Renforcement de la participation des citoyens dans la politique
(2e partie)

20/4/2021

La première partie de la contribution consacrée aux instruments visant à associer activement le citoyen à la politique a abordé la consultation populaire et le référendum, ainsi que les pétitions ou les requêtes.

Cette deuxième partie traite d'un autre instrument destiné à renforcer la participation des citoyens. En effet, au cours des dernières années, plusieurs assemblées parlementaires de notre pays ont pris des initiatives en vue d'associer les citoyens à leurs travaux. Il s'agit aussi bien de projets participatifs que d'organes délibératifs. Dans un avis récent, le Conseil d'État définit le cadre juridique relatif aux organes délibératifs.

Projets participatifs

Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et le Parlement wallon ont organisé des projets participatifs au cours des dernières années.

En 2017, le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale a mis sur pied le projet participatif « Make your Brussels – Mobility », dans le cadre duquel quarante Bruxellois tirés au sort ont été invités à débattre ensemble au sein d'un panel et à élaborer des propositions visant à améliorer la mobilité à Bruxelles.

En 2017, le Parlement wallon a organisé un panel citoyen, composé de trente citoyens sélectionnés, sur les enjeux à long terme du vieillissement en Wallonie. En 2018, il a créé un panel citoyen similaire sur le thème des jeunes en Wallonie.

Organes délibératifs au sein d'assemblées parlementaires : législation décrétale et règlements parlementaires

Certains parlements d'entités fédérées ont pris des initiatives en vue d'associer les citoyens à leurs travaux de manière plus structurelle.

1. Parlement de la Communauté germanophone

Le 25 février 2019, le Parlement de la Communauté germanophone a adopté le décret instituant un dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone. Chaque année, on met sur pied une à trois assemblées citoyennes composées de 25 à 50 citoyens tirés au sort, en tenant compte d'une représentation équilibrée des sexes et des tranches d'âge, d'un équilibre géographique et d'une mixité socio-économique. Les assemblées citoyennes sont pilotées par un conseil citoyen, constitué de 24 citoyens tirés au sort qui ont préalablement participé à une assemblée citoyenne.

Le conseil citoyen choisit les thèmes qui sont discutés par les assemblées citoyennes, à partir de propositions présentées par au moins deux de ses membres, un groupe parlementaire, le gouvernement de la Communauté germanophone ou au moins cent citoyens. En principe, les thèmes portent sur les compétences de la Communauté germanophone, mais il est possible de déroger exceptionnellement à cette règle.

Les assemblées citoyennes formulent des recommandations qui sont transmises à une commission du Parlement de la Communauté germanophone. Cette commission doit indiquer si et comment les recommandations seront mises en œuvre. Si elle estime qu'une recommandation ne doit pas être mise en œuvre, elle doit motiver sa décision.

Le conseil citoyen assure le suivi des recommandations à mettre en œuvre. Dans un délai d'un an, l'état d'avancement de la mise en œuvre est présenté et discuté lors d'une séance publique de la commission parlementaire compétente.

2. Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, Assemblée de la Commission communautaire française et Parlement wallon

Le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et l'Assemblée réunie de la Commission communautaire commune (le 13 décembre 2019), l'Assemblée de la Commission communautaire française (le 20 décembre 2019) et le Parlement wallon (le 28 octobre 2020) ont chacun, au moyen d'une modification de leur règlement respectif, instauré la possibilité de créer des commissions délibératives mixtes composées de parlementaires et de citoyens tirés au sort. Les trois régimes sont similaires.

Les assemblées parlementaires respectives peuvent constituer une commission délibérative de leur propre initiative ou à la suite d'une suggestion citoyenne recevable. Une telle commission délibérative est constituée des membres de la commission permanente compétente et de 30 ou 45 citoyens tirés au sort en assurant une sélection diverse et représentative. La commission est assistée par un comité d'accompagnement, composé de chercheurs et praticiens dans le domaine de la participation citoyenne, et éventuellement par des experts spécialisés dans le domaine abordé par et des membres du personnel des assemblées respectives.

Les sujets traités par les commissions mixtes doivent porter sur les compétences respectives, être conformes aux droits fondamentaux et respecter les obligations internationales et supranationales de la Belgique.

Les travaux se déroulent essentiellement en trois phases : (1) une phase publique d'information des citoyens tirés au sort et des parlementaires, (2) des débats non publics par groupes réduits de citoyens et de parlementaires et (3) une présentation publique des propositions de recommandations suivie des votes. Le processus de vote comprend un vote secret consultatif des citoyens tirés au sort et un vote public des parlementaires.

Un suivi est assuré dans les six mois du dépôt du rapport de la commission délibérative mixte.

Avis 68.041 du Conseil d'État du 29 décembre 2020

Une proposition de décret institutionnalisant l'assemblée citoyenne et le conseil citoyen a aussi été déposée au Parlement wallon. L'assemblée citoyenne est composée de trente citoyens tirés au sort et d'un président. Elle a pour mission de formuler des recommandations sur des sujets particuliers. Le conseil citoyen est constitué de six citoyens tirés au sort, dont la moitié a préalablement participé à une assemblée citoyenne. Il prépare le travail de l'assemblée citoyenne. Les deux organes ont notamment pour objectif de favoriser la participation des citoyens (wallons) au débat public dans un souci de promotion de la démocratie continuée.

La section de législation du Conseil d'État a rendu un avis sur cette proposition de décret le 29 décembre 2020, dans lequel il examine notamment les aspects suivants sur la base d'avis antérieurs.

1. Compétence de la Région wallonne de créer des « instances relatives au dialogue citoyen » à l'échelle de la Région

Le Conseil d'État observe que la création d'« instances relatives au dialogue citoyen » n'est pas une compétence attribuée aux Régions. L'autonomie constitutive, définie à l'article 118, § 2, de la Constitution, ne représente pas non plus un fondement juridique à cet égard. L'assemblée citoyenne est toutefois chargée de faire des recommandations sur « un sujet particulier ». En considérant que ce sujet relève des compétences attribuées à la Région wallonne, notamment par l'article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (LSRI), on peut juger, selon le Conseil d'État, que la proposition relève du domaine de compétence de la Région wallonne. Le législateur décrétal serait néanmoins bien avisé de préciser qu'un lien à tout le moins indirect doit exister entre le sujet et les compétences régionales.

2. Délimitation des champs d'action respectifs du décret et du règlement parlementaire

Le deuxième aspect sur lequel se penche le Conseil d'État concerne la question de savoir si la création d'« instances relatives au dialogue citoyen » doit se faire par décret ou par le règlement du Parlement wallon. Aux termes de l'article 19 de la LSRI, les matières dans lesquelles les Régions sont compétentes sont réglées par décret. En revanche, l'article 44 de la LSRI dispose que « chaque Parlement arrête son règlement, dans lequel il prévoit notamment que le bureau du Parlement ainsi que les commissions seront composés suivant le système de la représentation proportionnelle de ses groupes politiques ».

Le Conseil d'État constate que, selon la proposition de décret, l'assemblée citoyenne et le conseil citoyen sont institués par le Parlement wallon et que leurs membres prêtent serment entre les mains du président de ce Parlement. Par ailleurs, la proposition précise expressément que l'assemblée citoyenne n'est pas une commission au sens de l'article 44 de la LSRI. Selon le Conseil d'État, c'est toutefois en fonction des caractéristiques que le décret donne à l'assemblée citoyenne et au conseil citoyen qu'il convient de déterminer si ces instances relèvent du champ d'application de l'article 44 de la LSRI. En effet, un décret ne peut pas déterminer lui-même si les institutions qu'il entend créer tombent ou non dans le champ d'application d'une règle qui lui est supérieure dans la hiérarchie des normes, en l'espèce l'article 44 de la LSRI.

Le Conseil d'État cite des avis antérieurs concernant l'article 60 de la Constitution, qui est l'équivalent de l'article 44 de la LSRI pour les Chambres fédérales. Cette disposition vise à garantir l'indépendance de la Chambre des représentants et du Sénat, non seulement vis-à-vis de l'autre assemblée, mais également à l'égard du pouvoir exécutif. Il n'appartient donc pas, en principe, au législateur de régler le mode suivant lequel les assemblées législatives exercent leurs attributions ou prennent leurs décisions. De la même manière, il ne peut créer une commission parlementaire, ni lui attribuer une compétence particulière, ni régler la manière dont cette compétence est exercée.

Selon le Conseil d'État, il est cependant admis dans certains cas que la loi intervienne – et même doive intervenir – dans un domaine qui relève du mode suivant lequel une assemblée parlementaire exerce ses attributions. Le premier cas est celui où sont imposées à des tiers des restrictions à leurs droits ou certaines obligations, principalement dans des matières à l'égard desquelles la Constitution prévoit l'intervention du législateur. La loi du 3 mai 1880 sur les enquêtes parlementaires en est un exemple. Le second cas dans lequel l'intervention du législateur est admise est celui où le problème, par sa nature même, exige une solution uniforme que seule la loi est en mesure d'apporter. La loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires en est un exemple.

D'après le Conseil d'État, aucune disposition de la proposition de décret ne règle la manière dont le Parlement wallon exerce ses prérogatives législatives ou ne règle le fonctionnement interne de l'assemblée. Le Conseil d'État souligne notamment que le Parlement wallon n'est pas contraint à délibérer ou à voter sur les recommandations. En outre, l'assemblée citoyenne et le conseil citoyen sont constitués uniquement de citoyens ; aucun parlementaire n'en fait partie. Ces instances ne sauraient dès lors être tenues pour des commissions au sens de l'article 44 de la LSRI, puisque leur composition ne repose pas sur le système de la représentation proportionnelle.

Selon le Conseil d'État, les dispositions qui confèrent, individuellement ou collectivement, des droits ou des obligations à des personnes non membres du Parlement wallon ou de son personnel relèvent de la compétence du législateur décrétal. Tel est le cas, par exemple, de la règle qui confère le droit à chaque habitant de la Région wallonne âgé de plus de 16 ans d'entrer en ligne de compte pour siéger dans l'assemblée citoyenne et dans le conseil citoyen, de même que des règles qui fixent la majorité à laquelle l'assemblée citoyenne doit adopter ses recommandations. En outre, la proposition de décret a également trait à des matières réservées au pouvoir législatif, telles que l'accès au registre national des personnes physiques ou les sanctions pénales.

Eu égard à la composition et à la mission de l'assemblée citoyenne et du conseil citoyen, le Conseil d'État conclut que ces instances ne sont pas des commissions parlementaires au sens de l'article 44 de la LSRI, mais bien des organes collatéraux du Parlement wallon dépourvus de personnalité juridique. Même si leurs travaux ne contraindront en aucune façon les pouvoirs législatif et exécutif, c'est bien au législateur décrétal qu'il revient d'instituer ces organes. En effet, ils sont créés dans l'orbite du Parlement wallon et la proposition vise à conférer des droits à leurs membres et à leur imposer des obligations qui sont mêmes assorties de sanctions pénales.

3. Portée de l'article 33 de la Constitution

L'article 33 de la Constitution s'énonce comme suit : « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. » Selon le Conseil d'État, il a été déduit de l'alinéa 2 de cet article (la deuxième phrase) depuis plus de 150 ans que, pour la majorité des citoyens, l'exercice du pouvoir se limitait à la désignation de leurs représentants dans les assemblées parlementaires par voie d'élections.

Faire participer les citoyens d'une nouvelle manière à l'exercice du pouvoir requiert, aux yeux du Conseil d'État, une révision de la Constitution. Une telle révision a été opérée notamment grâce à l'insertion, dans la Constitution, de l'article 39bis, qui autorise la tenue de consultations populaires au niveau régional.

Le Conseil d'État juge que la mise en place d'« instances relatives au dialogue citoyen » sans révision constitutionnelle préalable n'est admissible que si ces instances ne constituent pas une nouvelle manière d'exercer des pouvoirs. L'assemblée citoyenne et le conseil citoyen, tels qu'ils sont proposés, ne disposent pas d'un véritable pouvoir de décision ; ils formulent seulement des recommandations. Par ailleurs, la proposition n'impose en aucune manière au Parlement wallon de prendre en considération les recommandations de l'assemblée citoyenne ; il n'est même pas tenu d'en débattre. Il s'agit d'un élément important d'après le Conseil d'État. En outre, la participation des citoyens aux deux instances est entièrement basée sur le volontariat.

Le Conseil d'État estime donc que les instances en question ne constituent pas une nouvelle manière d'exercer des pouvoirs et, par conséquent, que la proposition de décret peut être adoptée sans révision préalable de la Constitution.

4. Caractère encadré ou non encadré du tirage au sort

La proposition de décret prévoit que l'assemblée citoyenne et le conseil citoyen sont composés de citoyens tirés au sort. Le Parlement wallon (ou l'organe qu'il désigne) règle la procédure de tirage au sort, laquelle doit assurer une représentativité de la population wallonne.

Le Conseil d'État relève que la représentativité évoquée dans la proposition de décret est plutôt un concept sociologique qui vise à garantir une répartition équilibrée, sur les plans démographique et géographique, des membres tirés au sort. Il ne faut donc pas confondre ce concept avec la notion juridique de « représentation » au sens qu'en donne la conception représentative du régime constitutionnel d'exercice des pouvoirs en vigueur en Belgique. Le Conseil d'État précise néanmoins que toute modalité visant à assurer une certaine répartition démographique et géographique doit être conforme aux principes d'égalité et de non-discrimination.

Renforcement de la participation des citoyens dans la politique - 1re partie

Renforcement de la participation des citoyens dans la politique (1re partie)