5-502/1

5-502/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

18 NOVEMBRE 2010


Proposition de loi relative à l'accouchement anonyme

(Déposée par M. Jacques Brotchi et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend — moyennant quelques corrections — le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 10 août 2007 (doc. Sénat, nº 4-152/1 - SE 2007).

Le droit français reconnaît aux femmes le droit d'accoucher anonymement en milieu hospitalier et de confier l'enfant aux services d'adoption nationaux. L'objectif est de porter secours à des femmes en détresse qui, soit ont découvert leur grossesse à un moment où l'interruption volontaire de grossesse (IVG) n'était plus possible, soit sont opposées à l'idée de l'avortement. Ces femmes, par l'accouchement anonyme, ont ainsi la possibilité de mettre leur enfant au monde en toute sécurité à l'hôpital plutôt que dans un endroit inapproprié, dans des conditions précaires.

Elles espèrent ainsi donner à l'enfant la chance d'une vie meilleure que celle qu'elles estiment pouvoir lui offrir. L'anonymat de l'accouchement permet un nouveau départ tant pour la mère détachée et de tout lien avec l'enfant, que pour l'enfant qui sera rapidement accueilli dans une famille adoptive. En ce sens, il est, pour des femmes désespérées, l'espoir ultime qui les détourne de l'infanticide.

En Belgique, malgré des règles de droit originellement identiques à celles existant en France, la possibilité d'accoucher anonymement n'est pas reconnue. En effet, l'article 57, 2º, du Code civil dispose que « l'acte de naissance énonce: (...) 2º l'année, le jour, le lieu de la naissance, le nom, les prénoms et le domicile de la mère et du père si la filiation paternelle est établie (...) ». L'article 312 du Code civil énonce par ailleurs que « l'enfant a pour mère la personne qui est désignée comme telle dans l'acte de naissance ».

De la combinaison de ces deux articles, il ressort que le nom de la mère doit être mentionné dans l'acte de naissance et que cette mention établit le lien de filiation.

Le droit positif belge, qui exclut toute possibilité d'un accouchement anonyme, si ce n'est bien sûr la situation de fait d'un accouchement à domicile et d'un abandon anonyme de l'enfant, nie un fait social dont l'existence s'impose pourtant à nous: certaines grossesses qui n'ont pas été interrompues par IVG sont, pour la mère, impossibles à assumer. C'est ainsi que ne trouvant pas de solution adéquate à leur situation en Belgique, plus d'une centaine de femmes belges vont, chaque année, accoucher anonymement en France.

Comme fréquemment dans des matières délicates qui touchent au plus profond de l'intimité humaine, des positions éthiques différentes s'affrontent.

Le Comité consultatif de bioéthique dans son avis nº 4 du 12 janvier 1998 a bien exposé la problématique au regard notamment de l'enfant, de la mère et du père.

Si l'accouchement sous X permet de remédier à des situations dramatiques pour l'enfant, certains estiment néanmoins que cet acte a pour conséquence de décharger les parents de toute responsabilité alors précisément que la filiation « trouve son origine et son fondement dans l'idée que la filiation engage la responsabilité des parents comme une garantie importante pour l'avenir et le développement de l'enfant ». Mais d'autres estiment que si dans certains cas l'enfant peut être frustré par l'absence d'origine, le traumatisme peut être tout aussi grave s'il a connaissance, par exemple, d'une conception après viol ou inceste.

Chaque situation est différente et on ne peut pas dire qu'un enfant dans l'ignorance de son origine mène systématiquement un parcours psychologique moins harmonieux que celui qui a pu retrouver ou que connaît depuis toujours ses parents biologiques.

En ce qui concerne la mère, les situations qui la conduisent à l'accouchement dans l'anonymat sont également diverses (jeunes filles découvrant leur grossesse et ne voulant pas affronter leur famille, femmes dont les liens avec un compagnon évoluent, cas de viol et d'inceste, tout en refusant d'envisager un avortement ou parce que n'y ayant plus droit (le délai de 12 semaines étant dépassé)).

Il faut évidemment — la proposition d'ailleurs le prévoit — rencontrer cet état de détresse, proposer à la femme, avant l'accouchement, toute l'aide souhaitable, envisager avec elle toutes les autres possibilités et l'informer quant aux organismes d'aide sociale ou psychologique dont elle pourrait avoir besoin.

Les auteurs ont choisi de mettre en balance d'une part l'intérêt de l'enfant à retrouver, s'il le souhaite, sa mère biologique, mais aussi la situation de cette dernière ayant développé une vie sociale sans cet enfant. Il faut éviter qu'une éventuelle levée de l'anonymat n'entraîne de bouleversements dans sa vie, de traumatismes au sein des proches ou de la famille de la mère biologique.

La présente proposition s'efforce de concilier ces deux objectifs. Elle permet à l'enfant d'obtenir des informations sur ses parents biologiques à partir des renseignements que la mère aura laissés, si elle le souhaite, lors de l'accouchement ou même ultérieurement et qui auront été remis par l'hôpital à la commission de protection de la vie privée. Toutefois, il ne pourra retrouver sa mère ou son père le cas échéant que si elle ou il accepte que le secret de son identité soit levé.

Par contre, la proposition ne permet pas à la mère de retrouver son enfant sans qu'il y ait une demande de la part de ce dernier. En effet, la décision d'accoucher dans l'anonymat implique que l'on renonce à son enfant avec les conséquences qui en découlent. Réapparaître dans la nouvelle vie de l'enfant, qui n'a pas demandé à connaître ses origines, risquerait d'entraîner des conséquences morales et sociales graves. Elle devra donc attendre une démarche de son enfant avant de décider si elle accepte ou non de lever le secret de son identité. Si elle le lève, cet enfant bénéficiera des mêmes droits que les autres enfants de la mère, par exemple en cas de succession. On évite ainsi toute discrimination.

Enfin, au regard du père, certains se demandent si l'on peut ainsi nier son droit à la paternité par le secret de la naissance. L'expérience prouve que, dans la majorité des cas, les géniteurs se sont désintéressés de la grossesse et, d'autre part, le droit de la filiation prévoit déjà des restrictions à la liberté de reconnaissance paternelle, comme la réglementation de la reconnaissance de l'enfant né d'une femme mariée, par un autre homme que le mari, ou le contrôle de la reconnaissance de l'enfant né d'une relation extra-conjugale du père ou encore en cas de fécondation artificielle avec le sperme d'un donneur anonyme (le père biologique n'est évidemment pas connu).

Néanmoins, la proposition laisse au père la possibilité de lever, le secret de son identité s'il le désire et quand il le désire, mais, comme c'est le cas pour la mère, uniquement si l'enfant en fait la demande.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 2 consacre le droit de demander le secret de l'admission en milieu hospitalier et de l'accouchement. Dans ce cas, le nom de la mère sera omis de l'acte de naissance de l'enfant.

Ce même article impose de donner à la mère, avant l'accouchement, toutes informations susceptibles de l'éclairer sur les autres possibilités qui s'offrent à elle, comme de lui apporter l'assistance sociale et psychologique qu'elle souhaite. En outre, la mère est avisée de la possibilité pour l'enfant de rechercher ses origines. Dans cet objectif, elle peut laisser tous les renseignements qu'elle désire sur elle-même, sur le père, sur les circonstances de la naissance, ainsi que son identité sous pli fermé. Elle peut compléter à tout moment de son existence (pas seulement quand elle est à l'hôpital) cette liste d'informations.

Article 3

L'article 3 fait de l'accouchement anonyme une fin de non recevoir de toute action ultérieure en recherche de maternité à l'encontre de la personne ayant accouché dans l'anonymat lorsque évidemment le secret de son identité n'a pas été levé.

Article 4

L'article 4 fait de l'accouchement anonyme une fin de non-recevoir de toute action judiciaire en vue d'établir la filiation maternelle quand il n'y a pas d'acte de naissance, de mention du nom de la mère ou quand l'enfant est inscrit sous de faux noms ou en l'absence de reconnaissance.

Article 5

L'article 5 empêche le père de reconnaître l'enfant si le secret de son identité n'a pas été levé dans les conditions prévues par la présente proposition.

Article 6

L'article 6 fait de la naissance de l'enfant par un accouchement anonyme une fin de non-recevoir de toute action ultérieure en recherche de paternité lorsque le père n'a pas levé le secret de son identité.

Article 7

L'article 7 octroie aux femmes ayant accouché dans l'anonymat un délai de deux mois pour revenir sur sa décision et de reconnaître l'enfant officiellement. Faute de reconnaissance de l'enfant par sa mère dans ce délai, celle-ci est présumée consentir à l'adoption de l'enfant. En effet, les auteurs estiment que la mère a le droit de changer d'avis une fois l'enfant né. Il importe néanmoins de fixer une limite pour clarifier au plus vite la situation de l'enfant.

Article 8

L'article 8 met à charge du Fonds spécial de solidarité créé par la loi relative à l'assurance obligatoire, soins de santé et indemnités, les frais d'accouchement anonyme. C'est évidemment l'institution de soins qui en bénéficie. SI la femme reconnaît l'enfant dans les deux mois de l'accouchement, l'anonymat est levé et le remboursement suit alors la procédure prévue pour tout accouchement.

Ce système conduit simplement l'institution de soins à attendre au maximum deux mois avant, soit d'adresser les factures au Fonds spécial de solidarité, soit de les adresser normalement à l'organisme assureur.

Article 9

Cet article étend les compétences de la commission de la vie privée dans le cadre de l'accès à ses origines personnelles.

Jacques BROTCHI
François BELLOT
Christine DEFRAIGNE
Dominique TILMANS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 57 du Code civil, remplacé par la loi du 30 mars 1984, les modifications suivantes sont apportées:

1º le 2º est remplacé par la disposition suivante: « 2º l'année, le jour, le lieu de la naissance, le nom, les prénoms et le domicile de la mère sauf si elle a demandé, lors de l'accouchement, que le secret de son admission et de son identité soient préservés et le nom et les prénoms du père, si la filiation paternelle est établie; »

2º l'article est complété par les alinéas suivants:

« Quand le secret de l'admission et de l'identité a été demandé, la mère doit recevoir, préalablement à l'accouchement, une information circonstanciée sur les droits, aides et avantages garantis par les lois et décrets aux familles, aux mères célibataires ou non, ainsi que sur les possibilités d'aide psychologique et sociale offertes par les organismes et associations reconnus par les lois et décrets.

En outre, la mère est avisée de ce que l'enfant aura le droit de rechercher ses origines dans les conditions énumérées à l'article 31bis de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

Elle est également informée de la possibilité qu'elle a de:

a) donner et compléter quand elle le souhaite tous renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance, ainsi que, sous pli fermé, son identité, et le cas échéant, celle du père;

b) lever à tout moment le secret de son identité, et qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article 31bis, § 5, de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel;

c) donner à tout moment son identité sous pli fermé.

Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli.

Pour l'application de cet article, aucune pièce d'identité n'est exigée et il n'est procédé à aucune enquête. »

Art. 3

L'article 313, § 2, du même Code, remplacé par la loi du 31 mars 1987 et modifié par la loi du 1er juillet 2006, est complété comme suit:

« et lorsque la mère a demandé, lors de l'accouchement, que le secret de son admission et de son identité soient préservés et qu'elle n'a pas levé le secret de son identité dans les conditions prévues par l'article 31bis de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel. »

Art. 4

L'article 314, alinéa 2, du même Code, modifié par la loi du 1er juillet 2006, est complété comme suit:

« et lorsque la mère a demandé, lors de l'accouchement, que le secret de son admission et de son identité soit préservé et qu'elle n'a pas levé le secret de son identité dans les conditions prévues par l'article 31bis de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel. »

Art. 5

L'article 321 du même Code, modifié par la loi du 1er juillet 2006, est complété comme suit:

« et, en cas d'accouchement anonyme, et lorsque le père n'a pas levé le secret de son identité dans les conditions prévues par l'article 31bis de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel. »

Art. 6

L'article 325 du même Code, remplacé par la loi du 31 mars 1987 et modifié par la loi du 1er juillet 2006, est complété par l'alinéa suivant:

« De même la recherche de paternité est irrecevable lorsque l'enfant est né d'une mère qui a demandé lors de l'accouchement que le secret de son admission et de son identité soient préservés et qu'il n'a pas levé le secret de son identité dans les conditions prévues par l'article 31bis de la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel. »

Art. 7

L'article 348-4, du même Code, inséré par la loi du 24 avril 2003, est complété par l'alinéa suivant:

« Lorsque le nom de la mère n'est pas mentionné dans l'acte de naissance, son consentement est présumé six mois après la naissance si elle n'a pas, à ce moment, reconnu l'enfant. »

Art. 8

Dans l'article 25 de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, est inséré un § 2bis, rédigé comme suit:

« § 2bis. — Les prestations visées à l'article 34, 2º, sont remboursées à l'établissement qui a pratiqué un accouchement pour lequel la mère a demandé que le secret de son admission et de son identité soient préservés, pour autant que la mère n'ait pas dans les deux mois de l'accouchement reconnu l'enfant, suivant l'article 348, § 1er, alinéa 5, du Code civil. »

Art. 9

Dans la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, il est inséré un article 31ter rédigé comme suit:

« Art. 31ter. — § 1er. La commission est également chargée de faciliter l'accès aux origines personnelles visées par l'article 57 du Code civil.

À ce titre, elle reçoit:

1º la demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant formulée:

a) s'il est majeur, par celui-ci;

b) s'il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l'accord de ceux-ci;

c) s'il est majeur placé sous tutelle, par son tuteur;

d) s'il est décédé, par ses descendants majeurs en ligne directe;

2º la déclaration expresse de la mère ou, le cas échéant, du père autorisant la levée du secret de sa propre identité;

3º les déclarations d'identité formulées par les ascendants, les descendants et les collatéraux privilégiés des père et mère;

4º la demande du père ou de la mère s'enquérant de leur recherche éventuelle par l'enfant.

§ 2. La demande d'accès à la connaissance de ses origines est formulée par écrit auprès de la commission; elle peut être retirée à tout moment dans les mêmes formes.

§ 3. Le père ou la mère qui fait une déclaration expresse de levée du secret de son identité, ou les ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés du père ou de la mère qui font une déclaration d'identité sont informés que cette déclaration ne sera communiquée à la personne concernée que si celle-ci fait elle-même une demande d'accès à ses origines.

§ 4. Pour satisfaire aux demandes dont elle est saisie, la commission reçoit de chaque établissement de santé les informations recueillies à l'occasion de chaque accouchement anonyme, ainsi que, s'il existe, le pli fermé mentionnant l'identité du père ou de la mère. Chaque établissement de santé désigne en son sein une personne de référence chargée de recevoir les informations et le pli fermé éventuel, et de les transmettre à la commission.

§ 5. La commission communique aux personnes mentionnées au paragraphe 1er, 1º, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité de la mère:

1º si, sur démarche de la commission à partir de l'identité mentionnée sous pli fermé, la mère manifeste expressément la volonté de lever le secret à l'occasion de la demande de recherches des origines;

2º si la commission dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité et que cette déclaration est confirmée à l'occasion de la demande de recherche des origines;

Si la mère a expressément consenti à la levée du secret de son identité, la commission communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles, l'identité des personnes visées au paragraphe 1er, 3º.

Si la mère est décédée, la demande de recherche des origines est déclarée irrecevable.

§ 6. La commission communique aux personnes mentionnées au paragraphe 1er, 1º, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité du père:

1º si, sur démarche de la commission à partir de l'identité mentionnée sous pli fermé, le père manifeste expressément la volonté de lever le secret à l'occasion de la demande de recherche des origines;

2º si la commission dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité et que cette déclaration est confirmée à l'occasion de la demande de recherche des origines.

Si le père a expressément consenti à la levée du secret de son identité, la commission communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au paragraphe 1er, 3º.

Si le père est décédé, la demande de recherche des origines est déclarée irrecevable.

§ 7. La commission communique aux personnes mentionnées au paragraphe 1er, 1º, les renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère, et recueillis par les établissements de santé ou portés à la connaissance de la commission ultérieurement. »

26 octobre 2010.

Jacques BROTCHI
François BELLOT
Christine DEFRAIGNE
Dominique TILMANS.