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12 JUILLET 2000
Voici la liste des personnes que la sous-commission a auditionnées dans le cadre du présent rapport.
Représentants du Conseil national ukrainien contre la traite des êtres humains (16 décembre 1999).
Mme C. Leclerq du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (24 janvier 2000).
Mme L. Detiège, bourgmestre d'Anvers (31 janvier 2000).
M. W. Demeyer, bourgmestre de Liège (31 janvier 2000).
M. F.-X. de Donnéa, bourgmestre de Bruxelles (31 janvier 2000).
M. G. Van der Sijpt, procureur du Roi au parquet de Bruxelles (7 février 2000).
M. F. Van Damme, substitut au parquet de Bruges (7 février 2000).
M. Dulieu, substitut au parquet de Liège (7 février 2000).
Une délégation de la police albanaise (8 février 2000).
M. P. Bourgeois, capitaine-commandant de la BSR de Bruxelles (14 février 2000).
M. W. Coumans, directeur général de la Croix-Rouge Communauté flamande (21 février 2000).
Mme N. Terweduwe, responsable du service « Tracing » de la Croix-Rouge Communauté flamande (21 février 2000).
M. C. Huvelle, directeur du département « Affaires internationales » de la Croix-Rouge Communauté française (21 février 2000).
M. M. Xhrouet, directeur du département « Affaires sociales » de la Croix-Rouge Communauté française (21 février 2000).
M. X. Declercq, directeur de la division « Mobilisation » d'Oxfam Solidarité (21 février 2000).
Mme M. Mata de Vergara, responsable du projet « Prévention des migrations » en République dominicaine (21 février 2000).
M. Ch. Hombroise, avocat général du parquet de Liège (20 mars 2000).
Son Excellence M. A. Oljelund, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume de Suède en Belgique (20 mars 2000).
Mme P. Sörensen, membre du Parlement européen (20 mars 2000).
Mme F. Bernard, coordinatrice de l'ASBL Sürya (20 mars 2000).
Mme A. Vauthier, coordinatrice de l'ASBL Pag-Asa (20 mars 2000).
M. B. Moens, coordinateur de l'ASBL Payoke (20 mars 2000).
Voici la liste des visites que la sous-commission a eues dans le cadre du présent rapport.
Voyage d'étude en Albanie et Italie (27 novembre 1999 2 décembre 1999).
Conférence à Rome sur la traite des jeunes femmes et des enfants en vue de l'exploitation sexuelle (30 novembre 1999).
Visite au commissariat de police de la ville de Bruxelles (17 janvier 2000).
Conférence à Rome sur la gestion et la coopération en matière d'immigration à partir des pays des Balkans (24-29 janvier 2000).
Visite au BCR (16 février 2000).
Voyage d'étude à Lyon, Genève et Paris (24-27 avril 2000).
Visite aux ASBL Payoke (Anvers) et Sürya (Liège) (2 mai 2000).
Visite à l'ASBL Pag-Asa (Bruxelles) (9 mai 2000).
Dans le cadre de l'examen, en septembre 1999, de la note d'orientation générale du gouvernement relative à une politique globale en matière d'immigration, la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives du Sénat a décidé d'évaluer la politique menée à l'égard des étrangers et de formuler des recommandations à son sujet. Les travaux de la commission du Sénat ont abouti au rapport sur « La politique gouvernementale à l'égard de l'immigration » (Doc. Sénat, nº 2-112/1, 1999-2000) qui a été approuvé par le Sénat le 3 mai 2000.
Il est toutefois apparu rapidement, au cours des débats au sein de la commission, que la problématique de la traite internationale des êtres humains et des réseaux de prostitution qui y sont liés devrait être examinée indépendamment de la politique du gouvernement belge à l'égard de l'immigration.
La Chambre des représentants a créé, dès 1992, une commission d'enquête en vue d'élaborer une politique structurelle visant la répression et l'abolition de la traite des êtres humains (1). Les travaux de cette commission d'enquête ont abouti à l'adoption de différentes lois (2). L'article 12 de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine (3) oblige le gouvernement à faire annuellement rapport au Parlement sur l'application de cette loi et sur la lutte contre la traite des êtres humains en général. L'arrêté royal du 16 juin 1995 relatif à la mission et la compétence du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme en matière de lutte contre la traite internationale des êtres humains (4) prévoit que le centre fait également un rapport indépendant et public d'évaluation sur l'évolution et les résultats de la lutte contre la traite internationale des êtres humains.
Il y a quelques années, la commission ad hoc que la Chambre avait créée en vue d'examiner ces rapports sur la traite des êtres humains, avait déjà formulé une série de recommandations (5). Les moyens mis à la disposition de la cellule Traite des êtres humains sont souvent insuffisants, de sorte qu'elle ne fonctionne pas de manière optimale. Le dernier rapport du gouvernement sur le trafic des êtres humains date du 9 décembre 1999 et concerne l'année 1998.
La commission de l'Intérieur et des Affaires administratives du Sénat a décidé, le 17 octobre 1999, de créer une sous-commission « Traite des êtres humains et prostitution » en application de l'article 26 du Règlement du Sénat (6). Cette sous-commission, qui compte neuf membres (7), a été chargée d'examiner la problématique de la traite des êtres humains en vue de leur exploitation sexuelle. Pour mener à bien cette mission, il y a lieu d'analyser l'organisation et le fonctionnement des filières, la situation dans les pays d'origine, l'accueil des victimes, la politique policière et l'appui logistique de celle-ci, la politique judiciaire et la collaboration policière et judiciaire au niveau international.
À l'occasion des différentes auditions devant la sous-commission, qui ont été organisées au cours des mois de janvier, février et mars 2000, les questions suivantes ont été posées aux personnes auditionnées :
Quelles sont les instructions émanant des autorités administratives (comme le bourgmestre, le ministre ?)
La collaboration avec les parquets, la communication et l'application des instructions du collège des procureurs généraux se déroulent-elles d'une manière satisfaisante ?
Quels sont les moyens mis à la disposition, en termes d'hommes, d'équipements, d'appui de services spécialisés (SGAP, BCR, PJ), etc. ?
Y a-t-il une collaboration entre les services de police sur le terrain ?
Comment la collaboration policière sur le plan international est-elle évaluée en ce qui concerne les pays voisins, les pays de l'Est et les pays asiatiques ?
Le soutien des instances policières internationales (Interpol, Europol) est-il satisfaisant ?
Sur quelles lois se base-t-on lorsque des actions policières sont entamées ? La législation existante est-elle suffisante pour mener des actions efficaces ?
Ce rapport tente d'apporter une ou des réponses à ces questions.
Comme on a constaté que la traite des êtres humains et la prostitution et ce qui les relie sont des phénomènes qui se concentrent dans les grandes villes, la sous-commission a axé principalement ses travaux sur les villes d'Anvers, de Bruxelles et de Liège. Le problème de la traite des êtres humains tel qu'il se présente à Bruges a également été examiné en raison de la proximité des moyens de transport par mer.
Les causes et les mécanismes de la traite des êtres humains ont été décrits en détail mais il ne paraît pas inutile de rappeler les principales lignes de force à cet égard. Le phénomène de la traite des êtres humains est un sous-produit néfaste du phénomène qui pousse les gens à émigrer, et qui résulte principalement d'une répartition inégale de la prospérité, de la paix et de la justice.
La traite des êtres humains n'est certes pas un phénomène nouveau, mais de plus en plus de gens font appel à des trafiquants pour émigrer plus facilement. Le nombre de pays concernés augmente, l'on voit apparaître des filières de plus en plus imbriquées et il semble bien que les réseaux criminels organisés jouent un rôle croissant.
De par l'ampleur et la complexité accrue du phénomène de la traite des êtres humains, les autorités publiques ont pris de plus en plus conscience du problème qu'il engendre et de la nécessité d'en combattre les effets négatifs.
Comme nous l'avons déjà dit, les raisons qui poussent les gens à quitter leur pays sont multiples : certains cherchent une vie meilleure, d'autres souhaitent une vie plus sûre et veulent échapper à des situations de guerre, à des persécutions, à la pauvreté ou aux violations des droits de l'homme.
On constate également que bien des pays ont renforcé les contrôles aux frontières et appliquent des règles plus strictes en matière d'immigration. Ils offrent donc moins de possibilités d'immigrer légalement. Il n'empêche que la plupart des pays de destination continuent à avoir besoin de main-d'oeuvre bon marché, et ce, tant sur le marché officiel du travail que dans le secteur informel. La conjonction de ces deux éléments a engendré une nette aggravation du phénomène de l'immigration illégale et de la traite des êtres humains.
On a donc vu apparaître un marché de services facilitant l'immigration illégale. C'est ainsi qu'il existe des filières de travail et de transport au sein de réseaux informels composés de proches et d'amis des immigrés, et ce tant dans les pays d'origine que dans les pays de transit ou d'arrivée. On fournit des services à petite échelle comme faire passer la frontière, surtout dans les zones frontalières, où ce genre de service est le fait de personnes possédant des camions ou des bateaux. Mais à côté de cela, il existe aussi de vrais grands réseaux de trafiquants disposant de contacts partout dans le monde et qui peuvent offrir toute une palette de services : faux documents, hébergement, transport. Ces réseaux apprennent même aux intéressés comment entamer les procédures d'asile ou contourner les contrôles frontaliers.
On fait miroiter aux yeux des immigrés potentiels la perspective de trouver du travail et d'avoir de beaux revenus pour mieux les convaincre d'avoir recours aux services chèrement monnayés de ces trafiquants organisés d'êtres humains. D'autres se trouvent dans les griffes de ces réseaux tout simplement parce qu'ils aspirent à une vie meilleure; ils payent alors volontairement les sommes demandées pour les services rendus sans avoir conscience des risques qu'ils prennent durant leur voyage ou dans le pays de destination.
Le profil de la personne qui entre en fraude par l'intermédiaire de ces réseaux s'est précisé au fil du temps. Une caractéristique importante est qu'elle a besoin de protection et d'aide tant durant le voyage qu'à son arrivée. Les victimes de réseaux criminels ne possèdent pas de papiers en règle parce que ceux-ci leur sont retirés; les intéressés atterrissent dans un environnement dont ils ne connaissent ni la langue, ni la culture, ni le système juridique et ils courent donc des risques en permanence. Ils sont donc entièrement dépendants des trafiquants.
Cela les rend particulièrement vulnérables à l'exploitation. Ils vivent dans un environnement inconnu et ont besoin de revenus pour subvenir à leur entretien ainsi qu'à celui de leur famille et pour rembourser leurs dettes envers les trafiquants.
En échange de la protection qu'ils offrent, les trafiquants d'êtres humains exigent souvent des clandestins qu'ils acceptent de travailler enfermés dans des « sweat-shops » et autres fabriques ou de participer à des activités criminelles, mendicité, prostitution obligatoire et autres formes de travail forcé. Leurs dettes, la confiscation des documents, la surveillance, le recours à la violence ou aux menaces à l'encontre des membres de la famille restés au pays sont autant de moyens de pression pour empêcher les victimes d'échapper à cette situation.
Il importe de noter que ces problèmes peuvent toucher non seulement des immigrés clandestins, mais aussi des immigrés en situation légale que l'on abuse sur le but de leur voyage ou qui, se mettant à la recherche d'un travail à leur arrivée, se retrouvent entre les mains de trafiquants d'êtres humains. C'est très souvent le cas de femmes qui pénètrent légalement dans un pays mais sont ensuite contraintes de travailler dans l'industrie du sexe.
Il est évident que, dans de telles situations, ces candidates à l'immigration ne sont pas seulement exploitées économiquement, mais qu'elles sont en outre victimes d'abus sexuels, de violences, de sévices et d'autres violations des droits de l'homme.
Dans de nombreux pays, ces victimes sont en principe traitées comme des illégaux et n'ont rien d'autre à attendre que le renvoi dans leur pays d'origine. En outre, elles sont souvent privées de toute forme d'assistance judiciaire ou d'aide médicale.
Même lorsqu'elles ont vraiment droit à une protection juridique dans le pays d'arrivée, la plupart des victimes du trafic d'êtres humains hésitent à dénoncer les crimes commis à leur encontre. Même si un trafiquant d'êtres humains est condamné, la seule conséquence pour la victime, c'est la crainte d'être refoulée tôt ou tard, ce qui ruine totalement l'investissement initial ainsi que l'espoir d'un meilleur revenu.
Bien que les trafiquants d'êtres humains passent en fraude aussi bien des hommes et des femmes que des enfants, le sexe est déterminant pour le niveau du danger couru, de la vulnérabilité et du risque d'exploitation.
Les femmes et les enfants sont plus facilement victimes d'actes de violence et de formes spécifiques d'exploitation, entre autres sexuelle.
De nos jours, le trafic d'êtres humains est devenu une activité qui s'exerce à l'échelle mondiale et génère des profits considérables pour les trafiquants et la criminalité organisée. Il pose de graves problèmes aux gouvernements de tous les pays concernés et engendre l'exploitation des immigrés et la violation de leurs droits de l'homme.
Les trafiquants d'êtres humains profitent de l'absence de législation spécifique dans de nombreux pays, ainsi que du manque de coordination et de mesures efficaces pour éradiquer ces pratiques. Ils tirent également parti du fait que les migrants potentiels n'ont pas suffisamment conscience des dangers qu'ils courent.
Au cours d'une audition devant la sous-commission, le 24 janvier 2000, Mme C. Leclercq, qui est attachée au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, a donné un aperçu général de l'état de la question en ce qui concerne la traite des êtres humains. Elle s'est basée pour cela sur le rapport annuel 1998 « Lutte contre la traite des êtres humains attention aux victimes », qui a été publié en mai 1999. L'article 11, § 3, de la loi du 13 avril 1995, contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains, donne en effet pour mission au centre de coordonner et de stimuler la lutte contre la traite des êtres humains. Cette mission a été précisée par l'arrêté royal du 16 juin 1995, lequel prévoit également que le centre élabore un rapport annuel indépendant et public d'évaluation sur l'évolution et les résultats de la lutte contre la traite des êtres humains (cf. supra).
Les trois rapports annuels précédents ont été critiqués, mais n'ont pas manqué de donner une impulsion importante à tous les acteurs de terrain. On a incontestablement enregistré des progrès dans la lutte contre la traite des êtres humains. Il serait toutefois illusoire de croire que la lutte contre ce fléau est terminée. Le combat contre l'exploitation révoltante des plus faibles doit rester au centre des préoccupations de tous les acteurs de terrain ainsi que du gouvernement.
À partir des données relatives à 734 victimes, transmises par les ASBL Pag-Asa, Payoke et Sürya, il est possible d'établir le profil des victimes connues de la traite des êtres humains pour la période comprise entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 1998.
Sur le total des victimes de la traite des êtres humains, enregistrées depuis l'entrée en vigueur, le 5 mai 1995, de la loi du 13 avril 1995 relative à la répression de la traite des êtres humains, 622 ont été exploitées dans le secteur de la prostitution. Dans la ligne des analyses faites dans les rapports précédents, il apparaît que le nombre de victimes dans les secteurs autres que celui de la prostitution est en croissance ou, du moins, qu'il devient plus visible. Il s'agit de l'exploitation économique, principalement dans les secteurs du textile et horeca, avec aussi quelques cas dans la cueillette des fruits, les boulangeries et la construction. Comme catégories spécifiques, on peut citer l'exploitation de sportifs professionnels, de personnel domestique au service de personnes jouissant du statut diplomatique, de jeunes filles au pair et de personnes abusées dans le cadre d'un mariage. Ensemble, ces catégories spécifiques représentent environ 11 % des victimes.
L'augmentation du nombre de victimes de la traite est à mettre principalement en relation avec la situation au Kosovo et en Albanie, d'une part, et avec la croissance du trafic de personnes en provenance du Sri Lanka, d'autre part.
Mme Leclercq a attiré l'attention sur l'augmentation du nombre de victimes en provenance d'Asie. Cette augmentation est à mettre en relation avec le trafic de personnes en provenance du Sri Lanka et avec la problématique des Philippines (et des Philippins) qui travaillent en tant que domestiques pour des gens qui jouissent d'un statut diplomatique. Par ailleurs, le nombre de victimes en provenance du Nigéria continue à croître. On constate en outre une augmentation du nombre des victimes en provenance d'Albanie, de Russie et de Roumanie. En revanche, le nombre de victimes en provenance d'Ukraine, de Bulgarie et de Hongrie diminue, comme l'indique le tableau ci-dessous.
1996 | 1997 | 1998 | Total Totaal |
|
Nigéria. Nigeria | 48 | 63 | 73 | 184 |
Chine. China | 3 | 17 | 22 | 42 |
Albanie. Albanië | 4 | 14 | 21 | 39 |
Ukraine. Ukraïne | 12 | 17 | 6 | 35 |
Thaïlande. Thailand | 8 | 16 | 6 | 30 |
Turquie. Turkije | 7 | 3 | 15 | 25 |
Russie. Rusland | 3 | 7 | 12 | 22 |
Maroc. Marokko | 3 | 8 | 9 | 20 |
Philippines. Filippijnen | 5 | 6 | 9 | 20 |
Bulgarie. Bulgarië | 1 | 12 | 6 | 19 |
Pologne. Polen | 5 | 8 | 5 | 18 |
Hongrie. Hongarije | 6 | 9 | 1 | 16 |
Inde. India | 4 | 7 | 5 | 16 |
Roumanie. Roemenië | 2 | 6 | 8 | 16 |
Sri Lanka | 0 | 4 | 11 | 15 |
Autres. Andere | 44 | 74 | 99 | 217 |
Total. Totaal | 155 | 271 | 380 | 734 |
Il ressort des données que plus de la moitié des victimes de la traite (et du trafic) sont âgées de moins de 25 ans. Les trois quarts des victimes ont moins de 30 ans.
Le tableau ci-dessous indique quel était le statut des victimes au moment où elles ont été trouvées.
Statut des victimes à l'accueil | Nombre | Pourcentage |
Illégal | 436 | 59,4 |
Visa touristique/court séjour | 63 | 8,5 |
Demandeur d'asile | 48 | 6,5 |
Ordre de quitter le territoire | 23 | 3,1 |
Carte d'identité spéciale (personnel diplomatique) | 8 | 1,1 |
Ressortissant de l'Union européenne | 7 | 1 |
CIRE | 6 | 0,9 |
Attestation d'immatriculation | 6 | 0,8 |
Autres (annexe 35/article 9) | 6 | 0,8 |
Déclaration d'arrivée | 4 | 0,5 |
Carte d'identité d'étranger | 4 | 0,5 |
Imprécis | 124 | 16,9 |
Total | 734 | 100 |
Il n'est pas étonnant que la grande majorité des victimes connaissent une situation administrative extrêmement vulnérable au moment où on les trouve : 62,5 % d'entre elles sont en séjour illégal et/ou ont reçu un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours.
La deuxième catégorie importante est celle des personnes qui se trouvent en séjour provisoire : demandeurs d'asile, personnes disposant d'un visa touristique, d'une attestation d'immatriculation, d'une déclaration d'arrivée, et les personnes reprises sous la catégorie « autres » (annexe 35, article 9 de la loi sur les étrangers). Ces personnes en situation administrative précaire représentent 17,1 % des victimes.
La troisième catégorie est celle des personnes qui disposent d'un permis de séjour de plus de trois mois. Elles représentent 2 % des victimes. Il s'agit de victimes ayant une carte d'identité spéciale (ou un certificat d'inscription au registre des étrangers).
Enfin, la quatrième catégorie est celle des personnes qui sont en séjour légal de longue durée : les ressortissants d'un État de l'Union européenne et les personnes titulaires d'une carte d'identité d'étranger. Celles-ci ne représentent que 1,5 % des victimes.
Durant ses travaux, la sous-commission a tenté, sur la base de l'audition de plusieurs bourgmestres et d'autres acteurs concernés, de dresser un état des lieux de la prostitution dans quelques grandes villes, telles qu'Anvers, Liège, Bruges et Bruxelles. Les membres ont chaque fois demandé de dresser une topographie détaillée du phénomène, en indiquant les endroits concrets concernés, en présentant des données chiffrées, etc. Ces informations sont reproduites ci-dessous.
Il convient toutefois de souligner que les données ponctuelles mises à disposition ne constituent qu'un instantané de la prostitution et ne reflètent pas nécessairement la dynamique ou l'historique de ce phénomène. Il n'est dès lors pas toujours possible d'en tirer des conclusions définitives sur la situation de la prostitution dans une ville déterminée.
Au cours d'une visite à la police de Bruxelles, le phénomène de la prostitution à Bruxelles a été commenté.
Comme dans d'autres grandes villes, la prostitution a toujours été présente dans les rues de Bruxelles. Au moyen-âge, elle se situait rue de l'Étuve (là où trône actuellement le Manneken Pis), tandis qu'au 19e siècle des « élégantes » racolaient dans les Galeries Saint-Hubert ou dans le quartier populaire des « bas-fonds » (emplacement de l'actuelle Cité administrative de l'État). Avec l'apparition du chemin de fer, le phénomène de la prostitution s'est plus particulièrement développé autour des grandes gares ferroviaires. En région bruxelloise, les environs de la gare du Midi et de la gare du Nord devaient connaître rapidement un regroupement des activités liées à la prostitution.
En ce qui concerne le territoire de la ville de Bruxelles, la prostitution devait plus particulièrement s'implanter dans le quartier de la chaussée d'Anvers, proche de la gare du Nord. À la fin des années 50, l'aménagement du futur site du WTC a mené à l'arasement d'une grande partie des habitations de la chaussée d'Anvers, provoquant ainsi un glissement de la prostitution vers le centre-ville, c'est-à-dire vers les rues situées entre la place de Brouckère et la Petite Ceinture.
Si, jusqu'à la fin des années 70, la prostitution sur le territoire de la ville de Bruxelles était essentiellement exercée par des personnes de nationalité belge, dès le début des années 80, l'on pouvait constater une diversification de la provenance des prostitués. Actuellement, la majorité des personnes se livrant à la prostitution sur le territoire de la ville de Bruxelles est d'origine étrangère (Belges 22 %), la majorité provenant des pays de l'Est et de l'ex-Yougoslavie.
L'on peut distinguer trois secteurs distincts de prostitution sur le territoire de la ville de Bruxelles. Ces secteurs présentent chacun des caractéristiques propres :
le secteur Emile Jacqmain proche de la gare du Nord, comprenant les rues des Commerçants, Saint-Jean Népomucène, du Pélican, du Cirque, le boulevard Emile Jacqmain, et le boulevard Albert II. Ce secteur est confronté à une forte densité de prostitution de rue, faisant usage de facilités hôtelières. Le boulevard Albert II est quant à lui plus spécifiquement confronté à la présence régulière de travestis d'origine sud-américaine, qui sont apparus à Bruxelles à la fin des années 80, chassés du bois de Boulogne (Paris).
En 1999, l'ampleur du phénomène de la prostitution et la forme qu'il avait prise dans la rue des Commerçants a suscité de nombreuses plaintes de la part des habitants du quartier (ce quartier venait de bénéficier d'une rénovation importante pour un montant de quelque 500 millions de francs). La situation était devenue tellement inquiétante qu'après des observations policières répétées et une analyse du phénomène, le bourgmestre a pris, en application de l'article 134quater de la nouvelle loi communale, une ordonnance de fermeture de deux hôtels qui favorisaient la présence des prostituées dans le quartier (cf. infra).
Secteur avenue Louise : la prostitution a fait son apparition dans l'avenue Louise au début des années 70. À l'époque, les prostituées étaient essentiellement de nationalité belge ou française. Depuis le début des années 90, on a vu apparaître des prostituées originaires des pays de l'Est. Actuellement, la prostitution dans l'avenue Louise est exercée principalement par des personnes originaires d'Albanie et du Kosovo. Il est certain que la présence de plusieurs hôtels de luxe n'est pas étrangère au phénomène de la prostitution dans les environs de l'avenue Louise.
Secteur place Fontainas : depuis le début des années 70, une prostitution exclusivement homosexuelle s'est développée dans les environs de la place Fontainas; cette évolution a été favorisée par la présence de nombreux établissements « gay » dans le quartier Saint-Jacques situé à proximité. Depuis le démantèlement en 1995/1996 d'un réseau de prostitution d'enfants macédoniens de 12 à 14 ans par le service Jeunesse de la police de Bruxelles, la prostitution homosexuelle aux alentours de la place Fontainas ne suscite plus de problèmes particuliers.
Le mont des Arts, la gare Centrale, le parc de Bruxelles et le parc du Cinquantenaire sont également des lieux de rencontre liés à la prostitution homosexuelle.
Bien qu'elle se rende compte que le phénomène de la prostitution était avant tout un problème de société, auquel ni des solutions judiciaires ni des solutions administratives ne pourraient apporter de solution définitive, l'autorité communale de la ville de Bruxelles a toujours prôné une attitude de fermeté à l'égard des perturbations de l'ordre public découlant de la prostitution.
L'action des autorités communales, et donc de la police, a toujours été dictée par la volonté de donner une réponse à la perturbation de l'ordre public que peut constituer la prostitution. Les atteintes publiques aux bonnes moeurs n'ont jamais été tolérées. Ainsi, la prostitution en vitrine, ou en carrée, n'a jamais été admise, contrairement à Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode.
En 1995, le procureur du Roi de Bruxelles proposait dans le cadre de la concertation pentagonale, la création de « zones de tolérance » en matière de prostitution. Ces zones devaient se situer sur les communes de Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode, Ixelles et Bruxelles. Le bourgmestre de la ville de Bruxelles et les autres bourgmestres ont immédiatement rejeté cette proposition, visant l'installation des zones de tolérance boulevard Emile Jacqmain et place Fontainas.
L'action actuelle de la police de Bruxelles tend à :
assurer l'ordre et la tranquillité publics dans les quartiers touchés par la prostitution;
réprimer les atteintes publiques aux bonnes moeurs;
lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme;
la protection des mineurs d'âge, concernant la lutte contre la pédophilie et la prostitution des mineurs.
Par lettre du 3 février 2000, M. de Donnéa, bourgmestre de Bruxelles, a communiqué la liste des prostituées mineures et majeures, interpellées sur la territoire de la ville de Bruxelles, entre 1997 et 1999.
Contrôle des prostituées 1999
Contrôle des prostituées par nationalité
janvier januari |
février februari |
mars maart |
avril april |
mai mei |
juin juni |
juillet juli |
août augustus |
septembre september |
octobre oktober |
novembre november |
décembre december |
|
Albanie. Albanië | 11 | 11 | 6 | 5 | 4 | 5 | 2 | 13 | 5 | 15 | 12 | 10 |
Magreb | 4 | 5 | 1 | 1 | 1 | |||||||
Belgique. België | 29 | 10 | 5 | 11 | 6 | 4 | 7 | 22 | 2 | 11 | 7 | 9 |
Europe de l'Est. Oost-Europa | 11 | 6 | 6 | 7 | 8 | 1 | 3 | 2 | 10 | 5 | 13 | |
Afrique Noire. Zwart-Afrika | 8 | 3 | 3 | 1 | 3 | 2 | 3 | 1 | 2 | 2 | ||
CEE hors Belgique. EEG zonder België | 7 | 5 | 1 | 4 | 3 | 2 | 3 | 3 | 1 | |||
Amérique du Sud. Zuid-Amerika | 19 | 4 | 16 | 5 | 1 | 4 | 19 | |||||
Asie. Azië | 1 | |||||||||||
République dominicaine. Dominikaanse republiek | 1 | 1 | 1 | |||||||||
Yougoslavie + ex-Yougoslavie. Joegoslavië + ex-Joegoslavië | 5 | 5 | 3 | 1 | 5 | 9 | 5 | 8 | 5 | 23 | 6 | 11 |
Inconnu. Onbekend | 3 | 1 | ||||||||||
Total. Totaal | 95 | 47 | 24 | 31 | 24 | 26 | 35 | 57 | 18 | 68 | 34 | 66 |
M. de Donnéa a également mis à la disposition de la sous-commission une liste des rues où sévit la prostitution dans les différentes communes bruxelloises (cf. le plan des rues en annexe). A Bruxelles-ville, il s'agit de la rue des Commerçants (entre la rue Van Gaver et la rue Saint-Jean-Népomucène), du boulevard d'Anvers (entre le boulevard Albert II et la chaussée d'Anvers) et de l'avenue Louise (entre la place Stéphanie et la chaussée de Vleurgat) en ce qui concerne la prostitution hétérosexuelle. La prostitution homosexuelle se situe place Fontainas (côté de la rue du Marché au charbon), rue de la Gouttière (entre la rue des Bogards et la rue des Moineaux) et boulevard Albert II (entre la rue du Peuple et le boulevard Bolivar). Dans ce dernier cas, il s'agit surtout de travestis. Les bars, enfin, se trouvent rue de Livourne (entre la rue Blanche et la rue Janson), rue du Cirque et boulevard Émile Jacqmain (entre la rue du Cirque et la rue du Pont-Neuf).
Les bars de la commune d'Ixelles où est exercée la prostitution se situent rue Capitaine Crespel, rue du Prince royal (entre la rue de la Grosse-Tour et la rue de Stassart) et rue du Trône (entre la rue du Viaduc et la place Blyckaerts).
À Saint-Gilles, on trouve des bars rue Berkmans (entre la rue de Suisse et la rue Capouillet), chaussée de Charleroi (entre la rue de la Source et la rue Berckmans) et rue Dejoncker (entre l'avenue de la Toison d'Or et la rue Stas). La prostitution hétérosexuelle sévit avenue Fonsny (entre la rue de Hollande et la rue de l'Argonne), rue d'Angleterre (entre l'avenue Fonsny et la rue de Mérode), rue de Russie (entre l'avenue Fonsny et l'avenue de la Porte de Hal) et rue de l'Argonne entre l'avenue Fonsny et l'avenue de la Porte de Hal).
Les carrées situées sur le territoire de Saint-Josse-ten-Noode se trouvent rue de la Prairie (entre la rue de Brabant et la rue Verte), rue des Plantes (entre la rue de la Rivière et la rue Dupont), rue Linné (entre la rue de la Rivière et la rue Dupont) et rue Verte (entre la rue de la Prairie et la rue des Secours). La prostitution homosexuelle est principalement active rue des Charbonniers (entre le boulevard Albert II et la rue du Progrès) et rue de la Bienfaisance (entre le boulevard Albert II et la rue du Progrès). Dans ces derniers cas, il s'agit de prostitution de travestis.
À Schaerbeek, enfin, la prostitution est l'affaire des bars situés rue d'Aerschot (entre le boulevard Saint-Lazare et l'avenue de la Reine), rue des Plantes (jusqu'à la rue Dupont), rue Linné (jusqu'à la rue Dupont) et rue Verte (jusqu'à la rue Dupont).
Durant une audition devant la sous-commission le 14 février 2000, le capitaine-commandant P. Bourgeois, officier adjoint à la BSR du district de gendarmerie de Bruxelles, a donné un aperçu détaillé de la prostitution dans l'agglomération bruxelloise. Celle-ci se concentre principalement dans les communes suivantes : Bruxelles, Ixelles, Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode et Saint-Gilles. On peut distinguer plusieurs formes de prostitution en fonction de son terrain d'action : la prostitution sur la voie publique, la prostitution dans les bars, la prostitution dans les carrées et la prostitution privée. Cet aperçu exclut les cabarets et les peep-shows, qui ne sont en principe pas concernés par la prostitution, puisque les femmes qui s'y produisent sont plutôt considérées comme des artistes (danseuses de caractère). L'expérience nous apprend toutefois que dans la pratique, on peut également rencontrer des faits de prostitution dans ce milieu.
Prostitution sur la voie publique :
Le phénomène de la prostitution sur la voie publique se rencontre principalement sur le territoire des communes de Bruxelles, Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode, Ixelles et Saint-Gilles.
Pour ce qui est de Bruxelles-ville, les zones concernées sont les suivantes :
avenue Albert II;
rue des Commerçants Porte d'Anvers;
avenue Louise;
place Fontainas.
Il faut noter à cet égard que la zone de l'avenue Albert II empiète également sur le territoire des communes de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode, si bien que celles-ci sont évidemment concernées aussi par le phénomène.
Pour ce qui est de la commune d'Ixelles, la prostitution se concentre principalement dans les rues qui jouxtent l'avenue Louise et où sont situés plusieurs « hôtels de passes ».
En ce qui concerne la commune de Saint-Gilles par contre, la prostitution se rencontre surtout dans les cafés situés à proximité immédiate de la gare du Midi et autour de ceux-ci.
La prostitution sur la voie publique est surtout le fait de jeunes femmes d'Europe de l'Est originaires d'Albanie et du Kosovo. On constate une augmentation du nombre de jeunes femmes d'autres pays d'Europe de l'Est, surtout des Roumaines et des Bulgares ainsi que des jeunes femmes en provenance de l'ancienne Union soviétique. Comme la plupart de ces jeunes femmes ont demandé le statut de candidat réfugié politique, elles disposent d'une « annexe 26 ». La prostitution sur la voie publique concerne aussi dans une moindre mesure des jeunes femmes ouest-européennes. L'expérience montre que ces femmes n'appartiennent que très rarement à un réseau de traite des êtres humains. Il n'empêche que certaines sont parfois sous le contrôle de « souteneurs », pour le compte desquels elles doivent travailler.
Dans le cadre de la prostitution sur la voie publique, on notera en particulier la prostitution masculine qui se pratique dans les environs de la place Fontainas et la présence de travestis d'origine équatorienne, qui évoluaient auparavant sur le territoire de la commune de Saint-Josse-ten-Noode et qui se sont à présent déplacés vers les abords immédiats de l'avenue Albert II.
À l'origine, la prostitution sur la voie publique se concentrait dans les environs immédiats de l'avenue Louise, de l'avenue Albert II et aux abords de la Gare de Midi. L'intensification des contrôles policiers ainsi que la démolition et la reconstruction de certains quartiers (Gare du Midi, zone Saint-Josse) ont provoqué un déplacement des zones de racolage vers l'avenue Albert II et la rue des Commerçants.
Les lieux de « passe » se sont également déplacés. L'intensification des contrôles sur le site du parking situé en face de l'Hôtel Président, où les prostituées de l'avenue Albert II avaient l'habitude de se rendre avec leurs clients, a entraîné un déplacement des « passes » vers d'autres endroits, notamment, et vers deux « hôtels de passe » de la rue des Commerçants. Une récente fermeture administrative provisoire de ces hôtels a provoqué un nouveau déplacement vers des maisons de rendez-vous situées dans la rue Van Gaver.
Dans la commune de Saint-Gilles, nous constatons à l'heure actuelle qu'une grande partie des prostituées fréquentent les cafés situés aux abords immédiats de la gare du Midi, d'où elles emmènent leurs clients dans les petits hôtels des environs.
La prostitution dans les bars
La prostitution dans les bars est en fait pratiquée dans un débit de boissons où les serveuses incitent les clients à consommer des boissons alcoolisées, ce qui implique que le bar en question ne peut pas être qualifié automatiquement de « maison de débauche ». Il faut alors pouvoir être en mesure de démontrer l'existence d'une forme de prostitution. La preuve peut en être apportée notamment :
par des contrôles permettant de surprendre la serveuse et le client en flagrant délit d'actes sexuels;
par des contrôles destinés à trouver des pièces à conviction tels que des préservatifs, etc.;
par l'interpellation de client qui font des déclarations à propos de leur activité et de leurs paiements dans le bar;
et finalement par l'interrogatoire de la serveuse elle-même.
Dans l'agglomération bruxelloise, cette forme de prostitution se rencontre principalement sur le territoire des communes de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode, plus précisément dans la rue d'Aarschot. À l'heure actuelle, cette rue compte une cinquantaine de bars.
On constate que, si l'on trouvait surtout des Européennes dans ces bars dans le passé, elles sont de plus en plus souvent remplacées par des « serveuses » venant de l'Europe de l'Est (principalement des Albanaises) et de l'Afrique occidentale. Au départ, on trouvait les jeunes femmes d'Europe de l'Est sur la voie publique. C'est par la suite qu'elles ont commencé à travailler dans les bars. Comme elles sont considérées comme des serveuses, elles doivent être en possession des documents requis pour pouvoir travailler dans un bar. Beaucoup n'ont dès lors qu'une carte d'identité fausse ou falsifiée. En ce qui concerne les jeunes femmes originaires de l'Afrique occidentale, il y a eu une évolution : si elles étaient d'abord porteuses de documents portugais ou britanniques faux ou falsifiés, elles ont maintenant pour la plupart une carte d'identité néerlandaise. En outre, les organisations en question se sont mise à utiliser de plus en plus souvent des « cartes d'identité pour étrangers » fausses ou falsifiées. L'on a constaté aussi que bien des jeunes femmes originaires de l'Afrique occidentale avaient une adresse dans la région anversoise, ce qui semble ne pas être étranger au fait qu'une opération de « nettoyage » a eu lieu à Anvers et que le phénomène s'est nettement déplacé vers Bruxelles. Si la plupart des Albanaises que l'on trouve sur la voie publique disposent d'une carte d'identité italienne, bien souvent volée dans les maisons communales italiennes, les Albanaises qui travaillent dans les bars sont généralement porteuses d'un passeport grec ou portugais.
Prostitution dans les carrées
Une carrée peut être définie comme un immeuble comportant une ou plusieurs chambres, généralement situées au rez-de-chaussée, où les locataires s'adonnent à la prostitution à titre individuel. Dans ce cas, l'objectif est bel et bien la prostitution. Le but n'est pas d'inciter à la consommation de boissons alcoolisées. Contrairement à ce qui est le cas en ce qui concerne la « prostitution privée », ces immeubles présentent les signes extérieurs qui révèlent leur finalité (l'éclairage au néon, par exemple). Lesdits immeubles sont dès lors connus comme étant des maisons de débauche.
Il s'agit concrètement d'immeubles qui sont situés sur le territoire des communes de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode et, plus précisément, dans les rues suivantes : rue de la Rivière, rue des Plantes, rue Linné, rue Verte, rue Dupont et rue de la Prairie. Actuellement, la commune de Saint-Josse-ten-Noode compte quelque 85 carrées et la commune de Schaerbeek une quarantaine. L'on y trouve des Européennes, mais aussi beaucoup d'Africaines originaires du Zaïre, du Ghana, d'Afrique occidentale, etc. Lors des contrôles, ces femmes déclinent généralement leur identité en exhibant une « annexe 26 » ou une « carte d'identité pour étrangers ».
À la suite des actions qui ont été menées par le passé dans les bars de la rue d'Aarschot, l'on a constaté un déplacement des prostituées ouest-africaines vers les carrées, semblable à celui qui a eu lieu d'Anvers vers Bruxelles. Les observations concernant la prostitution dans les bars valent également pour ce qui est de la prostitution des Ouest-africaines dans les carrées.
Prostitution privée
Concrètement il s'agit ici des nombreuses annonces que l'on trouve dans les quotidiens et les journaux et, plus précisément, de celles qui concernent des massages et des saunas. Ceux-ci cachent une forme de prostitution individuelle exercée dans une habitation privée ou dans un appartement privé que rien ne désigne de l'extérieur comme étant un lieu de prostitution. Ce type de prostitution existe dans l'agglomération bruxelloise.
Les jeunes femmes que l'on trouve dans la prostitution privée ont les nationalités les plus diverses.
L'expérience nous apprend aussi que plusieurs jeunes femmes peuvent être « mises au travail » dans un même lieu de prostitution privée. Il n'est donc pas exclu que des réseaux soient également à l'oeuvre dans ce secteur, comme on a déjà pu le constater dans le passé.
Le fait que la prostitution privée soit aussi cachée ne simplifie évidemment pas l'évaluation de son ampleur et de sa gravité. Il n'est pas étonnant dès lors que les services de police craignent par dessus tout qu'en s'attaquant, dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, à une forme donnée de prostitution, ils n'incitent les organisations visées à déplacer leurs activités vers cette forme de prostitution cachée.
Au cours d'une audition devant la sous-commission, le 31 janvier 2000, Mme L. Detiège, bourgmestre d'Anvers, a brossé le tableau de la prostitution à Anvers. À Anvers, la police et les autres services distinguent quatre zones de prostitution. Il y a tout d'abord le Schipperskwartier où la prostitution en vitrine domine. La ville s'est efforcée d'éliminer ce type de prostitution dans les environs de la Winkelhaakstraat et y est parvenue dans une large mesure. Dans la Van Straelenstraat et ses environs, la prostitution se pratique surtout sur la voie publique. Les services sont intervenus à plusieurs reprises. Dans cette zone, la prostitution est liée également au problème des hôtels, qui sont à la disposition des prostituées. Par ailleurs, il existe à Anvers des bars privés et des agences d'escorte et autres établissements suspects. Au total, ce sont quelque 1 200 à 1 500 prostituées qui exercent leur activité dans la ville.
Dans la « zone 1 », celle du Schipperskwartier, on compte 284 vitrines et il est difficile d'obtenir une vitrine car l'offre est limitée et la demande importante. Actuellement, les Albanais imposent une série d'exigences aux locataires principaux, ou aux prostituées. Les prix demandés sont très élevés : jusqu'à 4 000 francs par nuit et par vitrine ou 12 000 francs par semaine et par « roulement ». Dans certains immeubles, il y a trois roulements de 8 heures, mais généralement, le nombre est limité à deux. D'après des rumeurs, les Albanais établis dans le quartier feraient des offres pour acquérir les immeubles abritant la prostitution afin d'en avoir le contrôle. En l'espace de 24 heures, ce sont quelque 350 prostituées qui exercent dans cette zone.
Dans la « zone 2 », c'est-à-dire celle de la Winkelhaakstraat, on dénombrerait encore, en 1997, 81 vitrines. Elles ont à présent disparu, suite à la politique menée par la ville en collaboration avec le parquet. Cette politique a consisté à multiplier les contrôles et, pour la ville, à acheter plusieurs immeubles, qui ont ainsi échappé à la prostitution. Il reste toutefois dans des appartements du quartier des prostitutées originaires d'Afrique et des pays de l'ex-bloc de l'Est (d'Albanie principalement). On peut dire qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que la prostitution redémarre dans cette zone.
Dans la « zone 3 », aux alentours de l'Athénée, les contrôles fréquents ont chassé les tapineuses des portes cochères mais elles attendent souvent leur clientèle à l'intérieur des maisons de rendez-vous. Leur présence est même signalée par affichettes à l'entrée ou sur la façade des maisons en question. On compte environ 14 maisons de rendez-vous dans cette zone. Malgré les contrôles fréquents, on constate que les prostitutées tapinent encore parfois. Il y a dans la zone environ 40 prostituées, originaires principalement d'Afrique ou des pays de l'Est et possédant dans de nombreux cas le statut de candidat réfugié politique. En outre, c'est là que se trouvent les héroïnomanes. Le racolage agressif pratiqué par ces dernières est un élément dérangeant particulier pour le quartier. Par contre, une petite minorité de tapineuses belges plus âgées pose rarement des problèmes.
Enfin, il y a la « zone 4 », constituée par une cinquantaine de bars et de cabarets disséminés dans la ville où quelque 200 femmes exercent leur activité. Chaque jour, quelque 65 annonces pour la prostitution sont publiées dans les quotidiens et les hebdomadaires, dont certaines pour des escortes et des rendez-vous privés. Enfin, il y a quatre « peep-shows » en activité à Anvers.
À Anvers, la prostitution a évolué comme suit au cours des sept dernières années :
En 1992, on a constaté une augmentation de 319 prosituées.
En 1993, l'augmentation a été de 160 prostituées.
En 1994, l'augmentation a été de 250 prostituées.
En 1995, l'augmentation a été de 409 prostituées. La prostitution d'origine africaine s'est accrue de 112 personnes, principalement originaires du Nigeria, de la Sierra Leone, du Soudan et du Liberia, qui étaient toutes candidates réfugiées politiques. À l'époque, il n'était pas encore question de la prostitution albanaise.
En 1996, on a enregistré une augmentation de 301 prostituées, parmi lesquelles 10 Albanaises seulement. La prostitution africaine, par contre, a connu une progression spectaculaire, due principalement à des femmes originaires du Liberia et du Soudan, toutes candidates réfugiées politiques.
En 1997, on a constaté une augmentation de 315 prostituées, originaires pour la plupart d'Afrique (Soudan et Liberia). Une fois de plus, il s'agissait dans tous les cas de candidates réfugiées politiques. C'est à partir d'abus que les prostituées d'origine albanaise ont commencé à « investir » Anvers. On en a répertoriée 32 cette année-là.
En 1998, l'augmentation a été de 415 prostituées. La hausse du nombre de prostituées albanaises est remarquable : pas moins de 103 personnes. Celle du nombre de prostituées africaines est restée très élevée également. Il s'agissait cette fois encore de candidates réfugiées politiques.
Le rapport annuel 1999 n'est pas encore disponible.
M. Demeyer, bourgmestre de Liège, a donné un aperçu global du phénomène de la prostitution à Liège, lors d'une audition devant la sous-commission du 31 janvier 2000 et après, par une lettre du 16 mai 2000. M. Demeyer a également mis à la disposition de la sous-commission des cartes de la ville de Liège, qui permettent de visualiser l'implantation des différents secteurs de prostitution (cf annexe).
Il convient de distinguer la prostitution visible de celle qui s'exerce de manière beaucoup plus discrète. La prostitution visible est celle qui s'exerce dans trois secteurs différents :
les salons de prostitution : 92 salons se répartissent actuellement dans trois rues du centre-ville, la rue de l'Agneau, la rue du Champion et la rue Florimont;
les bars à serveuses : 22 bars subsistent encore dans le quartier des Guillemins, essentiellement rue Varin à partir de la rue Bovy et sur une partie de la rue Paradis;
les racoleuses sur la voie publique : elles arpentent principalement les artères du quai sur Meuse à proximité de la Grand'Poste.
Deuxièmement, il y a la prostitution qui est celle qui s'exerce dans les clubs « privés », à domicile, dans les studios loués pour la circonstance ou dans de pseudo-instituts de massages. On relève actuellement 7 clubs répartis comme suit :
1 club sur le territoire de la division du Centre;
1 club sur le territoire de la division des Guillemins;
4 clubs en Outremeuse;
1 club sur le territoire de la division du Longdoz.
Pour l'ensemble des secteurs, selon le relevé effectué en date du 18 avril 2000, il appert que 732 personnes prostituées exercent leur activité sur le territoire de la ville de Liège.
Comme le démontre le tableau statistique ci-dessous, ces personnes se répartissent en quatre catégories : 147 serveuses de bars et hôtesses de clubs poussant à la consommation, 157 prostituées en salons, 208 prostituées exerçant en « privé » ou dans les « instituts de massages » et 220 prostituées identifiés racolant épisodiquement sur la voie publique.
Statistiques sur les personnes prostituées
Catégories Categorieën |
Serveuses Barmeisjes |
Prostituées Prostituees |
Masseuses | Racoleuses Tippelaarsters |
Nombre en activité au 18 avril 2000. Aantal werkzaam op 14 april 2000 | 147 | 157 | 208 | 220 |
Nouvelles en 2000. Nieuwe personen in 2000 | 5 | 1 | 4 | 1 |
Nouvelles en 1999. Nieuwe personen in 1999 | 87 | 5 | 9 | 2 |
Moins de 21 ans. Minder dan 21 jaar | 8 | 1 | 2 | 0 |
De 21 à 30 ans. Van 21 tot 30 jaar | 69 | 34 | 74 | 61 |
De 31 à 40 ans. Van 31 tot 40 jaar | 37 | 67 | 71 | 110 |
De 41 à 50 ans. Van 41 tot 50 jaar | 24 | 33 | 30 | 26 |
De 51 à 60 ans. Van 51 tot 60 jaar | 9 | 16 | 25 | 6 |
Plus de 60 ans. Meer dan 60 jaar | 0 | 4 | 1 | 2 |
Âge ignoré. Leeftijd niet bekend | 0 | 2 | 5 | 15 |
Masculins. Mannelijke personen | 4 | 2 | 13 | 25 |
L'examen de ce tableau donne une bonne indication quant au nombre de personnes prostituées par catégorie d'âges et par secteur d'activité. La rubrique « nouvelles en 2000 » livre un aperçu du nombre de personnes ayant fait le choix de débuter cette année dans la prostitution, par secteur d'activité, en comparaison avec le chiffre total de 1999.
Une ventilation par nationalité a été réalisée et est reprise dans le tableau ci-dessous, qui a été dressé le 21 avril 2000. Il montre de manière très claire que la majorité des prostituées à Liège sont belges (76 %), suivies par des ressortissantes d'un pays de l'UE (11 %), puis par les personnes émanant de l'Afrique noire (3 %). On ne relève ensuite que 1 % de prostituées provenant de l'Europe de l'Est, 1 % d'Afrique du Nord et 1 % d'Asie (Philippines et Tailande). Le chiffre de 0 % correspond en fait à une ressortissante de l'État de Madère.
Une seconde répartition a été effectuée parmi les personnes ayant obtenu la nationalité belge par acquisition. Sur un total de 62 personnes, on en relève 29 dont la nationalité d'origine est inconnue (cette donnée n'était pas relevée systématiquement lors de l'enregistrement). On trouve ensuite 13 personnes provenant d'un pays de l'UE, suivies par 7 provenant d'Afrique du Nord (essentiellement les pays du Maghreb), 6 provenant d'Afrique noire (Ghana, Congo, Togo) et ayant épousé un Belge, 6 proviennent d'Asie (Phillipines, Thailande, Corée, Japon) et 1 provient de Haïti. Aucune (0 %) ne provient d'un pays de l'Est.
Cependant, depuis quelques mois, Liège est, comme d'autres grandes villes belges, touchée par la grande délinquence et en particulier le trafic des femmes en provenance des pays de l'Est. Il ne serait pas réaliste de penser que Liège échappe à une criminalité organisée, étant bien entendu une des cinq grandes villes, et a fortiori le milieu albanais peut y trouver un terrain fertile. Les ressortissants de ces pays tentent s'imposer dans le milieu, notamment de l'horeca. Mais les informations mentionnées ci-dessus montrent qu'on ne peut établir qu'ils aient pris un quelconque monopole, voire une place importante, dans quelque milieu que ce soit et notamment celui de la prostitution. Des divers contrôles effectués par la police, quasi journaliers, seules 4 femmes en provenance des pays de l'Est ont été recensées dans le milieu de la prostitution. Deux d'entre elles ont été orientées vers l'ASBL Sürya tandis que la présence des deux autres n'a été constatée qu'à la lecture des registres de bars, sans qu'il ait été possible de les interpeller physiquement, les intéressées n'ayant presté qu'à une ou deux reprises. Selon la brigade judiciaire de la police de Liège, aucun élément objectif ne permet de dire qu'il existe un racket organisé dans le système horeca, orchestré par des ressortissants des pays de l'Est, ni une filière de prostitution amenant des jeunes femmes de l'Est sur les trottoirs de la cité de Liège.
Lors d'une audition devant la sous-commission du 7 février 2000, M. Dulieu, substitut au parquet de Liège, a expliqué que la prostitution est une réalité à multiples facettes. On n'appréhende pas la prostitution en salon comme on appréhende un contrôle en privé.
La réalité des contrôles en privé montre la plupart du temps des dames qui font appel à du personnel pour faire fonctionner une « entreprise » dans un appartement ou un studio. La personne se prostitue elle-même ou est une ex-prostituée et les dames présentes là sont tout à fait volontaires. C'est une démarche la plupart du temps relativement libre de se livrer à ce type d'activité. La prostitution en bar ou en salon, c'est-à-dire en vitrine, est une réalité toute autre. C'est là qu'on constate par expérience les indices les plus flagrants d'exploitation réelle de la prostitution et de traite des êtres humains avec une notion de contrainte éventuelle ou d'abus d'une situation administrative précaire, comme le précise le texte pénal, ou encore d'utilisation de menaces ou de violence.
M. Dulieu a confirmé que le parquet de Liège constate une diminution constante des inscriptions de dames étrangères dans la prostitution. À l'heure actuelle, à Liège, il y 768 prostituées, à Seraing il y en a 353 et, sur la route de Bruxelles, 60. Elles sont belges en grande majorité. Le nombre d'inscriptions d'origine étrangère est en diminution constante. Il y eut, à un moment donné, une progression des Ghanéennes à Seraing mais les chiffres sont maintenant en chute libre.
Cependant, M. Dulieu a attiré l'attention de la sous-commission sur le fait qu'on peut constater et c'est très inquiétant des prises de pouvoir par la délinquance de l'Est sur les prostituées en place. Peut-être va-t-on vers une diminution des filières d'origine étrangère, qui seront remplacées par la prise de pouvoir sur le marché existant en Belgique par les délinquants de l'Est, qui ne se fatiguent plus pour mettre en place une filière d'importation de dames, mais prennent le pouvoir. Ils agissent de la même manière dans le secteur horeca. Et cela fait des émules : tout dernièrement, le parquet a eu, à ce sujet, des informations qui se sont concrétisées.
Au cours d'une audition de la sous-commission, le 7 février 2000, M. Van Damme, substitut au parquet de Bruges, a brossé un tableau de la traite des êtres humains dans l'arrondissement judiciaire de Bruges. Ce phénomène n'est apparu qu'en 1989, à la suite de la chute des régimes communistes en Europe de l'Est. De nombreux Roumains ont gagné, à l'époque, la côte belge, dans l'espoir de rejoindre ensuite la Grande-Bretagne ou le Canada. Le phénomène a pris des proportions considérables. En 1989, les services de police ont ouvert 200 dossiers pour séjour illégal et usage de faux papiers à charge de personnes interceptées à l'entrée de la Régie des Transports maritimes de l'époque, ou, pour quelques cas isolés, à Zeebrugge. Ce nombre est passé à 551 en 1990, 800 en 1991, 1 264 en 1992 et 1 508 en 1993. Depuis 1993, M. Van Damme est chargé, à la demande de son chef de corps, de suivre le problème de la traite des êtres humains.
Depuis la mi-1997 cependant, on constate un changement dans la traite des étrangers s'opérant à travers notre pays ou à partir de celui-ci à destination de la Grande-Bretagne. Jusqu'alors, la plupart des étrangers essayaient, dans une première phase, de demander l'asile politique en Belgique, en Allemagne, ou dans un autre pays de l'Union européenne, et ce n'est qu'après avoir épuisé toutes les procédures dans le pays où ils avaient demandé l'asile, qu'ils tentaient la traversée vers la Grande-Bretagne, avec l'aide de trafiquants. À partir de 1998, on voit de nouvelles organisations se jeter sur ce marché intéressant, et « exporter » un grand nombre d'étrangers directement de leur pays d'origine vers la Grande-Bretagne. On aboutit ainsi à ces cas, désormais bien connus, du semi-remorque que l'on ouvre sur le parking de Jabbeke et où l'on découvre de 10 à 15 passagers clandestins. Ces personnes sont généralement originaires de l'Albanie et du Kosovo, mais aussi du Sri Lanka. Actuellement, on constate qu'il y a également des Afghans. La nationalité de l'étranger ne joue en fait aucun rôle; les bandes organisées font passer tout le monde, peu importe de qui il s'agit, pourvu que le trafic rapporte.
Au vu des dossiers clôturés, on peut conclure que ces bandes disposent d'un réseau inépuisable de courriers. La tactique semble consister à opérer clandestinement en recourant à divers maillons ne sachant pratiquement rien les uns des autres. Il est donc difficile de réunir des informations sur l'ensemble du réseau. Une fois arrivé en Belgique, l'intéressé est amené par un ou plusieurs courriers jusqu'au port d'Ostende ou de Zeebrugge, ou au parking de Jabbeke, où on le met dans un semi-remorque à destination de la Grande-Bretagne. Il ressort des déclarations recueillies qu'il existe des bandes spécialisées dans la dissimulation des personnes à bord des semi-remorques. Le parking de l'autoroute E40 situé à hauteur de Jabbeke joue un rôle important dans cette filière. Il est connu dans toute l'Europe parce qu'à partir de là, on peut rejoindre Ostende, Zeebrugge ou Calais. Parfois, on a utilisé le chemin de fer : les intéressés ont été mis sur un train à destination de Bruges ou d'Ostende, où on les attendait pour les acheminer jusqu'à Zeebrugge ou au parking de Jabbeke. Les personnes impliquées dans la traite des êtres humains sont disséminées dans tout le pays. Elles opèrent à partir du Limbourg, de la Wallonie, de Gand, de Bruxelles. Bruxelles semble être la plaque tournante du trafic.
De plus, les personnes passées clandestinement savent parfaitement où elles doivent aller et qui elles doivent contacter une fois arrivées en Grande-Bretagne. Elles disposent toujours de numéros de téléphone et d'adresses. On a également constaté que le passage en fraude d'êtres humains vers la Grande-Bretagne n'était pas un problème spécifiquement belge; la France et les Pays-Bas sont confrontés à la même situation. Chaque année, des milliers de personnes partent clandestinement de Calais.
Il est clair qu'il se trouve, dans les pays d'origine comme dans les pays de transit, des criminels qui peuvent compter notamment sur la collaboration de fonctionnaires. Des organisations terroristes ou des groupements dissidents s'activent également sur ce marché où il y a beaucoup d'argent à gagner.
À côté de cette forme visible de trafic des êtres humains, il en est d'autres plus subtiles et tout aussi lucratives : mariages blancs, faux papiers, faux permis de conduire, prostitution, occupation illégale ou pour des salaires extrêmement bas. Telle est la forme invisible de la traite des êtres humains, qui est probablement plus dangereuse encore parce que susceptible de miner subrepticement la société. Celui ou celle qui contracte un mariage blanc ou peut produire un acte de naissance falsifié sera peut-être autorisé à rester dans le pays et servir ainsi de point d'ancrage à d'autres.
Enfin, n'oublions pas la criminalité qui se développe en marge de la traite des êtres humains et de la prostitution.
Au cours d'une audition devant la sous-commission, le 31 janvier 2000, Mme Detiège, bourgmestre d'Anvers a fait un exposé sur la manière d'aborder la problématique de la prostitution et de traite des êtres humains. La politique à mener est définie dans le cadre de la concertation dite « pentagonale », qui regroupe tous les services de police compétents et le parquet (cf. infra).
C'est ainsi que, le 25 mai 2000 a été organisée, à la demande du procureur Van Lysebeth, l'action « Tempête sur la ville », une opération de grande envergure contre la criminalité organisée. À cette occasion, plus de 350 gendarmes et agents de police ont hermétiquement fermé le « Schipperskwartier », le quartier de la « Falconplein » et le quartier de la gare, en vue de soumettre toutes les personnes qui se trouvaient dans ces quartiers à un contrôle approfondi. Au préalable, l'Office des étrangers du ministère de l'Intérieur avait, lui aussi, promis sa collaboration. Seize illégaux ont pu être rapatriés immédiatement, six cellules ont été tenues à la disposition des forces de l'ordre dans des établissements situés à Bruges et à Merksplas.
Cette action qui a été préparée pendant des mois a eu lieu une semaine après l'organisation d'une opération dans ces mêmes quartiers. Les services de police savaient dès lors de manière assez précise quelles étaient les personnes visées et ils ont ciblé essentiellement leurs actions sur les réseaux de prostitution et sur la traite des êtres humains. Ils se sont également intéressés au commerce de contrefaçons et aux casinos illégaux. À cette occasion, 100 illégaux ont été arrêtés et 63 personnes ont reçu une citation à comparaître. Une vingtaine de perquisitions ont ensuite été effectuées, essentiellement auprès de personnes suspectes de traite d'êtres humains. Le moment auquel l'action a été lancée, aux alentours de 18 heures, n'a pas été choisi au hasard. À 19 heures, les « équipes » changent dans le « Schipperskwartier », si bien que l'on y trouve de nombreux proxénètes à ce moment-là. C'est que le mal réside non pas dans la prostitution, mais dans tout ce qui tourne autour d'elle.
L'intention est de répéter à l'avenir pareilles opérations d'envergure.
L'on a demandé à la police de donner des informations aux nouvelles prostituées, mais il apparaît qu'elles n'en tiennent pas compte dans une phase initiale. C'est seulement dans un second temps que les prostituées utilisent les brochures qui ont été mises à leur disposition.
À l'observation d'un membre, que la traite des êtres humains concernait de plus en plus les enfants non seulement pour la prostitution, mais aussi à des fins d'adoption illégale et de trafic d'organes Mme Detiège a répondu que la cellule Moeurs menait actuellement une enquête sur la prostitution enfantine, à la demande du parquet. Il ressort que 15 à 20 enfants seraient concernés. On s'emploie à vérifier s'il y a dans la rue des enfants qui font l'objet d'abus, auxquels il se soumettent volontairement ou sous la contraite. La brigade jeunesse de la police est chargée d'entrer en contact avec ces enfants et de procurer un accompagnement psychologique. La tâche n'est pas simple, car il faut d'abord savoir gagner leur confiance. S'il est clair qu'il s'agit d'enfants de moins de dix-sept ans, on ignore totalement quel est leur âge exact.
Il y a quelques années, on a créé une cellule « Asie » au sein de laquelle la police, la gendarmerie et la police judiciaire collaborent pour effectuer des contrôles dans le quartier chinois. Ce groupe de population est toutefois très fermé et les plaintes enregistrées sont rares.
La bourgmestre a démenti fermement l'allégation d'un membre selon laquelle il y aurait collusion entre la police et les trafiquants d'êtres humains, même s'il y a quelques enquêtes en cours. On en saura peut-être davantage lorsqu'elles auront abouti, mais il est totalement inacceptable de prétendre que la police est corrompue.
Enfin, Mme Detiège a souligné que les bourgmestres des cinq grandes villes se rencontrent à des intervalles réguliers. Les commissaires en chef des mêmes villes en font autant. Il y a en outre régulièrement des rencontres dans le cadre du Forum belge pour la prévention et du Forum européen pour la sécurité.
Lors d'une audition devant la sous-commission du 31 janvier 2000, M. F.-X. de Donnéa, bourgmestre de Bruxelles, a expliqué les instructions qu'il a donné à la police de Bruxelles dans le cadre de la lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains. Tout d'abord, il faut poursuivre la prostitution là, où l'on croit qu'elle peut être le fruit de filières organisées de majeurs ou de mineurs, pour des raisons humanitaires évidentes de respect des droits de l'homme. Il faut tout faire pour démanteler ces filières et pour combattre cette prostitution. Par ailleurs, il est évident que l'éradication de la prostitution est impossible et n'est pas nécessairement utile en ce sens qu'une prostitution contrôlée remplit un certain rôle social. Ce qui est évidemment moralement inacceptable, c'est l'utilisation « d'esclaves », de personnes forcées, de jeunes femmes qui ont été violées et qui ont été mises de force dans la prostitution. Où que cela se passe, quels que soient les quartiers de la ville ou du pays où cela se passe, cela doit être combattu.
Deuxièmement, le bourgmestre donne des instructions très claires quant au fait qu'il ne veut pas voir de prostituées en rue ou le moins possible, dans certains quartiers qui ont été l'objet d'efforts de rénovation importants. Il a donné l'exemple du quartier de la rue des Commerçants, un quartier fort délabré qui a fait l'objet d'un contrat de quartier, financé par la Région et la ville de Bruxelles, et où l'on a investi un demi milliard en quatre ans. Il est clair qu'on n'a pas investi là pour voir fleurir les hôtels de passe. M. de Donnéa a ordonné d'intervenir tous les soirs, pour empêcher que ce quartier dans lequel on veut ramener du logement ne se transforme en quartier d'hôtels de passe, plus ou moins luxueux ou plus ou moins sordides. Sur la base de l'article 134quater de la nouvelle loi communale, qui a été inséré par la loi du 13 mai 1999 (Moniteur belge du 10 juin 1999), le bourgmestre a pris deux arrêtés de fermeture pour trois mois des deux principaux hôtels de passe, qui attiraient la prostitution dans ce quartier, essentiellement une prostitution d'Albanaises kosovares, vraies ou fausses, majoritairement des jeunes femmes des pays de l'Est. Depuis qu'on a fermé ces deux hôtels pour l'un des deux, une action est encore pendante au Conseil d'État la prostitution a sensiblement diminué dans ce quartier.
Il y a deux autres quartiers où la ville excerce également une pression pour qu'il n'y ait pas de prostitution de rue, pour des raisons d'ordre public et de rénovation urbaine. Il s'agit du quartier du boulevard Albert II, aux alentours de Belgacom, et du quartier de l'avenue Louise, sachant que ce dernier problème est particulier parce que les prostituées pénètrent dans les hôtels de luxe de l'avenue. Il est d'ailleurs intéressant de voir, même si c'est un détail, que l'habillement des prostituées de l'avenue Louise est un habillement tout à fait bourgeois, permettant de pénétrer n'importe où, tandis que les prostituées du quartier de la rue de Laeken, de la rue des Commerçants, du boulevard Albert II, ou les prostituées de Saint-Josse ou de Saint-Gilles sont habillées de tenues extraordinairement provocantes. Donc, manifestement, la ville de Bruxelles a la puce à l'oreille, mais il est très difficile de prouver qu'il y a des complicités dans ces hôtels. Cette complicité ne se situe pas au niveau des directeurs généraux, mais il est très difficile de savoir s'il n'y a pas de concierges, des garçons d'étage ou des femmes de chambre qui favorisent l'accès de ces jeunes femmes.
Le bourgmestre a fait remarquer, qu'il continue à refuser de donner comme instruction de fixer des zones de tolérance. Le parquet voulait édicter une telle directive mais, à l'unanimité des bourgmestres, on s'est opposé à cette initiative. Le fait de fixer explicitement des zones de tolérance revient à stigmatiser à tout jamais des quartiers et à empêcher leur rénovation. Une rénovation est en cours dans le quartier de la place Fontainas, qui est le quartier de la prostitution masculine. Cette rénovation se fait assez spontanément parce que la prostitution masculine se pratique plutôt à l'intérieur d'une série de bars qu'en rue, bien qu'il y ait aussi des lieux de prostitution masculine dans les bas fonds du Parc royal ou dans le Parc du Cinquantenaire. Selon le bourgmestre, il est certain que si la ville de Bruxelles déclare tolérer la prostitution masculine dans le quartier Fontainas, elle cassera la rénovation du quartier qui fera disparaître cette prostitution au fil des ans.
M. de Donnéa a observé qu'on est actuellement relativement désarmé face à une série de phénomènes. On constate qu'il y a un tel réservoir de jeunes femmes dans certains pays d'Europe de l'Est et, à certains moments, dans certains pays d'Afrique que, dès qu'il y a un problème dans un pays, les proxénètes se précipitent pour aller recruter dans ces pays, sachant que les jeunes femmes pourront également invoquer le droit d'asile, etc. C'est notamment le cas pour des jeunes femmes qui viennent de zones troublées qui tombent sous le coup d'instructions de non-renvoi des réfugiés ou soi-disant réfugiés politiques de ces régions.
Un deuxième problème est que le parquet de Bruxelles manque de moyens et n'a pas nécessairement toujours la même vision que les bourgmestres quant à la façon de lutter contre le phénomène. La tactique, proposée par le parquet de Bruxelles, de ne pas pourchasser les prostituées en rue, de façon à pouvoir prendre plus facilement les proxénètes, s'est révélée fausse parce qu'elle entraînait d'importants troubles de l'ordre public dans les rues où il y avait vraiment une invasion de prostituées.
De plus, il est vrai que la ville de Bruxelles manque de policiers. Cela n'est pas dû à un refus de recruter. La ville de Bruxelles a investi sur fonds propres, au cours des quatre dernières années, 1,1 milliard de francs dans les infrastructures de sécurité. Elle a décentralisé les commissariats dans les quartiers, etc. Bien que la ville a l'argent pour recruter et elle a des places au cadre pour recruter, elle ne trouve pas de candidats, même pas comme simple auxiliaire de police. C'est vrai dans les autres polices du Royaume, c'est vrai à la gendarmerie. Ce n'est donc pas un manque de volonté de la ville.
La ville fait beaucoup de publicité, mais il y a pénurie de candidats. En outre, il n'est pas si aisé de réussir les examens d'entrée. Au terme de la formation, certains candidats sont encore éliminés s'ils ne réussissent pas aux examens finaux. Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que les candidats qui ont une connaissance de niveau 4 de la deuxième langue nationale en début de formation doivent l'avoir portée au niveau 2 pour la fin de celle-ci. Enfin, les tâches d'un agent de police à Bruxelles sont beaucoup plus lourdes que dans une plus petite ville ou une commune plus paisible.
Le parquet manque également de moyens. Il n'a pas toujours la même façon de voir les choses que les bourgmestres, qui sont évidemment sous la pression de la population qui vit ces choses au quotidien. C'est très différent de voir les phénomènes d'ordre public et de prostitution, selon qu'on habite dans le Brabant wallon ou dans les quartiers où ces problèmes se posent. Certains problèmes se régleraient très vite si davantage de magistrats habitaient rue des Commerçants plutôt qu'à Woluwe ou dans d'autres communes aisées.
Le bourgmestre a indiqué qu'il commencera également à donner l'instruction ce qui est à la limite de la légalité de faire sentir aux clients qu'ils sont surveillés. Lorsqu'un client se fait racoler par une fille qui a quinze ou seize ans, il commet un délit, même s'il ne se rend pas coupable d'un acte de pédophilie puisqu'il n'est probablement même pas au courant de l'âge de la fille. La ville n'a pas encore placé des caméras dans ces rues concernées. C'est un problème délicat de respect de la vie privée. Mais on doit se poser la question de savoir, si on laisse n'importe qui se servir des prostituées, n'importe où, dans n'importe quelles conditions et quel que soit leur âge.
Que fait-on lorsqu'on ramasse des prostituées mineures ou soupçonnées d'être mineures ? Si on ne peut déterminer leur âge, on les emmène en général à l'hôpital Saint-Pierre ou dans un autre hôpital, où on fait une analyse osseuse et on les met à la disposition du juge de la jeunesse qui, en général, se met en rapport avec des institutions, faisant du très bon travail, qui visent à retirer les jeunes femmes de la prostitution. De temps à autre d'ailleurs, la police elle-même dirige aussi des prostituées majeures, qui demandent à être sorties de la prostitution, vers ces institutions, et ce directement sans passer par un juge d'instruction. On a eu des problèmes dans certains hôpitaux bruxellois, les médecins refusant de procéder à des analyses osseuses et ainsi de vérifier si oui ou non il y avait prostitution de mineurs d'âge, et ce sous couvert de toutes sortes de principes plus ou moins valables ou plus ou moins fumeux, selon le cas.
À la demande des membres de la sous-commission, le bourgmestre de Donnéa a communiqué, par lettre du 3 février 2000, quelques chiffres concernant la prostitution des mineurs. Sur les 715 et 877 prostituées qui ont été contrôlées respectivement en 1997 et en 1998, on n'a identifié aucune mineure d'âge. En 1999, 3 mineures ont été identifiées pour 522 prostituées contrôlées. On a précisé à cet égard qu'il était difficile de déterminer exactement l'âge des prostituées originaires de l'ex-Yougoslavie ou des pays ayant appartenu au Bloc de l'Est, du fait qu'elles disposent souvent de faux papiers. En outre, les tests effectués à l'hôpital Saint-Pierre ont montré que les mineures contrôlées n'étaient pas loin de la majorité. Les tests permettent de déterminer l'âge avec une marge d'erreur de six mois.
Selon M. de Donnéa, le nombre de filières organisées n'a pas diminué depuis 1998. La guerre du Kosovo a certainement accru l'afflux de prostituées, vu que les proxénètes disposent d'une plus grande réserve de candidates prostituées. Il s'agit souvent de jeunes Albanaises qui prétendent venir du Kosovo. Seuls les interprètes sont en mesure de distinguer les accents. On demande parfois aux jeunes femmes de donner le nom du bourgmestre de leur commune au Kosovo. La plupart du temps, elles en sont incapables. Récemment, les services compétents, tant la gendarmerie que la police et la magistrature ont demantelé une série de réseaux, mais ceux-ci ne tardent pas à renaître de leurs cendres. Les prostituées que l'on retire de la rue sont immédiatement remplacées. Elles viennent généralement de l'Italie. Elles parlent souvent un peu d'italien parce qu'elles ont fait un « stage » dans l'une ou l'autre ville italienne, comme par exemple Milan.
On n'a encore détecté aucune trace de protection supérieure. Il est toujours possible qu'un commissaire de police ferme les yeux, mais on n'a identifié jusqu'ici aucun personnage important dans les services de police qui collaborerait activement à l'organisation de la prostitution. Si ce devait être le cas, on interviendrait immédiatement.
La prostitution de jeunes gens dans le quartier de la place Fontainas est réprimée autant que possible. En 1995-1996, un réseau de prostitution de jeunes Macédoniens de 12 à 14 ans a été démantelé par le service de protection de la jeunesse de la ville de Bruxelles. Il apparaît toutefois que la prostitution homosexuelle dans le quartier de la place Fontainas ne pose pas de problèmes particuliers. La prostitution homosexuelle se pratique dans les jardins du Mont des Arts, à la Gare centrale, au Parc de Bruxelles et au Parc du cinquantenaire. Il est rare que l'ordre public soit perturbé dans ces lieux de rencontre. La police surveille toutefois discrètement les intéressés et intervient immédiatement lorsqu'elle soupçonne que des mineurs sont impliqués dans la prostitution.
Récemment, on a assisté à un afflux important de personnes originaires d'Europe de l'Est ainsi que de tziganes en provenance de Slovaquie. Souvent, elles étaient amenées par la chaussée d'Anvers jusque devant l'Office des étrangers dans des voitures avec chauffeurs munies de plaques étrangères, souvent allemandes. Nous avons donc soupçonné qu'il s'agissait de filières organisées et procédé immédiatement au contrôle de toutes ces voitures. L'identité des chauffeurs a été notée et toutes les personnes acheminées dans des voitures allemandes ont été signalées à l'Office des étrangers, qui pouvait ainsi les renvoyer immédiatement en Allemagne, en application de l'accord de Schengen. Comme l'on sait, nous n'acceptons pas de candidats demandeurs d'asile qui ont été déboutés dans un autre pays Schengen. Quelques dizaines ou centaines de personnes ont été renvoyées de cette manière. Les chauffeurs des voitures, généralement munies de plaques étrangères, ont tous été signalés au parquet. Dès que des contrôles de police quotidiens ont été organisés aux abords de l'Office des étrangers, l'acheminement a cessé complètement. Les personnes ont peut-être été déposées plus loin, par exemple dans les environs d'une station de métro à Koekelberg ou à Woluwe.
Lors d'une visite que la sous-commission a rendue, le 17 janvier 2000, à la police de Bruxelles, une attention particulière a été accordée à l'application de l'article 134quater de la nouvelle loi communale.
Depuis de nombreuses années, deux hôtels de passe étaient exploités rue des Commerçants. Petit à petit, ces hôtels ont attiré la prostitution dans la rue. La prostitution qui au départ était essentiellement une prostitution de jour s'est transformée en prostitution de nuit, avec pour conséquence des atteintes à l'ordre public et plus particulièrement à la tranquillité publique. Force était également de constater que le phénomène de la prostitution prenait une ampleur telle qu'il a suscité des réactions d'un comité de quartier. La ville et des promoteurs particuliers avaient également investi dans la rénovation de ce quartier déshérité, avec l'objectif de privilégier le retour à l'habitat. Le développement de la prostitution ne cadrait évidemment pas avec cet effort de revitalisation du quartier.
Face à l'absence de résultats des dossiers judiciaires visant à démontrer le proxénétisme hôtelier, notamment du fait que les prix demandés pour l'occupation des chambres n'étaient nullement excessifs, une fermeture administrative de ces deux hôtels de passe a été envisagée.
Récemment, a été publiée au Moniteur belge la loi du 13 mai 1999, relative aux sanctions administratives dans les communes, que l'on peut prendre pour punir les infractions à des règlements adoptés par les conseils communaux.
L'article 6 stipule : « Si l'ordre public autour d'un établissement accessible au public est troublé par des comportements survenants dans cet établissement, le bourgmestre peut décider de fermer cet établissement pour la durée qu'il détermine. »
Plus loin, le texte prévoit encore que la mesure doit être confirmée par le Collège, à sa plus proche réunion, et que la fermeture ne peut excéder 3 mois.
Le recours à cette nouvelle disposition, en vue de fermer administrativement les deux hôtels, était peut-être à tenter. Néanmoins un obstacle était à craindre, soit la réaction du Conseil d'État, puisque très souvent les exploitants frappés par de telles mesures vont en recours devant cette institution.
De très nombreux arrêtés des bourgmestres ont été, dans le passé, annulés par le Conseil d'État.
C'est ainsi que le Conseil d'État a toujours fait une distinction entre l'ordre public moral et l'ordre public matériel. Ainsi, il a toujours estimé, par exemple, qu'une discothèque ne peut être fermée, par mesure administrative, en raison de la présence de mineurs d'âge, d'utilisation de drogues, de détention d'armes ou par des faits de moeurs. Il s'agit d'atteintes à l'ordre moral et seul le pouvoir judiciaire a compétence en cette matière. Le fait que le pouvoir judiciaire ne prenne pas la décision de fermer un établissement ne permet pas selon le Conseil d'État, à la commune de s'accaparer de cette compétence exclusivement réservée au pouvoir judiciaire. Puisque la décision visait à juguler le phénomène de la prostitution dans un quartier, le Conseil d'État n'allait-il pas estimer que la commune empiétait sur la compétence du pouvoir judiciaire ?
La tournure limitative du texte du nouvel article 134quater, qui précise que : « l'ordre public doit être troublé autour de l'établissement par des comportements survenant dans l'établissement » faisait également craindre que le Conseil d'État estimerait que ce ne sont pas des comportements survenant dans ces hôtels qui troublent l'ordre public, mais que c'est la prostitution en rue qui est à l'origine des atteintes à l'ordre public. Le lien de causalité entre la présence des hôtels de passe et la prostitution, allait-il être admis, alors que ce ne sont pas strictement les comportements survenant dans les hôtels qui troublent directement le voisinage ?
Il fallait donc motiver le mieux possible les arrêtés qui seraient pris, afin de démontrer les perturbations de l'ordre matériel et de se situer dans la sphère de compétence de la commune, définie à l'article 135, paragraphe 2, de la nouvelle loi communale. Les mesures prises devaient donc viser à rétablir la propreté, la salubrité, la sûreté et la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics.
Après une longue phase d'observation et une audition des habitants du quartier afin qu'ils puissent exprimer leurs doléances face à la prostitution dans leur rue, deux arrêtés ont été signés, par le bourgmestre, en date du 24 décembre 1999, imposant une fermeture de trois mois des deux hôtels.
Cette enquête a mis en avant un lien certain entre la prostitution et la présence des hôtels dans le quartier, des atteintes à la commodité de passage avec notamment une multiplication par 6 du trafic dans la rue, de nombreux automobilistes ralentissant ou s'arrêtant pour regarder ou pour parler avec les prostituées, des stationnements en double file (636 infractions au Code de la route ont été relevées pendant la période d'observation), des atteintes, la nuit, à la tranquillité publique, par des conversations à haute voix et à distance entre les prostituées ou les hommes en relation avec ces dernières, des bruits d'avertisseurs sonores, de la musique produite par les installations sonores des véhicules, dont les vitres étaient abaissées, des atteintes à la sécurité ou à la salubrité publique (rixe en rue, découverte de préservatifs dans les boîtes aux lettres, ...). Ceci n'est qu'un résumé de la motivation des arrêtés qui ont été rédigés.
Ces arrêtés ont été confirmés par le Collège, conformément au prescrit de l'article 134quater.
Comme il fallait s'y attendre, les exploitants ont introduit des requêtes en suspension, selon la procédure de l'extrême urgence, auprès du Conseil d'État. Il est à noter qu'un des hôtels était exploité par une personne francophone et l'autre par une personne néerlandophone et que deux arrêtés, distincts mais similaires, ont été pris. Ce sont donc des sections différentes du Conseil d'État, qui ont examiné l'affaire.
La demande de suspension examinée en français a été rejetée par le Conseil d'État, qui fait remarquer que selon les termes mêmes de la demande de suspension, il résulte que l'hôtel n'est pas uniquement fréquenté par des prostituées et leurs clients, mais également par une clientèle fidèle de couples qui constituent, environ, la moitié de la clientèle et que de ce fait la partie requérante reconnaît ainsi implicitement, mais certainement, tenir une maison de débauche ou de prostitution au sens de l'article 380bis, § 1er, 2º, du Code pénal et que lorsqu'elle indique que la prostitution réalise la moitié de son chiffre d'affaires, elle reconnaît encore exploiter la prostitution d'autrui au sens de l'article 380bis, § 1er, 4º, du Code pénal. Le Conseil d'État fait alors remarquer que la demande en suspension tend notamment à ce que le Conseil d'État aide la requérante à continuer à tirer bénéfice de la prostitution d'autrui. Enfin, il fait remarquer que dans un monde où tout n'a plus de valeur que marchande, l'exploitation notamment hôtelière de la prostitution peut sans doute se réclamer du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, mais que cela n'implique pas que les juridictions doivent soutenir les proxénètes. Faute de se fonder sur un intérêt légitime, le recours a alors été jugé irrecevable et la demande en suspension a été rejetée.
La demande introduite par l'exploitant néerlandophone de l'autre hôtel a été examinée par la chambre de langue néerlandaise du Conseil d'État. L'arrêté pris par le bourgmestre de la ville de Bruxelles a été suspendu, contrairement à la décision prise par la chambre de langue française. Le Conseil d'État n'a pas examiné l'affaire au fond, mais a considéré que l'obligation d'entendre les parties avait été gravement enfreinte, bien que l'exploitant de l'hôtel eût été entendu. Celui-ci a été entendu, mais n'a pas souhaité faire de déclaration détaillée concernant le projet de fermeture. Il a déclaré qu'il se ferait défendre par un avocat dont il ne connaissait pas encore le nom, mais qui demanderait prochainement un entretien avec le bourgmestre. L'arrêté de fermeture a été signé par le bourgmestre quelques jours plus tard, avant que l'avocat n'ait présenté de moyens de défense au bourgmestre.
À la suite de cette décision du Conseil d'État, la partie concernée a été entendue en ses moyens de défense, et le bourgmestre envisage de prendre un nouvel arrêté au contenu identique, mais en appliquant une procédure qui respecterait mieux, cette fois, l'obligation d'entendre les parties. Cette procédure est en cours, et la décision du Conseil d'État sur le fond de l'affaire n'est donc pas encore connue.
L'article 134quater est nouveau, et on espérait que les décisions du Conseil d'État donneraient des précisions sur les limites de cet article. Le seul verdict de la chambre de langue française du Conseil d'État ne suffit pas pour se faire une opinion, mais la police de Bruxelles restera bien entendu attentive à la jurisprudence relative à cet article.
À l'occasion de l'enquête, la police de Bruxelles a demandé l'aide du ministère des Finances. Des inspecteurs de ce ministère ont surveillé les hôtels avec des membres de la police pendant toute une nuit. À l'issue de cette surveillance, les hôtels ont été immédiatement contrôlés et on a constaté que dans un des hôtels, la moitié seulement des clients étaient déclarés au fisc. Il va de soi que le ministère des Finances interviendra, lui aussi.
En conclusion, la police de Bruxelles estime que les autorités communales doivent rester compétentes en la matière, afin de pouvoir limiter la localisation de la prostitution et maintenir par exemple toute forme de prostitution, et même l'exploitation de commerces tels que les sex-shops, à l'écart des artères principales d'une ville ou des quartiers affectés au logement.
Au cours d'une audition qui a eu lieu le 7 février 2000, la sous-commission a entendu trois magistrats du parquet, qui ont brossé un tableau de l'attitude de la justice face à la prostitution et à la traite des êtres humains.
M. Van Damme, substitut au parquet de Bruges, a l'impression que, dans l'arrondissement judiciaire de Bruges, la prostitution est un problème que l'on peut désormais maîtriser, bien qu'il ne faille pas tirer de conclusions hâtives. On ne s'est attaqué sérieusement au problème qu'au début des années 90, à la suite du troisième assassinat qui a eu lieu, le 28 juillet 1990, dans un bar appartenant au même propriétaire. Le deuxième assassinat datait de deux ans auparavant. À l'occasion de cet assassinat, on a arrêté et incarcéré un certain nombre d'individus parce qu'un « parrain » d'Ostende avait aidé la justice à trouver le coupable. Cela a permis de s'intéresser de plus près au phénomène de la prostitution. Pour pouvoir mettre en évidence la prostitution, la justice a rassemblé et analysé tous les éléments des différents dossiers qui étaient examinés au jour le jour. Par exemple, le vol d'un portefeuille dans un établissement où son propriétaire dit avoir eu des relations avec une femme, indique que la prostitution se pratique dans cet établissement. En janvier 1993, à Ostende, une action a été organisée en toute discrétion, en collaboration avec 120 agents de la police, de la gendarmerie et de la police judiciaire, au cours de laquelle plusieurs personnes ont été arrêtées. Plusieurs d'entre elles ont été condamnées à de lourdes peines de prison et trois biens immobiliers d'une valeur de quelques millions de francs ont été confisqués en application de la loi de 1990 sur les confiscations spéciales. Cette confiscation a sans doute été une primeur, étant donné que la loi venait tout juste d'entrer en vigueur.
Il y a encore eu deux autres dossiers importants dans l'arrondissement judiciaire de Bruges. Mais, le tribunal de première instance de Bruges est souvent sur une tout autre longueur d'onde que la cour d'appel. Alors que, dans l'affaire précitée, le tribunal de Bruges avait condamné un accusé à une peine d'emprisonnement effective de cinq ans, la cour d'appel l'a acquitté. Et, une autre condamnation sévère a été ramenée, par la cour d'appel, à deux ans. Le premier condamné a vu sa peine de prison commuée en amende, tandis que son épouse bénéficiait du sursis.
Cela n'a toutefois pas empêché le parquet de persévérer. M. Van Damme a proposé à son chef de corps de créer une cellule « prostitution », de manière à pouvoir regrouper toutes les informations. L'avantage est que les enquêteurs peuvent faire fond sur un certain nombre de choses bien établies. On a également divisé géographiquement l'arrondissement pour l'organisation des contrôles. On a décidé que les bars d'Ostende seraient contrôlés par la police d'Ostende, les bars de Bruges par la police de Bruges, et que le reste de l'arrondissement serait de la responsabilité de la BSR d'Ostende avec le concours de la police judiciaire, sauf au niveau des dossiers. De cette manière, on a pu prévenir toute guerre des polices et collaborer en permanence avec le même personnel qui, de ce fait, était mieux motivé.
En outre, la police judiciaire a mis sur pied un programme informatique « Bar-Bar », qui figure en fait en partie dans la circulaire « COL 12 » du collège des procureurs généraux. Ce programme contient les données suivantes : les données provenant du contrôle des prostituées, l'identité du propriétaire de l'immeuble et du fonds de commerce, les connections avec d'autres établissements et sociétés. Le parquet a ainsi pu connaître le nombre de bars. En 1995, il y en avait 122; aujourd'hui, il en reste 100. Pour chaque commune, on connaît la situation de ces bars, dont on a dressé la cartographie et on dispose d'informations pertinentes à leur sujet. C'est ainsi qu'on constate qu'il y a actuellement deux bars à Middelkerke et 42 à Ostende. Pour chaque bar, on peut voir qui en est le propriétaire; souvent, il s'agit de personnes impliquées également dans d'autres sociétés.
Dans d'autres dossiers de vol de portefeuille, on peut retrouver des informations qui attestent de l'existence de la prostitution. Grâce au programme informatique, cette information est enregistrée dans une case prévue à cet effet, ce qui permet par exemple de suivre l'évolution de certaines femmes, qui, après avoir été serveuses, passent à la prostitution active, pour terminer comme exploitantes. À la côte, surtout à Blankenberge, il y a par exemple des Pakistanais qui exploitent des boutiques. Certains font faillite. On peut se demander ce qui s'est passé en matière d'ONSS et d'impôt. L'enquête ne peut pas toujours porter sur ces aspects-là, par manque de capacité, mais le programme permet de dépister certains réseaux.
Un des problèmes posés par la surveillance des bars est celui de l'organisation d'un tour de rôle parmi les agents pour éviter que ce ne soient toujours les mêmes qui contrôlent. La commission parlementaire d'enquête sur la traite des êtres humains a expressément réclamé cette alternance, y compris dans l'intérêt des agents. Cela ne se fait toutefois pas suffisamment. Il n'est pas évident de dire à un agent qu'il ne peut plus effectuer un contrôle déterminé, surtout lorsque l'intéressé s'acquitte convenablement de sa tâche.
Le parquet a également établi un questionnaire rédigé en néerlandais, en français et en anglais. Les acteurs de terrain peuvent se reporter à ce consensus et les procès-verbaux contiennent toujours les données nécessaires aux démarches ultérieures.
En ce qui concerne spécifiquement la traite des êtres humains, M. Van Damme a souligné qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 13 avril 1995, les services de police devaient faire avec l'article 77 de la loi sur les étrangers, tel qu'il était formulé à l'époque, et un article relatif aux passagers clandestins prévoyant une peine d'emprissonnement d'un an. On pouvait aussi, le cas échéant, recourir à la détention préventive, mais le procédé était très archaïque. L'excellente loi du 13 avril 1995 sur la traite des être humains a permis de s'attaquer au problème comme il se doit.
En 1995, il y avait 1 280 dossiers; en 1996, ce nombre est descendu à 850, pour remonter à 950 en 1997. Le nombre de dossiers est reparti à la hausse en 1998 et 1999 en raison des problèmes en ex-Yougoslavie. Bien que les dossiers soient ouverts à charge de personnes résidant illégalement chez nous, dans sa politique des poursuites, le procureur de Bruges ne vise pas spécifiquement ces personnes, mais bien les trafiquants d'êtres humains. On s'attache uniquement, par le biais de ces illégaux, à réunir des informations sur les trafiquants d'êtres humains. C'est précisément pour améliorer le sort des illégaux que l'on s'attaque aux trafiquants d'êtres humains.
M. Van Damme a attiré l'attention sur les ports de plaisance. Les ports de Zeebrugge et d'Ostende sont actuellement contrôlés, mais il y a aussi les ports de plaisance d'Ostende, de Blankenberge et de Nieuport, où il n'y a aucun contrôle. On ignore quelles embarcations partent de ces ports de plaisance, dans lesquels la police maritime n'opère pas. On surveille les mouvements liés à ces ports de plaisance, mais cela ne suffit pas. Dans le passé, des yachts ont déjà été loués pour transférer des personnes en Grande-Bretagne; certains intermédiaires de cette filière avaient déjà comparu en la cour d'assises. Il faudrait donc organiser un contrôle légal.
À l'origine, M. Van Damme était le seul substitut du parquet de Bruges à s'occuper de la traite des êtres humains, mais entre-temps les sociétés d'armement de Zeebrugge et d'Ostende ont fait monter sensiblement la pression : elles sont noyées sous les amendes et sont contraintes de réaliser des investissements supplémentaires. Grâce à la nouvelle loi, les juges d'instruction ont commencé à suivre, eux aussi, en 1995. Les juges du tribunal de première instance et les conseillers de la cour d'appel ont également été sensibilisés à la matière et s'efforcent de faire quelque chose. Mais la cour d'appel est sur une autre longueur d'onde que le tribunal de première instance. Dans deux affaires importantes, la cour d'appel a transformé une condamnation prononcée sur la base de l'article 77bis de la loi sur les étrangers en une condamnation fondée sur l'article 77. Cela pose un grave problème. L'instruction avait en effet mobilisé toute une série de policiers et on avait investi beaucoup de temps et d'argent ...
M. Van Damme estime que la justice devrait disposer de plus d'informations encore sur ce qui se fait dans l'arrondissement concerné. À l'heure actuelle, le parquet se base trop sur l'information qui lui est fournie par les services de police. Selon le Code pénal, c'est pourtant le parquet qui a la direction et la responsabilité de l'enquête. Il convient donc de mettre à sa disposition les moyens nécessaires, de sorte qu'il ne soit pas entièrement dépendant des services de police. Le parquet n'est pas toujours au courant des affaires dont s'occupent les services de police, qui disposent d'un budget propre.
M. Van Damme a déclaré être partisan d'une approche « par le bas », qui consiste opérer d'abord au niveau de l'arrondissement, puis au niveau national (autres parquets, Service de la Politique criminelle et magistrat national) et au niveau international. C'est parfois ce qui se fait dans la pratique, mais cette forme de concertation devrait être officialisée.
M. Dulieu, substitut au parquet de Liège, a expliqué devant la sous-commission, lors d'une audition le 7 février 2000, qu'il a commencé la gestion de cette matière en 1992, c'est-à-dire bien avant l'existence de la circulaire du collège des procureurs généraux de mai 1999. Le parquet de Liège a constaté que cette circulaire ne faisait que confirmer ce qu'on faisait déjà. Par exemple, les réunions de coordination avec, notamment, les acteurs de terrain ont lieu depuis bien avant 1992 tous les deux ou trois mois.
M. Dulieu souligne qu'il est tout seul pour gérer cette matière. Au parquet de Liège, il manque 11 candidats sur 40. Outre cette matière, M. Dulieu est appelé à traiter tous les grands trafics : stupéfiants, armes ainsi que tout ce qui relève du grand banditisme comme le braquage de fourgons, etc. Cela devient progressivement ingérable et très lourd.
À ces réunions de coordination, les services spécialisés dans la problématique de la traite des êtres humains, en l'espèce les BSR de Liège et Seraing, la brigade judiciaire de la police communale de Liège et Seraing ainsi que la police d'Awans, ont été invités dès le début.
L'objectif est multiple. Il consiste à faire l'examen des dossiers en cours. Chacun expose l'état d'avancement de son enquête en cours et les informations reçues. Cela permet de recouper des éléments. Le rôle du parquet est d'essayer de coordonner l'enquête, de faire les recoupements et de recevoir les doléances éventuelles des enquêteurs en la matière. Il décide éventuellement de la mise sur pied d'une équipe mixte dans une affaire quand on remarque que des éléments se recoupent et que des dossiers ont des connexions. Très tôt, on a également décidé de répartir les missions de contrôle en fonction des services. En effet, la manière d'appréhender la traite des êtres humains en matière d'exploitation de la prostitution doit prendre pour base de travail la prostituée elle-même à travers le contrôle, afin d'essayer de constater sa situation et de recueillir ce qu'elle a à dire. La police de Liège s'occupe des salons, se trouvant sur son territoire, et des « privées », c'est-à-dire des dames qui se prostituent en appartement ou en studio. La BSR gère la route de Bruxelles en collaboration avec la police d'Awans. La BSR de Liège traite les établissements situés sur l'arrondissement judiciaire de Liège, mais en dehors du territoire de la ville. La police judiciaire intervenait sur les privées, mais il n'y a plus de section proxénétisme en son sein. Cette mission a dès lors été reprise par un autre service.
À Liège, il n'y a pas lieu de changer régulièrement les services qui opèrent les contrôles. Comme dans toute profession, il est en effet indéniable qu'il y a des relations de confiance qui s'installent à un moment donné entre les enquêteurs et les prostituées qui sont contrôlées. M. Dulieu a donné l'exemple d'une dame en vitrine qui est sortie et a interpellé un policier de Liège qui faisait une ronde avec un chien. Elle était terrorisée par deux personnes albanaises qui sont allées la trouver pour lui faire comprendre qu'elle devait travailler pour eux. Cette dame a donné un minimum d'indications au policier de la brigade canine et ne voulait que parler avec un M. X, membre de la brigade judiciaire de Liège qui effectue, entre autres, les contrôles des salons depuis des années et qui a une relation de confiance avec la dame en question. M. Dulieu est d'avis qu'il est justifié de laisser un policier expérimenté dans son domaine avoir son propre réseau de renseignements, car sans informations, il est impossible d'avancer.
Les policiers travaillent au sein d'équipes pluridisciplinaires de trois personnes à la police de Liège, huit à la gendarmerie. La brigade judiciaire comporte plusieurs sections. Il arrive qu'un membre de la section « étrangers », connaissant également le milieu, vienne effectuer un contrôle, mais en général, il s'agit d'enquêteurs spécialisés. Le parquet de Liège a fait pression auprès des autorités communales pour que la section « moeurs » de la brigade judiciaire comporte des éléments féminins mais pour l'instant, elle ne compte qu'une seule femme. Il s'agit d'un point important, notamment pour l'accueil des prostituées qui viennent « s'inscrire » sur le territoire.
En ce qui concerne la politique criminelle menée à Liège, il est évident qu'il s'agit d'une priorité, tout particulièrement lorsque se produisent des faits d'exploitation de la prostitution liés à des menaces ou à des contraintes. Mais il n'est pas non plus tolérable que certains individus exploitent des prostituées, même avec leur consentement. Ces individus, qui évoluent le plus souvent dans la « multidélinquance », s'enrichissent grâce à ce type d'activité. Il est extrêmement difficile d'établir la source de revenus de ce genre de personnages, qui multiplient les activités : trafic de véhicules volés, hold-up, proxénétisme. Il faut s'attaquer par priorité à ces gens qui sont craints de tous et se comportent comme des parrains sur un territoire.
Depuis longtemps, le parquet de Liège associe les ASBL spécialisées aux réunions de coordination. À Liège, il s'agit du centre d'accueil Sürya, qui est actuellement en proie à des problèmes financiers : tous ses membres ont reçu leur préavis, alors que ce centre héberge actuellement un certain nombre de femmes ou entretient avec elles des contacts privilégiés. Ces centres constituent une source d'informations considérable. Des relations privilégiées existent entre les enquêteurs, le parquet et ce type d'ASBL. Grâce à leur collaboration, le parquet de Liège a déjà pu résoudre un certain nombre de dossiers.
Il y a plusieurs façons d'appréhender ce phénomène : d'une part, la technique « réactive », vocation première du parquet, qui consiste à réagir à l'existence d'une infraction après rédaction d'un procès-verbal initial. Il s'agit d'une position attentiste : on ne va pas au devant de l'événement, mais on attend de recevoir une information. Pendant des années, le parquet s'est contenté de ce type d'approche, qui a d'ailleurs permis le démantèlement d'une série de filières, notamment une filière luxembourgeoise.
À côté des salons et des proxénètes qui les exploitent, il existe également un « proxénétisme hôtelier ». Dans ce cas, les propriétaires des établissements où l'on se livre à la prostitution profitent de la situation pour demander des loyers exorbitants. Il existe à Seraing une rue célèbre, la rue Philippe de Marnix. Dans ces maisons ouvrières, rachetées chacune à Cockerill entre 150 000 et 200 000 francs, seul le rez-de-chaussée a été rénové et transformé en vitrine, l'étage étant condamné. Les prostituées paient des loyers entre 60 000 et 80 000 francs par mois. Certains propriétaires possèdent sept maisons et en retirent un profit que la loi du 13 avril 1995 qualifie d'« anormal ». En effet, dans la rue voisine, des habitations à usage privé dont les deux étages sont occupés sont louées entre 6 000 et 10 000 francs par mois. Les prostituées qui travaillent par pauses sont obligées de sous-louer pour supporter ce loyer. Il s'agit donc également d'une forme d'exploitation de la prostitution qui sort un peu du cadre habituel de la traite des être humains. Puisque la loi parle de mise à disposition d'un bien immobilier avec profit anormal, elle permet d'agir contre ces situations. Chaque immeuble a fait l'objet d'une expertise pour évaluer quel devrait être le loyer normal, qui a permis de constater que le propriétaire réalisait évidemment un bénéfice considérable. Plusieurs condamnations ont d'ailleurs été prononcées. Certains considèrent qu'il s'agit d'un simple investissement, mais cet argument n'est pas pertinent.
Dans d'autres cas, ces immeubles permettent à un proxénète éventuellement étranger, de réinjecter l'argent qu'il retire de son activité tout en restant dans ce milieu. Le proxénète rachète un immeuble, puis le loue à une prostituée qui ne fait pas partie de son réseau. Pour supporter le loyer, celle-ci est obligée de sous-louer à d'autres prostituées. En 1994, le parquet de Liège a ouvert un dossier proactif concernant la situation à Seraing où de nombreuses habitations sont affectées à cet usage. Le parquet a demandé à la BSR de dresser un relevé des propriétaires de ces habitations en se basant sur les données du cadastre. Étant donné la discordance entre les moyens du parquet et la réalité pénale sur le terrain, il faut dégager des priorités. C'est ainsi qu'on a choisi de poursuivre ceux qui détiennent plus de deux salons. Actuellement, sept dossiers sont à l'instruction. Chacun de ces immeubles a fait l'objet d'une perquisition et d'une expertise.
En ce qui concerne les proxénètes « classiques », qu'ils soient ou non membres ou chefs d'une filière, le parquet a décidé, le 23 septembre 1999, en conformité avec les directives ministérielles, de lancer une analyse stratégique limitée à l'arrondissement de Liège. Ainsi, on a créé un formulaire d'accueil destiné aux femmes étrangères souhaitant se livrer à la prostitution. Il y a plusieurs années, les missions de contrôle ont été réparties. L'un des services a pour mission d'inscrire les prostituées sur leur territoire. L'objectif de ce formulaire est de déceler des éléments concordants, permettant de mettre à jour une filière : récits stéréotypés, par exemple quant à l'entrée sur le territoire, similitude dans le mode de falsification des documents d'identité. Chaque fois qu'il y a un doute, les documents sont transmis à la brigade de gendarmerie de Grâce-Hollogue qui dispose d'un service spécialisé en la matière. Tous ces éléments, résultant du formulaire d'accueil et d'autres constatations, sont transmis au BCR de la gendarmerie et permettront l'élaboration d'une analyse stratégique. Les résultats feront l'objet d'une évaluation. À l'occasion des réunions de coordination rassemblant les services spécialisés, on discute d'un certain nombre de cibles. Les moyens judiciaires appropriés seront mis en oeuvre, des mises à l'instruction interviendront peut-être. Si en recoupant plusieurs déclarations, on voit apparaître une convergence vers un même individu ou un même groupe, un procès-verbal est fait. À cet égard, on constate un grave problème au niveau de la criminalité albanaise dans l'arrondissement de Liège.
M. Dulieu donne l'exemple d'un immeuble à Liège. En recherche proactive, 267 personnes ont été enregistrées comme habitant dans ce building. Ces personnes sont toutes albanaises et sont en train de prendre le pouvoir sur les dealers de la Place de la République française et de la Place Cathédrale, à Liège. On retrouve ces mêmes personnes dans les dossiers de tentative d'extorsion des prostituées qui ont adressé des plaintes à la brigade judiciaire. On a également retrouvé les intéressés comme étant cités dans des tentatives de prise de pouvoir de toute une frange du secteur horeca liégeois. Cependant, les patrons ne veulent rien déclarer. Tout le monde a peur.
M. Dulieu souligne que se pose aussi une question de moyens. Le parquet de Liège dispose de huit hommes à la BSR, qui constituent le fer de lance d'une analyse proactive, car il est impossible de mener une telle opération au niveau de la police communale.
Lors d'une audition devant la sous-commission, M. Van der Sijpt, procureur du Roi à Bruxelles, a évoqué quelques-unes des caractéristiques de la criminalité dans le domaine de la traite des êtres humains. Le délit « traite des êtres humains », se caractérise par l'obligation de démontrer d'abord la réalité du délit lui-même, ce qui implique une exigence supplémentaire dans la charge de la preuve. Dans le cas d'un vol, on a automatiquement un objet qui a disparu, et un voleur. On peut donc se mettre à la recherche de l'un et de l'autre. Ici, il faut d'abord démontrer la traite des êtres humains, ce n'est qu'ensuite qu'on peut rechercher les auteurs du délit.
Le caractère international de ce genre de délits est un problème supplémentaire. Les victimes sont forcément étrangères. Dans de nombreux cas, le parquet doit donc recourir à la collaboration internationale, qui reste problématique en matière pénale, en dépit d'instruments comme les accords Schengen. Les pays d'origine collaborent nettement moins que les pays de transit et les pays de destination.
Le troisième aspect important concerne les victimes. D'une part, la Belgique est un précurseur au niveau mondial parce qu'elle prévoit d'octroyer un statut spécifique aux victimes de la traite des êtres humains. D'autre part, le fait que cette matière est confiée à trois ASBL, qui doivent consacrer beaucoup de temps et d'énergie à trouver chaque année les moyens de leur survie, pose problème. À Bruxelles, le parquet collabore avec l'ASBL Pag-Asa qui parvient à survivre raisonnablement bien, en partie en raison de la qualité de sa direction et en partie aussi grâce au dévouement des personnes qui y travaillent. Le parquet et les services de police n'imaginent plus de se passer de la collaboration de ces ASBL dans la lutte contre la traite des êtres humains. Si l'on ne pouvait plus accorder le statut de victime de la traite des êtres humains, il deviendrait beaucoup plus difficile d'obtenir des informations auprès des victimes. C'est une chose essentielle pour l'administration de la preuve. On doit cependant éviter d'être trop prodigue avec le statut de « victime de la traite des êtres humains ». Une victime doit d'abord se reconnaître comme telle avant qu'on puisse lui octroyer ce statut. Ce n'est pas une tâche facile. On ne peut pas se permettre de perdre des victimes hébergées dans les maisons d'accueil car elles seront récupérées par le milieu criminel.
M. Van der Sijpt a souligné que Bruxelles était un arrondissement judiciaire spécifique, où la situation diffère totalement de celle de Gand, par exemple, où il n'y a qu'une seule police judiciaire, une seule BSR et une seule police communale. À Bruxelles, le parquet est confronté à 19 services de police communale, 9 brigades de gendarmerie, une police judiciaire et une BSR. Il faut ajouter à cela la région de Hal-Asse-Vilvorde qui compte un million et demi d'habitants qui est confrontée à d'autres problèmes que les 19 communes bruxelloises. La coordination n'est donc pas aisée. Il y a beaucoup d'information qui se perd, non par mauvaise volonté mais plutôt à cause du fonctionnement parallèle de différents services de police qui traitent tous la même matière.
Depuis septembre 1997 c'est-à-dire bien avant la « COL 12 » du collège des procureurs généraux des réunions sont organisées chaque mois. Dans la foulée, le parquet de Bruxelles a pris l'initiative de rassembler autour d'une seule table tous les services de police, spécialisés ou non, qui ont affaire avec la traite des êtres humains. Ces réunions se tiennent tous les mois dans les locaux de l'aéroport de Zaventem. Certains services de police y expliquent leur travail et précisent ce dont ils s'occupent présentement et quelles sont leurs cibles. On échange des informations « dures » et des informations « douces ». La police judiciaire de Bruxelles, la BSR de Bruxelles, la BSR de Hal, la BSR de l'aéroport de Zaventem, le BCR de la gendarmerie elle-même, les brigades de Schaerbeek et de Bruxelles, la brigade du métro, les services de police de Bruxelles, de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode assistent à ces réunions. Depuis la mise en application de la « COL 12 », assistent également à ces réunions les brigades d'Anderlecht, d'Auderghem, d'Etterbeek, de Molenbeek, de Laeken, de Rhode-Saint-Genèse, de Forêt et de Woluwé.
En tant que coordinateur des réunions mensuelles, M. Van der Sijpt s'efforce de créer un groupe homogène, ce qui permet, dans le cadre de ces réunions, de donner immédiatement des directives dans des dossiers concrets ou des directives générales concernant la lutte contre la traite des êtres humains en général. Un service de police qui a une idée particulière, comme par exemple la diffusion des empreintes digitales des auteurs et des victimes dans tous les pays de Schengen, peut en faire part aux autres services lors de ces réunions mensuelles. Les phénomènes nouveaux qui sont constatés par la police de l'aéroport de Zaventem, comme l'augmentation de l'usage de fausses pièces d'identité de certaines nationalités, pourront probablement être constatés également dans le milieu de la prostitution ou dans celui de la traite des êtres humains, notamment pour contourner la législation sociale. On peut ainsi anticiper certaines évolutions. La chose ne va cependant pas de soi. Il arrive que le magistrat du parquet doive agir davantage en gestionnaire de personnel qu'en magistrat, mais d'un autre côté, cela fait partie aussi des missions de base d'une structure de parquet moderne.
Il n'est pas nécessaire de se réunir plus d'une fois par mois. Les dossiers en cours reviennent tous les mois et sont complétés dans la mesure qui convient. Des réunions hebdomadaires constitueraient une perte de temps. Il ne faut pas non plus perdre de vue que lors de ces réunions mensuelles, les différents services de police prennent des accords concrets au sujet de dossiers spécifiques. Si donc on travaille sur un même groupe ou une même cible, les personnes concernées conviendront pendant la réunion mensuelle de se voir quelques jours plus tard pour conclure des accords concrets. Un des résultats des réunions mensuelles est par exemple que, dans les dossiers qui surgissent tout à coup, on dispose immédiatement des procès-verbaux émanant des enquêteurs initiaux ainsi que des autres services de police. Il y a quelques années, cela était beaucoup plus difficile. Aujourd'hui, les policiers ont compris que s'ils fournissaient une assistance dans un dossier judiciaire donné, ils bénéficieraient plus tard d'une assistance en retour. Dans différents dossiers, la brigade judiciaire de la police de Schaerbeek par exemple, peut faire appel à la structure de la gendarmerie de la BSR de Bruxelles pour organiser une action plus vaste, comme une série de perquisitions. Les réunions mensuelles sont l'occasion pour les participants d'apprendre à se connaître et nouer des liens d'amitié personnels.
Du fait du manque de moyens et de personnel, le parquet de Bruxelles est obligé de se fixer des priorités dans la lutte contre la traite des êtres humains. Ces priorités sont au nombre de quatre : la lutte contre la traite des êtres humains en général, la lutte contre la traite des êtres humains dans le cadre de la prostitution, la lutte contre les exploiteurs immobiliers un phénomène nouveau et la lutte contre la traite des êtres humains dans le cadre de la législation socio-économique.
Par les enquêtes sur l'exploitation immobilière en Région bruxelloise, le parquet vise surtout à s'attaquer aux propriétaires des immeubles car ils permettent aux étrangers de pénétrer dans le pays et d'y résider. Ils tombent donc sous le coup de la législation sur la traite des êtres humains. De plus, ils réalisent des profits anormaux et perçoivent de surcroît un loyer versé par le CPAS. Les lieux où les gens sont obligés de vivre dépassent l'entendement : la sécurité incendie n'est pas garantie et les équipements hygiéniques élémentaires font défaut. Les étrangers en séjour illégal n'ont pas le choix, car ils ne peuvent pas signer de bail. En fait, ils sont tous « victimes de la traite des êtres humains », mais ce statut ne peut pas leur être attribué sans plus, vu la capacité d'accueil limitée de l'ASBL Pag-Asa.
On se rabat donc sur l'Office des étrangers, qui peut rapatrier les intéressés, leur délivrer un ordre de quitter le territoire dans les cinq jours ou, à leur demande, ouvrir un dossier d'asile politique. Le parquet est donc pratiquement impuissant. La solution consiste à augmenter la capacité d'accueil.
Le parquet doit même définir des priorités parmi les priorités. Il s'ensuit par exemple, que, la traite des êtres humains dans les milieux diplomatiques n'est pas combattue alors qu'il existe des dossiers concernant des adoptions illégales, des « agences de voyage » qui « recrutent » systématiquement des étrangers dans certains pays pour les envoyer en Belgique, des mariages blancs, des cas d'occupation illégale de travailleurs et même des cas de prostitution privée. Les gens qui entrent en Belgique par l'intermédiaire des « agences de voyage » ont un objectif précis, qui est généralement le travail illégal. Ils entrent en Belgique avec un visa de tourisme de trois mois, mais restent dans le pays après l'expiration de celui-ci. Ce problème est lié à d'autres formes de criminalité comme le trafic de faux documents d'identité qui fleurit dans le domaine de la traite des êtres humains. Avec un faux passeport, on peut se faire inscrire dans une commune et obtenir la carte d'identité bleue ou jaune. À partir de ce moment, on dispose d'un document d'identité belge valable. Certaines prostituées ont soi-disant la nationalité italienne ou grecque alors qu'elles ne parlent pas un mot d'italien ou de grec. Il arrive même que certaines personnes acquièrent la nationalité belge grâce à une fausse pièce d'identité.
En ce qui concerne la traite des êtres humains liée à la prostitution, on donne la priorité à la lutte contre les organisations criminelles albanaises et nigérianes, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, ces organisations sont à la pointe de la prostitution et elles opèrent en outre avec beaucoup de violence. L'autre raison pour laquelle ces deux groupes sont particulièrement visés, c'est qu'ils ne se contentent pas de se rendre coupables de traite des êtres humains dans le cadre de la prostitution, mais qu'ils pratiquent aussi le transfert clandestin de personnes et la fourniture de main-d'oeuvre en violation de la législation socio-économique.
La présence d'un aéroport donne lieu à une série de problèmes spécifiques. La Cour de cassation a répondu positivement à la question de savoir si le parquet pouvait intervenir dans la zone de transit dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. Le trafic d'êtres humains vers la Grande-Bretagne se fait souvent par le biais de l'Eurostar. Il s'agit généralement de personnes originaires d'Europe orientale et plus particulièrement de ressortissants Albanais. Dans ces dossiers, le parquet de Bruxelles a choisi de se concentrer surtout sur la traite même et de transmettre systématiquement aux pays concernés les informations recueillies sur les organisations criminelles.
Il peut s'agir à cet égard du Nigéria ou de l'Albanie, mais aussi des pays voisins comme les Pays-Bas, la France et l'Allemagne.
Une méthode importante dans la lutte contre la traite des êtres humains consiste à faire usage de la recherche proactive qui permet aux policiers de rassembler, sous la direction et sous la responsabilité d'un magistrat, un maximum d'informations en vue de la constitution de dossiers réactifs dans le cadre de la lutte contre un phénomène déterminé. C'est permis par la loi et il importe que l'on apprenne à en user. S'il convient de faire preuve de prudence, la recherche proactive n'en demeure pas moins un moyen très important de lutte contre la criminalité organisée en général et contre la traite des êtres humains en particulier. Dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles, on a lancé quelques recherches proactives dans le cadre de plusieurs dossiers concernant surtout le milieu albanais, sans intention toutefois de viser la communauté albanaise ni d'en faire une radioscopie. Les recherches proactives permettent cependant de comprendre des phénomènes tels que l'influence du milieu criminel albanais sur le milieu de la prostitution, et permettent de rassembler des informations sur la base desquelles on pourra agir de manière réactive. Cette manière de procéder permet de s'attaquer rapidement à un phénomène. On ne gagne pas le combat contre la traite des êtres humains et contre la criminalité organisée en général en faisant intervenir la police ou en organisant une action d'envergure en rue, ce combat ne se gagne pas dans le bureau du magistrat du parquet ni par la délivrance d'un mandat d'arrêt par le juge d'instruction. On ne peut obtenir un résultat que lorsqu'un juge de fond prononce une peine de prison effective sur la base d'un dossier bien structuré. Voilà comment il faut voir les choses.
Une telle façon de travailler suppose un changement de mentalités, surtout au sein des services de police. Jusqu'à présent, l'on estimait que la bataille était gagnée lorsque le malfaiteur recherché était arrêté. Le combat n'est cependant que partiellement gagné lorsque l'on incarcère effectivement un individu pour une période déterminée. En faisant cela, on lance un signal au milieu criminel. Après quelques années d'application, cette option politique semble aujourd'hui porter ses fruits. Elle oblige en effet le milieu criminel à adapter constamment ses méthodes et à placer la barre assez haut. Il n'empêche que le parquet perd parfois la bataille, moins parce que ces collaborateurs concernés manquent de bonne volonté que parce qu'il n'y a pas suffisamment de moyens et d'effectifs. Il est urgent de remédier à cette situation si l'on veut que la lutte contre la traite des êtres humains soit efficace. On pratique en effet la technique de l'infiltration de manière très intensive.
À la remarque qu'a formulée un membre de la sous-commission, selon laquelle la loi-Franchimont constituerait un point faible dans la lutte contre la traite des êtres humains en ce sens qu'elle permet non seulement aux victimes mais aussi aux auteurs d'un délit de consulter les dossiers et fait peser ainsi une menace sur les victimes du fait que leur anonymat n'est plus préservé, M. Van der Sijpt a répondu qu'un suspect peut de toute manière consulter son dossier. C'est son bon droit. Il arrive d'ailleurs qu'il se fourvoie à cause des informations qui se trouvent dans le dossier, par exemple en allant les répéter à des tiers. Le noeud du problème réside toutefois dans le fait qu'il est très difficile de garantir l'anonymat des informateurs, des témoins et des victimes. Le monde judiciaire appelle de tous ses voeux une loi réglant l'usage de techniques policières spéciales, y compris dans cette question. Il incombe à la police et au parquet de garantir autant que possible l'anonymat de la personne qui fournit des renseignements et de la protéger autant que possible personnellement contre le milieu criminel. Elle y réussit jusqu'à un certain point, mais le fondement légal qui doit garantir le succès réel fait aujourd'hui défaut. En tant que magistrat du parquet, on doit se borner, à l'heure actuelle, à donner sa parole d'honneur sans pouvoir garantir qu'il n'y aura pas d'abus de la part d'autres personnes faisant partie de l'appareil judiciaire. La victime de la traite des êtres humains devra franchir un degré supplémentaire pour pouvoir témoigner.
Par ailleurs, le statut de « victime de la traite des êtres humains » offre, il est vrai, certaines garanties dans la mesure où il extrait l'intéressé du milieu criminel, du milieu de la prostitution ou de tout autre milieu criminel et lui assure accueil et accompagnement juridique et socio-économique. Ce n'est pas négligeable.
M. Van der Sijpt a souscrit à la remarque d'un membre de la sous-commission selon laquelle la victime d'un trafic d'êtres humains qui souhaite collaborer à une enquête est protégée pendant la durée de celle-ci, mais est souvent abandonnée à son sort dès que l'affaire est clôturée. Il arrive fréquemment que les intéressés n'obtiennent pas de permis de séjour permanent et qu'ils retombent entre les griffes de souteneurs parce qu'ils n'ont pas de moyens de subsistance. Lorsqu'ils reçoivent le statut de victime d'un trafic d'êtres humains, ils ont droit à une allocation du CPAS et sont accompagnés par un centre d'accueil, mais ils ne peuvent pas obtenir de permis de travail sans permis de séjour permanent. La situation actuelle, qui oblige chaque fois le parquet à confirmer que ces personnes sont et restent victimes d'un trafic d'êtres humains, est intenable. On travaille, il est vrai, à la préparation d'une directive qui doit permettre de leur attribuer plus facilement un permis de séjour permanent. C'est là une évolution favorable. À un moment donné, on devrait pouvoir dire que telle personne est définitivement victime d'un trafic d'êtres humains. Le magistrat titulaire du dossier de préférence le substitut qui porte l'affaire devant le tribunal devrait avoir le derniet mot, de concert avec l'Office des étrangers et les différentes ASBL, bien entendu.
Il faut cependant placer la barre raisonnablement haut pour accorder le statut de « victime d'un trafic d'être humains ». Comme il s'agit ici d'une reconnaissance importante, il est essentiel que les intéressés se considèrent d'abord eux-mêmes comme des victimes. Il existe en effet différentes sortes de victimes. Lorsqu'une personne contrainte de se prostituer se reconnaît comme victime et demande le statut, elle rejoindra beaucoup moins rapidement le milieu criminel que celles qui sont victimes d'un passage en fraude d'êtres humains. Ces dernières se considèrent plutôt comme des « clients » d'une organisation, ont souvent contracté de lourdes dettes et seront beaucoup moins enclines à collaborer avec les services judiciaires. Les organisations criminelles en tirent très habilement parti. Bien qu'en réalité elles en fassent des victimes, elles leur donnent la garantie d'encore obtenir une deuxième, une troisième ou une énième chance si elles ne dévoilent rien aux autorités. Il importe donc que les intéressés se considèrent comme des victimes.
M. Van der Sijpt considère que les autorités devraient réagir plus souvent au moment où l'étranger pénètre sur le territoire. Cette remarque est fréquemment formulée dans les milieux judiciaires. Les préposés de l'Office des étrangers n'ont pas actuellement le temps d'interroger une personne de manière approfondie, si bien qu'un entretien de 20 à 30 secondes en moyenne suffit à délivrer une « annexe 26 ». L'intéressé est souvent contraint de se prostituer, mais en cas de contrôle, il peut produire un document de séjour légal. Les exploitants menacent souvent de lui retirer ces documents.
Dans le secteur socio-économique aussi, les illégaux sont ainsi soumis à une rude pression. Les victimes sont sommées de se soumettre et menacées de confrontation avec la police des étrangers.
Les mineurs victimes du trafic d'êtres humains constituent en l'espèce un groupe spécial, tant dans le secteur socio-économique que dans la prostitution. Lorsqu'il s'agit de personnes de 16 ou 17 ans, elles peuvent être accueillies par les différentes ASBL; si, par contre, elles sont plus jeunes, on se trouve démuni. Un seul centre d'accueil existe depuis 1999, à Alost. À Bruxelles, ces cas sont systématiquement portés devant le juge de la jeunesse, lequel ne peut toutefois pas non plus apporter de solution immédiate. C'est le « groupe oublié » des victimes de la traite d'êtres humains. Il est difficile de donner des chiffres à ce sujet, mais ceux que communique la ville de Bruxelles (cf. supra) sont en tout cas inexacts. À l'occasion d'actions spécifiques visant les prostituées mineures en 1998 et 1999, différentes personnes ont été interceptées, parmi lesquelles on a dénombré chaque fois huit véritables mineurs à la suite d'un examen osseux. Ces personnes ont été placées. Pour six autres jeunes femmes, cet examen n'a apporté aucune certitude, mais sans doute étaient-elles également mineures. On a découvert en outre des mineures prostituées ou victimes d'un trafic d'êtres humains dans d'autres affaires également. Il s'agit chaque année de 25 à 30 victimes mineures.
M. Van der Sijpt a aussi attiré l'attention de la sous-commission sur le problème des mineurs que l'on rencontre à l'aéroport de Zaventem, le plus souvent dans la zone de transit. Il peut s'agir de bébés, mais aussi de personnes de dix-sept ans et onze mois, accompagnées ou non. Ce problème ne doit pas être sous-estimé et conduit parfois à des situations navrantes, comme dans le cas d'enfants de six ou sept ans, qui se retrouvent généralement à l'Office des étrangers, lequel soit les rapatrie, soit saisit le juge de la jeunesse. En 1999, on a ainsi recensé 167 mineurs, dont 70 étaient accompagnés. Le majeur qui les accompagne n'a lui-même, le plus souvent, guère d'informations sur l'origine de la victime, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants. Le trafic d'enfants existe, tant au départ de l'Asie que de l'Afrique noire. Dans ce dernier cas, il s'agit le plus souvent de regroupement familial. Il arrive que des mineurs non accompagnés soient abandonnés par le « passeur », parce que ce dernier a peur des contrôles ou qu'il a perdu l'enfant. Parfois, cependant, des enfants non accompagnés sont placés dans un avion, ce qui est rendu possible par l'absence de contrôle dans les aéroports du pays d'origine. Dans un certain nombre d'aéroports africains, il n'y a pas le moindre contrôle.
Il arrive que des enfants soient placés dans un avion par des membres de leur famille, dans l'espoir qu'ils connaîtront de meilleures conditions de vie, ou qu'ils soient abandonnés à leur sort, munis d'un petit mot. On a connu par exemple le cas d'une fillette chinoise de six ans qui parlait uniquement un dialecte et qui pleurait à longueur de journée. Personne ne savait que faire de cet enfant. Dans le meilleur des cas, ces enfants sont placés par le juge de la jeunesse dans une famille d'accueil, mais cette possibilité n'est pas illimitée. Avec des mineurs de 14, 15 ou 16 ans, on peut généralement obtenir suffisamment d'informations pour organiser un rapatriement, mais il s'avère qu'au retour, certains pays africains les mettent en prison.
Au cours d'une audition qui s'est tenue le 31 janvier 2000 devant la sous-commission, Mme Detiège, bourgmestre d'Anvers, a commenté les missions dont est chargée la cellule « Moeurs » du Service de recherches de la police anversoise. Il s'agit aussi bien de missions purement judiciaires que missions combinant l'administratif et le judiciaire.
Dans le cadre des missions combinant l'administratif et le judiciaire, la cellule « Moeurs » de la police anversoise surveille en permanence les activités liées à la prostitution sur l'ensemble du territoire de la ville d'Anvers. Grâce à cette surveillance globale, on peut rapidement signaler tout glissement de certaines activités liées à la prostitution, aussi bien aux autorités judiciaires qu'aux autorités administratives. L'exercice de cette mission a donné lieu à la création d'une banque de données automatisée, dans laquelle les informations sont enregistrées d'une manière systématique. Cette banque de données est conforme à la législation en vigueur relative à la protection de la vie privée et ne peut être modifiée que par les membres de la cellule « Moeurs » du Service de recherches de la police anversoise. Les informations sont toutefois à la disposition de tous les services de police police communale, gendarmerie et police judicaire lorsqu'elles s'avèrent nécessaires pour le bon déroulement des enquêtes. Pour éviter les abus, on vérifie toutefois pour quelle raison ces informations sont demandées. La banque de données est bien connue et souvent consultée. La plupart des dossiers le sont dans le cadre des enquêtes concernant la traite des êtres humains effectuées par des unités de recherche spécialisées, mais ils sont également nécessaires pour suivre l'évolution du milieu de la prostitution.
Dans ces banques de données digitales on trouve :
L'effectif des prostituées;
Les proxénètes notoires, c'est-à-dire les personnes qui exploitent couramment la prostitution;
Les exploitants responsables d'établissements moralement suspects (propriétaires de lieux de débauche, locataires principaux de vitrines, de bars, de mirodromes, responsables d'érothèques, de sex-shops, de salons de massage, de clubs et de bureaux d'escorte-prostitution);
Les informations concernant les personnes travaillant dans les établissements moralement suspects (chauffeurs, téléphonistes, barmen, portiers et autres);
Les informations concernant les firmes ou les établissements moralement suspects.
Toutes les données traitées dans cette banque de données proviennent tant des propres constatations que des procès-verbaux et des informations transmis par les services de police et elles sont saisies conformément au protocole d'accord conclu dans le cadre de la concertation pentagonale.
Pour ce qui est des missions purement judiciaires de la cellule « Moeurs » du Service de recherches de la police anversoise, Mme Detiège a souligné que, dans le cadre de la lutte contre l'exploitation de la débauche, la prostitution et la traite des être humains, on dresse toujours procès-verbal. Il peut s'agir de divers types de procès-verbal. On établit un « procès-verbal d'informations » lors de tout fichage, de toute identification d'une nouvelle prostituée ou d'un nouvel exploitant de mirodromes, de sex-shops et d'autres établissements moralement suspects. Un procès-verbal de ce genre, ne permet pas d'incriminer immédiatement une exploitation sexuelle. Lors de la première rencontre et du premier entretien avec la jeune femme, on ne voit généralement pas clairement si elle se prostitue volontairement ou sous la contrainte. On ne dispose, à ce moment, d'aucun élément permettant d'affirmer que l'intéressée est victime de la traite des êtres humains. Si la prostituée ne s'y oppose pas, elle sera photographiée.
La police anversoise établit un « procès-verbal de location de chambres en vue de la prostitution et de l'exploitation de la prostitution » lors de toute identification d'un exploitant, à savoir un donneur en loacation ou un propriétaire d'un établissement de prostitution (vitrines). Les « procès-verbaux d'informations » relatifs au fichage des nouvelles prostituées constituent souvent la clé de ces dossiers.
Lors de toute identification d'un exploitant de bar ou d'un responsable de bureau d'escorte, on rédige un « procès-verbal d'exploitation de la prostitution ». Ici aussi, les « procès-verbaux d'informations » constituent souvent le point de départ de ce genre de dossiers. Enfin, un « procès-verbal de publicité pour des services à caractère sexuel » est rédigé lors de toute identification d'un responsable d'un bureau d'escorte qui fait également de la publicité, ou d'une personne privée qui reçoit chez elle et fait de la publicité pour cette activité.
Le service de recherche de la police d'Anvers, cellule Moeurs, examine également, après concertation avec le parquet, tous les dossiers que la police a ouverts et qui comportent des éléments donnant à penser qu'il y a trafic d'êtres humains principalement de femmes dans le cadre de réseaux de prostitution comme la police dispose d'une documentation circonstanciée, l'intervention de la « cellule Moeurs » est souvent sollicitée par le parquet et par des juges d'instruction en cas de faits graves dans le milieu de la prostitution, comme des fusillades, des rixes, du racket, des menaces, des coups graves, etc. Ces faits sont souvent commis par des hommes de mains de trafiquants, qui assurent la protection et la surveillance de leurs « filles ». Outre les enquêtes relatives à de tels délits, la police anversoise suit de près les cas dans lesquels il est question de délits sexuels graves, comme les viols et les graves attentats à la pudeur.
La « cellule Moeurs » de la police d'Anvers a également donné un aperçu global des problèmes qui se posent en matière de prostitution.
À Anvers, la prostitution dans les bars a fait place à la prostitution en vitrine en raison des contrôles policiers intensifs et des multiples condamnations pour exploitation de maisons de débauche. La prostitution en vitrine implique que la prostituée loue une chambre ou un studio, sans bail écrit, le plus souvent à la semaine, dans laquelle elle se livre seule à la débauche ou à la prostitution. L'article 380bis, 2º, du Code pénal tenue d'une maison de débauche ou de prostitution n'est donc pas applicable selon la jurisprudence (cf. Cassation, 4 september 1984). L'on peut, par contre, appliquer l'actuel article 380bis, 3º, du Code pénal louage de chambres aux fins de la prostitution dans le but de réaliser un profit anormal pour poursuivre les propriétaires ou les loueurs de la chambre. L'article 380bis, 4º, du Code pénal exploitation habituelle de la débauche d'autrui peut, lui aussi, être appliqué éventuellement. Le simple fait de donner en location un immeuble dans lequel on se livre à la prostitution ne suffit toutefois pas. Ici aussi, la jurisprudence dit que le loueur doit en tirer profit, notamment en demandant un loyer anormalement élevé (cf. cour d'appel d'Anvers, neuvième chambre, arrêt nº 1117).
Les notions de « loyer anormalement élevé » ou de « profit anormal » donnent lieu à une jurisprudence partagée :
« (traduction) ... le loyer ne peut pas être considéré comme anormalement élevé, compte tenu de l'emplacement de l'immeuble et des loyers que demandait le propriétaire précédent ... » (arrêt nº 1117 de la cour d'appel d'Anvers;
« (traduction) ... Considérant que l'accusé fait valoir que le loyer demandé aux prostituées pour une vitrine est un prix usuel ... » (tribunal de première instance d'Anvers, 20 mars 1996);
Le juge du fond attribue également une responsabilité à la prostituée même, bien qu'elle soit souvent elle-même une victime et qu'elle soit exploitée :
« (traduction) ... Considérant que le contraire ne ressort pas du dossier et qu'aucune des « filles » ne s'est plainte d'un prix anormalement élevé ... » (tribunal de première instance d'Anvers, 20 mars 1996);
« (traduction) ... Le loyer de 12 000 à 14 000 francs par semaine et par équipe correspond à un prix usuel et les prostituées ne se sont pas plaintes à propos du loyer (tribunal de première instance d'Anvers, 15 octobre 1998);
En ce qui concerne la preuve du profit anormal, la taxe dite « de rendez-vous » que perçoit l'administration de la ville d'Anvers complique manifestement les condamnations, puisque le juge du fond en tient compte dans sa motivation. Cela ressort notamment du jugement du tribunal de première instance d'Anvers du 24 janvier 1996 : « (traduction) ... Le profit anormal n'est pas prouvé dès lors qu'il ressort des documents présentés par ces accusés qu'ils doivent payer chaque année à la ville d'Anvers, à titre de taxes communales, des montants considérables pour la location de chambres ... »
Il ressort des enquêtes menées par la police anversoise que les victimes du trafic d'êtres humains se rencontrent le plus souvent dans la catégorie des étrangers qui ont légitimé leur séjour en se déclarant candidats réfugiés politiques. Ces personnes se retrouvent souvent dans le milieu de la prostitution peu de temps après. Il en est ainsi des prostituées originaires d'Afrique et d'Europe de l'Est. On ne peut prendre contre elles aucune mesure administrative ou judiciaire. L'Office des étrangers s'abstient de toute mesure, parce que, dans bien des cas, l'enquête relative à leur candidature de réfugié politique est encore en cours. Même lorsque cette enquête est terminée et que l'intéressé a reçu l'ordre de quitter le territoire dans les cinq jours, il y donne rarement suite.
L'Office des étrangers ne rapatrie pas ces personnes, bien que les autorités anversoises connaissent l'identité de candidats réfugiés politiques albanais dont la demande a été rejetée et qui séjournent déjà depuis plus de trois ans dans la ville sans être inquiétés.
Lors de l'audition des « réfugiés kosovares » du milieu de la prostitution, les interprètes assermentés ont déclaré que la majorité de ces femmes parlent un dialecte albanais. Il ne fait donc aucun doute qu'elles sont originaires d'Albanie. Pourquoi ne fait-on pas cette constatation dès le premier entretien avec les intéressés à l'Office des étrangers à Bruxelles ? Les criminels qui se livrent à la traite des êtres humains et les trafiquants abusent en effet de cette situation.
Selon la police anversoise, la seule manière de lutter efficacement contre le phnénomène de la traite des êtres humains et de la prostitution, c'est de limiter les débouchés de ces criminels. Il semble dès lors indiqué de faire séjourner l'intéressée dans un institut fermé tant que la procédure de demande d'obtention du statut de réfugié politique n'est pas terminée. De cette manière, elle restera hors des griffes de son souteneur.
La police anversoise a déjà attiré l'attention des membres de la sous-commission sur le fait que lorsque l'on constitue un dossier, la loi Franchimont ne facilite pas les choses pour ce qui est de la confidentialité de l'instruction. En effet, si l'on souhaite démontrer l'existence d'un « profit anormal », il faut entendre les prostituées. Or, il s'avère que ces prostituées subissent des pressions de la part des loueurs afin qu'elles ne déclarent pas le loyer réel, qui s'élève de 12 000 à 15 000 francs par semaine et par équipe, mais un loyer d'un montant inférieur, à savoir 14 000 francs par mois. De plus, elles savent que le loueur à l'encontre duquel une instruction est ouverte peut demander une copie de leurs déclarations.
Toutes ces raisons ont conduit la police à changer son fusil d'épaule. Elle se contente de faire venir l'intéressée au commissariat pour avoir avec elle un entretien confidentiel qui lui permet d'obtenir des informations importantes. Ces déclarations sont alors consignées dans un procès-verbal qui est transmis au parquet. Le fardeau de la preuve est cependant nul dès lors qu'une déclaration écrite reste indispensable dans une enquête judiciaire sur une location consentie en vue d'obtenir un profit anormal.
La police anversoise a souligné que le seul moyen de sortir la prostitution de l'illégalité était de la reconnaître comme profession à part entière. Elle serait soumise à la législation sociale et l'on pourrait s'attaquer aussi au travail clandestin et au travail au noir. Le fait que l'on n'ait pas encore pris clairement position à ce sujet entrave la lutte contre la prostitution. Si la prostitution était reconnue officiellement, la personne qui se prostitue pourrait se mettre en règle de cotisations sociales et d'impôts et, après avoir mis fin à son activité, elle ne se retrouverait pas forcément dans la marginalité, comme cela arrive souvent à l'heure actuelle ou dans la dépendance du CPAS.
L'application de la loi du 19 février 1965 relative au permis de travail et à la carte professionnelle constitue également un instrument dans la lutte contre la traite des êtres humains. L'article 1er de cette loi dispose en effet que tout étranger qui exerce sur le territoire du Royaume une activité de caractère lucratif et indépendant doit être titulaire d'une carte professionnelle. La prostitution est indubitablement une activité à caractère lucratif. Le candidat réfugié politique n'a pas obtenu de dispense et est dès lors tenu d'être en possession d'une telle carte, conformément à l'article 7 de la loi. La loi du 19 février 1965 contient des dispositions pénales et prévoit également que les locaux peuvent être fermés si des personnes non titulaires d'une carte professionnelle sont prises sur le fait dans des établissements consacrés à la prostitution. Les contrôles peuvent être opérés de jour comme de nuit. Ces dispositions permettent d'exclure du monde de la prostitution les « touristes » hors UE.
La simple location de chambres à des prostituées ou l'exploitation d'une maison de débauche ne tombent pas en soi sous le coup de la législation pénale. Pour que ces actes soient passibles de poursuites pénales, il est également requis qu'il y ait un « profil anormal ». L'article 380bis du Code pénal empêche toutefois de prendre à l'encontre des loueurs ou des propriétaires d'immeubles des mesures à caractère administratif ou réglementaire par exemple par le biais de permis. Or, une politique de permis permettrait d'exercer un certain contrôle sur les loueurs ou les propriétaires, par l'imposition de normes minimales portant sur l'hygiène, à la dimension des chambres, à l'obligation d'enregistrement des prostituées titulaires d'une carte professionnelle, etc. En cas de non-respect de ces normes, la fermeture pourrait éventuellement être ordonnée par mesure administrative.
Les ressortissants hors Union européenne, principalement les ressortissants des pays de l'ancien Bloc de l'Est, franchissent actuellement les frontières sans guère subir de contrôles. De plus, ces personnes sont souvent munies de faux passeports correspondant à des nationalités pour lesquelles il n'y a pas d'obligation de visa (par exemple la Hongrie, la Pologne). Ces étrangers entrent en Belgique comme touristes, souvent accompagnés par des trafiquants qui leur ont fait de fausses promesses afin de les exploiter dans le secteur de la prostitution.
Lorsqu'un étranger entre dans le pays comme touriste, il a le droit de séjourner chez nous pendant trois mois. Durant cette période, les intéressées sont plongées dans le monde de la prostitution par les trafiquants d'êtres humains, les proxénètes et autres exploiteurs. Elles séjournent donc ici en toute légalité et la police ne peut pas vraiment intervenir.
En conclusion, la police anversoise constate que nonobstant les nombreux contrôles, la rédaction de procès-verbaux, les réquisitions du parquet et même les condamnations prononcées à l'encontre des exploitants et des trafiquants, l'utilisation abusive de la demande d'asile court tel un « fil rouge » à travers toutes les enquêtes. La prostitution demeure dans la zone grise en raison de l'absence de toute réglementation qui régirait les activités de prostitution en soi. Faute de disposer des instruments légaux nécessaires, il reste dès lors particulièrement difficile et fastidieux de mener une enquête judiciaire ciblée, en sorte que dans certains cas, seule la criminalité marginale est sanctionnée.
Au cours d'une audition organisée devant la sous-commission le 14 février 2000, M. Bourgeois, capitaine-commandant de la BSR de Bruxelles s'est également livré à une analyse des divers problèmes posés par la prostitution bruxelloise et qui sont directement liés à la traite des êtres humains. Il s'agit des phénomènes suivants :
la présence de réseaux albanais;
la présence de réseaux ouest-africains;
la présence croissante de prostituées originaires d'autres pays de l'Europe de l'Est;
la présence de travestis équatoriens dans le domaine de la prostitution sur la voie publique;
la problématique de la prostitution locale et du proxénétisme qui va éventuellement de pair.
En plus de ces phénomènes, il y a encore d'autres filières qui ne sont cependant pas visibles en permanence dans les diverses formes de prostitution.
En général, ces jeunes femmes, qui peuvent être mineures ou non, sont amenées à quitter leur pays d'origine par ruse, sous l'emprise de la menace ou par la violence. La plupart d'entre elles transitent par l'Italie, où elles font souvent leur première expérience de la prostitution.
Alors qu'au départ, les Albanaises s'adonnaient uniquement à la prostitution sur la voie publique, on les retrouve à présent aussi dans les bars de la rue d'Arschot à Bruxelles ainsi que dans certaines maisons privées.
L'élément caractéristique de ces réseaux est la violence qui est utilisée par les auteurs pour « éduquer » leurs victimes. Autre élément marquant : ces réseaux albanais font aussi travailler des jeunes femmes originaires d'autre pays d'Europe de l'Est (Roumanie, Bulgarie, Moldavie, etc.).
Pour une description détaillée des réseaux albanais, on se reportera à l'annexe.
Les réseaux ouest-africains concernent des femmes qui sont amenées principalement par avion, dans un pays européen, d'où, après avoir éventuellement obtenu le statut de candidat réfugié politique, elles sont retransférées vers un autre pays européen dans lequel, souvent, elles redemandent l'asile politique sous une autre identité et une autre nationalité. Dans leur nouveau pays de destination, ces jeunes femmes sont revendues aux « maquerelles », qui les mettent ensuite en prostitution forcée. Les femmes ouest-africaines se rencontrent surtout dans les bars et les carrées situés sur le territoire des communes de Schaerbeek et de Saint-Josse-Ten-Noode. Les réseaux tiennent ces jeunes victimes sous leur coupe grâce à la pratique du culte vaudou.
Pour une description détaillée des réseaux ouest-africains, on se reportera à l'annexe.
Il s'agit de travestis équatoriens qui exercent leur activité à hauteur de l'avenue Albert II. Ces personnes entrent dans notre pays munies d'un passeport en règle, qui les autorise à y séjourner pendant trois mois. Ces travestis pourraient faire partie d'un réseau, mais il s'agit alors vraisemblablement d'une organisation opérant depuis l'étranger. Il n'est pas exclu que ces prostituées fassent étape dans plusieurs pays successivement.
La prostitution locale (comprenez belge et européenne) et le proxénétisme qui va de pair ne sont généralement pas liés à un réseau de traite des êtres humains. Il s'agit de femmes déjà présentes ici, qui sont exploitées par leur souteneur.
Soulignons toutefois qu'il arrive que ces victimes se trouvent elles aussi dans une situation critique et qu'elles aient besoin d'une aide extérieure pour recouvrer leur liberté.
M. Bourgeois a expliqué que, pour pouvoir mettre à profit de manière optimale les capacités de la gendarmerie de Bruxelles, les services de gendarmerie ont analysé et évalué les divers problèmes. On a pu ainsi orienter de manière précise les efforts d'enquête et fixer des priorités.
La comparaison se fait en fonction d'une série de critères d'évaluation qui doivent permettre de mesurer la gravité et l'ampleur des phénomènes. Les critères utilisés concernent :
la dimension d'un phénomène donné par rapport à celui de la prostitution bruxelloise;
le libre arbitre des victimes;
le recours à la violence physique;
le recours à la violence psychique;
la présence de mineurs;
le caractère supralocal (national ou international);
la croissance prévue du phénomène;
l'influence sur d'autres formes de criminalité;
les nuisances pour la population.
Chacun des phénomènes de prostitution et de traite des êtres humains a été examiné en fonction de ces critères. L'évaluation a été chiffrée à l'aide des cotations suivantes : 1 (très certainement), 2 (certainement), 3 (modérée, probable, stable), 5 (peu/occasionnellement) et 5 (inconnu). Elle a influencé l'organisation de la BSR de Bruxelles et la fixation de priorités pour ce qui est de ses activités. La comparaison des résultats permet à la BSR de Bruxelles d'établir une estimation de l'ampleur et de la gravité des phénomènes étudiés.
Le tableau comparatif suivant donne une vue d'ensemble assez complète de la situation.
Afrique centrale West-Afrika |
Albanie (bloc de l'Est) Albanië (Oostblok) |
Équateur Equatorianen |
Prostitution locale (europénne) Lokaal (Europees) |
|
Ampleur à Bruxelles. Omvang Brussel | 2 | 1 | 3 | 3 |
Contrainte. Dwang | 2 | 1 | 5 | 4 |
Violence physique. Fysisch geweld | 3 | 1 | 5 | 4 |
Violence psychique. Psychisch geweld | 1 | 1 | 5 | 4 |
Mineurs. Minderjarigen | 3 | 1 | 5 | 4 |
Caractère supralocal. Supra-lokaal | 1 | 1 | 1 | 5 |
Évolutions. Evoluties | 2 | 1 | 3 | 3 |
Liens avec d'autres formes de criminalité. Linken criminaliteit | 3 | 1 | 5 | 4 |
Nuisances. Overlast | 2 | 1 | 3 | 5 |
Total. Totaal | 19 | 9 | 35 | 36 |
Ce tableau appelle les commentaires suivants :
Concernant l'ampleur des phénomènes :
les jeunes femmes albanaises sont quasi omniprésentes dans la prostitution bruxelloise, sur la voie publique, dans les bars et dans les maisons privées;
les femmes ouest-africaines « travaillent » dans les bars de la rue d'Aarschot et dans les carrées situées sur le territoire des communes de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode; actuellement aucune ou quasiment aucune ne se livre à la prostitution sur la voie publique;
la présence de travestis équatoriens se limite à la zone formée par les abords immédiats de l'avenue Albert II où la prostitution s'exerce uniquement sur la voie publique;
les prostituées locales sont présentes dans toutes les formes de prostitution mais leurs anciens endroits de prédilection sont de plus en plus investis par des jeunes femmes étrangères qui viennent d'arriver. On les retrouve encore principalement dans les bars de la rue d'Aerschot et dans les maisons privées.
Concernant le libre choix des prostituées :
la plupart des Albanaises sont attirées hors de leur pays par un stratagème (une soi-disant relation amoureuse), par la violence ou par la menace (enlèvement); presque aucune d'entre elles n'a choisi délibérément de travailler dans la prostitution et, souvent, celles qui ont été victimes de violence n'étaient même pas disposées à partir pour l'Europe occidentale; ces prostituées sont contrôlées étroitement par leur souteneur;
il en va de même pour le milieu ouest-africain, bien que l'expérience montre que, dans ce cas-ci, la victime était prête à venir en Europe dans l'espoir d'y trouver un avenir meilleur; si ces prostituées sont également soumises au contrôle strict de leurs souteneurs, elles peuvent toutefois racheter leur liberté après un certain temps;
les travestis équatoriens arrivent dans notre pays munis d'un passeport en règle et disposent d'une certaine liberté de choix. Il n'est toutefois pas exclu qu'une organisation se cache derrière cette catégorie de prostituées, qui se manifestent en groupe, même si la BSR de Bruxelles a l'impression que tout se règle depuis l'étranger et qu'il n'y a donc pas de véritables ramifications (8);
pour ce qui est des prostituées « locales », il est assez rare qu'elles travaillent pour un proxénète.
Concernant le recours à la violence physique et psychique :
les réseaux albanais n'hésitent pas à recourir à la violence envers leurs victimes : certaines jeunes femmes sont d'abord enfermées et violées pour les contraindre à accepter leur prostitution forcée; elles sont également victimes de violences lorsque, par exemple, elles ne ramènent pas assez d'argent ou qu'elles ne se plient pas entièrement aux exigences de leurs souteneurs; il est clair aussi que ces victimes subissent en permanence des pressions morales et n'osent guère témoigner contre des suspects;
en ce qui concerne les réseaux ouest-africains, la violence est plutôt psychique que physique : les responsables maintiennent leur emprise sur les victimes par le vaudou, pour lequel elles éprouvent une véritable frayeur; les actes de violence physique ne sont cependant pas exclus, comme le prouvent notamment les représailles dans le pays d'origine (incendie, etc.);
l'on ne dispose d'aucun élément permettant d'affirmer que les prostituées équatoriennes sont victimes de violence; elles ont été victimes par le passé d'un groupe d'Albanais locaux qui les rackettaient et qui ont commis des viols;
les prostituées locales ne sont victimes que de violences occasionnelles dont la gravité dépend de la personnalité de leur souteneur.
Concernant la présence de mineurs :
la plupart des mineures rencontrées sont des jeunes femmes de nationalité albanaise, dont l'âge varie entre treize et dix-huit ans; on les retrouve tant en rue que dans les bars;
on rencontre aussi parfois des mineures dans le milieu ouest-africain, mais c'est assez rare; comme le schéma de croissance physique des gens qui viennent d'Afrique occidentale est différent du nôtre, il est d'autant plus difficile d'évaluer leur âge;
la présence de mineures parmi les prostituées « locales » est fort exceptionnelle.
La prostitution bruxelloise est de plus en plus le terrain de femmes étrangères dont la plupart appartiennent à un réseau ou à une bande. La présence d'Équatoriennes est assez stable, contrairement à celle des jeunes femmes originaires de l'Afrique occidentale ou de l'Europe de l'Est. Si, au départ, les bandes albanaises n'exploitaient que des Albanaises ou des Kosovares, elles exploitent également, aujourd'hui, des femmes provenant de pays de l'Est autres qu'albanaises et kosovares. Étant donné la situation qui règne dans ces pays, l'afflux de ces femmes se poursuivra vraisemblablement. Cette remarque vaut aussi pour les femmes ouest-africaines qui demandent l'asile politique une fois qu'elles sont dans notre pays. Comme de surcroît ces jeunes femmes utilisent plusieurs fausses identités et fausses nationalités, il est très difficile de découvrir leur véritable identité et, dès lors, de les rapatrier.
Concernant les liens avec d'autres formes de criminalité :
le milieu nigérian, qui se trouve dans le peloton de tête des organisations criminelles, est impliqué notamment dans le trafic de drogue et de véhicules, le faux-monnayage et l'extorsion;
les Albanais sont eux aussi parfois impliqués dans le narcotrafic (cf. le développement de ce trafic en Albanie et en Italie) et dans le vol de cartes d'identité dans les maisons communales. Leurs bandes ne reculent pas devant la violence et les règlements de compte en leur sein sont monnaie courante.
Concernant les nuisances, la présence de plusieurs groupes ethniques en un même lieu engendre souvent des tensions entre les prostituées (par exemple entre les prostituées qui travaillent sur la voie publique et celles qui travaillent dans les bars, les carrées, etc.) et avec la population locale qui voit les proxénètes et les prostituées s'approprier de plus en plus leur quartier. Ces problèmes sont liés principalement à la prostitution sur la voie publique, mais ils se rencontrent aussi dans la zone des carrées dont la population s'est révoltée en 1999.
À la lumière de tous ces résultats d'enquête, M. Bourgeois conclut que la problématique de la traite des êtres humains concerne essentiellement les milieux albanais et ouest-africain. Les femmes qui appartiennent à ces milieux sont amenées dans notre pays au moyen de stratagèmes, par la violence ou sous la menace. Elles sont ensuite exploitées dans une atmosphère de violence physique ou psychique. Comme le parquet de Bruxelles partage cette analyse, la BSR de Bruxelles a reçu pour mission prioritaire de suivre l'évolution desdits phénomènes dans les deux milieux en question et d'engager la lutte contre la traite des êtres humains au sein de ceux-ci.
Lors d'une visite de la sous-commission à la police de Bruxelles, le 17 janvier 2000, M. G. Bolle, commissaire de police, a souligné que la brigade judiciaire de la police de Bruxelles avait, jusqu'à il y a une vingtaine d'années, deux options : la première dirigée vers la recherche (la criminalité au sens large), la seconde vers les moeurs. Au fil des années et devant l'évolution de la criminalité, des sections spécialisées furent mises en place, par exemple une section stupéfiants, une section vol et trafic de voitures, etc. Même si les autorités tant judiciaire qu'administrative continuèrent à montrer un vif intérêt pour la problématique « moeurs », l'effectif de la section moeurs s'effrita progressivement, nonobstant la mise en place d'une cellule spécialisée au sein du département protection jeunesse. Actuellement, ses activités sont les suivantes :
les enquêtes résultant de plaintes reçues auprès des services permanents de garde (viol, attentat à la pudeur, outrages aux bonnes moeurs, etc.) ou de dénonciations reçues directement par ce service, sans parler des enquêtes lui confiées directement par le parquet ou les juges d'instruction;
le contrôle régulier des bars suspects au point de vue moeurs, des vidéothèques, des saunas, des salons de massage, des peep-shows, des hôtels de passe et des bistrots dits à spectacle (top-less ou strip-tease à certaines heures).
Le but de ces contrôles est multiple :
vérifier la présence éventuelle de mineurs d'âge;
vérifier les registres du personnel et ainsi le travail au noir ou la mise au tarvail de clandestins;
recenser le personnel pour suivre ses déplacements, le retracer si nécessaire;
maintenir une présence policière et créer une relation telle qu'en cas de besoin ce « personnel » s'adresse au policier qu'il connaît prioritairement avec, à l'occasion, des résultats intéressants.
Mais c'est autour du problème de la prostitution et de la traite des être humains que le service « moeurs » de la brigade judiciaire déploie ses principales activités.
La directive du 25 février 1997 des ministres de la Justice, de l'Intérieur, de l'Emploi et des Affaires sociales a donné une définition très large de la prostitution qui a d'ailleurs été reprise dans la directive du ministre de la Justice du 31 mai 1999 ainsi que dans le document « COL12 » du Collège des procureurs généraux près des cours d'appel.
Il s'agit de l'exploitation de personnes, notamment de personnes étrangères, ou du travail de celles-ci, dans divers secteurs économiques, l'industrie du sexe étant l'un des principaux secteurs à risque.
La directive du 25 février 1997 a réglé également, en application de la loi du 13 avril 1995, la question de l'exploitation de la débauche ou de la prostitution d'autrui, en visant en l'espèce les proxénètes.
Au cours des mois écoulés, le service « moeurs » de la police de Bruxelles s'est attaqué au problème de la manière suivante :
il a commencé par s'intéresser à toutes les prostituées en effectuant des contrôles systématiques, en opérant des arrestations administratives sur la base d'un contrôle du séjour ou d'une intervention en cas de trouble de la paix publique ou de l'ordre public dû à la présence des prostituées sur la voie publique. Il n'a cependant rien pu changer à la situation. Les jeunes femmes ont simplement adapté leurs horaires aux horaires de nos contrôles ou alors elles ont laissé faire les policiers pendant un certain temps, sachant que nous ne pourrions de toute façon pas maintenir la pression;
il a ensuite étendu son action aux clients et aux clients potentiels des prostituées, surtout par le biais de contrôles d'identité, de procès-verbaux pour infraction au Code de la route, etc.;
enfin, il a fait pression sur les tenanciers des maisons dans lesquelles les prostituées se rendaient.
Ces pressions, loin d'être abandonnées n'entraînèrent pas le résultat escompté. La prostitution, loin de régresser, voire de se stabiliser, est en progression sur tous les sites de prostitution de rue et la multiplication des règlements de compte ne laisse rien présager de bon. Outre cet aspect visible, il va de soi qu'attaquer le proxénète, les filières de la traite des êtres humains fait également partie de nos priorités, mais c'est là une tâche particulièrement ardue.
Établir ces infractions est malaisé. Cela passe obligatoirement par la collaboration de la prostituée; autant dire que celle-ci est loin d'être acquise. En y ajoutant la difficulté insurmontable de la langue, les limites de l'intervention des maisons spécialisées (Pag-Asa, Payoke et Sürya), l'interpellation efficace de proxénètes est loin d'être évidente et ce l'est encore moins pour démonter des filières de traite des êtres humains, ce qui relève d'ailleurs suivant la « COL6 » (entrée en vigueur le 15 avril 1999) du fédéral et de la GD, en particulier à la suite de la directive du 21 février 1997.
L'adaptation des proxénètes, des filières, aux nouvelles situations en temps réel, est étonnante. Quand la situation en Albanie était plus que trouble, les prostituées se déclaraient albanaises, maintenant toutes se disent Kosovares ... Il est évident que les filières savaient qu'aucun rapatriement vers un pays en guerre ne se faisait. À noter que les interprètes auxquels nous faisons appel perçoivent l'origine albanaise des jeunes femmes à côté desquelles apparaissent maintenant des Macédoniennes et des Ukrainiennes.
Toutes sont titulaires d'un titre de séjour (annexe 26) valable jusqu'à 2/3 mois.
Si par hasard ce document n'est pas valable ou semble douteux, l'Office des étrangers contacté prolonge la validité du document ou convoque son titulaire pour régularisation. Comme depuis plusieurs mois, les rapatriements ne se font plus que sur une base volontaire, vous comprendrez que la situation est figée, car ce qui est vrai pour les jeunes femmes l'est aussi pour les proxénètes. De quoi sera fait l'avenir au niveau de l'Office des étrangers; la question est actuellement sans réponse. La situation des jeunes femmes et de leur « entourage » ne permet aucune régularisation. Elles resteront donc dans une situation précaire,
donc dangereuse. Ces considérations valent également pour les travestis sud-américains dont plusieurs, après avoir été rapatriés, réapparaissent régulièrement. Eux aussi prétendent être « libres » de toute contrainte tout comme les Équatoriens débarquant régulièrement dans les villes belges pour y vendre des pulls.
Ils sont titulaires de visas touristiques, résident habituellement à Anvers et vont jusqu'à faire usage de voitures de location à leur nom alors qu'ils sont désargentés. Par ailleurs, lors de saisies importantes de marchandises, ils ne se manifestent plus jamais.
La prostitution homosexuelle a presque complètement quitté la rue. Les prostitués sont en séjour régulier et ne semblent pas être « protégés ».
L'on peut dire d'une manière générale que les lois du 27 mars et du 13 avril 1995 fournissent un instrument légal qui était indispensable en la matière. Deux problèmes essentiels subsistent pourtant :
Le premier, c'est que les parquets en général et le parquet de Bruxelles en particulier sont surchargés. Le nombre de dossiers augmente chaque année alors que les moyens et le personnel restent inchangés ou diminuent même.
Il faut ajouter à cela que certaines instructions et certaines enquêtes préparatoires sont d'une complexité telle qu'elles mobilisent des moyens énormes et beaucoup de personnel.
Il faut souligner également que l'on exige des enquêteurs qu'ils veillent à ce que leur travail soit de haute qualité, étant donné que les avocats se spécialisent à outrance dans ce domaine. Comme le problème de la collecte des preuves est crucial, l'on néglige toute une série d'autres délits allant du racolage des clients dans la rue ou par le biais des médias à l'exploitation de la débauche par certains hôteliers, alors que la lutte contre le proxénétisme et contre les canaux de la traite des êtres humains est une guerre que l'on doit mener sur tous les fronts.
Il est, par exemple, fort difficile de faire fermer un hôtel pour les raisons dont il vient d'être question.
Le deuxième problème, c'est que l'antinomie entre la gestion administrative du phénomène, qui s'attaque à son caractère visible et est consacrée par le protocole d'accord du 28 juin 1996 liant les bourgmestres de Bruxelles, Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode et Ixelles, d'une part, et sa gestion judiciaire, l'absence de politique criminelle nationale réelle, d'autre part bien que la « COL 12 » soit l'expression d'une volonté nouvelle en la matière fait que la prostitution et, par voie de conséquence, le proxénétisme et les filières de traite d'êtres humains échappent à une répression efficace qui, il est à craindre, ne pourra être envisagée qu'au niveau européen.
La « COL 12 » redéfinit la traite des êtres humains, désigne un magistrat coordinateur, donne la priorité aux recherches et aux poursuites, déclare les prostituées victimes de trafic et impose de ne pas s'attaquer à la visibilité du phénomène, ce qui risque de le rendre clandestin et le ferait donc échapper complètement à tout contrôle.
Au cours de l'audition organisée au sein de la sous-commission le 14 février 2000, M. P. Bourgeois, capitaine-commandant de la BSR de la gendarmerie du district de Bruxelles a fait une distinction entre la coopération locale et la coopération nationale.
Au niveau local, il convient de consacrer une attention particulière à la coopération entre les services de police de base et le service de police spécialisée. Il va de soi que si les missions de ces deux services de polices sont différentes, elles n'en sont pas moins complémentaires et équivalentes.
À Bruxelles les unités qui sont chargées des enquêtes en matière de traite des êtres humains sur le territoire de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles se réunissent une fois par mois sous l'égide du parquet, pour faire le point sur les principales enquêtes en cours et pour assurer un échange d'informations. De plus, la BSR de Bruxelles reçoit dans bien des cas une copie des rapports des contrôles qui ont été effectués par les services locaux de police communale. En cas de problèmes spécifiques, la BSR organise une concertation en vue de parvenir à une démarche commune. C'est ainsi que par le passé, la BSR a déjà mené plusieurs enquêtes en collaboration avec un service de police communale locale. Enfin, il importe d'échanger régulièrement des informations. Des informations apparemment insignifiantes pour un service revêtent parfois une importance primordiale pour un autre.
Pour ce qui est de la répartition éventuelle des tâches, M. Bourgeois a suggéré que le service de police spécialisée se charge de la lutte contre la traite des êtres humains et le service de police de base de maintenir la situation locale sous contrôle. En menant une telle politique, la police locale rendra la situation gérable et contrôlable, ce qui signifie qu'elle doit veiller à bien connaître la situation des établissements et des jeunes femmes qui s'y trouvent ou qui y sont « mises au travail », et qu'elle doit organiser les contrôles nécessaires à cet effet. La police locale pourra se faire, de la sorte, une bonne idée du phénomène, et sera, dès lors, à même de détecter rapidement les problèmes éventuels.
D'autre part, il faudra clairement informer des règles de travail à observer, les acteurs concernés (prostituées, serveuses, exploitants, clients, etc.). Il faudra, parallèlement, responsabiliser ces acteurs en prévoyant une sanction immédiate en cas d'infraction à ces règles. Comme il n'est pas possible d'endiguer l'afflux de personnes de « nationalité douteuse », il y a lieu de placer davantage les exploitants devant leurs responsabilités. Il faut que lorsqu'un service de police constate une anomalie, l'exploitant soit immédiatement rappelé à l'ordre. L'exploitant qui refuse d'observer les règles doit être sanctionné sévèrement (fermeture, enquête financière, etc.).
Idéalement, la police locale devrait se charger de la « topographie » des quartiers de prostitution (connaissance des établissements et des prostituées) et à la moindre présomption d'une forme quelconque de traite des être humains, les services de police spécialisés devraient être alertés pour ouvrir une enquête. Indépendamment de l'enquête ouverte par le service de police spécialisé sur un délit éventuel de traite des êtres humains, le service local de police pourrait se limiter à constater l'infraction et diligenter la procédure pénale à l'encontre de l'exploitant responsable. Ainsi le problème serait abordé dans sa globalité, ce qui est évidemment l'idéal. Une action aussi vigoureuse induirait très certainement un changement de mentalité chez les exploitants.
Si un service de police spécialisé, comme la BSR, pouvait avoir la certitude que ces missions seront menées à bien, il pourrait concentrer ses activités de contrôle sur les enquêtes relatives à la traite des êtres humains. Il s'agit en effet d'enquêtes spécifiques, dans lesquelles le mode de contrôle varie en fonction du but poursuivi. Le contrôle en première ligne (contrôle des documents, fichage, etc.) est une mission qui devrait incomber à la police locale. Des accords de travail spécifiques pourraient encore être conclus entre les services de police concernés dès l'instant où l'on ouvrirait une enquête relative à la traite des êtres humains.
Enfin, la police locale doit également s'intéresser à d'autres acteurs que ceux du milieu de la prostitution. Une action visant les clients et les autres individus qui compromettent la sécurité de ces quartiers paraît indispensable pour garantir l'ordre public et la sécurité dans ces quartiers.
En ce qui concerne la coopération nationale, M. Bourgeois a souligné que certains milieux concentrent leurs opérations dans des agglomérations bien précises. Les milieux ouest-africains et albanais, par exemple, sont omniprésents à Anvers; ils sont d'ailleurs en train d'étendre leur présence à d'autres agglomérations et villes de province. Il serait donc souhaitable d'améliorer la circulation de l'information entre les différentes villes ou agglomérations concernées. Un réseau informatique, conçu sur le modèle pyramidal, entre les diverses villes concernées pourrait déjà améliorer la situation.
Il ne faut pas perdre de vue qu'une enquête en matière de traite des êtres humains est souvent basée sur des constatations isolées qui paraissent insignifiantes en soi mais qui mises bout à bout peuvent être de la plus grande importance pour détecter une filière. L'étude et l'exploitation des numéros de téléphones découverts constituent des éléments très importants. Il va de soi que pour être bien gérées, ces données doivent être informatisées. Un réseau bien développé regroupant les diverses agglomérations permettrait de faire plus facilement le lien entre les enquêtes et les constatations.
Au cours de plusieurs auditions avec des représentants des autorités policières, judiciaires et administratives, les membres de la sous-commission ont examiné la collaboration qui existe entre ces autorités dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution. Des points de vue divergents ont souvent été formulés, lesquels sont énoncés ci-dessous d'une manière systématique.
Lors d'une audition devant la sous-commission organisée le 31 janvier 2000, Mme L. Detiège, bourgmestre d'Anvers, a donné un aperçu de la collaboration telle qu'elle fonctionne dans le cadre de la concertation pentagonale. À l'époque où le rapport du Sénat relatif à la criminalité organisée a été présenté, les compétences des différents services de police étaient nettement délimitées et il y avait relativement peu de collaboration. Beaucoup de choses ont changé depuis. À l'heure actuelle, presque tout se fait en accord. Dans le cadre de la concertation pentagonale, une série d'accords ont été conclus entre la police, la gendarmerie et le parquet. La police se charge de certaines activités destinées à empêcher la prostitution. La cellule centrale Moeurs et Traite des êtres humains consacre aujourd'hui quelque 10 000 heures/homme à la question, ce qui a permis de réduire l'arriéré dans un certain nombre de dossiers. La police de la construction intervient dans les infractions de ce secteur et la gendarmerie accomplit un certain nombre de missions spécifiques dans le domaine de la traite des êtres humains.
Pour illustrer la collaboration entre les différentes autorités, Mme Detiège a cité l'exemple de l'intervention à l'encontre du trafic d'or dans la Pelikaanstraat. Cette action est menée par la police en collaboration permanente avec le parquet. À la Falconplein, où l'on vend des produits de contrefaçon et où l'on occupe de la main d'oeuvre illégale, la gendarmerie et la police effectuent des contrôles réguliers conjointement avec l'inspection économique et les services sociaux. Rapport est fait à ce sujet dans le cadre de la concertation pentagonale et l'on y examine les conséquences et les filières de ce trafic.
En ce qui concerne la prostitution, la police, la gendarmerie et la police judiciaire ont conclu un protocole de répartition des tâches. Il a ainsi été convenu que les trois services s'assisteraient en cas de manque de personnel. La mise à disposition de personnel a également été discutée dans le cadre de la concertation entre services de police au niveau de l'arrondissement. L'information circule à présent beaucoup mieux qu'avant.
2. Point de vue des autorités policières
À l'occasion de la visite de travail que la sous-commission a rendue le 17 janvier 2000 à la police de Bruxelles, M. Van Reusel, le commissaire en chef de la police de Bruxelles, a expliqué que lorsque la police bruxelloise interpelle et identifie des jeunes femmes, elle communique immédiatement ces données au Service général d'appui policier, à la police judiciaire et, le cas échéant, à l'Office des étrangers. Un formulaire spécifique est prévu à cet effet. Il y a aussi des formulaires pour constater l'arrivée d'un homme ou d'une femme dans un établissement, pour l'exploitation de la débauche et pour les cas où des données sont recueillies concernant un établissement donné (voir document en annexe).
La collaboration avec les autres autorités policières et judiciaires est très bonne lorsqu'il s'agit d'échanger des informations. Il y a ainsi des contacts réguliers entre la police de Bruxelles et la gendarmerie.
Malheureusement, la police de Bruxelles constate trop souvent que ces services n'utilisent guère les informations qu'elle met à leur disposition. Lorsqu'une information est transmise au parquet, celui-ci renvoie souvent le dossier à l'Office des étrangers, qui délivre alors dans la plupart des cas un ordre de quitter le territoire. Et les choses s'arrêtent là : les jeunes filles concernées sont ensuite renvoyées à la rue. Ce n'est évidemment pas une solution.
La gendarmerie elle aussi fournit peu de feed-back sur ce qu'il advient des informations qui lui sont communiquées par la police bruxelloise. Il n'y a pas de contact structurel prévu. Il n'empêche que, sur le terrain, il y a effectivement contact entre policiers et gendarmes.
Au cours de l'audition du 14 février 2000 en sous-commission, M. Bourgeois, capitaine-commandant de la BSR de Bruxelles, a attiré l'attention sur une série de problèmes qui se posent dans le domaine de la coopération entre les autorités judiciaires. Il a ensuite proposé des solutions à cet égard.
Les enquêtes sur la traite des êtres humains diffèrent des autres enquêtes en ce sens qu'on ne dispose généralement, pour ce qui est des suspects en question, que d'une fausse identité ou d'un surnom. L'exécution des devoirs d'enquête et la collecte d'informations permettront éventuellement de savoir quels ont été le lieu de séjour potentiel des personnes concernées ou les lieux s'il y en a eu plusieurs, mais les fichiers de données officiels ne donnent aucune confirmation à cet égard. Par conséquent, lorsque l'on ne reçoit pas l'autorisation de poser certains actes d'instruction, comme une perquisition, les enquêtes de ce type sont généralement bloquées.
Il importe donc que les services de police puissent s'adresser à un magistrat de référence spécifique et à des magistrats d'enquêtes qui sont familiarisés avec cette matière et qui comprennent le fonctionnement des organisations en question. Ces personnes sont également en mesure de faire les rapprochements nécessaires entre divers dossiers. Le parquet de Bruxelles peut être cité en exemple à cet égard.
Il faudra convenir d'un calendrier avec les magistrats pour chaque enquête relative à une affaire de traite des êtres humains, car les suspects sont souvent des ressortissants étrangers très mobiles. Il faut en effet veiller à faire comparaître les suspects en état d'arrestation, sans quoi ils quitteraient immédiatement le pays et nous risquerions alors de les voir se soustraire à leur sanction.
Pour cette raison, les services de police doivent, dans le cadre d'une interpellation, disposer de suffisamment d'éléments pour justifier une mise en détention provisoire des intéressés. Cela permet également de limiter la durée de l'instruction après l'interpellation et, partant, de réduire le risque d'une libération anticipée. M. Bourgeois propose de n'autoriser aucune libération contre paiement d'une caution pour les trafiquants d'êtres humains. En effet, les trafiquants en question n'ont aucune difficulté à réunir les sommes proposées et parviennent à échapper parfois ainsi à leur sanction.
M. Bourgeois trouve en outre qu'il serait souhaitable que les enquêteurs puissent pénétrer à tout moment dans les immeubles connus pour être des maisons de débauche, comme le prévoit la législation sur les stupéfiants. À l'heure actuelle, on doit se baser sur un décret du 18e siècle, qui est complètement dépassé.
Il importe de pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'indicateurs allochtones. Comme les milieux auxquels la police est confrontée sont très fermés, il est très difficile d'obtenir des informations. Il faut dès lors encourager les indicateurs dans ce milieu. On pourrait le faire en leur octroyant le statut de « victime de la traite des êtres humains ». Il va de soi que tout devrait se faire sous le contrôle du parquet et dans le respect en réservant la décision finale à l'Office des étrangers. Des régularisations temporaires, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'organisation serait condamnée grâce aux renseignements fournis par l'indicateur, pourraient également apporter une solution.
Au cours de l'audition du 14 février 2000 devant la sous-commission, M. Bourgeois a également donné un aperçu de la coopération entre les autorités policières et les autorités administratives, en particulier l'Office des étrangers et les autorités communales.
Dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, la BSR de Bruxelles travaille en étroite collaboration avec l'Office des étrangers. Cette coopération est permanente dans le cas des interpellations au cours desquelles la personne contrôlée est transférée au service équipé du système « Printrac » pour une comparaison d'empreintes digitales. Il va de soi que ce service est très important, car les empreintes digitales restent la seule possibilité d'identifier une personne avec certitude. Il est dès lors essentiel que toutes les personnes qui entrent sur le territoire belge passent par ce service.
L'aide de l'Office des étrangers est aussi souvent sollicitée lors de la préparation d'une opération. Sa présence sur place peut simplifier énormément l'accomplissement des formalités administratives et elle lui permet de prendre immédiatement une décision adéquate concernant l'étranger en situation illégale. Ces contacts préalables à une opération permettent également, si nécessaire, de réserver des places dans un centre d'enfermement et de maintenir le service « Printrac » en stand-by.
Il est évident que ce service joue un rôle prépondérant dans la lutte contre la traite des êtres humains du fait que dans de nombreux cas, il est la première instance à entrer en contact avec les victimes et leur entourage éventuel. Dans ce cadre, l'input et la gestion des empreintes digitales des demandeurs d'asile revêtent une importance primordiale. Cette façon de procéder permet de retrouver la véritable identité d'une personne et de vérifier dans quel pays la personne concernée est déjà passée.
M. Bourgeois signale quelques problèmes rencontrés dans le cadre de la coopération avec l'Office des étrangers.
L'Office des étrangers dispose d'une banque de données administratives qui n'est pas accessible aux services de police. Cette banque de données est pourtant d'un très grand intérêt, vu qu'elle permet d'identifier une personne qui utilise peut-être plusieurs fausses identités. Une fois que la personne a été identifiée, les services de police sont à même de recueillir de plus amples renseignements sur la personne en question.
Il existe aussi des banques de données similaires dans les différents pays de Schengen mais celles-ci ne sont malheureusement pas interconnectées. Pour vérifier si une personne est déjà connue dans un autre pays, les services de police belges doivent demander une commission rogatoire. Cette manière de faire prend énormément de temps, de telle sorte que lorsque les services de police belges interpellent un étranger en situation illégale, ils ne peuvent pas dire immédiatement si l'intéressé est impliqué dans un dossier de traite des êtres humains.
Les décisions de l'Office des étrangers suscitent parfois chez les enquêteurs un sentiment d'impuissance. Ainsi, il est de notoriété publique que certaines nationalités les Albanais, les Africains de l'Ouest sont davantage touchés par la traite des êtres humains.
Lorsque des agents qui interpellent des personnes de ces nationalités apprennent qu'elles doivent être remises en liberté au motif qu'une procédure est pendante, ils en nourrissent un sentiment d'insatisfaction, puisque les intéressées retombent alors sous la coupe de l'organisation. Ne peut-on pas soumettre les personnes de certaines nationalités à un régime plus sévère ? Est-il admissible que l'on tolère que des demandeurs d'asile se prostituent ? Il ne faut voir dans cette question aucun motif discriminatoire, mais uniquement le souci d'empêcher que ces femmes ne soient exploitées par des trafiquants d'êtres humains. Une telle adaptation des règles en vigueur pourrait diminuer le choix de la Belgique comme pays de destination.
Ce sentiment d'impuissancce naît aussi de la difficulté à procéder à l'éloignement des personnes. Il arrive fréquemment que les services de police interpellent à plusieurs reprises une prostituée qui n'est pas en règle avec la législation sur les étrangers. Si l'intéressées n'est pas engagée dans une procédure d'asile, elle se voit délivrer un ordre de quitter le territoire. Il arrive très fréquemment qu'on la retrouve ensuite munie d'un document d'identité faux ou falsifié. En pareil cas, il se peut que l'on décide de l'enfermer en vue de son éloignement. Le nombre de places réservées aux étrangers est cependant très limité. Si l'on pouvait placer en détention les étrangers en situation illégale interpellés au cours des enquêtes, mais à charge desquels on n'a pas encore réuni suffisamment de preuves pour ce qui est des infractions relatives à la traite des êtres humains, cela serait déjà un pas en avant. Pareille arrestation pourrait être transformée par la suite en arrestation judiciaire. L'expérience nous apprend en effet qu'après l'exploitation des saisies et après les premières réauditions approfondies, on peut souvent réunir des éléments à charge des personnes concernées. Il ne faut évidemment pas laisser jouer ici l'arbitraire : il faudrait se limiter aux personnes sur lesquelles reposent déjà des présomptions graves d'implication.
Un autre problème réside dans le caractère rarissime des expulsions de personnes possédant une nationalité « problématique », dès lors que la situation dans le pays concerné est souvent très défavorable. Ce problème se pose principalement pour le milieu africain de l'ouest. Certaines personnes demandent l'asile politique sous une autre identité ou nationalité. Quand ces personnes sont interpellées et qu'il s'avère qu'elles ont épuisé toutes les procédures, elles peuvent éventuellement être enfermées en vue de leur expulsion. Les personnes concernées sont généralement connues sous l'identité qu'elles ont adoptée ici, si bien que nous n'en trouvons absolument aucune trace à l'ambassade du soi-disant pays d'origine. Le pays en question n'est dès lors pas prêt à reconnaître comme ressortissant une personne dont l'identité ne peut être établie avec certitude. Pour remédier à ce problème, l'Office des étrangers, qui est pour beaucoup la première instance officielle avec laquelle ils entrent en contact, devrait bénéficier d'un maximum de possibilités pour démasquer les mineurs ou les personnes qui prennent une fausse identité ou nationalité. Un certain nombre de victimes pourront ainsi d'emblée être sorties du circuit.
Les intérêts d'autorités administratives telles que la commune diffèrent souvent de ceux des autorités judiciaires. Ces dernières font en effet la chasse aux organisateurs et aux exploitants de la traite des êtres humains, tandis que les autorités communales ont principalement pour but de maintenir une vie harmonieuse sur le territoire de la commune et de lutter contre les nuisances causées à la population locale par la prostitution. Les autorités communales sont donc moins intéressées par les personnes qui se cachent derrière des activités illégales, mais elles vont se concentrer sur les prostituées que l'on peut voir en rue.
Les services de police doivent cependant tenir compte du fait que la prostitution est un phénomène social qui ne disparaîtra jamais. Il faut dès lors mettre au point une politique servant tant les intérêts des autorités judiciaires que ceux des autorités communales. Les domaines d'action concrets sont :
la lutte contre la traite des êtres humains;
la protection des mineurs;
la connaissance et le contrôle du milieu;
la limitation et la prévention des troubles de l'ordre public;
la lutte contre l'extension de la prostitution par rapport à la population locale.
Une bonne répartition des tâches entre les services de police locale et les services de police fédérale est un élement essentiel pour donner corps à une telle politique. L'on considère en effet trop souvent que la prostitution est un phénomène local. Ce n'est pas le cas. On a pu constater par le passé que certaines actions dans un quartier déterminé ou dans une ville déterminée provoquent les déplacements nécessaires. Par ailleurs, la prostitution pourrait aussi verser de plus en plus dans la clandestinité, au risque que le phénomène ne se soit plus maîtrisable ni contrôlable.
En ce qui concerne la prostitution sur la voie publique, nombre de villes ou pays étrangers ont créé des zones de tolérance, afin de combattre les nuisances occasionnées par la prostitution. Les critères retenus pour ces zones sont les suivantes :
l'absence de zones d'habitation dans les environs immédiats;
la présence d'une infrastructure routière assurant un trafic fluide et sûr;
la proximité de lieux de sortie;
la sécurité tant pour les prostituées que pour les clients;
la présence d'un espace suffisant pour le racolage de prostituées.
La ville de Bruxelles refuse de créer ce type de zones de tolérance, du moins sur son territoire. Elle est cependant d'accord sur le principe, mais à la condition que cela se fasse sur le territoire d'une autre commune. Si la prostitution était concentrée dans une zone déterminée, cela faciliterait cependant le travail des services de police, lequel consiste à surveiller de près ce phénomène et à détecter des anomalies. Lorsque l'on choisit ce type de lieu, on ne peut toutefois pas se laisser guider par des sentiments de prestige et d'inégalité. Il faut par contre tenir compte des critères objectifs précités. L'on pourrait également arrêter des règles à l'intention des prostituées, telles que la présence au sein de la zone de tolérance, le port de vêtements décents, pas de racolage entreprenant, le respect du lieu de « passe », etc. Une bonne communication est un élément essentiel à la réussite d'une telle initiative.
Pour ce qui est de la prostitution dans les bars, les nuisances sont de deux ordres : il y a, d'une part, les problèmes créés par les serveuses et, d'autre part, ceux engendrés par le public (clients, petits criminels). Les problèmes créés par les serveuses sont généralement moins graves. Ils ont le plus souvent trait à la manière dont elles sont habillées en vitrine. Une campagne bienveillante pourrait contribuer à faire changer ces habitudes. La criminalité imputable à des tiers est très visible et occasionne sans doute les nuisances les plus importantes : tapage nocturne, petits groupes qui traînent, vols dans les véhicules, vols avec violence, intimidation, racket, vandalisme, etc.
Lorsque l'on veut s'attaquer à ces phénomènes, on a parfois tendance à s'en prendre aux serveuses alors qu'elles n'en sont en fait pas responsables. Dans les quartiers où sévit la prostitution, l'attention devrait se porter sur ce qui se passe en rue autant que sur la prostitution même.
Enfin, en ce qui concerne les carrées, on a tendance à limiter leur nombre en menant des actions qui visent en premier lieu les prostituées. Il ne faut cependant pas oublier que ce ne sont pas elles, mais bien les propriétaires des immeubles, qui transforment ceux-ci dans le but de les louer à cette fin.
Au cours d'une audition en sous-commission du 7 février 2000, M. Van der Sijpt, procureur du Roi à Bruxelles, a formulé diverses observations relatives à la coopération entre la justice, les services de police et les autorités administratives.
La police de Bruxelles effectue nombre de contrôles administratifs constructifs, si bien que l'on peut se faire une bonne idée du monde de la prostitution sur le territoire de la ville de Bruxelles. Par ailleurs, la brigade judiciaire de Bruxelles, qui est la plus grande du pays, ne suit aucun dossier de traite des êtres humains et n'en suit que quelques-uns qui ont trait au proxénétisme.
À propos de la remarque de la police de Bruxelles selon laquelle elle transmet des informations et des notes à la BSR sans rien obtenir en retour, il faut se demander quelle est la nature des informations transmises. La police de Bruxelles ne doit pas attendre une réponse de la BSR, de la police judiciaire ou de la police communale de Saint-Josse pour s'occuper elle-même de certains dossiers judiciaires. La police de Bruxelles couvre un vaste domaine de prostitution de rue, de prostitution privée et de prostitution homosexuelle. Elle peut ouvrir elle-même des dossiers, mais elle ne le fait pas assez souvent. Pourquoi pas ? Notamment parce que la politique des autorités communales ne l'y incite pas. Lorsque le bourgmestre de Bruxelles prend unilatéralement, sans concertation ni avec les instances judiciaires ni avec ses homologues de Saint-Josse ou Schaerbeek, la décision de chasser les prostituées du boulevard Albert II l'effet n'est pas négligeable. En agissant de la sorte, il ne fait que déplacer le problème vers d'autres rues et d'autres quartiers et le phénomène échappe alors au contrôle de la justice. Il faut savoir que 99 % de ces jeunes femmes sont forcées à se prostituer et qu'elles sont exploitées par des bandes criminelles. Les contrôles permettent d'établir un contact avec les prostituées pour tenter de les sortir des griffes de ces organisations. Grâce aux déclarations de celles-ci, les autorités compétentes peuvent lutter contre les bandes en question. En chassant systématiquement les prostituées de leur lieu de travail, on se prive de la possibilité de construire une relation de confiance avec elles et on les fait replonger dans l'illégalité de la prostitution des bars ou de la prostitution privée, qui sont des formes de prostitution difficilement contrôlables. De plus, la prostitution privée qui se pratique dans les quartiers résidentiels des métropoles engendre plus de nuisances pour les riverains que la prostitution de rue. Les actions unilatérales de ce type sont dangereuses pour ce qui est de la lutte contre la traite des êtres humains. Il est particulièrement dommage que l'on ne passe pas par la concertation pentagonale que chacun des partenaires peut convoquer en vue d'évoquer ce type de problème.
Les initiatives prises en 1995 et 1996 en vue de créer une zone de tolérance pour la prostitution, ont connu un certain succès. On a essayé d'élaborer un protocole indiquant les endroits où la prostitution est tolérée et expliquant les modalités de contrôle. L'on n'est toutefois même pas parvenu à faire l'inventaire des rues et quartiers où la prostitution existait ou elle était tolérée. Cet échec a des causes politiques. Le protocole qui tolérait la prostitution a finalement été signé par plusieurs bourgmestres, par le parquet et par les services de police. Le bourgmestre de Bruxelles est opposé aux zones de tolérance et c'est son droit le plus strict. Il doit cependant respecter les structures de coordination existantes et s'abstenir d'agir unilatéralement. En février 1999, la police de Bruxelles a tenté, pendant trois semaines, de chasser les prostituées du boulevard Albert II, tant et si bien que plus personne ne savait plus où elles travaillaient. Plusieurs dossiers judiciaires importants se sont aussi retrouvés dans l'impasse. La politique du parquet bruxellois consiste à rendre la prostitution et le milieu de la prostitution contrôlables dans la mesure du possible. En cas de réussite, l'on pourrait s'attaquer à la traite des êtres humains, à la prostitution de mineurs et à certaines formes de violence dans la prostitution. En 1999, on a dénombré sur le territoire de la ville de Bruxelles pas moins de dix morts dans le milieu albanais de la prostitution.
La question de l'harmonisation des contrôles administratifs et des contrôles judiciaires est d'ordre structurel. Dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles, le parquet a établi, dans le prolongement du « COL 12 », une circulaire imposant une coordination des contrôles dans les quartiers où il y a de la prostitution. Il se pourrait, en l'absence de toute coordination, que la BSR ou la police judiciaire décident à un moment donné de consacrer une nuit à effectuer des contrôles, et qu'elle trouve les rues désertes simplement parce que la police communale aurait fait une opération une heure plus tôt sans prévenir les services de police spécialisés. Cette circulaire crée également une structure de coordination entre le parquet et l'auditorat du travail. Il faut, en effet, s'attaquer également aux dysfonctionnements dans la sphère socio-économique où la traite des êtres humains est peut-être beaucoup plus développée que dans le milieu de la prostitution. La traite des êtres humains dans le cadre de la prostitution est un phénomène beaucoup plus révoltant parce que l'on est confronté à des cas de violence physique.
M. Van der Sijpt reconnaît que les magistrats n'ont pas pour tradition de se concerter beaucoup avec les autorités judiciaires d'autres arrondissements. On n'est pas suffisamment incité à organiser une concertation entre les magistrats de référence des principaux arrondissements, ne fût-ce que pour discuter du phénomène de manière générale. En effet, il est fort possible qu'un arrondissement soit confronté aujourd'hui à un phénomène déterminé auquel d'autres arrondissements risquent d'être confrontés demain. On ne peut cependant pas attendre d'un magistrat du parquet qu'il retienne chaque nom, chaque fait et chaque événement et qu'il transmette ses informations aux autres arrondissements. Le magistrat a pour tâche de veiller à ce que les services de police qui traitent un dossier transmettent leurs informations aux autres parquets, aux autres arrondissements judiciaires ou autres pays concernés par le dossier, par les canaux appropriés.
Néanmoins, l'on organise une concertation lorsque des problèmes struturels se posent. C'est ainsi que les magistrats des parquets de Bruxelles et de Bruges ont entretenu des contacts fréquents en 1999, parce qu'ils s'occupaient tous deux de dossiers de traite des êtres humains. L'on a pu conclure des informations du parquet de Bruges, que Bruxelles est une étape obligée dans les filières permettant aux étrangers de quitter le pays par la voie portuaire et que les transports vers la côte partaient de Bruxelles, de Schaerbeek et de Saint-Josse. Les dossiers judiciaires qui ont été ouverts consécutivement à cette concertation ont eu à leur tour des conséquences à Bruges même où l'on a réussi à réduire le nombre de filières.
Une autre conséquence de la nouvelle manière de traiter les dossiers en question réside dans le fait que les points de chargement des étrangers se sont déplacés vers Namur et vers la France. Il importe que nous suivions de près l'évolution des méthodes utilisées par le milieu criminel et que nous adoptions nos méthodes en perdant le moins de temps possible. Il faut pouvoir compter pour cela sur un apport d'informations considérable de la part des services de police, qui sont les premiers à être confrontés aux méthodes utilisées par le milieu criminel. Les services de police transmettent des informations criminelles au BCR et peuvent lui en demander. La transmission d'informations est parfois trop lente notamment parce que l'effectif du BCR est incomplet, mais elle n'en permet pas moins de faire aboutir certains dossiers. Lorsque l'on constate un lien entre certaines affaires, le service de police concerné prend directement contact avec un autre service de police. C'est ainsi qu'en 1999, on a arrêté le propriétaire de trois maisons dans lesquelles étaient hébergés systématiquement des illégaux. Les intéressés ont pu être identifiés grâce aux contrôles administratifs de la brigade portuaire de Bruges, et l'on a pu établir ainsi que les trois maisons servaient de point de relais avant un transport vers la Grande-Bretagne et que le propriétaire faisait partie d'une organisation criminelle.
M. Van Damme, substitut au parquet de Bruges, et le procureur ne sont présents qu'à la concertation pentagonale concernant la ville de Bruges. Cette concertation pentagonale est plutôt limitée. Néanmoins, le procureur général de Gand a, lui aussi, souligné au niveau provincial, la gravité de la traite des êtres humains et déclaré que la lutte contre celle-ci doit devenir une priorité. Sur un total de 375 arrestations qui ont eu lieu l'année passée, 60 étaient en rapport avec la traite des êtres humains. Comme les personnes concernées vont en appel, tous ces cas passent devant la chambre des mises en accusation de Gand. Le procureur général constate la charge de travail que cela représente pour ses services.
En ce qui concerne l'aspect policier, le parquet de Bruges doit essentiellement compter sur le personnel de la brigade maritime et aéroportuaire de la gendarmerie : deux maréchaux des logis-chefs et cinq autres membres du personnel doivent traiter tous les dossiers. Les effectifs sont donc insuffisants. Il ne faut pas oublier que ce travail vient s'ajouter aux tâches normales.
La circulation de l'information n'est pas non plus suffisante. Peut-être les magistrats nationaux ont-ils eux aussi trop peu de matériel et de personnel pour bien organiser le transfert de l'information aux parquets. M. Van Damme a suggéré qu'on charge spécifiquement quelqu'un de s'en occuper avec l'aide d'une équipe de fonctionnaires de police.
Un grand avantage est par contre que le BCR de la gendarmerie réunit les informations des différentes brigades concernant la traite des êtres humains. Le BCR assigne également des tâches, mais on ne peut oublier que les magistrats ont aussi d'autres missions. De plus, d'autres services publics que la police disposent également d'informations en la matière. Le parquet devrait contrôler toute cette information. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut sérieusement faire de la recherche proactive.
M. Van Damme insiste en outre pour que d'autres services de police que la gendarmerie accordent une attention particulière à la traite des êtres humains. Les corps de police communaux et urbains doivent également prendre leurs responsabilités en la matière. Eu égard à l'ampleur actuelle du problème, il est impossible que la gendarmerie s'acquitte, seule, de cette tâche.
Pour pouvoir intervenir sur les parkings, il faut davantage de moyens. Il convient d'associer les directions des centres d'accueil pour réfugiés à ce problème. Il arrive que les personnes interceptées et transférées dans un centre d'accueil y reçoivent la visite d'un trafiquant d'êtres humains qui les persuade de les faire passer en Grande-Bretagne contre paiement.
Il y a également une grande pénurie d'interprètes et de traducteurs. Chaque année, le tribunal de première instance de Bruges dépense 1,7 million de francs pour rémunérer les traducteurs et les interprètes. Au total, on débourse 20 millions de francs dans l'arrondissement judiciaire pour payer des interprètes. Il vaudrait mieux que l'on dispose d'un certain nombre de contractuels pour les langues les plus courantes et, pour les autres langues, comme l'albanais, de traducteurs indépendants. Les services de police sont souvent confrontés au problème de devoir interroger quelqu'un la nuit et de ne pas trouver d'interprète. Le fait de disposer de collaborateurs fixes présente en outre l'avantage que l'on peut leur faire plus confiance. Les étrangers que l'on utilise actuellement en tant qu'interprètes doivent souvent faire d'abord l'objet d'une enquête.
M. Van Damme a attiré l'attention sur le fait que l'Office des étrangers ne dispose pas d'une capacité de rétention suffisante. Certaines personnes interpellées prétendent parfois ne pas être victimes de la traite des êtres humains et ne sont donc pas non plus transférées dans un centre d'accueil. On doit les laisser repartir, alors qu'il serait utile de les interroger une deuxième fois. Le trafiquant d'êtres humains, en effet, feint généralement pour sa part ne pas s'opposer à une confrontation avec la personne interceptée sachant pertinemment que celle-ci n'est déjà plus là. Le problème est surtout que l'Office des étrangers ne dispose parfois, dans l'ensemble du pays, que d'un seul endroit où placer quelqu'un en détention administrative.
Il serait utile de pouvoir s'échanger des informations au niveau européen. À l'heure actuelle, la justice est déjà contente de disposer des informations que lui fournissent les compagnies de transport, concernant par exemple les personnes interceptées en Grande-Bretagne. Les services de police anglais exigent en effet toujours une demande officielle d'entraide judiciaire.
Lors de son audition devant la sous-commission du 20 mars 2000, M. Hombroise, avocat général au parquet de Liège, qui assume la fonction de magistrat de liaison en ce qui concerne la traite des êtres humaines au parquet général de Liège dans le cadre de la répartition des matières entre les membres du collège des procureurs généraux (9), a donné son appréciation de la législation en matière de traite des êtres humains. L'arsenal législatif en question découle du rapport de la commission parlementaire qui a examiné le problème au début des années 90. Ce rapport a fourni des armes supplémentaires pour aborder ce phénomène.
Il y a, comme premier élément, l'article 77bis du Code pénal, un article très intéressant et très important, parce que, pour la première fois, on a introduit clairement dans le Code pénal une incrimination relative à la traite des êtres humains en tant que telle. Cet article réprime la contribution à l'entrée d'un étranger sur le territoire belge lorsque, pour cette entrée, on a fait usage de violence, de menaces ou d'une forme quelconque de contrainte, ou lorsqu'on a abusé de la situation particulièrement vulnérable de cette personne, à savoir sa situation administrative précaire sur le territoire, son état de grossesse, sa maladie ou une déficience physique ou mentale, afin de l'introduire dans un circuit de traite des êtres humains, qu'il s'agisse de prostitution ou de travail ou main-d'oeuvre au noir. Le seul problème, évidemment, est que cette incrimination ne concerne que l'étranger et pas le citoyen belge.
Le second élément est l'article 380bis, § 1, 1º, du Code pénal. Il vise à réprimer l'embauche en vue de la prostitution, lorsqu'il s'agit d'une personne majeure et, changement important par rapport au texte antérieur, « même de son consentement ». Il y a donc une volonté de protection de la personne qui est en quelque sorte considérée comme une victime, même si elle exerce ses activités de prostitué(e) dans le cadre de cette filière.
L'article 380bis du Code pénal introduit une nouvelle notion, celle de proxénétisme hôtelier. Il punit le fait de vendre, de louer ou de mettre des chambres à disposition pour la prostitution, pour autant, dit le texte, que le but soit de réaliser un « profit anormal ». C'est le cas de chambres ou de salons de prostitution loués à des prix exorbitants par rapport à la valeur de l'immeuble. Le problème est évidemment que l'intéressé(e) dit que le loyer n'est pas anormal par rapport aux maisons de la même rue. En effet, dans une rue consacrée à la prostitution, tous les loyers sont du même niveau et il faut donc comparer ces loyers aux loyers normaux dans un quartier qui n'est pas dévolu à la prostitution. On a, dans le même temps, dépénalisé la notion de souteneur. Le simple fait de vivre avec une personne prostituée n'est plus considéré comme pénalement répréhensible parce qu'on ne peut pas sanctionner encore davantage la prostituée, qui a le droit d'avoir une vie affective normale.
L'article 379 du Code pénal concerne la débauche, la corruption et la prostitution des mineurs d'âge de moins de 16 ans. L'article 386bis du Code pénal est relatif à la pornographie enfantine. L'article 380quinquies du Code pénal réprime la publicité pour des pratiques à caractère sexuel, lorsqu'elle s'adressent explicitement à des mineurs d'âge.
À côté de ces incriminations pénales proprement dites, des actions plus périphériques ont été introduites :
D'abord, il y a l'action en cessation d'activité, qui permet au ministre compétent, s'il y a infraction à la législation sociale dans des endroits où on soupçonne la débauche et la prostitution (cas classique des employées de bars), d'intenter une action en cessation devant le président du tribunal de première instance. Cette cessation d'activité a souvent un impact plus important que la condamnation pénale, puisqu'elle fait tarir la source de revenus pour l'organisateur du trafic.
Ensuite, il y a la modification du délai de prescription, qui est très importante. Souvent, en effet, les faits sont dénoncés postérieurement. En faisant courir le délai de prescription à partir de 18 ans, on permet des poursuites pendant un laps de temps plus long.
Enfin, le nouvel article 10ter du Code d'instruction criminelle permet de poursuivre le Belge et l'étranger, trouvés en Belgique, pour des faits commis à l'étranger et non sur le territoire belge. Il s'agit notamment de la répression du tourisme sexuel en Thaïlande et dans d'autres pays d'Asie. Certains dossiers ont d'ailleurs été ouverts à la suite de cette modification du Code d'instruction criminelle. Un problème persiste toutefois : un article 10ter a maintenu la double incrimination. Pour pouvoir poursuivre le fait, il faut que ce fait soit répréhensible dans le pays où il a été commis. Or, il existe des problèmes de concordance entre les différentes législations. Certains pays ne poursuivent pas tel fait que nous poursuivons chez nous.
D'autres dispositions ont encore été introduites, par exemple l'interdiction de certains droits civils et politiques lorsqu'on a commis certaines infractions à caractère sexuel, l'interdiction d'exploiter et la fermeture d'établissements, l'interdiction de dispenser un enseignement dans un établissement public ou privé accueillant des mineurs lorsqu'on a été condamné pour ce type d'infraction.
À côté de cet arsenal législatif, d'autres initiatives importantes ont été prises, notamment la mise en place et le renforcement de certaines structures en vue de la mise en oeuvre de cet arsenal législatif.
Au sein du BCR de la gendarmerie, une cellule « traite des êtres humains » a été créée. Des missions particulières lui ont été dévolues, notamment celles de détecter le trafic, d'assurer une fonction d'avis et d'information et de développer une spécialisation dans le domaine. Cette cellule doit aussi être opérationnelle et donc apporter son appui sur le terrain.
Une deuxième structure impliquée dans la lutte contre ces phénomènes est le collège des procureurs généraux, institué par la loi du 4 mars 1997, qui intervient dans tous les domaines de la criminalité organisée, dont la traite des êtres humains. La répartition des tâches a fait que ce domaine est dévolu à Mme le procureur général de Liège.
La troisième structure est celle des magistrats nationaux, qui existaient déjà par une circulaire ministérielle de 1990, mais qui ont été institutionnalisés par la même loi du 4 mars 1997. Ils assurent une coordination des enquêtes en matière de criminalité organisée. Ils ont une compétence nationale, ce qui n'est pas inintéressant lorsqu'on est confronté à des infractions commises sur plusieurs arrondissements judiciaires. Enfin, ils exécutent les demandes d'entraide judiciaire urgente et interviennent auprès des autorités de décision des opérations policières transfrontalières, ce qui est très important car cette criminalité présente de plus en plus un caractère international.
Une quatrième institution a été créée. Il s'agit de la notion de magistrat de liaison « traite des êtres humains ». Elle a été instituée par une décision du 14 novembre 1996 du collège des procureurs généraux. Dans chaque arrondissement judiciaire et dans chaque parquet général, un magistrat de référence et de liaison « traite des êtres humains » est désigné.
La dernière structure d'importance repose sur les centres d'accueil spécialisés en matière de traite des êtres humains. Trois de ces centres ont été agréés dans notre pays : pour la Région flamande, il s'agit de l'ASBL Payoke, pour la Région bruxelloise, de l'ASBL Pag-Asa et, pour la Région wallonne, de l'ASBL Sürya. Ces ASBL ont un rôle non négligeable à jouer. Elles doivent, en effet, accueillir les victimes de la traite des êtres humains. La difficulté majeure dans ce genre de dossier est d'amener les victimes à s'adresser à l'autorité judiciaire parce que, en parlant, elles risquent de subir des mesures de rétorsion de la part des organisateurs des filières. Il convient donc qu'elles puissent être accueillies dans des centres formés et agréés.
Enfin, la circulaire du 7 juillet 1994 relative à la délivrance des titres de séjour fixe les modalités particulières pour que les personnes étrangères, souvent en séjour illégal, qui ont apporté leur concours à une enquête sur la traite des êtres humains, soient autorisées à rester sur le territoire.
S'agissant d'une problématique nécessitant une approche multidisciplinaire, on a voulu une coordination entre tous les acteurs, comme les inspections sociales et le ministère des Affaires étrangères, ce qui a permis la création de la cellule interdépartementale de lutte contre la traite des êtres humains. Elle regroupe, à intervalles plus ou moins réguliers, toutes les personnes concernées.
On dispose donc d'un arsenal législatif effectif et de structures en vue de le rendre opérationnel. On a également voulu mettre sur pied une politique uniforme de poursuites sur le territoire belge. Cette volonté a donné lieu à la directive ministérielle « COL 12 » (10), qui concerne la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains et de pornographie enfantine. Cette directive a été approuvée le 30 avril 1999, diffusée le 3 juin 1999 par le collège et est entrée effectivement en application le 1er septembre 1999. Elle a été élaborée au sein d'un groupe de travail, regroupant la plupart des acteurs travaillant dans ce domaine, après une très large consultation des acteurs de terrain et d'associations ou personnes qui ont écrit sur cette problématique particulière.
Un premier axe de la « COL 12 » est l'analyse du phénomène. Pour bien combattre un phénomène de ce type, il faut bien le connaître. Et pour bien le connaître, il faut pouvoir se référer à des renseignements fiables, collectés de manière uniforme, visant, au niveau de la recherche du renseignement, à se focaliser sur l'organisation du trafic et non sur l'aspect le plus visible du trafic, notamment la prostituée dans la rue. En effet, la prostituée est considérée comme une victime de la traite des êtres humains et non comme un acteur effectif. On a voulu bannir les contrôles dont le seul objet était le contrôle de la prostituée sur la voie publique, estimant que ce contrôle ne présentait pas beaucoup d'intérêt pour les poursuites contre les véritables organisateurs du trafic. La directive a, dès lors, donné certains signaux clairs, notamment en matière de fichage des prostituées. Ce fichage est d'ailleurs soumis à une autorisation préalable des intéressées, conformément à la loi sur la protection de la vie privée. Néanmoins, la prostituée peut sortir d'une banque de données si, par exemple, elle n'exerce plus. Cette prise de position a été contestée par certaines personnes, notamment par les policiers de terrain, qui étaient d'avis qu'il était impossible de dresser une bonne carte du phénomène sans ce fichage des prostituées, et par les bourgmestres. Le contrôle systématique des prostituées sur la voie publique était considéré par les bourgmestres comme un moyen de pression à l'égard de la prostituée, visant souvent à la faire changer de quartier. Dans les grandes villes, les bourgmestres sont en butte à certaines récriminations de la population qui voit d'un mauvais oeil s'installer, par exemple, à proximité d'un commerce, des pratiques de prostitutions pouvant nuire au commerce local. Cependant, les magistrats n'ont jamais contesté la mission de police administrative du bourgmestre. Lorsqu'un comportement sur la voie publique est de nature à troubler l'ordre public, le bourgmestre a le droit de faire intervenir la police locale, mais dans la « COL 12 », il s'agit de la collecte du renseignement et non de la police administrative.
La recherche du renseignement est confiée à l'ensemble des services de police. La directive a donné un canevas d'éléments à vérifier. Par exemple, auparavant, on s'informait très peu sur les membres d'un conseil d'administration d'une société. Or, de plus en plus, ce trafic des êtres humains se déroule dans des établissements gérés par une même société. On retrouve donc régulièrement les mêmes personnes dans ce milieu. L'aspect patrimonial est aussi important. Un examen au niveau fiscal et comptable peut donner des renseignements utiles. Lorsque ces renseignements sont recueillis par les services de police ou de gendarmerie, ils sont centralisés au sein des BDR, soit les banques de renseignements au niveau des districts de gendarmerie. Ils sont ensuite transmis pour analyse à la cellule « traite des êtres humains » du BCR de la gendarmerie, ce service devant établir une image du phénomène qui sera à la disposition des magistrats amenés à déterminer le type d'actions à mener et les dossiers à ouvrir.
Un deuxième volet est la coordination du travail de recherches et de poursuites, comme évoquée au point 2 de la directive. Une fois le phénomène analysé, il faut agir. La responsabilité repose sur le magistrat de liaison du parquet, qui s'appuie sur une série de renseignements et de collaborations au sein d'une « coordination » institutionnalisée. En effet, chaque magistrat de liaison de chaque parquet doit organiser une réunion de coordination tous les deux mois ou trimestriellement, avec la participation de la plupart des acteurs de terrain concernés. Ces acteurs sont d'abord les magistrats aussi bien le magistrat de parquet que l'auditeur du travail puisque la traite des êtres humains concerne également le travail au noir , les services de police, de gendarmerie et de police judiciaire, les représentants des cellules d'arrondissement des inspections sociales et des inspections du travail. Le magistrat de liaison peut, en outre, inviter toute personne ou tout service dont il estime la présence utile. Une telle réunion de coordination est rendue obligatoire au moins quatre fois par an. C'est lors de ces réunions que les actions sont définies et que les résultats sont débattus. C'est là aussi que sont choisis les moyens de lutte à mettre en oeuvre.
En ce qui concerne ces moyens au niveau des dossiers, on peut être réactif, c'est-à-dire agir à la suite d'une dénonciation ou de la déclaration d'une prostituée se disant contrainte de se livrer à ces pratiques. Contrairement aux cas de vols, où l'on agit forcément de manière réactive, dans ce domaine, ce n'est pas le client qui porte plainte, pas le proxénète qui se dénonce et rarement la prostituée ou la personne forcée de travailler dans des conditions proches de l'esclavage qui entreprend la démarche. En effet, ces personnes craignent des mesures de représailles, sont en situation illégale ou sont soumises à des pressions économiques telles qu'elles parlent très rarement. On dispose donc de très peu d'informations pour agir de manière réactive. Si l'on veut s'attaquer efficacement au phénomène, il faut agir de manière proactive, c'est-à-dire chercher, ouvrir des dossiers d'office en fonction des renseignements récoltés. Il faut donc utiliser des moyens particuliers d'observation, d'infiltration du milieu, etc. Il est inutile d'organiser une surveillance de 24 heures. Il faut l'étaler sur plusieurs jours, à des heures diverses. Le magistrat choisira, lors des réunions de coordination, le moyen qui lui paraît le plus adéquat.
Le troisième volet de la directive est le contrôle de l'efficacité de ce que l'on a entrepris. La directive confie un rôle important au magistrat de liaison « traite des êtres humains » des parquets d'instance et des parquets généraux. Le magistrat de liaison des parquets d'instance présente un rapport annuel au parquet général qui établira un rapport à l'intention du ministre de la Justice. Une réunion annuelle de l'ensemble des magistrats de référence « disparitions traite des êtres humains » du pays est, en outre, organisée par le collège des procureurs généraux, avec le concours du service de la politique criminelle du ministère de la Justice.
Objectivement, M. Hombroise est d'avis que sur le plan législatif et sur le plan des structures, aucune modification fondamentale ne s'impose dans l'immédiat. En revanche, pour la mise en application, certains problèmes pratiques se posent, démontrant qu'il faut veiller à donner les moyens aux structures et aux services et à les faire fonctionner efficacement. Une évaluation de la mise en oeuvre de la « COL 12 » est prévue pour septembre 2000. On constate cependant déjà un certain nombre de difficultés, d'abord en ce qui concerne le stockage de « l'information douce », recueillie par la cellule « traite des êtres humains » de la gendarmerie, exploitable ultérieurement et, contrairement aux « informations dures », ne concernant pas des faits précis. Sans ce stockage, il est impossible de se faire une idée de l'ampleur du phénomène.
Deuxièmement, la cellule estime qu'elle a des difficultés de centralisation. La première centralisation de l'information recueillie par tous les services de police se fait au niveau des districts de gendarmerie que sont les BDR. La cellule estime qu'il lui manque du personnel pour traiter l'information venant des autres services de police. Cependant, un représentant du BCR figurait en effet au sein du groupe de travail qui a élaboré la directive. Il est relativement inquiétant que quelques mois plus tard, le BCR estime que ce système ne peut pas fonctionner. Peut-être peut-on trouver la raison de ces difficultés dans la « COL 6 » la répartition des tâches entre les services de police et de gendarmerie qui prévoit que les BDR, qui sont les lieux où l'information est centralisée au niveau des districts de gendarmerie, deviendront les BIA. Or, la « COL 6 » prévoit que ces BIA seront assurés au sein des districts de gendarmerie par du personnel non seulement de la gendarmerie mais aussi de la police judiciaire et des polices communales. Manifestement, on sent des réticences de ces deux dernières à fournir du personnel. Dire que les BDR actuelles n'ont pas les moyens d'assurer leur politique apparaît comme étant en quelque sorte un moyen de pression. Mis au courant de cette situation, le parquet général de Liège a informé le ministre de la Justice et le collège des procureurs généraux, en disant qu'il s'agissait d'un problème à régler avec le ministère de l'Intérieur, qui est responsable de la gendarmerie, mais ajoutant que le parquet ne veut pas que l'on reprochera de n'avoir rien fait en matière de traite des êtres humains ...
Une autre difficulté concerne l'échange d'informations entre les autorités judiciaires et les autorités administratives. En effet, si l'on veut travailler de manière pluridisciplinaire, il faut que les informations circulent entre les divers services. Si l'échange d'informations entre le non-judiciaire et le judiciaire ne pose guère de difficultés puisque les fonctionnaires sont tenus, lorsqu'ils constatent une infraction, de dénoncer cette infraction à l'autorité judiciaire, il y a par contre un problème dans l'autre sens, celui de l'information recueillie au niveau judiciaire vers le service administratif. Cela pose le problème du secret professionnel. Cela a été aggravé par l'article 28quinquies, § 1er, de la « loi-Franchimont », qui prévoit que l'information est secrète (11). Sauf les exceptions prévues par la loi, toute personne appelée à prêter son concours à l'information, pas seulement le magistrat, mais aussi le policier, est tenue au secret. Celui qui viole ce secret est puni des peines prévues à l'article 458 du Code pénal. Cela rend encore plus problématique l'échange d'informations, qui se faisait plus ou moins de manière informelle entre les policiers et les services administratifs. Les policiers, se référant à l'article 458, sont donc réticents à fournir systématiquement les informations. La solution actuelle est de passer chaque fois par le magistrat qui autorisera ou non l'échange. On se rend compte que cette procédure est lourde et qu'elle n'est pas faite en temps réel. Selon M. Hombroise, il y a deux solutions possibles pour le futur : une solution législative et une solution d'attente à plus court terme.
Au niveau législatif, on pourrait envisager de revoir l'article 28quinquies, § 1er, dans la mesure où il établit un secret de l'information. Comme l'article prévoit dans son intitulé « sauf les exceptions prévues par la loi », on pourrait introduire sur le plan législatif l'exception, liée à la transmission d'informations dans le cadre de la « traite des êtres humains ». Cela permettrait de débloquer la situation. À plus court terme, on pourrait envisager une solution intermédiaire. Les différents acteurs, qu'ils soient administratifs ou judiciaires, pourraient définir un certain nombre d'informations en les limitant, informations dont la transmission leur paraît indispensable pour lutter efficacement contre le phénomène. On pourrait peut-être alors envisager une autorisation générale qui émanerait du collège des procureurs généraux, sur la base de l'article 125 du Code de l'instruction criminelle qui permet de donner certains renseignements. Il faudrait surveiller la manière dont on se sert de cette autorisation générale pour éviter les dérapages. On pourrait considérer que sur le plan fédéral, on charge le magistrat national de surveiller comment ça se passe. Au niveau des cours d'appel, ce serait le parquet général; au niveau de l'arrondissement, le procureur du Roi.
Il y a les moyens humains à mettre en oeuvre. Or, les parquets manquent de moyens. Certes, il y a des magistrats de liaison « traite des être humains », mais pour pouvoir bien faire son travail, il faudrait pouvoir se consacrer exclusivement à sa spécialité. Cette spécialisation est toutefois impossible dans les petits parquets. Dans les grands parquets, le manque d'effectifs constitue également un problème; le magistrat de liaison « traite des êtres humains » ne consacre que le tiers ou la moitié de son temps à cette question.
Par ailleurs, la formation adéquate manque. Le ministère de la Justice propose des formations intéressantes, mais elles se déroulent en semaine, à des heures d'audience, ce qui empêche de nombreux magistrats d'y participer.
Il faut donner les moyens en matière d'actions proactives. Les services spéciaux d'écoute, de surveillance, etc., devraient être renforcés pour pouvoir être utilisés de manière efficace.
Dans la directive « COL 12 », la définition de la traite des êtres humains était « l'exploitation, sur notre territoire, de personnes se trouvant en situation précaire ou soumises à des violences ». On n'a pas abordé de manière spécifique l'immigration clandestine comme telle, estimant que l'immigration clandestine n'avait pas cet aspect d'exploitation sur notre territoire. Si les personnes immigrées clandestinement, entrées chez nous par des filières, travaillent sur notre territoire, on rentre alors dans la directive puisqu'elles sont exploitées sur notre territoire. Si elles sont exploitées dans le cadre de la proposition, on entre aussi dans la directive. Mais, à l'heure actuelle, le simple fait de passer par une filière d'entrée sur le territoire ne les fait pas entrer dans la directive. Cependant, le ministre de la Justice estime actuellement que cela fait partie de la traite des êtres humains et veut inclure ce volet « immigration clandestine sur le territoire » et en fait d'ailleurs une priorité. La directive n'est pas adaptée. Le ministre pense donc faire une directive spéciale. Comme le problème intéresse également le ministère de l'Intérieur, un groupe de travail intercabinets Justice-Intérieur a été chargé par le Conseil des minstres de rédiger une note concernant cette problématique. On y propose trois moyens : l'installation d'une cellule opérationnelle permanente pour la lutte contre les filières, le renforcement de la coopération entre les services de police et la Justice et la création d'une task force mobile par le ministère des Affaires étrangères.
M. Hombroise a donné l'exemple des personnes interceptées sur les parkings d'autoroute quand on les découvrait dans des camions à destination de la Grande-Bretagne. Manifestement, elles avaient payé une somme importante dans leurs pays d'origine pour venir ici en Belgique. On a intercepté un passeur. La gendarmerie a appliqué une directive du ministère de l'Intérieur en ce qui concerne la manière d'aborder le problème, qui prévoyait d'identifier les personnes interpellées. Les personnes immigrées clandestinement devaient être conduites dans des centres d'accueil. La plupart de ces personnes ne sont guère restées dans ces centres : soit elles sont parties d'elles-mêmes ou sont devenues clandestines sur le territoire, ce qui a rendu très difficile la prise en compte d'une action judiciaire à l'égard de ce passeur. En effet, on ne recueillait aucun témoignage à son encontre puisqu'on n'avait plus à disposition les témoins éventuels qui avaient été l'objet de cette activité. La raison en est qu'on a appliqué strictement une directive du ministre de l'Intérieur sans envisager l'aspect judiciaire qui aurait nécessité que ces personnes, avant d'aller dans un centre, puissent faire l'objet d'une audition circonstanciée, etc. Il faut mettre en place un système permettant de rencontrer les deux objectifs : d'abord le contrôle de l'immigration, mais également la preuve de la traite des êtres humains.
M. Van Damme, substitut au parquet de Bruges, a souligné, au cours de son audition devant la sous-commission, le 7 février 2000, que l'article 77bis de la loi relative aux étrangers, tel qu'il s'applique depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 avril 1995, pose des problèmes en matière d'administration de la preuve. Il n'y a rien, dans la loi, à propos du transfert de personnes vers la Grande-Bretagne, alors que c'est précisément ce contre quoi il s'agit de lutter. Or il est extrêmement difficile de faire la preuve des « manoeuvres frauduleuses » dont il est question à l'article 77bis, § 1er, 1º, de la loi précitée. Le parquet doit souvent se rabattre sur « l'abus de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve l'étranger en raison de sa situation administrative illégale ou précaire », tel que visé à l'article 77bis, § 1er, 2º, de la même loi. Lorsqu'une somme de 200 000 francs a été payée pour venir en Belgique, cela suffit à démontrer l'abus en question.
La jurisprudence de la cour d'appel est que le juge doit apprécier la question de fond. Ne serait-il dès lors pas intéressant de porter le taux de la peine de l'article 77 de la loi sur les étrangers à un ou deux ans, tout en étendant l'application de cet article à l'aide apportée aux illégaux ou à leur transfert ? Cela pourrait peut-être faciliter les choses et permettre d'échapper à la discussion sur l'administration de la preuve.
La « COL 12 » émise par le ministre de la Justice en 1999 prévoyait 31 formulaires à remplir. Sur le terrain, ce n'était évidemment pas praticable. On a donc proposé de ramener ce nombre à un seul formulaire. M. Van Damme estime toutefois qu'il serait tout aussi difficile d'utiliser ce formulaire unique et il propose de travailler avec trois modèles. Un modèle contenant des informations sur la prostituée, un modèle contenant des informations sur le propriétaire, sur les sociétés, etc. et un troisième modèle contenant des informations sur le trafic d'êtres humains.
Fin décembre 1999, les chefs de corps des divers services de police ont fixé les priorités en matière de traite des êtres humains, en exécution de la « COL 12 ». La première est le trafic des êtres humains en général, la deuxième, la traite des êtres humains dans le cadre de la prostitution et la troisième, la traite des êtres humains liée au travail clandestin.
Actuellement, on a besoin de toutes les forces pour combattre le premier problème, mais dès que celui-ci sera sous contrôle, on pourra libérer des effectifs pour s'attaquer aux autres. Dans le secteur horeca, la traite des êtres humains est en effet très importante.
La « COL 12 » prévoit, en outre, la nécessité de créer des structures de coordination. C'est une idée intéressante. Dans l'arrondissement de Bruges, elle a reçu un commencement de réalisation, tandis qu'à Bruxelles on est déjà beaucoup plus avancé. Le problème de la prostitution est évidemment plus sensible à Bruxelles, où il est lié à d'autres, ce qui rend toute comparaison difficile.
Lors de son audition devant la sous-commission, M. Dulieu, substitut au parquet de Liège a expliqué qu'à son sens, la loi du 13 avril 1995 est une très bonne disposition légale. En revanche, au niveau de la directive ministérielle de mai 1999, créant la fonction de magistrat de référence dans le parquet d'instance et au parquet général, on attribue un rôle de coordination au magistrat du parquet d'instance en exigeant des réunions au minimum tous les trois mois avec les enquêteurs, et la contrepartie, qui est importante vis-à-vis des parquets généraux, n'existe pas. En effet, au niveau du magistrat de référence du parquet général, on n'exige pas le même genre de réunion de coopération avec les substituts de son ressort de cour d'appel. Ce serait pourtant une bonne chose que de demander à l'avocat général titulaire de la matière « traite des êtres humains » de réunir régulièrement les substituts du ressort de sa cour pour cette matière. Les magistrats de parquet peuvent faire la même chose : discuter des dossiers en cours, éventuellement constater que les mêmes personnes apparaissent dans divers dossiers ou que des informations sont appuyées dans d'autres dossiers. Pour l'instant, le système est conçu de telle manière qu'on a des contacts avec des collègues de parquets extérieurs, au cas par cas, un dossier à la fois. Mais on n'a pas la compétence de systématiser des contacts entre collègues, ce qui consisterait évidemment à empiéter sur les compétences des parquets généraux. M. Dulieu est d'avis que la directive ministérielle devrait être changée dans ce sens-là, ainsi que vers l'élargissement de la notion de « traite des êtres humains ». La définition figurant dans la directive ministérielle limite la qualification de « traite des êtres humains » à l'hypothèse d'un moyen de contrainte ou d'un acte de violence ou de menace dont serait victime la prostituée. M. Dulieu trouve que c'est trop réducteur parce qu'il est des réalités beaucoup plus subtiles telle la prostitution en privé où la notion de consentement de la prostituée est là mais peut ne plus l'être à un moment donné. Et là, si l'on se base sur la circulaire, il ne s'agit pas de traite des êtres humains. Ce serait donc une possibilité d'amélioration.
Un membre de la sous-commission fait remarquer que la situation inverse peut également se manifester. Au début, il n'est pas question de traite des êtres humains. Cela le devient quand, de par la constitution de la filière, on commence à faire payer la note du voyage, du commerce, le prix du loyer, etc. De plus, on commence à faire chanter la personne en question chez elle, dans son pays d'origine. Face à tout cela, un être humain, venu soi-disant pour un boulot, finit dans la prostitution. Le moment où on aboutit dans la prostitution sans jamais avoir pensé y aboutir est donc crucial. Le membre pose la question de savoir dans quelles matières le parquet a la possibilité de suivre plus longuement les filières, lorsqu'on parle des personnes qui finissent tout de même par prendre des contacts avec la police ou n'importe quel service judiciaire. Il se dit convaincu qu'aussi longtemps qu'un trafiquant d'héroïne sera pénalisé de vingt ans d'emprisonnement et qu'un trafiquant d'êtres humains sera pénalisé de deux ans, alors que le résultat du trafic est le même, il est clair qu'il y aura un glissement d'un commerce vers l'autre.
M. Dulieu répond qu'en Belgique, ce n'est pas le cas. Les peines sont fonction du type d'infraction. Grosso modo, il s'agit de traite des êtres humains ou de trafic de stupéfiants, les peines sont au même niveau pour les mêmes personnes, selon l'ampleur du trafic.
On découvre la technique utilisée par la filière lorsque le dossier aboutit. Selon M. Dulieu, il n'existe pas une organisation de type international qui fonctionne avec des rouages bien huilés selon la même technique chaque fois. La technique dépend des circonstances. Il donne l'exemple d'un personnage vivant en Belgique depuis quelque temps, qui reçoit un coup de téléphone. La personne au bout du fil affirme avoir rencontré une étudiante dans un café dans un certain pays et sortir avec elle. Cette personne demande au compatriote vivant en Belgique de l'héberger quelque temps parce qu'il va amener sa copine ici. À un moment donné, on sort une arme et on amène cette dame par la force. Le compatriote la séquestre et l'emmène à Anvers. Cela se reproduit régulièrement. Mais les techniques varient d'une filière à l'autre.
Un membre de la sous-commission souligne que leur point commun est qu'on force toujours la jeune fille. Elle est intéressée d'identifier l'acte qui doit être pénalisé. Le système imposant qu'une victime porte plainte est en effet insoutenable pour ce genre de comportement. En fait, par exemple en Albanie, on remarque qu'il y a aussi une espèce de chantage sentimental au début qui finit toujours de la même façon. On passe du chantage sentimental au fait de forcer. Une personne qui a subi cela finit par s'autojustifier et brouiller l'analyse de la victime. C'est donc le moment où l'on force qui doit être identifié et mieux précisé dans la circulaire ou dans la loi.
M. Dulieu répond qu'il y a plusieurs possibilités variables selon les cas. Il y a les cas les plus rares qui sont ceux de l'usage de violence brute, c'est-à-dire l'enlèvement ou la menace. On amène la personne dans un pays bien précis pour la mettre en vitrine. La plupart du temps, on fait miroiter une profession qui rapporte beaucoup d'argent sans jamais prononcer le terme de prostitution. On parle d'artiste, d'entraîneuse poussant à la consommation, mais sans relation sexuelle. Quand on arrive sur place, on se rend compte que ce n'est pas du tout le cas. Il arrive aussi que la dame sache très bien qu'elle va venir se prostituer. On lui promet la grande vie, sachant qu'elle vit dans la misère, et on lui prend tout ce qu'elle gagne. Il y a des situations qui sont un mélange de l'un ou de l'autre. Il y a parfois différentes situations au sein d'une même filière où des dames tout à fait conscientes qu'elles vont se prostituer en côtoient d'autres qui ne le sont pas du tout.
Au cours d'une audition devant la sous-commission, en date du 14 février 2000, M. Bourgeois, capitaine-commandant de la gendarmerie (BSR) à Bruxelles, a donné une évaluation des législations existantes dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains.
La loi du 13 avril 1995, contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, donne en général satisfaction. Elle donne aux services de police suffisamment de possibilités pour engager le combat contre les réseaux. Plus particulièrement, l'article 380bis du Code pénal, remplacé par la loi du 13 avril 1995, permet de poursuivre les personnes moins importantes au sein des organisations qui se chargent de prêter un appui plutôt logistique. Cet article vise non seulement les exploitants des maisons de débauche, mais aussi les personnes qui n'ont apparemment aucun lien avec la prostitution, mais qui vendent, louent ou mettent à la disposition en vue de la prostitution des immeubles ou des chambres, afin de réaliser un profit anormal. Il est évident que cet article permet de poursuivre éventuellement au pénal les exploitants d'un hôtel de passe ou même les propriétaires des carrées.
Pour savoir ce que l'on peut cataloguer de « profit anormal », il faut évidemment s'en référer à la jurisprudence. Il est évident qu'un loyer élevé pour un quartier déterminé peut être qualifié de profit anormal. On peut toutefois se demander s'il en va de même pour ce qui est de l'exploitant d'un hôtel de passe, qui loue ses chambres à un prix très équitable (par exemple 500 francs), mais qui réalise un profit anormal en raison de leur taux d'occupation élevé. Aussi est-il parfois difficile pour les membres du service de police de se faire une idée précise de la situation, parce qu'ils ne trouveront, lors de l'exécution des contrôles, que des contrats de location qui ne reflètent pas le loyer réel.
La loi donne compétence au Roi pour déterminer les règles et mesures concrètes permettant d'aider les victimes de la traite des êtres humains, notamment en ce qui concerne les éventuelles actions judiciaires qu'elles intenteraient. L'article précité et les mesures qui en découlent sont très importants en ce qui concerne la lutte contre la traite des êtres humains, puisqu'ils offrent une solution de rechange à la victime qui souhaite sortir de la prostitution. S'il n'y avait pas ces possibilités en matière d'accueil et de prolongation du séjour, il serait impossible de convaincre une victime et de lui faire effectivement quitter le milieu. Aussi les directives sont-elles fréquemment appliquées par les services de police et ont-elles déjà donné lieu à la délivrance d'un permis de séjour permanent. Il convient, à cet égard, de faire remarquer que la procédure en question est engagée sous la direction du magistrat de référence de la traite des êtres humains, qui décide si une personne est considérée effectivement comme une « victime de la traite des êtres humains ». La coopération avec l'Office des étrangers en la matière est, elle aussi, excellente.
M. Bourgeois a néanmoins souligné la difficulté pratique qu'il y a à convaincre chaque jeune femme interpellée, dont on suppose qu'elle est une victime, de quitter le milieu et de faire des déclarations à charge du réseau ou de la bande. Les services de police ne peuvent agir à la légère en la matière, pour ne pas mettre en danger la sécurité des autres victimes déjà intégrées dans des structures d'accueil. Dans la pratique, cela implique que le magistrat de référence ne lui accordera le statut de victime que lorsqu'il n'y a aucun doute quant à ses intentions et qu'elle a donc fait une première déposition. Dans la pratique, il est déjà arrivé à plusieurs reprises que les victimes placées disparaissent, retournent dans la prostitution ou soient récupérées par l'organisation. Dans ce cas, elles peuvent facilement transmettre à cette dernière des informations quant aux adresses des refuges et, éventuellement, quant aux autres jeunes femmes, ce qui permet à l'organisation d'élaborer des projets d'enlèvement d'autres jeunes femmes placées. Dans ce cadre, la BSR de Bruxelles travaille en étroite collaboration avec le centre d'accueil Pag-Asa.
Un problème spécifique se pose pour les mineures d'âge que l'on rencontre souvent dans ce milieu. Différentes possibilités sont prévues en fonction de l'attitude des jeunes femmes. Ou bien la mineure d'âge, après avoir été interpellée, n'est pas disposée à coopérer; dans ce cas, on essaiera de la mettre à l'abri dans un centre fermé, étant donné qu'elle se trouve dans la situation de « mineure en danger ». Si nous ne prenons pas une telle mesure, la victime risque, à la moindre occasion, de disparaître et de retourner auprès de l'organisation. Ou bien la jeune fille souhaite quitter le milieu de la prostitution et elle est prête à aider les services de police. Dans ce cas, on cherchera d'autres possibilités. Il est souvent fait appel à l'ASBL « 't Huis », une maison d'accueil pour les mineurs orphelins, où nous pouvons placer la victime. On peut bien entendu se demander s'il s'agit là d'une situation idéale en ce qui concerne les autres mineurs placés qui ne proviennent pas du milieu de la prostitution, mais il n'est pas conseillé de placer une mineure d'âge victime de la traite des êtres humains parmi des victimes majeures.
Par lettre du 26 janvier 2000, MM. Leman et Cornil, directeur et directeur adjoint du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, ont communiqué quelques propositions de modification de la législation par rapport à la lutte contre la traite des êtres humains.
L'analyse d'une quinzaine de décisions judiciaires effectuée dans le cadre du rapport annuel de mai 1999 a montré que la loi du 13 avril 1995 présentait certaines lacunes et ambiguïtés, donnant lieu à des interprétations divergentes par les juges. On a le choix entre attendre d'avoir une jurisprudence suffisamment claire, ou clarifier immédiatement par voie législative. Cette constatation est partagée par de nombreux acteurs de terrain avec lesquels le centre est en contact.
En ce qui concerne la loi du 13 avril 1995, il faudra clarifier un certain nombre de points, entre autres :
Le Centre et les ASBL agréées ont-ils le droit d'agir dans des affaires de traite au nom de la victime sans mandat de celle-ci ?
Au cours des travaux parlementaires, il est apparu que pour protéger les victimes contre les menaces de représailles, on admettait l'idée que la victime puisse ester en justice à travers le centre ou les ASBL sans laisser de trace écrite de sa demande. À la suite de l'audition d'experts par la Commission parlementaire d'enquête, il semblait que c'était la seule manière de ne pas vider de sa substance la disposition donnant cette possibilité aux victimes.
Le centre, quant à lui, se ralliait à l'interprétation téléologique faite par la majorité des experts. La finalité poursuivie par la loi est ici de permettre à certains organismes et associations qui prennent la défense des victimes de la traite des êtres humains d'ester en justice au nom de ces victimes contre certains réseaux de prostitution ou certains responsables de la traite des êtres humains. L'idée était de protéger ces victimes contre les menaces de représailles, à la suite desquelles d'aucunes ont déjà perdu la vie. La plupart des spécialistes et des membres de la commission parlementaire étaient d'accord à l'époque que c'était la seule manière de ne pas hypothéquer l'efficacité de cette disposition.
Le centre a abordé cette question dans son dernier rapport annuel car la jurisprudence est partagée. Deux jugements rendus à Bruxelles sont en faveur de l'interprétation correspondant à l'esprit des travaux parlementaires; en revanche, un jugement rendu par une autre chambre de Bruxelles et un jugement rendu à Anvers vont dans le sens contraire.
Il faudrait en outre saisir cette occasion pour aborder la question d'une protection spéciale des témoins et victimes de la traite des êtres humains. Au niveau judiciaire, les noms des témoins et des parties civiles sont cités en toutes lettres dans les jugements. Afin de garantir la sécurité des victimes et de les affranchir réellement de la peur des représailles, il serait indispensable de franchir un pas de plus en trouvant le moyen de leur garantir l'anonymat. Une telle possibilité n'existe certes pas encore en droit belge, mais bien dans certains États, tels l'Italie ou les États-Unis (en faveur des repentis) par exemple.
Quels sont les liens et les nuances entre la traite des êtres humains et le trafic des personnes; dans quelles circonstances le trafic doit-il être considéré comme une forme de traite des êtres humains ? La jurisprudence majoritaire considère que le trafic est une forme de traite. Quelles en sont les conséquences en ce qui concerne l'hébergement et l'accompagnement des victimes : les centres spécialisés ont-ils la vocation et la capacité ! d'accueillir également les centaines de clandestins victimes des filières d'immigration illégale ?
Comment différencier clairement la traite des êtres humains de l'occupation illégale de travailleurs étrangers, voire clandestins (par exemple : dans les restaurants chinois) ?
Enfin, une question de la plus haute importance est de clarifier le rôle que doit jouer le Centre pour l'égalité des chances en matière de tourisme sexuel et de pornographie enfantine : le centre peut-il ester en justice dans ce type de dossier, en son nom et/ou au nom de la victime dans des affaires de tourisme sexuel, avec ou sans mandat de celle-ci ? Cela me paraît indispensable en vue de lutter efficacement contre la criminalité organisée.
À la demande de la section belge de End Child Prostitution and Trade International, le centre s'est constitué partie civile, en son nom propre et au nom d'une jeune victime thaïlandaise, dans l'affaire d'un touriste sexuel pédophile belge appréhendé en Thaïlande. Le tribunal correctionnel de Bruges a considéré que la capacité du centre d'ester en justice est limitée aux seules infractions strictement définies comme étant des femmes de traite des êtres humains (article 11, § 1er, 2º, de la loi du 13 avril 1995). La seule infraction retenue ici étant l'attentat à la pudeur, non repris dans cette définition de la traite, le tribunal a conclu que la demande du centre était irrecevable. Le centre a fait appel de cette décision sur la base des arguments suivants.
Au-delà de l'argument tiré de la formulation utilisée par le législateur, qui donne le droit au centre d'ester en justice dans tous les litiges auxquels l'application de la loi du 13 avril 1995 pourrait donner lieu, le centre puise ici encore son argument majeur dans la finalité de la loi. En effet, le principe d'extraterritorialité contribue à lutter contre la traite des êtres humains en tant que phénomène pris dans sa globalité. Le tourisme sexuel, de même que l'utilisation de pornographie enfantine, sont souvent les premiers pas de certains individus vers une consommation plus « poussée » en vue d'assouvir les pulsions. En cela, ces comportements participent au développement de la demande pour divers types de services sexuels particuliers, sinon pervers, auxquels la criminalité organisée s'empresse de répondre, par l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales et/ou par la traite des êtres humains. Dans cette perspective, le centre estime devoir intervenir dans ce genre d'affaire, dans le cadre de sa mission générale de stimuler la lutte contre la traite des êtres humains.
En ce qui concerne les victimes, un des soucis du législateur était de leur octroyer la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi. Dans les cas de tourisme sexuel, les victimes vivent souvent dans de lointains pays, sont en majorité jeunes et ont généralement un faible niveau d'éducation. Leurs familles ne disposent pas de moyens financiers pour se payer un avocat. Il est donc essentiel que le centre puisse agir en leur nom, faute de quoi elles n'auraient aucune chance d'obtenir réparation.
Le 11 mai 1999, la cour d'appel de Gand a confirmé le premier jugement qui n'a pas accepté la constitution de partie civile du centre ni en son nom propre ni au nom de la victime. Le centre ira en cassation sur un point particulier, c'est-à-dire que le centre devrait être au moins admis à agir au nom de la victime si cette victime le mandate. Concrètement, le centre se rend compte que la loi sur la traite internationale des êtres humains n'est peut-être pas aussi claire que les parlementaires l'ont souhaité, ce qui explique la réticence de la cour d'appel de Gand.
Parallèlement à ces adaptations à apporter à la loi sur la traite des êtres humains, selon le centre, il semble nécessaire de se pencher sur deux questions :
1. Dans le domaine de l'exploitation économique se pose la question de l'impunité des donneurs d'ordre. Dans le cas des ateliers clandestins par exemple, ceux qui passent commande à des prix anormalement bas ne peuvent ignorer que ces prix résultent d'une exploitation flagrante des travailleurs. Il semble indispensable de mettre en place des mesures législatives en vue d'instaurer une co-responsabilité des donneurs d'ordre. Un tel système existe déjà en France (cf. loi nº 97-210 du 11 mars 1997).
2. Les victimes reconnues de la traite des êtres humains doivent, tout comme les autres victimes d'actes intentionnels de violence, avoir le droit de faire appel à la Commission d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence. Deux problèmes se posent ici :
Tout d'abord, la condition d'être en séjour légal au moment où l'acte de violence est commis est rarement remplie par les victimes de la traite des êtres humains. En effet, le fait d'être en séjour illégal ou précaire est un des éléments constitutifs de l'infraction de traite, et constitue d'ailleurs un des moyens de pression auquel ont recours les exploitants des victimes. Le centre estime que, dans ce cas, la Commission d'aide aux victimes devrait retenir la force majeure, comme elle l'a déjà fait dans certains cas. Il semble qu'un changement législatif serait souhaitable pour garantir que cette exception liée à la traite des êtres humains ne puisse être remise en cause.
Par ailleurs, la notion d'acte intentionnel de violence engendrant de graves atteintes au corps ou à la santé semble être interprétée de manière restrictive par le ministre de la Justice. Seuls seraient recevables les cas où il y a eu des coups et blessures volontaires. Or, les victimes de la traite des êtres humains sont soumises à diverses formes de violences, qui, de l'avis de psychologues spécialisés en la matière, se rapprochent de certaines pratiques de torture psychologique (comme la privation de nourriture, l'isolement psychoaffectif, perturbation du rythme jour-nuit, intimidation/superstition, ...). Il serait paradoxal de ne prendre en considération que les marques extérieures de violence et de nier la violence « invisible » mais non moins brutale et cause de grandes souffrances pour la victime.
Parallèlement à ces propositions visant à modifier la loi, le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme et les centres d'accueil des victimes ont attiré l'attention sur quelques problèmes que posait l'application par l'Office des étrangers de la circulaire du 13 janvier 1997, qui concernait l'aide aux victimes de la traite des êtres humains.
En ce qui concerne la délivrance du certificat d'inscription au registre des étrangers (CIRE), la circulaire prévoit que le passage à la troisième phase (CIRE six mois) se fait lorsque la réponse du parquet aux deux questions suivantes est positive :
S'agit-il d'un dossier de traite des êtres humains ?
Ce dossier est-il toujours en cours de traitement ?
Il apparaît que la difficulté pour l'Office des étrangers vient en grande partie de l'absence de cohérence dans les réponses des parquets : certains parquets répondent oui aux deux questions dès le début de l'instruction, d'autres attendent la fin de l'instruction, voire la décision de la chambre du conseil.
Face à ce manque d'uniformité, l'Office des étrangers a développé la pratique de n'octroyer le CIRE que lorsque les faits sont bien qualifiés de traite des êtres humains par la chambre du conseil. Une des préoccupations majeures de l'Office des étrangers concerne le risque de retour vers le milieu, qui est encore plus grave si la victime est munie d'un CIRE.
Pour l'Office, il faut donc trouver des critères objectifs (ne laissant pas de place à l'appréciation subjective) et raisonnables pour la vicitime.
L'expérience commune des trois ASBL montre que cette pratique risque d'aggraver fortement la situation de la victime, et de constituer une victimisation secondaire de celle-ci.
Les trois ASBL et le Centre pour l'égalité des chances soulignent que l'intérêt de la victime est d'obtenir le CIRE le plus rapidement possible. En effet, l'octroi du CIRE conditionne de nombreuses démarches pourtant essentielles pour la victime : inscription dans les écoles, inscription à la mutuelle, ouverture d'un compte en banque, signature d'un bail, regroupement familial, suppression du délai d'attente pour le permis de travail. Dernier argument et non des moindres : l'octroi rapide du CIRE est également très important pour le projet de vie de la victime en général.
À cet égard, les trois ASBL et le centre estiment que l'attente de la décision de la chambre du conseil imposerait un délai trop long et donc inacceptable, et qui ne correspond pas à l'esprit de la circulaire.
En réponse à la préoccupation légitime de l'Office des étrangers, ils soulignent que les victimes qui retournent dans le milieu le font dans la grande majorité des cas dans les tous premiers jours de leur hébergement, et, dans pratiquement tous les cas, dans un délai de 45 jours.
Les ASBL et le centre sont au contraire persuadés que l'octroi d'un CIRE est un argument supplémentaire pour ne pas retourner dans le milieu, et qui peut aider les travailleurs sociaux, qui sont unanimes : « tant qu'elle n'a pas de papiers, la victime n'a rien à perdre, sinon des promesses d'avoir un papier pour trois mois. Les perspectives deviennent toutes autres lorsqu'elle reçoit un papier pour six mois ».
Sur ces bases, les trois ASBL et le Centre pour l'égalité des chances émettent les recomandations suivantes :
a) Les déclarations d'arrivée ne doivent être renouvelables qu'une seule fois; la victime bénéficierait donc d'un ordre de quitter le territoire de 45 jours, de deux déclarations d'arrivée de trois mois (au maximum), et ensuite d'un CIRE de six mois.
b) Afin d'obtenir des réponses claires et homogènes de la part des parquets, les questions seront reformulées de manière moins catégorique :
1. L'enquête est-elle toujours en cours ?
2. Dans l'état actuel du dossier, peut-on estimer que cette personne soit victime de traite des êtres humains ?
c) Dans ce même but, le Centre pour l'égalité des chances propose d'organiser des réunions de sensibilisation avec les parquets qui ne répondent pas clairement aux demandes, sur la base d'une liste à dresser par l'Office des étrangers.
Le deuxième problème que pose l'application par l'Office des étrangers de la circulaire du 13 janvier 1997 est que, pour octroyer un CIRE à durée indéterminée, la circulaire exige seulement que la plainte ou la déclaration ait débouché sur une citation à comparaître et soit significative pour la procédure.
Dans sa pratique actuelle, l'Office des étrangers n'octroie ce permis de longue durée qu'en cas de condamnation, sur la base d'un jugement définitif, et se propose de modifier la circulaire en ce sens.
Les trois ASBL et le Centre pour l'égalité des chances estiment que la généralisation de cette condition non prévue initialement aggraverait considérablement la situation des victimes. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de personnes ayant pris le risque de porter plainte, de faire des déclarations à l'encontre de personnes plus puissantes et organisées qu'elles, et qui courent le risque de représailles, quelle que soit l'issue du procès.
Les ASBL et le Centre veulent à tout prix éviter une instrumentalisation des victimes, qui seraient utilisées par la justice comme témoins et ensuite abandonnées à leur sort, y compris de possibles représailles.
Il est vrai que, dans certains gros dossiers, l'instruction peut durer plusieurs années; ce sont souvent les cas où la qualification des faits au regard de la loi du 13 avril 1995 n'est pas évidente. À cet égard, les trois ASBL et le Centre pour l'égalité des chances estiment que la réflexion sur la qualification de traite des êtres humains doit se faire en amont, et non par l'Office des étrangers au moment de l'octroi d'une régularisation définitive après une instruction de plusieurs années. Il faut mener une réflexion en profondeur afin de revoir la loi du 13 avril qui présente des lacunes et clarifier les critères, notamment par rapport au travail au noir des étrangers. Il est fondamental que les travailleurs sociaux puissent connaître les critères d'avance, afin de ne pas donner de faux espoirs à certaines personnes en situation difficile.
En réponse à la crainte d'abus, l'expérience montre également que les victimes potentielles sont efficacement filtrées, par les forces de police, ensuite par les centres d'accueil, qui sont de plus en plus expérimentés, par les parquets et les auditorats. Cela limite fortement les tentatives d'abus de la procédure.
Les ASBL et le Centre pour l'égalité des chances font les recommandations suivantes :
a) Reprendre le texte actuel du 8.3 de la circulaire : la demande de régularisation pour une durée indéterminée pourra être introduite par la victime dont la plainte ou la déclaration aura débouché sur une citation à comparaître devant un tribunal et pour autant que sa plainte ou sa déclaration soit considérée comme significative pour la procédure.
b) La victime recevra une réponse positive à sa demande :
Si ses déclarations ou sa plainte ont abouti à une condamnation en première instance; au vu du délai important requis pour l'épuisement des voies de recours, il n'est pas acceptable de devoir attendre que le jugement soit définitif.
Dans les cas où il n'y a pas de condamnation pour faits de traite des êtres humains, si le réquisitoire du ministère public avait retenu la prévention de traite des êtres humains.
Bien que le cas ne se soit pas présenté jusqu'à présent, on note qu'il n'est pas exigé que la victime se constitue partie civile pour pouvoir bénéficier d'une régularisation.
À l'occasion d'une visite que la sous-commission a rendue à la police bruxelloise le 17 janvier 2000, le commissaire en chef de la police de Bruxelles, M. Van Reusel, a brièvement exposé la structure de ce corps de police. Celui-ci emploie au total 1 711 agents de police et 300 agents en civil. La politique générale de la police de Bruxelles s'articule autour de trois piliers : la prévention, la dissuasion et la répression. La restructuration effectuée récemment met l'accent sur les services de police de base. Le territoire de la ville de Bruxelles a ainsi été réparti en 28 quartiers intégrés et douze sections, accessibles au public 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
La structure la plus importante se situe dès lors au niveau du quartier, et elle est dirigée par une équipe de policiers de tous les grades. Ces quartiers bénéficient d'une autonomie, qui se concrétise par la responsabilisation de chaque membre de l'équipe, laquelle se trouve sous la direction d'un officier. Deux ou trois quartiers et jamais davantage sont intégrés dans une section. Un officier est chargé de coordonner les objectifs visés et les actions à entreprendre dans ces quartiers. Deux districts contrôlent chacun six sections. À la tête de ceux-ci se trouve un commissaire de police. L'ensemble de ces structures territoriales a une compétence générale, et l'objectif est d'assurer effectivement le service de police de base.
Comme il a été convenu dans l'accord Octopus, cette police de base reçoit l'aide de « services de police spécialisés », qui représentent, concrètement, des unités à vocation opérationnelle ou fonctionnelle. Ces unités à caractère opérationnel et spécialisé sont les suivantes :
la direction intervention, spécialisée dans la matière de l'ordre public;
la direction circulaire, spécialisée dans la gestion de la circulation;
la direction prévention et jeunesse, spécialisée dans les matières de l'aide aux victimes, des problèmes familiaux et des mineurs d'âge;
la direction judiciaire, spécialisée en matière de phénomènes criminels, tels le vol de voitures avec violence, les bombages, les drogues, les affaires de moeurs, etc.
En dehors de ces unités d'appui spécialisées, il y a également des services généraux, qui sont coordonnés soit par une direction opérationnelle générale, soit par une direction fonctionnelle générale, dont l'objectif est d'assister les structures centrales et territoriales pour ce qui est de leurs tâches logistiques et administratives (CALOG).
C'est donc en premier lieu au niveau de la police de quartier, assistée par d'autres équipes plus spécialisées, que la police bruxelloise engage la lutte contre la prostitution.
M. Janssen, commissaire de police adjoint-inspecteur de police de Bruxelles, a répondu à la question d'un membre que le service « Moeurs » de la brigade judiciaire, qui est chargé du problème de la prostitution, n'emploie que quatre personnes. Celles-ci sont sous la direction d'un officier adjoint. Ce service pourrait dès lors certainement bénéficier d'un renforcement des effectifs.
M. Van Reusel, commissaire en chef de la police de Bruxelles, a précisé que la majorité des effectifs qui travaillent au sein de la police bruxelloise sont affectés au service de police de base. Le reste des effectifs est généralement mis à la disposition de la gendarmerie et de la police judiciaire, dans le cadre de la collaboration qui unit ces trois services de police. Le recrutement d'agents de police qualifiés pose de plus en plus souvent des problèmes. Il faut d'urgence prendre des mesures pour rendre à cette profession son attrait.
Au cours d'une audition devant la sous-commission le 14 février 2000, le capitaine-commandant de la BSR (district de Bruxelles), M. Bourgeois, a présenté la cellule « Traite des êtres humains ». À l'origine, l'équipe « Moeurs » se composait de six gendarmes, qui s'occupaient de tout ce qui avait trait aux infractions relatives à la prostitution ainsi qu'aux personnes et établissements connus pour leurs liens avec la prostitution et la débauche. Au cours des quatre dernières années, cette équipe de six personnes a quasiment été doublée, elle compte actuellement 11 gendarmes. Les tâches qui sont confiées à cette équipe ont également évolué : sa mission est désormais la lutte contre la traite des êtres humains en général, y compris éventuellement la prostitution. Le parquet de Bruxelles a souligné deux objectifs prioritaires en la matière : d'une part, le milieu issu d'Afrique occidentale et, d'autre part, les réseaux albanais.
On a créé, en plus de cette cellulle « Traite des êtres humains », une nouvelle équipe « Pédophilie », qui se compose de cinq gendarmes. Compte tenu du doublement des effectifs affectés à la cellule « Traite des êtres humains », cette création s'est faite toutefois au détriment des autres matières et des équipes qui s'en occupent. Il n'était pas davantage fondé, dans l'intérêt général, de réduire encore les effectifs de ces autres équipes.
Il va de soi qu'on ne se familiarise pas du jour au lendemain avec un nouveau milieu fermé. Avant d'acquérir une certaine connaissance du milieu et du phénomène, on doit fournir pas mal d'efforts. Lors de la définition d'un plan d'action visant à lutter contre un phénomène (et un milieu) nouveau , il convient de respecter les points prioritaires suivants :
l'acquisition d'une bonne connaissance du milieu, notamment par l'exécution de contrôles sur les prostituées, leur entourage et les organisations dans lesquelles elles évoluent, ainsi que par le recrutement d'informateurs;
une bonne gestion des informations « douces » et « dures » existantes, par le recrutement d'un analyste criminel et par l'entrée dans un système informatique de toutes les informations accumulées (numéros de téléphone, contrôles effectués, composition d'un album de photos, etc.);
une prompte réaction par l'ouverture d'enquêtes et la détection rapide d'anomalies;
des contacts multiples avec les victimes sur le terrain, afin de gagner peu à peu leur confiance et de les convaincre de quitter leur milieu.
Pareilles activités qui ne portent que sur un seul phénomène occupent évidemment déjà de nombreux effectifs. En même temps, il faut avoir des hommes sur le terrain pour recueillir les informations et les moyens de preuve, pour exécuter les enquêtes en cours (durée moyenne : 1 an), et, enfin, pour garantir la gestion des données recueillies.
Si l'on veut pouvoir travailler dans des circonstances idéales, une vingtaine d'agents supplémentaires sont nécessaires, selon les estimations de M. Bourgeois, pour la cellule « Traite des êtres humains », et ce pour les raisons suivantes :
une enquête dans le cadre de la traite des êtres humains dure en moyenne un an et demi; lorsque l'équipe qui doit s'en occuper est trop restreinte, elle ne peut malheureusement s'occuper des autres dossiers;
le personnel doit avoir suffisamment l'occasion de se rendre sur le terrain (caractère proactif de ces enquêtes), sous peine de perdre contact avec la réalité du terrain et de ne plus être en mesure de détecter des phénomènes nouveaux et d'y réagir;
si l'on veut apprendre à mieux connaître un milieu, on doit également s'occuper de la gestion des données recueillies.
La présence de vingt agents supplémentaires permettrait également à la cellule d'étudier certaines formes de la traite des êtres humains dans le cadre de l'immigration clandestine.
Il est vrai par ailleurs que, pour ce genre de matières, on a également besoin d'un certain nombre d'agents qui ne sont pas des enquêteurs. M. Bourgeois a souligné l'intérêt de disposer d'un analyste criminel, qui peut faire le suivi du phénomène afin de détecter et de déterminer comment les diverses enquêtes sont structurées et quels sont les rapports entre elles. Pareille démarche lui permet de se faire une idée claire du milieu et, en particulier, des responsables en la matière. Il est également nécessaire de disposer d'un personnel administratif, pouvant encoder les informations recueillies, de manière que l'on ne les perde pas et que l'on puisse les récupérer en temps voulu pour compléter un dossier d'enquête. C'est le cas en particulier pour ce qui est des numéros de téléphone et des constatations isolées. Il ressort en effet de la pratique que cet encodage constitue un excellent moyen de déceler des liens entre des personnes et de démontrer ainsi le caractère organisé des activités criminelles.
En plus du problème de la nécessité d'effectifs supplémentaires, se pose également un problème concernant l'informatique. Il serait souhaitable, dans le cadre de la coopération policière locale, que les contrôles effectues par les unités locales soient mémorisés dans un fichier. Il faudrait que la police spécialisée, par exemple la BSR, soit reliée au même réseau pour avoir une vue directe des contrôles effectués au niveau local. Ce procédé nécessite évidemment que l'on crée des banques de données locales concernant les prostituées et les organisations actives en la matière, mais ces banques de données pourraient par la suite être exploitées dans le cadre des enquêtes relatives à la traite des êtres humains. Les enquêteurs devraient par ailleurs pouvoir introduire leurs données dans un fichier, de façon qu'elles puissent également être gérées et exploitées à des fins d'enquête. Le fait de centraliser ces données au niveau national permettrait également d'établir des liens entre les enquêtes effectuées dans les diverses villes. Ici aussi, il s'avère donc nécessaire de disposer d'un logiciel et d'un matériel adéquats.
Le 20 mars 2000, la sous-commission a organisé une audition de Mme P. Sörensen, parlementaire européenne et ancienne coordinatrice de l'ASBL Payoke, ainsi que des responsables des trois ASBL qui, conformément aux directives du gouvernement (12), ont été reconnues comme « centres d'accueil spécialisés » pour l'accueil et l'accompagnement des victimes de la traite des êtres humains.
Mme Wauthier, coordinatrice de l'association Pag-Asa, a expliqué le travail des centres spécialisés. L'Occident reste l'attrait principal pour les réseaux d'exploitation. On peut y pénétrer avec des faux documents quoique de manière illégale et, dans certains cas, dans des conditions pénibles. Les victimes qui courent le risque de leur faire confiance se livrent pieds et poings liés à ces réseaux dont l'objectif est clairement le profit. On relèvera que depuis le début de l'année 1999, les victimes sont de plus en plus jeunes. Les victimes mineures sont en constante augmentation. Leur naïveté et leur immaturité n'y sont pas pour rien. Les trafiquants peuvent les manipuler à leur guise et elles ignorent le plus souvent ce qui les attend et se font une idée très peu réaliste de l'Occident sur la base de ce qu'on leur a fait miroiter. On continue à croire que les campagnes d'information dans les pays d'origine, peuvent s'avérer un moyen de prévention intéressant. Pour lutter contre la traite des êtres humains, il est essentiel que l'appareil judiciaire poursuive ses actions contre les réseaux d'exploitation. Il faut leur signifier qu'il ne s'agit pas d'une activité lucrative dénuée de risque. C'est dans ce cadre que l'accompagnement des victimes par des associations comme Pag-Asa, Sürya et Payoke, leur donne la possibilité de témoigner de leur calvaire dans ces réseaux.
Depuis la première circulaire de 1994, il y a eu une adaptation en 1997. La circulaire du 13 janvier 1997 décrit précisément le déroulement de la procédure, mais il faut cependant constater qu'il reste un problème d'interprétation et de définition du phénomène de la traite. Il faut régulièrement trouver des zones d'interprétation communes qui peuvent répondre aussi bien aux exigences du milieu judiciaire qu'à celles de l'Office des étrangers. On peut se réjouir de la souplesse dont font preuve certains parquets ainsi que le bureau « traite des êtres humains » de l'Office des étrangers. On a pu discuter des divers points de vue quant à la définition de la traite et la réalité du terrain. La remise en question et l'évaluation régulières de l'application de la procédure nécessitaient aussi que l'on puisse se concerter entre les trois centres spécialisés en vue de formuler des propositions concrètes au ministère de l'Intérieur, ce qui permettra la publication prochaine d'une nouvelle circulaire. Si la voix des ASBL est entendue, on espère que l'on débattra des moyens et qu'il leur sera accordé de mettre cette nouvelle circulaire en pratique, aussi bien pour respecter au mieux les droits des victimes que pour continer à coopérer dans la lutte contre les exploitants.
Mme Wauthier a situé le travail de Pag-Asa en 1999 en donnant quelques chiffres. Il y avait 148 accompagnements en 1999, dont 71 nouveaux dossiers ouverts. On a eu 70 dossiers pour l'Europe de l'Est, 43 pour l'Afrique, 32 pour l'Asie, 7 pour l'Amérique du Sud et 9 personnes dont l'origine n'est pas communiquée. En 1999, il y avait 28 renvois pour les services de police, 36 pour la gendarmerie, 8 pour les parquets, 3 pour les tribunaux et un pour l'Inspection sociale. On a aussi eu une vingtaine de renvois pour les instances privées. Le milieu judiciaire reste donc la principale source de renvoi. Cette constatation reste d'actualité pour l'année 2000. Il y a eu 9 procès, pour lesquels 18 victimes étaient accompagnées en 1999. Il s'agissait de 7 procès à Bruxelles et de 2 à Gand. En général, les procès se déroulent assez vite, en tout cas à Bruxelles. On regrette que la politique soit différente au sein des parquets. Cela vaut notamment pour la politique en matière de trafic d'êtres humains, à savoir pour les personnes arrivant via un des réseaux de trafiquants et qui sont interceptées à Zaventem ou au terminus Eurostar. Il semble que les politiques des divers parquets soient très différentes : certains veulent poursuivre et d'autres pas. Cela pose un problème. L'harmonisation de la législation au niveau international est certainement souhaitable, mais il faut commencer par une harmonisation de la politique pénale au niveau national. Une harmonisation au niveau international en ce qui concerne les procédures d'accompagnement des victimes constituerait certes une grande avancée mais elle doit se faire parallèlement à une harmonisation au niveau international des procédures pénales de poursuites des trafiquants. Une victime qui souhaite être rapatriée volontairement et qui repart chez elle peut très facilement être reprise par les trafiquants sur place et être envoyée ailleurs. Il faut donc envisager une harmonisation de la législation pénale.
La prévention est certainement utile. Les politiques de prévention dans des pays comme les Philippines se sont avérées positives mais il faut aussi faire un grand pas vers les ambassades. Il s'agit surtout des contrôles effectués lorsque des personnes demandent des visas dans les ambassades pour des sociétés ou pour venir travailler ici. Il faut effectuer un meilleur contrôle en Belgique de ces sociétés via les ambassades. Il faut vérifier si elles existent effectivement. Il faut associer cette prévention à la politique de l'immigration et aux campagnes de découragement sur le plan économique menées dans les pays d'origine.
À l'occasion de la visite de la sous-commission à l'ASBL Pag-Asa, le 9 mai 2000, Mme Wauthier, coordinatrice de l'ASBL, a, par lettre du 14 juin 2000, mis en avant plusieurs des choses dont ce centre d'accueil a besoin et qu'il espère obtenir. Il s'agit avant tout de la pénurie de personnel. Pag-Asa est en effet victime de son propre succès. Face à une demande croissante d'accueil et d'accompagnement de victimes du trafic d'êtres humains, on trouve toujours le même petit groupe de personnes chargé de la mise en pratique. Étant donné que les procédures juridiques durent parfois des années, la charge de travail croît considérablement. À ses débuts, en 1994, quatre travailleurs à temps plein ont été affectés à Pag-Asa. À mesure que ses activités ont pris de l'ampleur et que la demande d'accompagnement ambulatoire s'est accrue, cet aspect a, lui aussi, été développé. Pour la permanence au centre d'accueil, on a de plus en plus fait appel à des volontaires. Au fil des années, Pag-Asa a également obtenu un certain nombre de travailleurs supplémentaires, comme une criminologue et une assistante sociale; en puisant dans ses propres moyens de fonctionnement l'association a encore engagé un travailleur à temps partiel. Avec le temps, les activités de Pag-Asa ont été réparties en trois unités; une cellule d'accompagnement ambulatoire, une cellule d'accueil et une cellule juridique. Le volume de travail des trois cellules est énorme.
Le centre d'accueil occupe deux travailleurs rémunérés et un groupe d'une quinzaine de volontaires. Étant donné que les salariés eux-mêmes sont régulièrement mis à contribution pour assurer la permanence, de nombreuses heures de travail doivent être accomplies la nuit. La cellule ambulatoire est chargée de l'accompagnement social d'une soixantaine de personnes logeant à l'extérieur. Au départ, les entretiens avec ces personnes sont très réguliers; après un certain temps, ils peuvent toutefois s'espacer. Cela dépend dans une large mesure du degré d'autonomie de l'intéressé. La cellule juridique suit les aspects administratifs et juridiques de l'accompagnement. Elle ne compte qu'un seul collaborateur à temps plein, qui est assisté de la coordinatrice et assure le suivi de plus de cent dossiers.
La surcharge de travail résulte de deux facteurs : d'une part, le recours croissant aux procédures d'accueil et d'accompagnement de victimes du trafic d'êtres humains au fur et à mesure que s'accroît le nombre de services qui se familiarisent avec cette procédure et, d'autre part, l'enlisement du fait que le traitement des dossiers prend souvent des années. À l'heure actuelle, ce problème a pris de telles proportions qu'on a décidé, voici quelques mois, de ne plus accueillir de nouvelles victimes. Ce n'est que lorsqu'une place se libère au centre d'accueil ou qu'un accompagnement ambulatoire prend fin que l'on envisage un nouvel accompagnement. Sürya et Payoke ont, pour des raisons similaires, décidé d'adopter une attitude identique.
Le noeud du problème, c'est que les trois cellules susvisées sont sous-occupées. Il y a trop peu de personnel pour pouvoir donner suite à toutes les questions posées. Chaque fois que quelqu'un s'absente pour quelques jours (vacances, maladie, un congrès, ...), assurer des prestations de service normales devient un véritable tour de force.
En ce qui concerne la situation financière, Mme Wautier a attiré l'attention sur le fait que Pag-Asa dépend, pour les subventions qui lui sont versées, de quatre autorités : l'autorité fédérale (par le biais de la Loterie nationale et, précédemment, du Fonds d'impulsion pour la politique de l'immigration), la Commission communautaire commune et les Commissions communautaires néerlandaise et française. Le centre d'accueil de Pag-Asa a été reconnu par la Commission communautaire commune en tant qu'institution d'accueil de la Région de Bruxelles-Capitale. Cette subvention, qui est versée par tranches mensuelles, est la seule source fixe de revenus. Pour les autres subventions, il faut chaque fois introduire une demande ou un projet. La date du paiement de la subvention est généralement difficile à prévoir et il arrive qu'elle ne se situe pas dans l'année à laquelle la subvention se rapporte.
Outre les subventions, Pag-Asa tire aussi des revenus des interventions du ministère des Affaires sociales, notamment l'équivalent du minimum de moyens d'existence d'un isolé par personne accueillie et par mois, plus une intervention dans les frais médicaux et pharmaceutiques. Leur paiement n'a toutefois lieu qu'après trois mois environ. Durant les mois d'été, il n'y a pas de versement à cause des vacances des différents fonctionnaires concernés. Le montant des interventions mensuelles oscille autour des cinq à six cent mille francs. Pag-Asa doit avancer la somme qui couvrira ces frais.
La combinaison de ces deux éléments fait que Pag-Asa souffre presque en permanence d'un manque de liquidités. Il faut constamment partir en quête d'emprunts (sans intérêt) pour pouvoir financer les frais courants. Le plus souvent, on ne peut pas fixer les prêteurs sur le délai de remboursement, ce qui ne facilite pas la quête de crédits. Le problème serait en grande partie résolu si la principale subvention (4,5 millions de francs à charge de la Loterie nationale) pouvait être payée par tranches mensuelles, ou, à tout le moins, à une date prévisible. Un autre élément pourrait être que les autorités subventionnantes s'engagent à plus long terme, de sorte que l'on puisse mieux évaluer en début d'année de quel montant l'on disposera.
Mme Bernard, coordinatrice de l'ASBL Sürya, a également expliqué devant la sous-commission les grandes difficultés financières auxquelles cette association est confronté. La situation de Sürya est particulièrement difficile puisque trois personnes sont en préavis. Fin avril 2000, Sürya ne pouvait plus assurer la présence que de deux personnes pour assumer environ 170 dossiers avec un fonctionnement de 24 heures sur 24.
Il faut savoir qu'au départ, l'ASBL bénéficiait d'une subvention de 4,5 millions par an : 3,5 millions du gouvernement fédéral via la Loterie nationale et un million de la Communauté française, plus deux postes « Prime » (Projets régionaux d'insertion dans le marché de l'emploi). À force de répéter que l'ASBL ne pouvait assurer un service 24 heures sur 24 avec le personnel et les moyens financiers dont elle disposait, elle a obtenu rapidement 4,5 millions du FIPI (Fonds d'impulsion pour la politique de l'immigration), 1 million de la Communauté française et 2 millions de la Région wallonne ainsi que deux postes « Prime ». Ainsi, en 1998 et 1999, Sürya disposait d'un budget annuel de fonctionnement de 7,5 millions. Au niveau financier, deux gros problèmes se manifestent. D'une part, 7,5 millions représentent un minimum minimorum, c'est beaucoup trop peu. D'autre part, chaque année Sürya doit à nouveau lutter pour les obtenir. Rien n'est récurrent, rien n'est acquis pour une période de 5 à 10 ans si ce n'est le financement par le FIPI, octroyé au départ pour cinq ans. De 1995 à 1999, Sürya a donc obtenu 3 millions et ensuite 4,5 millions. Cela était assuré, mais ce n'est plus le cas maintenant. À l'heure actuelle l'ASBL se retrouve avec 4,5 millions qui sont assurés par la Loterie nationale. Deux postes « Prime » Projets régionaux d'insertion dans le marché de l'emploi sont aussi accordés jusqu'à la fin de l'année 2000.
Cette chasse aux moyens financiers demande du temps et de l'énergie. Cela prend beaucoup de temps à la coordinatrice et aux administrateurs de Sürya. Il vaudrait mieux consacrer ce temps aux objectifs sociaux poursuivis par notre l'association, à savoir l'accompagnement et l'aide aux personnes victimes de la traite des êtres humains. Avec 7,5 millions, on essaye de survivre. Le personnel effectue énormément d'heures supplémentaires. Ce n'est d'ailleurs pas un secret, deux membres du personnel, après avoir quitté l'association, ont entamé une procédure visant à réclamer le paiement de ces heures supplémentaires. Or Sürya ne peut assurer ce paiement, faute de moyens financiers.
Sürya n'est pas une association née d'une initiative privée, de gens estimant la cause intéressante et réunissant de bonnes volontés ... L'association s'est créée sous l'impulsion des politiques. Le gouvernement précédent avait demandé que soient créées des institutions sociales spécialisées pour mettre en oeuvre sa politique de lutte contre la criminalité organisée et la traite des êtres humains Sürya trouve donc que sa situation est indécente. Il est irritant de devoir mener un combat social à la demande des politiques alors qu'on exige pratiquement que l'on fasse du bénévolat ! Ce n'est plus possible et on envisage d'ailleurs de fermer le centre. Or le centre suit 170 personnes actuellement. Beaucoups de personnes sont orientées vers l'ASBL Pag-Asa, mais cette association est elle-même surchargée ! On ne sait plus ce que l'on pourra faire pour toutes ces personnes. Mme Bernard a poussé un nouveau cri d'alarme. Il est vraiment catastrophique de devoir mettre le personnel en préavis d'autant qu'il faut tenir compte de la réalité du travail. On fait l'objet de menaces, de représailles. On s'occupe de personnes issues de milieux défavorisés qui après leur expérience de « victimisation » sont encore plus défavorisées. Il s'agit donc d'un public très lourd, d'origine étrangère qui ne connaît ni notre langue, ni nos structures, ni la législation existante.
Tout est à faire. Par exemple, il ne s'agit pas d'un public de Belges défavorisés qui ne savent pas lire ... La situation n'est pas du tout comparable. Les problèmes sont multiples, diversifiés et complexes. L'aide à apporter est tentaculaire et orientée dans toutes les directions. Un accompagnement est lourd en termes de temps et de gestion pour aider la personne à s'insérer dans le pays. Il faut créer tout un réseau de collaborations avec elle et pour elle. Pour assumer cette tâche lourde et peu banale, il faut du personnel qualifié qui puisse consacrer le temps nécessaire à chaque personne. Trois personnes à temps plein ne permettent pas d'assurer un travail de qualité à long terme. Il faut donc, en résumé, avoir toujours à l'esprit, la lourdeur et la compléxité de la problématique.
Il faut aussi constamment consacrer du temps à la sensibilisation des forces de l'ordre, du monde judiciaire et du monde social au problème de la traite des êtres humains. La circulaire, octroyant un permis de séjour aux victimes de la traite des êtres humains, place les associations sociales spécialisées au coeur du problème. En effet, sans leur intervention, les personnes ne peuvent bénéficier d'un permis de séjour. Ce permis est conditionné par la procédure judiciaire reconnaissance ou non comme victime et par l'accompagnement par un centre social spécialisé. Les ministres signataires de la circulaire ministres de la Justice, de l'Intérieur, de l'Emploi et du Travail et des Affaires sociales placent donc eux-mêmes les associations spécialisées au centre de la procédure. Sans leur intervention, les personnes ne peuvent pas voir leur séjour régularisé. Cela justifie que les ASBL soient subventionnés de manière structurée et décente.
La procédure demande beaucoup de temps car les responsabilités changent souvent au niveau des parquets et des forces de l'ordre et les associations spécialisées doivent sans arrêt informer les intervenants de cette circulaire qui prévoit l'orientation des victimes vers elles, pour qu'elles bénéficient d'un encadrement. Le travail de lobbying et d'information est à recommencer tous les six mois en raison de la mouvance des responsabilités au niveau des parquets et des forces de l'ordre. C'est un travail considérable dans la mesure où Sürya couvre tout le territoire de la Région wallonne. Cela représente un nombre important de parquets, de BSR, de PJ et de polices communales à aller visiter tous les six mois.
Outre cette information théorique sur l'application de la circulaire et sur ses conséquences, il faut lever beaucoup de barrières, de préjugés et croyances par rapport à cette problématique. Ces croyances sont liées au public parce qu'il est étranger et à l'idée que les personnes vont profiter de la circulaire. C'est un argument qu'on invoque souvent : les personnes pourraient faire une « déclaration-bidon » pour obtenir un pemis de séjour. Sürya répond à cela, que la procédure judiciaire prévue est là pour mettre un frein aux fausses déclarations éventuelles et qu'il ressort de son expérience que le nombre de « déclarations-bidons » reste minime.
L'ASBL Sürya a organisé une réunion intercentres avec le Centre pour l'égalité des chances car on était confrontés à des problèmes dus à l'application faite de la circulaire pour l'Office des étrangers. En fin de procédure notamment, lorsque la personne avait été reconnue comme victime. L'Office des étrangers décidait d'octroyer ou non le permis de séjour en fonction d'une enquête sociale et du rapport qui s'ensuivait. Il y a pour l'instant le cas d'une personne reconnue comme victime de la traite par le tribunal correctionnel; il y a eu un jugement en appel et elle a été une fois de plus reconnue victime de la traite des êtres humains. L'Office des étrangers attend, pour décider de l'octroi d'un permis de séjour à titre définitif, les résultats d'un rapport social établi par Sürya et par les forces de l'ordre du quartier où la personne habite. L'Office attend que l'on puisse attester de l'intégration de cette personne dans notre pays. Il est difficile pour l'ASBL d'encadrer ces personnes, de leur demander de dénoncer leur réseau sans pouvoir leur garantir qu'en fin de procédure, elles seront régularisées. Elles se mettent dans une position qui les rend très vulnérables, sans savoir si elles pourront in fine bénéficier d'un titre de séjour. Il est difficile pour les ASBL de travailler dans l'incertitude et l'insécurité les place dans une situation très inconfortable. L'application de cette circulaire pose donc problème. Dès lors que la personne collabore de manière significative à l'enquête, elle devrait être assurée d'obtenir in fine un permis de séjour. Que le juge ait ou non arrêté son jugement sur la base de l'article 77bis de la loi sur les étrangers, ce n'est pas si important. A partir du moment où le ministère public dresse son réquisitoire sur la base du 77bis, cela devrait suffire pour que la personne puisse se voir rigularisée sur le territoire.
Mme Bernard a fait remarquer que les ASBL spécialisées auront la possibilité de se constituer partie civile. Les associations en sont très heureuses, mais ne disposent pas des moyens pour le faire. On donne la possibilité de faire beaucoup de choses sans les moyens financiers y afférents ! Comment veut-on qu'on paye des avocats pour se constituer partie civile si on ne dispose pas des fonds nécessaires ? Il s'agit d'une nouvelle aberration du système.
En concertation entre les trois centres spécialisées, on est arrivé à la conclusion qu'il paraît raisonnable que chaque centre dispose d'un budget de 19 millions annuellement, de façon structurée. La création des centres résulte de la volonté du gouvernement, bien qu'ils ne soient pas des associations gouvernementales. Pourquoi ne sont-ils pas financés comme le centre fermé de Vottem ? Les centres seraient des centres ouverts et leurs membres du personnel seraient des fonctionnaires. Cela coûterait plus de 19 millions. Or actuellement, on ne donne presque rien comme subsides pour fonctionner.
M. Bruno Moens, coordinateur de l'ASBL Payoke, a fait siennes les aspirations des autres ASBL. Il a également proposé un certain nombre d'adaptations de la législation dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains.
C'est ainsi qu'il convient d'instaurer une peine identique pour toutes les formes de traite d'êtres humains, qu'il s'agisse de l'application de l'article 77bis de la loi sur les étrangers ou de l'article 380bis, § 1er, 1º, du Code pénal. Les circonstances aggravantes que l'on peut invoquer pour ce qui est de l'application de l'article 77bis, à savoir la traite des êtres humains ou la prostitution, devraient également pouvoir l'être en ce qui concerne l'article 380bis. Inversement, il faudrait prévoir que la personne qui a aidé à transporter vers la Belgique une victime de la traite des êtres humains soit passible d'une peine en vertu de l'article 77bis de la loi sur les étrangers, même si la victime était d'accord de se laisser transporter.
La catégorie des mineurs d'âge de 16 à 18 ans n'est pas prise en considération dans l'article 380bis, § 4, du Code pénal. Pourtant, c'est essentiellement cette catégorie de mineurs d'âge qui sont touchés par la traite des êtres humains. On ne voit pas clairement sur la base de quelles dispositions pénales on peut punir les auteurs des actes de prostitution et de traite des êtres humains commis sur cette catégorie-là. Il convient de clarifier les choses en la matière.
En outre, il faut redéfinir l'ensemble de la politique en matière de prostitution. La politique de tolérance menée à l'heure actuelle n'a aucun sens. C'est le règne de l'arbitraire le plus total. Les pouvoirs publics doivent faire un choix bien défini entre une politique réglementaire ou une politique de prohibition.
M. Moens a souligné qu'on a plein la bouche des délais raisonnables prévus à l'article 6 de la CEDH, mais il rappelle que cet article est orienté surtout vers les auteurs et non pas vers les victimes. Il est inadmissible qu'une enquête judiciaire dure parfois six ans avant d'aboutir à un jugement. Cette situation est due en partie au manque d'effectifs dont souffrent les services de police et au manque de moyens dont sont frappés les parquets; si l'on souhaite toutefois lutter efficacement contre la traite des êtres humains, on doit dégager les moyens nécessaires pour ce faire.
L'intervenant a déclaré être partisan d'une concertation structurelle entre la magistrature, les services de polices concernés et les organes administratifs, en l'occurrence l'Office des étrangers. En effet, à l'heure actuelle, il n'existe pour ainsi dire aucune concertation entre ces services, ni de concertation avec les ONG ou avec l'Inspection sociale.
M. Moens a souligné que la loi du 13 avril 1995 a un caractère répressif, comme il ressort des travaux parlementaires. En pratique, on ne remarque toutefois pas grand-chose de cette répression. En général, les trafiquants d'êtres humains sont condamnés à un emprisonnement de deux ou de trois ans, alors que la loi prévoit des travaux forcés de 10 à 15 ans. On ne peut lutter vraiment de cette façon contre la traite des êtres humains. Il est souhaitable que les trafiquants fassent immédiatement l'objet d'une arrestation administrative et, éventuellement, d'une mesure de renvoi. Il est hallucinant de voir qu'un trafiquant d'êtres humains est puni d'un emprisonnement de deux ans pour être libéré à peine un an plus tard. Généralement, il poursuit d'ailleurs ses activités tant en prison même qu'après sa libération. C'est absolument intolérable. Quiconque est condamné pour des faits de traite d'êtres humains devrait contribuer au Fonds spécial pour l'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence. Un étranger qui est victime de la traite des êtres humains ne peut toutefois faire appel à ce fonds.
On peut lire, tant dans les conclusions finales de la commission d'enquête « Traite des êtres humains » de 1994 que dans les rapports plus récents du gouvernement, que l'accueil des victimes est prioritaire. M. Moens a néanmoins constaté que le rapport de 51 pages déposé par le gouvernement en octobre-novembre 1999 consacre à peine trois pages à l'accueil des victimes. On peut dès lors difficilement parler d'une priorité.
Pour ce qui est de leurs permis de séjour, les victimes de la traite des êtres humains peuvent invoquer la circulaire de 1994. Pour les victimes qui attendent depuis deux ans déjà un jugement dans le cadre d'une enquête judiciaire, laquelle sera en fin de compte classée, l'Office des étrangers applique implicitement une « procédure de suspension ». Celle-ci devrait être incluse dans la circulaire. Il convient en outre de donner des précisions quant au champ d'application de cette circulaire. Est-elle applicable uniquement aux victimes de la traite des êtres humains qui font l'objet de la prostitution, ou l'est-elle également aux victimes de la traite des êtres humains qui font l'objet d'immigration clandestine ou d'exploitation économique ?
Les victimes auxquelles on octroie une carte de séjour ont également droit à l'aide sociale. Elles ne peuvent toutefois prétendre à une prime d'intégration ou d'installation. Il convient d'insérer, dans l'arrêté royal concernant l'aide aux victimes de la traite des êtres humains, une disposition permettant à ces personnes disposant de documents de séjour identiques à ceux de n'importe quel autre étranger de demander l'octroi de ces primes. M. Moens a également demandé que l'on passe du minimum vital au minimum de moyens d'existence. Actuellement, lesdites victimes n'entrent en effet pas en ligne de compte pour toute une série de projets en matière d'emploi, ni pour les avantages qu'offrent les articles 60 et 62 de la législation relative aux CPAS. Il faut également trouver une solution au préfinancement de l'aide octroyée par les CPAS. Quiconque dispose d'un permis de séjour a droit à l'aide du CPAS. Actuellement, les ASBL avancent les sommes dues, mais le ministère paie parfois avec quatre mois de retard, ce qui mène les ASBL au bord de la faillite. Cette situation est tout à fait inacceptable.
Les personnes qui sont en possession d'une déclaration d'arrivée et d'une preuve d'inscription au registre des étrangers peuvent toutefois travailler en Belgique. La lenteur avec laquelle la durée de validité des documents de séjour est prolongée est cependant inadmissible. L'étranger titulaire d'une déclaration d'arrivée qui trouve un employeur disposé à suivre jusqu'au bout la procédure complexe doit attendre un mois pour recevoir un permis de travail ou une carte de travail. Lorsque son permis de séjour vient à échéance, il doit réintroduire une demande et attendre quatre semaines avant de recevoir un nouveau permis de travail ou une nouvelle carte de travail. Cela signifie concrètement que l'intéressé perd son emploi. Il y a lieu d'adapter d'urgence cette réglementation et de faciliter la procédure de prolongation. On a également mal accueilli les adaptations qui ont été apportées à la réglementation relative à la mise au travail de travailleurs étrangers, par lesquelles les personnes qui sont régularisées en application de l'article 9 de la loi sur les étrangers ou de la nouvelle procédure de régularisation sont exonérées de l'obligation de disposer d'une carte de travail ou d'un permis de travail. Les victimes de la traite des êtres humains ne peuvent en effet pas bénéficier de cette exonération, ce qui constitue une grave discrimination à laquelle il convient de mettre fin d'urgence.
M. Moens peut souscrire au plaidoyer des représentants de Sürya et Pag-Asa en faveur d'un financement structuré des centres d'accueil spécialisés. Payoke reçoit des subventions qui lui permettent de payer les salaires de trois collaborateurs de la maison d'accueil et dispose d'un contractuel subventionné chargé du service ambulatoire de celle-ci. Ces quatre membres du personnel sont chargés de la gestion de 100 dossiers. Il n'y a pas de subvention destinée à couvir les frais de fonctionnement. L'on espère une initiative en vue de renforcer cette structure de financement boiteuse.
Un membre de la sous-commission a fait remarquer qu'il est essentiel que les diverses ASBL continuent à faire office de filet de sécurité permanent et soient en contact direct avec les victimes dans le cadre de l'aide qu'elles organisent. Cela leur permettrait évidemment de transmettre des informations essentielles aux services compétents intéressés. Pour que les victimes puissent s'adresser en toute confiance auxdites organisations, il faut que celles-ci aient un statut qui atteste de leur indépendance par rapport aux services d'ordre et aux institutions judiciaires. Ces organisations ne peuvent donc pas s'occuper de la lutte contre la criminalité, même au cas où elles seraient fortement tentées de le faire.
L'intervenant s'est demandé dans quelle mesure les personnes qui travaillent dans ces ASBL sont protégées contre les formes de criminalité en question. Chacune de ces organisations risque en effet d'avoir à faire face à de l'intimidation, à des infiltrations, à du chantage, etc. En leur qualité de témoin privilégié et de spécialiste sur le terrain, elles sont parfois obligées de transmettre des informations délicates à un organisme public qui peut être coresponsable du problème en question, comme c'est le cas lorsque l'on découvre des indices de traite des êtres humains à l'Office des étrangers. Pour pouvoir résoudre ce problème, il faudrait organiser un meilleur contrôle par une instance indépendante ou une « task force » indépendante, dont on est absolument sûr qu'elle n'a rien à voir avec la criminalité organisée en ce qui concerne la traite des êtres humains.
Mme Sörensen, membre du Parlement européen, a fait référence à une étude d'Interpol concernant les relations entre les ONG et la police. Interpol, Europol et d'autres services de police internationaux ont fait des propositions visant à améliorer la collaboration avec les ONG dans le domaine de l'aide accordée aux victimes. On peut dire que, même si les relations entre les services publics et les ONG resteront sans doute un peu tendues, l'éthique dans ce domaine ne s'est certainement pas détériorée ces dernières années. À l'Office des étrangers aussi, il y a des personnes avec lesquelles la collaboration se déroule très bien. Il convient de développer une relation sérieuse et efficace avec ces personnes ainsi qu'une éthique commune. Il n'est pas souhaitable, dès lors, de faire une différenciation entre les pouvoirs publics et les ONG. Il n'empêche qu'il pourrait être utile de créer la fonction de « commissaire spécial » ou de désigner un rapporteur spécifique chargé du problème de la traite des êtres humains et de la prostitution qui aurait également compétence pour les dossiers délicats. C'est probablement nécessaire davantage à l'étranger qu'en Belgique.
Au cours d'une audition qui a eu lieu au sein de la commission, le 7 février 2000, M. Van der Sijpt, procureur du Roi à Bruxelles, a souligné qu'à ses yeux, la lutte contre la traite des êtres humains est impossible sans l'aide des ASBL précitées. La question de savoir si le travail doit être confié à une ASBL ou à un organisme public reste ouverte. Chacune des deux solutions envisageables présente des avantages et des désavantages. Il n'est toutefois pas inutile qu'une ASBL dispose d'une certaine indépendance et qu'elle puisse garantir cette indépendance vis-à-vis des victimes. Les instances judiciaires doivent respecter ces ASBL en tenant compte de la situation dans laquelle elles se trouvent de manière qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle. La collaboration est très bonne.
Au cours d'une audition devant la sous-commission, le 20 mars 2000, Mme Sörensen, membre du Parlement européen, a fait remarquer que la Belgique joue un rôle de pionnier dans les domaines de la lutte contre le trafic des femmes et des enfants et de l'accueil des victimes. Cela ne signifie toutefois pas qu'il y ait matière à pavoiser, et les gens sur le terrain s'en rendent compte tous les jours. Bien que la Belgique puisse se prévaloir d'une législation raisonnablement bonne et qu'elle ait un certain nombre de centres d'accueil, le nombre de victimes augmente encore. En outre, le trafic des êtres humains et l'exploitation de l'intégrité sexuelle continuent de croître dans le monde entier, violant ainsi les droits de l'homme en général et les droits de la femme et des enfants en particulier. C'est un secteur en expansion et un volet de la criminalité organisée. Les organisations deviennent de plus en plus dures et violentes. Après maintes insistances, notamment de la part de la Belgique, le problème figure enfin à l'ordre du jour politique international et européen, mais sur le terrain, cela ne se remarque encore guère.
La coopération internationale entre les ONG évolue très laborieusement, faute de moyens. Il est très coûteux de voyager et de téléphoner. En outre, dans les pays d'origine ou de transit, il n'y a parfois guère de fonds disponibles pour les ONG. Lorsque certaines ONG reçoivent quand même de l'argent, elles se retrouvent du même coup sous contrôle gouvernemental, ce qui, dans certains pays, n'est pas vraiment une situation saine. On souligne partout l'importance d'une approche multidisciplinaire, mais dans la pratique, la police s'occupe surtout de la lutte contre le blanchiment d'argent, et pas tellement des bandes et de la violence à l'égard des femmes et des témoins. La formation des policiers qui s'occupent de ces dossiers est insuffisante. Des efforts sont consentis en Belgique, mais chez nous aussi, il est fréquent que les agents de quartier ne soient pas familiarisés avec la législation et que les policiers ne soient pas préparés pour une approche multidisciplinaire.
Les différentes façons d'aborder la traite des femmes dépendent des différentes formes sous lesquelles elle se développe. En Suède, par exemple, la prostitution s'exerce aujourd'hui pour une large part dans la clandestinité, à la suit du durcissement de la législation en la matière. Elle devient de ce fait invisible et impossible à mesurer, ce qui représente une évolution très dangereuse. En effet, les organisations criminelles ne tiennent aucun compte des lois démocratiques. Une égale représentation entre les hommes et les femmes ne résout pas ce problème.
L'élargissement de l'Union européenne actuellement en chantier doit également être préparée du point de vue de la lutte contre le trafic des êtres humains. Selon Mme Sörensen, il convient non seulement d'adapter la législation, comme la présidence portugaise l'a proposé, mais aussi de veiller à ce que les pays ne puissent adhérer à l'Union européenne que s'ils ont une législation sur la violence à l'égard des femmes et des enfants. Il n'en est pas encore ainsi actuellement. Un pays comme la Pologne est par exemple très vulnérable en raison de sa situation géographique. En outre, il faut oeuvrer sérieusement à la collecte de chiffres fiables. Actuellement, aucun pays n'est en mesure d'en fournir. Les ONG disposent, certes, de chiffres, mais il s'agit de données qu'elles rassemblent elles-mêmes. Les ONG sont sur bien des points, plus avancées que les gouvernements nationaux, ne serait-ce que parce qu'elles sont mieux informées.
Il n'empêche qu'il faut harmoniser, en Europe, la législation relative à la répression du trafic des êtres humains. À l'heure actuelle, elle diffère d'un pays à l'autre. D'après un aperçu fourni par Interpol, il n'existe, dans certains pays, qu'une législation sur la prostitution, laquelle est parfois très stricte. L'harmonisation est surtout nécessaire en ce qui concerne l'accueil des victimes, car il est impossible de progresser dans la lutte contre le trafic des êtres humains si les victimes ne veulent pas parler. Les budgets destinés aux ASBL qui se consacrent à l'accueil des victimes doivent être sensiblement relevés. Il convient en outre d'harmoniser la réglementation dans les différentes régions.
Mme Sörensen s'est référée à une résolution préparée au sein de la commission des « Droits de la femme et de l'égalité des chances » du Parlement européen dans le courant de 1999 et 2000 et intitulée « Pour de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes », qui a finalement été adoptée par l'assemblée plénière le 19 mai 2000 (13). Cette résolution formule une série de recommandations, adressées tant aux États membres qu'aux institutions européennes elles-mêmes. Les États membres sont priés notamment d'adapter leur législation, d'améliorer la coordination et de désigner une autorité centrale chargée de s'occuper du trafic des êtres humains et de la problématique qui l'entoure. Des unités spéciales de police doivent être créées ou renforcées.
Au niveau européen, l'accent est mis sur l'instauration d'une définition uniforme de la traite des êtres humains et de sanctions à l'encontre des trafiquants. La saisie du produit des activités criminelles et l'instauration d'une possible répartition légale sont également à l'étude.
Il y a également encore beaucoup à faire dans le domaine préventif. À cet égard, un film réalisé par la Coopération au développement officielle belge a déjà été montré aux Philippines. Une pièce de théâtre, basée sur le livre pionnier de Chris De Stoop « Ze zijn zo lief, meneer » a été représentée à Pékin. Ne l'ont vue toutefois que des personnes qui étaient déjà au courant du problème.
Mme Sörensen a expliqué qu'elle s'est rendue elle-même dans des villages aux Philippines et en Afrique pour y expliquer tout ce qui peut arriver. Les mères doivent veiller à ne pas vendre purement et simplement leurs filles. Si quelqu'un vient raconter à des jeunes femmes qu'elles peuvent gagner 50 dollars par mois en Europe, il y en aura en effet, sans aucun doute, quelques-unes qui mordront à l'hameçon. Les ambassades à l'étranger doivent également être vigilantes et bien vérifier les documents. En Belgique, les ambassadeurs sont formés et informés par le ministère des Affaires étrangères, mais d'autres pays doivent également le faire. En outre, il est important que les ONG soient au courant des divers programmes existants, ce qui n'est pas le cas actuellement. Elles doivent en effet beaucoup trop se concentrer sur le travail sur le terrain, qui est très exigeant.
Il y a encore beaucoup à faire pour aider les victimes qui sont accueillies et qui retournent ensuite dans leur pays d'origine. Une Polonaise qui est considérée ici comme une victime de la traite des êtres humains est souvent prise pour une coupable une fois retournée en Pologne.
Un autre point délicat est que l'on ne trouve pas uniquement des femmes, mais également des hommes dans les conteneurs. Les trafiquants emmènent les hommes pour d'autres boulots. Si la femme est jolie, elle échouera dans la prostitution; dans le cas contraire, elle disparaîtra dans une cave pour peler des pommes de terre, tandis que son mari devra faire des petits boulots. De plus, des enfants font également l'objet de ce trafic. Il est difficile d'héberger seulement la femme dans une maison d'accueil et de mettre le mari et les enfants à la rue. La matière est donc très complexe, puisque l'on ne sépare pas les familles.
On constate que les réseaux n'opèrent plus seuls. Les organisations albanaises collaborent avec les Turcs et les Russes. Les Albanais d'Anvers sont généralement très intelligents et parlent jusqu'à huit langues.
Au début, des organisations comme l'ASBL Payoke ont dû se battre avec la police parce qu'elles n'arrêtatent que les femmes, qui étaient généralement victimes de la traite des êtres humains, et donc le plus vulnérables. À l'heure actuelle, heureusement, ce sont les proxénètes et surtout les trafiquants qui sont visés. Il faut en effet permettre aux femmes de témoigner et elles doivent se sentir protégées. Il y a cependant encore à faire au niveau du comportement « macho » de certains policiers. Cela concerne beaucoup moins la Belgique que l'Europe de l'Est, où de nombreux policiers sont très violents et où on n'accorde aucune attention aux problèmes qui sous-tendent la situation des prostituées.
La législation est très complexe. La loi belge prévoit des peines très lourdes, mais, en pratique, il s'agira de peines d'emprisonnement de deux à trois ans, ce qui n'est pas vraiment très lourd. Les coupables sont donc assez rapidement libérés. Ils disposent souvent de meilleurs avocats parce que la traite des êtres humains est liée au blanchiment d'argent. On peut se demander comment il est possible qu'un trafiquant qui n'a pas de revenus et qui vit du minimum de moyens d'existence peut dépenser un demi-million pour payer un avocat. Les avocats concernés refusent de répondre à cette question et se retranchent derrière le respect de la vie privée. Il n'empêche que les avocats ne peuvent pas accepter de l'argent noir et qu'ils peuvent pratiquer le pro deo, comme le font souvent les avocats des victimes. L'approche diffère en outre d'un parquet à l'autre.
En Finlande et en France, il n'existe pas de loi spécifique relative à la traite des êtres humains. L'Allemagne, quant à elle, a une loi en vertu de laquelle les femmes concernées reçoivent un permis de séjour provisoire mais doivent plus tard, après leur témoignage, retourner chez elles. Le Parlement européen insiste auprès de la Commission pour élaborer une réglementation permettant d'octroyer aux femmes un permis de séjour à titre de mesure humanitaire, comme c'est le cas en Belgique.
Mme Sörensen estime que la collectivité a souvent une réaction apitoyée ou agressive face au phénomène de la prostitution elle-même. Il y a pourtant toutes sortes de circonstances qui contraignent les femmes à se prostituer. Elles sont donc très vulnérables et doivent être aidées, notamment sur le plan de la santé. Elle ne plaide toutefois pas pour une école de la prostitution. Force est cependant de constater que quand on est passé par la prostitution, on ne trouvera que difficilement du travail par la suite. Aussi ne peut-on pas stigmatiser ces personnes et faut-il par exemple veiller à leur donner un régime de sécurité sociale.
Durant une audition en sous-commission du 14 février 2000, M. Bourgeois, capitaine-commandant de la BSR de Bruxelles a commenté la coopération internationale entre les services de police.
En ce qui concerne les services de police étrangers, on peut distinguer entre, d'une part, les services des pays d'origine et, d'autre part, les services des pays de transit et de destination qui, comme la Belgique, sont confrontés à cette problématique.
En fait, on demeure dans l'incertitude en ce qui concerne les pays d'origine. En effet, on est confronté à des services de police de pays où la situation politique est généralement instable et où les conditions économiques sont misérables. Ainsi, la BSR ne voit pas clair dans l'organisation des services de police sur place. En outre, on apprend souvent que la corruption est monnaie courante dans ces pays. C'est la raison pour laquelle les services européens manifestent une certaine réserve à coopérer avec les services de ceux-ci.
Pour ce qui est de l'Afrique occidentale, on peut affirmer sans plus qu'il n'y a pas d'interlocuteur dans cette région. Par contre, dans le cas de l'Albanie, il y a des contacts avec Interpol-Tirana qui, à plusieurs reprises, ont déjà débouché sur une collaboration fructueuse. Les contacts avec les services de police albanais se développent progressivement.
Au sujet des autres pays de transit ainsi que des pays de destination, M. Bourgeois a souligné qu'étant donné qu'ils sont confrontés à la même problématique, il serait judicieux de collaborer davantage avec leurs services de police. Trop souvent, on ne consulte l'étranger qu'après une intervention et au moment de l'exécution d'une commission rogatoire. En effet, il va de soi que certains pays et, en particulier, ceux de première destination, peuvent disposer d'informations intéressantes pour le dossier « belge ». Il est donc très important de solliciter leur collaboration et de les associer aux affaires dès l'ouverture de l'enquête judiciaire. Une telle attitude nous permettra d'obtenir des informations supplémentaires et raccourcira également la durée de l'enquête après l'intervention.
Dans ce contexte, M. Bourgeois a plaidé en faveur de contacts réguliers de la police avec les enquêteurs compétents du pays concerné afin d'échanger des informations et de créer la possibilité de demander une enquête subséquente. Il a fait référence à des contacts existants qui ont déjà été établis à l'étranger à la suite des enquêtes en matière de traite des êtres humains dans le milieu de l'Afrique occidentale (Pays-Bas, Allemagne et France). De tels contacts permettent également de s'attaquer à l'organisation entière plutôt que de se limiter aux activités sur le territoire belge. À ce sujet, les relations personnelles entre les enquêteurs sont très importantes, car elles contribueront à obtenir plus rapidement les informations ou les actes d'enquête demandés.
En ce qui concerne l'appui fourni par les organisations policières internationales comme Interpol et Europol, M. Bourgeois a attiré l'attention de la sous-commission sur le fait que les procédures administratives engendraient une importante perte de temps. Souvent, il faut attendre des mois, en dépit de plusieurs rappels, avant d'obtenir un résultat dans des affaires de cartes d'identité éventuellement fausses ou falsifiées. Le contact personnel qui est important pour établir un rapport de confiance réciproque et accélérer la transmission des informations est totalement absent en l'espèce. Dans de nombreux cas, il est préférable de ne pas transmettre la demande par la voie officielle.
Durant la visite que la sous-commission a rendue à la police de Bruxelles le 17 janvier 2000, le commissaire en chef Van Reusel a souscrit à cette thèse. Il n'y a pas vraiment de coopération solide entre les polices au niveau transfrontalier. Il n'est pas vrai, par exemple, que les services de police étrangers sollicitent l'aide de la police de Bruxelles pour rechercher certaines personnes. Jamais personne n'a été retrouvé par la police de cette manière.
La police bruxelloise reçoit certes sporadiquement des demandes d'informations mais, en ce qui la concerne, elle ne ressent pas vraiment la nécessité de demander des informations à des services de police étrangers.
Durant une audition en sous-commission du 7 février 2000, M. Van der Sijpt, procureur du Roi à Bruxelles, a expliqué qu'il y a plusieurs niveaux de coopération au niveau international.
Il y a tout d'abord les accords de Schengen, qui doivent faciliter la coopération internationale. La pratique montre que cela n'est pas évident. Le parquet bruxellois a parfois plus de facilité à collaborer avec les autorités italiennes, qui ont mauvaise réputation, qu'avec les autorités des pays voisins comme les Pays-Bas et la France. La coopération diffère d'un cas à l'autre, en fonction de la nature des délits et des implications de l'affaire.
Il y a ensuite les accords internationaux de coopération dans le domaine pénal. Europol s'occupera spécifiquement de la traite des êtres humains mais cette institution n'en est encore qu'à ses premiers pas.
Il y a enfin Interpol, canal d'information, utilisé quotidiennement. Mais ce système a vieilli.
Les parquets n'ont malheureusement pas accès au SIS, le système d'information Schengen. Si l'on pouvait déjà accéder au système de Printtrack, auquel l'Office des étrangers peut avoir recours pour l'identification des personnes, cela se révélerait très utile.
M. Van der Sijpt estime qu'il faut essayer d'utiliser les systèmes existants de manière optimale au lieu d'en créer sans cesse de nouveaux, comme cela arrive trop souvent. Il en va de même pour la coopération internationale. Il y a de bons accords, mais ils ne sont pas appliqués. Les accords de Schengen en sont un bel exemple, bien que la Belgique les applique correctement.
Au cours d'une audition de la sous-commission, le 21 février 2000, des représentants de la Croix-Rouge et d'Oxfam ont expliqué comment se déroulait la coopération non gouvernementale au niveau international.
M. Coumans, directeur général de l'aile flamande de la Croix-Rouge et Mme Terweduwe, chef du service « Tracing » de l'aide flamande de la Croix-Rouge, ont commenté le programme de rapatriement volontaire qui a été mis sur pied par l'Organisation internationale pour les migrations et auquel la Croix-Rouge participe en tant que partenaire.
On peut distinguer plusieurs catégories parmi les personnes rapatriées. Tout d'abord, il y a les demandeurs d'asile qui renoncent à leur demande. Il y a ensuite ceux dont la demande d'asile a été rejetée et, enfin, les étrangers qui séjournent sur le territoire belge sans être en possession d'un document de séjour en règle et qui risquent de tomber à charge des autorités belges.
Les intéressés doivent être bien informés sur le programme, mais aussi indiquer expressément qu'ils sont volontaires pour rentrer chez eux. Le problème est qu'ils manquent de temps pour prendre une décision puisqu'un ordre de quitter le territoire doit être exécuté dans les cinq jours ouvrables. Il faudrait pas conséquent, dans le cadre du programme de rapatriement volontaire, laisser davantage de temps de réflexion aux candidats afin qu'ils puissent régler certains détails pratiques (par exemple : contrat de location, école, ...).
Les candidats au retour ne peuvent pas non plus rentrer chez eux les mains vides. Il faudrait leur octroyer une prime de retour de manière à ce qu'ils soient en mesure de subvenir à leurs besoins au cours des premières semaines de leur retour, bien que des études aient montré que la propension à rentrer au pays n'est pas nécessairement plus grande lorsqu'on augmente le montant des primes de retour. Lors de l'octroi de la prime, il faut en outre veiller à ce que la communauté qui accueille la personne de retour se sente pas discriminée. Tel a été par exemple le cas des réfugiés bosniaques, qui ont vécu la guerre dans des conditions de relative sécurité et sont rentrés chez eux avec assez bien de ressources, ce qui a entraîné un sentiment de discrimination chez ceux qui étaient restés au pays.
Mme N. Terweduwe a expliqué que l'action de la Croix-Rouge est financée par le programme de retour volontaire de l'Organisation internationale pour les migrations. Le ministère fédéral de la Prévoyance sociale a conclu un accord de financement avec l'OIM, laquelle rembourse une partie du montant qu'elle perçoit aux ONG, telles que la Croix-Rouge, pour couvrir leurs frais d'administration. Le montant maximum de la prime s
'élève à 10 000 francs par adulte. Pour les enfants, la prime est fonction de l'âge : jusqu'à cinq ans, elle varie entre 1 000 et 3 000 francs, et de cinq à huit ans, elle est de 5 000 francs. On octroie en outre, par retour réussi, une intervention financière de 1 500 francs.
En tant que partenaire du programme de l'OIM, la Croix-Rouge ne s'occupe pas de l'accueil dans le pays d'origine, sauf dans des situations très particulières, comme par exemple en cas de retour d'un mineur non accompagné ou d'une personne connaissant un problème d'ordre médical ou psychologique. Un certain nombre de candidats au rapatriement déclarent expressément ne souhaiter aucun accueil dans le pays d'origine et tiennent à rentrer comme des voyageurs ordinaires, avec des documents de voyage « ordinaires » qui ne mentionnent pas qu'ils sont en fait des émigrés de retour.
Enfin, la Croix-Rouge a souligné l'importance d'une action préventive. Nombre de réfugiés fuient pour des motifs politiques, mais qui trouvent leurs racines dans certaines situations socioéconomiques. D'autre part, l'information diffusée sur place concernant la situation en Europe est particulièrement importante.
M. M. Xhrouet, directeur « Action sociale » de la Croix-Rouge de Belgique, a expliqué devant la sous-commission que la Croix-Rouge organise des formations dans des centres d'accueil en Belgique. Quand la personne introduit sa demande d'asile, elle n'est cependant pas motivée si on lui propose une formation dans le but de rentrer chez elle. Or, la motivation est une condition essentielle à l'apprentissage en Belgique. Une série de formations rudimentaires ont donc été mises en place en informatique et dans le secteur du horeca, dans le but de permettre à ces personnes de se forger une place sur le marché du travail belge. Il ya aussi les formations réutilisables, dans les régions du monde d'où provient la majorité des demandeurs d'asile. Une formation permet, par exemple, d'ouvrir un atelier de réparation de vélos en Afrique centrale. Pour beaucoup de personnes qui retournent dans leur pays d'origine, il est important de pouvoir rentrer chez elles sans perdre la face et avec la possibilité de trouver du travail chez elles et nourrir leur famille ou s'acquitter de la dette contractée à l'égard du groupe social qui s'était mobilisé pour payer leur billet aller. Il serait donc intéressant que l'on mette sur pied des programmes de formation plus étoffés.
M. C. Huvelle, directeur international de la Croix-Rouge de Belgique, est d'avis qu'une politique globale de coopération au développement doit être mise en place comme facteur préventif de l'immigration. Mais plus spécifiquement, les trois régions d'où proviennent les immigrés sont situées en Europe de l'Est. Or, l'Europe de l'Est n'est actuellement pas accessible au financement public. Se pose donc un problème par rapport à huit pays de l'Europe de l'Est qui sont les principaux lieux d'origine des demandeurs d'asile.
Ensuite, M. C. Huvelle a insisté pour qu'une politique cohérente de prévention des conflits soit menée dans ce type de pays. Là aussi, les difficultés de financement sont importantes. Par ailleurs, après un conflit ou un évènement critique, la Croix-Rouge ne pourrait pas s'inscrire dans une politique d'insertion de réfugiés si ce n'est dans le contexte bien particulier de réhabilitation après une période de guerre. Il a donné l'exemple de la Bosnie ou du Kosovo, où la Croix-Rouge même a des politiques de réhabilitation globale de la société civile sur place, c'est-à-dire l'éducation, la santé, l'habitat ou la formation professionnelle. Cette politique constitue un incitant au retour, mais de manière plus globale. De manière plus spécifique pour les réfugiés du Kosovo, on pourrait très bien imaginer un projet prévoyant un bureau d'information en Belgique et un soutien au retour des réfugiés au Kosovo. C'est un cas très particulier. Un programme est envisageable, mais il faut savoir qu'il sera extrêmement cher et difficile à mettre en oeuvre.
M. Xavier Declercq, directeur du département « Mobilisation » d'Oxfam Solidarité, a déclaré que son organisation ne s'occupait pas concrètement des programmes de réintégration des réfugiés retournés au pays. Il estime que ce genre de programmes de réintégration sur place n'aura qu'un impact très limité sur la politique qui est menée ici, dans le sens que la politique d'expulsion évoluerait, comme l'espèrent certains, vers une politique de retour volontaire. La notion « volontaire » est cependant très relative. Toutes les expulsions « non forcées » sont-elles réellement volontaires ? Cette question hypothèque les programmes susvisés, car un grand nombre des personnes retournées au pays ne sont pas demandeuses pour participer aux programmes de réintégration en question.
En ce qui concerne le développement sur place, nous constatons que les gens veulent s'en aller précisément parce que les conditions et les perspectives de développement sur place font défaut. Il est tout à fait irréaliste de croire que les perspectives de développement au pays d'origine se seraient améliorées après quelques années de procédure en Belgique.
On sait d'expérience que les autorités locales fournissent très rarement un bon accompagnement. Cela signifie qu'on est en fait limité au secteur non gouvernemental sur place, qui, dans bien des cas, n'est pas représenté ou est contraint de travailler avec des moyens très limités. Sur les quelque 150 partenaires avec qui Oxfam travaille, aucun ne s'occupe des réfugiés rentrés au pays. Les gens qui ont choisi d'immigrer et qui sont renvoyés, tombent largement à travers les mailles du réseau social organisé. Les rares projets d'intégration qui existent concernent principalement un projet économique pour l'individu. L'intervenant a cité l'exemple des projets aux Pays-Bas, que l'on remet en cause en raison du manque de candidats au retour.
Oxfam estime que la politique doit revenir au point de départ, c'est-à-dire aux causes de la migration. Croire que la coopération au développement peut prévenir les flux migratoires relève du mythe. On peut prévenir les migrations menant une politique intégrée fondée sur la prévention des conflits dans le cadre de la politique étrangère, le commerce extérieur dans le cadre d'une amélioration des relations Nord-Sud et la coopération au développement axée sur l'intégration de ces différents domaines. Cela ne veut pas dire que la coopération au développement ne soit d'aucun concours, bien au contraire. Mais, Oxfam ne veut pas consacrer les deniers publics à des programmes de réintégration des réfugiés dans leur pays d'origine, parce que ces projets ne sont pas assez pertinents du point de vue du développement et aussi parce que ce serait au détriment d'autres programmes. Oxfam n'approuve pas l'hypothèse de départ qui ne met pas suffisamment l'accent sur une approche intégrée du problème NOrd-Sud.
Un membre de la sous-commission s'est dit très réticent vis-à-vis de cette intervention, qui reflète une vision qu'il désapprouve largement. Heureusement, ni le secrétaire d'État précédent, ni le secrétaire d'État actuel ne partagent la vision de M. Declercq. Le secrétaire d'État précédent avait pris l'initiative d'un certain nombre de projets de réintégration et son successeur est sur la même longueur d'onde.
Un autre membre de la sous-commission souscrit quant à lui en grande partie aux propos de M. Declercq. On ne retiendra effectivement pas avec des projets de réintégration les gens qui veulent quitter leur pays. Mais si l'on décide d'injecter des fonds publics dans ce genre de projets, il faut le faire beaucoup mieux, dans des projets à plus petite échelle qui touchent également le travailleur individuel. Cela doit toutefois se faire dans un contexte européen.
Mme Mata de Vergara, responsable du projet « Prévention des migrations » dans la République dominicaine, a été auditionnée par la sous-commission le 21 février 2000. À cette occasion, elle a expliqué que, bien que la République dominicaine ne comporte que 7,5 millions d'habitants, c'est une nouvelle Thaïlande ou d'autres Philippines. Ce pays a besoin d'un programme de prévention de la migration et du trafic des êtres humains. La Belgique est concernée parce que c'est le seul pays européen à avoir réalisé un travail de prévention de la migration et du trafic des êtres humains par le biais d'une coopération à Saint-Domingue.
Mme Mata de Vergara a attiré l'attention de la sous-commission sur le fait que les trafiquants ont trouvé à Saint-Domingue des jeunes filles et des mères célibataires de 12 et 13 ans. Les familles sont complètement décomposées. Des femmes dominicaines sont en Belgique et ne s'intègrent pas parce que 40 % d'entre elles sont analphabètes. Elles ne maîtriseront jamais le néerlandais ni le français. On a déjà un quart-monde depuis Saint-Domingue qui s'installe en Belgique et il faut faire quelque chose.
Une délégation de la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives a fait, du 27 novembre 1999 au 3 décembre 1999, un voyage d'étude en Italie et en Albanie dans le cadre de la problématique de l'immigration et du trafic international d'êtres humains. À cette occasion, elle a rencontré, entre autres, le président et le premier ministre d'Albanie, les ministres italien et albanais de l'Intérieur, le ministre d'État albanais attaché auprès du premier ministre et des responsables des deux pays en matière de police et de sécurité. Un rapport complet de ce voyage d'étude figure en annexe.
À de nombreuses reprises, les autorités albanaises ont souligné qu'une partie substantielle de la problématique du trafic d'êtres humains de leur pays vers l'Europe est occasionnée par des mouvements de transit venant de Grèce, Bulgarie, Turquie, Ukraine. Selon elles, de sérieux efforts ont été faits depuis 1998 en vue d'améliorer les fonctions de police, ce qui a également rendu les contrôles en mer Adriatique plus efficaces. Elles signalent les grandes difficultés des déplacements par voie terrestre, surtout via la Grèce, pour les Kurdes.
L'Albanie plaide pour une large compréhension à son égard, compte tenu des sérieux efforts qui ont été consentis pendant la guerre du Kosov. Le ministre de l'Intérieur a prévu, pour les années 2000-2001, un programme de remise des armes privées visant à satisfaire aux normes européennes; en outre, l'Albanie est fermement résolue à respecter le pacte de stabilité dans les Balkans.
L'accord bilatéral qui a été conclu entre l'Albanie et l'Italie et qui porte sur la fixation de quotas d'immigration légale est en voie d'application et son effet est déjà perceptible. Les autorités italiennes ont toutefois souligné que le système des quotas, s'il est efficace, n'en provoque pas moins des problèmes, comme une forte criminalité en ce qui concerne le transport de clandestins et le fait que les pays d'origine considèrent l'émigration comme un exutoire pour résoudre leurs problèmes internes.
Il existe entre l'Albanie et l'Italie une collaboration spécifique en matière de lutte contre le trafic d'êtres humains. La garde côtière italienne (Guardia di Finanza) patrouille en mer Adriatique. Il existe un accord de coopération pour former des services de police albanais. L'Italie et l'Albanie coopèrent également en ce qui concerne le refoulement d'illégaux dans leur pays d'origine.
Les autorités albanaises considèrent que les organisations criminelles qui s'occupent du trafic d'êtres humains sont principalement italiennes et que l'implication d'Albanais n'y est que secondaire. Elles soulignent également qu'en matière de prostitution, il s'agit surtout de femmes en transit au départ de la Moldavie, qui poursuivent leur route par l'Italie et avec l'aide d'Italiens.
Dès lors que des bateaux sont interceptés en mer Adriatique, il faut mettre en place des camps aménagés pour les intéressés. Les moyens pour le faire sont toutefois inexistants.
Ce constat vaut également pour l'introduction de l'état civil et des cartes d'identité. En ce qui concerne ces dernières, toutefois, une loi est en préparation.
On souligne constamment aussi la nécessité d'un progrès économique pour le pays et sa population.
Les autorités albanaises sont satisfaites de la collaboration avec l'UE, L'OCDE et l'UEO (par l'intermédiaire du MAPE Multinational Advisory Police Element). Des procès sont en cours actuellement contre des acteurs du trafic d'êtres humains et, selon la Guardia de Finanza de Durrës, ou a apparemment la maîtrise du mouvement dans l'Adriatique.
La rémunération de la police albanaise (100 USD/mois) ne favorise peut-être pas une attitude incorruptible de ce corps.
La visite que la délégation a rendue au port de Durrës est encourageante. La Guardia di Finanza est relativement satisfaite du déploiement qui y est opéré et espère en faire autant à Vlora, où l'infrastructure serait, selon toute apparence, insuffisante.
Les autorités demandent une aide logistique, une informatisation et des bateaux d'interception, ainsi que des camps d'accueil des réfugiés.
Dans l'ensemble, le gouvernement albanais espère un assouplissement progressif des conditions de voyage, notamment par des systèmes de quotas et de visas, et une plus grande liberté de mouvement par l'ouverture de consulats (comme en Italie).
Si une immigration légale devient possible, l'Albanie pourra intensifier ses efforts contre la criminalité organisée et les clandestins.
Le gouvernement albanais se considère par ailleurs comme un partenaire de l'Europe au sein de celle-ci et espère pouvoir compter sur une juste répartition des charges, compte tenu de la problématique du transit au départ de la Macédoine, de la Moldavie et de la Grèce.
Le 30 novembre 1999, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a organisé à Rome, sous les auspices du gouvernement italien, une conférence sur le trafic de femmes et d'enfants d'Albanie en Italie en vue de leur exploitation sexuelle. Deux membres de la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives ont assisté à cette conférence.
Celle-ci a vue la présentation d'un programme élaboré par le gouvernement italien en collaboration avec l'OIM, visant à lutter de diverses manières contre la traite des êtres humains, surtout des jeunes femmes et des enfants, qui sont acheminés de l'Albanie vers l'Italie, programme qui comprend :
1. la mise sur pied d'une campagne d'information en Albanie,
2. la mise au point et la coordination de réseaux institutionnels et sociaux entre les deux pays,
3. une aide au retour et à la réinsertion sociale des femmes souhaitant se soustraire au système de l'exploitation.
Au niveau italien, ce programme implique qu'il faut diffuser des informations et collaborer entre les réseaux (institutions publiques, autorités locales, ONG). Ce programme est coordonné par un comité national de lutte contre la traite des femmes et des enfants en vue de leur exploitation sexuelle, lequel relève de la compétence du premier ministre (ministère de l'Égalité des chances).
Au niveau européen, ce programme cadre avec le programme STOP.
Du côté de l'Albanie, on cherche à mettre sur pied un réseau opérationnel permettant d'apporter un soutien au volet albanais de ce programme. Cela implique une action coordonnée des institutions officielles, des ONG et des organisations locales (essentiellement en matière de soins de santé). L'objectif est de développer une stratégie commune à l'encontre du trafic des êtres humains et en faveur de la réinsertion de ses victimes.
Au niveau albanais, on a également l'intention d'organiser une campagne d'information pour sensibiliser davantage les femmes quant aux risques qu'elles courent pour leur vie et leur santé et quant aux conditions de vie réelles auxquelles elles peuvent s'attendre dans le pays de destination.
Dans les deux pays, on fait appel aux ONG pour promouvoir la réinsertion des victimes. Cela doit se faire par la mise sur pied d'un accompagnement psychologique et social en Albanie, par l'octroi de prêts personnels, de subventions spéciales aux employeurs qui embauchent ces victimes de la traite des êtres humains ou en procurant un équipement professionnel à celles qui souhaitent s'installer comme indépendantes. Ce volet du programme devrait être appliqué sur une base individuelle et pour un an chaque fois.
Au cours de la discussion en groupes de travail, on a examiné plus en détail les problèmes de la traite des êtres humains au départ de l'Albanie. Ont participé à ces groupes de travail des hommes politiques, des fonctionnaires de police et des personnes actives sur le terrain en Albanie et au Kosovo (ONG et OIM). C'est de ces discussions que proviennent une série de données dont il a déjà été question dans le présent rapport.
Le gouvernement albanais est disposé à coopérer pour lutter contre la traite des êtres humains au départ de l'Albanie ou transitant par l'Albanie. Un des problèmes, qui a même été soulevé par plusieurs participants albanais, est toutefois celui de la corruption qui gangrène une bonne partie de l'appareil policier et de la magistrature. Il importe aussi de noter que plusieurs femmes et enfants ont été enlevés, au départ de l'Albanie, dans des familles de réfugiés kosovars. Par ailleurs, l'Albanie est aussi la plaque tournante du passage en fraude des êtres humains au départ du Kosovo, où la société civile s'est totalement effondrée, de même qu'au départ de la Macédoine, de la Hongrie, de la Roumanie, de l'Ukraine, de la Géorgie, etc.
Les resseaux albanais de traite des êtres humains trvaillent en « clans » et les victimes sont souvent envées par des connaissances. Un délégué d'Europol dit que l'on doit bien se rendre compte que ce que l'on appelait jadis les clans criminels sont devenus petit à petit de véritables organisations criminelles. Cela signifie qu'alors qu'ils ne s'occupaient auparavant que de traite des êtres humains à proprement parler, ces groupements étendent aujourd'hui régulièrement leur activité et organisent eux-mêmes entièrement le transport des victimes jusque dans le pays de destination, reprennent personnellement des maisons closes et diversifient leurs activités dans un nombre sans cesse croissant de pays européens.
Europol collabore aujourd'hui avec un certain nombre de pays où sont rassemblées les données relatives à ces organisations criminelles albanaises. Petit à petit, on se rend compte de l'ampleur de leurs activités, qui vont du commerce des armes au trafic de drogues en passant par l'extorsion et, bien évidemment, la prostitution. Les moyens financiers qui sont générés dans ce cadre leur permettent de se diversifier toujours plus avant.
Ces organisations criminelles se caractérisent par leur extrême violence, par le fait qu'elles ne sont pas organisées sur le modèlepyramidal et n'ont ni modèle spécifique ni code de déontologie. Il est important que l'on sache qu'elles entretiennent de très bonnes relations avec des pays comme la Macédoine, le Monténégro et la Grèce.
Il est clair également que les trafiquants d'êtres humains courent à l'heure actuelle peu de risques parce qu'il n'est presque aucun pays où la traite des êtres humains en tant que telle est passible de poursuites pénales. Le contrôle des flux financiers est dès lors le moyen indiqué de combattre ces organisations.
Le 25 avril 2000, une délégation de la commission de l'Intérieur a rendu visite à l'Office central de la répression de la traite des êtres humains. Dans son exposé, M. Amiard, commissaire divisionnaire de l'OCRTEH, a esquissé un tableau des activités de l'office, des tendances et de l'attitude envers les victimes et les proxénètes.
L'OCRTEH a une longue tradition de lutte contre la traite des êtres humains, puisqu'il a été fondé en 1958.
Conformément au principe que la prostitution n'est pas un délit, il est difficile de s'attaquer aux proxénètes et, en amont, aux filières de traite des êtres humains.
Le phénomène est en train de s'amplifier :
d'une part, il y a un glissement progressif vers un nombre plus important de prostituées venant de l'étranger, jusqu'à atteindre 50 % d'étrangères sur les 14 000 prostituées, chiffre global resté au demeurant inchangé depuis la fondation de l'OCRTEH;
d'autre part, le proxénétisme est de moins en moins le fait d'individus, pour devenir une des activités de filières internationales, surtout est-européennes.
Grâce à un durcissement de la loi pénale, il y a un accroissement des peines imposées aux proxénètes et trafiquants. Surtout quand il y a eu violence, la tendance des condamnations souvent en assises est à la hausse.
L'OCRTEH joue entre autres le rôle d'observatoire de la traite des êtres humains. Elle recueille à cet effet les données de toutes les polices, qui sont obligées, de par la loi, de les lui fournir.
En dehors des enquêtes dont il est chargé par les magistrats, il peut aussi mener ses propres enquêtes d'initiative.
Un point important dans la lutte contre la traite des êtres humains est la protection des victimes. Contrairement à la loi belge, la loi française ne prévoit pas cette protection. On essaie alors de les protéger de fait, par exemple en octroyant un permis de séjour, et un logement grâce à l'intervention d'associations privées.
M. Amiard présente ensuite une série de données qui affinent les tendances actuelles dans le milieu des trafiquants d'êtres humains.
Il y a de plus en plus de jeunes prostituées et prostitués (= travestis), la prostitution de rue diminue en faveur de la prostitution dans des salons de massage et des hôtesses, et il y a de plus en plus de femmes maquerelles, qui travaillent en sous-traitance pour les trafiquants.
M. Amiard cite quelques exemples significatifs de cas où son office a obtenu du succès.
Dans tous les cas d'espèces, il apparaît que les organisations criminelles ont des ramifications internationales très complexes.
Le cas Chisinau (voir le schéma ci-après) est exemplaire à cet égard. Il demande un investissement soutenu en matière de surveillance, par des centaines d'hommes de terrain, à travers des dizaines de pays, qui ont chacun leur propre système judiciaire.
Le démantèlement a été suivi de peines sévères, ce qui est le seul aboutissement rentable de pareilles affaires.
Pour cela, il est indispensable de pouvoir faire appel à des techniques spéciales (écoutes téléphoniques, provocation) ce qui fait défaut aux polices françaises comme d'ailleurs à beaucoup d'autres polices européennes.
Un effort législatif doit être consenti, selon lui, dans ce secteur.
Le rapport de la visite de la délégation à l'OCRTEH est repris en annexe.
4. Visite à Interpol Trafficking in Human Beings Branch
M. Jan Austad expose que les activités de cette division remontent à une résolution de l'assemblée générale de 1996.
La division est constituée de deux rechercheurs qui s'occupent aussi de l'immigration clandestine et qui récoltent et analysent les données livrées par différentes autres organisations internationales et par les polices. Cette information est à la disposition des polices des pays-membres.
La base de données contient surtout des faits objectifs, et non pas des données de personnes.
Il y est fait mention, par exemple, de deux jeunes femmes qui ont été terrorisées par un albanais et vendues pour 2 500 $.
À la question d'un sénateur, M. Austad répond que ce montant n'est qu'un exemple; il n'y a pas de montant moyen du prix de vente d'une femme.
Interpol cherche surtout de la coopération auprès de l'Europe occidentale dans ce domaine.
L'on peut dire que les trafiquants cherchent principalement de l'argent, et que tous les moyens sont bons pour atteindre ces objectifs, même la violence très sévère.
Le transport se fait par n'importe quel moyen, même à travers les montagnes.
Il y a également des échanges de femmes. Il y a là des femmes nouvellement arrivées, et celles qui échappent au contrôle des forces de police.
Les nouvelles tendances sont principalement constituées par le haut degré d'exploitation. Cette exploitation se déplace du niveau d'indépendants locaux à un niveau international et très violent.
L'OIM mène des campagnes de dissuasion contre les annonces de recrutement.
La nouvelle loi de 1995 de la Belgique constitue un grand pas en avant, en tant qu'elle protège les jeunes femmes dans des centres spécialisés.
La coopération policière est parfois fructueuse, parfois pas. Dans bon nombre de cas, les capacités des policiers ne sont pas assez raffinées dans ce domaine spécialisé.
Des jeunes femmes albanaises sont entraînées à Mamuras dans un centre spécialisé et ensuite vendues dans un bar. Le problème est surtout celui des faux passeports. Dès qu'ils sont saisis, l'organisation criminelle en envoie d'autres. De la sorte, la trace des jeunes femmes se perd.
Un autre exemple, mais positif cette fois-ci, est une filière de Riga qui a été suivie via la Lituanie jusqu'en Allemagne, et qui a été démantelée.
Encore un dossier à mettre en évidence est le cas Chisinau : un maffioso italien a été interpellé en Moldavie.
Un dernier exemple, moins fructueux, a été le cas de l'hôtel Colombes, où une dame allemande prostituait des jeunes femmes tchèques. La filière a été découverte, mais il a été impossible de procéder à des arrestations, parce que la preuve de la prostitution faisait défaut.
Le degré d'attention de l'Europe de l'Est pour ces problèmes est très bas, contrairement à ce qui se passe pour la lutte contre la drogue.
Quand il y a une preuve qu'une femme suivie passe trois semaines dans un appartement, ceci est suffisant pour Interpol pour en conclure qu'il s'agit de prostitution. Mais le défaut de connaissances professionnelles des policiers locaux font parfois capoter l'enquête.
C'est la raison pour laquelle Interpol a constitué un groupe de travail afin de discuter la meilleure façon d'opérer, pour améliorer l'attention.
À la question pourquoi les dernières levées de jeunes femmes viennent en grand nombre de la Moldavie, M. Austad explique qu'il s'agit là d'un problème de législation inefficace et d'indifférence de l'appareil policier.
Interpol prend l'initiative via un bulletin d'information. Si elle dispose de nouvelles intéressantes, elle les distribue.
La position d'origine d'Interpol est abolitionniste depuis sa fondation.
L'on ne constate aucune rivalité entre polices et Interpol. Cette dernière n'apporte que de l'information, et ne travaille pas sur le terrain.
Les intervenants constatent un manque certain d'envoi d'informations de la part des polices nationales au sujet des enquêtes relatives à la traite.
Un intervenant a par contre signalé que, suite aux dispositions récentes concernant les disparitions inquiétantes de mineurs d'âge, les services étaient surchargés d'informations urgentes qui s'avéraient tout aussi vite sans objet.
Quant à la collaboration avec Europol au sujet de la traite, elle repose essentiellement sur des relations personnelles entre les responsables des deux services spécialisés de ces institutions.
En dehors des données policières, Interpol recueille aussi des données d'organisations privées, comme La Strada.
1.1. C'est dès l'année 1992 que notre pays s'est préoccupé du problème de la traite des êtres humains, et ce par la mise sur pied d'une commission d'enquête parlementaire. Depuis lors notre pays s'est doté d'une série de législations en pointe permettant de s'attaquer à ce phénomène. Il s'est aussi doté d'un instrument de suivi en la matière par le rôle confié au Centre de l'égalité des chances ainsi que par l'élaboration par le gouvernement d'un rapport annuel au Parlement.
On doit cependant bien constater que malgré les efforts réalisés, cette triste réalité subsiste et semble même s'être aggravée. La découverte au mois de juin 2000, de 58 Chinois morts asphyxiés dans un camion lors de leur passage clandestin entre Zeebrugge et Douvres en est la preuve éclatante.
Poursuivre les trafiquants d'êtres humains est et doit donc rester plus que jamais une priorité pour notre pays ainsi que pour les autorités européennes et internationales.
La commission d'enquête l'avait souligné à l'époque : « Tant que les causes ne seront pas enrayées, le phénomène subsistera. Il est évident que ces causes, à savoir l'inégalité entre la richesse et la pauvreté, ne disparaîtront pas dans les prochaines années ... Le trafic des êtres humains constitue un problème d'ordre structurel. La lutte contre la traite des êtres humains implique une modification fondamentale des relations Nord-Sud et Est-Ouest, qui implique à son tour une partage plus équitable des richesses par le biais notamment d'un commerce international plus juste et des solutions au problème fondamental de l'endettement » (extrait du rapport de la commission d'enquête relative à la traite des êtres humains, doc. Chambre, 93-94, nº 673/1, p. 83).
1.2. Les recommandations qui suivent s'inscrivent donc aussi dans cette perspective. Elles souhaitent mettre l'accent sur un certain nombre de problèmes rencontrés sur le terrain par les diverses autorités ou institutions en charge de cette lutte en vue de tenter d'y apporter des solutions. En outre, celles-ci ont pour ambition d'aborder le phénomène sous l'angle de la prévention en ce compris au départ des pays d'où proviennent la majeure partie des victimes de la traite. Rappelons que la sous-commission a surtout abordé le problème sous l'angle de la prostitution dans le but de tenter de mettre fin aux violences dont sont principalement et quasi exclusivement victimes les femmes dans ce secteur, ce qui ne signifie pas qu'à cette occasion, il n'ait pas cherché à se préoccuper des autres situations vécues par les victimes de la traite des êtres humains. Enfin, rappelons également que le Sénat, en sa séance du 3 mai 2000, a approuvé les recommandations du rapport relatif à la politique d'immigration. Les présentes recommandations peuvent être lues en corrélation avec ces dernières ainsi qu'avec les constatations et recommandations issues des deux derniers rapports du Centre de l'égalité des chances (rapport annuel 1998 de mai 1999 et rapport annuel 1999 de juin 2000).
2.0. Comme souligné dans l'introduction, le caractère structurel de la traite des êtres humains a pour cause essentielle la situation spécifique des pays d'où sont originaires les victimes de la traite des êtres humains. Celle-ci est principalement d'ordre socio-économique ou liée à une situation de crise (conflit externe ou interne). Ainsi, surtout les pays de l'Asie du Sud-Est, la Chine, l'Afrique, l'Amérique latine et les pays de l'Europe de l'Est sont concernés. Attirés par une vie qu'ils espèrent meilleure que chez eux, les candidats et candidates à l'émigration se laissent facilement séduire par les promesses des trafiquants.
La sous-commission propose :
2.1. de poursuivre et d'amplifier une politique de coopération en faveur des pays d'où sont originaires les victimes de la traite, en étant attentif à développer des projets spécifiquement ciblés vers les femmes, qui sont souvent les seules soutiens de famille, et des projets visant à améliorer la qualité de l'enseignement et des soins de santé comme cela a été recommandé pour la Conférence mondiale sur les femmes à New York (« Béjing 5+ »);
2.2. de développer dans ces pays des campagnes d'information et de prévention, en collaboration avec des ONG spécialisées, afin de sensibiliser les éventuels candidats au départ et en particulier les femmes des risques qu'elles courent de se retrouver dans des réseaux de prostitution ou de travail illégal;
2.3. de s'attacher quand cela est possible à conclure des accords de coopération, tant au plan économique que dans le cadre policier et de la coopération judiciaire, avec les autorités locales en vue de s'attaquer à la racine du mal;
2.4. étant donné que la traite et le trafic des êtres humains constituent une branche de la criminalité organisée qui enregistre une forte croissance, que la Belgique inclue dans les conventions bilatérales qu'elle conclut avec les pays qui appartiennent au groupe à risque des pays d'origine, une clause qui pose le principe de l'instauration de mesures communes pour prévenir et lutter contre la traite des êtres humains;
2.5. de prendre en compte dans les politiques de coopération la situation des femmes et des jeunes femmes dans les pays en crise dans la mesure où elles sont souvent victimes d'une violence spécifique (viol, abus sexuels, etc.) qui en font ensuite des proies faciles pour les trafiquants.
Les programmes d'aide sur place doivent prévoir un accompagnement particulier lorsqu'elles sont rejetées par leur famille pour ces raisons.
2.6. Après avoir rencontré les autorités politiques et policières d'Albanie et d'Italie, la sous-commission recommande d'entamer, à titre de concrétisation du présent point, et dans l'esprit de celui-ci, un projet pilote de collaboration trilatérale entre la Belgique, l'Italie et l'Albanie.
Le projet devrait viser conjointement les aspects :
de développement économique et d'aides en infrastructures;
de gestion des flux migratoires (visas économiques à durée déterminée pouvant être reconductibles après retour au pays d'origine);
des relations diplomatiques (ouverture d'une ambassade en Albanie ou installation d'un chargé d'affaires);
de coopération policière et judiciaire portant sur la répression de la traite de êtres humains, voire, la confiscation des biens des auteurs de ces crimes;
d'aide administrative portant sur la refondation d'un état civil en Albanie;
d'information, de prévention, d'accueil et de réinsertion des victimes en soutenant les actions menées en collaboration par des ONG des trois pays;
de relations parlementaires et gouvernementales accrues entre les 3 pays quant à la recherche d'une manière commune d'envisager le codéveloppement, les flux migratoires et la lutte contre la traite des êtres humains.
3.1. Le problème des contrôles aux frontières de l'Union est plus que jamais d'actualité. Celui-ci doit être renforcé aux points clé d'arrivée, tels que les aéroports et les ports.
3.2. La sous-commission recommande au gouvernement d'organiser également des contrôles dans les ports de plaisance d'Ostende, de Blankenberge et de Nieuport. En effet, on ne connaît pas les bateaux qui quittent ces ports parce que la police maritime n'y est pas active. Il y a donc lieu d'élaborer un contrôle systématique.
3.3. Outre le rôle répressif, la sous-commission recommande aux services de police de jouer également un rôle de prévention. Aux points d'entrées des aéroports, des gares, etc., il y a lieu d'apposer des affiches en nombre suffisant pour avertir les victimes potentielles de la traite des êtres humains des conséquences de ce trafic. On pourrait également distribuer aux passagers provenant de pays à risque concernant la traite des êtres humains, des brochures contenant des conseils en matière d'aide aux victimes.
3.4. La sous-commission recommande que le Comité-P soit chargé de faire une étude sur la manière dont les services de police travaillent sur la traite des êtres humains.
3.5. Les équipes « traite des êtres humains » des aéroports doivent être renforcées afin de pouvoir traiter efficacement les dossiers relatifs à la traite des êtres humains.
3.6. La commission propose de consentir des investissements en hommes et en matériel importants à Zeebrugge et à Anvers en vue de combattre le passage en fraude à destination du Royaume-Uni. On doit employer à cet effet des techniques nouvelles qui permettent de rechercher efficacement les personnes dissimulées dans les chargements.
4.1. Rôle de l'Office des étrangers
4.1.1. Le rôle de l'Office des étrangers est important puisqu'il est souvent le premier contact des candidats à l'immigration, dans la mesure où ceux-ci utilisent la procédure d'asile pour pouvoir rester sur le territoire en bénéficiant de « l'annexe 26 ». Le fait de posséder ces documents permet en effet à la personne d'être en situation légale du moins lorsqu'il n'a pas été statué sur sa demande. Une meilleure collaboration est du reste recommandée entre le « Bureau R » et la cellule traite des êtres humains.
4.1.2. Compte tenu du fait que les pays d'origine des victimes potentielles de la traite des êtres humains sont connus, il s'impose que les premiers entretiens avec les personnes dont on peut penser qu'elles sont des victimes potentielles soient plus approfondis et que toutes les informations sur les centres d'accueil et leurs droits leur soient données à cette occasion.
4.1.3. Les services de police doivent pouvoir contacter l'Office des étrangers à tout moment, y compris entre midi et quatorze heures, car les décisions doivent souvent être prises dans des situations d'urgence.
4.1.4. L'Office des étrangers doit, dans la mesure du possible, recevoir d'urgence l'appui d'interprètes assermentés, afin de pouvoir déterminer avec certitude la nationalité des étrangers.
4.2. Problème des faux papiers
4.2.1. Le problème des faux papiers et fausses identités sont des problèmes récurrents, qui ne semblent pas encore maîtrisés de manière satisfaisante. La prise des empreintes digitales est le seul moyen de rencontrer cette situation.
4.2.2. Il s'agit aussi pour les autorités de rechercher les moyens techniques de lutter contre ce type de fraude et de détecter et de poursuivre plus systématiquement ce type de délit.
4.2.3. Le fait que les victimes doivent donner leur consentement par écrit avant que l'on puisse prendre des photos ou des empreintes digitales est un problème pour lequel il y a lieu de prendre une initiative législative en veillant à respecter la protection de la vie privée.
4.3. Rôle des ambassades et consulats.
Il apparaît que certains consultats de différents pays européens situés dans les pays d'origine de la traite octroient, à profusion et de façon régulière, des visas, ayant notamment trait à la profession de « danseuses ».
La sous-commission recommande au gouvernement de mettre ce point à l'agenda de la réunion des ministres des Affaires étrangères afin de vérifier cette information et, si nécessaire, d'y remédier.
5.1. Une bonne connaissance du terrain est nécessaire pour pouvoir poursuivre les réseaux Rôle de la police
5.1.1. La police locale (communale) joue un rôle essentiel dans la connaissance du terrain; c'est un élément clé de lutte contre les réseaux de traite des êtres humains.
5.1.1.1. La circulaire « COL 6 », qui date du 16 avril 1999 et définit les tâches respectives de la police locale et fédérale en matière judiciaire, constitue un élément de base en matière de coordination.
Elle doit être évaluée en permanence, afin de s'assurer de l'efficacité du système mis en place eu égard à l'objectif, à savoir la lutte contre les filières. La sous-commission considère les modalités relatives aux échanges d'information comme prioritaires.
5.1.1.2. La sous-commission a pu constater que les responsables communaux des communes de Liège, Bruxelles et Anvers avaient une assez bonne connaissance des lieux où s'exerce la prostitution. Un contrôle régulier de ce milieu est manifestement organisé. Les priorités au niveau communal dans ce secteur sont : la lutte contre les troubles de l'ordre public, la lutte contre la traite, et la détection de cas de mineurs impliqués dans la prostitution.
Une bonne connaissance du phénomène est indispensable, car elle permet de suivre l'évolution des réseaux et donc de mieux appréhender la réalité de ceux-ci. On a pu ainsi se rendre compte de la manière dont opèrent les différentes filières. On a pu ainsi se rendre compte de l'emprise des réseaux albanais qui utilisent la violence pour prendre le pouvoir dans la prostitution.
La sous-commission plaide dès lors pour que les autorités communales suivent de très près le phénomène, notamment par la constitution de banques de données sur la base de formulaires standard qui doivent avoir pour objectif de percer les filières qui exploitent la prostitution plutôt que de contrôler les prostituées sous l'angle de leur permis de séjour ou de viser à « nettoyer » un quartier de la prostitution ce qui ne fait que déplacer le problème, mais ne l'attaque pas à la base.
5.1.1.3. Les écoles de police devraient organiser, dans le cadre de la formation de base ou de la formation continuée, une formation spécifique relative à la traite des êtres humains. Cette formation spécifique devrait être adaptée au personnel douanier.
5.1.1.4. Il y a lieu de constituer, pour les services de police également, un « pool » de traducteurs et d'interprètes qui puisse veiller à ce que tout soit traduit exactement et que les nuances soient bien rendues.
5.1.2. Le rôle de la police spécialisée : Bureau d'information d'arrondissement (BIA)
Dans le cadre de la « nouvelle police » (voir point 2.2 du « COL 6 »), un organe unique chargé de la récolte des informations est institué. Il s'agit du BIA.
Le point 2.2.3 du « COL 6 » précise la manière dont cette information doit être traitée.
La sous-commission souhaite que ces informations soient traitées prioritairement en vue de la poursuite des trafiquants d'êtres humains.
5.1.3. Mise en réseau des informations.
Ce contrôle n'a de sens que s'il est mis en réseau. Autrement dit : l'échange d'information entre les différentes autorités confrontées à la traite des êtres humains est essentielle pour pouvoir établir les connexions entre les différents phénomènes constatés sur le terrain. Prises de manière isolée les constatations de terrain peuvent n'avoir que peu de sens, mises en réseau elles peuvent révéler les filières.
La sous-commission plaide pour que les différentes autorités communales (c'est-à-dire les bourgmestres), les différents services de police, et les autorités judiciaires se rencontrent régulièrement au delà de leurs arrondissements respectifs, pour faire le point de la situation en la matière et coordonner leurs actions.
5.1.4. Les groupes de travail au niveau ministériel
Deux groupes de travail multidisciplinaires ont été mis sur pied par le ministre de l'Intérieur en vue, d'une part, de faciliter l'échange d'informations entre différents services et, d'autre part, de donner une impulsion à la lutte contre l'immigration clandestine et contre le trafic et l'exploitation d'êtres humains.
La sous-commission s'estime imparfaitement informée et souhaite que ceux-ci puissent avoir un caractère permanent et se réunir régulièrement en vue d'évaluer périodiquement la situation.
5.1.5. Le rôle des autorités judiciaires
La sous-commission recommande l'adoption d'une approche uniforme de la traite des êtres humains dans les différents parquets au moyen de questionnaires standardisés en plusieurs langues (français, néerlandais, anglais, allemand, ...). De la sorte, on travaillera toujours de la même façon et les procès-verbaux contiendront toutes les données nécessaires à l'enquête.
5.2. Évaluation des instruments législatifs, judiciaires et des moyens humains existants
5.2.1. Les différentes dispositions de la loi du 13 avril 1995
Globalement, les personnes entendues par la sous-commission estiment que les lois du 13 avril 1995 permettent d'appréhender correctement le phénomène. Par contre, il manque à l'évidence les moyens pour pouvoir poursuivre les filières de manière efficace.
Deux points ont cependant été mis en exergue par certains, à savoir les difficultés d'attaquer le phénomène par son volet immobilier et la définition de la notion de « traite » qui, pour certains, ne couvre pas les situations de transit des filières par la Belgique.
La sous-commission estime que ces deux points doivent être éclaircis dans le cadre de la circulaire « COL 12 » à l'égard des expériences des différentes juridictions à ce propos.
Deux autres points sont également apparus comme nécessaires. Le premier vise l'extension d'enquêtes sur le volet financier (signes extérieurs de richesse, transferts financiers, blanchiment d'argent). Le deuxième porte sur l'opportunité de développer des enquêtes pro-actives dans le domaine de la traite.
On ne peut en effet se limiter aux seules plaintes des victimes, sachant que : soit celles-ci ne sont pas conscientes de l'être, soit sont sous une contrainte telle qu'elles ne pourront témoigner sans entraîner de risques majeurs pour elles-mêmes ou pour leur famille, restée souvent sous contrôle criminel dans le pays d'origine.
Pour la sous-commission, la poursuite des trafiquants doit concerner aussi bien ceux qui permettent l'entrée ou le séjour d'étrangers dans notre pays que ceux qui en permettent le transit. La loi du 13 avril 1995 doit également pouvoir s'appliquer aux situations de transit. Si le texte de la loi actuelle n'était pas assez clair, il doit être adapté.
5.2.2. La circulaire « COL 12 » : à évaluer sous l'angle de la praticabilité de ses moyens
En vue de favoriser une application cohérente des différentes mesures, prises depuis 1995 pour lutter contre la traite des êtres humains, le collège des procureurs généraux près les cours d'appel a précisé dans cette circulaire la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains et de pornographie enfantine. Une évaluation de celle-ci est prévue en septembre 2000.
La sous-commission souhaite que cette évaluation porte sur la manière dont fonctionne la coordination entre les différents arrondissements judiciaires, le rôle des magistrats de liaison, ainsi que sur la pertinence de la définition retenue en fonction des faits à appréhender et de la réalité du terrain.
La sous-commission souhaite que l'évaluation de la circulaire « COL 12 » permette également d'évaluer les moyens humains et matériels indispensables si l'on veut s'attaquer sérieusement aux trafiquants.
La sous-commission souhaite que l'on mette à la disposition des parquets des formulaires simples et uniformes à compléter lors de l'arrestation de personnes dans le cadre de la traite des êtres humains.
5.2.3. Faire usage des outils législatifs existants
La sous-commission a pu constater que, dans la lutte contre les trafiquants d'êtres humains, il peut être utilement fait usage des nouvelles lois telles que la loi de 1990 sur la confiscation spéciale. Elle est convaincue que le meilleur moyen de toucher le secteur est de le pénaliser sur le plan financier.
À cet égard elle a pu constater que les dispositions de la loi du 13 avril 1995 relatives au volet financier posent problème, dans la mesure où il est difficile de définir la notion de loyers excessifs. Cet élément étant important, la sous-commission estime qu'il faudrait pouvoir évaluer la loi du 13 avril 1995 à ce propos et qu'il serait utile que cet élément puisse être précisé dans la directive « COL 12 ».
Par ailleurs, la sous-commission estime qu'il faut développer de façon convergente des enquêtes et poursuites ayant trait aux filières financières et au blanchiment d'argent liées à la traite des êtres humains. Ce n'est que par ce biais que l'on pourra atteindre efficacement les auteurs de la traite.
5.2.4. La libération sous caution
Dans certains cas les trafiquants d'êtres humains bénéficient d'une libération sous caution. La sous-commission estime cette pratique contestable dans la mesure où elle peut se révéler dangereuse pour les victimes.
5.2.5. Pénalisation des acteurs de traite
Lors des visites de la sous-commission dans les centres d'accueil des victimes, il est apparu que les trafiquants condamnés l'étaient pour des courtes peines ne les empêchant nullement de poursuivre la gestion de leur trafic ou de préparer la reprise de celui-ci dès leur libération.
La sous-commission recommande une combinaison de peines de prison et d'amendes suffisamment lourdes pour attaquer le problème de la traite des êtres humains.
5.2.6. Les instruments légaux existants en droit pénal social doivent être utilisés plus efficacement dans la lutte contre la traite des êtres humains.
5.2.7. Constat sur la coopération et la collaboration entre les différentes instances
Bien que, sur papier, les coordinations entre les différentes autorités soient prévues, la réalité ne semble pas être celle-là. À ce jour, la sous-commission estime la coordination insuffisante.
5.2.8. Secret de l'instruction
Reste cependant un problème, à savoir celui du secret de l'information (loi Franchimont, article 28quinquies). Il serait utile de prévoir dans le cadre de la lutte contre la traite une exception permettant aux différents acteurs (policiers, judiciaires et administratifs) de pouvoir échanger leurs informations, tant celles récoltées au niveau national qu'international (nouvelles filières et nouveaux circuits de traites). Ces informations doivent contribuer à accroître la collaboration et la compréhension réciproque du phénomène. Ainsi, un policier de base ayant transmis des informations concernant des phénomènes de traite devrait pouvoir être tenu au courant des suites et conclusions de l'action qu'il a contribué à initier.
5.2.9. Sans vouloir empiéter sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, la sous-commission fait remarquer que les décisions judiciaires en la matière peuvent avoir une influence sur le sentiment d'impunité que peuvent avoir les trafiquants. La sous-commission insiste pour ce que la poursuite du délit de traite des êtres humains sur base de la loi de 1995, soit clairement une priorité pour les autorités judiciaires. Elle insiste aussi pour qu'il soit fait usage de toutes autres dispositions légales qui peuvent être utilisées en la matière.
5.2.10. L'article 134quater de la nouvelle loi communale, inséré par l'article 6 de la loi du 13 mai 1999, fait l'objet d'une interprétation restrictive du Conseil d'État. Une révision de la loi s'impose dans le but de rendre possible la fermeture par le bourgmestre des établissements où s'exerce la traite.
5.2.11. Un manque flagrant de moyens
Tous les intervenants ont indiqué qu'ils manquaient de moyens afin de pouvoir assurer une poursuite efficace des trafiquants d'êtres humains. C'est la raison pour laquelle ils doivent définir des priorités.
La sous-commission estime, qu'au vu de l'importance de cette lutte, un effort doit être consenti, tant au niveau policier que judiciaire, afin de dégager des moyens nécessaires à un tel objectif.
5.2.12. La sous-commission est convaincue qu'il y a lieu d'élaborer, pour chaque législature, un programme global en vue du développement d'une approche coordonnée de la traite des êtres humains, du trafic des êtres humains et du proxénétisme.
Le gouvernement belge doit désigner un coordinateur spécial, qui assiste opérationellement le gouvernement dans sa lutte contre la traite des êtres humains. Ce coordinateur a pour mission d'assurer l'efficacité de la politique qui est menée par les différents départements fédéraux concernés et fait office d'intermédiaire avec les régions et les communautés et avec le Centre pour l'égalité des chances.
5.2.13. La lutte contre la traite impose également de développer un outil statistique permanent et fiable, alimenté par toutes les sources policières et judiciaires permettant au coordinateur spécial ainsi qu'au Centre pour l'égalité des chances, de disposer, entre autres, des données quant aux interceptions opérées, aux suites données aux arrestations d'auteurs de traite, aux peines encourues.
5.3.1. Rôle des associations
5.3.1.1. Prévoir un financement structurel
Tous les acteurs en charge de la lutte contre la traite des êtres humains le reconnaissent : le rôle des centres d'accueil des victimes de la traite est essentiel. C'est grâce à leur travail que les actions judiciaires à l'encontre des filières ont quelques chances d'aboutir. Par ailleurs, ce sont les autorités publiques elles-mêmes qui ont souhaité que ces centres prennent en charge les victimes. Or, force est de constater que ces centres ne disposent toujours pas d'un financement structurel, ni de la part de l'État fédéral, ni des communautés et régions. La survie de ceux-ci dépend trop souvent de la bonne volonté des responsables de ces centres, qui doivent s'engager parfois personnellement pour assurer l'existence de ceux-ci. La sous-commission demande dès lors que le gouvernement s'engage à trouver un moyen de financer les trois centres sur une base structurelle de sorte que le financement soit suffisant pour couvrir le fonctionnement de base ainsi que les frais d'interprètes et d'avocats à la hauteur de la complexité de la tâche. La sous-commission a constaté que dans certains cas, les centres sont contraints de supporter l'intégralité des frais de séjour des victimes. Il faut trouver une solution à ce problème.
5.3.1.2. Augmenter la capacité d'accueil
Ce qui précède est d'autant plus important que tant les services de police que les autorités judiciaires sont unanimes à demander que la capacité d'accueil puisse être augmentée en fonction des besoins de terrain si l'on veut faire de cette lutte une priorité.
5.3.2. Rôle du Centre pour l'égalité des chances et pour la lutte contre le racisme
5.3.2.1. Renforcer son rôle dans le suivi du phénomène
Il n'est pas inutile de rappeler ici le rôle essentiel, mené par le Centre pour l'égalité des chances et pour la lutte contre le racisme dans ce secteur. Habilité par la loi du 13 avril 1995, le centre élabore depuis lors un rapport annuel sur la situation en matière de traite des êtres humains dans notre pays. Ce jeudi 22 juin 2000, le centre a présenté son cinquième rapport sur la question. Ce rapport annuel porte sur la situation en 1999 et fait le point sur l'évolution du phénomène, ainsi que sur les actions menées par les services polices et la Justice à cet égard. Malgré ses faibles moyens pour le réaliser, on doit souligner la qualité de ce rapport. La sous-commission estime ce rôle fondamental et demande au gouvernement de renforcer les effectifs et les moyens du centre, pour mener à bien cette mission qu'elle juge essentielle.
5.3.2.2. Préciser les cas où le Centre est habilité à ester en justice
L'habilitation, donnée au centre pour ester en justice en lieu et place des victimes, donnée par la loi du 13 avril 1995, partait de l'idée que dans une telle matière, les victimes, au vu de leur situation précaire ou par crainte des représailles ultérieures, n'avaient que peu d'intérêt à se constituer parties civiles dans les procès contre leur exploiteur. La pratique a montré que, malgré la volonté du législateur, certaines juridictions ne reconnaissent pas ce droit au centre. La sous-commission estime dès lors que la loi du 13 avril 1995 doit être précisée à ce propos.
5.4. La situation des victimes
5.4.1. Amélioration de leur statut : pouvoir obtenir le certificat d'inscription au registre des étrangers (CIRÉ) plus rapidement
Une des difficultés rencontrées par les associations, vis-à-vis des victimes de la traite est liée aux interprétations différentes données au statut de victime de la traite, en regard des procédures judiciaires en cours. Suite à une concertation entre les diverses autorités concernées, une nouvelle circulaire a été élaborée qui doit incessamment entrer en vigueur et permettra d'accélérer le passage de la deuxième à la troisième phase. La sous-commission souhaite que cette circulaire puisse entrer très rapidement en vigueur.
5.4.2. Protection des victimes lorsqu'elles témoignent : anonymat et protection doivent être garantis.
5.4.2.1. Tous constatent qu'une des difficultés majeures qu'ils rencontrent sur le terrain est le fait, qu'il est difficile d'obtenir des victimes des témoignages contre leurs exploiteurs. Or, ceux-ci sont capitaux dans la recherche des filières et des moyens de preuve indispensables au niveau pénal. Il s'agit donc d'assurer la protection et l'anonymat des victimes qui acceptent de témoigner. Ce type de protection relève de la même logique que celle que l'on imagine pour les repentis dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée. La sous-commission estime dès lors urgent le dépôt du projet de loi relatif aux techniques spéciales de recherche, qui doit prévoir un volet protection et anonymat des victimes et des témoins.
À cet égard, la sous-commission renvoie également aux recommandations et aux conclusions de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique en ce qui concerne la protection des témoins (doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-326/9). La sous-commission recommande au gouvernement d'élaborer d'urgence un cadre juridique pour garantir cet anonymat tant au niveau de l'audition des témoins, qu'à celui de l'exercice du droit de consultation par les inculpés et les parties civiles.
5.4.2.2. Les femmes victimes qui sont diposées à faire des déclarations aux services de police doivent avoir la possibilité d'être entendues par une personne de contact de sexe féminin. C'est important pour éviter que les femmes ne taisent des éléments ou des faits pertinents pour la raison qu'elles n'oseraient pas ou ne souhaiteraient pas en parler à un homme.
5.4.2.3. La sous-commission estime que les victimes qui ont pris une part significative à l'élucidation d'une affaire devraient obtenir un permis de séjour permanent.
5.4.3. Aide au retour
Dans ses recommandations, la commission d'enquête relative à la traite des êtres humains de la Chambre des représentants plaidait pour une aide au retour des victimes qui comporte une aide à la mise en route de projets locaux, visant la réinsertion de ces victimes dans leur pays d'origine et, en même temps, d'un volet prévention à l'égard des éventuelles candidates au départ (cf. doc. Chambre, 93/94, nº 673/1 et suivants).
La sous-commission recommande en outre que, d'aucune manière, un retour d'une victime de la traite ne puisse se faire sans une connaissance précise de la situation du milieu familial d'origine qui puisse garantir que ce retour n'entraînera pas, à court terme, ni de mesures de rétorsion, soit pour la victime, soit pour sa famille, ni un retour immédiat dans le réseau de traite.
5.4.4. La situation des victimes mineures
La situation des victimes mineures est particulièrement délicate vu le manque d'infrastructures d'accueil adaptées (centres d'accueil, enregistrement, apprentissage des langues, etc.). La sous-commission souhaite que le gouvernement fédéral ouvre des négociations avec les communautés afin que celles-ci puissent exercer effectivement leurs compétences en la matière.
La sous-commission renvoie en outre à la recommandation du Sénat relative aux sort des mineures dans le cadre de l'évaluation de la poltique du gouvernement en matière d'immigration (doc. Sénat, 1999-2000, nº 112/1, p. 110).
5.4.5. Une attention particulière est demandée à l'égard de la traite des êtres humains dans les milieux diplomatiques et les milieux sportifs (en premier lieu pour ce qui est du commerce des juenes footballeurs).
6. Le niveau européen et international
6.1. Déficit de la coopération transfrontalière
Malgré les efforts, il faut bien constater qu'à tous les niveaux, la coopération transfrontalière reste difficile, rendant souvent vain les efforts individuels (les réseaux se déplacent). La sous-commission plaide pour que la Belgique reste à la pointe du combat au niveau européen dans cette matière.
Pour combattre adéquatement la traite des êtres humains, la concertation internationale est indispensable : la traite ne s'arrête pas aux frontières et dans bien des cas, seule une enquête transfrontalière permet de rechercher les réseaux.
À cet effet, il importe de mettre sur pied une assistance technique entre les services de contrôle aux frontières.
Pour combattre la fraude internationale de documents, la Belgique doit faire oeuvre de pionnier en inscrivant cette question comme premier point de l'ordre du jour lors de sa présidence européenne.
6.2. Suivi des sommets de Tampere et Feira
La sous-commission recommande aux États membres de l'Union européenne d'élaborer le plus rapidement possible une politique commune en matière de visas afin de prévenir les abus à grande échelle.
Les législations relatives à la lutte contre la traite des êtres humains doivent être développées dans tous les pays de l'Union européenne, mais elles doivent également être harmonisées.
Sous la présidence belge de l'Union européenne, le thème de la traite des êtres humains et du proxénétisme devra, être inscrit en tête de l'ordre du jour et des solutions devront être proposées, sous la responsabilité du coordinateur spécial que le gouvernement désignera en ce domaine.
6.3. La coopération policière et judiciaire au niveau international.
6.3.1. La coopération policière et judiciaire au sein de l'Union, comme au sein d'Europol doit être renforcée à cet égard dans le cadre du troisième pilier.
6.3.2. La commission recommande que l'on poursuive le développement du système Eurodoc, grâce auquel on pourra vérifier rapidement l'inscription d'un étranger dans un autre État membre de l'UE.
6.3.3. Pour éviter de perdre un temps précieux pendant l'enquête, l'échange de données informatisées concernant l'identité des trafiquants et les réseaux doit être organisé de manière efficace, sous le contrôle des instances judiciaires.
La sous-commission recommande aux services policiers et judiciaires, ainsi qu'aux associations spécialisées dans le domaine des disparitions inquiétantes de mineurs d'âge, de coordonner leurs efforts avec Interpol et Europol pour améliorer la qualité des messages d'alerte sans entraîner une surcharge du système d'information telle qu'elle aboutirait à le rendre inopérant.
Même si, pour des raisons opérationnelles, des contacts policiers sont pris d'abord de façon bilatérale de pays à pays, la sous-commission recommande fermement que les informations et résultats engrangés lors de telles opérations soient transmis, même à postériori, aux organes internationaux tels Europol et Interpol.
6.3.4. Le gouvernement belge doit prendre les devants dans la création d'un observatoire européen. La lutte contre la traite des êtres humains nécessite une approche globale. Il faut avoir une idée des flux en la matière.
6.3.5. La sous-commission estime que le mandat d'Europol en matière de traite des êtres humains doit être élargi et rendu plus opérationnel.
La sous-commission estime qu'il faut renforcer les moyens d'Interpol afin qu'il puisse accomplir sa mission de manière plus énergique en ce qui concerne la lutte contre la traite des êtres humains.
Le présent rapport a été adopté à l'unanimité des 6 membres présents.
Les rapporteuses, | La présidente, |
Erika THIJS. Nathalie de T'SERCLAES. |
Anne-Marie LIZIN. |
(1) Doc. Chambre, 1993-1994, nºs 673/1 et suivants.
(2) Loi du 27 mars 1985 insérant un article 380quinquies dans le Code pénal et abrogeant l'article 380quater, alinéa 2, du même code; loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine; loi du 13 avril 1995 relative aux abus sexuels à l'égard des mineurs (Moniteur belge, 25 avril 1995, errata Moniteur belge, 6 juillet 1995).
(3) Doc. Chambre, 1993-1994, nºs 1381 et suivants; Sénat, 1993-1994, nºs 1142/1 et suivants.
(4) Moniteur belge, 14 juillet 1995.
(5) Doc. Chambre, 1997-1998, nº 1399/1.
(6) L'article 26 du règlement du Sénat dispose : « Les commissions peuvent, après concertation avec le président du Sénat, constituer en leur sein des sous-commissions et des groupes de travail, dont elles déterminent la composition et les attributions. Les sous-commissions et groupes de travail font rapport aux commissions auxquelles ils appartiennent dans le délai que celles-ci déterminent.
(7) Mme Leduc, M. Wille, Mme de Bethune, Mme Thijs, Mme Lizin, Mme de T'Serclaes, M. Verreycken, Mme Lindekens et M. Hordies. Conformément à la décision de la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives du 21 mars 2000, Mme Lindekens a été remplacée par M. Mahassine.
(8) Cela n'empêche toutefois pas l'organisation, s'il devait y en avoir une, d'avoir des personnes de contact chez nous. Cette thèse est accréditée par une enquête qui a été menée par la BSR de Bruxelles et qui a montré que ces prostituées se faisaient extorquer par des Albanais pour payer leur « droit de trottoir ». S'il y avait eu une organisation structurale en Belgique, elle ne l'aurait jamais toléré !
(9) Arrêté royal du 6 mai 1997 relatif aux tâches spécifiques des membres du collège des procureurs généraux (Moniteur belge, du 14 mai 1997).
(10) Le texte intégral de la directive ministérielle « COL 12 » est reproduit en annexe.
(11) L'article 28quinquies dispose : « L'information est secrète. Sauf les exceptions prévues par la loi, toute personne qui est appelée à prêter son concours à l'information est tenue au secret. Celui qui viole ce secret est puni des peines prévues à l'article 458 du Code pénal. »
(12) Directives du 13 janvier 1997 à l'Office des étrangers, aux parquets, aux services de police, aux services de l'Inspection des lois sociales et de l'Inspection sociale relatives à l'assistance aux victimes de la traite des êtres humains (Moniteur belge du 21 février 1997).
(13) Résolution du Parlement européen sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen « Pour de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes » [COM(1998)726 C5-123/99 1999/2125(COS)], approuvée le 19 mai 2000.