2-876/6

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2001-2002

23 JANVIER 2002


Projet de loi relatif à l'anonymat des témoins


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME LEDUC


PROCÉDURE

Le présent projet de loi facultativement bicaméral a été transmis par la Chambre des représentants le 20 juillet 2001.

Il a été évoqué le 10 octobre 2001 par 47 sénateurs.

La commission de la Justice l'a examiné au cours de ses réunions des 7, 21 et 28 novembre 2001, 12 décembre 2001 et 23 janvier 2002, en présence du ministre de la Justice.

En vertu de la décision de prolongation prise par la commission parlementaire de concertation le 19 décembre 2001, le délai d'examen expire le 12 février 2002.

I. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le ministre explique que le projet de loi en discussion, relatif à l'anonymat des témoins, fait suite aux recommandations d'un certain nombre de commissions d'enquête parlementaires. Il peut être considéré comme une mesure particulière dans la lutte contre la criminalité organisée. L'accord Octopus avait, lui aussi, mis l'accent sur la nécessité d'une telle mesure.

Pour préparer ce texte, une étude de droit comparatif a été effectuée par l'Université de Gand et l'Université libre de Bruxelles. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a été, elle aussi, largement consultée.

Le projet prévoit une protection procédurale du témoin en tenant secrètes certaines données de son identité, voire son identité complète.

A. Anonymat partiel

­ Le juge d'instruction ou le juge du fond peut décider que certaines (une ou plusieurs) données de l'identité d'un témoin (âge, nom, profession, adresse) dont la mention est prescrite par la loi, seront omises.

­ Conditions : il doit exister une présomption raisonnable que le témoin, ou une personne de son entourage, pourrait subir un préjudice grave à la suite de la divulgation de ces données et de sa disposition.

­ Le juge prend cette décision d'office, sur réquisition du ministère public ou à la demande du témoin, de l'inculpé ou de son conseil. La décision doit être motivée.

­ Le projet prévoit que les personnes qui, dans l'exercice de leurs activités professionnelles, sont chargées de la constatation et de l'instruction d'une infraction ou qui, à l'occasion de l'application de la loi, prennent connaissance des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise et qui témoignent en cette qualité, ne doivent pas mentionner leur demeure, mais bien leur adresse de service.

B. Anonymat complet

­ Conditions : l'anonymat partiel ne suffit pas et le témoin ou une personne de son entourage doit se sentir gravement menacé dans son intégrité en raison du témoignage encore à faire (= critère subjectif) et le témoin doit, pour cette raison, décider de ne pas déposer. Si celui-ci est un agent de l'autorité, il doit y avoir des indications précises et sérieuses que le témoin ou une personne de son entourage court un danger (= critère objectif). En outre, les faits visés par le témoignage doivent être une infraction figurant sur la liste de l'article 90ter, §§ 2 à 4, du Code d'instruction criminelle (= infractions qui peuvent faire l'objet d'« écoutes »), une infraction commise dans le cadre d'une organisation criminelle ou une infraction à la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire.

­ Il doit en outre s'agir de circonstances exceptionnelles et l'instruction des faits doit le requérir, c'est-à-dire qu'il faut que les autres moyens d'instruction ne suffisent pas (= principe de subsidiarité).

­ C'est le juge d'instruction qui procède à l'audition dans l'anonymat complet, même si celui-ci est ordonné par le juge du fond. Le juge d'instruction connaît l'identité complète du témoin, examine la crédibilité de ce dernier et vérifie si les motifs invoqués pour obtenir l'anonymat complet sont exacts. Il motive sa décision d'autoriser l'anonymat.

­ Le projet de loi détermine ensuite comment l'audition (anonyme) se déroule.

Le témoignage entièrement anonyme ne peut servir que de preuve d'appoint, à moins que la décision judiciaire n'indique les raisons, propres à la cause, qui justifient la preuve par différents témoignages anonymes.

Le ministre souhaite une discussion rapide, mais approfondie, du projet. Certaines choses doivent encore être approfondies. Le ministre vise par exemple le cas où il est question de plusieurs témoins anonymes. Dans le cadre du trafic des êtres humains, il est fréquent que plusieurs femmes soient victimes d'abus sexuels et qu'elles souhaitent faire un témoignage anonyme. La question se pose alors de savoir si ces différents témoignages anonymes peuvent être considérés comme une preuve concluante.

II. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Lozie estime qu'en principe, il appartient au juge du fond de décider s'il y a ou non suffisamment de preuves de l'infraction. Le législateur doit donc laisser au juge du fond le maximum de latitude pour qu'il puisse faire ces considérations. Est-il utile que le législateur constate que différents témoins anonymes peuvent ou non fournir des moyens de preuve suffisants ? La décision n'appartient-elle pas au juge ? Qu'en disent les experts ?

Le ministre répond que cette discussion devrait être menée. Le problème se pose surtout pour l'anonymat complet. Il renvoie à l'exposé des motifs, qui contient une analyse approfondie de tous les arrêts rendus à ce sujet par la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci estime que le témoignage complètement anonyme est admis, à la condition qu'il y ait d'autres moyens de preuve. Cela devrait être inscrit dans la loi. Le projet de loi en discussion ne prive pas le juge du fond de la liberté d'apprécier les preuves apportées. La loi dit uniquement qu'une condamnation ne peut se baser sur un seul témoignage anonyme. Le législateur doit pouvoir préciser cela.

Mme Nyssens se réfère, elle aussi, à la jurisprudence de la Cour européenne, qui a fixé les limites dans lesquelles le témoignage anonyme peut être admis comme preuve. Il faut inclure des garanties. La disposition la plus critiquable est incontestablement celle qui permettrait au juge de baser sa condamnation sur différents témoignages anonymes (voir l'amendement de M. Erdman à la Chambre concernant l'article 189bis proposé ­ article 14 du projet).

Le ministre est conscient que la disposition susvisée prête le flanc à la discussion. L'auteur de l'amendement à la Chambre, M. Erdman, est lui-même ouvert à l'idée d'amender la disposition qu'il a proposée.

Mme Nyssens s'étonne qu'aucun débat ne soit prévu sur la décision de faire appel à un témoin anonyme. Le texte semble inspiré par le droit néerlandais.

Le ministre souligne que l'adoption du principe de l'ouverture d'un débat sur l'anonymat (complet ou partiel) permettrait de retrouver facilement l'identité du témoin qui demande l'anonymat. On contournerait ainsi en quelque sorte la possibilité d'anonymat. L'identité du témoin anonyme n'est connue que du juge d'instruction. Celui-ci peut parfaitement se faire une opinion sur la crédibilité de la personne qui demande l'anonymat.

Mme Nyssens demande ensuite si l'anonymat n'est autorisé que dans la phase de l'instruction. Ou est-il possible également au stade de l'information ?

Le ministre répond que le projet initial autorisait l'anonymat tant durant l'instruction proprement dite qu'au cours de l'information. Durant les débats à la Chambre, cette disposition a été amendée et le témoignage anonyme limité à l'instruction. On peut le regretter quelque peu. Le ministre trouve que cette possibilité doit exister également au stade de la mini-instruction.

Mme Nyssens observe que les décisions du juge d'instruction en la matière ne sont pas susceptibles d'appel. Quelle en est la raison ?

Le ministre estime qu'une possibilité d'appel serait mise à profit par les avocats dans le seul but de découvrir l'identité du témoin anonyme. En outre, il ne s'agit que d'une preuve, dont la valeur sera évaluée par le juge du fond.

Mme Nyssens comprend que le ministre envisage le témoignage anonyme comme une possibilité subsidiaire de preuve. Cela ne doit pas devenir la règle.

L'intervenante s'enquiert de l'état d'avancement des autres projets de loi en rapport avec le projet en discussion (les repentis, la protection des témoins menacés, etc.).

Le ministre passe en revue ces projets connexes. Il y a le projet réglant la protection des témoins menacés, ainsi que le projet relatif au témoignage audiovisuel. Ils sont en cours d'examen à la Chambre.

Un autre projet concerne la saisie conservatoire du butin et le partage de la preuve dans le crime organisé.

Ce projet est actuellement soumis pour avis au Conseil d'État.

Il y a également les collaborateurs de la Justice.

À ce propos, on a demandé l'avis du Conseil des procureurs du Roi.

Le dernier moyen concerne les techniques spéciales (les informateurs, pseudo-achats, etc.). Sur ce point, le travail intercabinets est quasi terminé. Il reste encore quelques problèmes techniques, à connotation politique (par exemple : faut-il l'intervention du juge d'instruction ou du ministère public pour enclencher le mécanisme ?).

L'intention initiale du ministre était d'examiner globalement tous ces instruments comme un seul tout. Mais dans ce cas, le risque de blocage était grand. On a donc opté pour un examen par tranches, une option qui avait d'ailleurs déjà été retenue au cours de la précédente législature.

Mme de T' Serclaes estime que dans certains cas, la possibilité d'admettre les témoignages anonymes représente un important pas en avant. Elle pense plus particulièrement à la problématique du trafic des êtres humains, dans lequel il ne faut pas sous-estimer les pressions et les violences envers les intéressés (et y compris envers les magistrats). Le témoignage anonyme peut donc contribuer de manière non négligeable au démantèlement des organisations criminelles dans des secteurs bien déterminés où règne la violence. Il va de soi que les garanties nécessaires doivent être prévues.

M. Mahoux évoque les débats circonstanciés à la Chambre, qui sont bien rendus dans le rapport. Il a toutefois quelques remarques à formuler concernant les conditions énumérées par la Cour européenne. Il s'interroge, entre autres, sur la quatrième condition, qui prévoit de « faire respecter les droits de la défense au caractère contradictoire ». Comment peut-on y parvenir, comment peut-on entendre le témoin anonyme sans renoncer à l'anonymat ?

Une deuxième question concerne la décision du juge d'instruction, qui est définitive. Cela signifie-t-il que le juge d'instruction ne peut plus revenir sur cette décision ? Il faut préciser les choses.

Que se passera-t-il si, à un moment donné, l'anonymat n'est plus garanti (à cause de fuites dans la procédure, de négligences, etc.) ?

Enfin, l'intervenant tient à souligner l'importance de la nécessité de produire un autre moyen de preuve que le témoignage anonyme pour qu'une condamnation soit prononcée. L'intervenant renvoie à l'amendement nº 1 de Mme Leduc et consorts à l'article 14. Celui-ci résulte d'ailleurs d'un accord politique entre la Chambre et le Sénat.

Concernant la question relative aux conséquences de la rupture éventuelle de l'anonymat, le ministre renvoie au projet de loi réglant la protection des témoins menacés, qui sera bientôt examiné et donne la réponse appropriée.

La décision du juge d'instruction est effectivement définitive. Lui seul, en effet, connaît l'identité du témoin. Il appartient ensuite au juge du fond d'apprécier la valeur de ce moyen de preuve. Il est libre de tenir compte ou non du témoignage. En outre, le témoignage anonyme ne suffit pas s'il constitue la seule preuve. Le ministre se réfère une fois encore au cas spécifique du trafic des êtres humains. La loi sur le trafic des êtres humains prévoit déjà elle-même une protection du témoin, à la condition qu'elle apporte une contribution à la procédure. Le cas de différents témoins anonymes se rencontrera souvent dans ce secteur. Le mieux serait quand même d'insérer dans la loi en projet une disposition claire à ce sujet.

Les droits de la défense doivent être garantis. Le conseil de celle-ci peut parfaitement semer le doute quant à la véracité du témoignage anonyme pour influencer le juge dans son opinion. Il ne peut toutefois pas connaître l'identité du témoin.

Mme Nyssens demande si un mineur peut être témoin anonyme.

Le ministre répond par l'affirmative. Des garanties supplémentaires seront toutefois inscrites dans le projet relatif au témoignage audiovisuel.

M. Mahoux expose que si les témoignages anonymes peuvent constituer un apport à la vérité, il est très important qu'ils ne puissent constituer, de manière exclusive, une preuve.

L'intervenant ajoute que cette position est traduite dans l'amendement visant à spécifier que le témoignage anonyme doit être corroboré par d'autres moyens de preuve (doc. Sénat, nº 2-876/2, amendement nº 1 de Mme Leduc et consorts).

M. Lozie soutient cet amendement.

L'intervenant estime d'ores et déjà utile de préciser qu'il le trouve être une bonne solution pour le projet de loi mais qu'il aurait préféré toutefois que le législateur ne s'exprime pas sur une prérogative du juge de fond, dès lors que ce sera le juge de fond qui décidera en fin de compte s'il y a suffisamment de preuves matérielles.

L'orateur déclare que si le législateur estime qu'il est indispensable que l'anonymat des témoins soit parfois garanti en raison des risques que pourrait encourir le témoin en question, on pourrait toutefois craindre que les juges ne tiennent pas trop compte de cette nouveauté dans la procédure, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit partisan du fait qu'un témoignage anonyme ait la même valeur qu'une autre preuve telle que par exemple un élément de preuve matérielle.

L'intervenant est donc d'avis que, si en principe c'est au juge de décider de la place à accorder au témoignage anonyme, il est néanmoins plus prudent de soutenir l'amendement qui offre une bonne solution intermédiaire.

Le ministre répond que le texte initial déposé à la Chambre prévoyait que le témoignage anonyme ne pouvait être pris en considération par le juge qu'à titre de preuve corroborante, ce qui était formulé dans le texte dans les termes suivants : « pour autant qu'ils soient corroborés dans une mesure importante par d'autres moyens de preuve. »

L'intervenant ajoute qu'il est évident que concernant la preuve en matière pénale, le ministère public doit pouvoir alimenter la conviction intime du juge du fond, et qu'il n'y a pas lieu de se préoccuper de la manière dont se forge cette conviction intime.

Le ministre reconnaît que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il est utile d'inscrire dans une loi que, lorsque le juge du fond est confronté à un témoignage anonyme, il ne peut se fonder uniquement sur celui-ci pour se forger son intime conviction.

L'orateur déclare que le texte tel qu'il est présenté aujourd'hui au Sénat a pour origine un amendement adopté à la Chambre, déposé à la suite d'un exemple relatif à la traite des êtres humains, d'où il ressortait avec évidence que les victimes de la traite des êtres humains ne seraient pas tentées de témoigner en révélant leur identité, alors que d'autres éléments de preuve ne seraient peut-être pas à disposition.

Le texte tel qu'il a été adopté à la Chambre permet par exemple au juge de fonder son intime conviction sur trois témoignages anonymes pour autant qu'il puisse justifier pourquoi ces trois témoignages ont forgé son intime conviction et pourquoi cela suffit.

L'orateur conclut qu'il a exposé la ratio du texte mais que, dans le cadre de la discussion générale, il ne peut que rappeler la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui dit qu'un témoignage anonyme ne peut valoir que comme preuve corroborante.

Mme Nyssens constate qu'il n'y a pas de parallélisme complet entre le témoignage anonyme partiel et le témoignage anonyme complet et ce, tant du point de vue des garanties juridiques que de la terminologie. Le Conseil d'État avait également soulevé ce manque de parallélisme.

L'oratrice se demande quelle en est la raison et se demande également pourquoi l'anonymat se limite à l'instruction.

L'intervenante constate que le projet confère par ailleurs un large pouvoir d'appréciation au juge quant à l'appréciation de la fiabilité du témoignage, et pose la question de savoir s'il n'y a tout de même pas moyen de cerner ou de limiter ce pouvoir d'appréciation, en fixant des critères pour l'exercice de celui-ci.

L'oratrice constate aussi que ces témoignages seront classés ou consignés dans un registre puisque le projet prévoit que le procureur du Roi tient un registre de tous les témoins dont les données d'identité ne figurent pas dans le procès-verbal d'audition.

L'intervenante s'interroge donc, à l'instar des praticiens, sur les modalités de ce registre et sur la question de savoir si les modalités seront laissées à l'improvisation des magistrats ou si, au contraire, elles requièrent des arrêtés royaux d'application.

L'intervenante constate également l'absence de recours quand le juge fait droit à une demande de témoignage anonyme et estime que c'est une bonne chose.

Elle fait néanmoins observer que, en ce qui concerne la réforme de la procédure pénale (« le petit Franchimont »), on a prévu une possibilité de recours dans le cadre des devoirs complémentaires demandés au magistrat.

L'oratrice interroge dès lors le ministre sur la question de savoir s'il y a d'autres raisons justifiant ce non-recours que celle de ne pas retarder le cours de la justice.

L'intervenante constate encore que, dans le projet, le témoin anonyme peut être interrogé, soit par le juge d'instruction, soit par le tribunal, et se demande dès lors si le tribunal peut interroger un témoin anonyme lorsque le juge d'instruction l'a refusé au préalable. Le pouvoir du tribunal s'étend-il au témoin qui se serait déjà manifesté au niveau de l'instruction ou est-il limité uniquement aux nouveaux témoins ?

Enfin, l'oratrice se rallie aux observations faites par les précédents intervenants. Il n'est cependant pas clair si l'amendement en cause (amendement nº 1) vise les deux types de témoignages, donc l'anonymat partiel et l'anonymat complet.

M. Vandenberghe fait observer que l'intitulé du projet de loi est trompeur dès lors que ce ne sont pas les témoins qui sont anonymes mais qu'il s'agit de témoins dont l'identité n'est pas connue des prévenus, donc en fait, de témoins dont la défense ignore l'identité.

L'intervenant renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui estime que les témoins ne peuvent témoigner anonymement que quand on a des craintes quant à leur sécurité (voir arrêt Kostovski/Pays-Bas).

L'orateur expose que la question posée est de savoir sous quelles conditions le juge du fond, qui a en charge l'évaluation de la preuve, peut auditionner ou interroger un témoin anonyme pendant qu'il traite l'affaire.

Le problème se situe en réalité plutôt au niveau de l'évaluation de la crédibilité du témoin et plus particulièrement quant à l'égalité des armes entre le ministère public et la défense. En effet, la police et, le cas échéant, le ministère public connaissent l'identité du témoin et peuvent donc juger de sa crédibilité alors que la défense ne le peut.

Or, le ministère public ne peut se trouver dans une position privilégiée par rapport à la défense. Une solution visant à interroger le témoin en l'absence du prévenu mais en présence des avocats, sans qu'ils puissent transmettre l'identité du témoin à leur client, sous peine de violation du secret professionnel, fut alors envisagée mais ne peut bien entendu pas être retenue puisqu'on ne peut dresser un avocat contre son client.

L'orateur constate donc que si le problème de la crédibilité du témoignage anonyme doit être réglé, il n'en demeure pas moins qu'il reste qu'on peut être condamné en droit pénal sur la base de présomptions, parce que le juge se prononce en fonction de sa conviction intime.

L'intervenant fait observer qu'on peut en effet être condamné en droit pénal uniquement sur la base de présomptions concordantes qui doivent pouvoir être déduites des faits, alors que, pendant l'instruction un témoignage à lui seul ne suffisait pas pour pouvoir obtenir une condamnation conformément à l'adage bien connu « testis unus, testis nullus ».

M. Lozie fait observer que certains témoins anonymes sont des victimes et n'expriment pas seulement une présomption mais connaissent les faits et les ont subis.

M. Vandenberghe répond qu'un témoignage anonyme n'est pas une présomption, cette dernière étant définie dans la loi.

L'intervenant fait observer que les témoignages ont une plus grande valeur que les présomptions mais souhaite simplement attirer l'attention sur le fait que quand on parle, comme c'est le cas dans l'amendement nº 1 à propos du témoignage anonyme, de preuve « corroborante », « déterminante », on alloue une exigence de qualité supérieure au témoignage anonyme qu'à l'usage de présomptions.

L'orateur s'interroge donc sur la logique du droit de la preuve en général et estime qu'il y a lieu d'examiner comment introduire les témoignages anonymes dans le droit de la preuve.

L'intervenant estime que les présomptions constituent un moyen de preuve plus dangereux que le témoignage.

Dans la mesure où on pose le principe suivant lequel le témoignage anonyme doit être conforté par une preuve corroborante, il y a lieu de faire observer que la présomption est une preuve corroborante. D'où l'importance de la question.

L'orateur rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'affaire Kostovski, a estimé qu'on ne pouvait pas prononcer de condamnations sur la base d'un témoignage anonyme uniquement.

Si l'intervenant soutient totalement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme quant au fond, il se demande quelles qualités le témoignage anonyme doit présenter pour être retenu comme preuve.

L'orateur estime qu'il est très difficile d'évaluer le caractère déterminant du témoignage, dès lors que l'on se trouve en présence de la conviction intime du juge. Pour chaque juge qui se forge une conviction, un autre fait peut être déterminant.

L'orateur conclut que dans le contexte actuel, où l'on est confronté à la criminalité organisée et où la menace exercée vis-à-vis des témoins est de plus en plus présente, il y a lieu d'assurer l'anonymat des témoins. Bien entendu, cet anonymat ne peut s'exercer que dans un contexte déterminé, la question étant de savoir dans quel contexte et comment le définir précisément.

M. Dubié souhaite faire les trois observations suivantes :

1. L'article 12 du projet de loi (article 86ter, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle en projet) concernant le mode de communication lui semble inapproprié.

Dans le cadre du témoignage anonyme complet, l'article 86ter, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle en projet stipule que : « L'ordonnance par laquelle le juge d'instruction ordonne, conformément à l'article 86bis, de ne pas divulguer l'identité du témoin, est communiquée par le greffier au procureur du Roi, et est notifiée par lettre recommandée à la poste au témoin, à la personne à l'égard de laquelle l'action publique est engagée dans le cadre de l'instruction ou à l'inculpé, à la partie civile et à leurs conseils avec la convocation par laquelle ils sont invités à être présents à un endroit indiqué par le juge d'instruction et à un moment fixé par lui, aux fins d'assister à l'audition du témoin, à peine de nullité du témoignage effectué. »

Il lui semble que cette disposition pose problème en ce qu'elle prévoit la communication par courrier au témoin qui souhaite conserver l'anonymat, de l'ordonnance qui accorde l'anonymat. En effet, si la personne contre laquelle le témoignage est donné est un proche du témoin, il y a un risque qu'il tombe sur la lettre, ce qui ruine la garantie de l'anonymat.

En outre, le caractère écrit de l'instruction suppose que tout courrier envoyé par le juge d'instruction figure au dossier de la procédure. En phase de jugement (de procès), toutes les pièces du dossier d'instruction sont accessibles et consultables par toutes les parties en vertu du caractère contradictoire de la procédure de jugement. Aux deux stades (instruction et jugement), les parties auront donc la possibilité d'identifier facilement le témoin (qui souhaitait conserver l'anonymat).

L'intervenant demande donc au ministre de trouver une solution si l'on ne veut pas mettre le témoin anonyme en danger réel d'identification.

2. L'article 12 du projet de loi (article 86ter, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle en projet) concernant la question de l'éventuel faux témoignage lequel constitue un problème important à régler.

L'article 86ter, alinéa 2, en projet précise que « Avant l'audition, le juge d'instruction avertit le témoin qu'il peut être tenu responsable pour les faits, commis dans le cadre de son témoignage, qui constitueraient une infraction prévue au chapitre V du titre III ou au chapitre V du titre VIII, du livre II du Code pénal ».

Les infractions visées sont le faux témoignage, le faux serment, la calomnie, la diffamation et les injures.

Si l'on peut légitimement admettre que le témoin qui demeure anonyme soit poursuivi dans ces cas, en revanche, un problème technico-pratique se pose. En effet, l'orateur se demande si le témoin est ou non entendu sous serment devant le juge d'instruction.

Devant le juge d'instruction, en principe, le témoin doit prêter serment (articles 70 à 86 du Code d'instruction criminelle). Toutefois, cette formalité n'est pas prévue à peine de nullité. S'il est entendu sous serment devant le juge d'instruction, le problème est que, s'agissant d'un témoin anonyme, les parties ne peuvent pas vérifier si le témoignage et le serment sont valables. En effet, certaines personnes ne peuvent pas prêter serment (personnes dites « reprochables ») et donc ne peuvent valablement témoigner : les ascendants, descendants, frères, soeurs ou alliés au même degré, conjoint même après le divorce. Comment vérifier alors si le témoin anonyme fait partie de cette catégorie ?

Si la réponse est négative (pas de prestation de serment), alors il n'y a pas de poursuite envisageable pour faux témoignage comme le prévoit l'article en question.

3. L'article 14 du projet de loi (article 189bis, alinéa 1er du Code d'instruction criminelle en projet) concernant le problème de l'anonymat devant le juge du fond.

L'article 189bis, alinéa 1er, proposé, du Code d'instruction criminelle dispose que « Le témoin dont l'identité a été tenue secrète en application des articles 86bis et 86ter, ne peut pas être cité comme témoin à l'audience, à moins qu'il n'y consente. Si le témoin consent à témoigner à l'audience, il conserve son anonymat complet. Dans ce cas, le tribunal prend les mesures nécessaires pour garantir l'anonymat du témoin. »

L'orateur fait observer qu'il s'agit du même problème mutatis mutandis que celui posé ci-dessus, à la différence qu'en phase de jugement, la prestation de serment du témoin est une formalité obligatoire prévue à peine de nullité du témoignage.

Le témoin est-il ou non entendu sous serment ?

En principe, devant la juridiction de jugement, la prestation de serment constitue une formalité substantielle (articles 155, 189 et 317 du Code d'instruction criminelle). Elle est donc en principe obligatoire. Le problème est que s'agissant d'un témoin anonyme, les parties ne peuvent pas vérifier si le témoignage et le serment sont valables.

En effet, certaines personnes ne peuvent pas prêter serment (personnes dites « reprochables ») et donc ne peuvent valablement témoigner devant la juridiction de jugement : les ascendants, descendants, frères, soeurs ou alliés au même degré, conjoint même après le divorce, sauf si la partie visée ne s'oppose pas à ce témoignage. Comment vérifier alors si le témoin anonyme fait partie de cette catégorie ?

Si la réponse est négative, ceci entraîne la nullité de tout témoignage (anonyme ou pas sauf approbation de la partie contre laquelle il est dirigé) en phase de jugement et consécutivement la nullité du jugement. D'autre part, on ne peut pas concevoir de poursuivre pour faux témoignage ou faux serment un témoin (anonyme ou non) qui n'a pas prêté serment puisque cette formalité conditionne la réalisation de l'infraction.

M. Vandenberghe ajoute que de fait, par le passé, on a bien souvent travaillé avec des témoins anonymes mais qu'on le formulait différemment. Ainsi commençait-on de grandes enquêtes par les mots suivants : « il nous revient que ». Les personnes qui effectuaient l'enquête savaient précisément de qui il s'agissait; il se pouvait parfois même que cela provienne d'écoutes téléphoniques illégales.

M. Dubié fait observer que cela peut être une cause de nullité.

M. Vandenberghe déclare qu'il a plaidé dans plusieurs dossiers où le premier procès-verbal avait pour origine un message anonyme ayant donné naissance à une affaire considérable. Ceci signifie bien que la personne ayant établi le procès-verbal savait précisément de qui il s'agissait. En effet, toutes les lettres anonymes envoyées à la cour d'appel de Bruxelles ou au procureur du Roi ne font pas l'objet d'une enquête.

L'intervenant en conclut donc qu'on travaillait déjà avec des témoignages anonymes, qui n'en n'avaient pas le nom ni les garanties, ce qui faisait de ce type de preuve une preuve beaucoup plus dangereuse parce qu'elle laissait le champ ouvert à toutes les manipulations. C'est précisément une des raisons pour laquelle la Cour européenne s'est montrée sévère. En l'espèce, dans l'affaire Kostovski/Pays-Bas, le « Hoge Raad » avait condamné M. Kostovski, trafiquant de drogues, à une peine importante de travaux forcés sur la base d'un seul témoignage anonyme.

Vu les risques de manipulations qui sont énormes, des garanties s'imposent donc, mais le témoignage anonyme doit néanmoins pouvoir fonctionner.

L'intervenant entend souligner que les exigences que l'on pose vis-à-vis du témoignage anonyme pourraient également être posées par rapport à la qualité des présomptions, dans le cas où on se baserait uniquement sur ces dernières pour condamner quelqu'un.

M. Mahoux constate que par rapport à l'anonymat, il y a effectivement une zone d'ombre justifiant le fait qu'on ne puisse utiliser uniquement le témoignage anonyme dans le cadre du prononcé d'un arrêt ou d'un jugement et justifiant principalement, par conséquent, le dépôt de l'amendement nº 1.

L'intervenant déclare qu'il a déjà interrogé le ministre sur les possibilités de garantir les droits de la défense dans le cadre de témoignages anonymes. Il lui a été répondu qu'en cas de témoignage anonyme, la défense avait la possibilité de contrôler la cohérence du témoignage.

L'intervenant estime toutefois que la cohérence du témoignage n'est qu'un des éléments du caractère contributif ou non du témoignage car la qualité du témoin constitue également un des éléments d'appréciation auquel la défense n'a pas la faculté de recourir.

L'orateur constate donc que, du point de vue de la défense, un amendement qui relativise l'importance que peut avoir le témoignage anonyme dans la conviction du juge sera inévitable.

L'intervenant est par ailleurs d'accord avec le sénateur Vandenberghe sur le fait que l'on pourrait étendre les réserves formulées aux présomptions, et étendre le débat, mais estime qu'il ne faut pas perdre de vue l'objectif, à savoir la lutte contre les organisations criminelles. En vue d'assurer le nécessaire équilibre entre cet objectif et les droits de la défense, ce n'est qu'au travers d'un amendement relativisant le caractère probant d'un témoignage anonyme qu'on obtiendra plus de garanties par rapport à l'utilisation de ces témoignages.

M. Lozie souligne que ce n'est pas parce qu'on ne connaît pas explicitement l'identité d'un témoin que la défense ne pourra pas contester la déclaration de ce témoin et ajoute que nous nous trouvons ici à la limite du renversement de la charge de la preuve.

L'intervenant fait observer que la difficulté réside cependant pour lui dans le fait de prévenir l'utilisation par la criminalité organisée des témoignages anonymes comme élément de contrestratégie.

L'intervenant précise, en effet, que s'il faut une protection pour certains témoins en raison du risque d'intimidation qu'ils courent de la part de la criminalité organisée, même parfois au risque de leur vie, il faut tenir compte du fait qu'à partir d'un certain moment, la criminalité organisée, elle aussi, peut lancer des témoignages anonymes afin d'influencer la jurisprudence.

L'orateur voit dans la poursuite pour faux témoignage un instrument de droit commun de nature à contrer cette possibilité mais la discussion de savoir si nous disposons des instruments adéquats en vaut la peine.

L'orateur estime qu'il est absolument indispensable que l'on instaure un système où l'anonymat soit garanti et que nous ayons une réglementation permettant le respect de cet anonymat mais qu'elle doit être assortie d'un certain nombre de précautions.

L'orateur fait ainsi référence à un débat de société qui a lieu à l'heure actuelle et qui vise à faire un pas en direction des repentis, les « pentiti », afin de pouvoir utiliser leur concours moyennant des garanties d'anonymat, alors que, dans le cas présent, nous n'avons parfois à faire qu'à des victimes.

Le fait que d'autres moyens de preuve sont exigés à côté du témoignage anonyme constitue une seconde protection de nature à obliger le juge d'instruction à rechercher des moyens de preuve complémentaires.

M. Vandenberghe rappelle que dans le projet de loi, il ne s'agit pas vraiment d'un témoin anonyme, mais d'un témoin dont le juge d'instruction et le procureur du Roi connaissent l'identité.

L'intervenant estime fort probable que, lorsque le procureur et le juge d'instruction ont connaissance de l'identité du témoin anonyme, les juges puissent en avoir connaissance également. En effet, précise l'intervenant, il n'est pas impossible et même tout à fait humain qu'on puisse se trahir par hasard.

En effet, les juges et le parquet ne se rencontrent pas uniquement dans la salle d'audience mais ils se rencontrent tous les jours au palais.

L'intervenant insiste sur le problème de l'inégalité entre, d'une part, le procureur qui requiert et le juge d'instruction qui conduit l'instruction, lesquels connaissent le témoin et partent du principe que celui-ci est crédible, et, d'autre part, la défense qui ne peut contester de manière pertinente cette crédibilité.

L'orateur souligne un second problème, à savoir l'exigence que le témoignage soit confirmé ou infirmé par les faits. Or, si l'on excepte les affaires simples, en matière pénale, les faits sont toujours susceptibles de recevoir plusieurs interprétations.

Si l'idée que les faits en eux-mêmes constituent des preuves corroborantes au témoignage anonyme peut être séduisante à formuler, elle n'en est néanmoins pas aisée dans la pratique pour les affaires délicates.

Les faits sont susceptibles de susciter un problème de manipulation dès lors que d'après l'une ou l'autre lecture des faits on ajoute un élément décisif qui n'est peut-être pas réaliste.

L'intervenant pose la question de savoir si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne suffit pas et pourquoi il y a lieu de voter la présente loi.

L'intervenant suppose que le gouvernement souhaite une plus grande sécurité juridique dès lors qu'il fait état d'évolutions dans cette jurisprudence, mais il ne peut s'empêcher de se demander si cela n'aura pas pour conséquence qu'on sera confronté à un accroissement du nombre des témoignages anonymes.

À ce jour, le problème se rencontre peu dans la jurisprudence publiée en Belgique, contrairement aux Pays-Bas et à l'Italie, mais l'offre ne créera-t-elle pas la demande ?

Enfin, pour répondre à la question du président, l'intervenant fait observer qu'un témoin anonyme ne prête pas serment parce qu'un témoignage anonyme ne peut jamais être reçu comme preuve sous serment.

Il en résulte donc, explique l'intervenant, que ce type de preuve présente une extrême fragilité de sorte qu'on ne puisse lui attribuer par elle-même de signification décisive.

M. Lozie estime nécessaire qu'il soit légiféré en la matière afin d'introduire explicitement le témoignage anonyme comme possibilité dans la loi et d'en fixer la procédure et ce, dans le but, d'une part, de garantir l'anonymat des témoins, et, d'autre part, de rendre possible un contrôle sur la qualité de ceux-ci par l'intermédiaire du juge d'instruction.

L'intervenant répète que c'est le juge du fond qui doit en définitive juger de la valeur du témoignage anonyme en confrontant sa jurisprudence à la jurisprudence européenne en la matière mais que la solution que l'on essaye momentanément d'apporter à ce problème lui semble être une bonne tentative.

L'orateur formule encore une observation concernant l'égalité des armes de la défense par rapport au ministère public et donne un contre-exemple en la matière.

L'intervenant estime donc que l'inégalité des armes peut jouer dans les deux sens.

Réponse du ministre

Le ministre estime que la loi proposée est effectivement nécessaire, même si l'on est parfaitement familiarisé avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Le but premier du présent projet n'est pas, en effet, de régler l'administration de la preuve en matière pénale, mais bien de protéger les témoins. La réglementation de la preuve et le fait de remédier à une pratique existante (réponse à la prolifération d'informations ­ « il nous revient que, une personne qui souhaite conserver l'anonymat nous apprend que, la rumeur publique rapporte que...) sont accessoires. La préoccupation principale est la protection des témoins. Le présent projet fait partie d'un ensemble (cf. le projet de loi réglant à la protection des témoins menacés qui est en cours d'examen à la Chambre). L'anonymat dont seront entourés certains éléments d'identité se veut une protection procédurale accordée à une personne déterminée qui témoigne dans une affaire pénale donnée.

L'expression « égalité des armes » ne paraît pas pertinente en l'espèce. Toutes les parties concernées se trouvent en effet engagées dans un même processus de découverte de la vérité. La position de la Cour européenne selon laquelle les informations basées sur un témoignage obtenu sous le couvert de l'anonymat complet ou partiel ne peuvent être utilisées que comme preuve corroborante, trouve son origine dans le fait que le principe de l'égalité des armes est mis momentanément entre parenthèses. La loyauté n'est pas tout à fait respectée dans la collecte des preuves, mais la règle selon laquelle les informations réunies de la sorte n'ont pas la même valeur fait office de correctif. Elles ne peuvent en effet servir que comme preuve corroborante et non comme preuve à part entière.

L'article 2 du projet ne s'applique effectivement qu'à l'instruction judiciaire. Le juge d'instruction décide si l'anonymat partiel est accordé ou non, mais cela peut se faire dans le cadre d'une mini-instruction.

La différence de terminologie entre l'anonymat partiel ou complet (à savoir la présomption raisonnable que le témoin risque de subir un préjudice grave, d'une part, et la menace de l'intégrité du témoin, d'autre part) découle de la nature de l'anonymat. L'anonymat complet ne peut en effet être accordé que dans des cas rares.

L'intervenant estime donc que l'offre ne créera pas la demande; le système de l'anonymat complet se caractérise par une assez grande lourdeur, qui dissuade plutôt qu'elle n'encourage d'y recourir; la demande ne sera pas très forte. C'est aussi l'avis des gens de terrain. Le ministre souligne également qu'il ne faut pas confondre la compétence du témoin en tant que personne et la fiabilité de son témoignage. Une personne non fiable peut faire un témoignage fiable et vice versa.

M. Vandenberghe souligne que le mot fiabilité vise ici la crédibilité. L'article 6.1 de la CEDH donne au suspect le droit d'être confronté aux témoins à charge. Rien n'empêche une canaille de faire des déclarations fiables.

S'agissant de la ratio legis du registre tenu par le procureur du Roi, le ministre répond que le témoin qui invoque l'anonymat partiel peut être cité à témoigner devant le juge du fond. Il doit y avoir une instance qui puisse convoquer ce témoin. Il faut donc que quelqu'un dispose de l'identité complète du témoin afin de pouvoir le convoquer. Pourquoi choisir de confier cette tâche au procureur du Roi ? Chaque tribunal de première instance compte un ou plusieurs juges d'instruction. Si les données sont conservées dans l'enceinte de ce tribunal, le risque de fuite est plus grand. C'est pourquoi il a été décidé de centraliser ce registre chez le procureur du Roi. Faut-il un arrêté d'exécution pour définir la forme de ce registre ? On peut bien sûr procéder de la sorte, mais cela n'est pas prévu expressément. On peut se demander si la question ne peut pas être réglée par la voie de circulaire (circulaire ministérielle ou circulaire du Collège des procureurs généraux).

Le texte ne règle pas la preuve en matière pénale, laquelle est au demeurant fort simple. Cette preuve est libre, de même que son appréciation. Il y a cependant de nombreuses exceptions et restrictions (témoins sous serment, etc.). En matière pénale, le tout est en définitive de nourrir l'intime conviction du juge du fond. C'est un mécanisme sur lequel on n'a pas prise et qui échappe au contrôle. Souvent, le juge se forge une conviction, qu'il étaie ensuite. Il n'y a donc pas de stricte hiérarchie des moyens de preuve dans les affaires pénales. Le fait de prévoir que le témoignage anonyme ne peut servir que de preuve corroborante revient toutefois à imposer au juge une obligation particulière de motiver.

Aucune voie de recours n'est ouverte contre la décision du juge d'instruction d'admettre ou non le témoignage anonyme. L'université de Gand a réalisé une étude sur l'opportunité de prévoir une voie de recours. Sa conclusion est que l'absence de voie de recours n'est pas contraire à la CEDH. De plus, toute voie de recours pourrait être utilisée comme moyen dilatoire. Plus on va prévoir d'étapes, plus grand sera le risque que l'identité complète du témoin soit dévoilée.

Le juge du fond est tenu par la décision du juge d'instruction sur la question de l'anonymat complet. Lorsque la question du témoignage sous le couvert de l'anonymat se pose pour la première fois devant le juge du fond, le juge d'instruction vérifiera si le témoin est fiable. Si le juge d'instruction estime que tel n'est pas le cas, il statuera dans ce sens, avec renvoi au juge du fond.

Le juge d'instruction qui accorde l'anonymat complet notifiera cette décision au témoin par lettre recommandée. Le projet initial prévoyait que cette décision pouvait aussi être transmise par télécopie. Cette possibilité a été supprimée par la Chambre. En revanche, la solution du pli recommandé ne comporte que peu de risques. Le facteur n'est pas censé connaître le contenu de l'enveloppe qu'il distribue. L'intervenant ne voit pas d'autre solution pour convoquer un témoin anonyme de manière compatible avec la sécurité juridique.

Comme c'est le cas pour tout témoignage sous serment, l'auto-incrimination n'est pas possible. Quid si le témoin ne peut pas être entendu sous serment (parent, etc.) ? C'est un élément que le juge d'instruction doit examiner si le témoin se manifeste. Le juge contrôle la fiabilité du témoin et vérifie aussi ces éléments.

L'intervenant considère qu'il n'y a guère de risques que des données provenant de divers dossiers s'échangent au sein des cours et tribunaux. Le risque est très faible intra muros, car les juges sont avares d'informations à propos de leurs dossiers. Le risque est plus grand avec les services de police. La personne désireuse de déposer anonymement est en effet amenée par des policiers.

Répliques des commissaires

Mme Nyssens désire obtenir des précisions à propos du champ d'application de l'amendement nº 1.

Cet amendement prévoit que nul ne peut être condamné sur la base d'un témoignage anonyme. Ce témoignage anonyme doit être corroboré largement par d'autres moyens de preuve. L'intervenante désire savoir si cette règle vaut uniquement pour l'anonymat complet ou si elle vaut aussi pour l'anonymat partiel. Pourquoi cette distinction ?

Elle souligne que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne fait pas de distinction entre différents régimes d'anonymat.

Le ministre souligne qu'en ce qui concerne l'anonymat partiel, les violations éventuelles de la loyauté en ce qui concerne la collecte des preuves et l'égalité des armes sont moins importantes. En outre, les droits de la défense sont garantis en cas d'anonymat partiel, car le témoin est tenu de comparaître à l'audience, en présence du prévenu ou de l'accusé. Par contre, le témoin complètement anonyme n'est pas tenu de comparaître. Il doit donner son consentement. On peut dès lors accorder une valeur de preuve plus élevée au témoignage partiellement anonyme.

Mme de T' Serclaes demande ce qu'on entend exactement par anonymat partiel, dès lors que le témoin peut être contraint d'être présent à l'audience. Dans quelle mesure le témoignage est-il encore anonyme dans ces conditions ?

Le ministre répond que, selon la philosophie sur laquelle repose la notion de témoin partiellement anonyme, il s'agit d'un témoin fortuit. Ce n'est pas une personne qui évolue dans le milieu du suspect, mais une personne qui prend connaissance de manière fortuite d'un fait sanctionné par le droit pénal. Le projet de loi énumère clairement les éléments qui peuvent être tenus secrets. En ce qui concerne concrètement les témoins partiellement anonymes, on ne mentionnera généralement pas le domicile, ni ­ dans des cas exceptionnels ­ le nom de la personne en question, lors de la comparution devant le tribunal. Il va de soi que l'on ne veut pas se contenter de mentionner l'état civil de la personne (marié ou célibataire) ou de sa profession, sinon on se trouverait de facto dans une situation d'anonymat complet.

L'intervenant renvoie à l'article 75ter, lequel traite de l'anonymat partiel des personnes qui sont chargées d'un témoignage dans l'exercice de leur activité professionnelle. Elles auront la possibilité de renseigner leur adresse de service ou l'adresse à laquelle elles exercent habituellement leur profession.

Au départ, cette possibilité d'anonymat partiel concernait uniquement les agents et les officiers de la police judiciaire. Par la suite, elle a été étendue à d'autres personnes, à la suite d'une demande de la cellule de traitement des informations financières qui visait le personnel des banques. Aujourd'hui, cette possibilité s'étend également aux pompiers, aux ambulanciers, aux assistants sociaux, etc.

Les possibilités d'anonymat partiel prévues aux articles 75bis (décision du juge d'instruction) et 75ter ne peuvent pas être supprimées et elles ne seront appliquées que dans un nombre limité de cas.

M. Istasse renvoie à ce sujet aux conclusions de la commission d'enquête relative à la criminalité organisée, qui est arrivée à la constatation que les policiers doivent pouvoir bénéficier d'une protection particulière, par exemple, lorsqu'ils interviennent en tant que témoins.

Mme de T' Serclaes estime que l'anonymat partiel ne fournira pas toujours la protection souhaitée. Elle songe aux régions peu étendues où les policiers sont connus de tous.

III. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 2

A. Discussion

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui vise à remplacer l'article 75bis proposé. Cet amendement a plusieurs objectifs. Premièrement, il tend à apporter une réponse aux diverses observations formulées par le Conseil d'État sur cet article. Il tient aussi compte des remarques intéressantes de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone. L'amendement récrit l'article pour faire apparaître beaucoup plus clairement les diverses étapes de la procédure. Le juge d'instruction doit d'abord dresser un procès-verbal portant exclusivement sur la question de savoir s'il est ou non possible d'accorder l'anonymat partiel au témoin. Si le juge d'instruction décide d'accorder l'anonymat partiel, il prend une décision motivée dans laquelle il indique les raisons pour lesquelles l'anonymat partiel est justifiée. Ce n'est qu'après cela que le témoin est entendu.

Par ailleurs, l'amendement tend à indiquer clairement qu'il doit aussi être possible de demander l'anonymat partiel dans le cadre d'une information.

L'amendement apporte en outre une série de précisions sur la question de savoir si le témoin est fiable; le juge d'instruction doit contrôler si le témoin a des raisons sérieuses de vouloir garder secrets certains éléments de son identité, s'il existe des liens et des conflits entre les témoins et les parties et s'il existe un éventuel lien de subordination entre le témoin et les parties et le témoin en droit et en fait.

Toutes les données sont consignées dans un procès-verbal, qui est transmis au procureur du Roi et à la chambre des mises en accusation (article 136 du Code d'instruction criminelle).

Une dernière idée concerne la faculté d'interjeter appel.

Mme de T' Serclaes souhaiterait obtenir quelques précisions sur le texte proposé dans le projet. L'intervenant fait remarquer que le juge d'instruction dressera un procès-verbal mentionnant les raisons pour lesquelles il décide d'accorder l'anonymat partiel. Quel sort réserve-t-on au juste à ce document ? Dans la phrase suivante, il est question de l'« ordonnance » du juge d'instruction. Qu'entend-on exactement par le « registre que le procureur du Roi doit tenir » ? Les parties ont-elles accès à ce registre ? Qu'apporte-t-il ? L'accès des parties au dossier de l'instruction ne suffit-il pas ? Le dossier contient-il le témoignage du témoin anonyme ?

Le ministre répond que le procès-verbal d'audition, l'ordonnance, figurent bien sûr dans le dossier. Dans le registre tenu par le procureur du Roi sont consignés tous les témoignages des témoins anonymes ou partiellement anonymes. Le procureur du Roi connaît ainsi l'identité complète du témoin, ce qui lui permet de le convoquer ultérieurement au cours du procès. Le juge d'instruction doit vérifier la fiabilité du témoin avant de décider d'accorder l'anonymat partiel ou complet. Cette vérification de la fiabilité du témoin fait aussi l'objet d'un procès-verbal contenant toutes les données relatives au témoin en question. Ce procès-verbal ne peut évidemment pas figurer au dossier judiciaire, mais il peut être consigné au registre. L'existence d'un registre central et non pas de plusieurs registres chez les juges d'instruction sert la confidentialité.

M. Vandenberghe estime qu'il faut limiter autant que possible la faculté de témoigner sous le couvert de l'anonymat. Il n'est pas convaincu de l'utilité de faire, dans ce cadre, une distinction entre l'anonymat partiel et l'anonymat complet.

En cas de préjudice grave, on doit pouvoir témoigner sous le couvert de l'anonymat. Qu'entend-on au juste par « préjudice grave » ? On ne dit rien de la nature du préjudice. S'agit-il d'un préjudice physique ou d'un préjudice moral ? On subit presque automatiquement un préjudice lorsqu'on témoigne dans des affaires délicates. L'on étend ici le recours au témoignage anonyme et l'on accroît le risque d'abus. Le témoignage anonyme est une pièce à conviction particulièrement sensible, qui réduit les droits de la défense. Qu'entend-on par « grave » et par « préjudice » ? Il s'agit en l'espèce de matières pénales et le champ d'application des termes « grave » et « préjudice » doit par conséquent être connu avec précision.

Le ministre répond que le système de l'anonymat partiel offre une solution intermédiaire. Le juge d'instruction appréciera si le risque d'un préjudice grave existe. Le juge d'instruction peut alors malgré tout offrir une certaine protection au témoin fortuit. Il ne faut pas trop attendre du système. Au cas où le refus du juge serait susceptible d'un recours, le système de l'anonymat partiel deviendrait trop lourd et ne serait pas appliqué.

M. Vandenberghe demande quelle est l'utilité du système de l'anonymat partiel. Existe-t-il des études à ce propos, éventuellement en droit comparé ? L'anonymat partiel existe-t-il dans d'autres pays ? La Cour européenne des droits de l'homme a accepté l'anonymat dans des cas très exceptionnels (voir l'arrêt Kostovski). Lorsque le témoin anonyme a un nom peu répandu, on arriverait à l'identifier assez vite. Le prévenu pourra souvent mettre rapidement un visage sur un nom y compris dans le cadre d'une affaire pénale. Le système ne semble pas très utile.

Le ministre souligne que l'anonymat partiel est appliqué en faveur d'un témoin fortuit. Il est inévitable qu'on cherchera à connaître l'identité de ce témoin. En cas d'anonymat complet et de faits graves, le prévenu cherchera d'autant plus à savoir qui est le témoin anonyme.

D'après lui, l'anonymat partiel n'existe pas à l'étranger.

Mme de T' Serclaes estime que l'article 2 est quasi inapplicable.

Mme Nyssens renvoie à ses amendements qui visent à concevoir des procédures parallèles pour l'anonymat complet et pour l'anonymat partiel.

Le Conseil d'État avait fait une remarque à ce propos. C'est ainsi qu'il y a, par exemple, diverses conditions pour pouvoir recourir à un témoignage anonyme (préjudice grave pour l'anonymat partiel et menace grave de l'intégrité pour l'anonymat complet).

B. Votes

L'amendement nº 3 de Mme Nyssens est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 3bis

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 36 (doc. Sénat, nº 2-876/4) visant à insérer un article 75quater dans le Code d'instruction criminelle. La distinction au niveau de la valeur probante du témoignage entre le témoignage anonyme complet et le témoignage anonyme partiel ne se justifie pas dans le cadre des articles 75bis, 155bis et 317bis [voir aussi les articles 6bis et 10bis (amendements nºs 37 et 38)]. Cet amendement est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 5

A. Discussion

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-876/3, amendement nº 4), qui vise à remplacer, à l'article 155bis proposé, les mots « Le tribunal peut » par les mots « Le tribunal qui souhaite procéder à l'audition d'un témoin qui n'a pas été entendu par le juge d'instruction ».

Selon le Conseil d'État, le premier alinéa devrait mieux faire apparaître qu'il vise uniquement l'hypothèse de l'audition d'un nouveau témoin qui n'a pas été entendu par le juge d'instruction.

Le ministre peut souscrire à l'esprit de l'amendement. Mais la manière dont il est formulé n'est pas tout à fait claire. Il s'agit effectivement d'une autre personne; il faut en outre aussi ajouter le mot « peut » en fin d'amendement.

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-876/3, amendement nº 5) qui prévoit la faculté d'interjeter appel de la décision du tribunal.

L'intervenante renvoie à la justification de l'amendement.

L'amendement porte aussi sur le mode de notification aux parties concernées de la décision du tribunal d'accorder ou de refuser l'anonymat partiel. Se pose en outre la question de savoir comment se déroule l'audition d'un nouveau témoin par le tribunal.

Le ministre répond que l'audition se déroule effectivement en présence du prévenu. Le témoignage est simplement recueilli, mais à cette différence près que certains éléments de l'identité du témoin ne sont pas mentionnés.

L'intervenant ne peut toutefois pas souscrire à cet amendement, et ce, pour des raisons d'économie de procédure. Le système d'appel est beaucoup trop lourd.

En ce qui concerne la notification de la décision, l'intervenant note que le témoignage est recueilli à l'audience et est donc noté sur la feuille d'audience. Le ministère public est de toute façon présent. Il ne lui semble pas absolument nécessaire d'inscrire dans la loi les modalités de convocation du témoin. Pour le reste, il y a lieu d'appliquer les règles valables pour ce qui est du témoignage classique. On demande au ministère public de convoquer le témoin. Si celui-ci ne donne pas suite à la convocation, il sera cité à comparaître.

Mme Nyssens souligne que la loi contient par contre des règles relatives au témoignage sous le couvert de l'anonymat complet.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui vise à remplacer l'alinéa 2 de l'article 155bis proposé.

Cet amendement est d'ordre purement technique. En effet, il semble que l'amendement nº 15 que le gouvernement a déposé à la Chambre (doc. Chambre, nº 50-1185/004) n'a malheureusement pas été repris dans son intégralité dans le texte à l'examen.

Le ministre approuve cet amendement.

B. Votes

Les amendements nºs 4 et 6 de Mme Nyssens sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

L'amendement nº 5 de Mme Nyssens est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 6bis

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 37 (doc. Sénat, nº 2-876/4) visant à insérer un article 155quater dans le Code d'instruction criminelle. L'on peut faire référence, pour la discussion, à l'amendement nº 36.

L'amendement nº 37 est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 9

A. Discussion

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 2-876/3) qui vise à mieux faire apparaître que le premier alinéa de l'article 317bis proposé vise uniquement l'hypothèse de l'audition d'un nouveau témoin qui n'a pas été entendu par le juge d'instruction. La finalité de cet amendement est identique à celle de l'amendement nº 4, à ceci près qu'il vaut pour ce qui est de la procédure devant la cour d'assises.

Le gouvernement peut marquer son accord avec cet amendement.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-876/3) qui précise que le président de la cour d'assises n'a une compétence d'appréciation que quand le témoin en question est un nouveau témoin. Sinon, il est tenu par la décision du juge d'instruction d'accorder l'anonymat partiel.

B. Votes

Ces amendements sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

Article 10bis

A. Discussion

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 2-876/3), visant à insérer un article 10bis nouveau. La distinction entre l'anonymat complet et l'anonymat partiel ne se justifie pas dans le cadre des articles 75bis, 155bis et 317bis.

Le ministre soulève une objection avant tout technique à l'amendement. L'on insère en effet un article dans le projet à l'examen, mais pas dans le Code d'instruction criminelle.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 38 (doc. Sénat nº 2-876/4) visant à remédier à cela et retire l'amendement nº 9. Pour la discussion, on pourra également se référer aux amendements nºs 36 (art. 3bis) et 37 (art. 6bis).

Le ministre ne peut pas davantage souscrire à cet amendement sur le fond. En effet, les droits de la défense sont garantis en cas d'anonymat partiel, étant donné que le témoin doit comparaître à l'audience, en présence du prévenu ou de l'accusé.

M. Vandenberghe signale qu'aux Pays-Bas aussi, le témoin anonyme peut être cité à comparaître. Les droits de la défense sont donc respectés. Selon l'intervenant, on ne peut plus guère parler d'un témoignage anonyme. Les avocats feront automatiquement citer le témoin à charge, ne fût-ce que pour tester sa crédibilité.

Mme de T'Serclaes ne peut pas appuyer cet amendement. Elle estime en effet aussi que les droits de la défense sont respectés si l'on peut convoquer le témoin à l'audience. Dans ce cas, on peut toutefois remettre l'anonymat en question.

B. Votes

L'amendement nº 9 est retiré.

L'amendement nº 38 est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 10ter

A. Discussion

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 27 (doc. Sénat, nº 2-876/4) qui tend à insérer un article 10ter visant à maintenir le parallélisme entre l'anonymat partiel et l'anonymat complet en ce qui concerne les dispositions relatives au faux témoignage, faux serment, à la diffamation et à la calomnie. En effet, ces faits font l'objet, en ce qui concerne l'anonymat complet, d'une disposition spécifique, à l'article 12, tandis que rien n'est dit à ce propos en cas d'anonymat partiel.

L'intervenante entend aussi répondre aux objections du Conseil d'État. Elle renvoie à la justification de l'amendement.

Le ministre considère que les effets potentiels de l'instruction ouverte sur plainte pour faux témoignage, faux serment, diffamation et calomnie, sur le déroulement de l'autre instruction, ne sont pas différents selon qu'il y a un témoignage entièrement anonyme, partiellement anonyme ou ordinaire. Il ne lui semble pas nécessaire de prévoir une procédure spécifique pour le témoignage fait sous le couvert de l'anonymat partiel, qui n'a qu'une valeur limitée et qui ne trouve à s'appliquer que de manière exceptionnelle. Le droit commun est applicable.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 28 (doc. Sénat, nº 2-876/4) qui est subsidiaire à l'amendement nº 27. L'auteur comprend que le droit commun est applicable.

B. Votes

Les amendements nºs 27 et 28 sont rejetés par 6 voix contre 3.

Article 11

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 20 (doc. Sénat, nº 2-876/3) tendant à supprimer cet article. Il n'y a aucune raison d'interdire le recours à des témoins entièrement anonymes dans le cadre de la « mini-instruction ».

Le ministre peut souscrire au principe selon lequel l'anonymat complet doit être possible dans le cadre d'une « mini-instruction ». Il convient évidemment de souligner la lourdeur de la procédure de l'anonymat complet.

L'amendement est rejeté par 6 voix contre 3.

Article 12

A. Discussion

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 10 (doc. Sénat, 2-876/3) qui tend à donner à la personne faisant l'objet d'une information la possibilité de demander au juge d'instruction d'entendre un témoin sous l'anonymat partiel par l'intermédiaire du ministère public.

Mme Nyssens dépose un amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 2-876/3) de nature technique. Il est clair que l'anonymat complet est possible pour n'importe quel délit du Code pénal qui est commis dans le cadre d'une organisation criminelle.

Le ministre dit pouvoir marquer son accord sur cette précision de texte.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 12 (doc. Sénat, 2-876/3) qui précise que l'identité complète du témoin et le contrôle de sa fiabilité doivent faire l'objet d'un procès-verbal. Par ailleurs, des précisions sont données quant au contrôle de la fiabilité du témoin.

Le ministre estime qu'il faut laisser un certain degré de souveraineté au juge d'instruction. Il ne faut pas prescrire exactement ce qu'il doit contrôler, d'autant plus que le § 4 de l'article en projet impose bel et bien au juge d'instruction de motiver sa décision.

À titre subsidiaire, l'intervenant souligne qu'une erreur technique s'est glissée dans le 4e tiret. Il ne s'agit pas de « certaines » données d'identité, mais de l'identité complète.

M. Vandenberghe demande si toute personne qui souhaite rester anonyme doit nécessairement passer par l'article 12. Le dossier pénal ne pourra-t-il plus contenir des phrases du genre « un témoin, qui souhaite garder l'anonymat, déclare que » ? Quel est le statut d'une dénonciation anonyme ?

La dénonciation anonyme est inacceptable et peut donner lieu à des abus. Nombre de dénonciations anonymes ne sont rien d'autre que des vexations. Pourquoi le projet de loi règle-t-il le témoignage anonyme et non la dénonciation anonyme ?

Le ministre répond que l'article 12 est applicable si la déclaration en question sert de base à l'action publique. Le témoignage est alors un moyen de preuve et non une simple incitation à rassembler des preuves (comme dans le cas de la dénonciation anonyme, par exemple). On ne peut pas attacher de valeur probante à la dénonciation anonyme; tout au plus peut-elle inciter le ministère public à ouvrir une enquête et à collecter des preuves de manière autonome.

M. Vandenberghe peut souscrire à cet argument, mais souligne que c'est là un raisonnement juridique formel. Des preuves rassemblées illégalement ne constituent pas de moyens de preuve, mais elles peuvent inciter à poursuivre l'enquête. Les dénonciations anonymes sont en soi un phénomène pathologique de notre société.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 2-876/3) qui vise à remplacer l'article 86bis, § 5, proposé. Il est renvoyé à la justification de l'amendement nº 3 relatif à l'article 2. Il s'agit du recours; en l'espèce dans le cas de témoignage complètement anonyme.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui vise à régler l'utilisation et la consultation du registre contenant la liste des témoins. Qui a accès à ce registre ?

Le ministre précise que seul le procureur du Roi a accès au registre.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui vise à supprimer le premier alinéa de l'article 86quinques proposé. En effet, cet alinéa répète ce qui est dit à l'article 86bis, § 2.

Le ministre rétorque qu'il y a bel et bien une distinction entre les deux dispositions. L'article 86bis, § 2, concerne le champ d'application du témoignage anonyme. On se trouve en l'espèce au stade où l'audition doit encore avoir lieu. À l'article 86quinquies, on se trouve au stade où l'audition a eu lieu. On s'interroge alors sur la valeur probante. S'il s'avère que les faits sur lesquels a porté le témoignage ne figurent pas dans la liste limitative (organisations criminelles, article 90ter, loi du 16 juin 1993), le témoignage ne pourra pas être utilisé comme preuve corroborante, sans préjudice de l'article 29 du Code d'instruction criminelle. Cela signifie que le procureur du Roi pourra être informé et que cela pourra donner lieu à une nouvelle enquête.

Mme Nyssens retire son amendement.

Elle souhaite obtenir des précisions au sujet de la référence à l'article 90ter. Le témoignage est-il justifié pour toutes les infractions énumérées à l'article 90ter, comme les infractions portant sur les biens ? Une référence générale à l'article 90ter est-elle justifiée alors qu'on élargit sans cesse la portée de cet article ?

Le ministre est conscient du fait que le champ de l'article 90ter est très étendu. Il contient non seulement les délits dont on considère raisonnablement qu'ils présentent une certaine gravité et constituent une menace sérieuse pour la société, mais aussi des délits dont il est difficile d'établir la preuve. L'article 90ter offre un point de répère et la référence à cet article présente l'avantage de réaliser une certaine conformité au sein de la législation.

M. Vandenberghe estime que l'anonymat doit rester une vraie exception et ne peut s'appliquer qu'aux délits constituant une menace pour la société. La valeur probante des écoutes téléphoniques est d'une autre nature, car plusieurs conditions doivent être remplies et la contradiction est possible. La référence à l'article 90ter lui paraît trop vaste et le champ d'application de cet article risque en outre de continuer à s'étendre.

Le ministre répond que les écoutes téléphoniques perdent en importance. Il y a d'abord le problème de la capacité; ensuite, les criminels téléphonent de moins en moins.

M. Istasse conclut lui aussi que le témoignage anonyme doit rester véritablement l'exception. La référence en question présente le risque d'un élargissement continuel du champ d'application. On pourrait également renvoyer à l'article 90ter pour toute utilisation des techniques spéciales de preuve.

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 19 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui dispose clairement que l'anonymat complet peut être garanti pour tout délit commis dans le cadre d'une organisation criminelle.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 21 (doc. Sénat, nº 2-876/4), qui vise à insérer à l'article 86ter, alinéa 3, proposé, les mots « avant et pendant l'audition du témoin » entre les mots « juge d'instruction » et les mots « les questions ».

Il s'agit d'apporter une précision de forme qui a pour but de bien insister sur le fait que le juge d'instruction peut répondre aux questions posées tant avant que pendant cette audition, comme le suggère le Conseil d'État.

Le ministre est favorable à cet amendement. Il considère qu'il s'agit là d'une explicitation de ce qui se trouvait déjà implicitement compris dans le texte.

L'amendement nº 22 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) tend à remplacer, à l'article 86ter, alinéa 3, proposé, le mot « empêche » par le mot « dispense ». Ce terme lui paraît plus correct d'un point de vue linguistique.

Le ministre estime que le terme « dispenser » implique une possibilité de choix, contrairement au terme « empêcher », qui comprend une interdiction implicite. Or, si le choix est laissé au témoin, ce dernier pourrait révéler éventuellement des éléments susceptibles de faire connaître son identité, ce qui serait de nature à compromettre la philosophie du projet.

Mme Nyssens comprend la nuance et retire dès lors son amendement.

L'amendement nº 23 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) vise à remplacer, à l'article 86ter, alinéa 4, proposé, les mots « si cette mesure est nécessaire pour préserver l'anonymat du témoin » par les mots « si la sécurité du témoin ou d'une personne de son entourage l'exige impérieusement ».

À l'instar du Conseil d'État, Mme Nyssens estime que la manière et l'endroit où se déroule l'audition du témoin ne sont pas sans importance au niveau du respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

L'intervenante s'interroge sur la ratio legis du texte en projet et se demande quand le témoin doit être entendu dans un espace séparé.

Le ministre estime que cet amendement est superflu. En effet, la mesure sera nécessaire pour préserver l'anonymat du témoin si la sécurité de ce dernier l'exige.

Le ministre répond, par ailleurs, que l'on décidera d'une audition dans une pièce séparée, lorsque, dans le cas où cela ne se ferait pas, le système de l'anonymat serait mis en péril.

L'amendement nº 24 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) a pour objet le remplacement, à l'article 86ter, alinéa 4, proposé, des mots « le Roi » par les mots « la loi ».

Mme Nyssens souligne la perplexité du Conseil d'État face à cette délégation au Roi.

L'intervenante se demande si le projet de loi ne donne pas une trop grande délégation au Roi qui dépasse les mesures d'exécution, et ce surtout dans une matière aussi sensible que celle des télécommunications.

Le ministre répond qu'un avant-projet de loi est déposé pour avis au Conseil d'État, projet qui concerne l'audition par moyens audiovisuels, et qui sera déposé prochainement à la Chambre.

Cet avant-projet de loi règle ces problèmes de principe de local séparé, de vidéoconférence, etc.

Lorsque le présent projet de loi prévoit que le Roi fixe les critères minimaux auxquels le système de télécommunications devra répondre, il vise les précisions d'ordre technique, telles que par exemple le nombre de décibels de l'installation, le nombre de fils rouges et bleus que comprendra l'installation, etc. Il n'est donc nullement question du principe de la séparation elle-même.

Mme Nyssens constate donc que ce projet de loi applique des principes prévus, par ailleurs, dans un autre projet de loi ou plutôt un avant-projet de loi.

L'amendement nº 25 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) concerne les conséquences de l'instruction d'une plainte pour faux témoignage.

Le contenu de cet amendement a déjà été défendu dans le cadre de la discussion relative au témoignage rendu sous l'anonymat partiel.

Il en va de même en ce qui concerne l'amendement nº 26 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4), et qui est subsidiaire à son amendement nº 25.

B. Votes

Les amendements nºs 10 et 11 de Mme Nyssens sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

Les amendements nºs 12, 13 et 14 de Mme Nyssens sont rejetés par 6 voix contre 3.

L'amendement nº 15 de Mme Nyssens est retiré.

L'amendement nº 19 de M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere est adopté par 5 voix contre 3 et 1 abstention.

L'amendement nº 21 de Mme Nyssens est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.

L'amendement nº 22 de Mme Nyssens est retiré.

Les amendements nºs 23, 24, 25 et 26 de Mme Nyssens sont rejetés par 6 voix contre 3.

Article 14

A. Discussion

L'amendement nº 1 déposé par Mme Leduc et consorts (doc. Sénat, nº 2-876/2) a été signé par tous les groupes politiques de la majorité au Sénat et vise à remplacer, à l'article 189bis proposé, le dernier alinéa par l'alinéa suivant :

« La condamnation d'une personne ne peut être fondée de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante, sur des témoignages anonymes obtenus en application des articles 86bis et 86ter. Ces derniers doivent être corroborés largement par des éléments recueillis par d'autres modes de preuves. »

Mme Kaçar fait observer que sur la base du texte actuel du projet de loi, il est possible d'obtenir une condamnation en se fondant sur une pluralité de témoignages anonymes convergents. Si le texte du projet devait rester en l'état, il serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Cet amendement vise donc à mettre le texte en conformité avec cette jurisprudence, en exigeant que le témoignage anonyme soit confirmé par au moins un élément recueilli par un autre mode de preuve apparaissant au dossier.

M. Vandenberghe constate que le texte, tel qu'adopté par la Chambre, prévoyait en son article 14, dernier alinéa, que « Les témoignages qui ont été obtenus en application des articles 86bis et 86ter ne peuvent être pris en considération comme preuves que pour autant qu'ils soient largement corroborés par d'autres moyens de preuve, à moins que la décision judiciaire n'indique les raisons, propres à la cause, qui justifient la preuve par différents témoins anonymes. »

L'intervenant s'interroge ensuite sur la portée des mots « dans une mesure déterminante » et « largement » proposés par l'amendement nº 1 de Mme Leduc et consorts.

L'intervenant fait en effet observer que la première phrase de l'amendement utilise les termes « dans une mesure déterminante » et la seconde phrase le mot « largement ». S'agit-il de deux choses différentes ?

M. Vandenberghe fait observer que la preuve en matière pénale se fonde sur la conviction intime que se forge le juge, à la lumière de l'ensemble des éléments. Il ne s'agit donc pas d'un système de preuve mathématique.

De plus, l'amendement prévoit que « la condamnation d'une personne ne peut être fondée de manière exclusive sur des témoignages anonymes ... », ce qui fait double emploi, dès lors qu'il est précisé que les témoignages anonymes doivent être corroborés par d'autres moyens de preuve.

Enfin, les termes « dans une mesure déterminante » sont de nature à signifier que le noyau central de la preuve (« kernbewijs ») serait constitué par le témoignage anonyme.

L'intervenant renvoie à son amendement nº 18 (doc. Sénat, nº 2-876/3), amendement de M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere. Cet amendement vise à remplacer le dernier alinéa de l'article 189bis proposé par ce qui suit :

« Les témoignages qui ont été obtenus en application des articles 86bis et 86ter ne peuvent être pris en considération comme preuves que pour autant qu'ils soient largement corroborés par d'autres moyens de preuve. »

L'orateur fonde son amendement sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

L'orateur demande enfin si le texte voté à la Chambre reflète le point de vue de la majorité.

Le ministre répond que le texte originel était tel qu'on propose de l'amender actuellement.

Mme Kaçar précise également que l'amendement constitue un retour au texte originel, tel qu'il a été déposé à la Chambre par le gouvernement, et tel qu'on peut le lire à la page 70 du doc. Chambrenº 50-1185/1.

Il s'agit ici de plus d'un témoignage anonyme.

M. Vandenberghe répond que cela ne se trouve pas dans l'amendement et qu'il y a lieu, dans ce cas, de l'y ajouter.

L'orateur insiste sur le caractère exceptionnel du témoignage anonyme. Il ne serait en effet pas réaliste de penser que dans chaque dossier répressif pourraient figurer trois ou quatre témoignages anonymes.

L'intervenant estime qu'il y a lieu de commencer par déterminer la valeur probante du témoignage anonyme. Celui-ci doit être suffisamment corroboré par les faits. Il s'agit avant tout de respecter la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, car le droit de la preuve est régi par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. La présente loi pourra donc être examinée par la Cour européenne des droits de l'homme, soit à l'occasion du recours d'un prévenu, comme ce fut le cas dans l'affaire Kostovski, où il fut question des conditions auxquelles un témoignage anonyme devait répondre, soit qu'une partie civile estime que les conditions sous lesquelles un témoignage anonyme peut être utilisé dans une affaire pénale en Belgique, sont trop sévères, eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Mme Taelman fait observer que les justifications des deux amendements en cause visent en réalité la même chose, à savoir qu'aussi bien dans le premier amendement que dans le second, il s'agit d'empêcher que l'on prononce une condamnation sur la base d'un témoignage anonyme ou sur la base de plusieurs témoignages anonymes, même s'ils sont concordants.

En d'autres termes, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il doit y avoir une autre preuve.

M. Vandenberghe répond que dans l'amendement nº 1, on instaure un système de pesée des témoignages. Le juge devra dire pourquoi une des preuves est « déterminante », ou pourquoi elle ne l'est pas. C'est ce débat juridique de nature à accroître la complexité du problème que l'orateur veut éviter.

L'intervenant estime qu'il doit suffire que le témoignage anonyme soit corroboré par suffisamment d'autres modes de preuve. Si, en plus, on exige que dans le cas où il y aurait plusieurs témoignages anonymes, ils ne puissent être déterminants, on impose une condition supplémentaire.

En effet, on constate alors une sévérité accrue dans la charge de la preuve lorsqu'on est en présence de plusieurs témoignages anonymes, puisque le fait qu'ils sont accompagnés de suffisamment de preuves corroborantes ne suffirait pas; encore faudrait-il que ces témoignages anonymes ne soient pas déterminants.

Dans le cas où il n'y aurait qu'un seul témoignage anonyme au dossier, il suffirait par contre qu'il y ait suffisamment de preuves corroborantes au dossier.

L'orateur trouve cette différence injustifiée.

Mme Nyssens fait observer qu'en français les termes « dans une mesure déterminante » sont tout à fait adéquats. Cette expression est utilisée par la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi par le Conseil d'État qui, dans son avis, p. 61 (doc. Chambre, nº 50-1185/1), s'exprime en ces termes : « pour autant qu'ils soient corroborés dans une manière déterminante par d'autres moyens de preuve ».

L'intervenante estime par contre que le mot « largement » n'est pas très adéquat, et signale qu'elle a déposé un amendement sur le même sujet qui utilise uniquement les mots « dans une mesure déterminante ».

M. Vandenberghe répond que le mot « déterminant » ne se trouve pas dans l'arrêt Kostovski.

Mme Nyssens fait observer que la version néerlandaise de l'avis du Conseil d'État utilise les mots « in afdoende mate ». L'avis du Conseil d'État renvoie par ailleurs à l'affaire Doorson.

M. Vandenberghe dépose l'amendement nº 39 qui vise à remplacer les mots « largement corroborés » par les mots « corroborés dans une mesure déterminante ». Il reprend aussi la formulation de la jurisprudence établie de la Cour européenne des droits de l'homme relative à la force probante des témoignages anonymes.

M. Vandenberghe fait observer que dans l'avis du Conseil d'État rendu p. 61 (doc. Chambre, nº 50-1185/1), il n'est pas question de la première phrase de l'amendement nº 1.

Mme Nyssens s'interroge quant à la genèse du dépôt de l'amendement de M. Erdman à la Chambre et quant au revirement par rapport au texte original.

Le ministre répond que l'amendement de M. Erdman est inspiré par le problème de la traite des femmes. Il est fort vraisemblable que les victimes de celle-ci ne soient disposées à témoigner qu'anonymement.

L'amendement nº 2 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/2) vise à supprimer, à l'article 189bis, alinéa 3, proposé, les mots « à moins que la décision judiciaire n'indique les raisons, propres à la cause, qui justifient la preuve par différents témoins anonymes ».

Mme Nyssens précise qu'il est évident que si l'amendement nº 1 de la majorité est adopté, son amendement deviendra sans objet.

Mme Nyssens entend par ailleurs retirer l'amendement nº 16B (doc. Sénat, nº 2-876/3) qu'elle avait déposé et qui visait à insérer, à l'article 189bis proposé, les mots « 75bis, 155bis et 317bis » après les mots « articles 86bis et 86ter ».

Cet amendement n'est en effet plus adéquat au vu de la problématique qui a fait l'objet de la présente discussion.

L'amendement nº 16A de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/3) entend remplacer, à l'article 189bis proposé, le mot « largement » par les mots « dans une mesure déterminante ».

L'amendement nº 29 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) vise à insérer, à l'article 189bis, alinéa 2, proposé, les mots « du témoin » après les mots « du prévenu ».

Mme Nyssens expose qu'il s'agit là du pendant d'un amendement déposé à propos de l'anonymat partiel des témoins, amendement qui avait été accepté par le gouvernement.

L'intervenante estime en effet qu'il n'y a pas de justification objective et raisonnable pour laquelle l'audition du témoin ne pourrait avoir lieu à sa propre demande.

Le ministre répond que dans le cas de l'anonymat partiel, il s'agissait de l'hypothèse d'un témoin qui demandait à être entendu.

Le ministre estime qu'il s'agit ici de circonstances différentes. L'orateur se demande, par ailleurs, quel intérêt le témoin pourrait avoir d'être entendu dans l'hypothèse visée par l'article 189bis, alinéa 2.

Mme Nyssens maintient son amendement.

L'amendement nº 30 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) entend remplacer, à l'article 189bis, alinéa 2, proposé, les mots « ou de la partie civile » par les mots « de la partie civile ou de leurs conseils ».

Mme Nyssens, toujours dans un souci de parallélisme, estime qu'il est utile d'ouvrir la voie aux conseils des parties civiles dans la demande d'audition ou de réaudition d'un nouveau témoin.

Le ministre marque son accord sur l'amendement nº 30.

L'amendement nº 31 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) part du constat que le texte en projet habilite le juge du fond à donner des ordres à un juge d'instruction.

Mme Nyssens estime donc que, dès lors qu'il s'agit de juges de même rang, cette solution paraît difficilement praticable.

L'intervenante s'interroge à l'instar du Conseil d'État sur les rapports qu'il peut y avoir entre le juge du fond et le juge d'instruction. L'oratrice se demande s'il est de coutume ou de droit qu'un juge du fond donne des instructions à un juge d'instruction.

Le ministre répond que dans l'hypothèse où il s'agirait d'un conseiller à la cour d'appel, il n'y aurait aucun problème, étant donné que la chambre des mises en accusation peut confier des missions et donner des ordres à des juges de rang inférieur, en l'espèce aux juges d'instruction.

Cela poserait plus de difficultés pour un tribunal correctionnel qui devrait donner un ordre ou confier une mission à un juge de même rang.

Le projet a néanmoins opté pour cette solution afin de préserver au mieux les données qui doivent être gardées secrètes.

Si le tribunal pouvait décider de réentendre le témoin, il y aurait lieu d'autoriser la cour d'assises de le faire également. On pourrait alors avoir 15 personnes (12 jurés et la cour) qui, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, seraient obligées de connaître l'identité complète du témoin anonyme.

Afin de ne pas saboter la philosophie du projet, il a été décidé de confier, à chaque fois, l'interrogatoire au juge d'instruction.

Mme Nyssens expose qu'il y avait une seconde idée dans cet amendement, à savoir celle d'opérer une distinction entre le témoin qui a déjà été entendu par le juge d'instruction et qui est donc réauditionné par le tribunal, et l'audition d'un nouveau témoin. Le texte en projet mériterait d'être précisé sur ce point. Il s'agit d'ailleurs, là aussi, d'une remarque du Conseil d'État.

L'oratrice se demande alors si le tribunal peut à la fois décider de l'audition d'un nouveau témoin et de la réaudition d'un témoin qui a déjà été entendu par le juge d'instruction.

L'amendement nº 32 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) vise à organiser un recours contre la décision favorable ou non d'entendre un nouveau témoin ou de réentendre un témoin déjà entendu, sous couvert de l'anonymat complet.

L'auteur sait que le gouvernement n'est pas favorable aux recours en cette matière.

B. Votes

L'amendement nº 1 de Mme Leduc et consorts est adopté par 7 voix et 2 abstentions.

Par suite de ce vote, l'amendement nº 2 de Mme Nyssens devient sans objet.

L'amendement nº 16A de Mme Nyssens est rejeté par 6 voix contre 3 et son amendement nº 16B est retiré.

L'amendement nº 18 de M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere ainsi que le sous-amendement nº 39 de M. Vandenberghe sont rejetés par 6 voix contre 3.

L'amendement nº 29 de Mme Nyssens est rejeté par 6 voix contre 3.

L'amendement nº 30 de Mme Nyssens est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Les amendements nºs 31 et 32 de Mme Nyssens sont rejetés par 6 voix contre 4.

C. Correction de texte

La commission décide unanimement de corriger le texte afin de rétablir la cohérence entre le présent article et l'article 16 du projet. À cet effet, le mot « largement » est remplacé par les mots « dans une mesure déterminante ».

Article 15

A. Discussion

L'amendement nº 33 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) vise à insérer, à l'article 315bis, alinéa 2, proposé, après les mots « de l'accusé », les mots « du témoin ».

Cet amendement constitue le pendant de l'amendement nº 29 (doc. Sénat, nº 2-876/4). Il fallait en effet rédiger aussi un amendement pour le cas de figure prévu à l'article 315bis, alinéa 2.

Le ministre apporte la même réponse que celle qu'il avait apportée lorsqu'il était question de l'amendement nº 29.

L'amendement nº 34 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4), tend à remplacer, à l'article 315bis, alinéa 2, proposé, les mots « ou de la partie civile » par les mots « de la partie civile ou de leurs conseils ».

Le ministre est favorable à cet amendement.

L'amendement nº 35 de Mme Nyssens (doc. Sénat, nº 2-876/4) vise essentiellement à préserver le droit pour les jurés, sinon d'interroger directement le témoin, du moins d'être présents à son audition par le président afin de former leur intime conviction.

Mme Nyssens se demande en effet si les règles habituelles du procès d'assises s'appliquent à l'article 315bis.

L'oratrice constate que cet article sur la cour d'assises est très court et se demande s'il ne serait pas judicieux d'y insérer que c'est par l'intermédiaire du président que l'on entend les témoins anonymes si ce n'est pas déjà sous-entendu.

Le ministre répond que le juge d'instruction entend le témoin anonyme sur la demande du président et ce dernier pourra décider s'il sera présent ou non.

L'orateur rappelle que seul le juge d'instruction ­ et donc pas le président ­ connaît l'identité du témoin.

M. Vandenberghe fait observer que le président peut reconnaître la personne en question.

B. Votes

L'amendement nº 34 est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Les amendements nºs 33 et 35 sont rejetés par 6 voix contre 4.

Article 16

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 17 (doc. Sénat, nº 2-876/3), qui vise à remplacer le mot « largement » par les mots « dans une mesure déterminante ».

Cet amendement est adopté par 8 voix contre 2.

IV. VOTE FINAL

L'ensemble du projet de loi amendé a été adopté par 7 voix et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Jeannine LEDUC. Josy DUBIÉ.