus grande unité de la jurisprudence (168). Il est toutefois apparu d'un certain nombre d'interventions que le problème de la diversité ne se pose pas de façon excessive et qu'en outre, la part de la « créativité » est limitée dans la jurisprudence. Cela constituerait donc plutôt un facteur négatif pour le développement de la jurisprudence relative aux libertés et droits fondamentaux.
L'obligation de poser une question préjudicielle causera sous sa forme absolue actuelle sans aucun doute d'importants problèmes pratiques et provoquera d'importants retards. Dans la mesure où il s'agit d'une obligation, elle peut être à l'origine d'atermoiements volontaires de la part d'une ou de plusieurs parties.
4) Le contrôle de traités internationaux
a) Actuellement, la théorie du droit est au centre d'une discussion, parfois assez houleuse (169). Il n'est pas recommandé de l'approfondir au sujet de l'avant-projet.
b) Aucune des deux « écoles » ne doute qu'un contrôle par la Cour d'arbitrage soit envisageable, voire utile, avant la ratification d'un traité.
c) La question de l'utilité d'une remise en question d'un traité par la voie d'une question préjudicielle fait l'objet d'une réponse non seulement sur le plan juridique mais également sur le plan pratique : son opportunité est remise en question vu le contexte international dans lequel la Belgique opère.
d) Il ne semble exister aucune contestation quant au fait que la mise à l'écart de la possibilité de poser des questions préjudicielles sur des normes législatives portant assentiment à un traité constitutif concernant l'Union européenne, la CEDH ou un protocole à cette convention, ne suscite aucune objection constitutionnelle.
Le vice-premier ministre formule dès lors la proposition suivante :
1. Un article 32bis nouveau est inséré dans le titre II de la Constitution.
2. La compétence de la Cour d'arbitrage est étendue à tous les droits et à toutes les libertés inscrites dans le titre II de la Constitution.
3. En cas de demande de suspension et de recours en annulation, la Cour d'arbitrage est compétente pour contrôler directement la conformité des normes législatives à toutes les dispositions du titre II, y compris à l'article 32bis.
4. Si l'incompatibilité d'une norme de droit interne avec l'article 32bis de la Constitution ou une disposition de la CEDH est soulevée devant le juge, celui-ci n'est pas obligé de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, mais il en a la faculté. Si le juge pose une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, il est lié par la décision de la Cour.
5. Si l'incompatibilité d'une norme de droit interne avec les droits et libertés énoncés au titre II de la Constitution à l'exception de l'article 32bis de la Constitution ou les articles 170, 172 ou 191 de la Constitution est soulevée devant le juge, celui-ci est tenu de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage; afin d'éviter des procédures inutiles, il est prévu que la Cour d'arbitrage ait la possibilité de prononcer un arrêt de réponse immédiate.
6. La compétence de la Cour d'arbitrage pour connaître des demandes de suspension ou des recours en annulation d'une norme législative portant assentiment à un traité international est confirmée. Il y a lieu de trouver un mécanisme permettant de reporter la ratification de traités internationaux jusqu'à l'expiration du délai prévu pour introduire un recours en annulation ou jusqu'à ce que la Cour d'arbitrage se soit prononcée sur ce recours. La possibilité a été abandonnée de poser des questions préjudicielles sur des normes législatives portant assentiment à un traité constitutif concernant l'Union européenne, la CEDH ou un protocole à cette convention.
7. Sur la base de ce qui a été relevé au cours des auditions, notamment en ce qui concerne les questions préjudicielles dans le cas de procédures en référé ou de détentions provisoires, un certain nombre de modifications techniques sont apportées.
Mme Nathalie de T' Serclaes déclare qu'à son avis, il est préférable de commencer par la discussion de la proposition insérant un article 32bis dans la Constitution et de ne discuter qu'ensuite du projet de loi spéciale élargissant la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage. À strictement parler, les deux initiatives peuvent être dissociées et l'on pourrait étendre le contrôle de conformité exercé par la Cour d'arbitrage à l'ensemble du titre II de la Constitution, sans l'article 32bis.
En ce qui concerne la proposition insérant un article 32bis dans la Constitution, plusieurs points méritent que l'on s'y attarde.
1. Il a déjà été souligné à plusieurs reprises que l'article 32bis proposé était lacunaire parce que seule la CEDH est incorporée dans la Constitution. D'autres traités à effet direct relatifs aux droits de l'homme tels que le PIDCP ainsi que la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, ne sont pas pris en compte. Or, ils méritent tout autant les honneurs de la Constitution, afin de pouvoir servir éventuellement de critère dans le cadre du contrôle de conformité exercé par la Cour d'arbitrage. Si aucun autre traité n'entre en ligne de compte, c'est pour une raison purement formelle : la déclaration de révision de la Constitution de 1999 ne mentionne que la seule CEDH. Cette limitation que le constituant doit respecter risque toutefois de causer bien des problèmes, surtout si le pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage est étendu au titre II de la Constitution. C'est pourquoi on pourrait envisager de reporter la révision proposée jusqu'à la prochaine législature, ce qui permettrait d'établir une déclaration de révision qui vise également d'autres traités à effet direct relatifs aux droits de l'homme. L'intervenante n'est pas opposée à l'article 32bis proposé en tant que tel, mais elle se demande si c'est la meilleure manière de mettre en place une protection efficace des droits fondamentaux.
2. Si l'on veut malgré tout adopter l'article 32bis, il faut se rendre compte que cela risque de créer une confusion entre plusieurs notions, dès lors que certains droits fondamentaux seront interprétés différemment selon qu'ils apparaissent dans les dispositions existantes du titre II de la Constitution, d'une part, ou dans la CEDH à laquelle l'article 32bis conférerait une valeur constitutionnelle, d'autre part (par exemple la notion de domicile). Le ministre a déclaré à ce sujet qu'en vertu de l'article 53 de la CEDH, la disposition qui doit primer est celle qui accorde la protection la plus étendue. Or, cela n'est pas aussi évident. Lorsqu'ils contrôleront la conformité d'une norme législative à un traité relatif aux droits de l'homme directement applicable autre que la CEDH, les cours et tribunaux risquent de donner à un droit fondamental une portée différente de celle que la Cour d'arbitrage lui donnerait en contrôlant la conformité de cette même norme à la CEDH. On peut se demander si cette situation est de nature à promouvoir la clarté et l'uniformité d'interprétation.
3. L'article 32bis proposé vise tant la CEDH que les protocoles additionnels à cette convention qui ont été ratifiés par l'État belge. Le ministre a précisé à ce sujet que l'article 32bis visait exclusivement les protocoles additionnels qui auront été ratifiés au moment de l'entrée en vigueur de l'article 32bis. En ce qui concerne les protocoles qui le seraient par la suite, la Cour d'arbitrage ne pourrait s'en servir comme norme de référence qu'après leur incorporation dans la Constitution. L'intervenante ne partage pas ce point de vue. Selon elle, le texte de l'article 32bis proposé ne s'oppose pas à une interprétation dynamique selon laquelle les protocoles futurs entreront de plein droit dans le champ d'application de cet article. À cela s'ajoute que la Belgique n'a, pour l'heure, pas encore ratifié deux des protocoles additionnels, à savoir le septième et le douzième. Ici aussi se pose la question de savoir si ces protocoles seront ou non couverts par l'article 32bis.
En ce qui concerne le projet de loi spéciale, l'intervenante souhaite savoir si la procédure préjudicielle devant la Cour d'arbitrage deviendra une étape obligatoire préalable à l'introduction d'un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.
M. Michel Barbeaux déclare qu'aux yeux de son groupe politique, la réforme proposée est critiquable à plusieurs égards.
1. La réforme pose des problèmes de constitutionnalité
a) L'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution, qui n'est pas ouvert à révision, ne prévoit pas l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au regard des traités internationaux : elle prévoit uniquement un contrôle par rapport à certains articles de la Constitution. Le Conseil d'État souligne que l'extension de compétence opérée par l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution qui intègre les droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme excède l'habilitation que l'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution donne au législateur spécial.
b) Comme l'a souligné le procureur général émérite J. Velu, l'extension de compétence prévue par l'article 32bis en projet est assortie d'une limitation de la compétence des cours et tribunaux, des juridictions administratives et disciplinaires. Ceux-ci se verront désormais obligés de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsque le litige en cause porte sur la compatibilité d'une norme législative avec l'article 32bis en projet. Cette obligation porte atteinte au principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les juridictions judiciaires et administratives ont le pouvoir et même le devoir d'écarter l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes directement applicables des traités internationaux principe reconnu par l'arrêt Le Ski rendu par la Cour de Cassation en 1971.
c) Enfin, il semble évident qu'à l'avenir, une modification, un ajout, voire une suppression d'un article de la Convention européenne des droits de l'homme entraînera une révision implicite de la Constitution, contraire aux principes contenus dans l'article 195 de la Constitution. La Constitution serait ainsi implicitement modifiée par une loi ordinaire, contrairement aux exigences de l'article 195. Toute ratification ultérieure d'un nouveau protocole supposerait un nouveau vote sur l'article 32bis.
2. La réforme est trop limitée
Pourquoi limiter seulement au titre II l'extension des compétences de la Cour d'arbitrage ? Il aurait été plus opportun d'étendre le contrôle de constitutionnalité des lois par la Cour d'arbitrage à l'ensemble des articles de la Constitution. La Cour d'arbitrage deviendrait une Cour constitutionnelle à part entière, permettant aux citoyens de défendre l'ensemble des droits dont ils jouissent directement ou indirectement en vertu de la Constitution.
3. La réforme est problématique (170)
a) L'insertion d'un article 32bis au titre II de la Constitution comporte un double risque :
d'une part, le risque d'engendrer de graves confusions quant au contenu des concepts selon qu'ils proviennent de la Constitution ou de la CEDH et de poser de sérieux problèmes d'imprécision : quelle disposition doit prévaloir puisque les mêmes mots ne désignent pas toujours les mêmes réalités, que l'intensité de protection diffère d'un ordre juridique à un autre, ... ?
d'autre part, le ralentissement du rythme auquel les violations de la CEDH seront sanctionnées, dès lors qu'il faudra passer par la Cour d'arbitrage pour écarter une loi contraire à la Convention. Il convient donc, comme le propose maintenant le gouvernement, de supprimer le caractère obligatoire de la procédure préjudicielle lorsqu'est en cause la compatibilité d'une norme législative avec la CEDH.
b) Se pose également la question des effets des arrêts de la Cour d'arbitrage estimant qu'il n'y pas de violation de la Convention européenne des droits de l'homme appliquée au travers de l'article 32bis. Si ces arrêts ont une autorité pour les autres juridictions, on risque d'assister à une méconnaissance par ces juridictions de la CEDH dès lors que la Cour d'arbitrage adopterait une interprétation des droits consacrés par la Convention plus restrictive que celle de la Cour de Strasbourg.
Les cours et tribunaux pourront-ils décider de ne pas appliquer la norme incriminée, en se fondant sur la conception de la Cour de Strasbourg considérant que la norme est contraire à la Convention ?
c) Cette réforme est partiellement contraire au droit communautaire.
En effet, la Convention européenne des droits de l'homme est incorporée dans le Traité de l'Union (Article 6.2 : « L'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la CEDH... ») La Cour de justice des Communautés européennes étant compétente pour interpréter le Traité de l'Union, elle est aussi compétente pour interpréter la CEDH. Sa jurisprudence relative à l'effet direct du droit communautaire s'applique donc également pour l'interprétation de la CEDH.
Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que le détour pour l'application du droit communautaire par une Cour constitutionnelle est contraire au principe d'effectivité du droit communautaire (arrêt Simmenthal). Par conséquent, le projet de loi est contraire au droit communautaire en ce qu'il impose un détour par la Cour d'arbitrage.
4. La réforme est démagogique.
La réforme propose de réduire de 18 à 12 mois le délai maximal pour prononcer un arrêt. Or, comme l'a souligné le Conseil d'Etat, l'augmentation des compétences de la Cour d'arbitrage ne peut aller de pair avec une diminution du délai. Notons également que ces délais ne sont que des délais d'ordre, c'est à dire que le non respect de ceux-ci ne peut être sanctionné, à l'inverse des délais de rigueur. Cette proposition n'engage donc en rien les juges de la Cour d'arbitrage.
M. Barbeaux conclut que :
1. l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution n'accroîtra en rien la protection des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme dont bénéficient les citoyens;
2. pour limiter les conséquences négatives d'une éventuelle insertion, il faut supprimer l'obligation de poser une question préjudicielle et limiter les effets des arrêts de rejet;
3. pour améliorer la protection des droits que les citoyens tirent de la Constitution, il faut étendre les compétences de la Cour d'arbitrage au contrôle de constitutionnalité des lois au regard de toutes les dispositions constitutionnelles.
Mme Martine Taelman constate que le grand enthousiasme avec lequel l'article 32bis proposé a été accueilli, est retombé après les auditions.
1. Dans son avis sur le projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le Conseil d'État avait déjà formulé une première réserve en se demandant si « compléter la Constitution par une disposition qui ne reconnaît pour sa part aucun droit fondamental, mais qui se réfère aux dispositions d'une convention, qui chevauche par ailleurs en partie certaines dispositions existantes de la Constitution, peut se concilier avec la déclaration de révision de la Constitution » (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 20). Les problèmes auxquels une telle coexistence peut donner lieu ont déjà été mis en lumière à plusieurs reprises ci-avant.
En ce qui concerne la conformité de l'article 32bis proposé de la Constitution à la déclaration de révision, le professeur Velaers a indiqué dans son avis qu'en vue de la réalisation de l'objectif fixé par cette déclaration, à savoir la mise en parallèle de la CEDH et du titre II de la Constitution, seules deux méthodes sont envisageables selon lui : soit chaque article du titre II de la Constitution est réécrit à la lumière de la CEDH, soit on ajoute une disposition unique incorporant dans la Constitution l'ensemble de la CEDH, avec ses droits et libertés et son système de restrictions. Étant donné que la préconstituante n'a pas déclaré chacun des articles du titre II de la Constitution ouverts à révision, la première méthode est exclue. Il ne reste donc que la seconde.
Il existe cependant une troisième méthode, qui consisterait à ne constitutionnaliser que les dispositions de la CEDH qui n'ont pas d'équivalent dans la Constitution. Cette idée tire son fondement de la procédure de révision elle-même.
La notion de « révision » procède en effet d'un ordonnancement juridique préétabli qui a été fixé par la Constituante primaire. À l'inverse du Congrès national de 1830 qui jouissait d'un pouvoir illimité du point de vue juridique, le constituant institutionnalisé est tenu par les règles contenues aux articles 195 à 198 de la Constitution (171).
Aux termes de l'article 195, alinéa 1er, de la Constitution, le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision de telles dispositions constitutionnelles qu'il désigne.
La tâche de la préconstituante consiste donc à fournir le programme de la révision au pouvoir constituant (172). En dépit du fait que la préconstituante a tendance à élargir son pouvoir en déterminant dans quel sens l'article qu'elle désigne doit être revu (173), elle remplit une mission certes limitée, mais néanmoins indispensable (174). C'est uniquement par le fait de son action que la Constitution peut ensuite être modifiée. Sa mission n'est donc pas des moindres puisqu'elle doit examiner s'il existe des motifs réels et suffisants pour éventuellement soumettre une disposition constitutionnelle à révision. Le rôle de la préconstituante est donc souvent une source de tensions dans l'exercice de la fonction constituante par le constituant; le fait que c'est la préconstituante qui désigne les dispositions ouvertes à révision, ce qui est souvent perçu comme une restriction du pouvoir du constituant étant donné que celui-ci ne peut pas modifier la Constitution sur d'autres points (175).
Bien qu'il soit loisible au constituant de modifier ou non les dispositions constitutionnelles ouvertes à révision, la modification proprement dite reste néanmoins soumise à une série de règles essentielles qui doivent être considérées comme étant de pratique constante, à savoir (176) :
la désignation des dispositions ouvertes à révision emporte que les matières relevant desdites dispositions sont soumises à révision. Si la déclaration de révision de la Constitution a trait uniquement à la révision d'un article déterminé, à une partie d'une article ou à un ajout de dispositions relatives à un sujet donné, le constituant est autorisé à procéder à la révision de l'ensemble des matières relevant des dispositions existantes.
Le constituant ne peut cependant pas remplacer des dispositions existantes par des dispositions relatives à des matières autres que celles ressortissant aux dispositions en question. Il ne peut pas davantage aller au-delà des matières désignées dans la déclaration de révision de la Constitution comme faisant l'objet des nouvelles dispositions constitutionnelles.
Autrement dit, pour ce qui est des nouvelles dispositions à insérer, le constituant est limité par le sujet indiqué dans la déclaration de révision et il ne peut pas délibérer d'un autre sujet sans entrer en conflit avec la Constitution;
les travaux préparatoires de la déclaration de révision de la Constitution n'engagent pas le constituant. Cela vaut tant pour les motifs qui ont amené la préconstituante à juger qu'il y avait lieu à révision, que pour les objectifs en vue desquels l'habilitation est conférée. Une fois qu'une disposition a été déclarée ouverte à révision, le constituant décide souverainement de procéder ou non à cette révision. En cas de révision, le constituant détermine lui-même la manière d'opérer avec pour seule réserve qu'il doit tenir compte des restrictions dont sa compétence est assortie;
lorsque le constituant modifie une disposition ouverte à révision, il ne peut modifier le sens ou la portée des dispositions non soumises à révision que dans la mesure où la déclaration le prévoit;
il est communément admis, bien que ce point de vue soit contestable (177), qu'un article de la Constitution ne peut être révisé qu'une seule fois au cours de la même législature, sauf si les modifications ont trait à des dispositions différentes contenues dans cet article.
2. L'article 142, alinéa 2, 3º, de la Constitution dispose que la Cour d'arbitrage statue sur « la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134, des articles de la Constitution que la loi spéciale détermine ».
Il ressort tant des travaux parlementaires que de la portée de cette disposition qu'il ne saurait être question d'un éventuel élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage pour permettre à cette dernière de contrôler la conformité des actes législatifs à des traités inrternationaux, de telle sorte qu'elle doit se borner à contrôler leur conformité aux articles de la Constitution.
3. Le texte de la déclaration de révision crée la possibilité d'insérer dans la Constitution des dispositions nouvelles devant assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille insérer toutes les dispositions de la CEDH dans la Constitution. Il appartient au constituant de faire un choix.
4. Le problème des nouveaux droits fondamentaux, internationaux ou européens, non encore consacrés par la Constitution à déjà été évoqué dans le cadre de la déclaration du ministre selon laquelle l'article 32bis concerne la CEDH ainsi que les protocoles additionnels à cette convention ratifiés par la Belgique au moment de l'entrée en vigueur de cet article. Dans ce cas, cette date devrait être précisée dans l'article en question. Du point de vue de la technique législative, cette méthode n'est toutefois pas recommandée. De plus, elle conduira à une interprétation divergente entre la Cour européenne des droits de l'homme, qui tiendra compte des modifications apportées à la CEDH et aux nouveaux protocoles additionnels dès leur entrée en vigueur, et la Cour d'arbitrage qui se basera sur la version de la CEDH et des protocoles additionnels qui aura été incorporée dans la Constitution. La cour devra laisser de côté les modifications ultérieures de la convention ainsi que les nouveaux protocoles additionnels, tant que ceux-ci n'auront pas été intégrés dans la Constitution.
C'est pourquoi Mme Taelman annonce un amendement visant à mentionner à l'article 32bis un certain nombre de droits fondamentaux garantis par la CEDH et qui ne sont pas encore consacrés par notre Constitution.
M. Hugo Vandenberghe déclare que la réforme proposée est un pas important dans l'évolution vers le contrôle constitutionnel des actes législatifs. Pour lui, il s'agit là d'une évolution évidente qui met fin à la dichotomie du système actuel dans lequel les cours et les tribunaux ne peuvent pas contrôler la conformité des normes législatives à la Constitution, mais bien à des dispositions hiérarchiquement supérieures, de contenu similaire, figurant dans les traités internationaux directement applicables. En d'autres termes, les justiciables peuvent contester des normes ayant force de loi par le truchement du droit international, mais ils ne peuvent pas invoquer la protection garantie par la Constitution. C'est une situation contradictoire et juridiquement peu cohérente.
Il se réjouit dès lors que l'on donne à la Cour d'arbitrage le pouvoir de contrôler la conformité des normes législatives à l'ensemble des dispositions du titre II de la Constitution. Il s'agit là de la confirmation légale d'une pratique existante.
Diverses observations émises par les constitutionnalistes au cours des auditions concernant l'article 32bis proposé de la Constitution méritent que l'on s'y attarde, étant entendu qu'il ne faut pas perdre de vue que le constituant est l'interprète de la disposition constitutionnelle qu'il adopte.
M. Vandenberghe se penche ensuite sur la mise en oeuvre de la déclaration de révision du point de vue de la technique juridique.
Trois méthodes sont envisageables :
la CEDH est incorporée en bloc dans la Constitution au moyen d'un article « valise »;
toutes les dispositions du titre II de la Constitution sont réécrites à la lumière de la CEDH afin de créer ainsi un parallélisme entre les deux textes;
on se borne à incorporer dans le titre II de la Constitution les dispositions de la CEDH qui n'ont pas d'équivalent dans la Constitution.
Pour mettre en balance les avantages et les inconvénients de ces diverses méthodes, on les analysera sous les trois angles suivants : (1) la Constitution offre une meilleure protection juridique que la CEDH, (2) elle offre une protection juridique moins étendue (3) un droit fondamental n'est pas garanti par la Constitution, mais l'est par la CEDH. Pour illustrer les deux premières hypothèses, on prendra l'exemple de la protection du droit de propriété, qui est consacré par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du premier protocole de la CEDH.
1. La Constitution offre une meilleure protection juridique que la CEDH
En matière de droit de propriété, l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH a non seulement un champ d'application beaucoup plus vaste que l'article 16 de la Constitution, mais il offre en outre une protection juridique qui est globalement meilleure.
L'article 1er du premier protocole contient en fait trois normes : (1) toute personne physique ou morale a le droit de jouir paisiblement de sa propriété; (2) nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international; (3) l'usage des biens ne peut être réglementé que conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.
La première et la troisième norme n'apparaissent pas en tant que telles à l'article 16 de la Constitution. La deuxième bien. C'est d'ailleurs la seule hypothèse visée par l'article 16. Sur le plan de l'indemnisation en cas d'expropriation, ce dernier article offre cependant plus de garanties, en ce que l'indemnité doit être juste et préalable. Bien que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaisse le droit à indemnité, dans son arrêt rendu le 23 novembre 2000 dans l'affaire opposant l'ex-roi de Grèce à la Grèce, la Cour a revu sa jurisprudence antérieure en ce sens que dans des circonstances exceptionnelles une expropriation sans indemnité est possible si elle peut être justifiée par des motifs objectifs. L'ensemble des circonstances, par exemple s'il s'avère qu'une compensation a été accordée sur un autre plan, doit être pris en considération. Dans l'affaire précitée, la Cour a considéré la loi expropriant l'ex-roi de Grèce sans indemnité comme étant contraire à la deuxième norme de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH parce qu'aucun motif objectif ne justifiait l'absence d'indemnité.
Au vu de cet exemple, M. Vandenberghe souhaite bien du plaisir à quiconque voudrait insérer dans la Constitution des dispositions de la CEDH relatives à des droits fondamentaux pour certains aspects desquels la Constitution offre une meilleure protection. Dès lors qu'en vertu de l'article 53 de la CEDH, qui consacre le principe de la protection la plus étendue, la Constitution primera sur ces points, on peut s'interroger sur l'utilité et la faisabilité d'une tentative de combiner les deux régimes de manière cohérente sur la base de l'article précité.
2. La CEDH offre une meilleure protection juridique que la Constitution
En vertu de l'article 32bis proposé de la Constitution, tout justiciable pourra arguer devant la Cour d'arbitrage de la violation de l'article 1er du premier protocole à la CEDH en vue de s'assurer la protection du droit de propriété contre toute immixtion, problème auquel l'article 16 de la Constitution ne donne aucune réponse.
Dans ce cas, il se justifierait sur le plan juridique qu'une même juridiction prenne les deux dispositions conjointement comme critère.
Étant donné que les cours et tribunaux ne peuvent pas pour l'heure contrôler la conformité de normes ayant force de loi à la Constitution, mais qu'ils peuvent en vérifier la conformité à la CEDH, le risque est grand que dans l'hypothèse où la Constitution offrirait une meilleure protection que la CEDH, les justiciables ne puissent pas exciper de la violation de la Constitution devant le juge ordinaire. La cohérence juridique exige dès lors que la Constitution soit lue à la lumière de la CEDH et vice versa.
Il est en conséquence inopportun que le constituant confronte chaque article de la Constitution point par point à la CEDH pour déterminer lequel des deux textes procure la protection juridique la plus étendue et harmoniser, s'il y a lieu, l'article en question avec la CEDH. À moins de reprendre littéralement des éléments de la CEDH, cet exercice fait courir le risque que la Constitution soit dépassée au bout de cinq ans du fait qu'elle n'évoluerait pas au même rythme que la jurisprudence de la CEDH.
Ici encore la protection juridique plus étendue de la CEDH primera en vertu de l'article 53 de cette convention.
3. Certains droits fondamentaux ne sont pas garantis par la Constitution tandis qu'ils le sont par la CEDH
Aucun problème de contradiction ne se pose ici. La CEDH et surtout les protocoles additionnels sont pleinement applicables.
S'agissant de ces protocoles, on voit cependant surgir une première difficulté relevant de la technique juridique. Si l'article 32bis proposé est adopté et que de nouveaux protocoles additionnels sont ultérieurement ratifiés par une loi, on se trouvera en présence d'une modification de la Constitution par la loi ordinaire. Si, en effet, un protocole contient de nouveaux droits, il y aurait soit modification des dispositions constitutionnelles existantes, soit élargissement du champ d'application de l'article 32bis proposé.
M. Vandenberghe se rend bien compte de l'impossibilité pour le constituant de trouver une solution permettant de régler tous les problèmes évoqués ci-dessus. La jurisprudence a un rôle important à jouer à cet égard.
C'est pourquoi il soutient la thèse du gouvernement selon laquelle l'extension du pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage aux dispositions du titre II de la Constitution n'a de sens que si la CEDH peut être prise en compte aussi comme norme de référence.
Cela ne peut toutefois pas conduire et ici se pose le deuxième problème à propos duquel l'intervenant ne partage pas l'avis de M. Melchior, président de la Cour d'arbitrage à ce que le juge ordinaire n'ait plus compétence pour contrôler la conformité des normes ayant force de loi à d'autres traités internationaux directement applicables. Comme le Conseil d'État l'a déclaré explicitement, le constituant n'est pas habilité pour l'heure à retirer aux cours et tribunaux la compétence concernant le contrôle de la conformité des normes législatives aux dispositions de droit international (cf. l'avis du Conseil d'État, doc. Sénat, nº 2-897/1, point 2.3., p. 21). Par conséquent, l'adoption de l'article 32bis proposé de la Constitution ne saurait emporter que la Cour de cassation et le Conseil d'État perdent la compétence qu'ils ont de contrôler la conformité des lois, par exemple, au PIDCP ou d'appliquer le droit européen. La CEDH et le droit communautaire sont d'ailleurs très imbriqués. La Cour de justice a déclaré que les principes généraux du droit communautaire sont déterminés en partie par les traditions constitutionnelles des États membres et par la CEDH.
Reste à savoir dans quelle mesure les procédures contenues dans le projet de loi spéciale dissipent la critique précitée.
Dans sa note de réponse, le gouvernement propose une procédure préjudicielle facultative. Le juge des faits ne serait plus tenu de poser une question préjudicielle dans chaque cause, mais seulement lorsqu'il estime que des motifs suffisants le justifient. C'est une bonne chose. Une obligation générerait un afflux de questions préjudicielles souvent superflues et favoriserait les abus. Un avocat pénaliste expérimenté sait en effet que le temps de la procédure préjudicielle devant la Cour d'arbitrage est également pris en compte pour apprécier la question du délai raisonnable dans lequel un procès pénal doit avoir lieu conformément à l'article 6 de la CEDH.
De plus, rares sont les arrêts qui déclarent une loi contraire à la CEDH.
Les conditions auxquelles on pourrait avoir recours à la procédure préjudicielle facultative proposée doivent cependant être conçues de telle manière que le renvoi devant la Cour d'arbitrage d'une cause contenant des questions de droit délicates ne soit pas laissé à l'arbitraire du juge. On donnera ainsi un signal indiquant que seules les questions sérieuses relatives à l'interprétation de la Constitution ou de la CEDH peuvent être soumises à la Cour d'arbitrage. À cet égard il serait sage de s'inspirer des conditions de saisine de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (cf. les articles 30 et 43 de la CEDH).
Cette méthode est la seule qui permet de répondre à la critique relative au monopole dont la Cour d'arbitrage serait investie sur le plan du contrôle de la conformité des normes législatives à la Constitution et à la CEDH, sans porter atteinte à la compétence des cours et tribunaux habilitant ces derniers à contrôler la conformité des normes législatives aux autres traités internationaux. À la fin de la présente législature, il faudra alors évaluer si dans l'hypothèse où il serait adopté l'article 32bis de la Constitution doit être déclaré ouvert à révision afin d'y insérer une référence à d'autres traités internationaux à effet direct, tels que le PIDCP. À des fins d'homogénéité, ce dernier devra en tout cas être retenu étant donné qu'il présente un important parallélisme avec la CEDH.
En guise de conclusion, M. Vandenberghe déclare que la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation et du Conseil d'État, a joué un rôle important dans l'évolution de l'interprétation de la CEDH. Il serait dès lors regrettable que la CEDH devienne une matière dont seuls les avocats plaidant devant la Cour d'arbitrage connaîtraient encore les finesses. C'est pourquoi il pense que le mécanisme contenu dans le projet de loi spéciale va trop loin et il préconise de le modifier compte tenu de ce qui précède. Il souhaite donc connaître le point de vue du ministre concernant l'opportunité de maintenir l'obligation pour la Cour de cassation et le Conseil d'État de poser une question préjudicielle et concernant la proposition visant à élaborer à cet égard des règles analogues à celles relatives à la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme.
3.1. Constitutionnalité de la réforme
À la première critique formulée par M. Barbeaux à ce sujet, le vice-premier ministre objecte que l'article 142, alinéa 2, 3º, combiné avec l'alinéa 4, habilite le législateur, par une loi à majorité spéciale, à déterminer les articles de la Constitution au regard desquels la Cour exerce son contrôle. L'article 32bis peut donc figurer parmi les articles énumérés dans la loi spéciale.
La seule question qu'on pourrait éventuellement soulever consisterait à savoir si, par « article de la Constitution », l'on vise également une disposition se référant à un instrument international. Mais il faut rappeler que le préconstituant l'a autorisé et que le constituant lui-même, pour l'introduction des droits de l'enfant dans la Constitution, a expressément fait référence dans ses travaux à la Convention internationale sur les droits de l'enfant.
3.2. Transformation de la Cour d'arbitrage en une cour constitutionnelle à part entière
Le vice-premier ministre reconnaît la pertinence de la remarque de M. Barbeaux qui plaide pour une cour constitutionnelle à part entière, mais ni lors de la création de la Cour d'arbitrage, ni à l'heure actuelle, la création d'une cour constitutionnelle ne bénéficie du soutien d'une majorité suffisante.
La présente réforme propose une évolution limitée, mais sur laquelle il semble possible d'obtenir un consensus.
Pour aller plus loin, il faudra être sûr que toutes les réticences parlementaires auront été vaincues, afin que la Cour d'arbitrage continue d'être bien acceptée par le pouvoir législatif.
M. Michel Barbeaux souligne que l'extension de compétence de la Cour d'arbitrage constitue une évolution très positive, mais il est néanmoins regrettable que le gouvernement n'aille pas au-delà en proposant la tranformation de la Cour d'arbitrage en une véritable Cour constitutionnelle, qui serait compétente au regard de l'ensemble de la Constitution.
Le vice-premier ministre rappelle qu'est ici en cause le contrôle des actes du législateur au regard de la Constitution. L'étendue et les modalités de ce contrôle résultent de choix politiques importants qui ont une influence directe sur les rapports entre les différents pouvoirs. C'est pourquoi le ministre est d'avis que la modification d'une telle loi ne doit pas seulement recueillir l'approbation d'une majorité de deux tiers dans les assemblées, mais doit vraiment reposer sur un consensus le plus large possible.
L'introduction d'un juge constitutionnel dans notre pays ne s'est pas faite avec beaucoup d'enthousiasme. La Cour d'arbitrage a été créée par nécessité, vu l'émergence de l'État fédéral. Toutefois, son existence et sa jurisprudence ont été bien acceptées. Actuellement, l'élargissement de ses compétences de contrôle à l'ensemble du titre II de la Constitution semble faire l'objet d'un consensus, mais pas encore leur élargissement à l'ensemble de la Constitution.
M. Michel Barbeaux est d'avis, quant à lui, que beaucoup de partis seraient favorables à cette évolution. Il serait intéressant de poser explicitement la question pour savoir si une majorité des deux tiers pourrait être obtenue.
Mme Nathalie de T' Serclaes se dit convaincue que la Cour d'arbitrage deviendra un jour une véritable cour constitutionnelle, mais elle trouve qu'il faut privilégier une évolution par étapes. Le projet de loi à l'examen consacre la jurisprudence développée par la Cour d'arbitrage en l'habilitant à exercer directement un contrôle qu'elle exerçait déjà indirectement, par le détour des articles 10 et 11 de la Constitution. Il s'agit d'un pas important. Le débat sur la création d'une cour constitutionnelle se poursuivra en parallèle, jusqu'à ce que la question ait suffisamment mûri pour que le pas puisse être franchi.
M. Marcel Cheron partage cette dernière vision. La Cour d'arbitrage évolue dans une certaine direction, mais cette évolution doit se faire pas à pas et le projet de loi à l'examen traduit ce qui est actuellement possible sur le plan politique. Cette méthode progressive présente l'avantage de permettre une évaluation de la situation lors de chaque étape.
Il existe encore des réticences à l'idée de créer une cour constitutionnelle, certains craignent toujours un gouvernement des juges. Il faut pouvoir répondre à leurs arguments avant d'aller plus loin.
D'ailleurs, il faut se poser la question des moyens : adopter un amendement visant à transformer d'emblée la Cour d'arbitrage en cour constitutionnelle sans envisager d'augmentation des moyens reviendrait à manquer son objectif.
À la question de savoir comment régler le problème de la coexistence de normes aux contenus parfois différents, le vice-premier ministre répond que conformément à l'article 53 de la CEDH, c'est la disposition offrant la plus grande protection qui doit prévaloir. Par exemple, la liberté de la presse est garantie en des termes différents dans la Constitution et dans la CEDH. La liberté étant mieux protégée par la Constitution belge, c'est la disposition constitutionnelle qui devra s'appliquer. C'est la solution actuelle.
Cette coexistance de dispositions est inévitable, à moins de supprimer les dispositions actuelles de la Constitution pour les remplacer purement et simplement par celles de la Convention. Or, si la question de savoir quelle est la disposition la plus protectrice n'est pas toujours facile à résoudre, le ministre est néanmoins d'avis qu'il faut maintenir un tel système, car l'existence de dispositions distinctes, avec une terminologie différente, constitue une richesse. Une coordination des deux systeèmes aboutirait à limiter la protection.
M. Michel Barbeaux objecte que l'on pourrait harmoniser en choisissant pour chaque liberté le texte qui offre la protection la plus étendue.
Le vice-premier ministre réplique que la jurisprundence continue d'évoluer tant pour la Constitution que pour la CEDH. Opter pour un texte reviendrait à se priver à l'avenir des développements éventuels de la jurisprudence relative à l'autre texte. En outre, choisir entre l'un et l'autre texte n'est pas si évident : il faudrait en réalité ajouter l'un à l'autre. Sinon, l'on risquerait de violer soit la Constitution, soit la CEDH parce que l'on supprimerait une modalité ou une restriction du droit que la disposition écartée consacrait. Enfin, la CEDH continue d'exister et peut donner lieu à une nouvelle jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, de sorte que la disposition conventionnelle pourrait s'avérer, avec l'évolution de la jurisprudence, plus protectrice que celle de la Constitution.
Une codification n'a de sens que si elle donne lieu à un seul texte dont l'interprétation est confiée à un seul organe.
Dans cette perspective, il n'est pas faisable d'inscrire des dispositions matérielles à l'article 32bis. De plus, une telle énumérotation de droits fondamentaux serait presque immédiatement dépassée. Il ne faut pas oublier que lorsque l'on parle d'incorporer la CEDH dans l'article 32bis de la Constitution, on vise également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle a un caractère déclaratoire. Cette jurisprudence fait partie de la Convention. Il faut donc entendre par CEDH la Convention telle qu'elle est interprétée de manière évolutive par la Cour européenne des droits de l'homme, de la même manière que la Cour d'arbitrage considère la jurisprudence de la Cour de justice comme faisant partie intégrante de notre ordre juridique. Le transfert de souveraineté à l'Union européenne emporte donc le respect du caractère évolutif de la jurisprudence de cette Cour.
Il s'ensuit que si l'on intègre des dispositions de la CEDH dans la Constitution, il faudra préciser que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est également inclue, ce qui ne sera pas possible si l'on réécrit ces dispositions car la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne sera pas basée sur ces textes.
Mme Martine Taelman a proposé de ne reprendre à l'article 32bis que les dispositions de la CEDH relatives aux droits fondamentaux qui ne sont pas garantis par la Constitution ou dont la protection juridique garantie par la Constitution est moins étendue.
Le ministre pense que cette solution n'est pas non plus praticable.
Comment le constituant doit-il déterminer qu'un article de la CEDH peut faire l'objet d'un contrôle de conformité et l'autre pas ? L'exemple de M. Vandenberghe concernant la protection de la propriété illustre on ne peut plus clairement la complexité d'un tel exercice. De plus, il est juridiquement peu cohérent de faire une distinction selon que les dispositions d'un traité international ratifié par la Belgique ont ou non un équivalent dans la Constitution.
Un autre inconvénient de cette méthode est qu'elle limite la dynamique de l'interprétation de la convention. Lors de la discussion de la proposition visant à insérer dans la Constitution un article 22 relatif au respect de la vie privée, il a certes été souligné explicitement que l'on cherchait à se rattacher à la terminologie de l'article 8 de la CEDH afin de respecter la dynamique de cette convention. Mais il ne s'agissait que de quelques mots dans un seul article de la Constitution. Le ministre ne se montre donc pas partisan d'une demi-solution qui n'inscrirait que quelques dispositions de la CEDH dans la Constitution. Il défend la méthode de l'article valise parce que cette formule permttra de mieux tenir compte de l'évolution de la jurisprudence de la CEDH.
Mme Martine Taelman détecte un certain manque de logique dans les arguments que le ministre avance pour justifier son choix de la méthode de l'article valise. D'une part, il juge infaisable d'insérer des dispositions matérielles à l'article 32bis tandis que d'autre part, il cite l'article 22 de la Constitution relatif à la protection de la vie privée qui, pour partie, reprend mot à mot l'énoncé de l'article 8 de la CEDH.
Le vice-premier ministre réplique que ce sont des motifs d'ordre politique qui ont débouché sur la décision de prendre l'article 8 de la CEDH comme source d'inspiration. Lorsqu'on a proposé d'insérer à l'article 32 de la Constitution le principe de la publicité de l'administration, on a insisté de divers côtés pour que, en manière de symbole, la Constitution garantisse parallèlement la protection de la vie privée. Sur le fond, on ne voulait cependant pas intégrer dans la Constitution les dispositions de la CEDH et la jurisprudence y afférente de la Cour européenne des droits de l'homme. Des considérations de nature politique en ont cependant décidé autrement pour ce qui est de l'article 22 de la Constitution.
Quant à la question de M. Barbeaux au sujet de l'autorité des arrêts de la Cour d'arbitrage, le vice-premier ministre déclare que les cours et tribunaux doivent suivre l'interprétation de la Cour d'arbitrage, comme ils doivent suivre celle de la Cour de cassation ou du Conseil d'État. L'affaire suivra la procédure classique d'épuisement des voies de recours internes. Imaginons qu'une cour d'appel décide qu'une loi viole la CEDH : l'une des parties se pourvoit en cassation, la Cour de cassation estime que le juge a quo a mal interprété la CEDH, elle casse l'arrêt et renvoie l'affaire à une autre cour d'appel. Si celle-ci rend le même jugement et l'affaire est à nouveau renvoyée en cassation, la Cour de cassation tranche en dernier ressort. Il appartient alors au plaignant, s'ils n'est pas d'accord avec l'interprétation de la Cour de cassation de se pourvoir devant la Cour de justice de Strasbourg.
3.4. Exclusion de la compétence des cours et tribunaux permettant à ceux-ci de contrôler la conformité des normes ayant force de loi aux traités internationaux à effet direct
Selon le vice-premier ministre, il est plus que défendable d'affirmer que la préconstituante n'a pas habilité le constituant à se prononcer sur la question de savoir si l'élargissement proposé du pouvoir de contrôle de la Cour d'arbitrage peut conduire à une limitation du droit des cours et tribunaux de contrôler la conformité des normes ayant force légale aux traités internationaux à effet direct.
3.5. La CEDH et les « nouveaux » Protocoles additionnels à cette Convention
Quant au risque de révision implicite de la Constitution en violation de l'article 195 de celle-ci, le vice-premier ministre précise que l'article 32bis insérerait dans la Constitution les dispositions de la CEDH et ses Protocoles additionnels tels qu'ils sont ratifiés par la Belgique au moment de l'entrée en vigueur de cet article.
Il est recommandé de le préciser dans le texte même. Pour que la Cour d'arbitrage puisse prendre comme norme de référence les nouveaux protocoles additionnels qui seront ratifiés ultérieurement, il faudra que ceux-ci aient d'abord acquis un statut constitutionnel à l'issue d'une réforme de la Constitution. Cela implique que s'il donne son assentiment à un tel protocole, le législateur doit admettre que tant que ce protocole n'aura pas été incorporé dans la Constitution, le juge pourra ne pas appliquer la loi d'assentiment pour le motif qu'elle est contraire au droit international.
À l'heure actuelle, deux protocoles additionnels n'ont pas encore été ratifiés par la Belgique : le septième, qui concerne notamment la liberté de mouvement et de séjour et les garanties de bonne administration de la justice en matière pénale, et le douzième, relatif au principe d'égalité, qui n'ajoute rien en soi à la protection constitutionnelle conférée par les articles 10 et 11 et qui est en fait davantage une opération de rattrapage par rapport à la Constitution belge.
Mme Martine Taelman estime que le point de vue du vice-premier ministre n'est pas exempt de contradiction. D'une part, l'acte législatif portant assentiment à un nouveau protocole additionnel après adoption de l'article 32bis de la Constitution ne peut pas entraîner de révision implicite de la Constitution. En ce qui concerne ce protocole, il convient donc de suivre la procédure de révision de la Constitution prévue à l'article 195 de celle-ci. D'autre part, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a une certaine dynamique et qui sera basée notamment sur ce nouveau protocole, pourra en revanche être rapportée par la Cour d'arbitrage au contrôle qu'elle exerce, et ce par le biais de l'article 32bis de la Constitution. Comformément à l'article 53 de la CEDH, on appliquera alors le principe de la protection la plus étendue.
Le vice-premier ministre répond que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à un protocole additionnel qui a été ratifié par une loi d'assentiment mais n'a pas encore été incorporé dans la Constitution, ne peut être intégrée dans l'interprétation dynamique de la CEDH telle que celle-ci doit être appliquée par la Cour d'arbitrage lorsqu'elle exerce son contrôle de conformité. Pour cela, il faut d'abord modifier la Constitution, ce qui ne doit pas nécessairement présenter un problème majeur. Si un protocole additionnel est ratifié, la demande visant à incorporer ce protocole dans la Constitution ne posera pas de gros problèmes politiques. Cette incorporation peut prendre tout au plus quatre ans.
Par ailleurs, identifier la jurisprudence relative à ce protocole ne présente, selon lui, aucune difficulté.
Le vice-premier ministre répète que pour pouvoir respecter la dynamique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi pour des raisons pratiques, il n'est guère faisable de réécrire les dispositions du titre II de la Constitution à la lumière de la CEDH. Les problèmes exposés par M. Vandenberghe, qui surgissent lorsque l'on fait cet exercice pour le droit de propriété (article 16 de la Constitution et article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH), prennent des proportions encore plus grandes lorsqu'on s'attaque à l'article 6 de la CEDH relatif au droit à une bonne administration de la justice ou à l'article 23 de la Constitution relatif aux droits fondamentaux socio-économiques. Le seul inconvénient si l'on opte pour la méthode de l'article valise, c'est qu'il y a une certaine ambiguïté au sujet des nouveaux protocoles additionnels. Tant qu'ils ne sont pas incorporés dans la Constitution, on ne pourra pas arguer de leur violation devant la Cour d'arbitrage. Ce problème n'est pas nouveau. La violation du septième protocole additionnel ne peut pas non plus être soulevée actuellement parce que notre pays ne l'a pas encore ratifié.
M. Michel Barbeaux fait observer que l'exclusion des futurs protocoles additionnels du champ d'application de l'article 32bis aussi longtemps qu'ils ne sont pas incorporés dans la Constitution, risque de semer la confusion. En effet, les cours et tribunaux ne pourront pas poser de questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage sur ces protocoles bien qu'ils soient ratifiés par la Belgique, alors que les protocoles visés par l'article 32bis pourront bel et bien faire l'objet de cette procédure. Cela n'est pas de nature à entraîner une simplification de notre système juridique.
Le vice-premier ministre fait remarquer que le législateur doit être cohérent. Lorsqu'il ratifie un protocole additionnel, il doit faire en sorte, au moment de rédiger la déclaration de révision en tant que préconstituant, que la Constitution puisse être révisée en vue de faire entrer ce protocole dans le champ d'application de l'article 32bis.
À défaut, le protocole ayant effet direct pourra quand même être invoqué devant la Cour d'arbitrage, mais par le détour des articles 10 et 11 de la Constitution, comme dans le système actuel.
M. Michel Barbeaux fait remarquer que ce procédé peut causer des problèmes. En effet, la loi d'assentiment est une loi ordinaire tandis que la révision de la Constitution nécessite une majorité des deux tiers. Or, il n'est pas exclu qu'une loi d'assentiment ne soit pas soutenue par une telle majorité de sorte qu'une proposition de révision de la Constitution risque d'être ensuite rejetée par manque de soutien de l'opposition.
Le vice-premier ministre répond que jusqu'à ce jour, tous les protocoles additionnels ont été adoptés à l'unanimité. Les protocoles dont on pressentirait qu'ils ne recueillent pas un large consensus, ne seraient d'ailleurs pas soumis pour approbation au Parlement.
De plus, le risque est presque inexistant que la Belgique ratifie un protocole de nature à susciter des antagonismes politiques typiquement belges.
Les problèmes évoqués ci-avant concernant les futurs protocoles additionnels, et notamment ceux découlant de la lenteur avec laquelle ces protocoles seront incorporés dans la Constitution, renforcent du reste la conviction du ministre qu'il faut assouplir la procédure de révision de la Constitution. Il n'existe toutefois pas pour le moment de majorité politique suffisante pour ce faire.
Pour sa part, M. Barbeaux se prononce en faveur du maintien de l'article 195 actuel de la Constitution.
Dans le prolongement d'une observation antérieure de M. Barbeaux, Mme Martine Taelman déclare que dans la structure actuelle de l'État belge, il n'est pas aussi évident que le ministre veut le faire croire, que l'approbation d'une loi d'assentiment constitue une garantie que l'incorporation dudit traité dans la Constitution obtiendra la majorité des deux tiers requise.
C'est ainsi que l'approbation du Traité de Maastricht du 10 décembre 1991, qui accordait notamment le droit de vote aux citoyens de l'Union européenne aux élections communales dans l'État membre où ils séjournent, n'a donné lieu à aucune discussion approfondie, ni au Parlement, ni dans l'opinion publique. La modification de l'article 8 de la Constitution, le 11 décembre 1998, en vue de mettre à exécution cette obligation imposée par le traité, a cependant donné lieu à un vaste débat.
Le vice-premier ministre n'est pas d'accord avec cette manière de présenter les choses. Il y a bien eu un débat approfondi sur la question de savoir si le Traité de Maastricht pouvait être ratifié sans nécessiter une révision préalable de la Constitution, en particulier de l'article 8. Les adversaires de cette idée ont objecté que le traité en question pourrait ensuite être invoqué comme argument juridique par les partisans de l'octroi du droit de vote aux étrangers. Le Traité de Maastricht a cependant été ratifié parce que l'obligation contenue dans ce traité en matière de droit de vote n'était applicable que pour les seules élections communales du 8 octobre 2000. Et l'article 8 de la Constitution n'a été revu que le 11 décembre 1998.
3.6. Autres traités à effet direct relatifs aux droits de l'homme
Le problème du délai avec lequel les futurs protocoles additionnels à la CEDH seront intégrés dans la Constitution se posera, selon le vice-premier ministre, également pour les nouveaux traités relatifs aux droits de l'homme applicables directement. Dès leur ratification par un acte législatif, leur incorporation dans le titre II de la Constitution devra être prévue afin que la Cour d'arbitrage puisse contrôler la conformité des actes législatifs à ces traités. Ce problème est inhérent à la procédure de révision de la Constitution telle qu'elle est applicable actuellement ainsi qu'à l'interdiction de toute révision implicite de la Constitution.
Le fait que la présente proposition se limite à intégrer dans la Constitution la CEDH et les protocoles additionnels à cette convention qui ont été ratifiés par la Belgique découle du choix fait par la préconstitutante, lequel choix lie le constituant.
Trois motifs justifient le traitement privilégié accordé à la CEDH. Cette convention est tout d'abord d'effet direct. De plus, elle dispose aussi d'un mécanisme international de protection avec la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, les dispositions de cette Convention sont parallèles à celles de la Constitution. C'est pourquoi la CEDH sera déterminante dans la question de savoir quels autres traités d'effet direct relatifs aux droits de l'homme doivent être incorporés dans la Constitution.
Il est à souligner que tous les traités ne sont pas à effet direct. Le caractère immédiatement applicable de l'ensemble des dispositions de la CEDH elle-même n'est reconnu que depuis quelques années.
En ce qui concerne la question de savoir si la mention exclusive d'un seul traité relatif aux droits de l'homme à l'article 32bis ne constitue pas une base de contrôle trop étroite, le vice-premier ministre estime qu'il est clair que cet article amorce un processus dont la dynamique conduira inéluctablement à d'autres étapes. En d'autres termes, l'incorporation de la CEDH dans la Constitution n'est qu'un début. L'extension de compétence dont la Cour d'arbitrage bénéficie au fil des ans depuis sa création illustre parfaitement cette dynamique.
3.7. Obligation de poser une question préjudicielle
Sur l'obligation pour les cours et tribunaux d'interroger la Cour d'arbitrage en cas de conflit allégué avec l'article 32bis, le vice-premier ministre fait remarquer que, même si la procédure préjudicielle n'était qu'une faculté, M. Velu la jugeait aussi inconstitutionnelle, opinion qui n'était pas partagée par le professeur Velaers. En tout état de cause, la nouvelle proposition formulée par le gouvernement vise à faire de cette obligation d'interroger la Cour d'arbitrage une simple faculté.
Ceci fait disparaître l'inconvénient d'allonger la procédure, sauf dans le cas où le juge décide néanmoins d'interroger la Cour d'arbitrage, mais l'allongement de la procédure est alors compensée par l'existence d'un jugement auquel les juges pourront se référer dans d'autres cas similaires.
Il est clair qu'en dernière instance, c'est la Cour de Strasbourg qui est garante de l'unicité de la jurisprudence. Si elle rend une décision, la Cour d'arbitrage, comme par le passé, devra se conformer à son interprétation.
Le vice-premier ministre conclut qu'il faut tendre vers la plus grande rationalité possible de la procédure. C'est pourquoi il se dit partisan d'une distinction qui d'une part maintiendrait l'obligation de poser une question préjudicielle pour ce qui est des règles répartitrices de compétences, la Cour d'arbitrage étant dans cette matière l'instance tout indiquée compte tenu de sa composition spécifique et de sa compétence exclusive en la matière, et d'autre part rendrait optionnelle la procédure préjudicielle pour ce qui est des droits fondamentaux garantis par la CEDH.
3.8. Imbrication de la CEDH et du droit européen
Sur l'incorporation de la CEDH dans le Traité de l'Union européenne, le vice-premier ministre nuance d'abord cette interprétation en précisant que l'effet de l'article 6, § 2, du Traité est limité aux matières communautaires. De plus, la politique déclarée de la Cour de justice des communautés européennes est de n'accepter de procédure que s'il n'existe pas de décision de la Cour de Strasbourg sur le sujet.
Enfin, l'article 6 n'est pas une source de droit direct. Il lie l'Union européenne dans ses actes et décisions, mais il ne donne pas aux citoyens la possibilité d'invoquer directement la CEDH pour remettre en cause une loi nationale devant la Cour de Justice des Communautés européennes.
Compte tenu des auditions et des réactions des commissaires au cours de la discussion générale, le vice-premier ministre propose de procéder à un vote indicatif concernant les questions suivantes :
1. Est-il souhaitable d'insérer un article 32bis dans la Constitution ?
2. Dans l'affirmative, la possibilité d'invoquer une violation de cet article doit-elle être limitée aux recours en annulation ?
3. Dans la négative, la question préjudicielle relative aux violations de cet article doit-elle avoir un caractère facultatif ou obligatoire ?
Pour justifier cette procédure particulière, le vice-premier ministre déclare que la proposition insérant un article 32bis dans la Constitution pose des problèmes si on maintient l'obligation faite par le projet de loi spéciale aux cours et tribunaux de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur une éventuelle violation de l'article susvisé. La tendance générale en commmission est qu'une telle obligation serait contre-productive parce qu'elle engendrerait une surcharge de travail pour la Cour d'arbitrage. Les questions susvisées, en particulier les deux dernières ont pour but d'explorer différentes issues en vue de résoudre ce problème. Les réponses aux trois questions ci-dessus permettront au ministre de déterminer s'il est opportun de déposer des amendements.
M. Marcel Cheron émet quelque réserve quant à l'application de cette procédure à une proposition de révision de la Constitution. On peut se demander si cela ne compromet pas la crédibilité du Sénat. Étant donné que l'on ne voit pas clairement quelles conséquences juridiques il faut y attacher, on ne peut, à son avis, accorder à cette façon de procéder aucune valeur de précédent.
Selon le président, M. Armand De Decker, la demande du vice-premier ministre de procéder à un vote indicatif témoigne d'une grande ouverture. Par cette procédure, on renonce à une certaine tradition qui voulait que les propositions présentées au Parlement par le gouvernement soient à prendre ou à laisser.
3. Vote indicatif
À l'exception du SP.A, tous les groupes représentés à la réunion du 18 avril 2002 sont opposés à l'insertion dans la Constitution de l'article 32bis proposé.
1. Au nom du groupe VLD, Mme Iris Van Riet déclare que son groupe souhaite s'abstenir concernant l'article 32bis proposé. Par cette attitude, son groupe indique qu'il n'est pas partisan de cet article, mais qu'il est prêt en revanche à explorer d'autres pistes, en corrélation avec le projet de loi spéciale sur la Cour d'arbitrage.
2. Au nom du groupe CD&V, M. Hugo Vandenberghe dit ne voir aucun avantage à insérer l'article 32bis proposé dans la Constitution. Tout d'abord, cet article ne mentionne que la CEDH et laisse de côté le PIDCP, ce qui confère un statut juridique différent à des textes comparables. Ensuite, il n'y a aucune raison contraignante d'incorporer la CEDH dans la Constitution. M. Vandenberghe n'a connaissance d'aucun conflit où la Cour de cassation aurait écarté l'application d'une disposition légale parce qu'elle serait contraire à la CEDH. Enfin, cet article sera perçu par le pouvoir judiciaire, et en particulier par la Cour de cassation et le Conseil d'État, comme une limitation de leur compétence. Compte tenu de la répartition de l'équilibre des pouvoirs, ce n'est pas souhaitable politiquement.
3. Au nom du groupe PS, M. Jean-Marie Happart déclare que l'insertion de l'article 32bis proposé dans la Constitution n'est pas souhaitable, notamment parce qu'il entraînera un ralentissement des procédures.
4. Au nom du groupe MR, M. Philippe Monfils déclare ne pas être partisan non plus de l'article 32bis proposé. Il justifie cette position par la mention de la seule CEDH, la coexistence des droits et libertés garantis par la CEDH et de ceux déjà ancrés dans le titre II de la Constitution, le problème des modifications futures de la CEDH et des nouveaux protocoles additionnels ainsi que la rupture avec le principe général de droit constitutionnel instauré par l'arrêt « Franco-Suisse Le Ski ».
5. Au nom du SP.A, M. Guy Moens fait savoir que le vice-premier ministre a réfuté de manière concluante chacun des arguments présentés contre l'insertion de l'article 32bis de la Constitution. Il plaide donc en faveur de l'inscription dans la Constitution du principe énoncé à l'article 32bis.
6. Au nom du groupe ECOLO, M. Marcel Cheron déclare qu'il est ressorti clairement de la discussion que la proposition visant à incorporer la CEDH dans la Constitution n'était pas encore mûre.
7. Au nom du groupe AGALEV, M. Frans Lozie se rallie au point de vue selon lequel il n'est pas opportun actuellement d'insérer l'article 32bis proposé dans la Constitution.
8. Au nom du groupe cdH, M. Michel Barbeaux fait savoir qu'il a déjà exprimé clairement son opposition à l'article 32bis proposé au cours de la discussion générale et dans son amendement nº 1, qui tend à supprimer l'article 32bis proposé (doc. Sénat, nº 2-575/2). Le vote indicatif proposé revient donc à voter sur son amendement.
Compte tenu de ces points de vue, le vice-premier ministre retire la proposition de révision de la Constitution (doc. Sénat, nº 2-575/1).
Avec son accord, la commission décide de passer à la discussion des articles du projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage (doc. Sénat, nº 2-897/1).
Les articles et les amendements sont discutés dans l'ordre des articles de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage auxquels ils se rapportent. La seule exception à cette règle concerne les amendements contenant le principe de la représentation garantie des deux sexes au sein de la Cour d'arbitrage : vu leur contenu ils seront traités sous un dénominateur commun.
L'article 1er est adopté sans discussion à l'unanimité des 9 membres présents.
Amendement nº 1 de M. Michel Barbeaux; amendements nº 24 de Mme Nathalie de T' Serclaes, nº 27 du gouvernement et nº 43 de M. Hugo Vandenberghe
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à remplacer, à l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le 2º proposé, de manière à étendre les compétences de la Cour d'arbitrage à l'ensemble de la Constitution.
L'auteur de l'amendement explique que celui-ci est la concrétisation du point de vue qu'il a exprimé au cours de la discussion générale, à savoir que tout État fédéral a besoin d'une cour constitutionnelle. Il aimerait, par cet amendement, susciter un débat sur l'opportunité de transformer la Cour d'arbitrage en véritable cour constitutionnelle et connaître l'avis de tous les groupes politiques sur le sujet. Par ailleurs, une telle modification augmentant la charge de travail de la Cour d'arbitrage, M. Barbeaux a déposé un amendement nº 22 visant à éviter la réduction des délais dans lesquels la Cour doit statuer.
La présidente, Mme Martine Taelman, fait remarquer que les points de vue de la plupart des partis sont connus et qu'en outre, tous ne sont pas présents à la réunion.
M. Marcel Cheron renvoie à la déclaration qu'il a faite au cours de la discussion générale.
Mme Nathalie de T' Serclaes ajoute qu'on ne peut mener un débat aussi fondamental à l'occasion d'un simple amendement, sans procéder à une évaluation de la situation et envisager tous les enjeux et conséquences possibles.
Mme Martine Taelman déclare que son groupe politique partage l'opinion des deux précédents intervenants.
Mme Nathalie de T' Serclaes dépose un amendement nº 24 (doc. Sénat, nº 2-897/3) visant à ajouter l'article 170 de la Constitution à la liste des dispositions visées à l'article 1er, 2º, de la loi, de manière à ce que la Cour d'arbitrage puisse exercer son contrôle de manière cohérente en matière fiscale. En effet, il existe un lien étroit entre l'article 172, visé par le projet, qui garantit l'égalité des citoyens devant les charges fiscales, et l'article 170, non visé par le projet, qui consacre le principe de la légalité de l'impôt. Si l'on étend la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage à l'article 172, il y a lieu de l'étendre aussi à l'article 170.
Les amendements nº 27 du gouvernement (doc. Sénat, nº 2-897/4) et nº 43 de M. Hugo Vandenberghe (doc. Sénat, nº 2-897/4) ont le même objet.
b. Votes
L'amendement nº 1 de M. Barbeaux est rejeté par 7 voix contre 1 et 2 abstentions.
L'amendement nº 24 de Mme de T' Serclaes est adopté par 9 voix et 1 abstention.
Les amendements nºs 27 et 43 ayant le même objet, ils sont retirés par leur auteur.
L'article 2 ainsi amendé est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Amendement nº 2 de M. Michel Barbeaux
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à supprimer l'article 3 du projet de loi spéciale.
L'amendement nº 2 doit être lu à la lumière de l'amendement nº 9. L'article 3 du projet de loi propose une réouverture des délais d'annulation lorsque la Cour, saisie sur question préjudicielle, a déclaré inconstitutionnelle une disposition légale. Ce recours en annulation peut désormais aussi être introduit par les présidents des assemblées législatives à la demande de deux tiers de leurs membres ou par toute personne physique ou morale justifiant d'un intérêt. L'amendement nº 2 propose de supprimer cet article, tandis que l'amendement nº 9, insérant un article 4bis, propose que la Cour, lorsqu'elle déclare inconstitutionnelle une disposition légale suite à une question préjudicielle, annule en tout ou en partie la disposition qui fait l'objet de la question.
Actuellement, lorsque la Cour déclare, sur question préjudicielle, une disposition inconstitutionnelle, il faut attendre un recours en annulation, ce qui oblige la Cour à intervenir une seconde fois pour annuler la disposition.
L'amendement vise à simplifier la procédure et à apporter une plus grande rigueur dans notre droit, en permettant d'annuler une disposition aussitôt constatée son inconstitutionnalité.
M. Michel Barbeaux ajoute qu'il ne faut pas craindre un vide juridique qui serait dû à l'annulation immédiate car la Cour d'arbitrage se montre généralement très réaliste. Lorsqu'elle annule, elle tient compte des effets de l'annulation. Dans certains cas, elle précise que l'annulation est partielle ou qu'elle n'intervient que dans un certain délai, ce qui permet au législateur de combler le vide juridique qui résulterait éventuellement de l'annulation.
Par ailleurs, le sénateur signale qu'il convient de supprimer le second alinéa de l'article 4bis proposé par l'amendement nº 9 dans la mesure où il fait référence à l'article 32bis de la Constitution dont le projet d'insertion dans la Constitution a été retiré.
Mme Nathalie de T' Serclaes juge la proposition faite par l'amendement intéressante, mais prématurée. Elle nécessite une réflexion plus approfondie car, s'il est vrai que la Cour se montre généralement prudente quant aux effets de ses arrêts, il n'existe toutefois dans la loi aucune obligation de limiter ces effets.
Le vice-premier ministre attire l'attention sur le fait que toute personne intéressée peut intervenir dans le cadre d'un recours en annulation, tandis que la procédure de question préjudicielle étant axée sur un cas individuel, la possibilité d'intervention de tiers n'est pas prévue dans la loi. Quand le délai de recours est réouvert, d'autres personnes peuvent intervenir et la Cour d'arbitrage a la possibilité de nuancer ce qu'elle a répondu sur question préjudicielle. Par contre, si l'on donne à la Cour d'arbitrage le pouvoir de tirer elle-même des conclusions générales de ses arrêts rendus sur question préjudicielle, les droits des tiers qui pourraient intervenir ne seront plus respectés.
M. Michel Barbeaux comprend cette préoccupation, mais il déplore que, souvent, des dispositions légales déclarées inconstitutionnelles en réponse à une question préjudicielle, soient maintenues dans le dispositif législatif parce qu'aucun gouvernement ne prend l'initiative d'un recours en annulation.
Le vice-premier ministre répond que c'est la raison pour laquelle le projet de loi étend désormais cette possibilité aux particuliers justifiant d'un intérêt.
M. Michel Barbeaux objecte que l'introduction d'un recours reste néanmoins aléatoire puisqu'il faut avoir connaissance de la réponse à la question préjudicielle et prouver un intérêt.
M. Armand De Decker, président, réplique que permettre à la Cour d'arbitrage d'annuler automatiquement la disposition qu'elle a constatée inconstitutionnelle sur question préjudicielle créerait aussi un déséquilibre dans la mesure où les tiers éventuellement intéressés ne sont pas non plus au courant de la procédure.
Mme Nathalie de T' Serclaes demande s'il arrive souvent qu'un gouvernement introduise un recours en annulation pour faire disparaître de l'ordonnancement juridique une norme jugée inconstitutionnelle en réponse à une question préjudicielle.
Le vice-premier ministre répond par la négative. La Cour rend trop d'arrêts pour que les gouvernements puissent encore suivre sa jurisprudence d'aussi près. Mais il est évident aussi que la Cour ne déclare pas souvent une loi inconstitutionnelle sur base d'une question préjudicielle. En général, sa réponse consiste à donner l'interprétation que la disposition en cause doit recevoir pour être conforme à la Constitution. De plus, si une loi est jugée contraire à la Constitution, le législateur prend souvent l'initiative de modifier celle-ci et même, par ricochet, d'autres lois où figurent les mêmes dispositions. À titre d'exemple, si la Cour constate une discrimination dans la durée des délais de prescription applicables à différentes catégories de requérants, il ne suffit pas de supprimer la disposition mais il faut opter pour un délai de prescription applicable à tous.
M. Joris Van Hauthem émet des doutes quant aux arguments opposés par le vice-premier ministre aux amendements nº 2 et nº 9. Désormais, le recours en annulation après question préjudicielle sera aussi ouvert aux particuliers, personnes physiques ou morales. Si, en réponse à une question préjudicielle, la Cour d'arbitrage déclare qu'une disposition ne peut être appliquée à monsieur X, requérant devant le tribunal qui pose la question, celui-ci va automatiquement demander l'annulation de cette disposition et on ne voit pas bien comment la Cour pourra nuancer la décision qu'elle aura rendue sur question préjudicielle.
Le vice-premier ministre répond qu'il est possible qu'un tiers, concerné par la disposition en cause, intervienne au cours de la procédure en annulation et démontre que sa situation est différente. La Cour d'arbitrage peut alors nuancer sa position, sans pour autant contredire sa première décision. La caractéristique d'une procédure préjudicielle étant précisément de ne concerner qu'un cas individuel, la décision ne prend pas en compte toutes les situations possibles.
M. Michel Barbeaux fait remarquer que la solution proposée par son amendement n'exclut pas nécessairement l'intervention de tiers. La Cour d'arbitrage pourrait entamer d'office un processus d'annulation, moyennant le respect de délais suffisants pour permettre à des tiers intéressés de participer à la procédure. De la sorte, les droits des tiers seraient respectés tout en évitant le maintien de dispositions dont l'inconstitutionnalité a été constatée par la Cour. Certes, le législateur intervient souvent pour adapter la législation, mais pas nécessairement et pas toujours dans un bref délai. Avec une annulation automatique de la disposition, le législateur serait incité à agir rapidement pour combler un vide juridique éventuel.
Le vice-premier ministre répète que la Cour d'arbitrage, lorsqu'elle se prononce sur un cas particulier, n'a pas nécessairement dit son dernier mot sur la disposition et toutes ses conséquences. La réouverture des débats lui permet le cas échéant de nuancer une première décision. Quant au dernier argument invoqué, le vice-premier ministre est d'avis qu'il n'est pas pertinent car la Cour d'arbitrage exerce un rôle de contrôle et de sanction vis-à-vis du législateur, mais n'est pas là pour l'inciter à agir. La Cour d'arbitrage elle-même s'exprime avec réticence : quand elle délare une disposition inconstitutionnelle, elle ne veut pas donner l'impression qu'elle pousse le législateur à agir dans un sens.
Mme Martine Taelman fait remarquer que la solution proposée par M. Barbeaux risque d'allonger les procédures sur question préjudicielle, ce qui irait tout à fait à l'encontre de l'objectif de lutter contre l'arriéré judiciaire et donnerait une arme supplémentaire aux requérants qui tentent de ralentir la procédure.
M. Michel Barbeaux réplique qu'il n'y aurait pas d'allongement de la procédure préjudicielle car le processus d'annulation serait enclenché après la décision sur question préjudicielle.
M. Armand De Decker, président, épingle la possibilité d'un autre effet pervers : sachant les conséquences plus lourdes que sa réponse à la question préjudicielle aurait automatiquement, la Cour d'arbitrage serait amenée à rendre ses décisions dans un autre état d'esprit, ce qui aurait peut-être une influence sur sa jurisprudence.
M. Michel Barbeaux signale que, si son amendement est rejeté, il ne votera néanmoins pas contre l'article 3, dans la mesure où il estime qu'il s'agit d'un premier pas allant dans la bonne direction.
b. Votes
L'amendement nº 2 de M. Barbeaux est rejeté par 8 voix contre 1.
L'article 3 est adopté par 9 voix et 1 abstention.
Amendements nº 3 de M. Michel Barbeaux et nº 28 du gouvernement; amendement nº 44 de M. Hugo Vandenberghe
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à insérer dans le projet de loi un article 3bis (nouveau) modifiant l'article 7, alinéa 3, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage.
Le gouvernement dépose un amendement nº 28 (doc. Sénat, nº 2-897/4) ayant le même objet.
M. Barbeaux explique qu'il s'agit ici d'un amendement purement technique, visant à clarifier le texte comme l'a suggéré la Cour d'arbitrage. Dans sa rédaction actuelle, l'article 7 de la loi peut donner l'impression que la personne morale a le choix de fournir la preuve, soit de la décision d'introduire le recours, soit de la publication des statuts. Lorsque les statuts sont publiés au Moniteur belge, la preuve de la publication doit toujours en être apportée.
M. Hugo Vandenberghe dépose un amendement nº 44 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à insérer dans le projet de loi un article 3bis (nouveau) insérant à l'article 20, 2º, de la loi spéciale les mots « ou similaire ».
Cette modification vise à permettre aussi la suspension lorsque le recours est dirigé contre une norme similaire à une norme annulée par la Cour d'arbitrage et qui a été adoptée par le même législateur. De la sorte, on évite qu'un législateur puisse se soustraire à l'autorité de l'arrêt d'annulation en édictant de nouvelles normes légèrement modifiées mais ne supprimant pas les objections motivant l'arrêt d'annulation. L'auteur renvoie pour le surplus à sa justification écrite.
Le vice-premier ministre ne voit pas d'objection à cet amendement.
b. Votes
L'amendement nº 3 de M. Barbeaux est adopté à l'unanimité des 10 membres présents (article 4 du texte adopté).
L'amendement nº 28 ayant le même objet, il est retiré par le gouvernement.
L'amendement nº 44 de M. Vandenberghe est adopté à l'unanimité des 11 membres présents [article 5, b), du texte adopté].
Amendement nº 4 de M. Michel Barbeaux, amendement nº 45 de M. Hugo Vandenberghe et amendement nº 29 du gouvernement
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à insérer dans le projet de loi un article 3ter remplaçant la phrase liminaire de l'article 20 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, de manière à prévoir que la disposition s'applique sans préjudice des articles 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
Il s'agit à nouveau d'un amendement technique introduit suite aux observations de la Cour d'arbitrage. Il convient de faire référence aux articles 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 et 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 car ceux-ci permettent une suspension sans que le risque de préjudice grave difficilement réparable doive être établi, comme il est requis à l'article 20 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage.
M. Hugo Vandenberghe dépose un amendement nº 45 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à insérer dans le projet de loi un article 3ter (nouveau) ajoutant un second alinéa à l'article 21 de la loi spéciale, visant à soumettre les demandes de suspension à un délai de trois mois au lieu des six mois prévus jusqu'à présent.
L'auteur de l'amendement renvoie à sa justification écrite.
Le vice-premier ministre marque son accord avec cette modification.
Le gouvernement présente un amendement nº 29 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à insérer dans le projet de loi spéciale un article 3ter (nouveau) ajoutant, à l'article 24, alinéa 1er, de la loi spéciale, les mots « dans son ensemble ou par extraits ».
Le vice-premier ministre explique qu'il s'agit de permettre la publication par extraits au Moniteur belge des arrêts de suspension, le texte intégral de ceux-ci pouvant être consulté dans son intégralité sur le site de la Cour d'arbitrage et dans le recueil officiel.
M. Hugo Vandenberghe est d'accord à la condition qu'il soit systématiquement fait référence dans le Moniteur belge à la publication de l'intégralité du texte sur le site Internet de la Cour d'arbitrage. La publication dans un recueil officiel prend beaucoup plus de temps. Or, un avocat peut avoir intérêt à consulter un arrêt de suspension dans les vingt-quatre heures parce que lui-même intervient dans une affaire analogue.
b. Votes
L'amendement nº 4 de M. Barbeaux est adopté à l'unanimité des 10 membres présents [article 20, a) du texte adopté].
L'amendement nº 45 de M. Vandenberghe est adopté à l'unanimité des 12 membres présents (article 6 du texte adopté).
L'amendement nº 29 du gouvernement est adopté à l'unanimité des 12 membres présents (article 8 du texte adopté).
Amendement nº 5 de M. Michel Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à insérer dans le projet de loi un article 3quater modifiant l'article 22, alinéa 1er, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, de manière à prévoir que la disposition s'applique sans préjudice des articles 16ter de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et 5ter de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.
M. Barbeaux précise qu'il s'agit d'un amendement technique proposé par la Cour d'arbitrage et renvoie à la justification de l'amendement nº 4.
L'amendement nº 5 de M. Barbeaux est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
Paragraphe 1er
Amendement nº 6 de M. Michel Barbeaux; amendements nº 25 de Mme Nathalie de T' Serclaes et nº 30 du gouvernement
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à modifier l'article 26, § 1er, 3º, de la loi spéciale, de manière à étendre les compétences de la Cour d'arbitrage au contrôle de la violation par une norme législative de l'ensemble de la Constitution.
Cet amendement est la suite logique de l'amendement nº 1, visant à transformer la Cour d'arbitrage en une véritable Cour constitutionnelle.
Mme Nathalie de T' Serclaes dépose un amendement nº 25 (doc. Sénat, nº 2-897/3) visant à ajouter l'article 170 de la Constitution à la liste des dispositions ajoutées par le projet de loi à l'article 26, § 1er, 3º, de la loi spéciale.
L'auteur de l'amendement renvoie aux commentaires faits à propos de son amendement nº 24, le but étant ici aussi de permettre à la Cour d'arbitrage d'exercer son contrôle de façon cohérente en matière fiscale.
Le gouvernement présente un amendement nº 30 (doc. Sénat, nº 2-897/4) ayant le même objet.
b. Votes
L'amendement nº 6 de M. Barbeaux est rejeté par 10 voix contre 1 et 1 abstention.
L'amendement nº 25 de Mme de T' Serclaes est adopté à l'unanimité des 12 membres présents.
L'amendement nº 30 ayant le même objet, il est retiré par le gouvernement.
Paragraphe 1erbis
Amendement nº 46 de M. Hugo Vandenberghe et amendement nº 26 de Mme Nathalie de T' Serclaes
a. Discussion
M. Hugo Vandenberghe dépose un amendement nº 46 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à remplacer, à l'article 26, § 1erbis, de la loi spéciale, proposé par le projet de loi, les mots « un traité constituant de l'Union européenne » de manière à désigner ces traités nominativement.
L'auteur de l'amendement renvoie à sa justification écrite.
Sans se prononcer sur l'amendement, Mme Nathalie de T' Serclaes insiste pour que l'on clarifie ce qu'on entend par « traité constituant de l'Union européenne ». Il faut utiliser une terminologie précise afin d'éviter tout problème d'interprétation des compétences de la Cour d'arbitrage. À titre d'exemple, le Traité « Schengen » doit-il être considéré comme un traité constituant ?
M. Armand De Decker, président, répond qu'un traité constituant de l'Union européenne doit forcément être applicable aux quinze États membres.
Le vice-premier ministre explique que le projet de loi entend faire une distinction entre, d'une part, les traités internationaux « classiques » qui doivent recevoir l'assentiment des Chambres conformément à l'article 167 de la Constitution, et, d'autre part, les traités visés par l'article 34 de la Constitution, en vertu desquels l'exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué à des institutions internationales.
Il y a deux éléments à retenir pour identifier les traités visés. Premièrement, ces traités réalisent un transfert de pouvoirs à des institutions internationales, pouvoirs qui se développent ensuite à travers ces institutions législatives ou judiciaires. La Belgique a transféré une part de souveraineté à l'Union européenne de sorte que des décisions à valeur normative peuvent être prises au niveau européen même sans l'accord de la Belgique. De plus, les États membres sont liés par l'interprétation de la Cour de Justice.
Il s'agit ensuite de traités européens. Sont ici visés en tout cas les traités constitutifs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. À ceux-ci s'ajoute la Convention européenne des droits de l'homme sur base de laquelle une jurisprudence autonome a été développée par la Cour européenne des droits de l'homme et s'impose aux États.
L'accord de Schengen ne peut être considéré comme un traité constitutif car il s'agit d'un accord intergouvernemental et l'exercice des compétences qu'il règle reste soumis à la règle de l'unanimité.
Sur le plan théorique, la distinction entre les traités constitutifs européens et les autres est sujette à discussion, mais le vice-premier ministre rappelle que la Cour d'arbitrage elle-même défend ce point de vue.
Quant à l'amendement de M. Vandenberghe, le vice-premier ministre reconnaît que sa formulation est plus précise, mais elle présente l'inconvénient d'être figée. Quid si les traités en question sont modifiés, comme le Traité de Rome l'a été à plusieurs reprises ?
M. Hugo Vandenberghe fait remarquer que l'exclusion du contrôle pour les traités conclus en application de l'article 34 de la Constitution peut susciter un large débat. L'exercice de pouvoirs déterminés peut être attribué à des institutions internationales, mais dans quelles limites ? Le gouvernement pourrait-il transférer à une institution internationale toutes sortes d'options inscrites dans la Constitution, et laisser aux Chambres uniquement la possibilité de voter sur ce transfert par oui ou par non, sans qu'on puisse introduire un recours devant la Cour d'arbitrage ?
Le vice-premier ministre réplique que l'exclusion du contrôle de la Cour d'arbitrage ne concerne que les questions préjudicielles. Un recours en annulation serait possible.
M. Hugo Vandenberghe pense toutefois qu'une énumération des traités visés comporte une garantie importante.
Prenons la Déclaration de Nice sur les droits fondamentaux. Quel est son statut ? La loi d'assentiment portera sur la déclaration dans son ensemble, il appartiendra donc aux Chambres de se prononcer uniquement par oui ou par non sur l'ensemble de la déclaration. Toutefois, il serait possible après le vote, d'introduire un recours devant la Cour d'arbitrage en invoquant la contrariété de certaines dispositions avec les droits et libertés consacrés dans la Constitution.
Cependant, imaginons que, bien plus tard, la Cour de justice des Communautés européennes interprète un droit consacré par la déclaration selon une conception tout à fait différente de la lecture que la Belgique fait du même droit dans sa Constitution. À ce moment-là, on ne pourra plus agir devant la Cour d'arbitrage. Les moyens juridiques seront épuisés et c'est inadmissible.
Il y a là un réel problème car il suffit de considérer la jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour de Strasbourg pour constater l'évolution dans l'interprétation des droits et libertés, à laquelle se prêtent les formules très générales dans lesquelles ils sont rédigés. Certaines conceptions admises aujourd'hui avaient été explicitement écartées dans les travaux préparatoires de la Convention.
On risque donc de se retrouver avec une interprétation authentique de la CEDH qui se heurte à la conception des droits et libertés inscrits dans notre Constitution, sans qu'on dispose de moyens juridiques pour mettre en cause cette situation.
Le vice-premier ministre fait remarquer que l'amendement nº 46 ne résoudra pas le problème.
M. Hugo Vandenberghe répond que son observation va plus loin que son amendement afin de répondre à l'objection faite au caractère figé de la formule qu'il propose.
Dans l'hypothèse de la ratification de la Déclaration de Nice, la Cour d'arbitrage ne va évidemment pas déclarer inconstitutionnelles les trente dispositions sur base d'une discussion in abstracto. La force du précédent en droit, c'est la force des faits. C'est à l'épreuve des faits que le juge constate que la théorie est inadaptée, et c'est la raison pour laquelle les procédures préjudicielles continuent à être nécessaires.
L'amendement proposé, en utilisant une énumération limitative, permet au moins de savoir sur quoi aucune question préjudicielle ne peut être posée. Si on s'en tient à la formule de « traité constituant », on ne sait pas précisément sur quoi on ne pourra plus avoir de contrôle.
Le vice-premier ministre déduit de l'amendement proposé que, si de nouvelles dispositions étaient ajoutées aux traités constituants, le législateur devrait à nouveau se prononcer sur l'application ou non à ces dispositions, de l'exception relative à la possibilité de poser une question préjudicielle. Si l'on s'en tient au texte du projet de loi, par contre, l'exception s'appliquerait automatiquement aux dispositions venant s'intégrer dans les traités constituants.
Mme Nathalie de T' Serclaes demande pourquoi l'on ne pourrait pas simplement, à l'article 26, § 1erbis, de la loi spéciale proposé, viser les traités conclus en application de l'article 34 de la Constitution.
Le vice-premier ministre répond que la frontière entre les traités « attribuant des pouvoirs déterminés à des institutions de droit international », comme énoncé à l'article 34 de la Constitution, et les autres, est sujette à discussion. La question est de savoir à partir d'où il y a transfert de souveraineté.
M. Marcel Cheron se demande si la formule « traités constituants » est suffisamment relevante.
Le vice-premier ministre répond par la négative : c'est la raison pour laquelle le projet de loi précise qu'il s'agit des traités concernant l'Union européenne, d'une part, et de la Convention européenne des droits de l'homme, d'autre part. Si un autre traité doit être considéré comme « constituant » au sens où il l'a expliqué précédemment, mais ne concerne pas l'Union européenne, il ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 26, § 1erbis, proposé.
Cependant, la discussion ne porte pas sur d'autres traités constituants non visés par la disposition, mais sur de nouveaux traités constitutifs relatifs à l'Union européenne. L'amendement vise à ce que ces nouveaux traités n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 26, § 1erbis, proposé, sans un débat législatif préalable. L'exception à la possibilité de poser une question préjudicielle ne vaudrait que pour les traités cités, dont « le Traité sur l'Union européenne du 7 février 1992, tel que modifié », soit tel qu'il est actuellement.
M. Hugo Vandenberghe fait remarquer qu'une autre formule pourrait être envisagée, qui consisterait à ajouter au texte du projet de loi « un traité reconnu par le Parlement comme constituant de l'Union européenne ». Lorsque le Parlement approuverait un traité, il le déclarerait ou non constituant au sens de l'article 26 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage. De la sorte, il y aurait quand même, lors de chaque ratification d'un traité, un débat parlementaire sur la question de savoir si l'acte d'assentiment pourrait faire l'objet d'une question préjudicielle ou non.
Le vice-premier ministre objecte que, si cette sorte de déclaration accompagnant la ratification du traité se fait à la majorité simple, elle aura pour conséquence de modifier l'étendue des compétences de la Cour d'arbitrage par une majorité simple alors que la Constitution exige pour cela une majorité spéciale.
M. Armand De Decker, président, observe qu'il s'agit d'une question d'autant plus importante qu'on est à la veille d'adopter un nouveau traité qui réorganisera l'Union européenne et visera les droits et libertés.
M. Michel Barbeaux estime qu'il faudra pouvoir réexaminer à ce moment-là l'opportunité d'exclure la compétence de la Cour d'arbitrage en matière de questions préjudicielles sur les matières visées par le nouveau traité. Si le nouveau traité constituant rentrait automatiquement dans le champ d'application de l'article 26, § 1erbis, proposé, cela reviendrait en quelque sorte à modifier les compétences de la Cour d'arbitrage par l'effet d'un traité dont le contenu ne nous est pas encore connu.
Mme Nathalie de T' Serclaes n'est pas d'accord avec l'amendement de M. Vandenberghe car elle estime qu'on ne peut courir le risque que soit remis en cause un traité relatif à l'Union européenne, bien après sa conclusion et son approbation, par le biais d'une procédure préjudicielle. La conception de M. Vandenberghe lui semble beaucoup trop restrictive.
M. Armand De Decker fait remarquer que l'amendement discuté soulève quand même un problème fondamental dans la mesure où les traités de l'Union européenne ont une portée de plus en plus large : peut-on dès lors priver les citoyens de moyens de recours contre les normes adoptées ?
M. Hugo Vandenberghe insiste sur le fait qu'est ici en cause la protection du citoyen. Imaginons l'adoption de l'article 32bis visant à insérer la CEDH dans le titre II de la Constitution et l'attribution, parallèlement, à la Cour d'arbitrage de la compétence de contrôler la conformité des lois à cet article 32bis : un recours est introduit contre une loi sur base de la violation d'une disposition de la CEDH et celui-ci est rejeté par la Cour d'arbitrage. Au fil du temps toutefois se produisent certains faits qui amènent la Cour à modifier sa position sur la question. Quid si le recours à la procédure préjudicielle n'est plus possible ?
Mme Nathalie de T' Serclaes dépose un amendement nº 26 (doc. Sénat, nº 2-897/3) visant à remplacer l'article 26, § 1er bis, proposé, de manière à supprimer la possibilité de poser une question préjudicielle pour les actes d'assentiment à tous les traités internationaux, sauf en cas de violation alléguée des règles déterminant les compétences respectives de l'État, des communautés et des régions.
L'auteur de l'amendement explique que son objectif est de privilégier la sécurité et la stabilité des relations internationales, même si, parallèlement, elle est tout à fait favorable à l'extension du rôle de la Cour d'arbitrage dans l'ordre juridictionnel interne. Elle se dit toutefois consciente que la question est délicate et encore sujette à discussion.
En ce qui concerne l'amendement nº 46 de M. Vandenberghe, le vice-premier ministre constate que le régime prévu à l'article 26, § 1erbis, proposé, va trop loin selon les uns et pas assez loin selon les autres. C'est ainsi que Mme de T' Serclaes a proposé dans son amendement nº 26 d'exclure les actes législatifs par lesquels un traité reçoit l'assentiment ce qui revient à dire l'ensemble des traités de la compétence de contrôle que la Cour d'arbitrage exerce dans le cadre du contentieux préjudiciel. Bien que les deux points de vue soient défendables, le gouvernement souhaite s'en tenir à l'article 26, § 1erbis, proposé, qui constitue un juste milieu.
Il faudra cependant suivre avec toute la vigilance nécessaire les activités de la Convention sur l'avenir de l'Union européenne. La déclaration de Laeken du 15 décembre 2001 qui prévoit entre autres la création de cette convention, pose notamment la question de savoir si la Charte des droits fondamentaux qui a été approuvée au cours du sommet de Nice des 7 et 9 décembre 2000, ne doit pas être incorporée dans le traité de base.
Abstraction faite de ses objections de fond contre cette Charte, le vice-premier ministre s'indigne surtout du fait que son texte a été rédigé de telle manière qu'une ratification par les États membres n'est pas nécessaire. Il s'agit en effet non pas d'un traité mais d'une déclaration politique à valeur hautement symbolique, dont certains éléments seront certes coulés dans des textes juridiques par la suite.
Une fois que la Convention européenne aura clôturé ses travaux, le débat devra être mené à l'échelon national. L'on ferait preuve de bien peu de prévoyance à ce moment-là en limitant la discussion aux conclusions et aux propositions auxquelles la Convention sera parvenue. Il faudrait dès lors que les Chambres législatives examinent, au moment où elles approuveront le projet de loi portant assentiment à un nouveau traité relatif à l'Union européenne comprenant la Charte des droits fondamentaux, quel sera le rôle que l'on réservera à la Cour d'arbitrage dans cette construction.
En attendant, le vice-premier ministre plaide pour le maintien du texte proposé.
M. Hugo Vandenberghe se rallie aux propos du vice-premier ministre et se dit prêt à retirer son amendement à condition que la notion de « traité constituant de l'Union européenne » ne concerne que les traités constitutifs qui seront applicables au moment de l'entrée en vigueur de la loi spéciale qui sera issue de la discussion en cours.
Le vice-premier ministre confirme cette interprétation. Cela signifie que les nouveaux traités constitutifs de l'Union européenne qui seront approuvés après l'entrée en vigueur de cette loi spéciale, pourront faire l'objet d'une question préjudicielle.
Si l'on adoptait pas ce point de vue, le législateur pourrait modifier la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage au moyen d'une simple loi portant assentiment à un traité international, ce qui est bien sûr exclu.
b. Votes
M. Vandenberghe retire son amendement nº 46.
Mme de T' Serclaes retire son amendement nº 26.
Paragraphe 2bis
Amendement nº 53 de M. Hugo Vandenberghe et sous-amendement nº 56 de M. Wille et consorts
a. Discussion
M. Hugo Vandenberghe dépose un amendement nº 53 (doc. Sénat, nº 2-897/5) visant à insérer à l'article 4 du projet de loi spéciale un § 2bis remplaçant le §2 de l'article 26 de la loi.
M. Vandenberghe déclare que l'amendement vise à dispenser également le Conseil d'État et la Cour de cassation de l'obligation de poser une question préjudicielle dans les cas où la Cour d'arbitrage s'est déjà prononcée sur une question ou un recours ayant le même objet.
La modification essentielle tient au 2º du § 2, alinéa 2. En d'autres termes, selon l'amendement nº 53, la Cour de cassation et le Conseil ne sont pas obligés d'interroger la Cour d'arbitrage si elle a déjà rendu un arrêt sur un recours ou une question ayant le même objet, étant entendu qu'ils sont dans ce cas tenus de suivre l'interprétation que la Cour d'arbitrage a donnée dans cet arrêt. Par contre, l'hypothèse de l'acte clair (où la norme ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés à l'article 26, § 1er) et le cas où la réponse n'est pas indispensable pour rendre une décision ne concernent que les autres juridictions. Dans ces deux hypothèses, le Conseil d'État et la Cour de cassation restent tenus d'interroger la Cour d'arbitrage.
Le vice-premier ministre déclare que l'obligation faite à la Cour de cassation et au Conseil d'État d'interroger la Cour d'arbitrage était fondée sur la crainte que ces juridictions n'interprètent de façon « créative » un arrêt rendu précédemment par la Cour d'arbitrage. Il est vrai qu'à l'époque, la situation communautaire était différente, la Cour d'arbitrage en était à ses débuts, alors qu'aujourd'hui elle a bien assis son autorité.
M. Hugo Vandenberghe souligne que son amendement ne vise aucunement à permettre au Conseil d'État ou à la Cour de cassation de jouer sur l'interprétation d'un arrêt déjà rendu pour éviter d'interroger la Cour d'arbitrage. Il propose éventuellement, pour être plus précis, de remplacer, dans son amendement, les mots « même objet » par « objet identique ». L'objectif est en effet de ne pas obliger à recommencer une procédure sur une question identique.
M. Michel Barbeaux soutient l'amendement de M. Vandenberghe car il permet d'alléger la charge de travail de la Cour d'arbitrage. Cela s'impose notamment au vu de l'article 8 du projet de loi spéciale qui limite désormais à six mois la durée possible de prorogation du délai dont dispose la Cour pour rendre un arrêt.
M. Paul Wille et consorts déposent un sous-amendement nº 56 à l'amendement nº 53 de M. Vandenberghe (doc. Sénat, nº 2-897/5) visant à remplacer, à l'article 26, § 2, alinéa 2, 2º, proposé, de la loi spéciale, les mots « ayant le même objet » par les mots « ayant un objet identique ».
Le vice-premier ministre soutient tant l'amendement que le sous-amendement.
b. Votes
Le sous-amendement nº 56 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
L'amendement nº 53 ainsi sous-amendé est adopté par 6 voix contre 1, et 2 abstentions.
Paragraphe 3
Amendement nº 7 de M. Michel Barbeaux; amendements nº 31 du gouvernement et nº 54 de M. Hugo Vandenberghe
a. Discussion
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à remplacer la phrase liminaire de l'article 26, § 3, proposé.
L'auteur de l'amendement explique que celui-ci s'inscrit également dans une volonté de simplifier le travail de la Cour. L'article 26, § 3, proposé dispense de poser une question préjudicielle dans le cadre de procédures en référé. Toutefois, cette dispense est assortie de restrictions, dont le sénateur pense qu'elles sont de nature à mettre à néant la possibilité d'exception. L'amendement nº 7 vise à supprimer ces restrictions de manière à permettre une décision rapide, conformément à l'objectif des procédures en référé.
Le vice-premier ministre répond que, si cet amendement vise aussi à alléger la charge de travail de la Cour d'arbitrage, il va en réalité beaucoup plus loin que l'amendement nº 53. Le législateur a opté pour un régime d'exceptions très limité au système des questions préjudicielles, dans une optique d'équilibre communautaire et institutionnel. L'amendement nº 7 remettrait en cause cet équilibre.
Le gouvernement présente un amendement nº 31 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à remplacer l'article 26, § 3, proposé. M. Hugo Vandenberghe dépose un amendement nº 54 ayant le même objet (doc. Sénat, nº 2-897/5).
Le vice-premier ministre explique que l'amendement nº 31 est un amendement technique visant à mieux formuler le § 3, de manière à préciser la portée de l'exception à l'obligation de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures urgentes et provisoires.
M. Hugo Vandenberghe déclare que son amendement nº 54 poursuit le même objectif mais qu'il est formulé différemment. La différence essentielle réside dans la dernière phrase de son amendement qui prévoit une dispense de l'obligation de motiver le refus de poser une question préjudicielle.
Le vice-premier ministre objecte qu'une instance judiciaire a toujours l'obligation de motiver sa décision.
b. Votes
L'amendement nº 7 de M. Michel Barbeaux est rejeté par 11 voix contre 1.
L'amendement nº 31 du gouvernement est adopté à l'unanimité des 12 membres présents.
L'amendement nº 54 est retiré par son auteur.
Paragraphe 4
Amendement nº 32 du gouvernement
Le gouvernement présente un amendement nº 32 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à supprimer l'article 26, § 4, proposé.
Le vice-premier ministre explique que le § 4 doit être supprimé suite à l'adoption de l'amendement nº 31 qui a fusionné en un seul paragraphe les §§ 3 et 4.
L'amendement nº 32 est adopté à l'unanimité des 12 membres présents.
Paragraphe 5 (nouveau)
Amendement nº 8 de M. Michel Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose un amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-897/2), visant à insérer un § 5 à l'article 26 proposé.
Cet amendement visait à dispenser une juridiction de poser une question préjudicielle lorsqu'elle portait sur la compatibilité d'une norme avec l'article 32bis de la Constitution.
La proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (nº 2-575/1) ayant été rejetée, l'amendement nº 8 est devenu sans objet.
L'article 4 ainsi amendé est adopté en tant qu'article 9 par 9 voix et 1 abstention.
Amendements nºs 9 et 41 de M. Barbeaux et nº 47 de M. Vandenberghe
a. Discussion
M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 47 (doc. Sénat, nº 2-897/4) qui vise à insérer dans la loi spéciale un article 27bis nouveau habilitant la Cour d'arbitrage à déterminer, par la voie d'une disposition générale, les effets dans le temps de ses arrêts préjudiciels. Il introduit ainsi un parallélisme avec le contentieux d'annulation, pour lequel la Cour peut, en vertu de l'article 8 de la loi spéciale, moduler les effets dans le temps de ses arrêts d'annulation. Il faut noter que la Cour de justice des Communautés européennes dispose également de cette possibilité.
Comme l'indique la justification de l'amendement, l'article 27bis proposé présente l'avantage de permettre au législateur d'apporter à la loi les corrections requises dans un délai fixé par la Cour, par exemple de deux ans, lorsque la Cour d'arbitrage constate une inconstitutionnalité dans un arrêt préjudiciel. Point n'est besoin d'exacerber le conflit et l'on peut essayer de trouver une solution élégante en temps utile.
Mme Nathalie de T' Serclaes craint qu'en inscrivant explicitement cette compétence dans la loi spéciale, l'on ne pousse la Cour à en faire usage tôt ou tard.
Le vice-premier ministre s'oppose à l'amendement nº 47 pour les mêmes raison déjà invoquées contre l'amendement nº 2 de M. Barbeaux (doc. Sénat, nº 2-897/2) (cf. supra discussion de l'article 3). Du fait qu'il puisse exister des nuances entre un arrêt préjudiciel et un arrêt d'annulation ultérieur concernant une même question, il importe que l'on distingue l'un de l'autre, notamment en ce qui concerne la possibilité d'intervenir. Comme il faut garantir la protection juridique de la partie intervenante dans le cadre des recours en annulation, le vice-premier ministre est opposé à l'amendement nº 47.
M. Michel Barbeaux dépose, en lieu et place de son amendement nº 9, l'amendement nº 41 (doc. Sénat, nºs 2-897/2 et 4) qui remplace l'article 28 de la loi spéciale par une nouvelle disposition selon laquelle, lorsque la Cour d'arbitrage constate sur la base d'une question préjudicielle une violation d'une règle visée à l'article 26, § 1er, de la loi spéciale, elle annule en tout ou en partie la norme législative concernée qui faisait l'objet de la question.
Cet amendement simplifie la mission de la Cour d'arbitrage et fait en sorte que des dispositions inconstitutionnelles soient immédiatement retirées de la législation.
Le vice-premier ministre adopte à l'égard de cet amendement le même point de vue négatif qu'à l'égard de l'amendement nº 47.
b. Votes
L'amendement nº 9 est retiré.
L'amendement nº 41 est rejeté par 8 voix contre 2.
L'amendement nº 47 est rejeté par un vote identique.
Amendement nº 10 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 2-897/2) qui insère dans le titre Ier de la loi spéciale un chapitre III « Dispositions communes », comprenant l'article 124bis, de la loi spéciale, qui devient l'article 30bis et qui contient les modifications proposées par l'article 9 du projet. Parallèlement, il dépose l'amendement nº 23 (doc. Sénat, nº 2-897/2) qui tend à supprimer l'article 9 du projet qui est devenu sans objet (voir infra).
L'auteur renvoie à la justification de ces amendements qui ont été suggérés par la Cour d'arbitrage elle-même (voir annexe 3).
Le vice-premier ministre n'émet aucune objection contre ces amendements.
L'amendement nº 10 est adopté en tant qu'article 10, à l'unanimité des 9 membres présents.
Amendements nºs 39 en 40 de M. Wille et consorts, nºs 49 à 52 de Mme de Bethune et consorts, nº 55 de Mme Taelman et consorts, nº 57 de Mme de Bethune et consorts et nº 58 de Mme Van Riet et consorts
a. Discussion
Plusieurs amendements ont été déposés qui tendent à garantir la représentation des femmes au sein de la Cour d'arbitrage. Pour la lisibilité du rapport, ces amendements seront discutés conjointement.
M. Paul Wille et consorts déposent les amendements nºs 39 et 40 (doc. Sénat, nº 2-897/4) qui visent à compléter l'article 34 de la loi spéciale par un § 5 selon lequel la Cour compte parmi ses membres au moins un juge de sexe différent. Conformément à l'article 128 de la loi spéciale, proposé par l'amendement nº 40, cette disposition entrerait en vigueur lors de la prochaine nomination d'un juge.
Mme Sabine de Bethune et consorts déposent les amendements nºs 49 à 52 (doc. Sénat, nº 2-897/5) qui visent à modifier l'article 31, alinéa 1er de la loi spéciale, de manière à élargir la composition de la Cour d'arbitrage et à porter de douze à seize le nombre de juges (nº 49) et à modifier l'alinéa 3 de cet article en vue de prévoir que deux tiers des juges au maximum sont de même sexe (nº 50). Selon l'article 12 du projet, les quatre nouveaux juges devraient être de sexe féminin (nº 52). Aux termes de l'article 32, alinéa 2, de la loi spéciale, les Chambres législatives devraient désormais tenir compte des nécessités d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans le cadre de la présentation des candidats (nº 51).
Pour plus de précisions sur la proposition visant à intégrer une clé de genre dans la composition de la Cour, l'on se reportera à la justification de ces amendements.
Mme Martine Taelman et consorts déposent l'amendement nº 55 (doc. Sénat, nº 2-897/5) qui vise à compléter l'article 34 de la loi spéciale par un § 5 selon lequel la Cour est composée de juges de sexe différent. Cette formule est empruntée à l'article 11bis, alinéa 2, de la Constitution qui dispose que le Conseil des ministres et les gouvernements de communauté et de région comptent des personnes de sexe différent.
Enfin, Mme Sabine de Bethune et consorts déposent l'amendement nº 57 (doc. Sénat, nº 2-897/5) qui a la portée politique la plus large et qui est identique à son amendement nº 50 à ceci près qu'en vertu de la disposition transitoire, la proportion des deux tiers doit être réalisée le 31 décembre 2010. Pour parvenir à cette proportion, à dater de l'entrée en vigueur de la présente loi, une nomination sur trois devra profiter à une personne du sexe le moins représenté, à moins qu'une au moins des deux nominations précédentes n'ait porté sur une personne du sexe le moins représenté.
L'intervenante estime qu'il est évident qu'une juridiction statuant sur la constitutionnalité des normes législatives et, notamment, sur le respect des principes d'égalité et de non-discrimination, doit témoigner de par sa composition, d'une certaine diversité et, notamment, d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes. À l'heure actuelle, la Cour ne compte cependant plus aucune femme dans ses rangs.
L'inscription du principe de la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans la loi spéciale ne devrait poser aucun problème sur le plan politique. Ce ne serait d'ailleurs pas une primeur.
C'est ainsi que l'article 36.8 du statut de la Cour pénale internationale qui sera installée prochainement et dont la composition doit respecter tant d'autres équilibres et sensibilités, prévoit explicitement qu'il y a lieu de tendre vers un équilibre dans la représentation des hommes et des femmes. Le statut contient les clés et les stratégies nécessaires à cet effet.
Eu égard à ce qui précède, Mme de Bethune demande de concentrer la discussion sur l'amendement nº 57. Si cet amendement. est adopté, elle retirera ses amendements nºs 49 à 52.
M. Jean-Marie Happart n'a aucune objection contre le principe de la représentation équilibrée des deux sexes à la Cour d'arbitrage. Cette question doit cependant être envisagée dans un cadre plus vaste. C'est pourquoi le gouvernement devrait prendre des initiatives législatives permettant de régler cette question en une seule opération pour l'ensemble des juridictions. Il est en tout cas opposé aux amendements nºs 49 à 52 et 57 parce loin d'offrir cette large perspective, ils prévoient des quotas stricts.
Selon Mme Iris Van Riet, il va de soi que la composition de la Cour d'arbitrage doit remplir les conditions constitutionnelles dont elle a pour mission de contrôler le respect par les divers législateurs. L'article 10, alinéa 3, de la Constitution garantit en effet expressément l'égalité entre les hommes et les femmes, tandis que l'article 11bis, alinéa 2, prévoit que le Conseil des ministres et les gouvernements de communauté et de région comptent des personnes de sexe différent. L'intervenante estime dès lors qu'il y a absolument lieu d'utiliser au moins cette dernière formule dans la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. C'est pourquoi elle a cosigné l'amendement nº 55 de Mme Taelman et consorts qui s'en inspire. La commission peut naturellement faire un pas de plus et adopter l'amendement nº 57 de Mme de Bethune et consorts qui prévoit que la Cour d'arbitrage ne peut pas compter plus de deux tiers de juges de même sexe.
La proposition de M. Happart visant à régler cette question de manière structurelle pour toutes les juridictions est intéressante, mais sort du cadre du projet en discussion. C'est pourquoi l'intervenante lance un appel pour que l'on commence par la Cour d'arbitrage.
Pour les motifs énoncés par Mme Van Riet, M. Michel Barbeaux souscrit à l'amendement nº 57 qu'il a cosigné. Il est toutefois opposé à l'élargissement de la Cour d'arbitrage par l'augmentation du nombre des juges proposée qui serait porté de douze à seize selon l'amendement nº 49. Au cours de l'audition, les présidents de la Cour d'arbitrage s'y sont dits opposés, parce qu'un tel élargissement pourrait entraîner la création de chambres pouvant développer des jurisprudences divergentes.
Mme Nathalie de T' Serclaes déclare que, comme l'on ne réussit pas, sans obligation légale, à nommer des juges féminins à la Cour d'arbitrage, il faut en tirer les conclusions qui s'imposent. L'amendement nº 57 fournit l'occasion rêvée de légiférer. C'est la raison pour laquelle elle l'a cosigné.
L'intervenante rejette en tout cas la proposition de M. Happart, qui fournit un prétexte parfait pour demeurer dans l'immobilisme.
Le président, M. Armand De Decker, souligne que l'on féminise de plus en plus la fonction de magistrat. Tout porte donc à croire que, d'ici peu, le quota d'un tiers devra plutôt préserver la présence d'hommes à la Cour d'arbitrage.
M. Hugo Vandenberghe appuie l'amendement nº 57 en tant que cosignataire. Il juge inacceptable que plus aucune femme ne siège à la Cour d'arbitrage. La majorité actuelle a eu, à plusieurs reprises, l'occasion de combler cette lacune. Malheureusement, elle n'a pas saisi la chance qui s'offrait à elle. Une opération de rattrapage serait donc opportune.
L'intervenant partage la thèse de M. Happart selon laquelle la question de la représentation équilibrée des deux sexes au sein des juridictions doit être réglée globalement. Elle ne fait toutefois pas obstacle à l'amendement nº 57.
S'il y a lieu de critiquer cet amendement, c'est à propos de la disposition transitoire qu'il comporte. La portée de cette disposition dépendra en effet du nombre de vacances qui se présenteront jusqu'au 31 décembre 2010 en cas de carrière normale des juges en fonction. Au cas où il y aurait, par exemple, quatre fonctions vacantes, la disposition transitoire pourrait être interprétée en ce sens que, pour atteindre le quota d'un tiers de femmes d'ici la fin 2010, il faudrait y pourvoir uniquement en nommant des femmes. En d'autres termes; il ne servirait à rien que les hommes posent leur candidature. L'intervenant trouve que ce serait inacceptable. Une telle interprétation reviendrait à ne déclarer vacante qu'exclusivement pour des femmes la fonction de juge à la Cour d'arbitrage.
L'intervenant demande dès lors au gouvernement comment la disposition transitoire proposée être pourrait être mise en oeuvre au vu des vacances potentielles rebus sic stantibus jusqu'au 31 décembre 2010.
Le vice-premier ministre ne peut pas disposer directement des données biographiques relatives aux juges de la Cour d'arbitrage. Il estime que d'ici 2010, quelques quatre à six emplois deviendront vacants mais là n'est toutefois pas l'essentiel.
Il est évident que la magistrature doit être composée de manière équilibrée pour ce qui est de la représentation des sexes, mais il estime qu'on prendrait des risques en n'imposant cette condition qu'à une seule juridiction, en l'espèce la Cour d'arbitrage. En effet, par effet en cascade, le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, bref, toutes les juridictions, devraient suivre. On peut se demander si ce serait compatible avec la mission du Conseil supérieur de la justice, qui doit veiller à ce que les juges soient nommés et promus sur la base de critères objectifs. Au cas où il faudrait absolument assurer l'équilibre entre les femmes et les hommes, on appliquera, par cour et par tribunal, un mécanisme de correction nuançant l'objectif de garantir des nominations et des promotions objectives.
L'amendement nº 57 prévoit en fait une forme d'action positive dont les limites constitutionnelles et conventionnelles sont connues. Mais pareille action n'est autorisée que s'il faut mettre fin d'urgence à une inégalité manifeste et pour autant que les mesures prises à cet effet soient supprimées dès que le but poursuivi est atteint. Le vice-premier ministre doute toutefois qu'une telle action résisterait à l'épreuve de constitutionnalité au cas où l'on exigerait le respect d'un équilibres des genres dans chaque juridiction. En outre, la tendance à la féminisation de la magistrature va en s'accentuant. De là la question de savoir si la nécessité qui se fait sentir au sein de la Cour d'arbitrage est, globalement, suffisamment aiguë pour justifier une action positive aussi stricte en ce qui concerne sa composition.
Même si, d'ici le 31 décembre 2010, six fonctions étaient déclarées vacantes, il faudrait toujours nommer au moins quatre femmes aux termes de l'amendement nº 57. Or, il y a un problème du fait que les candidats pour la catégorie des juges juristes proviennent en partie d'autres juridictions, à savoir la Cour de cassation et le Conseil d'État, et qu'ils sont présentés par la Chambre et le Sénat. Il s'ensuit que la Cour d'arbitrage est quelque peu l'émanation du Parlement, mais celui-ci tiendra également compte d'autres équilibres. L'ensemble de tous ces facteurs conforte le ministre dans sa conviction qu'isoler la Cour d'arbitrage en vue d'y réaliser l'équilibre des genres constituerait un exercice très périlleux. La formule proposée par l'amendement nº 57 permet en effet de déterminer à l'avance qui sera nommé.
Dans la ligne de la remarque de M. Happart, l'intervenant plaide dès lors pour une réglementation légale prévoyant que le Conseil supérieur de la justice et d'autres instances qui présentent des candidats à des fonctions de juge, doivent veiller au respect d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la magistrature. À son avis, cette approche serait beaucoup plus efficace, tant à court terme qu'à long terme.
Le vice-premier ministre conclut par une considération politico-pragmatique. La question de la clé de répartition proposée par l'amendement nº 57 constitue un thème politique tellement sensible que son vote par la commission risque d'hypothéquer lourdement la réussite de la réforme proposée. Il craint que, dans ce cas, le projet risque de ne pas obtenir la majorité des deux tiers requise au sein des assemblées plénières du Sénat et de la Chambre.
Le président, M. Armand De Decker, souscrit à ce point de vue. Il rappelle que l'article 10 de la Constitution garantit explicitement l'égalité des femmes et des hommes. Il existe donc déjà une obligation constitutionnelle de tendre à une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la magistrature.
Mme Martine Taelman se réjouit qu'au sein de la commission une très large majorité soit si favorable au principe de la représentation garantie des femmes au sein de la Cour d'arbitrage. Il serait en effet pour le moins paradoxal et c'est un euphémisme que la juridiction appelée à veiller au respect du principe d'égalité soit composée exclusivement de juges masculins.
La discussion sur le quota de femmes à la Cour d'arbitrage prend donc beaucoup plus d'importance qu'elle n'en a à propos de toute autre juridiction. Il ne faut pas non plus donner l'impression que soumettre la Cour d'arbitrage à un tel quota serait une primeur.
C'est ainsi que l'article 259bis-1, § 3, alinéa 1er, du Code judiciaire qui a trait au Conseil supérieur de la Justice, prévoit que le groupe des non-magistrats doit compter, par collège, au moins quatre membres de chaque sexe. Cela veut dire que, sur les 11 non-magistrats que compte chaque collège, quatre au moins doivent être des personnes de sexe féminin. Le respect de cette condition n'a posé aucun problème, étant donné que le Conseil supérieur devait encore être installé et que les candidats de l'un et l'autre sexe avaient donc les mêmes chances d'être nommés.
Comme M. Vandenberghe l'a fait remarquer très justement, la disposition transitoire proposée par l'amendement nº 57 sera source de problèmes. Il serait par ailleurs plus élégant, du point de vue de la technique juridique, de retirer cette disposition de l'article 31 de la loi spéciale pour en faire un article distinct de celle-ci.
L'intervenante considère qu'il est d'une importance hautement symbolique pour la Cour d'arbitrage qu'une large majorité puisse se rallier à l'amendement nº 57. Eu égard à l'augmentation du nombre de femmes dans la magistrature et au sein des assemblées parlementaires, il n'est nullement exclu que la norme du maximum de deux tiers de juges du même sexe puisse être invoquée un jour pour garantir une présence suffisante du sexe masculin.
S'il n'y a pas moyen de dégager un large consensus sur cet amendement, Mme Taelman suggère que l'on retienne finalement la solution minimaliste que prévoit son amendement nº 55 et selon laquelle la Cour doit être composée de juges de sexes différents. Elle estime toutefois que cette solution constitue un pas en arrière.
Mme Sabine de Bethune ne partage pas le point du vue du vice-premier ministre qui juge inopportun d'isoler la Cour d'arbitrage. Il y a au contraire trois raisons pour viser la Cour d'arbitrage en particulier. La première, c'est que la Cour est une juridiction spéciale dont la composition et le fonctionnement sont régis par une loi spéciale. La deuxième, c'est qu'elle évolue dans le sens d'une véritable Cour constitutionnelle, dont les décisions doivent bénéficier du plus large support social. Il faut pour cela que sa composition respecte non seulement des équilibres linguistiques et politiques, mais aussi l'équilibre entre les hommes et les femmes. La troisième, c'est que le monde politique risquerait une nouvelle fois d'être à la traîne par rapport à l'évolution sociale si l'amendement nº 57 était rejeté pour cause d'un prétendu manque de faisabilité. L'intervenante est convaincue que si l'on prêtait une oreille attentive à ce qui se passe au sein de la société plutôt qu'à ce qui occupe les représentants des pouvoirs constitués, on constaterait, qu'il existe un large consensus sur la nécessité pour une Cour constitutionnelle d'avoir une composition respectant l'équilibre entre les sexes. On créerait un hiatus entre la politique et la société si l'on se retranchait derrière l'argument selon lequel la mesure prévue par la disposition transitoire doit être rejetée parce qu'elle ne remplit pas les critères de faisabilité. L'intervenante déclare qu'elle accepterait toutefois qu'on prolonge la période transitoire qu'elle prévoit pour que l'on puisse assurer le respect de la norme d'au moins un tiers de juges de sexe féminin et qu'on en fixe la date d'expiration, par exemple au 31 décembre 2012 plutôt qu'au 31 décembre 2010.
Comme le problème de l'équilibre entre les hommes et les femmes se pose de toute évidence dans toutes les juridictions, il est très tentant de faire des amalgames à propos de cette question.
Au sein des tribunaux inférieurs, il y a de fait plus de magistrates. Il conviendrait dès lors d'examiner pourquoi ce sont principalement les femmes qui se sentent attirées par une carrière dans la magistrature. On pourrait ensuite définir une politique appropriée à la lumière des conclusions que l'on aurait tirées.
Pour ce qui est de sa composition, la Cour d'arbitrage ne peut pas être comparée sans plus aux cours et tribunaux ordinaires. En effet, la composition de la Cour d'arbitrage obéit à un principe descendant (top down) tandis que la carrière dans la magistrature se construit selon un principe ascendant (bottom up).
Le vice premier ministre répond qu'il ne s'est pas prononcé sur le principe de la représentation équilibrée des deux sexes au sein de la Cour d'arbitrage. Il a seulement voulu indiquer que le quota proposé par l'amendement nº 57 fera capoter le projet de loi spéciale à la Chambre.
Ce projet vise à étendre la compétence de contrôle de conformité de la Cour d'arbitrage, mais la discussion est en train de glisser et de se focaliser sur la composition de la Cour. On peut trouver la chose regrettable, mais au cas où l'amendement nº 57 de Mme de Bethune serait adopté, il y aurait un réel danger que la question de la composition de la Cour domine les débats de la Chambre ce qui aurait immanquablement pour effet, selon le vice-premier ministre, de reporter la réforme proposée aux calendes grecques.
Il suffit de se rappeler le temps qu'il aura fallu à la Chambre et au Sénat pour inscrire dans le nouvel article 11bis de la Constitution notamment le principe selon lequel le Conseil des ministres et les gouvernements de communauté et de région doivent compter des personnes de sexe différent. Or, il était question là d'une condition beaucoup plus souple une femme au sein du gouvernement qui n'allait devoir être remplie qu'à l'occasion de la formation du gouvernement suivant. L'amendement de Mme de Bethune va beaucoup plus loin. S'il est adopté, la Cour d'arbitrage, qui est déjà installée, verra sa composition subir un profond changement en quelques années. Cette question est d'autant plus compliquée qu'outre l'équilibre entre les hommes et les femmes, il y a d'autres équilibres à respecter.
Mme Iris Van Riet déclare que dans cette matière, elle n'aura pas d'autre choix que de se laisser guider par la maxime de Talleyrand qui disait que « gouverner c'est l'art du possible ». L'exemple de la récente révision de la Constitution auquel le vice-premier ministre a fait allusion illustre à merveille cette maxime. L'intervenante souhaitait également aller au-delà de ce qui est inscrit à l'article 11bis de la Constitution. L'opposition que cette disposition a suscitée jadis, même au sein de son propre groupe politique, la renforce dans la conviction que, comme l'a dit le vice-premier ministre, la disposition prévue par l'amendement nº 57 n'obtiendra jamais la majorité requise des deux tiers à la Chambre. De ce fait, l'adoption du projet de loi spéciale et l'élargissement proposé de la compétence de la Cour d'arbitrage risquent d'être reportés aux calendes grecques. Le réalisme commande dès lors d'en revenir à la formule inscrite à l'amendement nº 55 de Mme Taelman et consorts qui s'inspire de l'article 11bis précité, selon laquelle la Cour est composée de juges de sexe différent. Il n'y aurait alors plus qu'à prévoir une disposition transitoire pour éviter que la prochaine fois qu'il faudra nommer quelqu'un, ce doive être nécessairement une femme, ce qui ne serait pas conforme au sens de la justice de l'intervenante.
M. Hugo Vandenberghe déclare qu'il ne faut pas perdre de vue le but principal du projet de loi spéciale. Il plaide dès lors pour que l'on adopte ce projet dans les meilleurs délais.
On ne peut cependant pas ignorer les amendements visant à garantir la représentation des deux sexes au sein de la Cour d'arbitrage. Ils traduisent une sensibilité sociale que le Parlement ne peut ignorer.
La représentation des deux sexes au sein des juridictions garantit la légitimité de leurs décisions, comme le principe de la représentation garantit celle du Parlement.
L'intervenant souligne qu'il souscrit entièrement au principe énoncé à l'amendement nº 57. Il est toutefois faux d'affirmer qu'une juridiction n'est pas en mesure d'évaluer correctement la portée du principe d'égalité si les deux sexes n'y sont pas représentés d'une manière équilibrée. Au cours des années 80, l'intervenant a été membre de la Commission européenne des droits de l'homme qui ne comptait qu'une seule femme parmi ses vingt membres. Cela n'a pas empêché la commission de développer une jurisprudence, notamment sur le plan de l'interdiction de la discrimination (art. 14 CEDH), que l'on ne peut pas qualifier de conservatrice ou de statique. Un bon juriste, que ce soit un homme ou une femme, se caractérise par un grand pouvoir d'empathie. Pour ce qui est de la disposition transitoire, il faudra dégager un compromis avec le gouvernement. C'est pourquoi l'intervenant propose de supprimer la deuxième partie. Si l'on se contente de fixer une date d'échéance, le législateur spécial pourra jusqu'à celle-ci prendre des mesures en vue d'assurer la représentation requise, sans devoir intervenir dans les nominations individuelles. Rien ne permettrait en tous cas de justifier l'attribution exclusive des quatre prochaines fonctions vacantes de juges à la Cour d'arbitrage à des femmes. Il s'agit dès lors de réconcilier le principe de la représentation du sexe le moins bien représenté à la Cour d'arbitrage avec le principe de l'égalité.
M. Michel Barbeaux émet quelques réserves à propos de l'attitude du gouvernement à l'égard des amendements à l'examen. D'une part, le gouvernement a pris un certain nombre d'initiatives législatives en vue de l'application du principe de la représentation équilibrée des femmes dans la fonction publique et parmi les mandataires publics, notamment en ce qui concerne les listes de candidats aux élections. D'autre part, le vice-premier ministre éprouve de grandes réticences à l'égard d'amendements relatifs à la Cour d'arbitrage qui vont nettement moins loin que les propositions du gouvernement en matière électorale. L'intervenant se demande si Mme Onkelinx, vice-première ministre chargée de la politique de l'égalité des chances, partage les réserves exprimées par M. Vande Lanotte. Ces divergences d'opinion constatées témoignent d'un grave manque de cohérence.
L'intervenant demande en deuxième lieu des précisions concernant la disposition transitoire que prévoit l'amendement nº 57, en particulier pour ce qui est du passage selon lequel « pour parvenir à cette proportion, à dater de l'entrée en vigueur de la présente loi, une nomination sur trois devra profiter à une personne du sexe le moins représenté, ( ...) ». Cela signifie-t-il que la prochaine nomination ne doit pas nécessairement profiter à une femme et qu'il faut seulement qu'une des trois prochaines nominations au moins aille à une femme ? Dans l'affirmative, cette formule lui semble applicable. La question reste cependant de savoir s'il sera possible d'atteindre, d'ici le 31 décembre 2010, la proportion d'un tiers de juges de sexe féminin.
L'intervenant demande en troisième lieu si les arrêts de la Cour d'arbitrage perdraient toute validité au cas où, le 31 décembre 2010, la Cour ne remplirait pas l'obligation légale concernant la représentation des deux sexes.
Le vice-premier ministre souhaite ne répondre qu'à l'accusation adressée au gouvernement selon laquelle les mesures qu'il prend dans le domaine de l'égalité des chances manquent de cohérence. La comparaison faite par M. Barbeaux entre les listes de candidats aux élections et la composition de la Cour d'arbitrage ne tient pas.
Premièrement, on établit de nouvelles listes de candidats pour chaque élection. Deuxièmement, seuls quelques candidats de la liste sont élus.
Par contre, la Cour d'arbitrage est une institution existante composée de juges nommés à vie. On ne peut dès lors pas intervenir d'une manière radicale dans la composition de cette juridiction. De plus, la nomination des juges suit des procédures bien déterminées et doit respecter un certain nombre d'équilibres en matière linguistique et en ce qui concerne la proportion de juges-juristes et de juges-politiques.
Mme Nathalie de T' Serclaes s'associe à la demande d'approuver le projet à l'examen aussi vite que possible et de profiter de l'occasion pour montrer que le Parlement tient compte, au niveau législatif, de l'exigence d'une large couche de la population qu'en tant que cour constitutionnelle, la Cour d'arbitrage compte au moins un juge de sexe féminin, par analogie avec ce que prévoit l'article 11bis, alinéa 2, de la Constitution. Cela n'exclut aucunement la possibilité de procéder ultérieurement à une réflexion sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la magistrature.
Comme d'autres collègues, l'intervenante cosigné les amendements nºs 55 de Mme Taelman et consorts et 57 de Mme de Bethune et consorts. Comme le premier amendement, qui s'inspire de l'article 11bis, alinéa 2, de la Constitution, est manifestement le seul a contenir une formule suffisamment souple pour qu'elle puisse recueillir une majorité des deux tiers à la Chambre et au Sénat, il lui semble indiqué de suivre la voie qu'il indique. Il conviendrait toutefois de compléter cet amendement par une disposition transitoire pour éviter que la prochaine nomination ne doive nécessairement aller à un candidat de sexe féminin.
À cet effet, Mme Iris Van Riet et consorts déposent l'amendement nº 58 qui vise à ajouter à la loi spéciale un article 128 aux termes duquel l'article 34, § 5 qui prévoit que la Cour est composée de juges de sexe différent, entre en vigueur au plus tard à partir de la troisième nomination qui suit l'entrée en vigueur de la loi en projet (doc. Sénat nº 2-897/5).
Cela signifie, selon le vice-premier ministre, que, des trois prochaines nominations, une au moins doit profiter à une femme. Bien qu'il ne dispose pas de données précises en la matière, le ministre pense que cette nomination devrait avoir lieu dans un délai de trois à quatre ans.
Mme Sabine de Bethune s'oppose formellement à l'amendement nº 55 parce que la formule proposée, même si elle s'inspire de l'article 11bis de la Constitution, ne permet pas de camoufler qu'on se contente d'un seul juge féminin à la Cour d'arbitrage. Pareille disposition eût peut-être été suffisante en 1900, mais elle ne l'est plus en 2002. C'est pourquoi l'intervenante propose, en guise de mesure intermédiaire, de prévoir un quota d'un tiers de juges de sexe féminin ainsi qu'une période transitoire suffisamment longue pour qu'on puisse l'atteindre.
Le vice-premier ministre répond que, sur la base de l'amendement nº 55, il serait théoriquement possible que la Cour d'arbitrage ne compte qu'un seul juge de sexe masculin.
Selon le président, M. De Decker, la commission doit être consciente que son éventuelle adoption de l'amendement nº 57 de Mme de Bethune et consorts ne sera peut-être pas entérinée par l'assemblée plénière du Sénat, et qu'elle risque certainement de ne pas l'être par celle de la Chambre. C'est pourquoi il semble opportun de s'inspirer sur de point de ce que disait Talleyrand.
b. Votes
M. Wille retire ses amendements nºs 39 et 40.
Mme de Bethune retire ses amendements nºs 49 et 52.
L'amendement nº 55 de Mme Taelman et consorts est adopté par 8 voix et 2 abstentions.
L'amendement nº 50 de Mme de Bethune et consorts est rejeté par 8 voix et 2 abstentions.
L'amendement nº 51 de Mme de Bethune et consorts est rejeté par 7 voix contre 2, et 1 abstention.
En ce qui concerne l'amendement nº 57 de Mme de Bethune et consorts, M. Vandenberghe demande que le vote soit scindé, afin que l'on vote, d'une part, sur l'article 31, alinéa 3, proposé de la loi spéciale et, d'autre part, sur la première et la deuxième phrase de la disposition transitoire.
L'article 31, alinéa 3, proposé par l'amendement nº 57 est rejeté par 8 voix contre 2. Le vote sur la disposition transitoire devient dès lors sans objet.
L'amendement nº 58 de Mme Van Riet et consorts est adopté en tant qu'article 29 par 9 voix et 1 abstention, étant entendu que les mots « de la présente loi » sont remplacés par les mots « de la loi spéciale du ... modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage ».
Cet article concerne une modification de l'article 34, § 2, alinéa 2, de la loi spéciale.
Amendement nº 38 de M. Barbeaux (article 4quater) et amendement nº 55 de Mme Taelman et consorts (article 5bis).
a. Discussion
Comme ces deux amendements ont trait à l'article 34 de la loi spéciale, ils seront examinés dans le cadre de la discussion de l'article 5.
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 38 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à élargir, à l'article 34, § 1er, 1º, littera b), de la loi spéciale, les conditions de nomination au poste de juge de la catégorie des juges juristes, de manière que les auditeurs et les référendaires au Conseil d'État possédant au moins cinq années d'expérience puissent entrer en considération.
Le vice-premier ministre n'est pas partisan de cet amendement. Il fait remarquer que la distinction entre un référendaire à la Cour d'arbitrage, qui peut être nommé juge à la Cour au bout de cinq ans, et le référendaire ou l'auditeur au Conseil d'État qui ne peut pas être nommé à cette fonction à l'heure actuelle résulte du fait que le référendaire à la Cour d'arbitrage est censé avoir une plus grande expérience du fonctionnement de la Cour.
L'intention initiale était de n'ouvrir la catégorie des juges juristes qu'à des candidats issus des plus hautes juridictions. Il faut dès lors se demander si l'on a bien fait de prévoir que les référendaires à la Cour d'arbitrage pourraient également être nommés auxdites fonctions. On peut en effet y voir une sorte d'« endogamie ».
M. Hugo Vandenberghe est également opposé à cet amendement.
Tout d'abord, la catégorie de professions juridiques visées à l'article 34, § 1er, 1º, de la loi spéciale ne manque pas de candidats de valeur au poste de juge à la Cour d'arbitrage.
De plus, il estime que si l'on assouplit les conditions de nomination en prévoyant que les auditeurs et les référendaires du Conseil d'Etat possédant cinq années d'expérience entrent en ligne de compte, on devra prendre en considération toute la gamme des professions juridiques sans quoi on créera de nouvelles inégalités. Les référendaires à la Cour de cassation par exemple, sont systématiquement exclus. Pourtant, ils ont réussi un concours aussi difficile que celui des auditeurs et des référendaires au Conseil d'État et ils jouissent des mêmes lettres de noblesse juridique.
L'intervenant souscrit à l'observation du vice-premier ministre selon laquelle l'assouplissement des conditions de nomination au poste de juge à la Cour d'arbitrage n'est pas une bonne chose. Selon lui, seuls les membres du niveau supérieur des plus hautes juridictions doivent pouvoir entrer en considération. Les candidats doivent pouvoir présenter un curriculum vitae hors du commun. L'amendement de M. Barbeaux n'apporte aucune garantie à cet égard.
L'amendement nº 55 de Mme Taelman et consorts insérant un § 5 à l'article 34 a déjà été examiné ci-dessus dans le cadre de la discussion sur la représentation garantie des hommes et des femmes à la Cour d'arbitrage.
b. Votes
L'amendement nº 38 de M. Barbeaux est rejeté par 8 voix contre 1.
L'amendement nº 55 de M. Taelman et consorts est adopté par 8 voix et 2 abstentions (pour mémoire).
L'article 5 ainsi amendé est adopté en tant qu'article 11, à l'unanimité des 9 membres présents.
Cet article modifiant l'article 35 de la loi spéciale est adopté sans discussion en tant qu'article 12 à l'unanimité des 9 membres présents.
Article 6bis (nouveau)
Amendement nº 11 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à remplacer, à l'article 40, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale, les mots « Le Roi nomme deux greffiers » par les mots « La Cour d'arbitrage est assistée par deux greffiers nommés par le Roi ». Cette disposition qui a été suggérée par la Cour d'arbitrage définit le rôle des greffiers par analogie avec ce que prévoit l'article 35 relatif aux référendaires (cf. annexe 3).
Le vice-premier ministre est opposé à cet amendement parce qu'il assimile à tort les missions des greffiers et celles des référendaires. Les greffiers sont investis d'une mission légale. Ils confirment l'authenticité des arrêts par leur signature. Le texte proposé étend leur compétence légale en prévoyant qu'ils peuvent assister la Cour.
Les référendaires par contre ne sont investis d'aucune compétence légale spécifique et individuelle. Conformément à l'article 35 de la loi spéciale, leur rôle se borne à assister la Cour d'arbitrage. Ils agissent toujours sous l'autorité du juge auquel ils sont adjoints. Contrairement aux auditeurs du Conseil d'État, par exemple, ils ne rédigent donc pas de rapport en leur nom propre.
L'amendement nº 11 de M. Barbeaux est rejeté par 9 voix contre 1.
Amendement nº 12 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à remplacer à l'article 63, § 1er, de la loi spéciale, les mots « de la demande » par les mots « de l'acte qui saisit la cour ». Cet amendement a été suggéré par la Cour d'arbitrage (cf. annexe 3).
Le vice-premier ministre ne voit aucune objection à cet amendement.
L'amendement nº 12 est adopté en tant qu'article 13 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 33 du gouvernement
Le gouvernement dépose l'amendement nº 33 (doc. Sénat, nº 2-897/4) visant à remplacer l'article 65 de la loi spéciale. Le nouveau texte tend à ce que le prononcé d'un arrêt puisse être confié aux présidents de la Cour d'arbitrage. On évite ainsi que le siège tout entier doive assister au prononcé. Ce texte précise par ailleurs dans quel cas un arrêt doit aussi être prononcé et publié en langue allemande. Cet amendement a été suggéré par la Cour d'arbitrage elle-même (cf. l'annexe 3).
L'amendement nº 33 est adopté en tant qu'article 14 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 34 du gouvernement
Suivant la suggestion de la Cour d'arbitrage, le gouvernement dépose l'amendement nº 34 (doc. Sénat, nº 2-897/4) qui vise à compléter l'article 70 de la loi spéciale par la phrase « ou qu'il semble que l'on peut mettre fin à l'affaire par un arrêt de réponse immédiate » (cf. l'annexe 3). On peut renvoyer à la justification de l'amendement nº 35 déposé par le gouvernement et visant à remplacer l'article 72 de la loi spéciale (cf. infra article 6quater article 17 du texte adopté).
Cet amendement de nature juridique et technique ne soulève aucune discussion et est adopté en tant qu'article 15 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 13 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à supprimer, à l'article 71, alinéa 2, deuxième phrase, de la loi spéciale, le mot « francs » (cf. l'annexe 3). Sauf aux articles 71 et 72, il n'est nulle part question de jours « francs » dans la loi spéciale. La Cour d'arbitrage elle-même a suggéré cet amendement (cf. l'annexe 3).
M. Hugo Vandenberghe déclare que les jours francs sont en fait des jours ouvrables. Selon le Code judiciaire, les samedis et les dimanches ne sont en fait pas des jours francs, parce que les greffes des cours et tribunaux ne sont pas ouverts ces jours-là, ce qui empêche donc le dépôt de pièces aux greffes. Par contre, dans le cas du Conseil d'État, le samedi est considéré comme un jour franc, parce que le cachet de la poste fait foi pour le dépôt des pièces. Or, la poste est ouverte le samedi ...
Le vice-premier ministre souscrit au contenu de l'amendement.
L'amendement nº 13 est adopté en tant qu'article 16 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 14 de M. Barbeaux (article 6quinquies) et amendement nº 35 du gouvernement (article 6quater)
Les deux amendements portent sur l'article 72 de la loi spéciale.
La commission décide de commencer par examiner l'amendement nº 35 du gouvernement, parce qu'il va le plus loin (doc. Sénat nº 2-897/4).
L'amendement nº 35 vise à remplacer intégralement l'article 72 de la loi spéciale. Le but est de faire mention de l'arrêt de réponse immédiate non seulement dans le troisième alinéa, comme c'est le cas actuellement, mais aussi dans le premier alinéa : si les juges-rapporteurs jugent que le recours en annulation est manifestement non fondé, que l'on doit manifestement répondre par la négative à la question préjudicielle ou que, de par la nature de l'affaire ou de par la simplicité relative des problèmes qui y sont soulevés, on peut y mettre fin par un arrêt de réponse immédiate. Le deuxième alinéa est complété afin de préserver les droits des parties institutionnelles. Enfin, l'amendement comporte une série d'autres corrections.
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 14 (doc. Sénat nº 2-897/2) afin de supprimer, au deuxième alinéa de l'article 72 de la loi spéciale, dans la deuxième phrase, le mot « francs ». Comme l'amendement nº 35 du gouvernement modifie entièrement l'article concerné, M. Barbeaux retire le sien.
L'amendement nº 35 du gouvernement est adopté en tant qu'article 17 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 15 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 15 (doc. Sénat nº 2-897/2) visant à insérer, entre les alinéas 1er et 2 de l'article 74 de la loi spéciale, un alinéa rédigé comme suit : « La requête en annulation peut être consultée au greffe de la Cour durant un délai de trente jours à dater de la publication visée à l'alinéa précédent. » Cet amendement a été suggéré par la Cour d'arbitrage elle-même (cf. l'annexe 3).
Le vice-premier ministre remarque que l'amendement ne dit pas qui peut consulter la requête au greffe. Dès lors toute personne intéressée, qui envisage, par exemple, d'intervenir dans l'action en justice peut dès lors consulter la requête. Cela ne posera probablement aucun problème du point de vue organisationnel. Il importe toutefois que la procédure ne s'en trouve pas ralentie. Ce droit de regard ne suspend ou n'interrompt pas les délais dans lesquels les mémoires peuvent être déposés. Le vice-premier ministre n'est dès lors pas opposé à cet amendement.
L'amendement nº 15 est adopté en tant qu'article 18 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 16 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 16 (doc. Sénat nº 2-897/2) visant à supprimer l'alinéa 3 de l'article 85 de la loi spéciale. Signalons que pour compenser cette suppression, M. Barbeaux va déposer l'amendement nº 18 (doc. Sénat nº 2-897/2) visant à insérer un nouvel article 89bis dans la loi spéciale qui permettra d'abréger ou de proroger non seulement le délai fixé à l'article 85 de la loi spéciale mais aussi les délais fixés aux articles 87 et 89 (cf. infra). Les deux amendements ont été suggérés par la Cour d'arbitrage elle-même (cf. l'annexe 3).
Le vice-premier ministre soutient les deux amendements.
L'amendement nº 16 est adopté en tant qu'article 19 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 17 de M. Barbeaux (article 6octies) et amendement nº 36 du gouvernement (article 6quinquies)
a. Discussion
Les deux amendements portent sur l'article 89 de la loi spéciale.
La commission décide de commencer par examiner l'amendement nº 36 du gouvernement (doc. Sénat nº 2-897/4) parce qu'il va plus loin.
Cet amendement vise à remplacer intégralement l'article 89 de la loi spéciale. La ratio legis en est la préservation des droits de la défense en cas de recours en annulation. Normalement, la partie défenderesse a toujours le dernier mot dans une action judiciaire. Ce n'est pas le cas devant la Cour d'arbitrage, où la partie défenderesse ne dispose que d'un seul mémoire pour communiquer ses arguments. La partie demanderesse dispose par contre de la possibilité d'introduire aussi bien un recours en annulation qu'un mémoire en réponse. La partie défenderesse peut encore introduire un mémoire en réponse uniquement lorsqu'un tiers intervient. Pour rétablir l'équilibre, l'amendement offre à la partie défenderesse la possibilité de toujours introduire un mémoire en réponse.
Pour les questions préjudicielles, l'on maintient la procédure actuelle.
Pour le reste, le texte concernant la transmission des mémoires en réponse par le greffier aux parties correspond à ce qui se passe dans la pratique.
Cet amendement a été suggéré par la Cour d'arbitrage elle-même (cf. l'annexe 3).
M. Hugo Vandenberghe fait part d'un certain scepticisme à l'égard de cet amendement. Les parties institutionnelles disposent de moyens tels quelles sont immédiatement en mesure de développer entièrement tous leurs arguments dans leur mémoire en réponse. La partie défenderesse ne peut toutefois plus présenter dans son mémoire en réponse de nouveaux moyens à l'appui de son recours. Elle doit se contenter des moyens qu'elle a présentés dans sa requête.
Sur ce point, la procédure devant la Cour d'arbitrage diffère de la procédure devant le Conseil d'État.
Un avocat chevronné sait toutefois que les derniers mémoires en réponse déposés dans le cadre d'une action en justice se bornent en fait à ressasser les arguments développés précédemment et que leur portée n'est absolument pas significative pour qu'ils puissent convaincre la Cour de choisir le camp de l'intéressé.
Le vice-premier ministre comprend le scepticisme de M. Vandenberghe, mais il rappelle que l'amendement légalise une pratique existante.
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 17 (doc. Sénat, nº 2-897/2) qui insère un article 6octies modifiant l'article 89 de la loi spéciale. Pour ce qui est du contenu, l'amendement se situe dans le prolongement de l'amendement nº 36 du gouvernement.
Comme ce dernier amendement est plus lisible, M. Barbeaux retire le sien.
b. Votes
L'amendement nº 17 est retiré.
L'amendement nº 36 du gouvernement est adopté en tant qu'article 20 par 9 voix et 1 abstention.
Article 6novies (nouveau) (article 21 du texte adopté)
Amendement nº 18 de M. Barbeaux
Comme il l'a annoncé au cours de la discussion de son amendement nº 16 abrogeant l'article 85, alinéa 3, de la loi spéciale, M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 18 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à insérer dans la loi spéciale un article 89bis permettant au président de la Cour d'arbitrage d'abréger ou de proroger par ordonnance motivée les délais fixés aux articles 85, 87 et 89. Cet amendement est suggéré par la Cour d'arbitrage elle-même (cf. l'annexe 3).
Comme, cela a déjà été dit, le vice-premier ministre soutient cet amendement.
L'amendement nº 18 est adopté en tant qu'article 21 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 19 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 19 (doc. Sénat, nº 2-897/2), qui a été suggéré par la Cour d'arbitrage et qui vise à compléter l'article 90, alinéa 2, de la loi spéciale par les mots : « et énonce les questions soulevées lors de la mise en état, auxquelles les parties seront invitées à répondre, soit par un mémoire complémentaire à introduire dans le délai fixé dans l'ordonnance, soit verbalement à l'audience. » Cette disposition met la loi en harmonie avec la pratique (cf. annexe 3).
Le vice-premier ministre se rallie à cet amendement.
L'amendement nº 19 est adopté en tant qu'article 22 à l'unanimité des 9 membres présents.
Amendement nº 20 de M. Barbeaux
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 20 (doc. Sénat, nº 2-897/2) qui vise à insérer dans la loi spéciale un article 94bis réglant la procédure à suivre dans le cas où le Conseil d'Etat saisit la Cour d'arbitrage d'une question préjudicielle dans le cadre d'une procédure disciplinaire contre un bourgmestre, et ce en application de l'article 6, § 1er, VIII, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ».
M. Hugo Vandenberghe déclare qu'il votera contre cet amendement parce qu'il met en oeuvre les accords du Lambermont et du Lombard dont l'inconstitutionnalité « res ipsa loquitur ».
L'amendement nº 20 est adopté en tant qu'article 23 par 8 voix contre 1.
Amendement nº 42 de M. Barbeaux et amendement nº 48 de M. Vandenberghe
a. Discussion
L'article 7 remplace l'article 103, alinéa 2, de la loi spéciale.
M. Michel Barbeaux retire son amendement nº 42, qui prévoit erronément l'abrogation de l'article 7 au lieu de l'article 8 (doc. Sénat, nº 2-897/4).
M. Hugo Vandenberghe dépose l'amendement nº 48 (doc. Sénat, nº 2-897/4) tendant à insérer à l'article 103 de la loi spéciale, entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2, les mots suivants : « Le rapport des rapporteurs est communiqué aux parties en cause en même temps que la notification de la date de l'audience ». La communication automatique du rapport aux parties renforce le caractère écrit de la procédure devant la Cour d'arbitrage et donne aux parties l'occasion d'axer leurs plaidoiries sur les questions de droit soulevées par les rapporteurs. La Cour de cassation connaît un régime analogue en application duquel l'avis du procureur général est communiqué préalablement aux avocats pour qu'ils puissent y réagir.
Le vice-premier ministre attire l'attention sur le fait que contrairement au rapport de l'auditorat au Conseil d'État, le rapport en question, ne contient pas que des prises de position et se contente parfois de résumer les moyens présentés par les parties. L'envoi préalable de ce document aux parties leur permet d'avoir un aperçu, ce qui améliore la transparence de la procédure.
M. Vandenberghe note que le rapport est utile aux parties, parce que le rapporteur y pose parfois les questions de droit qui constituent pour lui l'essence de la cause et qui ne figurent pas forcément telles quelles dans la requête ou dans les mémoires. Si les parties n'en ont pas connaissance préalablement et si elles doivent prendre position à leur égard à l'audience, la procédure se complexifie.
b. Votes
L'amendement nº 42 est retiré.
L'amendement nº 48 de M. Vandenberghe est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
L'article 7 ainsi amendé est adopté en tant qu'article 24 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendements nºs 21 (article 7bis) et 22 de M. Barbeaux
a. Discussion
L'article 8 modifie l'article 109, alinéa 2, de la loi spéciale.
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 21 (doc. Sénat, nº 2-897/2) qui insère dans le projet un article 7bis tendant à apporter à l'article 109, alinéa 1er, de la loi spéciale deux modifications relevant de la technique juridique.
En premier lieu il insère une référence à la dérogation prévue à l'article 6, § 1er, VIII, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, pour indiquer qu'en pareil cas, le délai de six mois dans lequel la Cour doit rendre son arrêt n'est pas applicable. Le délai n'est alors que de soixante jours.
En deuxième lieu, il remplace les mots « du jugement « par les mots « de la décision « .
C'est la Cour d'arbitrage qui a elle-même suggéré cet amendement (cf. annexe 3).
Le vice-premier ministre n'a aucune objection à cet amendement.
M. Michel Barbeaux dépose ensuite l'amendement nº 22 (doc. Sénat, nº 2897/2) tendant à supprimer l'article 8. Comme l'élargissement de la compétence de la Cour d'arbitrage en matière de contrôle de la constitutionnalité alourdira la charge de travail, il est paradoxal que l'article 109, alinéa 2, de la loi spéciale prévoie que le délai de base de six mois dans lequel l'arrêt doit être rendu ne peut plus être prorogé que de six mois au lieu d'un an.
Le vice-premier ministre s'oppose à cet amendement.
b. Votes
L'amendement nº 21 est adopté par 9 voix et 1 abstention.
L'amendement nº 22 est rejeté par 9 voix et 1 abstention.
L'article 8 ainsi amendé est adopté en tant qu'article 25 par 9 voix contre 1.
Amendement nº 37 du gouvernement
Le gouvernement dépose l'amendement nº 37 (doc. Sénat, nº 2-897/4), qui vise à remplacer l'article 114, alinéa 1er, de la loi spéciale par la disposition suivante : « Les arrêts, rendus sur recours en annulation et sur des questions préjudicielles, sont publiés dans leur intégralité ou par extraits dans le Moniteur belge par les soins du greffier. L'extrait comporte les considérants et le dispositif. »
De cette façon, les arrêts rendus sur recours en annulation pourront dorénavant aussi être publiés par extraits. Les arrêts sont disponibles dans leur intégralité sur le site de la Cour d'arbitrage et dans le recueil officiel.
Dans le souci de garantir, une information adéquate du public, le président du Sénat, mandaté à cette fin par la commission, adressera aux présidents de la Cour d'arbitrage une lettre les priant de mentionner, en cas de publication par extraits, à quel endroit du site de la cour la version intégrale de l'arrêt peut être consultée.
Le vice-premier ministre souscrit entièrement à cette initiative.
L'amendement nº 37 est adopté en tant qu'article 26 à l'unanimité des 9 membres présents.
Amendement nº 23 de M. Barbeaux
L'article 9 prévoit une modification de l'article 124bis de la loi spéciale.
M. Michel Barbeaux dépose l'amendement nº 23 (doc. Sénat, nº 2-897/2) visant à supprimer cet article. Référence est faite à la discussion de l'amendement nº 10 de M. Barbeaux insérant un article 30bis dans la loi spéciale (cf. supra article 4ter article 10 du texte adopté).
L'amendement nº 23 est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
Cet article prévoit le remplacement, dans la loi spéciale, des mots « l'article 26bis de la Constitution » par les mots « l'article 134 de la Constitution ».
L'amendement nº 10 est adopté en tant qu'article 27 à l'unanimité des 10 membres présents.
Cet article, qui supprime l'article 124 de la loi spéciale, est adopté sans discussion en tant qu'article 28 à l'unanimité des 10 membres présents.
Amendement nº 40 de M. Wille et consorts, amendement nº 52 de Mme de Bethune et consorts et amendement nº 58 de Mme Van Riet et consorts
Les amendements susvisés prévoient tous une disposition transitoire en vue d'introduire le principe de la représentation garantie des deux sexes au sein de la Cour d'arbitrage. On se référera à la discussion des amendements y afférents (cf. supra).
On peut noter pour mémoire que l'amendement nº 58 de Mme Van Riet et consorts est adopté en tant qu'article 29 par 9 voix et 1 abstention (doc. Sénat, nº 2-897/5). L'amendement vise à prévoir, dans un article 128 nouveau de la loi spéciale, que l'article 34, § 5, nouveau, en vertu duquel la cour est composée de juges de sexe différent, entre en vigueur au plus tard à partir la troisième nomination qui suit l'entrée en vigueur de la loi en projet.
L'ensemble du projet de loi spéciale ainsi amendé est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
Le vice-premier ministre tient à remercier la commission pour le sérieux avec lequel elle a discuté la matière extrêmement complexe qui fait l'objet de la proposition de révision de la Constitution et du projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.
Le rapporteur, Michel BARBEAUX. |
Le président, Armand DE DECKER. |
1. AVIS DE M. JACQUES VELU, PROCUREUR GÉNÉRAL ÉMÉRITE PRÈS LA COUR DE CASSATION, SUR LE PROJET DE LOI SPÉCIALE MODIFIANT LA LOI SPÉCIALE DU 6 JANVIER 1989 SUR LA COUR D'ARBITRAGE, RENDU LE 28 NOVEMBRE 2001, À LA DEMANDE DE M. JEAN DU JARDIN, PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION (doc. Sénat, nº 2-897/1)
I. Introduction
1. Cet avis qui porte sur le projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage (doc. Sénat session 2000-2001, nº 2-897/1) est donné à la suite d'une demande qui m'a été adressée le 19 octobre 2001 par M. le procureur général près la Cour de cassation Jean du Jardin.
2. Il examinera successivement les trois réformes principales proposées par le projet, à savoir :
l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage en ce qui concerne tant les recours en annulation que les questions préjudicielles au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec l'ensemble des articles du titre II de la Constitution (« Des Belges et de leurs droits ») ainsi qu'avec les articles 172 (égalité en matière fiscale) et 191 (droits des étrangers) de celle-ci (articles 2 et 4, § 1er, du projet);
l'exclusion de la faculté pour la Cour d'arbitrage de statuer, par voie de décision préjudicielle, sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution et les règles répartitrices de compétence en ce qui concerne les actes portant assentiment à un « traité constituant » de l'Union européenne ou à la Convention européenne des droits de l'homme ou à un protocole additionnel (article 4, § 2, du projet);
la suppression de l'obligation pour les juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsqu'il s'agit d'une procédure en référé, sauf s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution ou les règles répartitrices de compétence ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, ou lorsqu'il s'agit d'une procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive (article 4, §§ 3 et 4, du projet).
II. L'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage en ce qui concerne tant les recours en annulation que les questions préjudicielles au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec l'ensemble des articles du titre II de la Constitution (« Des Belges et de leurs droits ») ainsi qu'avec les articles 172 (égalité en matière fiscale) et 191 (droits des étrangers) de celle-ci (articles 2 et 4, § 1er, du projet)
3. Le projet de loi spéciale prévoit :
en son article 2, que « dans l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le 2º est remplacé par la disposition suivante :
« 2º des articles du titre II « Des Belges et de leurs droits », et des articles 172 et 191 de la Constitution »;
en son article 4, § 1er, que « dans l'article 26, § 1er, de la même loi, le 3º est remplacé par la disposition suivante :
« 3º la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de la Constitution, des articles du titre II « Des Belges et de leurs droits », et des articles 172 et 191 de la Constitution » (178).
Le projet tend ainsi à étendre la compétence de la Cour d'arbitrage au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les articles du titre II de la Constitution (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 172 et 191 de la Constitution relatifs respectivement à l'égalité en matière fiscale et aux droits des étrangers.
Il est étroitement lié à la proposition du gouvernement tendant à insérer au titre II de la Constitution, un article 32bis rédigé comme suit :
« Chacun bénéficie des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge » (179).
Combinés avec cette proposition, les articles 2 et 4, § 1er, du projet de loi spéciale auraient pour effet l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage, tant au contentieux d'annulation qu'au contentieux préjudiciel, au contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles.
Les observations que cette extension de compétence de la Cour d'arbitrage appelle se rapportent les unes aux aspects institutionnels du système proposé, les autres à ses aspects normatifs.
A. Les aspects institutionnels du système proposé.
4. Les aspects institutionnels du système proposé concernent essentiellement le contrôle juridictionnel de la compatibilité des actes législatifs avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles.
Il apparaît à cet égard que ce système n'est pas conforme aux exigences constitutionnelles en tant qu'il méconnaît, d'une part, l'article 142 de la Constitution lequel exclut la compétence de la Cour d'arbitrage d'exercer un contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les normes des traités internationaux et, d'autre part, le principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les juridictions judiciaires et administratives ont le pouvoir et le devoir d'écarter l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes directement applicables des traités internationaux. En outre, ce système n'est pas de nature à assurer une plus grande unité dans l'interprétation des droits fondamentaux, ce qui est son objectif déclaré.
1º La méconnaissance de l'article 142 de la Constitution qui exclut la compétence de la Cour d'arbitrage d'exercer un contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les normes des traités internationaux.
5. N'étant pas inscrit dans la liste des dispositions visées par la déclaration de révision du 4 mai 1999, l'article 142 de la Constitution relatif à la Cour d'arbitrage n'est pas actuellement révisable.
Le projet de loi spéciale, lu en combinaison avec l'article 32bis en projet de la Constitution, méconnaît l'article 142 de celle-ci en ce qu'en instituant la Cour d'arbitrage, le constituant a entendu formellement exclure des attributions de cette juridiction le règlement des conflits entre les actes législatifs et les traités internationaux.
Ainsi qu'il résulte des textes constitutionnels et légaux aussi bien que des travaux préparatoires de ceux-ci, la Cour d'arbitrage est constitutionnellement incompétente pour exercer un contrôle direct sur la compatibilité d'un acte législatif avec une règle de droit international. Cette compétence ne peut lui être attribuée, même par une loi spéciale.
6. La ferme volonté du constituant d'exclure des attributions de la Cour d'arbitrage le règlement des conflits entre les actes législatifs et les normes des traités internationaux s'est clairement manifestée tant lors de l'élaboration du texte initial de l'ancien article 107ter de la Constitution devenu l'article 142 adopté le 29 juillet 1980 (qui conférait uniquement à la Cour d'arbitrage le pouvoir de régler les conflits entre la loi, le décret et les règles visées à l'ancien article 26bis devenu l'article 134 ainsi qu'entre les décrets entre eux et entre les règles visées à l'ancien article 26bis entre elles) que lors de la révision de l'ancien article 107ter, intervenue le 15 juillet 1988 (qui permet à la Cour d'arbitrage de statuer en outre sur la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'ancien article 26bis, des anciens article 6 devenu l'article 10 , 6bis devenu l'article 11 et 17 devenu l'article 24 , et prévoit qu'elle pourra statuer aussi sur la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'ancien article 26bis, d'autres articles de la Constitution pour autant qu'une loi adoptée à une majorité spéciale l'y autorise).
Cette volonté du constituant fut confirmée sans équivoque au cours des travaux préparatoires des deux lois organiques de la Cour d'arbitrage : celle du 28 juin 1983 puis celle du 6 janvier 1989.
7. Elle ressort tout d'abord, en 1980, des travaux préparatoires du texte initial de l'ancien article 107ter de la Constitution adopté le 29 juillet 1980.
En mai 1980, le gouvernement avait déposé au Sénat une proposition relative à la révision du chapitre III du Titre III de la Constitution par l'insertion d'un article 107bis ayant trait à la Cour d'arbitrage (180) ainsi qu'un projet de loi ordinaire de réforme institutionnelle (181) qui prévoyaient que la Cour d'arbitrage aurait le pouvoir de statuer par voie d'arrêts sur les questions préjudicielles de chaque juridiction sur la conformité au droit international et supranational des actes législatifs. À la suite de l'avis donné le 9 juin 1980 par le Conseil d'État sur le projet de loi ordinaire de réformes institutionnelles (5) ainsi que d'études doctrinales publiées par les professeurs J.-V. Louis, G. Schrans et M. Maresceau (183), le gouvernement prit conscience de ce que l'attribution d'une telle compétence à la Cour d'arbitrage irait à l'encontre du pouvoir qu'ont les juridictions judiciaires et administratives de statuer sur les conflits entre les traités directement applicables et les normes internes et serait incompatible notamment avec les exigences du droit communautaire. Aussi, la nouvelle proposition visant à insérer dans la Constitution une disposition relative à la création d'une Cour des conflits, que le gouvernement déposa à la Chambre en juillet 1980, ne retint-elle pas la suggestion qui tendait à attribuer à la Cour d'arbitrage la compétence de statuer sur les questions préjudicielles relatives à la conformité des actes législatifs au droit international et supranational (184).
Cette volonté du constituant de 1980 de ne pas attribuer à la Cour d'arbitrage un contrôle direct sur la conformité des actes législatifs aux traités internationaux fut rappelée lors de l'élaboration de la première loi organique de la Cour d'arbitrage, en 1983. En juin 1983, la Chambre repoussa, parce que le jugeant manifestement contraire à l'article 107ter de la Constitution (185), un amendement au projet de loi portant l'organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d'arbitrage déposé en mai 1983 par M. le député Dierickx, amendement qui tendait à rendre la Cour d'arbitrage compétente pour statuer sur les recours en annulation introduits pour cause de violation des normes établies par des institutions supranationales (186).
La volonté du constituant de 1988 fut la même que celle du constituant de 1980. En juin 1988, lors de l'élaboration de la loi constitutionnelle du 15 juillet 1988 qui révisa l'ancien article 107ter de la Constitution, un des co-rapporteurs au Sénat, M. le sénateur Lallemand, après avoir rappelé que le constituant de 1980 et le législateur de 1983 avaient refusé d'inclure dans les compétences de la Cour d'arbitrage le règlement des conflits entre le droit international et le droit interne (187), posa à ce sujet au gouvernement des questions précises (188).
Répondant à celles-ci, M. le vice-premier ministre Dehaene donna l'assurance qu'en aucune façon, le gouvernement n'entendait revenir sur les options prises en juillet 1980 et en juin 1983. « Je tiens à souligner, déclara-t-il, que le gouvernement actuel ne modifie en rien le point de vue qui a été pris en 1980, en retirant le projet de loi, point de vue qui a d'ailleurs été confirmé lors de la discussion du projet de loi sur la Cour d'arbitrage. Le gouvernement limite strictement la possibilité de poser des questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage au droit national et, plus particulièrement, aux conflits de compétence entre loi et décret, aux articles 6, 6bis et 17 de la Constitution et aux autres articles qui seraient dans une phase suivante, désignés par une loi à majorité spéciale. L'obligation pour les tribunaux et le Conseil d'État de poser des questions préjudicielles ne concerne donc nullement le droit international et le droit supranational » (189).
La volonté concordante des constituants de 1980 et de 1988 avec laquelle coïncidait celle du législateur de 1983 fut aussi celle du législateur de 1989. Au cours des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 1989, tant au Sénat qu'à la Chambre, les propositions qui avaient à nouveau été formulées en vue d'étendre les attributions de la Cour d'arbitrage au contrôle direct de la conformité des actes législatifs aux normes de droit international et supranational (190) furent rejetées parce que jugées manifestement incompatibles avec l'article 107ter de la Constitution. Le gouvernement, par la voix de M. Dupré, secrétaire d'État aux Réformes institutionnelles, rappela en ces termes les objections juridiques auxquelles elles se heurtaient. « Tout d'abord, un pareil contrôle n'est pas autorisé par l'article 107ter de la Constitution. En outre, dans la mesure où une loi ou un décret est contraire à une disposition de droit international ou de droit européen directement applicable dans l'ordre juridique interne, il appartient au juge national de constater et de refuser l'application de cette loi ou de ce décret. Enfin, il serait contraire au traité CEE lui-même de contraindre le juge national à poser d'abord une question préjudicielle à ce propos à la Cour d'arbitrage. Il résulte en effet de l'arrêt Simmenthal, rendu le 9 mars 1978 par la Cour de Justice des Communautés européennes que serait, dès lors, incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d'un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l'efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires. » (191)
Le co-rapporteur du projet au Sénat, M. Baert, précisa que même par la loi spéciale prévue à l'article 107ter, § 2, alinéa 2, 3º, de la Constitution, la compétence de la Cour d'arbitrage ne pourrait être étendue aux contestations sur les conflits entre normes internationales et supranationales et normes nationales (192).
Constitutionnellement, le législateur ne peut donc rendre la Cour d'arbitrage compétente pour exercer au contentieux d'annulation ou au contentieux préjudiciel, un contrôle direct sur la compatibilité des actes législatifs avec les normes des traités internationaux notamment ceux qui sont relatifs aux droits fondamentaux.
Dans notre droit constitutionnel, l'application de ces normes par la Cour d'arbitrage ne peut revêtir qu'un caractère indirect et auxiliaire : ainsi, la Cour d'arbitrage a-t-elle pu jusqu'à présent, sans méconnaître ni la Constitution ni la loi spéciale du 6 janvier 1989 utiliser ces normes comme modes d'interprétation des règles énoncées par les articles 10, 11 et 24 de la Constitution ou comme valeurs de référence de ces règles (193).
8. Pour justifier que le projet de loi spéciale ne méconnaît pas ces exigences constitutionnelles, le gouvernement fait valoir, dans l'exposé des motifs en réponse aux objections formulées par le Conseil d'Etat, que de « la « construction » insérée dans ce projet, ne découle pas spécialement la compétence de la Cour d'arbitrage de contrôler la conformité des normes législatives à des traités internationaux (ce que suggère à tort, il nous semble, le Conseil d'État dans son avis) mais plutôt la compétence de contrôler la conformité de ces normes à un nouvel article de la Constitution, qui, de par sa rédaction synthétique, évite, dans sa formulation actuelle, la retranscription littérale de l'ensemble des droits et garanties reconnus par la CEDH » et que « par sa remarque, le Conseil semble donc porter préjudice à la valeur de l'insertion d'un nouvel article dans la Constitution » (194).
Par le biais de l'incorporation des normes de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles additionnels dans la Constitution, le projet, lu à la lumière de l'article 32bis en projet de la Constitution, a manifestement pour objet et pour effet de rendre la Cour d'arbitrage compétente pour exercer un contrôle autonome et direct sur la compatibilité des actes législatifs avec ces normes internationales. Quand il évoque le principe selon lequel le juge se doit d'écarter l'application d'une norme de droit interne lorsque cette norme est en conflit avec une règle de droit international ayant des effets directs, l'exposé des motifs énonce que « le texte en projet a pour conséquence de conditionner l'application de ce principe à l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational » et que « ces juridictions conservent dès lors leur compétence de contrôle » mais que « l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendra à la Cour d'arbitrage, via la procédure d'une question préjudicielle (195). C'est, de la part des auteurs du projet, admettre on ne peut plus explicitement que l'objet réel de la question préjudicielle serait « la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational » et que ce qui reviendrait à la Cour d'arbitrage, c'est bien l'interprétation du droit international ou supranational.
De même, quand la note explicative de la proposition gouvernementale relative à la révision du titre II de la Constitution commente la portée de cette proposition et envisage le cas où les compétences de la Cour d'arbitrage seraient élargies et s'étendraient aussi aux droits inscrits au titre II, elle souligne que « la Cour d'arbitrage pourra désormais contrôler la conformité de nos lois, décrets et ordonnances directement à la lumière des droits et libertés repris dans la CEDH » (196).
C'est donc bien d'un contrôle autonome et direct de la compatibilité des actes législatifs avec les normes de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles qu'il s'agit dans la réforme proposée, ce que l'article 142 de la Constitution ne permet pas.
2º La méconnaissance du principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les juridictions judiciaires et administratives ont le pouvoir et le devoir d'écarter l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes directement applicables des traités internationaux
9. Ni le texte de l'article 32bis en projet de la Constitution ni celui du projet de loi spéciale ne précisent si l'attribution à la Cour d'arbitrage d'un contrôle direct de la compatibilité des actes législatifs avec les droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles impliquerait la suppression du pouvoir qu'ont les juridictions judiciaires et administratives d'écarter l'application des actes législatifs, qu'elles jugent incompatibles avec les dispositions directement applicables de ces instruments internationaux.
Mais la note explicative de la proposition gouvernementale relative à l'article 32bis en projet de la Constitution et l'exposé des motifs du projet de loi spéciale laissent entendre de manière implicite qu'un contrôle direct du respect de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles par la Cour d'arbitrage entraînerait la suppression de ce pouvoir reconnu aux juridictions judiciaires et administratives.
La suppression de ce pouvoir méconnaîtrait nécessairement le principe général de droit constitutionnel en vertu duquel les juridictions judiciaires et administratives ont le pouvoir et le devoir d'écarter l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes directement applicables des traités internationaux.
10. Le principe général de droit constitutionnel de la primauté, sur les normes juridiques internes, des normes du droit international conventionnel qui ont des effets directs dans l'ordre juridique national, a, en droit belge, un fondement jurisprudentiel.
On sait que ce principe actuellement incontesté a été consacré pour la première fois par la Cour de cassation dans son arrêt Le Ski du 27 mai 1971, lequel décide que « lorsqu'un conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir ».
Il implique pour toutes les juridictions judiciaires et administratives le pouvoir et le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui, suivant leurs constatations, sont contraires aux dispositions directement applicables des traités internationaux (197) (198).
Lorsque dans les espèces qui leur sont soumises, elles constatent qu'une norme directement applicable d'un traité et une norme d'un acte législatif sont incompatibles, ces juridictions peuvent et doivent décider que les effets de la norme de l'acte législatif sont arrêtés dans la mesure où elle est en conflit avec la norme directement applicable du traité.
Le pouvoir de contrôle appartenant aux juridictions judiciaires et administratives inclut à la fois le pouvoir de constater qu'une règle d'un acte législatif est incompatible avec une règle directement applicable d'un traité et, lorsqu'une telle incompatibilité a été constatée par elles, le pouvoir d'écarter l'application de la règle de l'acte législatif en décidant qu'en l'espèce les effets de celui-ci sont arrêtés, dans la mesure où il contredit la règle du traité.
11. La volonté du constituant de 1980 et de 1988 a été, en déterminant les attributions de la Cour d'arbitrage, de sauvegarder intégralement ce pouvoir des juridictions judiciaires et administratives.
Si la proposition gouvernementale qui aboutit le 29 juillet 1980 à l'insertion de l'ancien article 107ter de la Constitution ne retint pas la suggestion tendant à rendre la Cour d'arbitrage compétente pour statuer sur des questions préjudicielles relatives à la conformité des actes législatifs avec le droit international et supranational, c'est, ainsi qu'on l'a indiqué déjà, notamment parce que l'attribution d'une telle compétence à cette Cour méconnaîtrait le pouvoir qu'ont les juridictions judiciaires et administratives de statuer sur les conflits entre les normes des traités internationaux directement applicables et les normes internes (199).
Le souci du constituant de ne pas porter atteinte à ce pouvoir des juridictions judiciaires et administratives se manifesta à nouveau lors de l'élaboration de la loi constitutionnelle du 15 juillet 1988 qui révisa l'ancien article 107ter. On rappellera que par la voix de M. le vice-premier ministre Dehaene, le gouvernement, en réponse à des questions précises de M. Lallemand, co-rapporteur au Sénat, fit savoir en substance qu'il n'entendait modifier en rien le point de vue adopté en 1980 : « l'obligation pour les tribunaux et le Conseil d'Etat de poser des questions préjudicielles ne concern(ait) donc nullement le droit international et le droit supranational » (200).
La volonté sur ce point du constituant de 1980 et de 1988 s'est trouvée confirmée et précisée au cours des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
« En 1971, déclarait au Sénat en novembre 1988 M. Lallemand co-rapporteur du projet de loi, la Cour de cassation a consacré, pour la première fois, de façon évidente et nette, le pouvoir des juridictions de contrôler la compatibilité des normes législatives de droit interne (la loi à l'époque, aujourd'hui la loi et le décret) avec les dispositions des traités internationaux ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne. C'est un arrêt révolutionnaire, dont les effets se continuent aujourd'hui (...). Il y a une véritable répartition de compétences entre la Cour d'arbitrage et la Cour de cassation dans le contrôle de la conformité des lois et des décrets aux normes de droit supérieur. Lorsqu'un droit ou une liberté est garanti par un traité international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, le pouvoir judiciaire et, au sommet, la Cour de cassation auront pour mission d'en assurer la protection. Par contre, la Cour d'arbitrage disposera du monopole du contrôle du respect par le législateur des droits garantis par les articles de la Constitution mais à la condition que le législateur lui en ait confié la compétence » (201). Le premier ministre, M. Martens, souligna de son côté qu'« il s'agissait d'une évolution irréversible » et que « quiconque réfléchit à l'opportunité de la création d'une cour constitutionnelle, doit être conscient de cette réalité » (202).
Si furent repoussées des propositions tendant à étendre les attributions de la Cour d'arbitrage au règlement des conflits entre les actes législatifs et les normes du droit international et supranational, c'est, notamment, comme on l'a exposé plus haut, parce que, pour reprendre les termes de la déclaration faite au Sénat en juin 1988 par M. Dupré, secrétaire d'Etat aux Réformes institutionnelles « dans la mesure où une loi ou un décret est contraire à une disposition de droit international ou de droit européen directement applicable dans l'ordre juridique interne, il appartient au juge national de le constater et de refuser l'application de cette loi ou de ce décret » (203).
Cette déclaration met bien en évidence que le pouvoir des juridictions judiciaires et administratives comporte tant le pouvoir de constater l'incompatibilité entre l'acte législatif et le traité directement applicable que celui de refuser l'application de cet acte.
12. L'exposé des motifs du projet de loi spéciale conteste en ces termes que ce projet porte atteinte au principe général de droit constitutionnel auquel on vient de se référer :
« Le texte en projet, explique-t-il, ne remet nullement en cause le principe selon lequel le juge se doit d'écarter l'application d'une norme interne dans un cas d'espèce lorsqu'il est amené à constater que cette norme est en conflit avec une règle de droit international présentant des effets directs. Le texte en projet a pour conséquence de conditionner l'application de ce principe à l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational. Ces juridictions conservent dès lors leur compétence de contrôle mais l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendra à la Cour d'arbitrage, via la procédure d'une question préjudicielle. Ce mécanisme permettra d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de ces droits fondamentaux. (204) »
Assurément, cette argumentation se méprend sur la portée du principe général de droit constitutionnel invoqué et fait bon marché de la volonté du constituant de 1980 et de 1988.
Le pouvoir de contrôle des juridictions judiciaires et administratives implique, on l'a vu, non seulement le pouvoir et le devoir d'écarter l'application d'un acte législatif incompatible avec un traité directement applicable mais aussi le pouvoir et le devoir de constater au préalable pareille incompatibilité.
Il ne saurait exister un pouvoir et un devoir de constater une incompatibilité entre un acte législatif et un traité directement applicable sans que ne soient reconnus aux juridictions judiciaires et administratives le pouvoir et le devoir d'interpréter aussi bien l'acte législatif que le traité.
Ceci vaut a fortiori pour le contrôle juridictionnel de compatibilité avec la Convention européenne des droits de l'homme qui instaure un ordre juridique sui generis, normatif et institutionnel, qui présente de nombreuses analogies avec les structures supranationales (205).
Une des exigences découlant de la primauté des normes directement applicables de ce traité sur les normes de droit interne est que toute juridiction judiciaire ou administrative soit compétente pour déclarer inapplicable de sa propre autorité toute norme de droit interne qu'elle juge incompatible avec la Convention sauf si la Constitution était expressément révisée sur ce point. Une disposition constitutionnelle ou légale ne saurait sans méconnaître cette exigence avoir pour objet ou pour effet que la juridiction judiciaire ou administrative amenée à faire application d'une norme de la Convention ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, puisse ou doive surseoir à statuer jusqu'au moment où soit la Cour d'arbitrage, soit une autre autorité se serait prononcée sur le conflit entre la norme de la Convention et la norme nationale (206).
Contrairement à ce qu'affirme l'exposé des motifs, le pouvoir de contrôle des juridictions judiciaires et administratives subirait une atteinte grave violant le principe général de droit constitutionnel invoqué si le contrôle de ces juridictions était conditionné par l'obligation de poser à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle sur la compatibilité des actes législatifs avec les normes directement applicables de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles et si, dès lors, la compétence d'interpréter ces normes leur était enlevée.
Il est incontestable que si, comme le prétend l'exposé des motifs, l'obligation pour les juridictions judiciaires et administratives de poser une question préjudicielle en ce domaine à la Cour d'arbitrage ne portait pas atteinte au pouvoir de ces juridictions d'écarter l'application d'un acte législatif jugé incompatible avec un traité international directement applicable parce que seule l'interprétation de la règle de droit international ou supranational reviendrait à la Cour d'arbitrage, ni le constituant de 1980 ni celui de 1988 ni le législateur spécial de 1989 n'auraient rejeté les diverses propositions tendant à attribuer à la Cour d'arbitrage la compétence de statuer sur les questions préjudicielles qui lui seraient posées en ce domaine, au motif notamment que l'octroi d'une telle compétence méconnaîtrait le pouvoir de ces juridictions.
À défaut d'une révision explicite de la Constitution sur ce point qui n'est pas repris dans la déclaration de révision du 4 mai 1999, la compétence de la Cour d'arbitrage en la matière ne saurait constitutionnellement exclure celle des juridictions judiciaires et administratives.
3º L'inadéquation du système proposé par rapport au but poursuivi qui est d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation des normes relatives aux droits fondamentaux.
13. En ce qui concerne le contentieux préjudiciel, le gouvernement justifie l'extension de la compétence au contrôle direct de la conformité des actes législatifs aux normes de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles par la nécessité d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation des droits fondamentaux.
La réforme proposée est inadéquate par rapport au but poursuivi.
14. Ainsi qu'on l'a exposé déjà, en l'absence d'une révision explicite de la Constitution sur ce point, cette réforme ne saurait avoir pour effet d'exclure le pouvoir et le devoir des juridictions judiciaires et administratives de refuser l'application des actes législatifs qu'elles jugent incompatibles avec les normes de la Convention et de ses protocoles ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne.
Loin d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation des droits fondamentaux, elle entraînerait une juxtaposition de contrôles juridictionnels de nature à accroître les risques de divergences dans l'interprétation des droits garantis par ces traités.
15. A supposer même que la réforme proposée permette de rendre la Cour d'arbitrage exclusivement compétente pour exercer un contrôle direct sur la compatibilité des actes législatifs avec les normes directement applicables de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles, les juridictions judiciaires et administratives conserveraient de toute façon la compétence de contrôler la conformité à ces normes de tous les actes émanant des autorités judiciaires et administratives ainsi que la conformité aux normes directement applicables des nombreux autres traités internationaux relatifs à la protection des droits de l'homme, de tous les actes émanant des autorités publiques en ce compris les actes législatifs. Il est hasardeux de considérer comme le fait l'exposé des motifs du projet de loi spéciale (207), en réponse à une observation du Conseil d'État (208), que le risque que la Cour d'arbitrage et les autres juridictions interprètent différemment des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en grande partie identiques aurait plutôt tendance à diminuer qu'à augmenter (209). La tendance inverse qui assurément serait néfaste à la sécurité juridique paraît plus vraisemblable.
16. Du reste, d'ores et déjà, une autorité autre que la Cour d'arbitrage a en charge la tâche d'assurer une plus grande unité dans l'interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles. En tant que partie à cette Convention, l'État belge a reconnu à la Cour européenne des droits de l'homme la mission d'interpréter les normes de celle-ci.
En vertu de l'article 32 de la Convention, la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme « s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles qui lui (sont) soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34 et 47 ». Comme la Cour l'a relevé elle-même, il s'en déduit que ses arrêts servent, non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect des engagements assurés par les États contractants » (210) et qu'ils sont, dès lors, susceptibles de produire des effets débordant les limites du cas d'espèce » (211). Encore qu'elle ne comporte que peu de références explicites aux arrêts de la Cour européenne, la jurisprudence belge a égard à l'autorité spécifique qui s'attache à la jurisprudence interprétative de la Cour européenne qu'elle distingue de l'autorité de la chose jugée : hormis l'existence de faits nouveaux ou d'autres éléments objectifs de nature à entraîner une modification de la jurisprudence interprétative de la Cour européenne, l'autorité particulière qui s'attache à cette jurisprudence amène normalement la jurisprudence belge à se conformer à celle-ci. La Cour de cassation a consacré de manière explicite cette « autorité de la chose interprétée » par la Cour européenne dans un arrêt du 10 mai 1989 lequel, à la suite de l'arrêt Lamy rendu par la Cour européenne le 30 mars 1989 (212) modifie la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la portée de l'article 5, § 4, de la Convention en matière de détention préventive (213).
17. Certes, quelque important qu'il soit, l'impact de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne suffit pas à écarter des risques de divergences entre les jurisprudences des divers ordres juridictionnels internes appelés à interpréter et à appliquer les normes relatives aux droits fondamentaux.
Mais ce n'est pas par l'attribution à la Cour d'arbitrage de la compétence d'exercer un contrôle direct sur la conformité des actes législatifs aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles que ces risques seront évités.
Examinant les risques de divergences pouvant exister en France entre les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la Cour de cassation, MM. R. Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, et M. Long, alors vice-président du Conseil d'État, écrivaient en 1988 : « Il est (du) devoir (des trois ordres d'autorités juridictionnelles) de concevoir leurs missions respectives comme complémentaires de chacune des deux autres, ensuite d'harmoniser leur jurisprudence dans les domaines qui leur sont communs, enfin d'éviter toute faille, toute lacune, tout angle mort dans le contrôle juridictionnel. La doctrine de son côté doit les y aider en plaçant dans la même réflexion et la même orientation générale des décisions dont l'apparente disparité résulte de la variété des questions posées au juge comme parfois des circonstances immédiates qui leur sont provoquées » (214).
Pour assurer une meilleure unité dans l'interprétation des droits fondamentaux, il serait à notre sens souhaitable qu'au delà d'une prise en compte de la dialectique interprétative de la Cour européenne des droits de l'homme, cet appel à la complémentarité, à l'harmonisation, à la vigilance commune ait en Belgique sa résonance tant dans les activités des diverses juridictions que dans les réflexions de la doctrine.
B. Les aspects normatifs du système proposé
18. Les aspects normatifs du système proposé sont relatifs à la norme contenue dans l'article 32bis que le gouvernement propose d'insérer au titre II de la Constitution et aux termes duquel « chacun bénéficie(rait) des droits et libertés reconnus par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par les Protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge » (215).
Cette norme sera considérée ici en elle-même, indépendamment des problèmes qu'elle soulève lorsqu'elle est lue en combinaison avec les articles 2 et 4, § 1er, du projet de loi spéciale qui ont été examinés précédemment.
Elle appelle de nombreuses objections. Celles-ci viennent principalement :
de la coexistence dans le titre II de la Constitution des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles et de droits déjà reconnus par la Constitution;
des incertitudes quant à l'incorporation dans le titre II de la Constitution des limitations générales à l'exercice des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles;
des incertitudes quant à l'incorporation dans le titre II de la Constitution des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles, relatives aux titulaires des droits reconnus;
et des incertitudes quant à l'application dans le temps des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles, incorporées dans le titre II de la Constitution.
1º La coexistence dans le titre II de la Constitution des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles et de droits déjà reconnus antérieurement par la Constitution
19. Ainsi que le relève la note explicative du gouvernement (216), « la Convention européenne des droits de l'homme contient (...) certaines dispositions qu'on ne retrouve pas ou pas explicitement dans la Constitution belge. Il s'agit du droit à la vie, la préservation des personnes contre la torture et le traitement inhumain, l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé, le droit à un procès public et équitable dans un délai raisonnable (217), le droit de se marier et de fonder une famille, le droit à l'octroi d'un recours effectif, le droit de la libre circulation dans un pays (218), d'y choisir un domicile et de quitter le pays, la préservation des ressortissants contre les expulsions, le droit d'accès au territoire de l'État dont on est ressortissant et la préservation des étrangers contre l'expulsion collective. »
Mais, comme l'admet la note gouvernementale, une partie considérable des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles sont déjà garantis par la Constitution (219).
Il s'agit du droit à la liberté et à la sûreté (220), du droit à la légalité des délits et des peines (221), du droit au respect de la vie
privée et familiale, de la correspondance et du domicile (222), du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (223), du droit à la liberté d'expression (224), du droit à la liberté de réunion pacifique et d'association (225), de l'interdiction des discriminations (226), du droit au respect des biens (227), du droit à l'instruction (228) et du droit aux élections libres (229).
« Il faut, explique la note explicative de la proposition gouvernementale, lire la Constitution et la CEDH ensemble » (230).
Cette coexistence dans la Constitution de dispositions relatives à des droits fondamentaux antérieurement reconnus par celle-ci et de dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme relatives à ces mêmes droits est critiquable, à tout le moins à un triple point de vue :
Elle risque d'entraîner de graves confusions en raison de la signification différente attachée à des concepts selon qu'ils sont utilisés dans la Constitution ou dans la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles.
Elle est source d'ambiguïtés et d'imprécisions en raison de la non-concordance des dispositions de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles au sujet d'un même droit.
Elle pose problème au regard des exigences de l'article 195 de la Constitution relatif à la révision de celle-ci.
a) Les risques de confusion résultant de la signification différente attachée à des concepts selon qu'ils sont utilisés dans la Constitution ou dans la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles
20. À supposer que des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles relatives à certains droits fondamentaux puissent constitutionnellement coexister dans le titre II de la Constitution avec les dispositions constitutionnelles antérieures relatives à ces mêmes droits, pareille situation ne manquerait pas de donner lieu à de nombreuses confusions en raison des différences de signification s'attachant à divers concepts selon qu'ils sont utilisés dans la Constitution ou dans la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles.
La Cour européenne des droits de l'homme a en effet donné à toute une série de notions contenues dans la Convention ou ses protocoles, un contenu normatif propre autonome qui ne coïncide pas avec celui de notions identiques auxquelles la Constitution se réfère.
Parmi les nombreux exemples qui pourraient être cités, on n'en retiendra ici que deux : ils concernent la signification des notions de loi et de domicile (231).
Quant à la notion de loi :
Cette notion peut être définie soit dans un sens organique et formel comme un acte se caractérisant par l'autorité dont il émane ainsi que par les formes procédurales et autres suivant lesquelles il s'accomplit, soit, dans un sens matériel, comme un acte dont la spécificité tient principalement au caractère normatif de son contenu.
La Constitution consacre la primauté de la notion organique et formelle : pour l'application notamment des dispositions de son titre II qui se réfèrent à la « loi », celle-ci doit être entendue dans un sens organique et formel : c'est tout acte du pouvoir législatif fédéral trouvant son origine dans l'initiative d'une des trois branches de ce pouvoir et impliquant le vote des deux Chambres ou dans certains cas uniquement celui de la Chambre des représentants , ainsi que la sanction du Roi, même si cet acte n'a pas de contenu législatif. Par contre, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme adoptée aussi par les juridictions judiciaires et administratives nationales, le terme « loi » utilisé dans bon nombre de dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles doit s'interpréter dans un sens matériel : c'est toute norme de droit interne, écrite ou non, pour autant que, cette norme soit accessible aux citoyens et soit énoncée de manière précise.
Quant à la notion de domicile :
Le terme « domicile », au sens de l'article 15 de la Constitution désigne le lieu, en ce compris les dépendances propres y encloses, occupé par une personne en vue d'y établir sa demeure ou sa résidence réelle et où elle a droit, à ce titre, au respect de son intimité, de sa tranquillité et plus généralement de sa vie privée (232). Pour l'application de l'article 8 de la Convention, la notion est plus large. Par son arrêt Niemietz c/ l'Allemagne du 16 décembre 1992, la Cour européenne des droits de l'homme a étendu la notion de domicile, au sens de cet article de la Convention, aux locaux professionnels d'un avocat, estimant que la protection du domicile n'exclut pas celle de certains locaux professionnels ou commerciaux (233).
b) Les ambiguïtés et imprécisions résultant de la non-concordance des textes de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles au sujet d'un même droit
21. La coexistence de deux types de normes relatives à un même droit fondamental, celles de la Constitution et celles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles ne peut qu'être source d'ambiguïtés et d'imprécisions.
Après avoir énoncé qu'il faut lire la Constitution et la C.E.D.H. ensemble, la note gouvernementale précise en ces termes quelle est la solution qu'il importe d'adopter en cas de non concordance entre les dispositions de la Constitution relatives à un droit et celles de la Convention européenne ayant trait au même droit.
« L'article 60 de la CEDH (actuellement l'article 53 (234) dispose en outre que la Convention est complémentaire par rapport aux droits et libertés reconnus en droit interne. En d'autres mots, il faut joindre les deux protections et, en cas de contradiction, la disposition assurant la meilleure protection à l'individu prévaut » (235).
Les discordances existant au sujet d'un même droit fondamental entre le texte de la Constitution et celui de la Convention européenne ne se réduisent pas à une solution aussi simple.
Il arrive très souvent qu'il soit difficile de discerner si c'est la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme, voire un autre traité international qui, au sujet d'un droit fondamental déterminé, garantit aux individus la protection la plus favorable.
22. Cette difficulté vient tout d'abord de ce que certains droits ont un contenu incertain ou ont été définis dans la Constitution ou le traité en des termes vagues, ou de ce qu'à propos d'autres droits, il n'est pas clair si la différence dans les termes de la Constitution et du traité équivaut à une différence de fond, ou de ce que d'autres droits encore n'apparaissent pas clairement comme étant explicitement ou implicitement inclus ou exclus de la Constitution ou du traité (236).
23. La difficulté signalée résulte aussi de ce que, pour déterminer la solution à adopter en cas de discordance entre le texte de la Constitution et celui de la Convention européenne au sujet d'un droit fondamental déterminé, l'interprète ne peut pas se contenter de rechercher si c'est la Constitution ou la Convention européenne qui assure la protection la plus favorable à l'individu : il doit en outre avoir égard aux dispositions d'autres traités internationaux plus généraux pour les individus, notamment certaines dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ainsi, diverses dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques comportent clairement des obligations allant au delà de celles résultant de la Constitution ou de la Convention européenne et de ses protocoles et, partant, une protection plus favorable (237) aux individus tandis que d'autres dispositions de ce Pacte pourraient éventuellement comporter des obligations allant au delà de celles résultant de la Constitution ou de la Convention européenne et de ses protocoles (238).
24. Enfin, la difficulté que l'on évoque tient aussi à la teneur des limitations particulières susceptibles d'être apportées aux droits reconnus à la fois par la Constitution et par la Convention européenne et ses protocoles. Il paraît évident qu'en vertu de l'article 32bis en projet de la Constitution, les limitations formulées dans les dispositions particulières de la Convention et de ses protocoles qui garantissent les droits fondamentaux se trouveraient intégrés dans le titre II de la Constitution, aussi bien les limitations qui délimitent le champ d'application de ces droits que celles qui autorisent des restrictions dans l'exercice de ces droits pour autant que ces restrictions soient prévues par la loi, qu'elles poursuivent un des objectifs légitimes fixés dans la Convention et qu'elles soient nécessaires dans une société démocratique (239).
Or, pour bon nombre de droits fondamentaux, il est malaisé de discerner quelle est, de la disposition de la Constitution ou de la disposition de la Convention européenne ou de ses protocoles, celle qui assure la situation la plus favorable aux individus lorsqu'on confronte les clauses restrictives particulières dont ces dispositions sont assorties.
On ne citera à titre d'exemple que les articles 19 de la Constitution et 9 de la Convention européenne qui garantissent tous deux le droit à la liberté de conscience, de pensée et de religion. Mais il en est beaucoup d'autres.
L'article 19 de la Constitution après avoir énoncé que la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en tout matière sont garanties, prévoit une restriction : « la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés ». Quant à l'article 9 de la Convention européenne, après avoir reconnu en son paragraphe 1er que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », et que « ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites », il contient en son paragraphe 2 une clause restrictive aux termes de laquelle « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Quelle est de ces deux dispositions, celle qui, eu égard aux restrictions qu'elle prévoit, s'avère la plus favorable aux individus ?
La question apparaît d'autant plus complexe que parmi les objectifs légitimes qui sont susceptibles de justifier des restrictions aux droits et libertés reconnus par la Convention, les articles 8, 9, 10 et 11 de celle-ci relatifs respectivement au droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, au droit à la liberté d'expression et au droit à la liberté de réunion pacifique et d'association, citent « la protection des droits et libertés d'autrui ».
25. On observera que d'ores et déjà, la jurisprudence de la Cour d'arbitrage tend à privilégier une interprétation et une application combinées des textes de la Constitution, de la Convention européenne des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en faisant prévaloir sur les conditions fixées par la Constitution, les conditions fixées par les traités internationaux, la formule combinatoire étant en sa substance la suivante : « Il résulte des articles 15, 22 et 29 (19, 25 ou 26 et 27) de la Constitution combinés avec l'article 8, § 2 (9, § 2, 10, § 2 ou 11, § 2) de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 17 (18, § 3; 10, § 3; ou 21 et 22, §§ 2 et 3), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que le droit au respect de la vie privée et familiale, de la correspondance et du domicile (au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ou au droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté l'association) peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la protection des objectifs explicitement mentionnés dans les dispositions conventionnelles précitées » (240).
c) Le problème posé par les exigences de l'article 195 de la Constitution relatif à la révision de celle-ci.
26. La déclaration de révision adoptée le 4 mai 1999 énonce qu'il y a lieu à révision « du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
La proposition gouvernementale tend à insérer dans le titre II de la Constitution une seule disposition nouvelle l'article 32bis qui, on vient de le voir, aurait entre autres effets d'écarter l'application de plusieurs dispositions constitutionnelles protégeant divers droits fondamentaux ou d'en modifier en tout ou en partie la portée, alors que ces dispositions en tant que telles ne sont pas mentionnées dans la déclaration de révision.
Avec les professeurs Simonart et Verdussen, on peut se poser « la question de savoir si, compte tenu des termes de la déclaration du 4 mai 1999, le constituant est en droit, par l'insertion d'une disposition comme celle figurant à l'article 32bis, d'obliger d'écarter au bénéfice de textes internationaux l'application d'articles qui ne figurent pas dans la liste de ceux qui sont susceptibles de révision. Cela paraît douteux (241) ».
2º Les incertitudes quant à l'incorporation dans le titre II de la Constitution des limitations générales à l'exercice des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles
27. Si, comme on l'a indiqué déjà, l'insertion dans la Constitution de l'article 32bis en projet de la Constitution paraît bien impliquer l'incorporation dans le titre II de la Constitution des limitations spécifiques formulées dans les dispositions particulières de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles définissant les droits reconnus, ce qui inclut à la fois les limitations délimitant le champ d'application de ces droits et les limitations spécifiques autorisant dans certaines conditions des restrictions dans l'exercice de ceux-ci, ni le texte de l'article 32bis en projet ni la note explicative du gouvernement relative à ce texte, ni le texte du projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989, ni l'exposé des motifs relatif à ce texte, ne permettent de discerner si les autres limitations susceptibles d'être apportées à la jouissance des droits garantis par la Convention européenne de ses protocoles se trouveront incorporées dans l'article 32bis en projet de la Constitution ou quels seront les effets de ces limitations générales sur l'application de cet article.
On vise ici les limitations de l'usage des restrictions aux droits (Convention, article 18), les limitations relatives aux « liberticides » (Convention, article 17) et au droit de déroger à la Convention en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation (Convention, article 15), les limitations implicites, les limitations à l'activité politique des étrangers (Convention, article 16) et les limitations pouvant découler des réserves à des protocoles (Convention, article 57).
Comme on ne saurait entrer ici dans le détail des problèmes que suscitent les incertitudes qui en résultent, on se bornera à évoquer ici trois difficultés.
28. La première se rapporte au droit de déroger à la Convention en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation.
L'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme qui en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation, autorise les États contractants à prendre dans certaines conditions des mesures dérogeant à la Convention n'a pas son pendant dans la Constitution. Au contraire, l'article 187 de celle-ci prévoit expressément que « la Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ».
Sans doute la question de savoir si l'article 53 de la Convention s'oppose à ce qu'un État comme la Belgique dont le droit interne ne reconnaît pas les états dérogatoires ou n'en reconnaît que certains puisse se prévaloir du droit de dérogation consacré à l'article 15 de la Convention fait-elle l'objet de controverses (242). Il est vrai aussi que si l'on entend incorporer tels quels dans la Constitution les droits garantis par la Convention européenne et ses protocoles, il serait logique que la jouissance de ces droits restent assortis des mêmes limitations générales que celles qui sont prévues dans ces instruments internationaux.
Il n'en reste pas moins qu'au cas où le droit de dérogation visé par l'article 15 de la Convention européenne serait en tout ou en partie incorporé dans la Constitution, ce droit serait incompatible avec l'article 187 de la Constitution et, que ledit article ne figurant pas dans la déclaration de révision du 4 mai 1999, l'incorporation de ce droit méconnaîtrait l'article 195 de la Constitution.
29. Une deuxième difficulté se rapporte aux limitations implicites.
Dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des droits de l'homme, il est admis qu'à côté des restrictions explicites aux droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles, il existe des limitations implicites inhérentes au droit en cause ou à la situation de la personne qui l'invoque.
En particulier aux yeux de la Cour européenne, il n'y a pas d'objections à ce que des droits implicitement reconnus soient assortis de limitations implicites. De telles limitations peuvent aussi s'appliquer aux droits expressément reconnus à condition que ceux-ci ne soient pas assortis de limitations explicites; lorsqu'il existe des clauses qui autorisent explicitement des limitations, toute limitation doit se conformer à ces clauses.
Se pose la question de savoir si l'insertion dans la Constitution de l'article 32bis en projet aurait pour effet d'autoriser de telles limitations, et dans l'affirmative, si de telles limitations cadreraient avec les exigences de l'article 195 de la Constitution.
30. Une troisième difficulté se rapporte à la possibilité qu'a en principe l'Etat belge de formuler des réserves au sujet de dispositions particulières de la Convention européenne des droits de l'homme ou de ses protocoles.
L'article 57 de la Convention dispose :
« 1. Tout État peut, au moment de la signature de la présente convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article.
2. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause ».
Cette possibilité pour les Etats contractants d'émettre des réserves vaut également pour les dispositions des protocoles nº 1 (article 5), nº 4 (article 6, § 1er), nº 7 (article 7, § 1er), nº 12 (article 3) mais non pour le protocole nº 6 concernant l'abolition de la peine de mort lequel, en son article 4, exclut l'admission de réserves.
L'État belge n'a fait usage de cette possibilité ni pour la Convention elle-même, ni pour les protocoles nºs 1 et 4 qu'elle a ratifiés mais cette possibilité subsiste pour les protocoles qu'il n'a pas encore ratifiés, notamment pour les protocoles nºs 7 et 12. Au moment de la signature de ces protocoles non encore ratifiés ou du dépôt de l'instrument de ratification, l'État belge pourrait donc formuler une ou des réserves pour autant que celles-ci portent sur une ou des dispositions particulières du protocole, ne revêtent pas un caractère général, s'accompagnent d'un bref exposé de la loi ou des lois en cause et soient compatibles avec l'objet et le but du protocole [Convention de Vienne sur le droit des traités, article 19, c)].
En principe, une réserve formulée par un Etat contractant au sujet d'une disposition d'un traité a pour objet d'exclure ou de modifier l'effet juridique de cette disposition dans son application à cet État [Convention de Vienne sur le droit des traités, article 2, § 1er, d)].
On n'aperçoit pas toutefois quel pourrait être sur le plan constitutionnel l'effet d'une réserve formulée au sujet d'une disposition d'un protocole ratifié et dès lors, incorporé tel quel en vertu de l'article 32bis en projet dans le titre II de la Constitution.
Le risque existe que cette difficulté puisse amener à l'avenir l'État belge à ne pas ratifier des protocoles à la Convention qu'il aurait, en l'absence de l'article 32bis en projet, ratifiés moyennant une ou des réserves. Le même risque existe en ce qui concerne la possibilité pour l'État belge de formuler des déclarations interprétatives au sujet de dispositions particulières des protocoles (243).
3º Les incertitudes quant à l'incorporation dans le titre II de la Constitution des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles relatives aux titulaires des droits reconnus.
31. Le titre II de la Constitution est intitulé « Des Belges et de leurs droits ». Les titulaires des droits reconnus par les articles que ce titre comporte sont donc les ressortissants belges. En ce qui concerne les étrangers qui se trouvent sur le territoire national, ceux-ci jouissent, aux termes de l'article 191 de la Constitution, « de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions prévues par la loi ».
En principe, les titulaires des droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles ne sont pas seulement les ressortissants belges et les étrangers se trouvant sur le territoire belge.
En vertu de l'article 1er de la Convention européenne, les titulaires des droits reconnus par celle-ci sont toutes les personnes relevant de la juridiction des États contractants même si elles ne se trouvent pas ou ne résident pas sur le territoire d'un État contractant. Il en est de même pour les droits reconnus par les premier, quatrième, sixième, septième et douzième protocoles sous réserve toutefois des exceptions prévues à l'article 4 du quatrième protocole et de l'article 1er du septième protocole (non encore signé et ratifié par la Belgique) qui ne s'appliquent qu'aux étrangers, et à l'article 3 du quatrième protocole qui ne s'applique qu'aux nationaux.
L'incorporation de ces règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles dans le titre II de la Constitution appelle plusieurs observations.
32. Première observation En prévoyant l'insertion de l'article 32bis en projet de la Constitution, dans un titre de celle-ci qui ne concerne que les droits des Belges, les auteurs de la proposition semblent avoir perdu de vue que certaines dispositions de la Convention et de ses protocoles nºs 4 et 7 visent exclusivement les droits des étrangers.
Il en est ainsi :
de l'article 16 de la Convention aux termes duquel « aucune des dispositions des articles 10, 11 et 14 ne peut être considérée comme interdisant aux Hautes Parties contractantes d'imposer des restrictions à l'activité politique des étrangers »;
de l'article 4 du quatrième protocole, qui prévoit que « les expulsions collectives d'étrangers sont interdites »;
de l'article 1er du septième protocole (non encore signé et ratifié par la Belgique) qui est ainsi libellé :
« 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d'un État ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :
a. faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion;
b. faire examiner son cas; et
c. se faire représenter à ces fins devant l'autorité compétente par une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.
2. Un étranger peut être expulsé avant l'exercice des droits énumérés au paragraphe 1, a, b, c, de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale ».
33. Deuxième observation Le terme « chacun » figurant dans l'article 32bis en projet de la Constitution est dès lors ambigu en ce qu'il ne permet pas de distinguer si, eu égard à l'intitulé du titre II de la Constitution, il ne s'applique en principe qu'aux Belges ou si, compte tenu de l'article 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, il s'applique en principe non seulement aux Belges mais aussi à toutes les autres personnes relevant de la juridiction des États parties à la Convention européenne.
34. Troisième observation Au cas où le terme « chacun » devrait être interprété comme s'appliquant en principe notamment à tous les étrangers relevant de la juridiction des États parties à la Convention européenne des droits de l'homme et à ses protocoles, il s'accorderait mal avec l'article 191 de la Constitution qui reconnaît au législateur la faculté d'apporter des exceptions à la règle énoncée par cet article, suivant laquelle tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens.
L'article 191 de la Constitution n'étant pas repris dans la déclaration de révision du 4 mai 1999, il s'agirait alors d'une révision de cet article effectuée en dehors des conditions exigées par l'article 195 de la Constitution.
4º Les incertitudes quant à l'application dans le temps des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles incorporées dans le titre II de la Constitution
35. L'article 32bis en projet de la Constitution soulève des problèmes de deux ordres en ce qui concerne l'application dans le temps des règles de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles incorporées dans le titre II de la Constitution : des problèmes ayant trait au moment à partir duquel ces règles entreront en vigueur et des problèmes relatifs à l'extinction de ces règles.
a) L'entrée en vigueur de ces règles
36. Il est généralement admis qu'après qu'elle a été sanctionnée et promulguée par le Roi une disposition constitutionnelle nouvelle est publiée au Moniteur belge et qu'elle entre en vigueur dès cette publication.
S'il est adopté par les Chambres fédérales et sanctionné par le Roi, l'article 32bis en projet de la Constitution entrera en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge. À cette date, ledit article se trouvera inséré dans le titre II de la Constitution et, suivant ses termes « chacun bénéficie(ra) des droits et libertés reconnus par la Convention (européenne des droits de l'homme) ainsi que par les protocoles additionnels à cette Convention ratifiés par l'État belge ».
À ce jour, la Belgique est liée par la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par les protocoles nºs 1, 4 et 6; elle n'a ni signé ni ratifié le protocole nº 7; elle a signé mais non encore ratifié le protocole nº 12.
Aucun problème d'entrée en vigueur ne se posera normalement en tant que l'article 32bis en projet vise les droits et libertés reconnus par la Convention et par ses protocoles nºs 1, 4 et 6.
Il n'en va pas de même pour les protocoles qui n'ont pas encore été ratifiés, c'est-à-dire les protocoles nºs 7 et 12, et pour les éventuels protocoles futurs.
Jusqu'à présent, le protocole nº 7 qui a été ouvert à la signature à Strasbourg le 22 novembre 1984, n'a, ainsi qu'on vient de l'indiquer, été ni signé ni ratifié par la Belgique. En vertu de son article 9, § 1er, il est entré en vigueur le premier jour du mois qui suivait l'expiration d'une période de deux mois après la date à laquelle sept États membres du Conseil de l'Europe avaient exprimé leur consentement à être liés par lui, soit le 1er novembre 1988. En son article 9, § 2, il prévoit que « pour tout État membre qui exprimera ultérieurement son consentement à être lié par lui, il entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de deux mois après la date du dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation ».
Si donc la Belgique venait à ratifier ce protocole, celui-ci lierait la Belgique non pas à partir de la ratification ou le dépôt de l'instrument de ratification, mais à partir du premier jour du mois qui suivrait l'expiration d'une période de deux mois après la date du dépôt de l'instrument de ratification.
Quant au protocole nº 12 à la Convention interdisant de manière générale toute forme de discrimination, il a été ouvert à la signature à Rome le 4 novembre 2000 et signé à la même date par la Belgique. Celle-ci, on l'a indiqué déjà, ne l'a pas encore ratifié. Il prévoit, en son article 5, § 1er, qu'« il entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle dix États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés par lui » et, en son article 5, § 2, que « pour tout État membre qui exprimera ultérieurement son consentement à être lié par lui, il entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date du dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation ».
Dès lors, si l'État belge ratifie le protocole, ce dernier en aucun cas ne le liera à partir de la ratification ou du dépôt de l'instrument de ratification. Dans le cas où il serait l'un des dix premiers États à ratifier le protocole, celui-ci ne le lierait qu'à partir du premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle ces dix États membres auraient exprimé leur consentement à être liés. Dans le cas où il ratifierait le protocole après l'entrée en vigueur de celui-ci, il ne serait lié qu'à partir du premier jour du mois qui suivrait l'expiration d'une période de trois mois après le dépôt de l'instrument de ratification.
Ainsi, le texte de l'article 32bis en projet est ambigu en ce sens qu'il ne permet pas de déterminer si chacun bénéficiera des droits et libertés reconnus par les protocoles à la Convention non encore ratifiés, à partir de la ratification de ces protocoles eu égard aux termes « Protocoles additionnels ratifiés par l'État belge » ou à partir de la date ultérieure d'entrée en vigueur à l'égard de la Belgique fixée en application des règles de ces protocoles.
b) L'extinction de ces règles
37. Quoique hautement improbable, l'éventualité de l'extinction de l'application de la Convention européenne des droits de l'homme et/ou d'un ou de plusieurs protocoles ne saurait être exclue.
La Convention de Vienne sur le droit des traités signée à Vienne le 23 mai 1969 et approuvée par la loi du 10 juin 1992, énonce en ses articles 42 à 45 et 54 à 72 les règles générales relatives à une telle situation. Ces règles sont applicables à la Convention européenne des droits de l'homme et à ses protocoles. Toutefois, cette Convention prévoit en son article 58 deux causes spéciales d'extinction du traité : la dénonciation et le retrait du Conseil de l'Europe.
Un État contractant peut, sous la réserve énoncée à l'article 58, § 2, dénoncer la Convention ou un des protocoles après l'expiration d'un délai de cinq ans à partir de la date d'entrée en vigueur de la Convention ou du protocole à son égard, moyennant un préavis de six mois donné par une notification adressée au secrétaire général du Conseil de l'Europe.
Sous la même réserve, tout État contractant qui cesse d'être membre du Conseil de l'Europe, cesse d'être partie à la Convention et à ses protocoles.
Si le Roi, sous le couvert de la responsabilité ministérielle, avec ou sans l'assentiment des Chambres fédérales (244), venait à dénoncer la Convention et/ou ses protocoles ou si la Belgique cessait d'être membre du Conseil de l'Europe, les dispositions de la Convention et de ses protocoles en tant que telles cesseraient d'être applicables en Belgique, sous la réserve toutefois prévue à l'article 58, § 2, de la Convention que la Belgique resterait liée par les obligations contenues dans celle-ci et ses protocoles en ce qui concerne les faits qui, pouvant constituer une violation de ces obligations, auraient été accomplis par elle antérieurement à la date à laquelle la dénonciation ou le retrait du Conseil de l'Europe produit effet.
À cet égard, l'article 32bis en projet de la Constitution est aussi entaché d'ambiguïté dès lors qu'il ne permet pas de discerner s'il resterait ou non applicable en cas de dénonciation de la Convention européenne des droits de l'homme et de ses protocoles par l'État belge ou en cas de retrait de l'État belge du Conseil de l'Europe.
III. L'exclusion de la faculté pour la Cour d'arbitrage de statuer, par voie de décision préjudicielle, sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution et les règles répartitrices de compétence en ce qui concerne les actes portant assentiment à un « traité constituant » de l'Union européenne ou à la Convention européenne des droits de l'homme ou à un protocole additionnel (article 4, § 2, du projet)
38. L'article 4, § 2, du projet vise à insérer dans l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, un paragraphe 1erbis « exclu(ant) du champ d'application de cet article les lois, les décrets et les règles visées à l'article 134 de la Constitution par lesquels un traité constituant de l'Union européenne ou la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou un protocole additionnel à cette convention reçoit l'assentiment. »
Suivant l'exposé des motifs, l'objectif de cette disposition est de « garantir la sûreté et la stabilité des relations internationales ». « Désormais, précise notamment cet exposé, des actes d'assentiment de ces traités pourront uniquement faire l'objet d'un recours en annulation à introduire devant la Cour d'arbitrage dans les soixante jours de la publication des actes, à l'exclusion de toute compétence en la matière d'autres juridictions (245).
Alors que la loi spéciale, en son article 3, § 2, reconnaît expressément la compétence de la Cour d'arbitrage pour statuer sur les recours en annulation dirigés contre une loi, un décret ou une ordonnance par lesquels un traité reçoit l'assentiment recours qui, pour que soient garanties la sécurité et la stabilité des relations internationales ne sont recevables que s'ils sont introduits dans un délai de soixante jours suivant la publication de l'acte attaqué au Moniteur belge aucune disposition de cette loi ne prévoit ni n'exclut la possibilité pour les juridictions de poser des questions préjudicielles au sujet des actes d'assentiment aux traités.
Ni les travaux du constituant relatifs à l'article 142 de la Constitution ni les travaux parlementaires des lois organiques de la Cour d'arbitrage ne fournissent d'éléments précis d'interprétation quant à cette possibilité. Ce n'est que, lors des travaux préparatoires de la première loi organique sur la Cour d'arbitrage, que le législateur a exprimé sa préoccupation de garantir la sécurité et la stabilité internationale, pour justifier la durée du délai de recevabilité des recours en annulation dirigés contre les actes législatifs d'assentiment (246).
La jurisprudence de la Cour d'arbitrage s'est fixée dans le sens de la possibilité voire de l'obligation pour les juridictions de poser des questions préjudicielles en la matière : depuis un arrêt du 16 octobre 1991 (247), la Cour d'arbitrage se considère compétente tant au contentieux de l'annulation qu'au contentieux des questions préjudicielles pour contrôler la compatibilité d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance portant assentiment à un traité international en vigueur en Belgique avec les règles et les articles visés à l'article 1er de la loi spéciale.
Cette jurisprudence qui fait l'objet de controverses (248) impliquait notamment qu'un « traité constituant » de l'Union européenne ou la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou un protocole additionnel à cette Convention, étaient susceptibles d'être privés même plusieurs années après leur entrée en vigueur de toute efficacité dans l'ordre juridique interne.
Pareille situation comporte le risque d'atteintes tant aux règles de l'ordre juridique international interdisant à un État partie à un traité d'invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution du traité qu'aux règles de l'ordre juridique interne consacrant la primauté des normes directement applicables du droit international conventionnel sur les normes nationales.
Aussi est-il compréhensible que le souci du gouvernement de garantir la sûreté et la stabilité des relations internationales l'ait conduit à exclure la faculté pour la Cour d'arbitrage de statuer dans le cadre du contentieux des questions préjudicielles, sur la compatibilité d'un acte d'assentiment à ces instruments internationaux avec les règles et les articles visés à l'article 1er de la loi spéciale.
On comprend mal par contre que ce même souci n'ait pas incité le gouvernement à proposer d'exclure du champ d'application du contentieux préjudiciel de la Cour d'arbitrage les actes législatifs portant assentiment aux autres traités internationaux et d'apporter certaines limitations au champ d'application du contentieux d'annulation quant au contrôle des actes législatifs portant assentiment aux traités internationaux en général et aux nouveaux « traités constituants » de l'Union européenne et aux nouveaux protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme en particulier.
A. Le maintien, dans le champ d'application du contentieux préjudiciel, des actes législatifs portant assentiment aux traités internationaux autres que les « traités constituants » de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles
39. La jurisprudence de la Cour d'arbitrage a pour effet que n'importe quelle disposition de n'importe quel traité est susceptible, après l'entrée en vigueur de celui-ci, d'être, à la suite d'une question préjudicielle, déclarée incompatible avec une règle ou un des articles visés à l'article 1er de la loi spéciale et d'être ainsi privée, même après plusieurs années, de son efficacité dans l'ordre juridique interne.
L'exposé des motifs admet expressément la nécessité « d'éviter que la confiance à l'égard des autres parties contractantes puisse être ébranlée à cause d'une décision ultérieure de la Cour d'arbitrage ».
À cet égard, il observe avec pertinence qu'« alors que le délai pour introduire un recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance d'assentiment est limité à soixante jours pour les autres actes législatifs, ce délai est de six mois , la procédure préjudicielle offre la possibilité de mettre un traité en question sans restriction dans le temps et donc éventuellement plusieurs années après sa ratification » et que « l'existence d'une telle faculté nuit à la sécurité juridique et à la stabilité des relations internationales » (249).
La situation créée par la jurisprudence de la Cour d'arbitrage relative au contrôle, dans le cadre du contentieux préjudiciel, des actes législatifs d'assentiment aux traités internationaux en général constitue notamment un facteur d'insécurité et d'instabilité dans les relations internationales et est tout aussi contraire aux exigences de l'ordre juridique international et de l'ordre juridique interne que celle à laquelle le gouvernement entend mettre fin.
1º Les exigences de l'ordre juridique international
40. Par la loi du 10 juin 1992, le législateur a donné son assentiment à la Convention sur le droit des traités faite à Vienne le 23 mai 1969 et entrée en vigueur le 27 janvier 1980 à l'égard des États qui y étaient parties à cette dernière date et le 1er octobre 1992 à l'égard de l'État belge. L'article 27 de la Convention de Vienne énonce expressément la règle déjà consacrée auparavant par de nombreuses sentences arbitrales ainsi que par de nombreux arrêts ou avis prononcés par des juridictions internationales, suivant laquelle « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant de la non-exécution d'un traité ».
Cette règle ne revêt pas toutefois un caractère absolu.
Ainsi que l'indique l'article précité, elle est « sans préjudice » de l'article 46 de la Convention faisant partie de la section consacrée à la nullité des traités et se rapportant aux dispositions de droit interne qui concernent la compétence pour conclure des traités. Aux termes de l'article 46, § 1er, « le fait que le consentement d'un État à être lié par un traité a été exprimé en violation d'une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet État comme viciant son consentement, à moins que cette violation n'ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d'importance fondamentale ». Le même article, au second paragraphe, précise la notion de violation manifeste : « Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout État se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi. »
Ainsi, dans l'ordre juridique international, le traité en vigueur a primauté sur les constitutions des États qui y sont parties sauf si le traité viole manifestement des règles constitutionnelles d'importance fondamentale relatives à la compétence pour conclure des traités, auquel cas le traité doit, dans cet ordre juridique, être considéré comme annulable.
Dès lors, dans l'hypothèse ou un acte législatif d'assentiment à un traité liant l'État belge viendrait à être déclaré inconstitutionnel par un arrêt de la Cour d'arbitrage statuant dans le cadre du contentieux préjudiciel, pareille décision qui entraverait l'exécution du traité, constituerait un manquement aux obligations découlant de celui-ci, ce qui, en principe, serait de nature à engager la responsabilité internationale de l'État belge. Toutefois, si, dans l'hypothèse envisagée, l'arrêt de la Cour d'arbitrage appuyait sa décision sur la violation manifeste d'une règle constitutionnelle ou légale d'importance fondamentale concernant la compétence pour conclure des traités, il appartiendrait à l'autorité internationale éventuellement saisie du litige d'examiner si le traité est effectivement entaché de ce vice et dans l'affirmative, normalement, de constater la nullité du traité.
2º Les exigences de l'ordre juridique interne
41. En reconnaissant par son arrêt Le Ski du 27 mai 1971 la primauté dans l'ordre juridique interne des normes des traités en vigueur directement applicables, la Cour de cassation s'est exprimée en ces termes : « lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir; la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel » (250).
Ni cette formule que l'on retrouve dans plusieurs arrêts ultérieurs (251), ni les conclusions du procureur général Ganshof van der Meersch précédant l'arrêt précité, n'établissent de distinction entre les diverses normes de droit interne. Elle implique que pour la Cour de cassation, la primauté des traités internationaux ayant des effets directs dans l'ordre juridique belge vaut notamment à l'égard des normes constitutionnelles.
C'est à juste titre qu'en 1988, M. le sénateur Lallemand, co-rapporteur au Sénat sur la proposition de l'ancien article 107ter de la Constitution (actuellement l'article 142), a, en évoquant la jurisprudence de la Cour relative à la primauté du droit international conventionnel pu affirmer que selon cette jurisprudence, la norme de droit international prime, en Belgique, non seulement la loi, mais aussi la Constitution (252).
Il en résulte que lorsque, devant les juridictions judiciaires et administratives, surgit entre une norme constitutionnelle et une norme de droit international conventionnel ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne, un conflit ne trouvant pas son origine dans la violation manifeste d'une norme de droit interne d'importance fondamentale concernant la compétence pour conclure des traités, il appartient à ces juridictions de faire prévaloir, sauf dispositions contraire du traité, la norme de celui-ci.
La primauté ainsi reconnue, dans le cas d'un tel conflit, à la norme du traité ayant des effets directs en droit interne sur la norme constitutionnelle, confère à ces juridictions le pouvoir et le devoir d'écarter l'application de la norme constitutionnelle en déclarant que les effets de celle-ci sont arrêtés dans la mesure où elle est incompatible avec la norme du traité.
Par exemple si, sous le régime antérieur à la modification constitutionnelle du 5 mai 1993 où la matière de la responsabilité pénale des ministres était régie par les articles 90 et 134 anciens de la Constitution, la Cour de cassation avait eu à juger un ministre pour des faits relatifs à la fonction ministérielle qui n'étaient pas prévus par la loi pénale au moment où ils avaient été commis, elle aurait eu le pouvoir et le devoir d'assurer le plein effet des normes directement applicables des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en écartant de sa propre autorité l'application de l'ancien article 134 de la Constitution qui, par son contenu, s'avérait inconciliable avec celles-ci (253).
3º L'argumentation du gouvernement
42. Pour justifier que l'article 4, § 2, du projet ne vise qu'à exclure du champ d'application de l'article 26 de la loi spéciale les actes législatifs d'assentiment à un « traité constituant » de l'Union européenne ou à la Convention européenne des droits de l'homme ou à un protocole additionnel à cette convention sans exclure la possibilité de poser une question préjudicielle pour tous les actes législatifs d'assentiment aux traités, le gouvernement invoque trois arguments.
43. Premier argument. La dispense de poser une question préjudicielle uniquement pour les deux types de traités précités s'expliquerait « non seulement en raison du caractère particulier de ces deux textes le premier jette les bases de l'Union européenne et le second les bases des droits fondamentaux reconnus au niveau européen mais également en raison du contrôle judiciaire supranational dont ils font l'objet » (254).
On n'aperçoit pas toutefois la raison pour laquelle la circonstance que les deux types de traités visés dans l'article 4, § 2, du projet jettent les bases soit de l'Union européenne soit des droits fondamentaux reconnus au niveau européen et font l'objet d'un contrôle judiciaire supranational supprimerait la nécessité de garantir la sécurité et la stabilité internationales en ce qui concerne l'exécution des autres traités internationaux en vigueur, notamment des autres traités qui, au niveau européen ou au niveau mondial, reconnaissent des droits fondamentaux en assortissant cette reconnaissance d'un mécanisme de contrôle international.
44. Deuxième argument. Par rapport à d'autres traités, la Cour d'arbitrage est d'avis que dans l'ordre juridique interne, le traité est tenu de respecter la Constitution. Dans son arrêt nº 12/94 du 3 février 1994, la Cour affirme à ce sujet :
« Au demeurant, le Constituant, qui interdit que le législateur adopte des normes législatives internes contraires aux normes visées par l'article 107ter de la Constitution, ne peut être censé autoriser ce législateur à le faire indirectement par le biais de l'assentiment donné à un traité international.
Par ailleurs, aucune norme du droit international lequel est une création des États même pas l'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, ne donne aux États le pouvoir de faire des traités contraires à la Constitution » (255).
On observera tout d'abord que la motivation de l'arrêt de la Cour d'arbitrage à laquelle le gouvernement se réfère était susceptible de s'appliquer aux actes législatifs portant assentiment aux deux types de traités visés par l'article 4, § 2, du projet et qu'elle n'a pas amené le gouvernement à s'abstenir d'exclure du champ d'application de l'article 26 de la loi spéciale, les actes législatifs d'assentiment à ces deux types de traités.
On ne saurait assurément considérer qu'un projet visant à exclure du champ d'application de l'article 26 de la loi spéciale tous les actes législatifs d'assentiment à des traités impliquerait que l'État peut autoriser le législateur à adopter des normes législatives inconstitutionnelles par le biais de l'assentiment donné à des traités internationaux ou peut faire des traités contraires à la Constitution.
Il n'est ni contestable ni contesté que lorsqu'il existe un conflit entre un traité non encore en vigueur à l'égard de l'État belge et la Constitution, la primauté doit être reconnue à la Constitution, car avant l'entrée en vigueur du traité, il n'existe dans le chef de l'État ayant participé à la négociation de celui-ci, aucune obligation d'exécution, encore que l'État qui a signé le traité doive s'abstenir d'actes qui priveraient le traité de son objet et de son but (Convention de Vienne, article 18).
Si le traité non encore en vigueur à l'égard de l'État belge comporte des dispositions incompatibles avec la Constitution, les autorités publiques intervenant dans la procédure de conclusion d'approbation ou de ratification du traité doivent opter entre trois attitudes :
ou bien, elles refusent de donner leur assentiment au traité ou de le ratifier;
ou bien au moment de signer, de ratifier, d'accepter le traité ou d'y adhérer elles formulent une réserve, sauf si les réserves sont interdites par le traité, si le traité dispose que seules des réserves déterminées parmi lesquelles ne figure pas la réserve en question peuvent être faites ou si la réserve est incompatible avec l'objet et le but du traité (Convention de Vienne, article 19);
ou bien, elles mettent en oeuvre la procédure de révision de la Constitution prévue par l'article 195 de la Constitution et veillent à ce que la révision de la disposition constitutionnelle incriminée soit réalisée préalablement à l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État.
45. Troisième argument. L'exclusion du champ d'application de l'article 26 de la loi spéciale de tous les actes législatifs portant assentiment à des traités serait contraire à l'article 142 de la Constitution qui ne fait pas de distinction entre les différents types de lois pouvant faire l'objet d'un recours en annulation ou d'une question préjudicielle et méconnaîtrait le principe constitutionnel d'égalité.
Mais, comme l'a relevé avec pertinence le Conseil d'État dans ses avis des 11 mars 1998 et 25 avril 2000, « s'il est vrai que l'article 142 de la Constitution n'entreprend pas d'établir des distinctions entre les différents types de lois qui peuvent être déférées sous une forme ou sous une autre à la Cour d'arbitrage, rien n'empêche le législateur spécial de tenir compte de justifications objectives et raisonnables et d'établir notamment sur le plan de la procédure des règles distinctes pour l'introduction ou l'examen des recours ». Et le Conseil d'État d'observer que « l'article 3 de la loi spéciale précitée opère lui-même une distinction entre normes législatives puisqu'il prescrit que les recours en annulation contre une norme d'assentiment soient introduits dans un délai de soixante jours et non de six mois, comme il est de règle pour les autres normes législatives » (256).
B. L'absence de limitations au champ d'application du contentieux d'annulation quant au contrôle des actes législatifs portant assentiment à des traités internationaux
46. En vertu des articles 1er et 3, § 2, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, cette Cour est compétente pour statuer par voie d'arrêt sur les recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une ordonnance par lesquels un traité reçoit l'assentiment, pour cause de violation des règles répartitrices de compétence et des articles 10, 11 et 24 de la Constitution. L'article 3, § 2, précise que les recours en annulation des actes législatifs d'assentiment ne sont recevables que s'ils sont introduits dans un délai de soixante jours suivant la publication de l'acte législatif d'assentiment, alors qu'en ce qui concerne les autres actes législatifs, le délai d'introduction du recours est, en vertu de l'article 3, § 1er, de six mois.
Comme il a été dit déjà, les travaux préparatoires font apparaître que cette réduction à soixante jours du délai d'introduction du recours en annulation procède de la volonté du législateur de « garantir la sécurité et la stabilité des relations internationales » (257).
En outre, l'article 4 de la loi spéciale prévoit qu'« un nouveau délai de six mois est ouvert pour l'introduction d'un recours en annulation » d'un acte législatif « lorsque...2º la Cour, statuant sur une question préjudicielle a déclaré que (cet acte législatif) viole une des règles ou un des articles visés à l'article 1er de la loi spéciale » (c'est-à-dire les articles 10, 11 et 24 de la Constitution).
Par ailleurs, saisie d'un recours en annulation d'un acte législatif d'assentiment, la Cour dispose, en vertu de l'article 109 de la loi spéciale d'un délai maximum de dix huit mois pour l'examiner.
À supposer même que le délai supplémentaire de six mois prévu par l'article 4, 2º, de la loi spéciale ne soit pas applicable en cas de constatation de l'invalidité d'un acte d'assentiment à un traité dans le cadre du contentieux préjudiciel, il reste que le contrôle d'annulation de la Cour qui est uniquement dépendant de la publication de l'acte d'assentiment au Moniteur belge est susceptible de porter sur des traités en vigueur à l'égard de la Belgique. Tel est le cas non purement théorique lorsque la publication de l'acte législatif d'assentiment s'effectue postérieurement à la ratification du traité ou à son entrée en vigueur sur le plan international.
1º Les exigences de l'ordre juridique international et de l'ordre juridique interne
47. L'annulation à laquelle le recours peut aboutir crée une situation qui, ici aussi, est contraire aux exigences de l'ordre juridique international et de l'ordre juridique interne, pour des raisons similaires mutatis mutandis à celles qui ont été exposées plus haut à propos du contrôle de la Cour d'arbitrage exercé dans le cadre du contentieux des questions préjudicielles (258).
Dans son avis sur l'avant-projet de loi, le Conseil d'Etat observe que « cette objection pourrait être levée sans porter atteinte au principe selon lequel les actes d'assentiment peuvent faire l'objet d'un recours en annulation si chaque acte d'assentiment était publié avant la ratification du traité et si le traité n'était ratifié qu'à l'issue du délai d'introduction d'un recours contre l'acte d'assentiment ou, en cas d'introduction d'un tel recours, après que la Cour d'arbitrage aura rejeté le recours » « Une telle pratique, ajoute le Conseil d'État, serait tout à fait conforme à l'esprit de l'article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 » (259).
2º L'argumentation du gouvernement
48. En dépit de son souci de garantir la sûreté et la stabilité des relations internationales, le gouvernement a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'apporter des limitations aux recours en annulation dirigés contre les actes législatifs d'assentiment aux traités. À l'appui de cette opinion, il fait valoir deux arguments.
49. Premier argument. Exclure le recours en annulation pour des actes d'assentiment serait contraire à l'article 142 de la Constitution et au principe constitutionnel d'égalité (260).
On peut tout d'abord objecter à cet argument qu'il ne s'agirait pas d'exclure tous les recours en annulation pour des actes d'assentiment mais uniquement d'exclure de tels recours pour des actes d'assentiment à des traités lorsque le contrôle de la Cour interviendrait postérieurement à la ratification du traité ou à son entrée en vigueur sur le plan international à l'égard de la Belgique.
Au surplus, l'exclusion envisagée ne serait contraire ni à l'article 142 de la Constitution ni au principe constitutionnel d'égalité, pour les raisons exposées dans les deux avis du Conseil d'État auxquels on s'est précédemment référé (261).
50. Deuxième argument. « Comme le suggère le Conseil d'État, le problème peut être résolu en ne ratifiant les traités qu'après la fin du délai prévu pour l'introduction d'un recours en annulation contre l'acte d'assentiment ou après une décision éventuelle de la Cour d'arbitrage relative à cette matière » (262).
Sans doute, le problème pourrait-il être résolu de la sorte et le souci du législateur de 1989 était déjà que le contrôle éventuel de la Cour s'effectue avant l'entrée en vigueur du traité à l'égard de l'État belge ou avant sa ratification.
Mais la pratique montre que bien souvent, l'acte législatif d'assentiment est publié au Moniteur belge après la ratification du traité ou son entrée en vigueur à l'égard de la Belgique sur le plan international (263).
IV. La suppression de l'obligation pour les juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsqu'il s'agit d'une procédure en référé, sauf s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec la Constitution ou les règles répartitrices de compétence ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, ou lorsqu'il s'agit d'une procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive (article 4, §§ 3 et 4, du projet)
A. La suppression de l'obligation de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures en référé
51. En son article 4, § 3, le projet prévoit l'insertion dans l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, d'un paragraphe 3, ainsi rédigé :
« Sauf s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, une juridiction n'est pas tenue non plus de poser une question préjudicielle dans le cadre de :
1º la procédure visée aux articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d'État;
2º la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire » (264).
Les dispenses nouvelles se rapportent donc au référé administratif devant le Conseil d'État et au référé civil devant le président du tribunal de première instance, du tribunal du travail ou du tribunal de commerce.
1º Le principe
52. En vertu de l'article 26, § 3, en projet de la loi spéciale, une juridiction ne serait pas tenue en principe de poser une question préjudicielle dans le cadre de la procédure visée aux articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d'État ou de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire.
S'agissant de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire, deux observations peuvent être formulées.
53. La première est que l'expression « dans le cadre de la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire » ne permet pas de discerner si la procédure en question est uniquement la procédure de référé qui se déroule devant le président du tribunal de première instance, le président du tribunal du travail ou le président du tribunal de commerce ou si elle se rapporte également à la procédure suivie devant les juridictions ayant à connaître de voies de recours dirigées contre la décision de référé et notamment devant le juge d'appel ou devant la Cour de cassation. Cette ambiguïté devrait être levée soit par un ajout au texte soit par un commentaire approprié au cours des travaux parlementaires.
54. La seconde observation est qu'en ne visant que l'article 584 du Code judiciaire, le texte exclut de son champ d'application les procédures dites « comme en référé » (265) sans doute parce que les pouvoirs dévolus aux présidents dans le cadre de telles procédures s'exercent au principal, seules étant empruntées les formes du référé : les présidents statuent au fond par une décision ayant autorité de la chose jugée sur la question litigieuse de savoir si un comportement déterminé est ou non conforme aux règles de droit (266).
Sans doute conviendrait-il qu'il soit précisé au cours des travaux parlementaires que de cette exclusion, on ne saurait déduire que la dispense de poser une question préjudicielle ne peut être invoquée dans le cadre d'une action présidentielle au provisoire exercée par la personne qui s'estime lésée à l'occasion d'une action présidentielle « comme en référé » (267).
2º Les exceptions
55. La dispense accordée par le projet dans le cadre des procédures de référé administratives et civiles est toutefois assortie de deux exceptions :
lorsqu'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er de la loi spéciale;
lorsque la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
Dans ces deux cas, l'obligation pour la juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage subsiste.
56. Ni le texte du projet, ni l'exposé des motifs ne permettent de discerner avec certitude si dans ces deux cas, les exceptions à l'obligation de renvoi prévues à l'article 26, § 2, de la loi spéciale sont ou non applicables aussi aux juridictions ayant à statuer dans le cadre des procédure de référé.
Ainsi, les juridictions de référé ont-elles encore l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsque, bien qu'il existe des doutes sérieux sur l'inconstitutionnalité d'un acte législatif ou que la Cour soit saisie d'une demande ayant le même objet :
l'action en référé est irrecevable pour des motifs de procédure tirés de normes ne faisant pas elles-mêmes l'objet de la demande de question préjudicielle (article 26, § 2, alinéa 2) ?
l'action en référé étant portée devant une juridiction autre que la Cour de cassation ou le Conseil d'État, la Cour a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet ou la juridiction estime que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision (article 26, § 2, alinéa 3, 1º et 2º) ?
Les juridictions autres que la Cour de cassation et le Conseil d'État ont-elles encore, dans le cadre des procédures de référé, à poser une question préjudicielle lorsque, bien que la Cour soit saisie d'une demande ayant le même objet, l'acte législatif dont la constitutionnalité est contestée, ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés à l'article 26, § 1er (article 26, § 2, alinéa 3, 3º) ?
Sinon le texte, à tout le moins un commentaire de celui-ci, devrait être complété de façon à lever ces incertitudes.
57. En tant qu'il prévoit deux cas dans lesquels les juridictions de référé ont l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage, le texte en projet s'avère être également source d'incertitudes quant à l'attitude que ces juridictions doivent adopter dans l'attente de la décision de la Cour.
En vertu de l'article 30 de la loi spéciale, la décision de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage suspend la procédure ainsi que les délais de procédure et de prescription. Cette disposition paraît bien impliquer que la juridiction de référé qui pose une question préjudicielle doit surseoir à prendre toute autre décision avant l'arrêt de la Cour, et notamment à ordonner les mesures provisoires qu'impose l'urgence. Or, comme ou l'exposera plus loin (268), des explications fournies au Conseil d'État par le délégué du gouvernement, il ressort que le juge des référés qui, ayant des doutes sérieux quant à la validité d'un acte législatif, pose, comme le lui impose le projet, une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage pourrait néanmoins ordonner une ou des mesures provisoires en attendant que la Cour statue sur la question préjudicielle (269).
a) L'existence de doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles visés à l'article 1er de la loi spéciale
58. En proposant l'insertion dans l'article 26 de la loi spéciale d'un troisième paragraphe ayant pour objet de supprimer l'obligation pour une juridiction de poser une question préjudicielle lorsqu'il s'agit d'une procédure en référé ou d'une procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive, l'article 4, § 3, de l'avant-projet de loi spéciale ne prévoyait qu'une seule exception : cette dispense n'aurait pas été applicable si la décision de la juridiction « se fond(ait) sur une disposition dont la concordance avec une des règles ou un des articles visés à l'article 1er (était) contestée ».
La portée de cette disposition n'apparaissant pas clairement, le Conseil d'État demanda au délégué du gouvernement de la préciser.
Des explications fournies par celui-ci « il ressort, lit-on dans l'avis du Conseil d'État, que la restriction applicable à la dispense en projet doit se comprendre de telle sorte qu'une juridiction n'est dispensée de l'obligation de poser une question préjudicielle que dans les cas visés à l'article 26, § 3, en projet, pour autant qu'elle n'ait pas de doute sérieux quant à la compatibilité d'un acte législatif avec une norme supérieure. En d'autres termes, si une juridiction a des doutes (sérieux) quant à la validité de l'acte concerné, elle doit en principe, poser une question préjudicielle; dans ce dernier cas, la juridiction peut néanmoins ordonner une mesure provisoire en attendant que la Cour d'arbitrage statue sur la question préjudicielle par laquelle la question de la validité de l'acte concerné est soumise à la Cour. Dans ce cas, il appartient à la juridiction concernée de préciser que la mesure provisoire cesse de produire ses effets soit à la date à laquelle l'arrêt de la Cour d'arbitrage constatant que la disposition contestée ne viole aucune norme supérieure est communiquée aux parties, soit à une date que fixe la juridiction elle-même en tenant compte de la réponse fournée par la Cour d'arbitrage à la question préjudicielle ». Concluant son avis sur ce point, le Conseil d'État estimait qu'il convenait que le texte du projet fût réécrit dans ce sens (270).
Tout en tenant compte de ces précisions et suggestions, le texte du projet autant que l'exposé des motifs restent lacunaires à défaut d'indiquer clairement que, dans l'esprit du gouvernement, lorsqu'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, la juridiction de référé devrait poser une question préjudicielle tout en ayant le pouvoir d'ordonner une ou des mesures provisoires produisant leurs effets jusqu'à la décision de la Cour d'arbitrage. Autrement dit, dans l'hypothèse envisagée, l'ordonnance ou l'arrêt de référé devrait contenir normalement deux décisions : la première par laquelle la question préjudicielle est posée à la Cour d'arbitrage; la seconde par laquelle une ou des mesures provisoires sont ordonnées.
b) La circonstance que la Cour d'arbitrage est saisie d'une demande ayant le même objet
59. L'article 4, § 3, du projet de loi spéciale insérant dans l'article 26, paragraphe 3, relatif à la dispense de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures de référé prévoit une seconde exception : cette dispense ne s'applique pas non plus si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet.
Cette seconde exception qui ne figurait pas dans l'avant-projet de loi paraît reposer sur une interprétation erronée de l'avis du Conseil d'État ainsi que de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés en ce qui concerne la portée de l'obligation faite aux juges nationaux de poser des questions préjudicielles conformément à l'article 234, alinéa 3, du traité CE. Elle trouve son origine dans une observation formulée par le Conseil d'État au sujet de l'avant-projet de loi.
Après avoir relevé que « la règle permettant au juge de statuer en référé au provisoire au motif qu'il a des « doutes sérieux » quant à la validité d'un acte législatif, dans l'attente d'une décision de la Cour d'arbitrage, serait tout à fait conforme à la jurisprudence de la Cour de Justice en ce qui concerne la portée de l'obligation faite aux juges nationaux de poser des questions préjudicielles visée à l'article 234, alinéa 3, du traité CE (271) », l'avis du Conseil d'État signale que « la Cour de Justice n'exige pas que, statuant dans le cadre d'une affaire urgente, le juge national soumette à la Cour une question préjudicielle portant sur la validité de l'acte réglementaire communautaire si la Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle qui va dans ce sens au moment où le juge national rend sa décision » (272). Dans sa version française, l'avis considère qu'il serait, dès lors, « utile que le ... projet comprenne également pareille nuance en ce qui concerne la restriction en question ».
Suivant la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, le sursis a exécution ou des mesures provisoires au sujet d'un acte administratif national pris en exécution d'un règlement communautaire, ne peuvent être accordées par une juridiction nationale que
si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l'acte communautaire et si, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie elle-même;
s'il y a urgence et si le requérant est menacé d'un préjudice grave et irréparable;
si cette juridiction prend en compte l'intérêt de la communauté (273).
« Il convient de relever », énonce l'arrêt Zuckerfabrik du 21 février 1991 « que le sursis à exécution doit conserver un caractère provisoire. La juridiction nationale statuant en référé ne peut accorder le sursis que jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la question d'appréciation de validité. Il lui incombe, dès lors, pour le cas où la Cour n'en serait pas déjà saisie, de renvoyer elle-même cette question en exposant les motifs d'invalidité qui lui paraissent devoir être retenus » (274).
Si l'on transpose cette dialectique de la Cour de Justice à l'obligation pour les juridictions de référé de poser une question préjudicielles à la Cour d'arbitrage, on devrait, semble-t-il, considérer que les juridictions ne sont pas tenues de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures de référé sauf dans le cas ou il existerait des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er de la loi spéciale, et que la Cour d'arbitrage ne serait pas déjà saisie de la question ayant pour objet cette compatibilité.
Dans le cas où il existe des doutes sérieux sur cette compatibilité de l'acte législatif, la juridiction des référés peut ordonner des mesures provisoires produisant leurs effets jusqu'à ce que la Cour d'arbitrage ait statué sur la question de compatibilité. Elle doit, dès lors, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de compatibilité, renvoyer elle-même cette question à la Cour d'arbitrage.
Dans cette optique, la circonstance que la Cour d'arbitrage soit déjà saisie d'une demande ayant le même objet ne devrait pas constituer une exception nouvelle et indépendante, à côté de celle qui se rapporte à l'existence de doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, mais une atténuation de cette dernière exception.
Cette manière de voir se reflète dans la version néerlandaise de l'avis du Conseil d'État. Comme on l'a indiqué déjà, après avoir signalé que « la Cour de Justice n'exige pas que, statuant dans le cadre d'une affaire urgente, le juge national soumette à la Cour une question préjudicielle portant sur la validité de l'acte réglementaire communautaire si la Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle qui va dans ce sens au moment où le juge national rend sa décision », la version française de l'avis conclut qu'« il serait utile que le présent projet comprenne également pareille nuance en ce qui concerne la restriction en question ». Cette version ne concorde qu'imparfaitement avec la version néerlandaise de l'avis qui énonce : « Een dergelijke afzwakking van het voorbehoud zou ook in het voorliggende ontwerp nuttig kunnen zijn », ce qui littéralement peut être traduit comme suit : « Une telle atténuation de la restriction pourrait aussi être utile dans le présent projet ». La version néerlandaise de l'avis, à la différence de sa version française, souligne ainsi, à juste titre, que dans la jurisprudence de la Cour de Justice, la circonstance que cette Cour est déjà saisie d'une question préjudicielle ayant le même objet constitue, dans le cadre d'une affaire urgente, une atténuation à l'obligation pour le juge national de poser à la Cour une question préjudicielle.
B. La suppression de l'obligation de poser une question préjudicielle dans la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive
60. L'article 4, § 3, du projet vise à insérer dans l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage un § 4 ainsi libellé : « Dans la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive telle que visée aux articles 21, 22, 30 et 31 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, une juridiction n'est pas tenue de poser une question préjudicielle. »
61. Suivant le texte du projet, la dispense de poser une question préjudicielle se rapporte à la procédure d'appréciation du maintien de la détention préventive visée aux articles 21, 22, 30 et 31 de la loi du 20 juillet 1990.
Des incertitudes quant au champ d'application de la dispense découlent de l'article 30, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 lequel dispose : « L'inculpé, le prévenu ou l'accusé et le ministère public peuvent faire appel devant la chambre des mises en accusation des ordonnances de la chambre du Conseil rendues dans les cas prévus par les articles 21, 22, 25 et 28. S'il s'agit d'un jugement du tribunal correctionnel ou du tribunal de police, rendu conformément à l'article 27, il est statué sur l'appel, selon le cas, par la chambre des appels correctionnels ou par le tribunal correctionnel siégeant en degré d'appel»
En raison du renvoi fait par l'article 30 de la loi du 20 juillet 1930 aux articles 25, 27 et 28 de cette loi, le texte en projet paraît impliquer :
d'une part, que lorsqu'elle est appelée à statuer sur un appel dirigé contre une ordonnance de la chambre du conseil dans les cas prévus par les articles 25 (mainlevée du mandat d'arrêt) et 28 (nouveau mandat d'arrêt), la chambre des mises en accusation n'est pas tenue de poser une question préjudicielle alors que dans les cas précités, la chambre du conseil en aurait l'obligation sous réserve des exceptions énoncées à l'article 26, § 2, alinéas 2 et 3, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage;
d'autre part, que lorsqu'ils sont appelés à statuer sur l'appel dirigé contre un jugement du tribunal correctionnel ou du tribunal de police dans les cas prévus par l'article 27 (mise en liberté provisoire), la chambre des appels correctionnels ou le tribunal correctionnel siégeant en degré d'appel sont dispensés de l'obligation de poser une question préjudicielle alors que dans les cas précités, le tribunal correctionnel ou le tribunal de police en auraient l'obligation sous réserve des exceptions énoncées à l'article 26, § 2, alinéas 2 et 3, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage.
62. Le texte en projet exclut du champ d'application de la dispense de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage les procédures d'appréciation du maintien d'une détention préventive autres que celles qui sont régies par la loi du 20 juillet 1990.
L'exposé des motifs explique que l'exception à l'obligation de poser une question préjudicielle pour les procédures relatives à la détention préventive est justifiée au regard de l'article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme (275). Cette disposition qui s'applique à toutes les personnes arrêtées ou détenues dans les conditions prévues à l'article 5, § 1, c), de cette Convention protège également les personnes arrêtées ou détenues dans le cadre des régimes particuliers de détention préventive non régis par la loi du 20 juillet 1990 (276).
Il en est ainsi, par exemple, de la détention préventive des ministres, de leurs coauteurs ou complices ainsi que des auteurs des infractions connexes. Le maintien de la détention préventive des ministres du gouvernement fédéral est régi par l'article 21 de la loi du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des ministres dans les cas visés à l'article 2 de cette loi; en vertu de l'article 29 de cette loi, les coauteurs et les complices de l'infraction pour laquelle le ministre est poursuivi et les auteurs des infractions connexes sont en principe poursuivis en même temps que le ministre et soumis à la procédure prévue par l'article 21. En son article 21, la loi spéciale du 25 juin 1998 réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements de communauté ou de région détermine la procédure de maintien de la détention préventive de ces membres dans les cas visés à l'article 2 de cette loi; en vertu de l'article 29 de la même loi, la procédure prévue par l'article 21 est applicable en principe aux coauteurs et aux complices de l'infraction pour laquelle le membre d'un gouvernement de communauté ou de région est poursuivi de même qu'aux auteurs des infractions connexes.
On n'aperçoit pas les raisons pour lesquelles la dispense de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage ne pourrait être accordée dans les procédures d'appréciation du maintien de la détention préventive organisées par des lois autres que la loi du 20 juillet 1990.
C. Le maintien de l'obligation pour la Cour de cassation et le Conseil d'État de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage même lorsque ces juridictions estiment que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre leurs décisions
63. Suivant le texte actuel de l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, lorsqu'une des questions définies au § 1er de cet article est soulevée devant la Cour de cassation ou le Conseil d'État, ces juridictions ont l'obligation de demander à la Cour d'arbitrage de statuer sur cette question, sauf si l'action est irrecevable pour des motifs de procédure tirés de normes ne faisant pas elles-mêmes l'objet de la demande de question préjudicielle. À la différence des autres juridictions, la Cour de cassation et le Conseil d'État ont cette obligation même lorsque la Cour d'arbitrage a déjà statué sur une question ou sur un recours ayant le même objet, même lorsque ces hautes juridictions estiment que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre leurs décisions, même encore lorsque la loi, le décret ou l'ordonnance ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés au § 1er.
Dans son avis du 25 avril 2000, le Conseil d'État a exposé les difficultés pratiques liées au fait que la Cour de cassation et le Conseil d'État ne sont pas dispensés comme les autres juridictions de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage lorsqu'à leur estime, la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre leurs décisions.
« Dans pareil cas » écrivait notamment le Conseil d'État, « contraindre néanmoins le juge à poser une question préjudicielle donne lieu à des situations absurdes, dont on peut difficilement estimer qu'elles contribuent à l'efficacité de la procédure. En outre, cette manière de procéder peut être incompatible avec l'exigence de traiter les affaires dans un délai raisonnable si le litige au fond relève de l'application de l'article 6, § 1er, de la CEDH » (277).
Cette situation, concluait le Conseil d'État, devrait « inciter les auteurs du projet à également dispenser ces juridictions de l'obligation de poser une question préjudicielle dans les cas visés à l'article 26, § 2, alinéa 3, 2º ». Les auteurs du projet de loi n'ont pas donné suite à cette suggestion.
L'obligation faite par la loi de saisir la Cour d'arbitrage dans l'hypothèse où la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable à la Cour de cassation ou au Conseil d'État pour rendre leurs décisions a été qualifiée par la doctrine (278) tantôt d'aberrante (279) tantôt de discriminatoire et manifestement déraisonnable à l'égard de ces juridictions (280).
Au surplus, cette obligation s'avère dans bon nombre de cas incompatible avec les exigences de l'article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme en tant que cette disposition qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne et doit prévaloir sur les règles de cet ordre juridique garantit au justiciable de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable lorsque cette cause est relative à des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou au bien-fondé d'accusations en matière pénale.
Le maintien d'une telle obligation est regrettable particulièrement à une époque où les retards dans l'administration de la justice constituent une des faiblesse majeures de l'organisation et du fonctionnement de l'État.
Bruxelles, le 28 novembre 2001.
Jacques Velu.
2. BRIEF VAN 4 MEI 2001 VAN DE EERSTE VOORZITTER VAN HET HOF VAN CASSATIE EN VAN DE PROCUREUR-GENERAAL BIJ HET HOF VAN CASSATIE AAN DE MINISTER VAN JUSTITIE
Mijnheer de minister,
De regering heeft een voorstel ingediend tot herziening van titel II van de Grondwet om een nieuwe bepaling in te voegen die de bescherming moet verzekeren van de rechten en vrijheden gewaarborgd door het Verdrag tot bescherming van de rechten van de mens en de fundamentele vrijheden (stuk Senaat, nr. 2-575/1, 2000-2001).
Het noopt ons ertoe u volgende bedenkingen mee te delen.
De invoeging van een artikel 32bis in titel II van de Grondwet (« Ieder geniet de rechten en vrijheden gewaarborgd door het Verdrag van 4 november 1950 tot bescherming van de rechten van de mens en de fundamentele vrijheden en de door de Belgische Staat geratificeerde Aanvullende Protocollen bij dit verdrag ») beoogt de bescherming te verzekeren van bedoelde rechten en vrijheden.
Zoals de verklarende nota bij het voorstel vermeldt, genieten het Verdrag van 4 november 1950 (EVRM) en zijn Aanvullende Protocollen directe werking in de Belgische rechtsorde.
De rechtscolleges van de rechterlijke macht zijn bevoegd om de akten van de openbare overheid, met inbegrip van de akten van de onderscheiden wetgevers (wetten, decreten en ordonnantiën) en van de grondwetgever (met uitzondering wellicht van grondwetsbepalingen die de bevoegdheid betreffen om verdragen te sluiten), te toetsen aan de internationale verdragen met rechtstreekse werking in de interne rechtsorde.
Dit betekent inzonderheid dat die rechtscolleges de toepassing van wetten, decreten en ordonnantiën zullen afwijzen als zij van oordeel zijn dat deze onverenigbaar zijn met een bepaling van het EVRM.
Door, zoals de regering thans voorstelt, de rechten en de vrijheden van het EVRM ook de hoedanigheid van grondwettelijke norm toe te kennen, wordt bijgevolg geen lacune in de rechtsbescherming van de burger aangevuld.
Volgens de verklarende nota van de regering moet de grondwetsherziening mogelijk maken dat het Arbitragehof, indien zijn bevoegdheden worden uitgebreid tot de rechten opgenomen in titel II van de Grondwet, de wetten, decreten en ordonnantiën ook rechtstreeks zal kunnen toetsen aan de in het EVRM opgenomen rechten en vrijheden.
Volgens de Grondwet is het Arbitragehof niet bevoegd om uitspraak te doen over de schending door een interne rechtsnorm van een regel van internationaal recht, en ook de bijzondere wetgever kan het die bevoegdheid niet verlenen (artikel 142 van de Grondwet, inzonderheid het tweede lid, 3º).
De bevoegdheden die de grondwetgever en de wetgever aan het Arbitragehof hebben verleend kunnen, anderzijds, geen afbreuk doen aan de bevoegdheid en de plicht van de rechtscolleges van de rechterlijke macht om de normen van het intern recht alleen toe te passen voor zover zij verenigbaar zijn met de normen van de internationale verdragen met rechtstreekse werking in de interne rechtsorde.
Aldus ontstaat een toestand waar de rechtscolleges van de rechterlijke macht de bevoegdheid hebben om alle overheidsakten, met inbegrip van de wetgevende akten, te toetsen aan de in het EVRM opgenomen rechten en vrijheden, terwijl het Arbitragehof, indien zijn bevoegdheid wordt uitgebreid tot de rechten opgenomen in titel II van de Grondwet, exclusief bevoegd zal zijn om uitspraak te doen over de beroepen tot nietigverklaring van de wetten, decreten of ordonnantiën in zoverre zij schendingen aanvoeren van de (identieke) rechten en vrijheden bedoeld in artikel 32bis van de Grondwet, en over de prejudiciële vragen die betrekking hebben op de schending van die rechten en vrijheden door een wet, een decreet of een ordonnantie.
De aldus voortschrijdende versnippering van de jurisdictionele functie houdt het risico in dat bepaalde incoherenties ontstaan of in stand worden gehouden.
Door de uitbreiding van de bevoegdheid van het Arbitragehof tot de rechtsregels van het EVRM dreigt wanorde in de rechtspraak te ontstaan, inzoverre zowel de rechtbanken van de rechterlijke macht als het Arbitragehof dezelfde toetsing kunnen uitoefenen, met het risico van tegenstrijdige beslissingen.
Zo is het niet ondenkbaar dat het Arbitragehof, op de prejudiciële vraag van een feitenrechter, beslist dat een betwiste wetsbepaling een in artikel 32bis van de Grondwet bedoelde norm niet schendt, terwijl, in een later stadium van dezelfde procedure, het Hof van Cassatie oordeelt dat die bepaling wel in strijd is met de desbetreffende, specifieke verdragsbepaling.
Het leek ons aangewezen om deze nadelen en gevaren onder uw bijzondere aandacht te brengen.
Met bijzondere hoogachting,
De procureur-generaal, | De eerste voorzitter, |
J. du JARDIN. | P. MARCHAL. |
3. PROPOSITIONS D'ADAPTATIONS TECHNIQUES DES LOIS SUR LA COUR D'ARBITRAGE, COMMUNIQUÉES PAR LES PRÉSIDENTS DE LA COUR D'ARBITRAGE À M. ARMAND DE DECKER, PRÉSIDENT DU SÉNAT, PAR LETTRE DU 14 DÉCEMBRE 2001
I. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage
Article 3, § 1er
Texte actuel :
« Sans préjudice du § 2 et de l'article 4, les recours tendant à l'annulation, en tout ou en partie, d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 26bis de la Constitution ne sont recevables que s'ils sont introduits dans un délai de six mois suivant la publication de la loi, du décret, ou de la règle visée à l'article 26bis de la Constitution. »
Proposition :
« Sans préjudice du § 2 ainsi que des articles 3bis et 4, les recours tendant à l'annulation, en tout ou en partie, d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution ne sont recevables que s'ils sont introduits dans un délai de six mois suivant la publication de la loi, du décret, ou de la règle visée à l'article 134 de la Constitution. »
Justification :
L'article 3bis, inséré par l'article 53 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des communautés et extension des compétences fiscales des régions, prévoit une dérogation complémentaire au délai de recours fixé à l'article 3, § 1er.
NB : L'article 10 du projet de loi spéciale prévoit déjà un remplacement général de « l'article 26bis de la Constitution » par « l'article 134 de la Constitution ».
Article 7, alinéa 3
Texte actuel :
« Si le recours est introduit ou l'intervention est faite par une personne morale, cette partie produit, à la première demande, la preuve, selon le cas, de la publication de ses statuts aux annexes du Moniteur belge, ou de la décision d'intenter ou de poursuivre le recours ou d'intervenir. »
Proposition :
« Si le recours est introduit ou l'intervention est faite par une personne morale, cette partie produit, à la première demande, la preuve de la décision d'intenter ou de poursuivre le recours ou d'intervenir et, lorsque ses statuts doivent faire l'objet d'une publication aux annexes du Moniteur belge, une copie de cette publication. »
Justification :
Cet article, dans sa rédaction actuelle, peut donner l'impression que le choix est laissé à la personne morale de produire la preuve soit de la décision d'introduire le recours soit de la publication des statuts. Or, lorsque les statuts doivent être publiés au Moniteur belge, il convient que la preuve de la publication soit également apportée.
Article 20
Texte actuel :
« La suspension ne peut être décidée que :
1º si des moyens sérieux sont invoqués et à la condition que l'exécution immédiate de la loi, du décret ou de la règle visée à l'article 26bis de la Constitution faisant l'objet du recours risque de causer un préjudice grave difficilement réparable;
2º si un recours est exercé contre une norme identique à une norme déjà annulée par la Cour d'arbitrage et qui a été adoptée par le même législateur. »
Proposition :
« Sans préjudice de l'article 16ter de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et de l'article 5ter de la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises du 12 janvier 1989, la suspension ne peut être décidée que :
1º si des moyens sérieux sont invoqués et à la condition que l'exécution immédiate de la loi, du décret ou de la règle visée à l'article 26bis de la Constitution faisant l'objet du recours risque de causer un préjudice grave difficilement réparable;
2º si un recours est exercé contre une norme identique à une norme déjà annulée par la Cour d'arbitrage et qui a été adoptée par le même législateur. »
Justification :
Les articles mentionnés permettent une suspension sans qu'il soit requis que l'exécution immédiate du décret ou de l'ordonnance concernés puisse causer un préjudice grave difficilement réparable.
Article 22
Texte actuel :
« La demande contient un exposé des faits de nature à établir que l'application immédiate de la norme attaquée risque de causer un préjudice grave difficilement réparable. »
Proposition :
« Sans préjudice de l'article 16ter de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et de l'article 5ter de la loi spéciale relative aux institutions bruxelloises du 12 janvier 1989, la demande visée à l'article 20, 1º, contient un exposé des faits de nature à établir que l'application immédiate de la norme attaquée risque de causer un préjudice grave difficilement réparable. »
Justification :
Les articles mentionnés permettent une suspension sans qu'il soit requis que l'exécution immédiate du décret ou de l'ordonnance concernés puisse causer un préjudice grave difficilement réparable.
Article 24, alinéa 1er
Texte actuel :
« L'arrêt ordonnant la suspension est rédigé en français, en néerlandais et en allemand. À la requête du greffier, il est publié au Moniteur belge dans les cinq jours du prononcé. »
Proposition :
« L'arrêt ordonnant la suspension est rédigé en français, en néerlandais et en allemand. À la requête du greffier, il est publié dans son intégralité ou par extrait au Moniteur belge dans les cinq jours du prononcé. »
Justification :
La proposition permet de ne publier que par extrait un arrêt de suspension, en supprimant, par exemple, la partie « procédure » et les A. Cette proposition est dans la ligne de la proposition faite pour l'article 114 (cf. infra).
Article 26, § 3
Texte du projet de loi :
« § 3. Sauf s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er, ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, une juridiction n'est pas tenue non plus de poser une question préjudicielle dans le cadre de :
1º la procédure visée aux articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d'État;
2º la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire. »
Proposition :
« § 3. Une juridiction n'est pas non plus tenue de poser une question préjudicielle dans le cadre des procédures suivantes :
1º la procédure visée aux articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d'État;
2º la procédure visée à l'article 584 du Code judiciaire. »
Justification :
Le projet de loi spéciale (article 4, § 3) insère un certain nombre de motifs de dispense complémentaires. Les juridictions ne sont pas tenues, à certaines conditions, de poser des questions préjudicielles dans le cadre du référé ou du référé administratif. La dispense ne s'applique toutefois pas « s'il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d'un acte législatif avec une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l'article 1er ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet ». Il est proposé de supprimer ces restrictions. Comme l'a observé le Conseil d'État dans le cadre d'une disposition analogue figurant dans l'avant-projet, la première restriction est de nature à mettre à néant en grande partie la possibilité d'exception. Il peut effectivement être affirmé qu'il existe des doutes sérieux dès qu'une des parties demande de poser une question préjudicielle. Il ne semble pas davantage justifié de subordonner le fait de poser une question préjudicielle dans le cadre de ces procédures rapides à la question de savoir si la Cour d'arbitrage est saisie ou non par une question préjudicielle analogue. Il semble justifié de supprimer totalement l'obligation de poser des questions préjudicielles dans le cadre de procédures en référé qui présupposent une solution rapide du litige et qui ne peuvent faire l'objet que d'une solution provisoire. La problématique constitutionnelle peut toujours être soulevée lors de l'examen de l'affaire sur le fond. Au demeurant, le juge des référés peut malgré tout décider de poser une question préjudicielle et, le cas échéant, dans l'attente de la réponse, ordonner des mesures provisoires.
Article 40, § 1er, alinéa 1er
Texte actuel :
« Le Roi nomme deux greffiers sur deux listes comprenant chacune deux candidats et présentées l'une par le groupe linguistique français et l'autre par le groupe linguistique néerlandais de la Cour d'arbitrage. »
Proposition :
« La Cour d'arbitrage est assistée par deux greffiers, nommés par le Roi sur deux listes comprenant chacune deux candidats et présentées l'une par le groupe linguistique français et l'autre par le groupe linguistique néerlandais de la Cour d'arbitrage. »
Justification :
Il est proposé de fixer le rôle du greffier à l'article 40 (à l'instar de l'article 35, qui concerne les référendaires).
Article 58
Texte actuel :
« Le 1er septembre de chaque année, les présidents établissent, pour les besoins du service, une liste des juges de leur groupe linguistique. Y est porté le premier un juge nommé sur base de l'article 34, § 1er, 2º, si le président lui-même était nommé sur la base du 1º, ou inversement. Figurent ensuite alternativement sur la liste les juges nommés sur la base du 1º et les juges nommés sur la base du 2º. »
Proposition :
« Le 1er septembre de chaque année, les présidents établissent, pour les besoins du service, une liste des juges de leur groupe linguistique. »
Justification :
Faire tomber l'obligation de faire alterner les origines, de façon à permettre plus de latitude aux présidents, afin, notamment, de favoriser la composition de couples de rapporteurs « mixtes » (juriste/parlementaire). Vu que l'article 55, alinéa 2, prévoit que les sièges de 7 juges doivent en comporter deux de chaque origine professionnelle, cela garantit des sièges mixtes de toute manière. Pour un exemple : voir annexe 1.
Article 62, alinéa 2, 1º et 2º
Texte actuel :
« Dans les actes et déclarations :
1º Le Conseil des ministres utilise le français ou le néerlandais selon les règles fixées à l'article 17, § 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnées le 18 juillet 1966;
2º Les gouvernements utilisent leur langue administrative; »
Proposition :
« Dans les actes et déclarations orales à l'audience :
1º Le Conseil des ministres, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et le collège réuni de la Commission communautaire commune utilisent le français ou le néerlandais selon les règles fixées à l'article 17, § 1er, des lois sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnées le 18 juillet 1966;
2º Les autres gouvernements utilisent leur langue administrative; »
Justification :
L'amendement à la première phrase est lié à l'amendement proposé pour l'article 64.
Le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et le collège réuni ne sont pas expressément visés par l'article 62, mais l'emploi du singulier, au 1º de cette disposition, semble les exclure de l'ensemble des « gouvernements ». La Cour a déjà jugé à trois reprises que la même règle devait valoir, en matière d'emploi des langues, pour le gouvernement de Bruxelles-Capitale et pour le Conseil des ministres (voir arrêts 40/99, 110/99, 112/99).
Article 63, § 1er
Texte actuel :
« Sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3, l'instruction de l'affaire a lieu dans la langue de la demande. »
Proposition :
« Sous réserve des dispositions des paragraphes 2 et 3, l'instruction de l'affaire a lieu dans la langue de l'acte qui saisit la Cour. »
Justification :
Cette terminologie paraît plus exacte que celle utilisée : le terme « demande » ne convient ni pour les questions préjudicielles, ni, sensu stricto, pour les recours en annulation.
Article 64
Texte actuel :
« Les interventions orales à l'audience ont lieu en français, en néerlandais ou en allemand; elles font l'objet d'une traduction simultanée. »
Proposition :
« Sans préjudice de l'article 62, les interventions orales à l'audience ont lieu en français, en néerlandais ou en allemand; elles font l'objet d'une traduction simultanée. »
Justification :
L'absence de cette précision a entraîné quelques confusions dans le passé. L'ajout implique que les avocats ne peuvent utiliser à l'audience d'autre langue que celle rendue obligatoire par la loi organique. Sans cet ajout, il pourrait y avoir là une certaine imprécision.
Article 65
Texte actuel :
« Les arrêts de la Cour sont rédigés et prononcés en français et en néerlandais. Ils sont publiés au Moniteur belge de la manière prévue à l'article 114, avec une traduction en allemand.
Toutefois, les arrêts sont rédigés, prononcés et publiés en français, en néerlandais et en allemand :
1º s'il s'agit d'arrêts rendus sur recours en annulation;
2º si l'affaire est introduite en allemand. »
Proposition :
« Les arrêts de la Cour sont rédigés en français et en néerlandais. Ils sont publiés au Moniteur belge de la manière prévue à l'article 114, avec une traduction en allemand.
Les arrêts sont prononcés par les présidents en français et en néerlandais.
L'arrêt est également prononcé en allemand lorsqu'il s'agit d'arrêts rendus sur recours en annulation ou lorsque l'affaire a été introduite en allemand.
Les arrêts sont également publiés en allemand dans les cas visés à l'alinéa précédent. »
Justification :
Cette proposition est dictée par des considérations d'ordre pratique. En confiant au seul président le prononcé de l'arrêt, on évite que les autres juges doivent assister à tout prononcé.
Article 70
Texte actuel :
« Dès réception d'un recours en annulation ou d'une décision de renvoi, les rapporteurs examinent s'il apparaît, ou non, au vu de la requête ou de la décision de renvoi, que le recours ou la question est manifestement irrecevable ou non fondé, ou que la Cour d'arbitrage n'est manifestement pas compétente pour en connaître. »
Proposition :
« Dès réception d'un recours en annulation ou d'une décision de renvoi, les rapporteurs examinent s'il apparaît, ou non, au vu de la requête ou de la décision de renvoi, que le recours ou la question est manifestement irrecevable ou non fondé, que la Cour d'arbitrage n'est manifestement pas compétente pour en connaître ou qu'il semble qu'il puisse être mis fin à l'affaire par un arrêt de réponse immédiate. »
Justification :
Voyez la justification concernant la proposition de modification de l'article 72.
Article 71, alinéa 2
Texte actuel :
« Les conclusions des rapporteurs sont notifiées aux parties par le greffier dans le délai prévu à l'alinéa premier. Les parties disposent de quinze jours francs à compter de la réception de la notification pour introduire un mémoire justificatif. »
Proposition :
« Les conclusions des rapporteurs sont notifiées aux parties par le greffier dans le délai prévu à l'alinéa premier. Les parties disposent de quinze jours à compter de la réception de la notification pour introduire un mémoire justificatif. »
Justification :
Il n'est nulle part question de jours « francs » dans la loi spéciale, sauf aux articles 71 et 72.
Article 72
Texte actuel :
« Si le recours en annulation apparaît comme manifestement non fondé ou si la question préjudicielle est manifestement sans objet, les rapporteurs font rapport à ce sujet devant la Cour dans un délai de trente jours au maximum suivant, selon le cas, la réception de la requête ou de la question préjudicielle; si la règle attaquée fait également l'objet d'une demande de suspension, ce délai est réduit à dix jours au maximum.
Les conclusions des rapporteurs sont notifiées aux parties par le greffier dans le délai prévu à l'alinéa premier. Les parties disposent de quinze jours francs à compter de la réception de la notification pour introduire un mémoire justificatif.
La Cour peut alors décider de mettre fin à l'examen de l'affaire, sans autre acte de procédure, par un arrêt dans lequel, selon le cas, le recours ou la question est déclaré non fondé.
Si la proposition de prononcer un arrêt déclarant l'affaire non fondée ou un arrêt de réponse immédiate n'est pas retenue, la Cour le constate par ordonnance. »
Proposition :
« Si le recours en annulation apparaît comme manifestement non fondé, si la question préjudicielle est manifestement sans objet ou s'il semble que, en raison de la nature de l'affaire ou de la relative simplicité des problèmes qu'elle soulève, elle peut faire l'objet d'un arrêt de réponse immédiate, les rapporteurs font rapport à ce sujet devant la Cour dans un délai de trente jours au maximum suivant, selon le cas, la réception de la requête ou de la question préjudicielle; si la règle attaquée fait également l'objet d'une demande de suspension, ce délai est réduit à dix jours au maximum.
Les conclusions des rapporteurs sont notifiées aux parties par le greffier dans le délai prévu à l'alinéa premier. Si les conclusions des juges-rapporteurs proposent de constater une violation des règles mentionnées aux articles 1er et 26, elles sont notifiées, de même que le recours en annulation ou la décision contenant la question préjudicielle, aux parties mentionnées à l'article 76. Les parties disposent de quinze jours à compter de la réception de la notification pour introduire un mémoire justificatif.
La cour peut alors décider de mettre fin à l'examen de l'affaire, sans autre acte de procédure, par un arrêt de réponse immédiate ou par un arrêt dans lequel, selon le cas, le recours ou la question est déclaré non fondé.
Si la proposition de prononcer un arrêt déclarant l'affaire non fondée ou un arrêt de réponse immédiate n'est pas retenue, la Cour le constate par ordonnance. »
Justification :
L'arrêt de réponse immédiate n'est actuellement mentionné qu'à l'alinéa 3, de l'article 72. Il s'impose de le mentionner également dans l'alinéa 1er. L'arrêt de réponse immédiate doit en effet se distinguer des deux autres hypothèses mentionnées dans l'alinéa 1er.
Il appert des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que cette disposition trouve également à s'appliquer dans les cas où une question préjudicielle, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, ne soulève pas de difficultés particulières et peut faire l'objet d'une réponse dans le cadre de la procédure préliminaire (doc. Sénat, nº 483/2, 1988-1989, pp. 55 et 89; doc. Chambre, nº 633/4, 1988-1989, p. 38).
Afin de préserver les droits des parties institutionnelles, il est proposé de compléter l'alinéa 2.
Il n'est nulle part question de jours « francs » dans la loi spéciale, sauf aux articles 71 et 72.
Article 74
Texte actuel :
« Lorsqu'il n'a pas été fait application des articles 71 et 72 ou au vu de l'ordonnance visée à l'article 71, alinéa 4, ou de l'ordonnance visée à l'article 72, alinéa 4, le greffier fait publier au Moniteur belge, en français, en néerlandais et en allemand, un avis indiquant notamment l'auteur et l'objet du recours en annulation ou de la question préjudicielle.
La procédure se poursuit conformément aux dispositions suivantes. »
Proposition :
« Lorsqu'il n'a pas été fait application des articles 71 et 72 ou au vu de l'ordonnance visée à l'article 71, alinéa 4, ou de l'ordonnance visée à l'article 72, alinéa 4, le greffier fait publier au Moniteur belge, en français, en néerlandais et en allemand, un avis indiquant notamment l'auteur et l'objet du recours en annulation ou de la question préjudicielle.
La requête en annulation peut être consultée au greffe de la Cour durant un délai de trente jours à dater de la publication visée à l'alinéa précédent.
La procédure se poursuit conformément aux dispositions suivantes. »
Justification :
Étant donné que l'article 87 permet à toute personne intéressée d'intervenir dans une procédure pendante, il est utile pour l'intervenant potentiel de connaître avec précision les moyens déjà invoqués afin de juger de son intérêt à intervenir. Cela évitera les interventions dans les procédures sur recours en annulation « à l'aveuglette », principalement lorsqu'une partie intéressée intervient pour défendre la loi attaquée, et qu'elle ne peut répondre avec précision aux moyens d'annulation que dans son mémoire en réponse, ce qui a pour conséquence qu'elle « perd » l'efficacité d'une pièce de procédure.
Article 85, alinéa 3 :
Texte actuel :
« Le délai fixé à l'alinéa 1er peut être abrégé ou prorogé par ordonnance motivée du président. »
Proposition :
Abroger cette disposition.
Justification :
Actuellement, la loi prévoit la possibilité d'abréger ou de proroger les délais, uniquement pour les mémoires visés à l'article 85. Or, la pratique montre que d'autres délais peuvent aussi devoir être abrégés ou prorogés. Il est donc proposé de prévoir une disposition générale (nouvel article 89bis), et d'abroger la disposition correspondante dans l'article 85.
Article 89
Texte actuel :
« À l'expiration des délais prévus par les articles 85 et 87, le greffier transmet une copie des mémoires déposés aux autres parties ayant introduit une requête ou déposé un mémoire. Elles disposent alors de trente jours à dater du jour de la réception pour faire parvenir au greffe un mémoire en réponse. »
Proposition :
« § 1er. Lorsque la Cour statue, à titre préjudiciel, sur les questions visées à l'article 26, le greffier transmet une copie des mémoires déposés, à l'expiration des délais prévus par les articles 85 et 87, aux autres parties ayant déposé un mémoire. Elles disposent alors de trente jours à dater du jour de la réception pour faire parvenir au greffe un mémoire en réponse. À l'expiration de ce délai, le greffier transmet une copie des mémoires en réponse déposés aux autres parties ayant déposé un mémoire.
§ 2. Lorsque la Cour statue sur les recours en annulation visés à l'article 1er, le greffier transmet une copie des mémoires déposés, à l'expiration des délais prévus par les articles 85 et 87, à la partie requérante. Celle-ci dispose alors de trente jours à dater du jour de la réception pour faire parvenir au greffe un mémoire en réponse. À l'expiration de ce délai, le greffier transmet une copie du mémoire en réponse introduit par la partie requérante aux autres parties ayant déposé un mémoire. Celles-ci disposent alors de trente jours, à dater du jour de la réception pour faire parvenir au greffe un mémoire en réplique. À l'expiration de ce délai, le greffier transmet une copie des mémoires en réplique déposés à la partie requérante et aux autres parties ayant introduit un mémoire. »
Justification :
Dans le cadre d'un recours en annulation, le défenseur de la norme attaquée ne dispose que d'une pièce de procédure (mémoire), alors que l'auteur du recours peut s'exprimer dans la requête et dans le mémoire en réponse. Il n'en va autrement que lorsqu'un tiers intervient dans la procédure, dans ce cas, le défenseur de la norme peut introduire un mémoire et un mémoire en réponse suite à la notification qui lui est faite du mémoire en intervention.
Pour corriger ce déséquilibre entre requérant et défenseur de la norme, il convient d'introduire la possibilité pour celui-ci de répondre au mémoire en réponse. Il est dès lors proposé de maintenir la procédure d'échanges des mémoires comme telle pour les questions préjudicielles, mais d'introduire une modification pour la procédure sur recours en annulation, de façon à organiser un dialogue équilibré entre requérant, défenseur de la norme et parties intervenantes éventuelles.
La modification proposée doit permettre à la partie défenderesse de répondre par écrit aux moyens précisés dans le mémoire en réponse, de telle sorte que l'instruction verbale à l'audience soit la plus restreinte possible.
L'ajout de la transmission, par le greffier, des mémoires en réponse aux parties comble une lacune de la loi, et correspond à ce qui est fait en pratique.
Nouvel article 89bis
Proposition :
« Les délais fixés aux articles 85, 87 et 89 peuvent être abrégés ou prorogés par ordonnance motivée du président.
Lorsqu'un délai fixé à l'article 87 est abrégé ou prorogé conformément à l'alinéa 1er, le greffier en fait mention dans l'avis visé à l'article 74, alinéa 1er. »
Justification :
Actuellement, la loi prévoit la possibilité d'abréger ou de proroger les délais, uniquement pour les mémoires visés à l'article 85. Or, la pratique montre que d'autres délais peuvent aussi devoir être abrégés ou prorogés. Il est donc proposé de prévoir une disposition générale, et d'abroger la disposition correspondante dans l'article 85.
Article 90, alinéa 2
Texte actuel :
« L'ordonnance décidant que l'affaire est en état fixe le jour de l'audience. »
Proposition :
« L'ordonnance décidant que l'affaire est en état fixe le jour de l'audience et énonce les questions soulevées lors de la mise en état auxquelles les parties seront invitées à répondre, soit par un mémoire complémentaire à introduire dans le délai fixé dans l'ordonnance, soit verbalement à l'audience. »
Justification :
La pratique est déjà fixée en ce sens. Cette proposition permet en outre de rencontrer adéquatement le souci du législateur, exprimé dans l'avant-projet de loi modifiant la loi spéciale au sujet de l'article 103. Permettre la consultation du rapport des juges-rapporteurs deviendrait, de ce fait, superflu.
Nouvel article 94bis
Proposition :
« § 1er. Lorsque la Cour est saisie d'une question préjudicielle formée par le Conseil d'État en vertu de l'article 6, § 1er, VIII, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, le greffier notifie la décision de renvoi conformément à l'article 77.
§ 2. Dans les dix jours de la réception de la notification, le Conseil des ministres, les gouvernements, les présidents des assemblées législatives et les personnes destinataires de ces notifications peuvent adresser un mémoire à la Cour.
§ 3. À l'expiration du délai prévu au § 2, la Cour, les rapporteurs entendus, décide si l'affaire est ou non en état. L'ordonnance décidant que l'affaire est en état fixe le jour de l'audience. Elle est notifiée aux parties au moins trois jours avant la date de l'audience. Pendant le délai qui sépare la notification de l'ordonnance de fixation de l'audience, les parties peuvent consulter le dossier au greffe. »
Justification :
L'article 6, § 1er, VIII, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, inséré par la loi spéciale du 13 juillet 2001 prévoit une hypothèse particulière de question préjudicielle, dans le cadre d'une procédure disciplinaire contre un bourgmestre. Cette disposition prévoit que la Cour, saisie d'une telle question, doit rendre son arrêt dans les soixante jours. Il est donc impératif d'adapter la procédure, et, notamment, de réduire les délais d'échanges de mémoires. De même, dans ce cadre, il est proposé de ne pas procéder à une publication au Moniteur belge (article 74), puisqu'il semble peu opportun que des tiers interviennent dans ce genre de procédure.
Article 103
Texte actuel :
« Les parties qui ont introduit une requête ou déposé un mémoire, leurs représentants et leurs avocats sont avisés de la date de l'audience quinze jours d'avance.
Pendant ce délai, ils peuvent consulter le dossier au greffe. »
Texte du projet de loi :
Remplacer le deuxième alinéa par : « Pendant ce délai, ils peuvent consulter le dossier et le rapport des rapporteurs au greffe. »
Proposition :
« Les parties qui ont introduit une requête ou déposé un mémoire, leurs représentants et leurs avocats sont avisés de la date de l'audience quinze jours d'avance.
Pendant ce délai, ils peuvent consulter le dossier au greffe.
Les parties à une affaire qui a été jointe à une ou plusieurs autres affaires en vertu de l'article 100 peuvent consulter tous les dossiers joints. »
Justification :
Deuxième alinéa
Le souci du législateur, exprimé dans l'avant-projet de loi modifiant la loi spéciale, paraît plus adéquatement rencontré par la modification proposée à l'article 90, alinéa 2, que par la possibilité de consulter le rapport au greffe.
Permettre la consultation du rapport des juges-rapporteurs, inspiré par la pratique de la Cour de Justice, n'est pas de nature à rencontrer l'objectif de la disposition. À la Cour de Justice, le rapport se limite à un résumé des positions des parties. Celles-ci sont néanmoins confrontées à des questions à l'audience qui ne sont pas mentionnées dans le rapport. Compte tenu de la proposition relative à l'article 90, il y a une autre forme de dialogue préalable entre la Cour et les parties.
Troisième alinéa
Il s'agit d'assurer les droits de la défense. Les parties à une affaire jointe ont ainsi la possibilité de prendre connaissance des arguments avancés dans les autres affaires jointes, et d'y répondre éventuellement à l'audience.
Article 109
Texte actuel :
« Sans préjudice de l'article 25, les arrêts sont rendus dans les six mois du dépôt du recours en annulation ou de la réception du jugement de renvoi.
Néanmoins, dans le cas où une affaire n'est pas en état d'être jugée à l'expiration de ce délai, la Cour peut, par une décision motivée, le proroger dans la mesure qui s'impose. La prorogation peut, en cas de nécessité, être renouvelée, sans que la durée totale des prorogations puisse excéder un an. »
Texte du projet de loi :
« Sans préjudice de l'article 25, les arrêts sont rendus dans les six mois du dépôt du recours en annulation ou de la réception du jugement de renvoi.
Néanmoins, dans le cas où une affaire n'est pas en état d'être jugée à l'expiration de ce délai, la Cour peut, par une décision motivée, le proroger dans la mesure qui s'impose. La prorogation peut, en cas de nécessité, être renouvelée, sans que la durée totale des prorogations puisse excéder six mois. »
Proposition :
« Sans préjudice de l'article 25 et de l'article 6, § 1er, VIII, 5º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les arrêts sont rendus dans les six mois du dépôt du recours en annulation ou de la réception de la décision de renvoi.
Néanmoins, dans le cas où une affaire n'est pas en état d'être jugée à l'expiration de ce délai, la Cour peut, par une décision motivée, le proroger dans la mesure qui s'impose. La prorogation peut, en cas de nécessité, être renouvelée, sans que la durée totale des prorogations puisse excéder un an. »
Justification :
Premier alinéa
Il est proposé de procéder à deux modifications techniques dans le 1er alinéa. L'article mentionné de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, inséré par l'article 4 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés, dispose que la Cour statue, dans le cas particulier qui y est prévu, dans un délai de soixante jours. Il est, dès lors, nécessaire de mentionner ce régime dérogatoire dans l'article 109, alinéa 1er, qui mentionne les délais dans lesquels il y a lieu de statuer.
Il est proposé de remplacer également le terme « jugement de renvoi » par « décision de renvoi ». Le premier terme est sensu stricto inexact puisque les décisions de renvoi ne sont pas toutes des jugements.
Deuxième alinéa
En vertu de l'article 109 actuel, la Cour statue dans un délai de six mois, en dehors du cas particulier visé à l'article 25. Ce délai peut, si nécessaire, être prorogé à deux reprises par une ordonnance motivée. La durée totale des prorogations peut s'élever à un an au maximum. En tout état de cause, la Cour est donc censée statuer dans un délai de l'ordre de 18 mois. Cette disposition, qui ne connaît pas son égal dans l'ordre juridique belge, vise à inciter la Cour à statuer dans les plus brefs délais possibles. Il s'avère dans la pratique que la Cour a jusqu'à présent réussi à respecter dans tous les cas cette durée maximum en dépit d'une forte augmentation du nombre d'affaires et nonobstant l'importante modification apportée récemment à la composition de la Cour. Il appert des statistiques sur la « durée moyenne de la procédure devant la Cour » que pour les trois dernières années la durée moyenne dans le contentieux d'annulation est de 362 jours (1998), 332 jours (1999) et 411 jours (2000) et dans le contentieux préjudiciel de 327 jours (1998), 383 jours (1999) et 392 jours (2000). Comparé à d'autres juridictions, ce résultat peut être considéré comme plutôt bon.
À l'article 8 du projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, le délai maximum pour statuer est ramené de 18 à 12 mois. Selon l'exposé des motifs, « il va sans dire qu'il est dans l'intérêt de chacun de savoir avec certitude, dans les plus brefs délais, si une disposition légale est ou non contraire à la Constitution. Cela vaut d'autant plus que la Cour pourra dorénavant vérifier la conformité d'une norme avec un nombre accru d'articles de la Constitution que par le passé. En outre, que la jonction d'affaires soit rendue plus difficile ne contrebalance pas les avantages liés à une décision rapide. Dès lors, le Gouvernement est d'avis qu'il ne peut pas tenir compte des remarques du Conseil d'Etat en cette matière » (doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 10).
Pour plusieurs raisons la modification proposée n'est pas indiquée. D'abord parce que l'extension de la compétence de contrôle de la Cour aura inévitablement pour effet que le nombre d'affaires augmentera, entraînant à son tour un accroissement sensible de la charge de travail. Dans le contexte des données chiffrées susmentionnées, il semble irréaliste d'espérer qu'en cas d'augmentation de la charge de travail, la Cour puisse, dans tous les cas, prononcer un arrêt dans les 12 mois.
En deuxième lieu, parce que la procédure qui doit être suivie avant qu'une affaire puisse être plaidée et mise en délibéré a pour effet qu'en cas de recours en annulation moyen (voyez exemples en annexe 2) impliquant des parties faisant usage d'une autre langue, un délai d'environ six mois à l'heure actuelle (et si la proposition de prévoir un mémoire en réplique est suivie, un délai d'environ sept mois) vient à expiration par la simple application des prescriptions de procédure (procédure préliminaire, publication, délais d'introduction des mémoires, des mémoires en réponse et, si la proposition relative à l'article 89 est suivie, des mémoires justificatifs) et le temps requis pour la traduction des pièces de procédure. Ce n'est qu'après écoulement de ce délai que les juges-rapporteurs peuvent examiner l'affaire sur le fond et établir leur rapport et que l'affaire peut être mise en état. L'affaire peut ensuite être plaidée et mise en délibéré. À cet égard, il faut chaque fois tenir compte du temps nécessaire pour fournir les traductions requises des pièces. Par ailleurs, il faut évidemment également tenir compte des périodes de congés. Au demeurant, le fait est que, lorsque des affaires sont jointes par application de l'article 100, un délai de 12 mois peut s'écouler pour l'affaire introduite en premier lieu avant que la Cour ne puisse instruire cette affaire. Tel est, par exemple, le cas lorsque plusieurs recours en annulation sont introduits contre une norme légale. Il est alors dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de la préservation des droits de toutes les parties requérantes que ces affaires soient jointes. Or, lorsque le premier recours est introduit immédiatement après la publication de la norme légale et le dernier tout à fait à la fin du délai de six mois dans lequel des recours peuvent être introduits c'est plus la règle que l'exception dans la pratique , un délai de 12 mois environ sera écoulé avant que l'affaire la plus ancienne ne puisse être instruite. Pour pouvoir respecter le nouveau délai proposé, la Cour devrait renoncer à joindre des affaires connexes, ce qui n'est pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, porterait atteinte aux droits des parties requérantes dans les affaires introduites ultérieurement et entraînerait une plus grande charge de travail.
D'autres solutions, adaptées aux exigences de procédure, sont possibles pour rencontrer le souci d'une jurisprudence la plus rapide possible mais également de qualité. La réglementation actuelle, dont le maintien est proposé, fonctionne de manière plutôt satisfaisante. Elle incite la Cour à dépasser le moins possible dans les affaires où cela se peut (affaires unilingues, affaires non jointes) le délai de six mois lorsqu'il est fait application de la procédure ordinaire avec échange de mémoires et plaidoiries. Il est proposé ailleurs (voy. la proposition de modification de l'article 72) qu'il soit fait usage de manière plus intensive de la procédure préliminaire à l'avenir, plus précisément de la procédure de l'arrêt de réponse immédiate. La pratique démontre que de cette manière il peut être statué dans des affaires relativement simples dans un délai de moins de trois mois après qu'une question préjudicielle eut été posée à la Cour. Dans les cas où il y a lieu de suivre la procédure ordinaire mais où l'affaire présente un caractère urgent, la Cour pourra écourter les délais de procédure ordinaire (voyez l'article 89bis proposé) et donner la priorité à la traduction des pièces dans cette affaire, de manière telle qu'il soit possible, dans ce cas, de statuer dans un délai de 6 mois. L'ensemble de ces mesures semble de nature à pouvoir rencontrer plus efficacement la préoccupation qui se trouve à la base du projet de modification de l'article 109.
Article 114, alinéa 1er
Texte actuel :
« Les arrêts rendus sur recours en annulation sont publiés en entier et ceux rendus sur question préjudicielle par extrait au Moniteur belge, par les soins du greffier. L'extrait comporte les considérants et le dispositif. »
Proposition :
« Les arrêts rendus sur recours en annulation et sur questions préjudicielles sont publiés en entier ou par extrait au Moniteur belge, par les soins du greffier. L'extrait comporte les considérants et le dispositif. »
Justification :
La proposition de texte permet également de ne publier que par extrait les arrêts rendus sur recours en annulation. On prévoit ainsi un traitement égal des arrêts sur recours en annulation et de ceux rendus sur question préjudicielle. On peut de la sorte supprimer la partie « procédure » et les A.
Article 124
Texte actuel :
« Les affaires pendantes devant la Cour d'arbitrage au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi restent régies par les dispositions de la loi du 28 juin 1983 portant l'organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d'arbitrage. »
Proposition :
Supprimer la disposition.
Justification :
La disposition est devenue sans objet puisque lesdites affaires sont clôturées. Il convient néanmoins de faire figurer une disposition transitoire analogue dans le projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 pour les affaires qui seront introduites à la Cour à la date de l'entrée en vigueur de cette loi spéciale modificative.
Article 124bis (nouveau chapitre III du titre Ier)
L'article 124bis a été repris indûment au « Titre VII Dispositions transitoires ». Cet article n'a pas le caractère d'une disposition transitoire. Il est proposé de faire figurer l'article 124bis, qui est lié aux compétences de la Cour, dans un nouvel article 30bis dans un nouveau chapitre III du titre Ier, intitulé « Dispositions communes ». L'article 124bis s'applique en effet aussi bien aux recours en annulation (chapitre Ier) qu'aux questions préjudicielles (chapitre II).
Il est possible de souscrire totalement aux adaptations formelles de l'article 124bis (article 9 du projet) proposées dans le projet de loi.
II. La loi ordinaire du 6 janvier 1989 relative aux traitements et pensions des juges, des référendaires et des greffiers de la Cour d'arbitrage
Article 1er, dernier alinéa
Texte actuel :
« En ce qui concerne les référendaires, pendant la période de stage de trois ans visée à l'article 40, alinéa premier, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage, ils bénéficient du régime pécuniaire des référendaires adjoints du Conseil d'État; pendant les dix années suivantes, ils bénéficient du régime pécuniaire des référendaires; à l'expiration de la treizième année qui suit leur nomination, ils bénéficient du régime pécuniaire des premiers référendaires. »
Proposition :
« En ce qui concerne les référendaires, pendant la période de stage de trois ans visée à l'article 40, alinéa premier, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, ils bénéficient du régime pécuniaire des référendaires adjoints du Conseil d'État; pendant les huit années suivantes, ils bénéficient du régime pécuniaire des référendaires; à l'expiration de la onzième année qui suit leur nomination, ils bénéficient du régime pécuniaire des premiers référendaires. »
Justification :
Cet article vise à rétablir la conformité entre la carrière pécuniaire des référendaires à la Cour d'arbitrage et celle des référendaires au Conseil d'État, comme elle a été expressément voulue par le législateur en adoptant la loi du 6 janvier 1989 relative aux traitements et pensions des juges, des référendaires et des greffiers de la Cour d'arbitrage et comme elle existait entre l'entrée en vigueur de cette loi et celle de la loi du 25 mai 1999.
Cette conformité a en effet été rompue par la loi du 25 mai 1999 modifiant les lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'État, ainsi que le Code judiciaire, où dans l'article 71, § 3, a) et b), de la loi précitée sur le Conseil d'État, le mot « treize » avait chaque fois été remplacé par le mot « onze ».
La modification devrait entrer en vigueur le 1er octobre 2000, date à laquelle la conformité du statut pécuniaire est d'application pour quelques référendaires.
Cette proposition figurait déjà dans la proposition de loi qui portait sur le traitement des présidents et des juges de la Cour qui exercent leur fonction en vertu de l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989. Le vice-premier ministre a toutefois préféré examiner la carrière des référendaires dans le cadre du projet de loi relatif à la Cour d'arbitrage (doc. Sénat, nº 2-623/1, 2000-2001, p. 2).
ANNEXE 1 RELATIVE À L'ARTICLE 58
1. Situation actuelle :
La simulation est effectuée sur base d'une année de présidence Fr. (trois juges Fr. dans chaque siège), à gauche en cas de couple présidentiel mixte, à droite en cas de couple présidentiel de même origine professionnelle. Le tableau figure les listes établies par les présidents.
Frans. Français | Nederlands. Néerlandais | Frans. Français | Nederlands. Néerlandais | |
Voorzitters. Présidents | Jurist. Juriste |
Parlementslid. Parlementaire |
Parlementslid. Parlementaire |
Parlementslid. Parlementaire |
1. | P. | J. | J. | J. |
2. | J. | P. | P. | P. |
3. | P. | J. | J. | J. |
4. | J. | P. | P. | P. |
5. | P. | J. | J. | J. |
Sur la base de ces listes, les couples de rapporteurs sont :
Numéros des rapporteurs |
Couples en cas de présidents d'origine différente |
Couples en cas de présidents de même origine |
1. F. 1. N. | P. J. | J. J. |
4. F. 3. N. | J. J. | P. J. |
2. F. 5. N. | J. J. | P. J. |
5. F. 2. N. | P. P. | J. P. |
3. F. 4. N. | P. P. | J. P. |
Dans le cas de présidents d'origine professionnelle différente, seul un des couples peut être « mixte », les quatre autres sont obligatoirement composés soit de deux anciens parlementaires, soit de deux juristes professionnels.
2. Possibilité après abrogation partielle de l'article 58 :
Les listes des présidents pourraient être établies comme suit, en cas de présidence « mixte » :
Français | Néerlandais | |
Présidents | J. | P. |
1. | P. | J. |
2. | P. | P. |
3. | J. | J. |
4. | P. | P. |
5. | J. | J. |
Ce qui donnerait les sièges et couples de rapporteurs suivants :
Présidents J. P.
Siège 1. P.- J.
P. P.
J.
Siège 2. P.- J.
J. P.
P.
Siège 3. P.- J.
J. J.
P.
Siège 4. J.- P.
P. J.
P.
Siège 5. J.- P.
P. J.
J.
ANNEXE 2 RELATIVE À L'ARTICLE 109
Délai moyen précédant l'instruction de l'affaire (exemple réel)
a) Affaires non jointes
2 janvier : réception de la requête ou de la décision de renvoi au greffe
délai d'environ 30 jours pour l'instruction de l'affaire en vue de l'application éventuelle de la procédure préliminaire (articles 71/72)
plus traduction de la requête ou de la décision de renvoi
1er février : notification du recours ou de la décision de renvoi (articles 76/77)
délai légal de 45 jours pour l'introduction des mémoires
15 mars : réception des mémoires au greffe
délai d'environ 30 jours pour traduction des mémoires
15 avril : notification des mémoires (article 89)
délai légal de 30 jours pour l'introduction des mémoires en réponse
15 mai : réception des mémoires en réponse
délai d'environ 30 jours pour traduction des mémoires en réponse
15 juin : échange des mémoires en réponse par le greffier de la Cour
15 juillet : si, comme le propose la Cour, la nouvelle loi devait instaurer un mémoire en réplique dans la procédure relative aux recours en annulation, il ne parviendrait à la Cour qu'aux environs du 15 juillet, pour être ensuite traduit
30 juillet : fin des délais d'introduction des mémoires et de leur traduction
b) Affaires jointes
En supposant que l'affaire précitée soit jointe à une deuxième affaire parvenue le 1er mai à la Cour, les délais d'échange des mémoires viendraient à expiration à la fin novembre.
Il convient, en outre, de tenir compte du fait qu'en principe le greffier de la Cour ne fait pas de notification pendant les vacances judiciaires (juillet-août) puisque, d'une part, un grand nombre d'avocats sont absents et que, d'autre part, le Conseil des ministres, comme les gouvernements de région et de communauté, ne se réunissent pas régulièrement.
4. LETTRE DU 20 MARS 2002 DE L'ORDRE DES BARREAUX FRANCOPHONES ET GERMANOPHONES À M. ARMAND DE DECKER, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Monsieur le président,
Concerne : les projets du gouvernement concernant l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution qui intégrerait la Convention européenne des droits de l'homme dans la Constitution et la réforme de la loi sur la Cour d'arbitrage.
Réf. Sénat : doc. Sénat, nºs 575 et 897
Les projets du gouvernement concernant l'insertion d'un article 32bis dans la Constitution qui intégrerait la Convention européenne des droits de l'homme dans la Constitution et la réforme de la loi sur la Cour d'arbitrage émeut l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, comme il ont ému les professeurs Velu et Simonart notamment.
En effet, ces projets risquent d'avoir pour effet de priver les cours et tribunaux du pouvoir de laisser, de leur propre initiative, inappliqués les lois, décrets et ordonnances contraires à la Convention, comme le leur impose la jurisprudence Le Ski de la Cour de cassation. Ils seront contraints de poser préalablement une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la compatibilité de ces lois, décrets et ordonnances avec l'article 32bis de la Constitution et donc la Convention.
L'instauration d'un détour obligé par la Cour d'arbirage aura en conséquence un double impact :
d'une part, elle aboutira à un allongement des procédures dans lesquelles une violation de la Convention est invoquée et donc à des surcoûts pour le justiciable et,
d'autre part, le système mis en place risque de conduire à des contradictions de jurisprudence entre la Cour d'arbitrage et la Cour européenne des droits de l'homme notamment dans l'hypothèse où la première conclut à la compatibilité de la norme avec la Convention. La sécurité juridique pourrait bien s'en ressentir fortement.
En revanche, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone ne perçoit pas la « valeur ajoutée » de l'insertion dans la Constitution de la Convention européenne des droits de l'homme qui jouit actuellement d'un statut supérieur à celui de la Constitution.
L'Ordre des barreaux francophones et germanophone se permet dès lors d'inviter les membres de la commission des Affaires institutionnelles du Sénat à s'interroger à nouveau sur la pertinence de l'insertion d'un nouvel article 32bis dans la Constitution.
En vous remerciant de l'attention que vous voudrez bien accorder à ce courrier, nous vous prions de bien vouloir croire, monsieur le président, à l'assurance de notre considération distinguée.
Administrateur,
Pour l'Ordre des barreaux,
Lucette DEFALQUE.
(1) Doc. Chambre, 1998-1999, nº 2150/3, p. 17.
(2) Conseil d'État, section de législation, chambres réunies, avis du 25 avril 2000, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 19.
(3) Doc. Chambre, 1994-1995, nr. 1740/4, p. 14.
(4) Voy. H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », Rev. b. Dr. Const., 2000, p. 185.
(5) Voir Conseil d'État, section de législation, chambres réunies, avis du 25 avril 2000, o.c., nº 2-897/1, pp. 21-22.
(6) J. Velaers, Van Arbitragehof tot Grondwettelijk Hof, Anvers, Maklu, 1990, pp. 386-387.
(7) Voy. H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », Rev. b. Dr. Const., 2000, p. 188.
(8) Ibidem, pp. 188-189.
(9) Voy. K. Lenaerts et P. Van Nuffel, Europees recht in hoofdlijnen, Anvers, Maklu, 1995, pp. 526-527.
(10) Jurisprudence constante de la Cour de Justice depuis l'arrêt Simmenthal, arrêt du 9 mars 1978, affaire 106/77, Jur., 1978, 629. Dans cet arrêt, la Cour s'opposait au fait que la Corte costituzionale italienne devait déclarer préalablement qu'un acte législatif violait la Constitution pour qu'un juge ordinaire italien puisse l'écarter comme contraire au droit communautaire.
(11) Arrêt nº 33/94 du 26 avril 1994, considérants B.7. et B.8.
(12) Voir Conseil d'État, section de législation, chambres réunies, avis du 25 avril 2000, o.c., nº 2-897/1, p. 33.
(13) La Cour pourrait alors aboutir à une décision de principe dans la première affaire et renvoyer toutes les demandes subséquentes vers les juridictions concernées, en leur demandant de rouvrir les débats et de juger, à la lumière de la réponse donnée à la première question, si elles souhaitent maintenir la question (soit elles se conforment à cet arrêt, soit elles posent malgré tout la question dans l'espoir d'obtenir un changement de jurisprudence) ou, le cas échéant, si elles souhaitent poser une autre question. On pourrait également suspendre la procédure devant les juridictions elles-mêmes lorsqu'une question est posée dont la Cour est déjà saisie, mais la suspension de la procédure devant la Cour elle-même offre deux avantages : d'une part, la Cour peut au moins tenir compte de la diversité des affaires qui suscitent une même question préjudicielle, de manière à mieux estimer la portée de sa réponse dans la première affaire. D'autre part, la Cour peut apprécier elle-même si la question a bien effectivement le même objet.
(14) Chr. Horevoets, « Les questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage dans le projet de réforme de la loi spéciale du 6 janvier 1989 », Rev. b. dr. const., 2000, p. 201.
(15) H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », Rev.b.dr.const., 2000, pp. 183-190.
(16) Voir H. Simonart et M. Verdussen, op. cit., Rev.b.dr. Const., 2000, p. 188.
(17) J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l'homme, nº 981-991, particulièrement nº 981-982.
(18) Voir J. Lejeune et P. Brouwers, Observations relatives à l'arrêt 26/91 de la Cour d'arbitrage du 16 octobre 1991.
(19) Ceci est particulièrement sensible en ce qui concerne les actes individuels, vu le caractère théorique de la différence entre l'annulation par le Conseil d'État et le refus d'application judiciaire de pareils actes.
(20) La révision des articles 144, 145 et 146 de la Constitution s'imposerait si l'on souhaite apporter des solutions à la concurrence de compétence entre l'ordre judiciaire et le Conseil d'État quant au contentieux de la légalité des actes administratifs. Ceci pourrait aussi être mis à profit pour lever les obstacles constitutionnels au jugement par le Conseil d'État des conséquences préjudiciables d'un excès de pouvoir trouvant sa source dans un acte administratif.
(21) On sait que cette règle n'est pas applicable à la Cour de cassation et au Conseil d'État, qui doivent persister à poser des questions préjudicielles à la Cour malgré l'existence d'une jurisprudence constante et prévisible.
(22) H. Simonart et M. Verdussen, La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux, Rev. b. dr. const., 2000, 185.
(23) J. Velaers, Van Arbitragehof tot Grondwettelijk Hof, Antwerpen, Maklu, 1990, p. 386-387.
(24) H. Simonart et M. Verdussen, La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux, Rev. b. dr. const., 2000, 188.
(25) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 5.
(26) Cour européenne des droits de l'homme, 19 mars 1991, Cardot contre France, Publ. Cour Eur. D.H., Série A, nº 200, p. 18, § 34; voir également Cour européenne des droits de l'homme, 28 juillet 1999, Selmouni contre France, Recueil, 1999, p. 229, § 74.
(27) Cass., 27 mai 1971, SA Fromagerie Franco-Suisse Le Ski, Arr. Cass., 1971, 959; Pas., 1971, I, 886, concl. Ganshof van der Meersch, W.J. et J.T., 1971, 460, concl. Ganshof van der Meersch, W.J.
(28) Declercq, R., « Beginselen van Strafrechtspleging », Anvers, Kluwer, 1999, pp. 39-58; Verstraeten, R., « Handboek Strafvordering », Anvers, Maklu, 1999, pp. 81-90.
(29) Annales, Sénat, 14 juin 1988, pp. 510-511.
(30) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 5.
(31) Doc. Chambre, nº 1704/4, 1994-1995, p. 14.
(32) Doc. Sénat, nº 2-575/1, p. 2.
(33) Doc. Sénat, nº 2-575/1, p. 2.
(34) H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », Rev.b.dr.const., 2000, 185.
(35) Voir Cour d'arbitrage, 14 juillet 1994, nº 61/94; Cour d'arbitrage, 9 janvier 1996, nº 4/96, considérant B.3.; Cour d'arbitrage, 17 décembre 1997, nº 77/97, considérant B.10.1.
(36) Nous examinerons plus amplement ce point aux numéros 13 et suivants.
(37) En ce qui concerne l'article 172 voir Cour d'arbitrage, 4 juillet 1991, nº 20/91, considérant B.3.; Cour d'arbitrage, 10 octobre 1991, nº 24/91, considérant B.1.2.
(38) Cour d'arbitrage, 6 octobre 1999, nº 105/99, considérant B.3.
(39) Voir par exemple Cour d'arbitrage, 13 septembre 1995, nº 64/95, considérant B.14; Cour d'arbitrage, 17 février 1998, nº 18/98, considérant B.7.
(40) Voir par exemple, Cour d'arbitrage, 14 décembre 1995, nº 81/95, considérant B.6.7; Cour d'arbitrage, 27 mars 1996, nº 23/96, considérant B.2.2; Cour d'arbitrage, 26 mai 1999, nº 52/99.
(41) Voir doc Sénat, nº 2-897/1, p. 6.
(42) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 5.
(43) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 5.
(44) Alen fait état d'une « situation paradoxale ». A. Alen, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Anvers, Kluwer, 1995, nº 295.
(45) Voir à ce sujet J. Velaers, Van Arbitragehof tot grondwettelijk hof, Anvers, Maklu, 1990, 386-387.
(46) S'inspirant de la théorie de H. Kelsen, le père du modèle continental du contrôle central de la constitutionnalité par une Cour constitutionnelle, l'Autriche a confié à la Cour constitutionnelle tant le contrôle à la lumière de la Constitution qu'à celle de la CEDH. Par amendement du 4 mars 1964 à la Constitution fédérale, la CEDH a été élevée rétroactivement au rang de loi constitutionnelle.
(47) Sur la base de l'article 59.2. Grundgesetz, la CEDH, incorporée par la Zustimmungswet, a rang de loi. Voir A. Bleckman, « Verfassungsrang der Europäischen Menschenrechtskonvention », EuGrZ, 1994, 149-155
(48) Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne et de la Cour de cassation, un traité a le statut et la force d'une loi ordinaire lorsqu'il a été inscrit dans l'ordre juridique interne par une loi ordinaire. Par conséquent, les normes d'un traité ne priment que les lois antérieures et non la Constitution ou les lois postérieures.
(49) L'article 120 de la Constitution interdit au juge de s'engager dans l'appréciation de la constitutionnalité des lois. Voir B. Kohl, « Le contrôle de la constitutionnalité des lois aux Pays-Bas », CDPK, 2001/5, 113-140; L. Van Poelgeest, « Toetsing van de wet aan de Grondwet in Nederland », VVSRBN, W.E.J. Tjeenk Willink, Zwolle, 1991, p. 49.
(50) Cour Suprême, 8 juillet 1950, Pas. Lux., XV, 41.
(51) Voir article 55 Constitution française. Cassation (chambre mixte), 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, D. 1975, 497.
(52) Article 61 de la Constitution française.
(53) Voir A.Z. Drzemczewski, European Human Rights Convention in Domestic Law, A Comparative Study, 1983; J. Polakiewicz, V. Jacob-Foltzer, « The European Human Rights Convention in Domestic Law », HRLJ, 1991, 125.
(54) Cour européenne des droits de l'homme, James e.c. c. V.K, 22 janvier 1986, Série A, vol. 98, § 85. Voir également la confirmation récente dans Cour européenne des droits de l'homme, Kubla contre Pologne, 26 octobre 2000, § 151 (requête nº 30210/96); Voir aussi A. Drzemczewski et C. Giakoumopoulos, « Article 13 », dans La Convention européenne des droits de l'homme. Commentaire article par article, L.E. Pettitti (éd.), Paris, Economica, 1995, 471-473.
(55) Cour de Justice, 9 mars 1978, affaire 106/77, administration des Finances de l'État c. Simmenthal, Jur., 1978, 629. Plus récemment, la Cour de Justice a également appliqué cette jurisprudence dans le contexte constitutionnel portugais (arrêt 27 juin 1991, affaire C-348/89, Mecanarte, Jur. 1991, I-3277).
(56) Voir K. Lenaerts et P. Van Nuffel, Europees recht in hoofdlijnen, Anvers, Maklu, 1995, nº 634-675; Voir aussi Ph. Alston (éd.), L'Union européenne et les droits de l'homme, Académie de droit européen, Institut universitaire européen, Bruxelles, Bruylant, 2001.
(57) K. Lenaerts et P. Van Nuffel, Europees Recht in hoofdlijnen, Anvers, Maklu, 1995, 526-527.
(58) Voir M. Nowak, « La conditionnalité relative aux droits de l'homme en ce qui concerne l'adhésion et la pleine participation à l'Union européenne », dans Ph. Alston, L'Union européenne et les Droits de l'Homme, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 716. Cet auteur écrit au sujet de l'article 46 du Traité sur l'UE : « On a souligné à juste titre que cette modification apportée par le Traité d'Amsterdam n'était pas révolutionnaire puisqu'elle se bornait « à intégrer dans le droit ce qui existait de fait déjà depuis 30 années. » La jurisprudence de la CJCE ayant déjà été étendue auparavant, dans le cadre du « premier pilier », à la mise en oeuvre nationale du droit communautaire, il serait même permis de soutenir que l'article 46(d) du TUE constitue un pas en arrière, car il ne s'applique qu'« à l'action des institutions », se référant à Bulterman, « The Chapter on Fundamental Rights and non-discrimination of Amsterdam », 17, NQHR, 1997, 399.
(59) À la différence de l'assujettissement de l'Union même à la CEDH, l'assujettissement des États n'est pas expressément confirmé aux articles 6 et 46 du traité instituant la CE. Il résulte uniquement de la jurisprudence de la Cour de Justice.
(60) Voir J. Wouters, « Grondwet en Europese Unie », T.B.P., 1999/5, 323 et suivants.
(61) Cassation, 27 mai 1971, Pas. 1971 (p. 886) : « Lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir; que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel; Attendu qu'il en est a fortiori ainsi lorsque le conflit existe, comme en l'espèce, entre une norme de droit interne et une norme de droit communautaire; Qu'en effet, les traités qui ont créé le droit communautaire ont institué un nouvel ordre juridique au profit duquel les États membres ont limité l'exercice de leurs pouvoirs souverains dans les domaines que ces traités déterminent; Attendu que l'article 12 du traité instituant la Communauté économique européenne produit des effets immédiats et engendre dans le chef des justiciables des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder; Attendu qu'il résulte des considérations qui précèdent que le juge avait le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui sont contraires à cette disposition du Traité ». (les italiques sont nôtres)
(62) Conseil d'État, section de Législation, chambres réunies, 25 avril 2000, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 21. Le Conseil fait état d'un « principe général de droit constitutionnel ».
(63) Cassation 5 décembre 1994, TRD&I, 1995, p. 413.
(64) A. Alen, Handboek van het Belgisch staatsrecht, Anvers, Kluwer, 1995, p. 87-88. Selon Alen les principes de bonne législation priment la loi.
(65) F. Dumon, « Artikel 95 G.W. », dans X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, s.d., 37-38 et 40. De même, l'avis du Conseil d'État se réfère à F. Dumon.
(66) P. Popelier Rechtszekerheid als beginsel voor behoorlijke regelgeving, Anvers, Intersentia, 1997, p. 16-21.
(67) L.P. Suetens, « De invloed van het Arbitragehof op het grondwettelijk recht », R.W., 1993-1994, 1313-1318.
(68) P. Van Orshoven, « Non scripta, sed nata lex. Over de begripsomschrijving en de situering in de normenhiërarchie van de algemene rechtsbeginselen », dans Algemene rechtsbeginselen (éd. M. Van Hoecke), 1991, 59-80 et P. Van Orshoven, « Algemene rechtsbeginselen, in alle rechtstakken. Over de grondwettelijke waarde van de publiek- en privaatrechtelijke beginselen », dans De doorwerking van het publiekrecht in het privaatrecht, Gand, Mys et Breesch, 1997, p. 1-36, et plus particulièrement en ce qui concerne l'arrêt nº 16 Franco-Suisse Le Ski.
(69) J. Vande Lanotte et G. Goedertier, « Enkele knelpunten in de hiërarchie van de rechtsnormen », dans De doorwerking van het publiekrecht in het privaatrecht, Gand, Mys et Breesch, 1997, 70 et suivantes.
(70) Dans de nombreuses déclarations de révision de la Constitution, la possibilité fut créée d'inscrire dans la Constitution un article 107bis, relatif à la non-application par le juge de règles du droit interne qui seraient contraires au droit international ou communautaire. Quelquefois ces déclarations de révision furent assorties d'effets en ce sens que la Constituante fut saisie de propositions de révision. En définitive, la Constitution ne fut jamais revue. Il est cependant clair que toutes les tentatives faites jusqu'à présent visaient à inscrire dans la Constitution l'effet direct du traité international et le contrôle par tout juge. Voir, par exemple, la proposition d'insertion d'un article 107bis, adoptée à l'unanimité par la Commission de la Chambre, doc. Chambre, 1992-93, nº 624/4.
(71) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 4.
(72) Avis du Conseil d'État, chambres réunies, 25 avril 2000, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 21.
(73) Annales, Sénat, 14 juin 1988, p. 471, avec une déclaration du sénateur Lallemand. Il est vrai que cette déclaration était faite dans le contexte d'une CEDH non constitutionnalisée. Voir également J. Velaers, Van Arbitragehof tot Grondwettelijk Hof, Anvers, Maklu, 1990, p. 258.
(74) Voir J. De Meyer, La Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Heule, UGA, 1969, p. 101.
(75) Ce ne sont que les droits et libertés garantis dans le droit communautaire européen qui ne pourront pas être portés dans la sphère de compétences de la Cour d'arbitrage, puisque le contrôle par tout juge constitue en l'espèce une exigence de ce droit communautaire même. Voir ci-dessus, nº 19.
(76) J. Velaers, Van Arbitragehof tot grondwettelijk hof, p. 262, nº 335.
(77) Doc. Sénat, nº 2-891/1, p. 7.
(78) Une adaptation terminologique de l'article 26, § 3, nous paraît cependant s'imposer. Nous nous rallions à l'auteur de la question G.2. Il serait préférable de rédiger l'article 26, § 3, comme suit : « Sauf s'il existe un doute sérieux quant à la compatibilité d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution avec l'une des règles ou l'un des articles de la Constitution, visés à l'article 26, § 1er, ou si la Cour est saisie d'une demande ayant le même objet, une juridiction n'est pas tenue non plus de poser une question préjudicielle au cours des procédures suivantes : ... »
(79) Voir dès maintenant Conseil d'État, nº 79.390, 22 mars 1999, Geysels c. État belge (la décision attaquée tient son fondement légal d'une loi qui serait contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, pas de question préjudicielle, aucun doute sérieux; pas de suspension); Conseil d'État, nº 63.652, 18 décembre 1996, De Jonghe e.cons. c. Erasmus Hoge School Gand (aucune question préjudicielle, pas de suspension).
(80) Voir Conseil d'État, ASBL Protection et sauvegarde du quartier du sporting, nº 74.799, 30 juin 1998.
(81) Voir Conseil d'État, Van den Steen contre Région Flamande, nº 77.041, 19 novembre 1998.
(82) C'est ainsi que, dans un arrêt du 6 février 1992, le Conseil d'État a décidé qu'en attendant que la Cour d'arbitrage ait statué, une bonne administration de la justice requiert que l'exécution de la décision attaquée sois suspendue à titre conservatoire. La condition que le moyen doit être sérieux est d'ailleurs, dans ce cas, remplie (Conseil d'État, SA Aannemingsmaatschappij CFE contre Région flamande, nº 38.681, 6 février 1992). Dans un arrêt du 27 août 1993, le Conseil a posé une question préjudicielle, a suspendu la décision et a stipulé expressément dans son arrêt : Si la Cour d'arbitrage répond par la négative à la question préjudicielle, il est décidé que la suspension cessera de produire ses effets (Conseil d'État, Louvigny c. État belge, nº 43.874, 27 août 1993, voir dans le même sens Conseil d'État, Bello Mansoud contre Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, nº 47.581, 25 mai 1994).
(83) Voir avis, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 32-33.
(84) Le fait qu'une question préjudicielle ait été posée au sujet d'une loi, sur laquelle p. ex. la décision est fondée, peut constituer un indice que le moyen est sérieux.
(85) Conseil d'État, nº 35.485, 31 août 1990, Bosmans et co contre CPAS Schaerbeek. Voir également Conseil d'État, 2 décembre 1990, Bosman, nº 35.978; 21 janvier 1994, SA BIC Benelux, nº 45.710.
(86) Voir le chapitre II « De la procédure préliminaire » au titre V de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, Moniteur belge du 7 janvier 1989.
(87) Voyez entre autre Ph. Brouwers et H. Simonart, Le conflit entre la Constitution et le droit international conventionnel dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, Cah. dr. Eur., 1995, 7-29; J. Delva, « De impact van het Europees verdragsrecht op de rechtspraak van het Arbitragehof Een poging tot kritische doorlichting », T.B.P., 1995, 637-646; M. Melchior et L. De Grève, « Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l'homme : concurrence ou complémentarité », Revue universitaire des droits de l'homme, 1995, pp. 217-247; C. Naôme, « Les relations entre le droit international et le droit interne belge après l'arrêt de la Cour d'arbitrage du 16 octobre 1991 », Rev.dr.int.dr.comp., 1994, pp. 24-56; P. Popelier, « Ongrondwettige verdragen : de rechtspraak van het Arbitragehof geplaatst in een monistisch tijdsperspectief », R.W., 1994-95, 1076-1080; J. Velu, Toetsing van de grondwettigheid en toetsing van de verenigbaarheid met verdragen », Brussel, Moniteur belge, 1992, 186 pp., dont version abrégée dans R.W., 1992-93, pp. 481-516.
(88) C'est ce qui ressort d'ailleurs expressément de l'article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, Moniteur belge du 7 janvier 1989.
(89) Voir les articles 27 et 46 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, approuvée par la loi du 10 juin 1992, Moniteur belge du 25 décembre 1993. Aux termes de ces articles, une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité, à moins que cette violation n'ait été « manifeste » et ne concerne une règle de son droit interne d'importance fondamentale concernant la compétence pour conclure des traités. L'article 46, § 2, du traité donne à cet égard une définition très étroite de la notion de « violation manifeste »; il doit s'agir d'une violation qui « est objectivement évidente pour tout État se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi ».
(90) En outre, le Conseil d'État fait valoir dans son avis qu'après un arrêt répondant à une question préjudicielle, un nouveau délai serait ouvert pour l'introduction d'un recours en annulation, ce également en ce qui concerne une loi portant assentiment à un traité (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 28), Toutefois, à notre avis, cette « lecture littérale » de l'article 4, 2º, de la loi spéciale ne permet pas une interprétation correcte de la loi. Nous pensons qu'elle va à l'encontre de la volonté manifeste du législateur spécial de ne permettre le recours en annulation que dans les 60 jours de la publication de la loi. Voir J. Velaers, « Van Arbitragehof tot Grondwettelijk Hof », o.c., nº 369; R. Ergec, « La Cour d'arbitrage et l'assentiment aux traités internationaux », dans Mélanges offerts à Raymond Vander Elst, Bruxelles, Nemesis, 1986, I, 281.
(91) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 8.
(92) Voir J. Wouters, « Grondwet en Europese Unie », T.B.P., 1999/5, pp. 329-330.
(93) Cour d'arbitrage, nº 26/91, 16 octobre 1991, Commune Lanaken contre Vlaamse Gemeenschap.
(94) Voir dans le même sens l'article 54 de la Constitution française : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le président de la République, par le premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut interrvenir qu'après la révision de la Constitution. »
(95) Avis du Conseil d'État, chambres réunies, 25 avril 2000, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 29.
(96) Voir F. Delpérée, « Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux », Rev. b. dr. c., 1999, pp. 97-98 et J. Velaers, « De Grondwet en de Raad van State, afdeling Wetgeving, Anvers, Maklu, 1999, pp. 552-553.
(97) Voir par exemple L. Besselink, « De staatsrechtelijke regeling van aanvaarding en invoering van verdragen in Nederland », VVSRBN, WEJ Tjeenk Willink, Zwolle, 1996, pp. 16-17.
(98) Article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, Moniteur belge du 7 janvier 1989.
(99) Article 4, 2º, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
(100) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 10.
(101) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 9.
(102) Voir P. Popelier, « Toepassing van de wet in de tijd », dans APR, 1999, pp. 72 et suivantes.
(103) Cour d'arbitrage, nº 37/93, 19 mai 1993.
(104) Conseil d'État, Babylon, nº 47.474, 17 mai 1994.
(105) W. Ganshof van der Meersch, « Beschouwingen over de herziening van de Grondwet », R.W., 1972-73, k. 439-440.
(106) A. Mast et J. Dujardin, Overzicht van het Belgisch Grondwettelijk Recht, Gand, E. Story-Scientia, 1985, nº 430.
(107) Autres exemples d'une protection plus étendue par la Constitution : protection contre l'expropriation (article 16 de la Constitution), liberté de l'emploi des langues (article 30 de la Constitution).
(108) Voir par exemple Cour d'arbitrage nº 45/96, 12 juillet 1996; Cour d'arbitrage nº 102/99, 30 septembre 1999.
(109) Cf. projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 2 : « Cette réforme n'a donc nullement pour but qu'il soit touché, de quelque façon que ce soit, à la jurisprudence actuelle de la Cour. (...) Cette extension de compétence de la Cour au contrôle du respect des libertés et droits constitutionnels conduira à assurer une plus grande unité dans la détermination de leur portée. »
(110) Cour d'arbitrage nº 45/96, 12 juillet 1996.
(111) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.6.
(112) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.11.
(113) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.11.
(114) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.14.
(115) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.16.
(116) Cour d'arbitrage nº 45/96, considérant B.7.17.
(117) Cass. 27 mai 1971, Arr. Cass., 1971, 886.
(118) Ibidem, p. 919.
(119) Ibidem, p. 919.
(120) Concl. Ganshof van der Meersch à pr. Cass. 3 mai 1974, Arr. Cass., 1974 I, 911-914.
(121) Doc. Sénat, 1974-1975, nº 602/1.
(122) Marbury versus Madison, 1 Cranch 137, 177 (1803).
(123) La référence, quelque peu malhabile et formulée en des termes généraux, à la CEDH est inspirée, selon la note explicative du gouvernement, par le souci d'éviter « la retranscription littérale de l'ensemble des droits et garanties reconnus par la CEDH », de sorte qu'il est question d'une « valeur (autonome) de l'insertion d'un nouvel article dans la Constitution » (doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 4). Toutefois, plus loin, le texte cité énonce que le projet de loi « a pour conséquence de conditionner l'application de ce principe à l'obligation de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage sur la conformité ou non de la norme interne au droit international ou supranational » (ibidem, p. 5).
(124) En un certain sens, la situation est comparable à la discussion portant sur la délimitation des compétences dans le référé entre le pouvoir judiciaire ordinaire et les juridictions administratives, en fonction de l'objet direct et réel de la demande. Un même litige peut être traité en partant de perspectives différentes et, partant, être soumis à des juridictions différentes pour être tranché.
(125) C'est d'ailleurs cette solution qui fut adoptée par un nombre d'États d'Europe centrale afin d'incorporer dans l'ordre juridique interne la protection juridique contre le législateur, prévue par la CEDH.
(126) Cour droits de l'homme, arrêt Ruiz-Matéos du 23 juin 1993, Publ. Cour européenne D.H., série A, nº 262.
(127) En effet, pareille extension à tous les traités présuppose, soit l'incorporation de ces dispositions conventionnelles au titre II de la Constitution (qui n'est présentement possible que dans le cas de la CEDH), soit une modification (plus indiquée) de l'article 142 de la Constitution.
(128) Cf. article 6, 2, Traité UE : « L'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. »
(129) Cour de Justice, Arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, Jur. 1978, p. 629.
(130) Ibidem, considérant 21.
(131) Ibidem, considérant 24.
(132) Cour d'arbitrage nº 14/97, 18 mars 1997.
(133) Cour d'arbitrage nº 12/94, 3 février 1994, considérant B.4. Nous ne nous appesantirons pas ici sur les arguments pour et contre ce contrôle par la Cour d'arbitrage, compte tenu de la jurisprudence constante de la Cour. Sur cette discussion, voir e. a. J. Velu, « Contrôle de constitutionnalité et contrôle de compatibilité avec les traités », J.T. 1992, 729-741 et 749-761; H. Simonart, « Le conflit entre la Constitution et le droit international conventionnel dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage », CDE 1995, 7-28; P. Popelier, « Ongrondwettige verdragen : de rechtspraak van het Arbitragehof geplaatst in een monistisch tijdsperspectief », R.W. 1994-95, 1076-1080.
(134) Il conviendrait également d'exclure, par la voie d'une modification de la Constitution, la faculté pour le Roi d'entériner des traités avant l'expiration de ce délai.
(135) C'est ainsi que le président du tribunal de première instance peut statuer comme en référé sur le recours contre un ordre d'arrêter des travaux de construction au sens de l'article 68 de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme ou sur les demandes en cessation de publicité trompeuse en ce qui concerne les professions libérales (article 587, 2º et 3º, du Code judiciaire). Le président du tribunal de commerce statue sur les demandes en cessation visées aux articles 95 et 97 de la loi sur les pratiques du commerce et à l'article 109 de la loi relative au crédit à la consommation (article 589, 1º et 3º, du Code judiciaire). Le président du tribunal du travail statue sur les demandes relatives à l'existence d'un régime d'urgence lors du licenciement de travailleurs protégés (article 587bis du Code judiciaire).
(136) Cour de Justice, 19 novembre 1991, Francovich et autres, affaires jointes C-6/90 et C-9/90, Jur., 1991, I-5357.
(137) Il est fait abstraction du fait que la Cour d'arbitrage a déjà rendu deux arrêts à ce sujet, à savoir le 12 juillet 1995 sur une action en suspension (nº 62/95, Moniteur belge du 12 août 1995) et le 12 juillet 1996, sur deux recours en annulation (nº 45/96, Moniteur belge du 27 juillet 1996). Dans ce dernier arrêt, la Cour a confronté la loi contestée à l'article 19 de la Constitution, à l'article 10 de la CEDH et à l'article 19 du PIDCP, pour conclure in fine que ni les articles 10 et 11 de la Constitution tant en soi qu'en corrélation avec les dispositions conventionnelles susvisées, ni l'article 24 de la Constitution n'avaient été violés.
(138) JO, 18 décembre 2000, C-364/1.
(139) Cour européenne des droits de l'homme, 18 février 1999.
(140) Cour de Justice, 21 septembre 1989, Hoechst contre Commission, affaires jointes 46/87 et 227/88, Jur., 1989, p. 2859 (l'inviolabilité du domicile en vertu de l'article 8 de la CEDH ne vaut pas pour les locaux professionnels).
(141) Cour européenne des droits de l'homme, 16 décembre 1992, Niemietz contre Allemagne, Publ. Cour. eur., DH, série A, vol.-251 B, 23 (l'art. 8 de la CEDH s'applique également aux locaux professionnels). Voir Lenaerts, K. et Van Nuffel, P., « Europees recht in hoofdlijnen », Anvers, Maklu, 1995, p. 529; Leading Cases of the European Court of Human Rights, compiled, edited and annotated by Lawson, R.A. & Schermers, H.G., Nimègue, Ars Aequi, 1997, pp. 493 et suivantes.
(142) Cour d'arbitrage, 5 juillet 1990, nº 25/90, considérant 9.B.4., Moniteur belge du 6 octobre 1990; RW, 1990-1991, p. 291.
(143) CEDH, 20 novembre 1995, Pressos Compania Naviera SA, Publ. Cour eur. DH, série A, nº 332 et l'arrêt rendu en conséquence par la Cour de cassation : Cass., 15 mai 1998, RW, 1998-1999, p. 1041.
(144) Cour d'arbitrage, 12 juillet 1996, nº 45/96 (Moniteur belge du 27 juillet 1996).
(145) Cour d'arbitrage, nº 33/94, 26 avril 1994, Moniteur belge du 22 juin 1994.
(146) Vande Lanotte, J. et Goedertier, G., « Overzicht publiek recht », Bruges, Die Keure, 2001, nº 170.
(147) Doc. Sénat, nº 2-897/2, 2001-2002, p. 20.
(148) Doc. Sénat, 2001-2002, nº 2-897/1, pp. 28 en 29.
(149) Doc. Sénat, 2001-2002, nº 2-897/1, p. 5.
(150) Doc. Sénat, 2001-2002, nº 2-897/1, pp. 33-34.
(151) Cf. Jan Theunis et Arne Vandaele, « De (geplande) wijzigingen inzake de bevoegdheid en de werking van het Arbitragehof », nº 42, p. 299, dans « De vijfde Staatshervorming van 2001 », Verslagboek, Studiedag, vijfde Staatshervorming, Leuven, die keure, 2002.
(152) Ibidem, 20.
(153) Le constituant n'est même pas lié par les intentions de la préconstituante (voir A. Alen, « Handboek van het Belgisch Staatsrecht », Kluwer, 1995, nº 59).
(154) Voir Cour d'arbitrage, 9 janvier 1996, nº 4/96, Moniteur belge du 27 février 1996.
(155) Doc. Senat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 6, alinéa 2.
(156) Ibidem, 35.
(157) Ibidem, 26-30.
(158) Voir en particulier le récent arrêt Kress du 7 juin 2001 et sa référence à la jurisprudence antérieure des arrêts Borgers, Vermeulen, Van Orshoven, Reinhardt et Slimane.
(159) Doc. Sénat, nº 2-575/1, p. 2.
(160) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 2.
(161) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 3.
(162) Jura Falconis Jg. 38, nº 1, p. 10.
(163) Dans son intervention, le professeur Velaers relève à bon droit que les dispositions du titre II de la Constitution n'ont pas été soumises à révision. La constitutionnalisation de la CEDH par la voie d'une référence est dès lors la seule méthode possible pour réaliser l'objectif de la préconstituante.
(164) Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, 886.
(165) Pour une analyse critique de l'argumentation de la Cour de cassation, voir cependant Jamart, J.S., Observations sur l'argumentation : la primauté du droit international, RBDC, 1999, 109.
(166) M. Velaers décrit avec pertinence la situation actuelle de la manière suivante : (traduction) « Que doit faire un juge lorsqu'une contrariété entre une loi et l'interdiction de toute discrimination est soulevée ? L'interdiction de toute discrimination est consacrée par les articles 10 et 11 de la Constitution et il doit à cet égard poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage. Cependant, elle se trouve également à l'article 14 de la CEDH, à l'article 26 du PIDCP et dans les articles 12 et 141 du Traité CE. Peut-il alors y confronter lui-même une loi ? Quelles sont les relations entre le système de contrôle centralisé et le système diffus ? Dans la pratique, le juge accorde sa préférence, dans ce cas, à la question préjudicielle à poser à la Cour d'arbitrage. Cette attitude se justifie car en contrôlant tout d'abord lui-même la conformité de la norme au principe d'égalité, le juge couperait l'herbe sous le pied de la Cour d'arbitrage et irait ainsi à l'encontre de la volonté du législateur qui a estimé qu'il appartient à ladite Cour de contrôler la conformité des normes législatives au principe d'égalité »; voir dans le même sens Theunis, J. et Vandaele, A., « De (geplande) wijzigingen inzake bevoegdheid en werking van het Arbitragehof », à paraître dans Alen, A (éd.), « De vijfde staatshervorming van 2001 », Brugge, Die Keure, 2002, 12.
CJCE, 9 mars 1978, affaire 106/77, administration des Finances de l'État contre Simmenthal, Rec., 1978, 629.
(167) Voir en particulier le récent arrêt Kress du 7 juin 2001 et sa référence à la jurisprudence antérieure des arrêts Borgers, Vermeulen, Van Orshoven, Reinhardt et Slimane.
(168) Voir à cet égard notamment Theunis, J., et Vandaele, A., lc, 18 et suivantes.
(169) Pour un aperçu de la doctrine, voir l'avis de la section de législation du Conseil d'État; doc. Sénat, nº 897/1, 2000-2001, 27, note 4.
(170) L'article 32bis en projet ne vise que la Convention européenne des droits de l'homme et ses Protocoles additionnels. Il y a dès lors un risque de voir se multiplier des interprétations différentes sur les dispositions de la CEDH et sur d'autres types de dispositions internationales telles par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Notons également que la localisation de l'article 32bis au sein du Titre II de la Constitution intitulé « Des Belges et de leurs droits « pose question puisque les droits et libertés contenus dans la CEDH bénéficient à toute personne nationale, étrangère et apatride sans aucune exception, contrairement à l'article 191 de la Constitution.
(171) L'article 195 de la Constitution décrit la procédure de révision proprement dite tandis que l'article 196 dispose qu'aucune révision de la Constitution ne peut être engagée ni poursuivie en temps de guerre ou lorsque les chambres se trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire fédéral. Selon l'article 197, pendant une régence, aucun changement ne peut être apporté à la Constitution en ce qui concerne les pouvoirs constitutionnels du Roi et les articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 de la Constitution. L'article 198 a trait à la numérotation et à la subdivision des articles de la Constitution ainsi qu'à des modifications d'ordre terminologique.
(172) Mast, A., De recente grondwetsherziening en de door artikel 131 van de Grondwet opgelegde procedure, RW, 1972, nº 31, colonne 1478.
(173) Verhassel-Luykx, A., De rol van de preconstituante bij de grondwetsherziening, TBP, 1971, p. 232.
(174) Alen, A. et Meersschaut, F., De « impliciete » herziening van de Grondwet, dans Présence du droit public et des droits de l'homme. Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruylant, Bruxelles, 1992, pp. 261-262.
(175) Masquelin, J., Étapes et procédure de la récente révision de la Constitution, Annales de droit et de sciences politiques, 1972, pp. 104, 107 et 112.
(176) Van Der Hulst, M. et Vanderstichele, A., Is de herzieningsbevoegdheid van de Grondwetgever beperkt ?, TBP, 1991, p. 522. Voir aussi Alen, A., De voornaamste procedurele problemen van een grondwetsherziening, TBP, 1979, pp. 286-292.
(177) Alen, A., Handboek van het Belgisch Staatsrecht, Kluwer, 1995, p. 68-69.
(178) Voy. notamment H. Simonart et M. Verdussen, « La réforme de la Cour d'arbitrage et la protection des droits fondamentaux », Revue belge de droit constitutionnel 2000, p. 183-190.
(179) Doc. Sénat, nº 2-575/1, 2000-2001.
(180) Proposition du 21 mai 1980, doc. Sénat, session extraordinaire, 1979, nº 14.
(181) Projet de loi du 23 mai 1980, doc. Sénat, nº 435/1, 1979-1980.
(182) Doc. Chambre, nº 619-1, 1979-1980, pp. 5-7, spéc. p. 7.
(183) J.-V. Louis, Cour d'arbitrage, droit international et droit communautaire, J.T., 1980, p. 436; G. Schrans et M. Maresceau, « Het Europese recht vergeten bij de Staatshervorming? », R.W., 1980-1981, col. 281 et suivantes.
(184) Proposition du 11 juillet 1980, doc. Chambre, nº 9/1, session extraordinaire, 1979.
(185) Annales, Chambre, 7 juin 1983, p. 2503. Voyez l'intervention de M. Dehaene, ministre des Affaires sociales et des Réformes institutionnelles (Annales, Chambre, 2 juin 1983, p. 2461).
(186) Doc. Chambre, 1982-1983, 647, nº 6; Annales, Chambre, 2 juin 1983, pp. 2456-2458.
(187) Annales, Sénat, 14 juin 1988, p. 471.
(188) Annales, Sénat, 14 juin 1988, p. 472. Il s'agissait de trois séries de questions :
Le gouvernement et le Parlement entendaient-ils maintenir les options qu'ils avaient prises en juillet 1980 et en juin 1983 en matière de contrôle de la conformité des lois et des décrets aux traités internationaux ?
Si la Cour d'arbitrage devait opérer un contrôle de la conformité des lois et des décrets aux traités internationaux, de quel contrôle s'agirait-il ? La Cour pourrait-elle par exemple annuler des décrets qui seraient contraires par hypothèse à la Convention européenne des droits de l'homme ? Comment de telles annulations pourraient-elles être décidées sans que cette compétence fût mentionnée expressément dans l'article 107ter ?
La Cour d'arbitrage pourrait-elle par contre se voir confier un contentieux de la question préjudicielle qui porterait sur la conformité des lois et des décrets aux traités internationaux ? Autrement dit, y avait-il lieu de renoncer à prendre en considération les objections formulées antérieurement par le Conseil d'Etat dans son avis relatif au projet de loi ordinaire de réformes institutionnelles ?
(189) Annales, Sénat, 14 juin 1988, pp. 510-511.
(190) Doc. Sénat, nº 483-2, 1988-1989, pp. 20, 24, 44 et 59; doc. Chambre, nº 633/4, 1988-1989, p. 12; Annales, Chambre, 30 novembre 1988, pp. 423-424.
(191) Doc. Sénat, nº 483-2, 1988-1989, p. 44; voir aussi doc. Chambre, nº 633/4, 1988-1989, p. 19.
(192) Annales, Sénat, 30 novembre 1988, p. 417.
(193) Voyez notamment M. Verdussen, La Convention européenne des droits de l'homme et le juge constitutionnel in La mise en oeuvre interne de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles 1994, pp. 17-62.
(194) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 4.
(195) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 5.
(196) Doc. Sénat, nº 2-575/1, pp. 2-3.
(197) « Attendu, énonce l'arrêt Le Ski du 27 mai 1971, qu'il résulte des considérations qui précèdent que le juge avait le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui sont contraires à cette disposition du traité;
Attendu qu'ayant constaté qu'en l'espèce les normes du droit communautaire et les normes du droit interne étaient incompatibles, l'arrêt attaqué a pu décider, sans violer les dispositions légales indiquées dans les moyens, que les effets de la loi du 19 mars 1968 étaient'arrêtés dans la mesure où elle était en conflit avec une disposition directement applicable du droit international conventionnel » (Pas. 1971, I, p. 886).
(198) S'agissant des normes directement applicables de la Convention européenne des droits de l'homme, il convient de rappeler que l'article 53 de cette Convention interdit toute interprétation de celle-ci qui aurait pour effet de limiter les droits et libertés reconnus par le droit interne ou par un autre traité. Eu égard à cette disposition de la Convention, les juridictions nationales ne pourraient donner la primauté à la norme de la Convention au cas où la norme de droit interne assurerait au justiciable une protection juridiquement plus étendue. Tout se passe comme si la loi nationale cédait la primauté à la Convention qui a son tour reconnaissait la primauté à la loi nationale plus généreuse.
(199) Doc. Chambre, session extraordinaire 1979, nº 9/1 et les références citées supra aux notes au nº 7 en marge.
(200) Annales parlementaire, Sénat, session du 14 juin 1988, pp. 510-511, voir supra notes nºs 10 à 12.
(201) Annales parlementaires Sénat, session du 30 novembre 1988, pp. 413-414.
(202) Doc. Sénat, nº 483-2, 1988-1989, p. 8.
(203) Doc. Sénat, nº 483-2, 1988-1989, p. 44.
(204) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, pp. 4-5.
(205) On observera à cet égard que l'exposé des motifs du projet de loi spéciale, commentant l'article 26, § 1erbis, dont l'insertion est proposée par l'article 4, § 3, du projet, relève que la dispense de poser une question préjudicielle pour les actes législatifs d'assentiment aux « traités constituants de l'Union européenne et la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que ses Protocoles » s'explique non seulement en raison du caractère particulier de ces deux textes le premier jette les bases de l'Union européenne et le second, les bases des droits fondamentaux reconnus au niveau européen mais également en raison du contrôle judiciaire suparanational dont ils font l'objet (doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 8).
(206) Comp. avec l'arrêt Simmenthal rendu le 9 mars 1978 par la Cour de Justice des Communautés, Aff. 106/77, Rec. CJCE 1978, p. 644.
(207) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 5.
(208) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 23.
(209) Voir ci-dessus note (30).
(210) Arrêts Irlande c/Royaume Uni du 18 janvier 1978, série A, nº 25, p. 62, § 154, et Guzzardi du 6 novembre 1980, série A, nº 39, § 86.
(211) Arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A, nº 31, p. 25, § 58.
(212) Série A, nº 151.
(213) Cass. 10 mai 1989, RG 7423 (Pas. 1989, I, nº 514) et les conclusions de M. l'avocat général Piret.
« Attendu, énonce cet arrêt, qu'en approuvant par la loi du 13 mai 1955, la Convention, la Belgique a reconnu à la Cour européenne des droits de l'homme la mission d'interpréter ladite Convention;
Attendu que par arrêt du 30 mars 1989 en cause Lamy, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le recours à un tribunal, prévu par l'article 5, § 4, précité, suppose une procédure qui offre au conseil de l'inculpé détenu, la possibilité d'obtenir, en vue de la première comparution devant la chambre du conseil, communication des pièces relatives à la confirmation du mandat d'arrêt ... ».
(214) R. Badinter et M. Long, « Conseil constitutionnel et Conseil d'Etat : une seule Constitution » in Conseil constitutionnel et Conseil d'État, Paris 1988, pp. 29-31.
(215) Doc. Sénat, nº 2-575/1.
(216) Doc. Sénat, nº 2-575/1, 2000-2001, p. 2.
(217) Cependant, l'article 6 de la Convention relatif au droit à un procès équitable correspond partiellement aux articles 13, 144 à 149 et 151-152 de la Constitution.
(218) Cependant, l'article 2 du 4e Protocole à la Convention relatif à la liberté de circulation correspond partiellement à l'article 12 de la Constitution.
(219) Doc. Sénat, nº 2-575/1, 2000-2001, p. 2.
(220) L'article 5 de la Convention relatif au droit à la liberté et à la sûreté correspond partiellement à l'article 12 de la Constitution.
(221) L'article 7 de la Convention relatif à la légalité des délits et des peines correspond partiellement à l'article 14 de la Constitution.
(222) L'article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance correspond partiellement aux articles 15, 22, 22bis et 29 de la Constitution.
(223) L'article 9 de la Convention relatif au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion correspond partiellement aux articles 19 à 21 de la Constitution.
(224) L'article 10 de la Convention relatif au droit à la liberté d'expression correspond partiellement aux articles 19 et 25 de la Constitution.
(225) L'article 11 de la Convention relatif à la liberté de réunion et d'association correspond partiellement aux articles 26 et 27 de la Constitution.
(226) Les articles 14 de la Convention, 5 du Protocole nº 7 (non encore signé et ratifié par la Belgique) et 1er du Protocole nº 12 (non encore ratifié par la Belgique) relatifs à l'interdiction des discriminations correspondent aux articles 10 et 11 de la Constitution.
(227) L'article 1er du 1er Protocole à la Convention relatif à la protection de la propriété correspond partiellement aux articles 16 et 17 de la Constitution.
(228) L'article 2 du 1er Protocole à la Convention relatif au droit à l'instruction correspond partiellement à l'article 24 de la Constitution.
(229) L'article 3 du 1er Protocole à la Convention relatif au droit à des élections libres correspond partiellement aux articles 61, 62, 67 à 69, 115 à 117 de la Constitution.
(230) Doc. Sénat, nº 2-575/1, 2000-2001, p. 2.
(231) H. Simonart et M. Verdussen, et. cit., sp. p. 188.
(232) Cassation 23 juin 1993, RG P.93 0374.F (Pas. 1993, I, nº 303); 21 avril 1998, RG P.96 1470.N (ibidem 1998, I, nº 294); 20 décembre 2000, RG P.2000 1384.F (ibidem 2000, I, nº ...). À noter qu'au sens de l'article 780, alinéa 1, 2º, du Code judiciaire, le domicile d'une partie, personne morale, est le siège social de celle-ci (Cassation 29 mai 1995, RG C.94 0389.F, Pas. 1995, I, nº 258).
(233) Rev. Trim. Dr. h. 1993, p. 467 et les notes d'observation de P. Lambert et F. Rigaux; E. Jakhian et P. Lambert, observations sous cet arrêt JT, 1994, p. 65.
(234) L'article 53 de la Convention européenne des droits de l'homme est ainsi libellé : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette partie contractante est partie. »
(235) Doc. Sénat, nº 2-575/1, p. 2.
(236) Voir Conseil de l'Europe, Problèmes découlant de la coexistence des Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme et de la Convention européenne des droits de l'homme. Différences quant aux droits garantis, doc. H (70)7 Strasbourg 1970, p. 5.
(237) Il en est ainsi notamment des dispositions se rapportant
au traitement des personnes privées de leur liberté (article 10);
au droit de l'accusé d'être informé de son droit d'avoir l'assistance d'un défenseur (article 14, § 3, d, deuxième phrase);
au droit au respect de la vie privée en ce qui concerne l'interdiction d'atteintes à l'honneur et à la réputation (article 17, § 1er, in fine);
au droit à la recherche de l'information (article 19, § 2);
à l'interdiction de la propagande en faveur de la guerre et de l'appel à la haine nationale, raciale et religieuse (article 20);
aux droits des enfants (article 23, § 4, in fine et article 24);
au droit de prendre part à la direction des affaires publiques, pour autant que ce droit dépasse le droit à des élections libres (article 25).
(238) Il en est ainsi notamment des dispositions qui se rapportent
à l'interdiction du travail forcé ou obligatoire à l'égard de personnes détenues autrement qu'en vertu d'une décision judiciaire régulière [article 8, § 3, c), i)];
au droit de toutes les personnes d'être égales devant les cours et tribunaux (article 14, § 1er);
au droit d'un accusé de communiquer avec le conseil de son choix [article 14, paragraphe 3, b), in fine];
à la procédure applicable aux jeunes gens (article 14, § 4);
à l'exercice du droit de réunion pacifique par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État (article 21);
à l'exercice, par les membres de l'administration de l'État, du droit de s'associer librement (article 22);
à la reconnaissance du statut de et à la protection de la famille (article 23, § 1er);
à certains aspects de l'exercice du droit de se marier (article 23, §§ 2 et 3).
(239) Voir les §§ 2 des articles 8 à 11 de la Convention, l'article 2, §§ 3 et 4, du Protocole nº 4 et l'article 1er, § 3, du Protocole nº 7.
(240) Voy. notamment la Cour d'arbitrage dans son arrêt nº 45/96 du 12 juillet 1996. Dans cet arrêt, la Cour d'arbitrage avait à se prononcer sur la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l'approbation du génocide commis par le régime national-socialiste pendant la seconde guerre mondiale. Sur cet arrêt, cons. E. Brems « Revisonismewet verenigbaar met vrije meningsuiting », Tijdschr. voor vreemdelingenrecht, 1996, blz. 139-147; F. Ringeheim « Le négationnisme contre la loi », Rev. Trim. des dr. de l'homme, 1997, p. 111-133.
(241) H. Simonart et M. Verdussen, ét. cit., p. 189. Il y a lieu d'observer toutefois que la déclaration du 4 mai 1999 vise notamment la révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des hommes et des femmes à l'égalité, de l'article 10, alinéa 2, deuxième membre de phrase, de la Constitution, de l'article 25 de la Constitution en vue d'y ajouter un alinéa permettant d'élargir les garanties de la presse aux autres moyens d'information et de l'article 29 de la Constitution.
(242) Dans le sens de l'affirmative, voyez notamment les conclusions de M. l'avocat général Velu, avant Cassation 23 septembre 1973, (Pas. 1977, I, 88). Dans le sens de la négative, voyez notamment A. Mast, « La protection des droits de l'homme en droit constitutionnel belge », Rapports belges au IXe Congrès international de droit comparé, Bruxelles 1974, p. 342, note 4. Pour une solution nuancée, voyez notamment R. Ergec « L'état de nécessité en droit constitutionnel belge », in Le nouveau droit constitutionnel belge, Bruxelles-Louvain-la-Neuve, 1987, p. 168 et suivantes.
(243) Il n'est pas exclu qu'en signant ou en ratifiant dans l'avenir des protocoles à la Convention, plutôt que de déposer des réserves, l'État belge souhaite faire des déclarations dites « interprétatives » comme ce fut le cas lors de la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À elle seule, cette qualification unilatérale de l'État belge, n'a pas pour effet de soustraire de telles déclarations au régime juridique des réserves. La Cour européenne aurait en effet le pouvoir de rechercher si par cet intitulé purement formel, l'État belge n'aurait pas entendu en réalité déguiser une véritable réserve qui pourrait ne pas répondre aux exigences de l'article 57 de la Convention.
(244) Sur ce que dans l'état actuel de notre droit constitutionnel, la dénonciation d'un traité ne portant pas sur des matières communautaires ou régionales est une prérogative du Roi et qu'elle ne requiert pas l'assentiment des Chambres fédérales, la responsabilité politique du gouvernement permettant seule de sanctionner une dénonciation jugée inopportune, voyez notamment A. Alen, « Handboek van het Belgisch Staatsrecht », Deurne 1995, nº 764, p. 756, J. Salmon, Droit des gens, Bruxelles, 1984-1985, I, p. 112, J. Verhoeven, Terminaison des traités et assentiment des Chambres in Liber amicorum Frederic Dumon, Anvers, II, pp. 1317-1327.
(245) Doc. Sénat, nº 2-897/1, pp. 3 et 8.
(246) Voyez doc. Sénat, nº 246/1, 1981-1982, p. 6 et doc. Sénat, nº 246/2, 1981-1982, pp. 40, 52 et 105.
(247) Cour d'arbitrage, 16 octobre 1991, nº 26/91, rôle nº 192, J.T., 1992, p. 670.
(248) Sur ces controverses, voyez notamment les références citées dans l'avis du Conseil d'État du 25 avril 2000, doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 19, note 4.
(249) Doc. Senat, 2000-2001, nº 2-897/1, p. 8.
(250) Cass., 27 mai 1971 (Pas., 1971, I, 886) et les conclusions de M. le procureur général Ganshof van der Meersch.
(251) Voir notamment, Cass., 26 septembre 1978 (Pas., 1979, I, p. 126); 4 avril 1984, deux arrêts RG 2910 et 3263 (ibidem, 1984, I, nº 448) et les conclusions de M. l'avocat général Velu; 20 janvier 1989, RG 6128 (ibidem, 1989, I, nº 299); 10 mai 1989, RG 7423 (ibidem, 1989, I, nº 514) et les conclusions de M. l'avocat général Piret; 14 mars 1991, RG 8857 (ibidem, 1991, I, nº 368).
(252) Annales, Sénat, 14 juin 1988, p. 471.
(253) Voyez Cass., 12 février 1996, chambres réunies, RG, A.94 002.F, (Pas., 1996, I, nº 75) et la note signée J.V.
Dans l'affaire dite Inusop (affaire ASBL « Institut interuniversitaire de sondage d'opinion publique » en abrégé « Inusop » et SPRL « Bec Depaue » c/Coëme et consorts), qui a donné lieu notamment à cet arrêt, les conseils de l'ancien ministre Coëme demandaient notamment à la Cour de constater que les dispositions contenues dans les articles 90 et 134 anciens de la Constitution violaient les articles 7 de la Convention européenne et 15, § 1er, a), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L'arrêt commence par relever qu'avant la modification du 5 mai 1993, « la matière de la responsabilité pénale des ministres était régie par les articles 90 et 134 anciens de la Constitution », que « dans ce régime, un membre du gouvernement pouvait être poursuivi devant la Cour de cassation, d'une part, pour des infractions de droit commun, d'autre part, pour des faits relatifs à la fonction ministérielle qui ne constituent pas des infractions prévues par la loi pénale au moment où ils avaient été commis » et « qu'à défaut de loi d'exécution, la responsabilité pénale des ministres était organisée par ces articles qui attribuaient à la Cour un pouvoir discrétionnaire pour les juger en caractérisant le délit et en déterminant la peine, le fondement de la responsabilité ministérielle pouvant être un fait relatif à la fonction qui ne constituait pas une infraction prévue par la loi pénale au moment où il avait été commis ou une infraction prévue par la dite loi ».
L'arrêt examine ensuite en ces termes la compatibilité entre les règles énoncées par les articles 90 et 134 anciens de la Constitution et les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :
« que pareille coexistence d'une responsabilité pénale spécifique avec une responsabilité pénale de droit commun n'était incompatible avec les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que si, et dans la mesure où, l'article 134 ancien de la Constitution permettait à la Cour de juger et de condamner un ministre pour une action ou une omission qui ne constituait pas une infraction réprimée par le droit national ou international au moment où elle avait été commise, le conflit étant exclu dans le cas où le ministre était poursuivi et condamné sur la base de la responsabilité pénale de droit commun. »
L'arrêt en conclut qu'était sans pertinence en l'espèce, l'allégation d'une antinomie existant avant la modification du 5 mai 1993 entre la Constitution et les traités.
(254) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 8
(255) Doc. Sénat, précité, p. 9
(256) Doc. Sénat, nº 2-897/1, pp. 9 et 28-29. Avis L 26 945/2 du 11 mars 1998 rendu au sujet d'un avant-projet de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage qui visait à limiter la recevabilité de questions préjudicielles portant sur des actes législatifs donnant assentiment à un traité international à un délai de soixante jours suivant la publication de l'acte législatif, et avis du 25 avril 2000 sur l'avant-projet de loi spéciale ayant précédé le présent projet (doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 29).
(257) Voir supra nº 37 et la note 69.
(258) Voir supra nºs 39-40.
(259) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 29-30.
(260) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 9.
(261) Voir supra, nr. 45.
(262) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 9.
(263) M. Melchior et L. De Greve, Protection constitutionnelle et protection internationale des droits de l'homme. Rapport belge, IXe Conférence des Cours constitutionnelles européennes Paris 1993, vol. I, p. 145-232, spéc. p. 169, nº 34.
(264) Voyez notamment C. Horevoets, Les questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage dans le projet de réforme de la loi spéciale du 6 janvier 1989, Revue belge de droit constitutionnel 2000, p. 199-201.
(265) Afin de répondre à des impératifs de prévention, de rapidité et d'efficacité, plusieurs lois ont, ces dernières années, dans diverses matières exigeant de promptes décisions, rendu le président du tribunal de première instance ou du tribunal de commerce compétents pour statuer conformément aux règles de la procédure en matière de référés. Parmi les lois organisant des procédures dites « comme en référé », on peut citer notamment les lois du 2 mars 1989 et du 4 décembre 1990 en matière d'offres publiques d'acquisition, d'opérations et de marchés financiers, du 12 juin 1991 en matière de crédit à la consommation, du 14 juillet 1991 en matière de pratiques du commerce et de protection du consommateur, du 21 octobre 1992 en matière de publicité trompeuse en ce qui concerne les professions libérales, du 8 décembre 1992 en matière de protection de la vie privée, du 12 janvier 1993 en matière de protection de l'environnement, du 16 février 1994 régissant le contrat d'organisation de voyages et le contrat d'intermédiaire de voyages, du 30 juin 1994 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins, du 3 avril 1997 relative aux clauses abusives dans les contrats conclus avec leurs clients par les titulaires de professions libérales, du 10 août 1998 transposant en droit judiciaire belge la directive européenne du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, du 11 avril 1999 relative aux contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation d'immeubles à temps partagé, du 11 avril 1999 relative à l'action en cessation des infractions à la loi du 9 mars 1993 tendant à réglementer et à contrôler les activités des entreprises de courtage matrimonial. Ainsi, l'article 587 du Code judiciaire confie aux présidents des tribunaux de première instance les actions « comme en référé » relatives à la publicité trompeuse en ce qui concerne les professions libérales (3º), à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel (4º), à la protection de l'environnement (5º), aux clauses abusives dans les contrats conclus avec leurs clients par les titulaires de professions libérales (6º) aux droits d'auteur et aux droits voisins (7º) à la protection juridique des bases de données (8º). Suivant l'article 589 du même code, les présidents des tribunaux de commerce connaissent des actions comme en référé relatives aux pratiques du commerce, à l'information et à la protection du consommateur (1º), aux opérations financières et aux marchés financiers (2º), au crédit à la consommation (3º) aux contrats d'organisation de voyages et aux contrats d'intermédiaire de voyages (4º) aux contrats portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation d'immeubles à temps partagé (5º) aux activités des entreprises de courtage matrimonial.
(266) G. Closset-Marchal « Éléments communs aux procédures « comme en référé » in Le développement des procédures « comme en référé », J. van Compernolle et M. Storme (éd) Bruxelles 1994, p. 17-36, spéc. p. 22 et 32.
(267) J. van Compernolle, « La rançon d'un succès : le développement des procédures « comme en référé », Conclusions générales » in Le développement des procédures « comme en référé », op. cit., p. 207-220, spéc. p. 214.
(268) Voir infra nº 58.
(269) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 33; voir infra nº 58.
(270) Doc. Sénat, nº 2-897/1, p. 33.
(271) L'avis du Conseil d'État se réfère aux arrêts de la Cour de Justice du 21 février 1991, Zuckerfabrik (Jur., I-542, § 23) et du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft (Jur., I-3791, § 35).
(272) L'avis du Conseil d'État se réfère aux arrêts de la Cour de Justice Zuckerfabrik (Jur., I-542, § 24 et I-544, § 33) et Atlanta Fruchthandelsgesellschaft (Jur., I-3795, § 51)
(273) Arrêt Zuckerfabrik (Jur., I-544, § 33); arrêt Atlanta Fruchthandelsgesellschaft (Jur., I-3791, § 35 et I-3795, § 51).
(274) Arrêt Zuckerfabrik (Jur., I-542, § 24).
(275) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 7.
(276) Voyez notamment C. De Valkeneer et A. Winants Les régimes particuliers de détention in La détention préventive, B. Dejemeppe (éd.) Bruxelles 1992; M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure pénale, Liège 1989, pp. 484-491.
(277) Doc. Sénat, nº 2-897/1, 2000-2001, p. 31 et les références citées à la note 2.
(278) Voyez notamment H. Simonart La question préjudicielle en droit interne et en droit communautaire in Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel, Bruxelles-Paris 1991, pp. 66-72, spéc. p. 70.
(279) Voyez notamment M. Leroy Sens et non sens dans le règlement des conflits, JT, 1989, p. 557; A. Rasson-Roland La question préjudicielle in Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel, Bruxelles-Paris 1991, pp. 37-53, spéc. p. 43.
(280) Voir notamment P. Lemmens, Le respect des garanties fondamentales de procédure in Le recours des particuliers devant le juge constitutionnel, Bruxelles-Paris 1991, p. 62; L.P. Suetens et R. Leysen, « Staat, Gewesten en Gemeenschappen. De technieken van bevoegdheidsverdeling. De rol van het Arbitragehof » in R. Blanpain (éd), « Staat, Gewesten en Gemeenschappen », Bruges 1989, blz. 67; L.P. Suetens « Gelijkheid en non discriminatie in de rechtspraak van het Arbitragehof », in A. Alen et P. Lemmens (éd.), Égalité et non discrimination, Anvers 1991, pp. 95-115, spéc. p. 115 et note.