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25 SEPTEMBRE 1997
Lorsqu'il a adopté la toute récente loi sur les faillites, le législateur a maintenu le monopole dont dispose la Caisse des dépôts et consignations pour recevoir l'ensemble des dépôts provenant des ventes et recouvrements effectués par les curateurs d'une faillite (loi sur les faillites, votée à la Chambre des représentants le 10 juillet 1997 après évocation et vote par le Sénat le 7 juillet 1997, non encore publiée au Moniteur belge au jour du dépôt de la présente proposition de loi).
C'est en 1847 que la Caisse des dépôts et consignations a été créée avec une triple mission : prendre réception des dépôts imposés par les lois, les règlements et les décisions judiciaires ou administratives; en assurer la conservation; et les restituer à leurs ayants droit.
L'actuelle législation perpétue, pour les comptes de la faillite, ce monopole. Les curateurs de faillite sont donc contraints de verser les fonds qu'ils récoltent à la Caisse des dépôts et consignations qui, après le règlement de la faillite, attribuera aux créanciers les sommes auxquelles ils ont droit.
Le système est trop rigide, d'autant plus que la Chambre a rejeté un amendement du Sénat qui, dans le cadre de la procédure d'évocation qu'il avait initiée à l'égard du nouveau projet de loi sur les faillites, avait adopté des dispositions plus souples qui auraient garanti davantage d'efficacité dans le règlement de la faillite (doc. Sénat, 1996-1997, nº 1-499/20 et doc. Chambre 1996-1997, nº 330/25 et 26).
Cette critique n'est cependant qu'accessoire eu égard à l'illégalité flagrante de cette disposition accordant un monopole à la Caisse des dépôts et consignations. Ce monopole est incompatible avec le Traité instituant la Communauté européenne. En ce sens, voyez notamment la revue Aspects et Documents nº 147, « La Caisse de dépôts et consignations et les comptes de faillites, un monopole est-il compatible avec la réglementation européenne ? » (juin 1993). De nombreux éléments confirment cette analyse :
Tout d'abord soulignons qu'au regard du droit européen, la Caisse des dépôts et consignations doit être considérée comme une entreprise, bien qu'elle constitue une branche de l'administration financière de l'État et qu'elle soit dépourvue d'une personnalité juridique. Le simple fait qu'elle développe des activités économiques consistant à offrir des services sur le marché suffit à faire entrer la Caisse des dépôts et consignations dans la définition d'« entreprise » du Traité de Rome.
Ensuite, il est désormais évident que les règles de la libre concurrence s'appliquent aux pouvoirs publics à chaque fois que ceux-ci exercent des activités économiques de nature industrielle ou commerciale.
Par ailleurs, il est vrai que ce principe d'égalité connaît une exception lorsque l'État désire accomplir par le biais de ces « entreprises » une tâche d'intérêt général.
Mais la dérogation au principe de la libre concurrence n'est valable que s'il est démontré concrètement qu'un tel régime dérogatoire est indispensable pour l'accomplissement de la mission d'intérêt général confié à ces entreprises. De plus, cette brèche dans le principe de la libre concurrence ne peut en aucun cas affecter l'intérêt de la communauté et plus particulièrement ses objectifs économiques généraux.
Enfin, l'article 90 du Traité de Rome permet aux États membres, par dérogation au principe de la libre concurrence, d'accorder des droits spéciaux exclusifs à une ou plusieurs entreprises. Cependant, la création ou la conservation de tel monopole ne peut être fondée sur des motifs de nature économique. Seules des considérations d'ordre public, de sécurité publique ou de service public peuvent justifier une telle entrave au principe du marché commun.
De ce raisonnement, on ne peut que conclure à l'illégalité du monopole dont bénéficie la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre des comptes de la faillite. À tout le moins, il incombe à l'État belge d'apporter la preuve qu'il peut bénéficier de la dérogation prévue à l'article 90 du Traité instituant la Communauté européenne et donc que l'octroi du monopole est vraiment indispensable à la réalisation d'un objectif non économique.
Or, pareille preuve n'a jamais été apportée par la Belgique. Que du contraire, lors de la discussion du projet de loi sur les faillites en commission de la Justice du Sénat, le ministre des Finances évoquait comme argument principal au maintien du monopole de la Caisse des dépôts et consignations pour les comptes de faillite « la rentabilité des dépôts de fonds de faillite » (doc. Sénat, nº 1-498/11, page 131). « La rentabilité est évidente : en 1995, la Caisse a réussi à obtenir un résultat positif de 508 millions de francs en faveur du Trésor. Ce résultat est obtenu en partie grâce aux fonds de faillite » (idem) . La justification ministérielle est donc essentiellement de nature économique et budgétaire.
Dans sa réponse faite au Sénat, le ministre évoque également d'autres arguments qui ne sont pas convaincants :
Gestion efficace des deniers : le ministre met en avant le service de qualité fourni par la Caisse des dépôts et consignations et l'absence de plaintes de ses utilisateurs notamment des tribunaux , ainsi que l'intention de modernisation de la réglementation de la Caisse. Tout ceci est évidemment fort intéressant mais ne justifie en rien qu'on attribue le monopole à cette institution.
Inclusion du précompte dans le calcul de la fixation du taux d'intérêt : ce service offert exclusivement par la Caisse pour l'instant, pourrait tout aussi bien être assuré par les banques si davantage elles pouvaient exercer la gestion des comptes de faillite.
La sécurité des placements à la Caisse : selon, le ministre « seule la Caisse est à même de fournir la sécurité résultant de la garantie de l'État ». Nous ne pouvons cependant admettre cet argument qui est contrebalancé par différentes objections que nous rappelons ci-dessous :
1º La législation bancaire européenne s'est considérablement renforcée ces dernières années et est devenue à ce point exigeante qu'aucun État membre ne puisse mettre en question la solidité financière d'un établissement de crédit ayant obtenu une reconnaissance dans un pays de la Communauté européenne.
2º Si l'on observe la réglementation concernant les notaires et les sommes qu'ils détiennent pour compte de tiers, on ne peut s'empêcher de constater qu'il y a en Belgique deux poids, deux mesures. En effet, les notaires peuvent placer des sommes perçues pour compte de tiers sur un compte particulier ouvert auprès d'un établissement de crédit public ou privé.
3º Depuis la directive européenne 94/19 du 30 mai 1994 relative au système de garantie des dépôts, tout créancier des montants versés sur un compte particulier est protégé à concurrence de 20 000 écus (± 840 000 francs). Cependant, jusqu'au 31 décembre 1999, le montant couvert est limité à 15 000 écus (± 630 000 francs). Cette protection a été introduite dans notre droit interne par deux protocoles (le premier date du 30 novembre 1984) et la loi du 23 décembre 1994.
4º Après l'introduction de l'euro comme monnaie unique européenne, l'argument du risque de change ne pourra plus être invoqué.
5º Peut-on réellement justifier une violation des principes de la libre concurrence ainsi que de notre principe constitutionnel d'égalité en invoquant une volonté de sécurité optimale des fonds déposés par la curatelle alors que ceux-ci sont destinés à des créanciers qui, par définition, ont expressément exposé ces mêmes créances aux aléas de notre économie de marché ?
Contrôle des curateurs et prévention des conflits d'intérêts :
Nous ne pouvons nier l'existence de ces risques. Toutefois, ce constat ne suffit pas à justifier la création ou le maintien d'un monopole au regard des règles européennes en la matière. En effet, les dispositions qui visent à limiter les abus et les conflits d'intérêts dans le chef des curateurs doivent respecter le principe de la proportionnalité. Or, il est indéniable que de nombreuses alternatives existent pour éviter toute confusion de patrimoine ou tout risque d'abus : versement des fonds sur un compte particulier ouvert au nom du failli, contrôle des comptes par le juge commissaire, ...
Alors que chez pratiquement tous nos voisins (Pays-Bas, Allemagne, Espagne, Grand-Duché du Luxembourg, ...), il est possible aux curateurs de verser le produit de leurs adjudications sur un compte auprès d'établissements de crédit privés, la Belgique s'accroche au maintien d'une situation anachronique qui nuit gravement à la position concurrentielle des établissements de crédit belges.
La législation belge combinée à la législation européenne a pour effet de permettre aux curateurs belges de s'adresser aux établissements de crédit agréés originaires d'autres États membres pour leur confier leur compte de faillite.
Les succursales de ces banques établies en Belgique peuvent également prester ce service ! Par contre, il est interdit aux banques belges de réceptionner les comptes de faillite, tant en Belgique que dans les autres États membres de la Communauté européenne ! Le préjudice pour les banques belges est donc considérable.
Pour toutes ces raisons et afin de permettre une gestion plus souple et plus efficace des comptes de la faillite, la présente proposition de loi vise à permettre au curateur de placer les sommes issues de la réalisation de l'actif auprès d'un établissement de crédit visé par la loi du 22 mars 1993.
Afin d'éviter que la suppression du monopole de la Caisse des dépôts et consignations n'entraîne une gestion moins sûre des comptes de faillite, et de rencontrer par là une des objections formulées par le ministre des Finances, il est prévu un visa du juge commissaire pour toutes les opérations dépassant un certain montant déterminé par le juge commissaire lui-même. Le juge commissaire qui bénéficie de toutes les garanties d'indépendance nécessaire pourra donc exercer un contrôle efficace de sorte qu'aucun abus sera possible. À défaut d'adopter les présentes dispositions dans les meilleurs délais, la Belgique s'expose à terme à une condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes, dans l'hypothèse où un établissement de crédit s'attaquerait au monopole de la Caisse des dépôts et consignations devant la Cour de Luxembourg.
Paul HATRY. |
Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'article 51 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites est remplacée par la disposition suivante :
« Article 51. Les curateurs recherchent et recouvrent sur leurs quittances toutes les créances ou sommes dues au failli.
Les deniers provenant des ventes et recouvrements faits par les curateurs sont, sous la déduction des sommes arbitrées par le juge-commissaire, versés dans les huit jours de la recette, à un compte spécial, ouvert sur une rubrique distincte, auprès de la Caisse des dépôts et consignations ou d'un établissement de crédit au sens de la loi du 22 mars 1993.
Les curateurs doivent les intérêts commerciaux des sommes qu'ils n'ont pas versées, sans préjudice de l'application de l'article 31.
L'administration du compte spécial appartient au curateur, sous le contrôle du juge commissaire, à l'égard duquel l'établissement de crédit ne peut invoquer son devoir de discrétion.
Les opérations apportées au débit de ce compte s'effectuent sous l'ordre du curateur, dans les limites générales ou spécifiques, à déterminer, s'il échet, par le juge-commissaire. »
Paul HATRY. |