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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 25 AVRIL 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Philippe Mahoux au ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes, sur «la recherche en matière de dépistage du cancer du sein et les intentions d'une firme américaine» (nº 2-947)

M. Philippe Mahoux (PS). - Le cancer du sein reste une des causes majeures de mortalité féminine. À cet égard, il fait l'objet, dans notre pays, d'une importante campagne de prévention et de dépistage.

Cinq à dix pour-cent des cancers du sein et de l'ovaire relèvent en fait d'une prédisposition familiale. Pour les femmes concernées, les tests de diagnostic sont essentiels d'un point de vue préventif.

Actuellement, une société américaine tente d'obtenir un brevet européen qui couvre toutes les méthodes diagnostiques ainsi que la recherche effectuée sur certains gènes de prédisposition aux cancers en question.

Pour les patients et la sécurité sociale, l'attribution de tels brevets représente un surcoût important. Il établit en fait une forme de privatisation du génome. Il me paraît évident que les nombreuses possibilités qu'offre la recherche effectuée sur les gènes ne peuvent appartenir à un secteur de l'industrie marchande. Au contraire, le génome, reste et doit rester le patrimoine de l'humanité.

Les pratiques de cette société américaine et, de manière plus générale, cette conception d'instrumentalisation de la personne humaine et de marchandisation du patrimoine génétique sont intolérables.

Quelles sont les mesures que le gouvernement a prises contre cette tentative de spoliation de l'ensemble de l'humanité par cette firme ?

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique, chargé de la Politique des grandes villes. - L'an dernier, l'Office européen des brevets a attribué trois brevets sur le gène de prédisposition au cancer du sein BRCA1à une entreprise américaine, Myriad Genetics. Une quatrième demande de brevet portant sur la prédisposition au cancer BRCA2 est encore à l'étude à l'Office européen des brevets, sur la base des informations que nous venons de recevoir. Ces brevets impliquent que désormais, les recherches relatives au cancer portant sur des causes héréditaires ne pourront plus être menées qu'aux États-Unis. C'est là le coeur du problème.

Je vous cite ici les arguments que m'ont donnés les techniciens et les scientifiques. Je ne prendrai donc pas un air inspiré pour vous dire des choses dont je ne maîtrise pas toute la technicité, mais il faut savoir que ces brevets établissent le lien entre les mutations des gènes et la prédisposition familiale au cancer du sein et de l'ovaire. Une prédisposition familiale est à l'origine de seulement 5% des cancers du sein et de l'ovaire.

Cependant, dans le cas des femmes présentant une prédisposition familiale, le risque cumulé de cancer du sein s'élève à environ 70% pour les femmes dont le gène BRCA1 a subi une mutation et à environ 85% pour les femmes dont le gène BRCA2 a subi une mutation. Pour ce groupe de femmes, les tests sont essentiels d'un point de vue préventif.

En Belgique, les tests sont effectués par les centres de génétique humaine, qui réalisent chaque année quelque 500 tests.

De manière générale, l'État belge, comme la majorité des pays européens, a adopté une attitude dont il ressort que nous ne pouvons supporter un monopole sur le matériel transgénétique, et ce pour différentes raisons. Il y a d'abord les raisons éthiques, que je ne dois pas vous développer, car il s'agit d'une entreprise privée qui s'arroge un droit de propriété sur une partie du corps humain, en l'occurrence le génome. Il s'agirait d'un précédent.

Il y a ensuite les raisons économiques et j'attire votre attention sur cet aspect. Aujourd'hui, les tests menés en Belgique sont relativement peu coûteux. Ces brevets obligeraient évidemment les utilisateurs de méthodes de dépistage à passer par la société américaine, ce qui crée la situation de monopole dont je parlais.

Les surcoûts pour le budget de l'État sont évalués à environ 300.000 euros par an. En Belgique, les patients ne paient actuellement qu'une quote-part de 9 euros et l'INAMI prend en charge les 283 euros restants. Si les brevets sont maintenus, les centres belges ne pourront plus effectuer les tests eux-mêmes. Ils devront envoyer les échantillons aux États-Unis pour y être analysés et cela devrait entraîner des conséquences financières qu'on ne peut sous-estimer puisque le prix d'un test réalisé par Myriad Genetics s'élève à 2.990 euros. Un problème budgétaire va donc se poser.

Enfin, il existe des objections juridiques. Le dépôt de ces brevets est contraire à la convention relative aux brevets européens qui interdit la « brevetabilité » des méthodes chirurgicales thérapeutiques et des méthodes diagnostiques.

C'est pourquoi, avec mes collègues de la Santé publique et des Affaires sociales, nous avons décidé d'introduire au mois de février un dossier en opposition contre le deuxième brevet, et ce, conjointement avec les centres de génétique belges qui ont d'ailleurs introduit une action de leur côté contre les autres brevets.

D'autres États européens ont fait de même. Je signale d'ailleurs que le Parlement européen invite les États à s'opposer à ce genre de brevet, ce qui est rassurant. Cette procédure qui, en Europe, suspend l'exploitation des brevets litigieux en question est actuellement en cours et ne devrait pas aboutir avant un certain temps. Nous restons attentifs à ce problème et à l'évolution de cette procédure. En tout cas, je mettrai tout en oeuvre pour éviter l'exploitation commerciale de ce qui peut être considéré comme un patrimoine accessible à tous.

M. Philippe Mahoux (PS). - Je remercie le ministre du caractère très complet de sa réponse. L'attitude de l'administration américaine est très critiquable. En effet, elle attribue sur son territoire le monopole à une firme. On peut s'interroger sur le plan éthique. Sur le plan européen, nous ne pouvons clairement pas accepter ce type de pratique, pour des raisons éthiques d'abord et en raison des conséquences budgétaires d'une pratique de cette nature ensuite.

Je voudrais profiter de cette occasion pour vous demander de continuer à être attentif aux procédures en cours au sein de l'Office européen des brevets. Nous avons déjà eu l'occasion de discuter des conséquences d'une directive européenne, qui n'avait pas encore trouvé d'application en droit belge, sur des décisions de l'Office européen des brevets qui anticipaient l'attribution de brevets alors que les directives n'avaient pas encore trouvé d'application en droit national. Je sais que des procédures ont été introduites, d'ailleurs pour des motifs divers, par certains États européens. Il faut à la fois être ferme sur les principes, être attentif, comme vous l'êtes, aux procédures et avoir des informations sur la transparence totale des dossiers qu'a à connaître l'Office européen des brevets.