75 jaar Tweede Wereldoorlog - de Hoge Assemblee en het trauma van de kampen

75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale
La Haute Assemblée et le traumatisme des camps

Partie 1

Des bancs vides dans l'hémicycle

« L'ennemi sera écrasé. Nous reverrons nos déportés, nos prisonniers. » C'est avec cette ferme conviction que Robert Gillon, président du Sénat, s'adresse aux Chambres réunies le mardi 19 septembre 1944. Deux semaines plus tôt, les troupes alliées défilaient dans les rues de Bruxelles lors d'une grande parade de la victoire. La majeure partie de la Belgique sera libérée à la fin du mois de septembre. L'hallali est proche pour l'Allemagne nazie.

Liesse lors de la libération de Bruxelles par les troupes britanniques, le 4 septembre 1944 - Civils paradant sur un tank Sherman
Liesse lors de la libération de Bruxelles par les troupes britanniques, le 4 septembre 1944 - Civils paradant sur un tank Sherman - © reserved [ 1 ]

Dix-sept éloges funèbres en une seule séance

Les années de guerre, heureusement révolues, exigèrent un lourd tribut de vies humaines, y compris parmi les parlementaires. Le lendemain de la séance des Chambres réunies, la Chambre et le Sénat tiennent chacun une séance d'hommage à leurs défunts. Gillon a la pénible mission d'honorer la mémoire de quinze sénateurs et de deux ministres. À titre exceptionnel, l'assemblée est invitée à entendre cette impressionnante série d'éloges funèbres non pas debout mais assise.

André Tahon - Portrait du président du Sénat Robert Gillon
André Tahon - Portrait du
président du Sénat Robert Gillon [ 2 ]
Extrait des Annales parlementaire de la séance d'ouverture des Chambres réunies, le 19 septembre 1944
Extrait des Annales parlementaire de la séance d'ouverture
des Chambres réunies, le 19 septembre 1944 [ 3 ]

Gillon évoque un par un les regrettés collègues. Juste avant son départ en Grande-Bretagne, il avait encore rencontré Paul-Émile Janson, ancien sénateur et ministre, dans le sud de la France. Janson décéda en mars 1944 alors qu'il était prisonnier en Allemagne. Le sénateur communiste Walther Noël avait connu le même sort en 1942 déjà. Et le 1er mai 1944, l'ancien ministre et gouverneur de la province de Namur, François Bovesse, fut lâchement assassiné par des rexistes.

Walther Noël
Walther Noël [ 4 ]
Isidore Heyndels
Isidore Heyndels [ 5 ]
Valentin Tincler
Valentin Tincler [ 6 ]

Tandis que le Sénat honore ses morts, le sort de cinq autres de ses membres est encore incertain. Les bancs d'Arthur Vanderpoorten, sénateur du Parti libéral et ministre, d'Isidore Heyndels et de Valentin Tincler, membres du Parti communiste comme Walther Noël, ainsi que des sénateurs socialistes Pierre Diriken et Marius Renard restent vides.

Arthur Vanderpoorten
Arthur Vanderpoorten [ 7 ]
Pierre Diriken
Pierre Diriken [ 8 ]
Marius Renard
Marius Renard [ 9 ]

Ils furent arrêtés par l'occupant en raison de leurs activités dans la Résistance et/ou de leurs opinions politiques et déportés dans les camps de concentration allemands. C'est aussi le sort que connurent trois membres du personnel du Sénat : Jean Braem, sous-directeur du greffe, Fernand Dustin, huissier, et Luc Somerhausen, rédacteur au Compte rendu analytique. La Belgique est libérée mais leurs parents et amis n'ont pas le cœur à s'en réjouir.

Jean Braem, inscription dans le registre du personnel du Sénat
Jean Braem, inscription dans
le registre du personnel du Sénat [ 10 ]
Fernand Dustin, inscription dans le registre du personnel du Sénat
Fernand Dustin, inscription dans
le registre du personnel du Sénat [ 11 ]
Luc Somerhausen, inscription dans le registre du personnel du Sénat
Luc Somerhausen, inscription
dans le registre du personnel
du Sénat [ 12 ]

En septembre 1944, Gillon ne semble guère inquiet pour le retour de ces collègues et fonctionnaires du Sénat déportés. Du moins en public. Son homologue de la Chambre, Frans Van Cauwelaert, affiche des sentiments beaucoup plus mitigés. Le président de la Chambre exprime publiquement son inquiétude quant au sort des nombreux compatriotes dont on est toujours sans nouvelles, « qui sont encore retenus en détention par l'ennemi ou croupissent comme prisonniers politiques ou militaires dans les camps et établissements allemands ». Van Cauwelaert comprend le cruel désarroi de leur famille. Chez Gillon, c'est plutôt le sentiment victorieux qui domine, comme en témoignent les propos qu'il tiendra plus tard dans son discours d'hommage à Churchill : « Ce sont toujours les optimistes qui ont raison ».

Winston Churchill est reçu solennellement par les Chambres réunies - Palais de la Nation, 16 novembre 1945
Winston Churchill est reçu solennellement par les Chambres réunies - Palais de la Nation, 16 novembre 1945 [ 13 ]

L'espoir et l'engagement de Robert Gillon

Gillon se laisse-t-il guider, dans son engagement, par les expériences qu'il vécut vingt-cinq ans plus tôt? Durant la Grande Guerre, il fut arrêté et déporté comme prisonnier politique dans le camp d'Havelberg. Après une tentative d'évasion en compagnie de six codétenus, il comparut, lors d'un procès mémorable, devant la Königliche Schöffengericht d'Havelberg. Gillon mit tout son poids d'avocat dans la balance. Les condamnés interjetèrent même appel devant la Landgericht de Neuruppin. Gillon fut néanmoins condamné à six mois d'emprisonnement pour mutinerie.

À l'occasion de la fin de son mandat au Sénat en mars 1971, Gillon passe en revue, dans la presse, ses 40 ans de mandat à la Haute Assemblée
À l'occasion de la fin de son mandat au Sénat en mars 1971, Gillon passe en revue, dans la presse, ses 40 ans de mandat à la Haute Assemblée [ 14 ]

Près d'un an après son élection à la présidence du Sénat, le 10 mai 1940, Gillon se trouve à nouveau confronté à l'agresseur allemand. La Belgique n'est pas seule, déclare-t-il, enthousiaste, à ses collègues sénateurs. Elle peut compter sur la France et la Grande-Bretagne, les alliés de la première guerre aux côtés desquels elle souffrit et combattit pour le même idéal.

Au bout d'un long et pénible voyage à travers la France et le Portugal, Gillon parvient à rejoindre Londres. Avec ses deniers personnels, il vient en aide aux Belges réfugiés à Londres et devient président des parlementaires des pays occupés. Dans ses discours radiodiffusés, il ne tarit pas d'éloges pour les sénateurs qui, en Belgique, assurent la défense des compatriotes persécutés.

Extrait d'une lettre de Gillon de 1949
Extrait d'une lettre de 1949 dans laquelle Robert Gillon proteste contre la réclamation de 2.512,05 francs belges par le Ministère des Finances. Il serait redevable de ce montant pour des marchandises qui furent livrées à sa famille pendant la guerre. Ce que Gillon nie, et il énumère tous ses frais de guerre. Il nous offre ainsi un beau récit sur son pénible voyage et son séjour à Londres. [ 15 ]

À la fin de la guerre, il résumera en ces termes sa conviction: « Quatre ans de servitude vous ont édifiés sur ce que valent les dictatures. La meilleure n'atteindra jamais le niveau de la pire des démocraties ».

L'horreur des camps SS

Ce n'est que quelques mois plus tard que la véritable ampleur de cette « servitude » apparaîtra au grand jour, lorsque le sort des victimes des camps de concentration sera révélé et que Gillon aura la lourde tâche d'annoncer à la Haute Assemblée les déchirantes nouvelles de la disparition de plusieurs collègues. Le Sénat n'échappe pas, lui non plus, au traumatisme des camps de concentration.

The Angels of Peace Descend on Belgium, publié en 1944, dans le journal londonien The Evening Standard
'The Angels of Peace Descend on Belgium', publié en 1944, dans le journal londonien The Evening Standard - © reserved [ 16 ]

Dachau, le premier camp de concentration allemand, fut construit dès 1933, sur ordre du Reichsführer-SS Heinrich Himmler. L'objectif est de créer une communauté nationale homogène et d'opprimer impitoyablement tous ceux qui peuvent y faire obstacle - opposants politiques, juifs, tziganes et « asociaux ». Le raisonnement d'Himmler est le suivant : plutôt dix innocents derrière les barbelés qu'un seul véritable adversaire en liberté. Les camps de Sachsenhausen, Buchenwald, Flossenbürg et Mauthausen verront le jour les années suivantes. Le réseau SS de camps comptera à la longue plus de mille camps de travail, camps pénitentiaires, camps de transit et camps de regroupement. Ce réseau s'étend largement dans les pays occupés, comme en témoignent les camps d'Auschwitz-Birkenau et de Treblinka.

La SS étend également ses tentacules jusqu'en Belgique occupée. Depuis mai 1940, notre pays est géré par une administration militaire qui veille surtout au maintien de l'ordre et de la tranquillité. Quelques semaines plus tard sont mis en place des services de police allemands; sous la direction d'Himmler, ils veillent à réprimer très durement toute forme de résistance. Ils occupent également une place importante dans l'administration civile qui doit préparer l'intégration dans le Reich allemand. Le 18 juillet 1944, l'administration civile est installée solennellement dans les bâtiments du Sénat de Belgique.

L'installation solennelle de la Zivilverwaltung dans les bâtiments du Sénat de Belgiquet
18 juillet 1944. L'installation solennelle de la Zivilverwaltung dans les bâtiments du Sénat de Belgique - Sur les fauteuils de la première rangée : au centre, Gauleiter Grohé nommé Commissaire du Reich aux Affaires civiles, et le Général Grase, à droite, aux Affaires militaires - À gauche, Alexander von Falkenhausen, commandant de l'administration militaire allemande pour la Belgique et le Nord de la France - © CegeSoma/Archives de l'État [ 17 ]

Les arrestations extrajudiciaires, les razzias à grande échelle, les exécutions sommaires et les déportations dans les camps de concentration font désormais partie du quotidien.

C'est durant l'été 1944 que le système de camps SS est poussé au paroxysme de l'inhumanité. Alors qu'à l'Ouest, l'invasion est engagée, les Soviétiques lancent une grande offensive à l'Est. La SS doit évacuer en toute hâte les camps trop proches du front. Fin août-début septembre 1944, les derniers détenus de Breendonk font partie des convois.

De nouveaux prisonniers arrivent à Breendonk
De nouveaux prisonniers arrivent à Breendonk et attendent d'être enregistrés et de recevoir les vêtements de la prison - À l'arrière-plan, des gardes de la Wehrmacht - Celui qui osait bouger, subissait des sévices physiques - © reserved [ 18 ]

Les évacuations accroissent la pression sur les camps les plus éloignés des deux fronts : Bergen-Belsen, Dachau, Neuengamme et Flossenbürg. Surpopulation, hygiène déplorable, épidémies et morts à la pelle, le chaos est à son comble. Himmler persiste à ne jurer que par la ligne dure. Aucun prisonnier ne doit tomber vivant entre les mains de l'ennemi. À mesure que les fronts se rejoignent, la SS ne sait plus quoi faire de ses prisonniers et elle en jettera des dizaines de milliers sur les routes pour une marche de la mort.

Une cruelle incertitude

Qu'advient-il des sénateurs et membres du personnel du Sénat pris au piège dans le réseau de la terreur?

Ils sont d'abord incarcérés dans les établissements ou ailes pénitentiaires réquisitionnés par les autorités allemandes en divers endroits comme Breendonk, Charleroi, Hasselt, Huy, Lyon et Saint-Gilles. La majorité d'entre eux seront ensuite envoyés dans les camps occupant une position centrale. Quelques-uns, parmi lesquels Arthur Vanderpoorten et Jean Braem, s'entretinrent encore avec Gillon en 1940, en France. Mais en septembre 1944, on n'ose guère espérer d'heureuses retrouvailles. Gillon sera finalement contraint de prononcer un éloge funèbre pour certains d'entre eux. D'autres survivront à la terreur et à l'arbitraire - l'univers d'Himmler - et retrouveront la liberté et le droit - l'univers de Gillon.

Le dernier plan de la salle de l'hémicycle du Sénat avant l'invasion allemande - 1937
Le dernier plan de la salle de l'hémicycle du Sénat avant l'invasion allemande, établi après les élections du 2 avril 1939. Les fonctionnaires du Sénat ont indiqué sur un ancien plan de 1937, à l'encre rouge, les noms des nouveaux sénateurs élus. C'est le seul plan sur lequel on peut voir quels sont les bancs restés vides quand le Sénat s'est à nouveau réuni en septembre 1944. [ 19 ]

Dans les prochaines rubriques des Traces du Passé, nous brosserons le portrait de sénateurs et membres du personnel du Sénat qui subirent l'horreur des camps. Nous remonterons au motif de leur arrestation, referons le trajet qu'ils ont suivi, et découvrirons enfin comment ils devinrent des héros - chacun avec son histoire personnelle.

Les héros dont la place est restée vide au Sénat en septembre 1944.


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  1. Photograph BU 508. Foto Midgley (Sgt), No 5 Army Film & Photographic Unit. Coll. The Imperial War Museums (UK). Public domain. [ retour ]
  2. Coll. Sénat de Belgique. ©SABAM, 2020. Foto KIK-IRPA, Brussels. [ retour ]
  3. Archives du Sénat, Annales parlementaires, Chambres réunies, le 19 septembre 1944, p. 10. [ retour ]
  4. Archives du Sénat, dossier biographique n° 940. [ retour ]
  5. Archives du Sénat, dossier biographique n° 921. [ retour ]
  6. Photo avec le portrait des députés Désiré Dessellier et Henri Glineur et du sénateur Valentin Tincler, 1939, photographe inconnu, CAR PHO 0224. Collection iconographique du CArCoB - Centre des Archives du communisme en Belgique. © reserved. [ retour ]
  7. Archives du Sénat, dossier biographique n° 947. [ retour ]
  8. Archives du Sénat, dossier biographique n° 787. [ retour ]
  9. Archives du Sénat, dossier biographique n° 764. [ retour ]
  10. Archives du Sénat, registre du personnel 1830-1950, dossier n° 230. [ retour ]
  11. Archives du Sénat, registre du personnel 1830-1950, dossier n° 132. [ retour ]
  12. Archives du Sénat, registre du personnel 1830-1950, dossier n° 189. [ retour ]
  13. Archives du Sénat, collection iconographique n° 10165. [ retour ]
  14. Archives du Sénat, dossier biographiques n° 893. [ retour ]
  15. Archives du Sénat, dossiers Finances : FIN/V7/103 (de : "Séries des Archives du Sénat pour l'étude de la Seconde Guerre mondiale") [ retour ]
  16. Cartoon "The Angels of Peace Descend on Belgium", 1940, Sir David Low (1891-1963), craie et encre sur papier. Coll. Tate Images, N05463, https://www.tate-images.com/index.asp (UK). [ retour ]
  17. Photothèque CegeSoma, série Joseph Grohé : n° 31964. Coll. CegeSoma - Centre d'Études et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines. [ retour ]
  18. Photo prise le 13 juin 1941, photographe inconnu. Coll. Musée de la Gestapo, Berlin, Allemagne. Public domain. [ retour ]
  19. Archives du Sénat, Archives de la Questure, n° 693/03/1209 (V6). [ retour ]

Le Sénat a tout mis en œuvre pour être conforme aux prescriptions légales concernant les droits d’auteur. Les ayants droit que le Sénat n’a pas pu retrouver, sont priés de se faire connaître.

Bibliographie

Annales Parlementaires, Sénat, 10 mai 1940.

Annales Parlementaires, Sénat, 20 septembre 1944.

Annales parlementaires, Sénat, 10 octobre 1972, hommage à la mémoire de M. Gillon, ministre d'État.

Annales parlementaires, Séance des Chambres réunies, 19 septembre 1944.

Annales parlementaires, Séance des Chambres réunies, 16 novembre 1945.

Georgette CISELET, ‘Robert Gillon, une figure du libéralisme', dans La Revue Générale, mars 1979, p. 59-60.

David A. HACKETT, Der Buchenwald-Report. Bericht über das Konzentrationslager Buchenwald bei Weimar, München, 2010.

https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/repression-allemande.html, consulté le 19 mars 2020.

https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/sources-relatives-aux-etablissements-penitentiaires-au-cours-de-la-seconde-guerre-mondiale.html, consulté le 20 mars 2020.

Patrick NEFORS, Breendonk 1940-1945, De geschiedenis, Anvers, 2005.

Gie van den BERGHE, Flossenbürg: een vergeten concentratiekamp, Bruxelles, 1999.

Mark VAN DEN WIJNGAERT (e.a.), België tijdens de Tweede Wereldoorlog, Anvers, 2015.

Nikolaus WACHSMANN, KL. Een geschiedenis van de naziconcentratiekampen, Amsterdam-Anvers, 2016, passim.