4-1631/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

4 MAI 2010


Traite des êtres humains


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE L'INTERIEUR ET DES AFFAIRES ADMINISTRATIVES PAR

M. CLAES


Table des matières

  • 1. INTRODUCTION
  • 2. AUDITION AVEC DES REPRÉSENTANTS DU CENTRE POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME
  • 1. Exposés
  • 2. Échange de vues
  • 3. AUDITION DU MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES REPRÉSENTANTS DES PARQUETS
  • 1. Exposé de M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice
  • 2. Exposé de M. Visart de Bocarmé, procureur général près la Cour d'Appel de Liège
  • 3. Exposé de M. Johan Delmulle, procureur fédéral
  • 4. Exposé de M. Frédéric Kurz, Avocat Général et coordinateur principal du Reseau d'expertise Traite des êtres humains
  • 5. Exposé de M. Freddy Gazan, Conseiller général adjoint au Service de la Politique criminelle
  • 6. Exposé de Mme Karin Carlens, premier substitut près le parquet de Bruxelles
  • 7. Exposé de Mme Cathérine Collignon, premier substitut près le parquet de Liège
  • 8. Exposé de M. Luc Falmagne, auditeur du travail de Liège
  • 9. Exposé de M. Charles-Eric Clesse, premier substitut près l'auditorat du travail de Charleroi
  • 4. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES DE POLICE SPÉCIALISÉS EN TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
  • 1. Exposé de M. W. Bontinck, Service central Traite des êtres humains
  • 2. Exposé de M. Christian Deville, Commissaire principal de la police locale de Charleroi
  • 3. Exposé de M. Johan Debuf
  • 4. Exposé de M. Patrick Bourgeois, chef de service, PJF de Bruxelles
  • 5. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES D'INSPECTION SOCIALE
  • 1. M. Paul Neuville, Service d'information et de recherche sociales (SIRS)
  • 2. M. Ludo Beck, direction générale Contrôle des lois sociales
  • 3. Mme Brigitte Doudelet, inspectrice sociale, directrice de l'Inspection sociale de Liège
  • 4. M. Peter Van Hauwermeiren, inspecteur social et directeur de l'Inspection sociale de la région de Flandre orientale
  • 5. M. Bruno Devillé, contrôleur auprès de l'Inspection sociale de Bruxelles et membre de la cellule traite des êtres humains
  • 6. Discussion générale
  • 6. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES CENTRES D'ACCUEIL
  • 1. M. Denis Xhrouet, représentant de ESPERANTO
  • 2. M. Christian Meulders, représentant des centres d'accueil Pag-Asa, Payoke et Sürya
  • 3. Discussion générale
  • 7. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES PUBLICS FÉDÉRAUX ET DES BARREAUX
  • 1. Mme Renée Raeymaeckers, Office des étrangers, bureau MINTEH
  • 2. M. Jean-Pierre Jacques, avocat au barreau de Liège
  • 3. M. Jérôme Toussaint, SPF Affaires étrangères
  • 4. Mme Gerrigje Veldhuis, service du Protocole, SPF Affaires étrangères
  • ANNEXE 1
  • ANNEXE 2
  • ANNEXE 3
  • ANNEXE 4
  • ANNEXE 5

  • 1. INTRODUCTION

    Au cours de sa réunion du mardi 1er décembre 2009, la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives a décidé, à l'unanimité, de créer un groupe de travail « Traite des êtres humains », composé de dix membres.

    Lors de sa réunion du mardi 8 décembre 2009, la commission a constitué le groupe de travail et a approuvé le mandat de celui-ci (voir annexe 1).

    Le 5 janvier 2010, le groupe de travail a tenu une première réunion au cours de laquelle a été constitué le Bureau du groupe de travail. Sur la proposition de Mme Somers, M. Claes est élu président à l'unanimité. M. Monfils et Mme Désir sont élus respectivement premier vice-président et deuxième vice-présidente.

    Le groupe de travail a décidé qu'il convenait, en premier lieu, de dresser un bilan de la situation actuelle en matière de traite des êtres humains dans notre pays et qu'il était dès lors indiqué d'entendre les personnes confrontées à cette problématique sur le terrain. Il demande donc que les membres indiquent au secrétariat quelles organisations doivent être entendues afin qu'une liste de celles-ci puisse être établie.

    L'objectif à terme est d'identifier les points forts et les points faibles et ce, tant dans la législation que dans la politique mise en œuvre.

    C'est ainsi que le groupe de travail a entendu les personnes ou les organisations suivantes:

    Mardi 19 janvier 2010

    Représentants du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme:

    — M. Edouard Delruelle, directeur adjoint;

    — M. Koen Dewulf, chef du service « Traite des êtres humains »;

    — Mme Patricia Le Cocq, juriste au service « Traite des êtres humains »;

    — M. Stef Janssens, analyste au service « Traite des êtres humains ».

    Mardi 2 février 2010

    Échange de vues avec M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice, et audition de représentants des parquets:

    — M. Johan Delmulle, procureur fédéral;

    — M. Frédéric Kurz, substitut général à Liège, responsable du réseau d'expertise en matière de traite des êtres humains;

    — M. Freddy Gazan, chef du Service de la politique criminelle;

    — M. Cédric Visart de Bocarmé, procureur général près la cour d'appel de Liège.

    Mercredi 24 février 2010

    Représentants des parquets:

    — Mme Karin Carlens, premier substitut près le parquet de Bruxelles;

    — Mme Cathérine Collignon, premier substitut près le parquet de Liège;

    — M. Luc Falmagne, auditeur du travail à Liège;

    — M. Charles-Eric Clesse, premier substitut près l'auditorat du travail de Charleroi.

    Mardi 2 mars 2010

    Représentants des services de police spécialisés:

    — M. Wim Bontinck, commissaire divisionnaire, chef du service « Traite des êtres humains » à la police judiciaire fédérale;

    — M. Christian Deville, commissaire principal, police locale de Charleroi;

    — M. Johan Debuf, inspecteur principal dans la zone de police de Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode et Evere;

    — M. Patrick Bourgeois, commissaire principal, police judiciaire fédérale de Bruxelles.

    Mardi 16 mars 2010

    Représentants de l'inspection sociale:

    — M. Paul Neuville, Service d'Information et de Recherche Sociale (SIRS);

    — M. Ludo Beck, direction générale Contrôle des lois sociales;

    — Mme Brigitte Doudelet, Service d'inspection sociale de l'arrondissement de Liège;

    — M. Peter Van Hauwermeiren, Service d'inspection sociale de l'arrondissement de Flandre orientale;

    — M. Bruno Devillé, Service d'inspection sociale de l'arrondissement de Bruxelles.

    Mardi 30 mars 2010

    Représentants des centres d'accueil spécialisés:

    — M. Denis Xhrouet, Esperanto;

    — M. Christian Meulders, Sürya;

    — Mme Heidi De Pauw, Pag-Asa;

    — Mme Solange Cluydts, Payoke.

    Mardi 20 avril 2010

    — Mme Renée Raeymaeckers, Office des Étrangers, Bureau MINTEH;

    — M. Jean-Pierre Jacques, avocat au barreau de Liège;

    — M. Christiaan Sys, M. Jerôme Toussaint, Mme Gerrigje Veldhuis et Mme Lindsey Sandra, SPF Affaires étrangères.

    À cause de la fin anticipée de la législature, le groupe de travail n'a plus été en mesure de terminer ses travaux. C'est pourquoi la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives a décidé, le 4 mai 2010, que le président du groupe de travail veillera à ce qu'un rapport contenant uniquement le compte rendu des auditions organisées soit publié.


    2. AUDITION AVEC DES REPRÉSENTANTS DU CENTRE POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME

    Le 19 janvier 2010, il a été procédé à l'audition des représentants du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme:

    — M. Edouard Delruelle, directeur adjoint;

    — M. Koen Dewulf, chef du service « Traite des êtres humains »;

    — Mme Patricia Le Cocq, juriste au service « Traite des êtres humains »;

    — M. Stef Janssens, analyste au service « Traite des êtres humains ».


    1. Exposés

    M. Edouard Delruelle, directeur adjoint du Centre, estime que la création d'un groupe de travail au Sénat constitue un signe politique important puisqu'il indique que la lutte contre la traite des êtres humains est une priorité sur le plan politique.

    Il rappelle la base légale sur laquelle travaille le Centre en matière de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. Dans cette matière, la mission centrale du Centre est de stimuler la lutte contre la traite et son instrument capital dans le cadre de cette mission légale est l'élaboration d'un rapport annuel d'évaluation des politiques de lutte contre la traite avec une attention particulière pour l'analyse du phénomène. Le Centre exerce cette mission en toute indépendance. Le Centre assure également le secrétariat de la cellule interdépartementale, joue un rôle de coordination à l'égard des centres d'accueil spécialisés et le Centre peut ester en justice.

    Pour la réalisation de ce rapport, le Centre a étroitement dialogué avec les acteurs de terrain: parquets, auditorats, services de police, service d'inspection. Le Centre a également invité des acteurs européens à partager leurs constats, analyses et recommandations. Dans le rapport, le Centre concentre son travail sur l'analyse juridique et jurisprudentielle des dossiers de traite, ainsi que sur l'évolution des phénomènes de traite. Le rapport annuel 2008, « Lutter avec des personnes et des ressources » est le douzième rapport d'évaluation que le Centre a réalisé dans le cadre de cette mission. Dans ce rapport, tout comme dans le rapport précédent, le Centre précise en guise d'introduction qu'il répond à une de ses missions légales en assurant par la même occasion de facto le rôle de « rapporteur national sur la Traite des êtres humains » ou de mécanisme équivalent.

    M. Koen Dewulf, chef du service « Traite des êtres humains », passe en revue les principales constatations et recommandations que le Centre a formulées dans le dernier rapport annuel qu'il a publié en 2008 et qui est intitulé « La traite et le trafic des êtres humains. Lutter avec des personnes et des ressources ».

    Le rapport comprend trois constatations majeures:

    1. Les réseaux criminels qui se livrent à la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle se professionnalisent de plus en plus et s'adaptent à la nouvelle loi de 2005. Ils dissimulent l'exploitation sexuelle en recourant à des montages, en faisant appel à des intermédiaires et en mettant en place des structures de prostitution cachée. Par ailleurs, on constate aussi une professionnalisation grandissante des réseaux criminels de traite des êtres humains à des fins d'exploitation économique. Il s'agit d'organisations qui déploient leurs activités sur une échelle beaucoup plus vaste et qui ont des liens avec le crime organisé. Elles tirent profit du principe de la libre circulation des services (détachement de complaisance) et travaillent avec des personnes dont elles prétendent ou attendent qu'elles utilisent leur droit à la libre circulation des personnes (statut de « faux indépendant »). C'est ainsi que le crime organisé s'efforce également d'infiltrer le secteur des transports.

    2. Les victimes se trouvent de plus en plus souvent dans une situation que l'on peut qualifier de « gagnant-gagnant ». Séduites par les avantages qu'on leur fait miroiter, elles ont tendance à dire qu'elles se livrent à la prostitution sur une base volontaire et sont donc moins enclines à faire appel à la police et à la justice ou, au besoin, à collaborer avec elles. Cet état de fait est lié aussi à la troisième constatation majeure qui a un impact sur l'attractivité du statut de victime.

    3. Le droit à la libre circulation des personnes offre des perspectives non seulement aux trafiquants d'êtres humains mais aussi aux victimes, en ce qu'elles ne doivent plus disposer d'un visa. En raison des facilités qui sont offertes aux ressortissants de l'UE en termes de documents à présenter, les situations dans lesquelles ceux-ci sont impliqués sont contrôlées de manière beaucoup moins stricte. C'est ainsi qu'on a constaté, dans le cadre du droit de séjour de trois mois dont bénéficient les ressortissants européens, qu'il y avait des personnes qui étaient exploitées dans le secteur de la construction tandis que leur conjoint connaissait le même sort dans le secteur de la prostitution.

    La première recommandation préconise de poursuivre la sensibilisation des services de contrôle et d'inspection à la détection des victimes.

    Il faut continuer à sensibiliser les différents services de contrôle et, en particulier, les services d'inspection, afin de les amener à détecter les victimes de la traite des êtres humains pendant les actions de contrôle de grande envergure, et à mettre celles-ci en contact avec les centres spécialisés. Le contexte anthropologique de la victime doit bénéficier d'une attention suffisante tout au long du processus, qui va de la détection jusqu'à la fin de la période de réflexion. Les personnes qui ont la même origine que la victime ou qui connaissent le contexte ethnico-culturel dont celle-ci est issue peuvent parfois, de par leur présence ou leur médiation, sensibiliser celle-ci efficacement quant aux opportunités et aux possibilités offertes. Il ne faut pas en faire une règle générale, mais il faut, au cas par cas, examiner si un tel contact peut avoir un effet rassurant.

    Dans les cas de traite des êtres humains à des fins d'exploitation économique, les services d'inspection peuvent mener leurs interrogatoires en se concentrant non seulement sur les exploiteurs présumés mais aussi sur les travailleurs clandestins. Cela vaut surtout dans les secteurs atypiques. Dans le cadre de la préparation des actions, il faut absolument planifier que les victimes seront, elles aussi, interrogées sur les modalités de recrutement, l'emploi, le respect des conditions de travail, la possibilité de disposer de leurs documents d'identité, la liberté de mouvement, les conditions de logement, etc.

    D'autre part, en cas d'actions portant sur les pratiques de marchands de sommeil ou de constatations de pratiques de ce type, les services de contrôle doivent interroger les occupants en situation illégale sur la manière dont ils doivent payer leur loyer et vérifier l'éventuelle confusion concernant la relation bailleur/patron. Ils doivent également examiner la situation professionnelle, afin de déceler d'éventuels cas de traite des êtres humains à des fins d'exploitation économique.

    La deuxième recommandation préconise de former le personnel des centres fermés à la reconnaissance des victimes de la traite des êtres humains.

    Il est essentiel pour la société que les travailleurs en situation illégale ne soient pas exclusivement perçus comme des personnes en situation illégale à rapatrier le plus rapidement possible. Des victimes de la traite des êtres humains aboutissent régulièrement en centre fermé en vue d'un rapatriement. Ce sont surtout les victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation économique qui courent ce type de risque, mais les victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle sont elles aussi susceptibles de s'exposer à ce risque.

    Le Centre recommande que le personnel des centres fermés soit formé dans le but d'aiguiser ses facultés de discernement, afin de détecter les victimes de la traite des êtres humains et, à cet égard, de collaborer étroitement avec les centres d'accueil pour la traite des êtres humains.

    La troisième recommandation concerne la sensibilisation du personnel médical. Cette recommandation concernant la sensibilisation à la détection des victimes semble naïve, mais elle est véritablement importante. Les personnes exploitées sexuellement sont souvent enfermées dans cette situation. Il faut l'initiative d'une tierce personne pour les mettre en contact avec un centre spécialisé ou avec la police, où elles peuvent alors faire une déclaration. C'est précisément pour cette raison que les personnes qui travaillent dans la prostitution, où elles sont exposées à des risques pour la santé et subissent des traumatismes, devraient être dirigées vers un centre spécialisé par le personnel médical d'urgence, le médecin traitant ou le personnel du service des urgences.

    Le groupe de travail créé au sein de la Cellule interdépartementale est actuellement opérationnel en la matière. Il est issu d'une collaboration entre un hôpital de la région de Liège, la police locale et un centre d'accueil. Cette collaboration a d'ailleurs donné lieu à la troisième recommandation.

    La quatrième recommandation préconise d'appliquer de manière effective et efficace la période de réflexion de 45 jours dont bénéficient les victimes. Durant cette période, les victimes peuvent être soumises à toutes sortes d'influences provenant du milieu qui les exploite, de leur famille, des personnes qui les accompagnent au sein du centre spécialisé, etc. Certaines victimes sont particulièrement vulnérables en raison de la menace qui pèse sur elles, de leur âge, des conditions sociales, de la toxicomanie ou d'autres facteurs. Il faudrait donc que la période de réflexion soit respectée pour tout le monde, afin de maximiser les chances que les victimes fragilisées aient progressivement confiance dans l'accompagnement et ensuite dans les services de police et les autorités judiciaires. En effet, il arrive souvent que les victimes aient eu dans le passé une expérience négative avec la police ou que le fossé culturel soit trop grand pour elles. Voilà pourquoi le Centre formule cette quatrième recommandation, en dépit du risque d'abus qu'elle comporte.

    En ce qui concerne la cinquième recommandation, M. Edouard Delruelle ajoute que d'un point de vue plus général, le Centre préconise des solutions adaptées en ce qui concerne la reconnaissance du statut de victime. Il rappelle que la Belgique dispose d'un instrument juridique excellent, à savoir la reconnaissance du statut de victime, avant le jugement, dès l'enquête. Le texte énonce ce qui suit: « Est reconnue comme victime de la traite toute personne qui s'engage à rompre avec les auteurs de la traite, à collaborer avec la justice et à être prise en charge par un centre spécialisé ». En contrepartie, la victime est protégée. Ce dispositif est louable mais on peut regretter son application parfois un peu stricte, mécanique.

    Le Centre préconise la recherche de solutions plus adaptées. Par exemple, on constate des classements sans suite, malgré une collaboration des victimes, dans des dossiers incomplets soit parce que les exploiteurs sont en fuite, soit parce que l'essentiel de la traite a lieu dans un autre pays. Autre exemple, cette procédure n'est pas toujours adaptée à la situation des mineurs qui ont des difficultés à se reconnaître comme victimes, à couper les liens avec les auteurs, en raison de leur extrême fragilité. Il conviendrait donc d'accorder une attention particulière à certaines catégories de victimes.

    Dans cet ordre d'idée, intervient la sixième recommandation: il serait souhaitable de renforcer l'attention des magistrats à la dimension objective de la traite. Ainsi, pour démontrer qu'une affaire ne relève pas de la traite des êtres humains, certains jugements se fondent sur l'argument du revenu moyen du pays d'origine. Imaginons qu'il soit de deux euros à l'heure. L'argumentation consistera à dire que la personne n'est pas vraiment exploitée, dans la mesure où elle aura trouvé, dans notre pays, des conditions de vie meilleures que dans son pays. De toute évidence, la comparaison ne devrait pas être faite avec le revenu du pays d'origine mais bien avec celui d'un travailleur régulier en Belgique. Ce n'est pas parce que la personne améliore ses conditions de vie qu'elle n'est pas une victime, selon les critères établis.

    Par ailleurs, certaines victimes ne se reconnaissent pas comme telles, alors qu'elles le sont objectivement. Peut-être faudrait-il évoluer vers un statut de « victime objective » ou, autrement dit, de personne objectivement victime de la traite des êtres humains. Actuellement, le ressenti de la victime est le seul critère, alors qu'il ne l'est pas dans l'instrument juridique lui-même.

    M. Dewulf précise que la septième recommandation concerne le problème de la fiabilité des interprètes sollicités. Cette fiabilité est un élément capital tant pour les opérations coordonnées de grande envergure que pour les interrogatoires, autrement dit dans chaque situation où il se trouve une victime susceptible de faire des déclarations.

    Il n'est pas aisé de dresser une liste des interprètes qui soit fiable et qui dépasse le cadre des arrondissements. Dans cette recommandation, le Centre préconise de travailler le plus possible sur la base d'une liste nationale d'interprètes ou d'une liste d'interprètes pouvant intervenir dans plusieurs arrondissements. En effet, on constate parfois qu'un interprète qui a été sollicité dans un arrondissement est impliqué, dans un autre arrondissement, dans des faits de trafic d'êtres humains, que ce soit comme témoin, comme partie intéressée ou simplement parce qu'il a connaissance de faits liés à la traite ou au trafic d'êtres humains.

    Il arrive assez souvent que des étrangers sollicités comme interprètes tentent d'obtenir l'une ou l'autre forme d'avantage ou de protection ou qu'un interprète indique plus ou moins ouvertement à la personne interrogée comment elle doit de préférence faire sa déclaration. Dans certains cas, l'interprète va jusqu'à se faire payer pour cela. De toute évidence, cette pratique n'est pas monnaie courante. Il n'en reste pas moins que, dans les faits, le système actuel présente des lacunes et peut même, dans certains cas, s'avérer contre-productif pour la détection des victimes.

    La huitième recommandation renvoie au titre du rapport annuel, à savoir « La traite et le trafic des êtres humains. Lutter avec des personnes et des ressources ». Cette recommandation porte donc sur la gestion des ressources et sur la manière dont le Centre entend mener la lutte contre la traite des êtres humains et l'adapter en partie au mode de fonctionnement des réseaux. Pour ce faire, il faut procéder à une analyse des réseaux et examiner les opérations financières et les flux d'argent, sachant que, dans la lutte contre la traite des êtres humains, le « business model » des opérateurs illégaux est une donnée importante. À cet égard, l'échange d'informations, par voie électronique ou non, entre les services d'inspection et les arrondissements judiciaires, revêt une grande importance. Pour l'instant, cet échange se heurte à de grandes difficultés, en raison, entre autres, de l'absence de base légale. Ainsi, il arrive régulièrement qu'une enquête soit lancée tant par les services d'inspection que par les services de police et que des instances de contrôle se marchent mutuellement sur les pieds. En formulant la recommandation précitée, le Centre souhaite améliorer l'efficacité des actions et éliminer les problèmes pratiques en renforçant la coordination et en amenant les autorités concernées à mieux collaborer dans toutes les situations qui le requièrent. Il s'agit aussi de faire en sorte que les services en charge de l'enquête échangent les informations dont ils disposent.

    M. Delruelle en vient à la neuvième recommandation concernant la coordination de la lutte contre la traite. Les réseaux opèrent souvent dans plusieurs arrondissements judiciaires, voire dans plusieurs pays. Pour ce qui est de la Belgique, un autre découpage des compétences territoriales s'indiquerait peut-être en matière de lutte contre la traite. En effet, la collaboration est difficile entre deux parquets de deux arrondissements judiciaires différents et plus encore lorsqu'ils sont trois. Le Centre demande au pouvoir politique d'être attentif à cet aspect. Pour une question d'efficacité, la lutte contre la traite nécessite une coordination entre les arrondissements.

    Dans le même ordre d'idée, il plaide pour que le Parquet fédéral prenne une part plus active dans ce dossier qui, par essence, lui semble correspondre aux matières traitées par cette juridiction.

    La dixième recommandation concerne, la collaboration internationale. Sur le plan international, nous gagnerions également à rendre les collaborations plus efficaces.

    Au titre des mauvaises pratiques, il signale les nombreuses difficultés de collaboration en matière de saisie et de confiscation qui sont pourtant les outils principaux de lutte contre les réseaux. Lorsque ceux-ci s'étendent sur plusieurs pays, il est extrêmement difficile de mener une politique efficace de saisie et de confiscation.

    S'agissant des bonnes pratiques, on signalera la collaboration des pays de l'Euregio — Belgique, Pays-Bas, Allemagne — qui grâce à leur réseau au nom un peu barbare, le NeBeDeAgPol — Nederland, Belgique, Deutschland, Agence de Police — offrent un exemple de collaboration structurelle de qualité. D'autres partenariats plus ponctuels — Joint Investigation Teams — existent aussi avec succès, notamment entre Paris, Bruxelles et Liège. La coordination internationale doit être encouragée.

    M. Koen Dewulf commente les recommandations 11 et 12. La définition de la traite des êtres humains présente une lacune en matière d'exploitation sexuelle. L'exploitation d'une victime par un individu uniquement à son propre avantage, avec l'aide ou non d'un intermédiaire, ne relève en effet pas de la définition actuelle de l'exploitation sexuelle. Il suppose qu'on pourra en rediscuter au cours de l'échange de vues qui va suivre.

    En guise de conclusion et de douzième recommandation, il répète ce qui a déjà été dit dans l'introduction au sujet de l'importance du suivi parlementaire. Les auditions parlementaires réalisées auparavant sur le thème de la traite des êtres humains ont eu un effet très stimulant pour la politique. Le Centre se réjouit qu'un groupe de travail « Traite des êtres humains » ait été créé.

    Le rapport de Centre « La traite et le trafic des êtres humains: lutter avec des personnes et des ressources » peut être consulté sur le site internet www.diversité.be/publications2009.


    2. Échange de vues

    Un membre demande quelle évolution on peut noter en matière de traite des êtres humains. Peut-on constater un glissement vers certains groupes ou certains pays, par exemple depuis l'adhésion en 2004 de dix nouveaux États membres à l'Union européenne ? L'ouverture de bon nombre d'anciennes frontières permet aussi à certains groupes mafieux issus de ces nouveaux États membres d'entrer plus facilement sur notre territoire.

    Comment se déroule la collaboration avec les nouveaux États membres ? S'est-elle améliorée depuis leur adhésion à l'UE ? Et quelle est la situation aux frontières extérieures de l'UE ?

    M. Stef Janssens, analyste au service Traite des êtres humains du Centre, répond que, dans le passé, l'exploitation sexuelle était surtout l'affaire des réseaux albanais. Une action judiciaire énergique a cependant été menée il y a une dizaine d'années pour lutter contre ces réseaux et, depuis, ce sont surtout les réseaux bulgares et en partie les réseaux roumains qui les ont remplacés.

    Les réseaux bulgares ont tout de suite pris la forme de véritables entreprises criminelles. Ils fonctionnent selon un modèle très fortement influencé par le monde des affaires et mettent sur pied des structures, notamment le système des dames de compagnie qui jouent un rôle d'intermédiaire, ce qui complique considérablement le traçage des transferts financiers. Les dames de compagnie se chargent ainsi des formalités administratives, se soucient des problèmes des prostituées et récoltent l'argent, comme le droit de vitrine.

    Si le souteneur ne récolte pas l'argent directement, il est difficile de prouver quelque chose à son encontre. À l'époque où les souteneurs recevaient l'argent directement, il était possible d'observer les transactions et de les photographier. Aujourd'hui, il est beaucoup plus difficile de savoir si l'argent provient de l'exploitation sexuelle ou du droit de vitrine. Ce type de structures complique fortement la charge de la preuve.

    Les réseaux nigérians sont également toujours en activité. Ceux-ci emploient généralement des pratiques du vaudou basées sur des symboles religieux dans le but d'impressionner et de dominer les jeunes filles.

    L'on rencontre aussi des cas de lien par la dette qui sont surtout le fait des réseaux asiatiques. Les personnes qui ont fait l'objet d'un trafic sont ensuite obligées de rembourser le coût de l'opération par le biais de la prostitution ou du travail domestique. Ce système débouche parfois sur une régularisation qui est délivrée par un avocat, mais pour laquelle la victime doit encore payer un supplément.

    Les réseaux roumains sont surtout dirigés par les Roms. Ceux-ci agissent selon le mode de fonctionnement d'un clan et exploitent souvent des filles mineures, de telle sorte que l'on puisse réellement parler de prostitution forcée. Cette forme d'exploitation est également liée à la mendicité organisée.

    Enfin, M. Janssens évoque encore le système de la prostitution davantage cachée. De nouveaux réseaux se sont installés dans certains cafés à caractère ethnique. Il existe ainsi des cafés turcs qui s'adressent à une clientèle turque. La police éprouve des difficultés à y voir clair. Elle a besoin d'une personne de l'ethnie en question pour infiltrer des cafés de ce type et pour y recueillir des informations.

    Pour lutter contre les structures-écrans, il est essentiel de disposer d'outils tels que les écoutes téléphoniques qui permettent souvent de faire le lien ultérieurement entre le souteneur et la victime. Une prochaine analyse du phénomène devra révéler quelles sont les conséquences de l'élargissement de l'UE.

    Dans le quartier de la rue d'Aerschot à Bruxelles, la mafia albanaise a été remplacée par une mafia qui provient essentiellement de l'UE. Les réseaux roumains ont une activité plus diversifiée que les réseaux bulgares.

    L'on attend en tout cas le mois de janvier 2012 pour voir s'il sera possible d'améliorer la collaboration avec la Roumanie et la Bulgarie, d'augmenter la quantité d'informations échangées sur les structures et les réseaux qui exploitent des êtres humains, et de simplifier la procédure de saisie.

    Un membre indique que l'adage « mieux vaut prévenir que guérir » s'applique aussi en matière de traite des êtres humains. Ses remarques et questions portent donc sur la politique de dissuasion.

    Dans le passé, le gouvernement a organisé des campagnes de dissuasion dans les pays d'origine. Dans ce cadre, des fonctionnaires ont été mis à contribution dans ce cadre et des annonces publicitaires ont été réalisées. Ces campagnes doivent-elles être intensifiées ou est-on arrivé à la conclusion qu'elles n'avaient qu'un effet réduit ?

    Lorsque la commission a organisé une visite en Ukraine il y a quelques années, elle a constaté que les services de police locaux ne portaient pas une grande attention à la traite des êtres humains car elle génère un flux financier. L'intervenant se demande si nos représentants diplomatiques à l'étranger s'impliquent suffisamment pour obtenir la coopération des services de police locaux. En enrayant la traite des êtres humains, ne fût-ce qu'en partie, dans les pays d'origine, on facilitera les enquêtes dans notre pays.

    M. Koen Dewulf relève que pour certains migrants, les transferts d'argent sont plus importants que l'aide qu'ils pourraient recevoir.

    Le département de l'Intérieur a déjà mené une douzaine de campagnes intensives en Afrique, en Asie orientale et centrale et au Brésil, dans le but de lutter contre la migration illégale ou la migration de personnes qui n'ont pas de projet ou de moyens ou qui ont été mal conseillées.

    Bien que la prévention fasse partie de ce type de campagnes, elle n'en est pas vraiment un volet à part entière. Il s'agit surtout de tentatives de prévention. Par exemple, une brochure a été élaborée à la demande de l'ambassade de Belgique en Chine, afin de présenter les risques d'exploitation aux Chinois qui veulent émigrer en Belgique. Cela ne signifie pas pour autant que nos ambassades à l'étranger fournissent des informations détaillées sur le contexte global de la traite des êtres humains ou en présentent les signes indicateurs. Il est instructif d'apprendre ces signes indicateurs, en particulier pour les personnes qui émigrent de manière pratiquement autonome. Une chose est sûre: nous ne disposons pas à l'heure actuelle d'instruments de prévention performants.

    Mme Patricia Le Cocq, juriste du service traite du Centre, souligne l'importance de la prévention. Dans le plan d'action, le gouvernement a voulu accorder une attention particulière à cet aspect. Des programmes ponctuels de prévention ont été mis en œuvre dans certains pays d'origine. En ce qui concerne le département des Affaires étrangères et la délivrance de visas, un système informatisé a été mis au point afin d'accroître le contrôle en la matière. Le bureau de la cellule interdépartementale de coordination a conçu un document d'information, à la demande de l'Ambassade de Belgique en Chine qui constatait que de nombreux candidats à l'immigration ignoraient dans quelles conditions ils allaient arriver en Belgique. Ce texte vise à attirer l'attention des candidats sur les droits des travailleurs. L'objectif est d'étendre cette publication à d'autres ambassades touchées par ce phénomène.

    Un membre constate que, dans le rapport annuel et dans sa présentation, le Centre insiste sur l'attitude de plus en plus volontaire des victimes de la prostitution et de l'exploitation sexuelle. Le Centre attire l'attention sur l'importance du respect de la procédure de réflexion de 45 jours. Quel est le type de prise en charge psychologique apportée dans les centres spécialisés afin d'aider ces personnes à prendre conscience de leur condition de victimes ? Cela a-t-il un effet ? Les réseaux comptent aujourd'hui plus de candidats à la prostitution que de places à pourvoir. Dans ce contexte, une prise de conscience est-elle possible ?

    M. Edouard Delruelle souligne qu'il serait judicieux que le groupe de travail entende les centres spécialisés. Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme assure un rôle de coordination mais n'est pas en contact direct avec les victimes.

    Mme Patricia Le Cocq précise que dans une première phase, un service de première ligne qui estime être en présence d'une victime — même si elle ne se reconnaît pas comme telle — veillera à établir un contact entre cette personne et le travailleur d'un centre d'accueil, afin que celui-ci tente d'établir un lien de confiance avec elle.

    En ce qui concerne le suivi psychologique spécifique, les centres d'accueil ne disposent pas de psychologues. Si la victime a besoin d'un encadrement particulier à cet égard, le centre collabore avec des services spécialisés.

    Dans un premier temps, c'est donc le contact avec un travailleur social qui peut éventuellement permettre à la victime de retrouver la sérénité suffisante pour prendre conscience de sa situation.

    M. Edouard Delruelle ajoute qu'après ce travail en amont visant à permettre à la victime de se reconnaître comme telle, il faut souligner le travail en aval. Il ne faut pas croire que le rôle des centres d'accueil spécialisés se limite à l'accueil dans leurs locaux. Ils assurent tout un accompagnement, afin que les personnes ne retrouvent pas le milieu de l'exploitation.

    Un membre constate que le statut de victime ne semble plus aussi attrayant et qu'il est donc moins demandé. Le Centre a-t-il des propositions ou des suggestions à formuler à ce propos ?

    M. Koen Dewulf répond que le Centre n'a formulé aucune recommandation formelle, mais qu'il a signalé dans son rapport annuel qu'il y a un problème dans ce domaine. Le principe de libre circulation en vigueur au sein de l'UE est l'une des raisons pour lesquelles le recours au statut de victime est moins fréquent. Il espère que le groupe de travail du Sénat se penchera sur cette problématique. Il précise qu'à l'heure actuelle, les centres spécialisés ne sont pas représentés au sein de la cellule interdépartementale de coordination et qu'ils ne sont donc pas associés au débat relatif au statut.

    Un aspect important est l'indemnisation effective des victimes. Le statut de victime a vu le jour dans les années nonante. Le droit dont il est assorti, à savoir celui de séjourner en Belgique, était censé amener les victimes à collaborer à l'enquête, à se soumettre à un accompagnement et à se soustraire à l'exploitation. Or, le statut semble de moins en moins attrayant.

    Dans le cadre de l'exploitation économique, les victimes n'obtiennent pas suffisamment de garanties quant à leur salaire ou au fait que leurs intérêts seront défendus si elles doivent ou souhaitent quitter le pays. Bref, si pour un grand nombre de victimes, le permis de séjour demeure encore important, il ne l'est toutefois plus autant que dans les années nonante. Une attention plus grande devrait être accordée à l'aide effective. Il faudrait davantage écouter les victimes afin de savoir ce qu'elles pensent de la procédure, quels sont les avantages qu'elles apprécient et quels sont les éléments qui peuvent les amener à collaborer. Dans ce domaine, il y a encore beaucoup à faire.

    Un membre fait remarquer que le Centre peut ester en justice mais que le rapport annuel ne donne aucun aperçu des affaires de traite des êtres humains que le Centre a portées devant la justice. Dans combien d'affaires le Centre a-t-il obtenu gain de cause en 2008 ? Combien d'actions ont été intentées ? Contre qui étaient-elles dirigées ? Quelle est la répartition entre les différents secteurs ?

    M. Koen Dewulf estime que cette remarque est en partie fondée. Le Centre examinera comment il peut fournir des informations à ce sujet. Toutefois, il est difficile aujourd'hui de présenter des statistiques sur les condamnations pour des faits de traite des êtres humains, car la modification de la loi intervenue en 2005 n'a pas encore donné lieu à une jurisprudence suffisamment abondante.

    En 2001, le Centre a présenté un aperçu de la jurisprudence et il envisage de le faire à nouveau. Il considère en tout cas que la remarque est une recommandation claire.

    Néanmoins, il faut savoir que, lors de l'élaboration du rapport précité, on a examiné quelles informations relatives aux condamnations pouvaient être fournies. Il est toutefois délicat de communiquer des données chiffrées sur la jurisprudence car elles ne donnent pas une image globale de la situation. C'est au service de la politique criminelle qu'il appartient de fournir ce genre de renseignements, ce qui n'a pas encore été fait.

    M. Stef Janssens répond que chaque année, le Centre se constitue partie civile dans une vingtaine de dossiers liés à des faits de traite et de trafic des êtres humains et qu'un grand nombre de ces dossiers sont déjà en cours à ce moment-là. Cela signifie, en d'autres termes, que le Centre ne prend lui-même l'initiative qu'à titre exceptionnel.

    Certains dossiers restent pendants durant de nombreuses années. Cela dépend aussi surtout du délai dans lequel un dossier est introduit devant le tribunal. Il n'est donc pas facile de visualiser clairement les données. Malgré cela, le Centre s'efforce d'examiner les principaux dossiers, que ce soit dans le cadre de l'analyse des dossiers ou par le biais de la jurisprudence.

    M. Koen Dewulf précise que le Centre constate une évolution identique et ce, aussi bien dans les dossiers judiciaires que dans les dossiers auxquels il a accès en tant que partie civile. Il serait indiqué de présenter cette évolution de manière schématique et chiffrée. À cet égard, le Centre se demande s'il serait préférable qu'il le fasse dans le cadre de son rapport annuel ou bien par le biais de son propre site Internet.

    Un membre constate que le Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains (CIATTEH) n'est pas encore opérationnel. Le ministre ne pourrait-il pas prendre des mesures afin d'y remédier ?

    Ce centre a pour mission de rassembler et d'échanger des données et d'effectuer des analyses stratégiques. Comment optimiser l'échange d'informations entre les différents services ? Le représentant du ministre pourrait peut-être préciser si un arrêté royal réglant le fonctionnement du centre est en préparation.

    M. Koen Dewulf répond que le Centre a toujours adopté une attitude constructive lors de toutes les réunions préparatoires et qu'il est prêt à mettre ses données et son expertise à la disposition du Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains, conjointement avec plusieurs SPF et services d'inspection. Il ne fait aucun doute que dans le contexte européen, la collecte de données gagnera sensiblement en importance.

    En ce qui concerne les points de contact nationaux et les rapporteurs nationaux, de sérieux efforts sont fournis. Il faut que tous les responsables s'attèlent à présent à respecter les accords et à sortir la concertation de l'impasse dans laquelle elle se trouve malheureusement aujourd'hui.

    M. Minet, le représentant du ministre de la Justice est interpellé par ces propos. Il propose d'entendre le gouvernement en ce qui concerne la coordination des moyens de lutte contre la traite des êtres humains et la collecte d'informations à cet égard. Ces aspects font partie d'un tout, de l'organisation de la cellule interdépartementale et d'un comité de gestion mis en place précisément pour travailler sur cette question, en parallèle avec le bureau de la cellule interdépartementale.

    Pour ce qui concerne l'IAM, à savoir le centre de traitement de l'information en matière de traite des êtres humains, il rappelle les problématiques qui se sont posées. L'échange des données des différents partenaires — c'était bien l'objectif de l'IAM — a été rendu impossible en raison du fait que l'arrêté royal exigeait que ce partage de données soit anonyme. Or, un des buts de l'IAM était de croiser les données. Pour ce faire, un minimum d'informations était nécessaire afin d'identifier certains dossiers et de croiser l'information.

    À ce stade, un nouveau texte d'arrêté royal a été retravaillé au sein des services de la législation du SPF Justice. Une discussion sur ce projet devrait avoir lieu.


    3. AUDITION DU MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES REPRÉSENTANTS DES PARQUETS

    Le 2 février le groupe de travail a organisé un échange de vues avec le ministre de la Justice, M. Stefaan De Clerck et a auditionné, le même jour ainsi que le 24 février 2010, des représentants des parquets, à savoir:

    — M. Johan Delmulle, procureur fédéral;

    — M. Frédéric Kurz, substitut général à Liège, responsable pour le réseau d'expertise concernant la traite des êtres humains;

    — M. Freddy Gazan, chef du service de la politique criminelle.

    — Mme Karin Carlens, premier substitut près le parquet de Bruxelles;

    — Mme Cathérine Collignon, premier substitut près le parquet de Liège;

    — M. Luc Falmagne, auditeur du travail de Liège;

    — M. Charles Eric Clesse, premier substitut près l'auditorat du travail de Charleroi.


    1. Exposé de M. Stefaan De Clerck, ministre de la Justice

    Le ministre donne un aperçu de la politique belge en matière de lutte contre la traite des êtres humains depuis la dernière législature.

    1. La loi

    La législation belge relative à la traite des êtres humains, telle que prévue par la loi du 10 août 2005, a été adoptée afin d'aligner les règles de droit belges sur le Protocole des Nations Unies en matière de traite des êtres humains ainsi que sur la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne relative à la traite. Notre législation va également plus loin dans la mesure où elle érige en circonstances aggravantes les modi operandi de l'exploitation (contrainte, violence, abus d'autorité, etc.).

    Une distinction claire existe entre les infractions de traite, d'une part, et de trafic, d'autre part.

    Le trafic d'êtres humains se caractérise par l'assistance fournie, dans un but lucratif, à une personne qui n'est pas ressortissante de l'Union européenne afin que cette dernière puisse entrer sur le territoire d'un état membre, y séjourner ou le traverser de manière illégale.

    Dans la traite des êtres humains, l'avantage financier éventuel est obtenu en exploitant les victimes (belges, européennes ou autres) économiquement ou sexuellement ou en les exploitant par la mendicité, la délinquance forcée ou le prélèvement forcé d'organes.

    2. La Cellule Interdépartementale de coordination de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains

    La Cellule Interdépartementale est un organe de coordination créé en 1995 par l'arrêté royal du 16 juin 1995 (Moniteur belge du 14 juillet 1995), réunissant tous les acteurs fédéraux (tant opérationnels que politiques) qui sont impliqués dans la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. Le ministre de la Justice assure la présidence de la Cellule.

    La Cellule interdépartementale (et son Bureau) sont au cœur de la politique intégrée et coordonnée de lutte contre la traite des êtres humains. Elle soumet également les résultats de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains à une évaluation critique.

    2.1. Travaux accomplis sous la législature précédente (2004 à 2008)

    La Cellule de Coordination Interdépartementale de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains a entamé ses travaux en octobre 2004.

    Différents groupes de travail ont reçu des mandats précis:

    — groupe de travail chargé de l'examen de l'amélioration du système de protection des victimes:

    Ce groupe de travail, présidé par l'Office des étrangers, a élaboré un rapport dont certaines recommandations ont été mises en œuvre par la suite (ex: le développement de procédures standardisées pour les victimes, etc.)

    — Groupe de travail relatif à la sanction des donneurs d'ordre qui recourent à des intermédiaires qui se livrent à la traite des êtres humains:

    Ce groupe de travail avait pour tâche de rédiger un projet de loi instaurant une co-responsabilité civile et pénale dans le chef des donneurs d'ordre ayant recours à des intermédiaires qui se livrent à la traite. L'objectif premier est de dissuader les donneurs d'ordre d'avoir recours à de tels intermédiaires et de les rendre plus vigilants dans leurs relations contractuelles. Ce groupe de travail a élaboré un texte de projet de loi qui n'a pas été discuté sous la précédente législature.

    Le ministre a réactivé ce dossier, lequel est actuellement géré en collaboration avec les cabinets des ministres Devlies et Milquet. La première mouture du texte n'a pas rencontré le consensus souhaité, notamment auprès des représentants des entreprises. Une nouvelle version du texte est en cours de finalisation.

    — Groupe de travail relatif à l'agrément et la reconnaissance des centres d'accueil des victimes de la traite:

    Ce projet avait pour objectif d'apporter plus d'objectivité dans la désignation des centres, d'envisager la possibilité de reconnaissance à d'autres candidats, par exemple, les centres d'accueil pour victimes mineures de traite et d'améliorer le financement des centres en organisant, par exemple, un système de convention entre l'État fédéral et les centres en vue de garantir leur financement sur de plus longues périodes. Sous l'ancienne législature, le premier projet de texte, relatif à l'agrément et à la reconnaissance, a été finalisé.

    Pour la question du financement, le travail a été quelque peu ralenti par le fait que de nombreux départements devaient être impliqués, ce qui alourdissait le processus. À ce niveau donc, aucun texte n'a encore été finalisé.

    — Groupe de travail relatif à la question des interprètes dans le cadre des opérations de contrôles et de la procédure judiciaire entamée suite à des faits de traite:

    Étant donné l'importance des interprètes dans le cadre de la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, la Cellule interdépartementale a créé un groupe de travail ad hoc pour la question du recours aux interprètes dans le cadre de la procédure d'enquête. Ce groupe ne s'est pas réuni au cours de la dernière législature.

    2.2. Travaux accomplis sous la présente législature (2008 à présent)

    2.2.1. L'adoption du Plan d'action en matière de lutte contre la traite des êtres humains en Belgique (pour la période 2008-2011)

    Le plan d'action constitue un élément important dans la politique belge de lutte contre la traite des êtres humains. Préparé par la cellule interdépartementale, le Plan d'action a été approuvé par le Conseil des ministres le 11 juillet 2008.

    Ce plan détermine les initiatives prises et à prendre (jusqu'en 2011) en la matière et articule la lutte contre la traite des êtres humains, dans une approche intégrée et coordonnée, autours des quatre « P »: — Prévention, Poursuites des trafiquants, Protection des victimes et Partenariats avec des organisations également confrontées à des formes de traite des êtres humains.

    2.2.2. L'adoption de la circulaire ministérielle du 28 septembre 2008 relative à la mise en œuvre d'une coopération multidisciplinaire concernant les victimes de la traite des êtres humains et de certaines formes graves de trafic

    Parmi les différentes réalisations de la Cellule interdépartementale, l'adoption de la circulaire ministérielle du 28 septembre 2008 constitue un pas important vers une politique belge plus respectueuse des victimes dans le cadre de la lutte contre la traite et tenant notamment compte des victimes mineurs d'âge et du personnel domestique dans le milieu diplomatique.

    L'objectif de la circulaire ministérielle relative à la coopération multidisciplinaire en ce qui concerne les victimes de la traite (ainsi que les victimes de certaines formes graves de trafic) est de déterminer la manière dont les victimes potentielles de TEH (et aussi de certaines formes graves de trafic) sont détectées, orientées, accueillies et accompagnées. De même, les modalités qui doivent être appliquées en vue de l'octroi éventuel du statut de « victime de la traite » ont été déterminées.

    Afin d'organiser les opérations de manière efficace, la circulaire s'est également concentrée sur l'organisation d'une approche multidisciplinaire vis-à-vis des victimes de la traite. Cette approche implique que le rôle de chaque acteur susceptible d'intervenir dans la lutte contre la traite soit défini. L'enjeu est de mettre au point une coopération multidisciplinaire entre les différents acteurs en ce qui concerne les victimes de la traite.

    2.2.3. Suivi des groupes de travail ad hoc mis sur pied lors de la précédente législature

    Les différents groupes de travail ad hoc ont, bien entendu, continué leurs activités dans leur domaine respectif. Les différentes initiatives sont d'ailleurs reprises dans le Plan d'action de lutte contre la traite des êtres humains en Belgique et certaines des problématiques abordées dans ces groupes de travail ont ensuite été discutées lors de la dernière réunion de la Cellule, le 3 juillet 2009.

    Les travaux du groupe « donneurs d'ordre » sont encore en cours.

    Enfin, le Plan d'action relance le dossier « interprètes ». Son examen est actuellement présidé par le Collège des procureurs généraux, en concertation avec le Service de la politique criminelle.

    La Cellule Interdépartementale a également constitué un groupe chargé de mettre en œuvre différentes initiatives en matière de prévention de la traite.

    — Un flyer à destination de certaines ambassades belges a ainsi été élaboré et distribué dans des « ambassades tests ». Ce flyer est un document à remettre aux personnes qui s'adressent aux ambassades dans le cadre d'une demande de visa de travail. Il rappelle que, pour pouvoir venir travailler en Belgique, il faut que l'employeur respecte certaines conditions à l'égard de son employé et que si ce n'est pas le cas, cela cache peut-être une situation d'exploitation. Le document reprend ainsi différents interlocuteurs (sites internet) susceptibles d'être contactés.

    — Enfin, ce groupe se penche actuellement sur le développement d'initiatives de sensibilisation des milieux médicaux. Il s'agit en effet d'un secteur professionnel qui peut, le cas échéant, être confronté à une victime et un premier conseil peut jouer un rôle déterminant.

    3. CIATTEH — IAMM (centre d'information et d'analyse du trafic et de la traite des êtres humains/ Informatie en Analysecentrum Mensenhandel en Mensensmokkel)

    L'arrêté royal du 16 mai 2004 relatif à la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains (Moniteur belge du 28 mai 2004) a donné lieu à la création du Centre d'information et d'analyse en matière de trafic et de traite des êtres humains (CIATTEH). L'article 13 de cet arrêté royal confie à des analystes stratégiques, mis à disposition par les différents partenaires auprès du CIATTEH, la mission d'effectuer des analyses stratégiques sur la base des données anonymes provenant des partenaires.

    Au cours de sa réunion du 27 janvier 2005, la Cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains a approuvé un mandat visant à réaliser une analyse stratégique relative à l'exploitation économique dans le cadre de la traite des êtres humains. Ce mandat était intitulé: Image de l'exploitation économique dans le cadre de la traite des êtres humains dans les secteurs mentionnés dans le protocole de coopération, excepté pour le secteur de la prostitution, et ce en Belgique pour la période 2002-2004 (1) .

    Le mandat précisait, conformément à l'arrêté royal du 16 mai 2004, que les analystes devaient se baser sur des données anonymes pour effectuer l'analyse.

    En raison de cette restriction, deux types de données définis par la loi ont été exclus des sources potentielles: les données à caractère personnel et les données codées. Les données à caractère personnel sont des données qui concernent une personne physique identifiée ou identifiable. Les données à caractère personnel codées sont des données à caractère personnel qui ne peuvent être mises en relation avec une personne identifiée ou identifiable qu'au moyen d'un code (2) .

    Compte tenu des problèmes rencontrés, le Comité de gestion du CIATTEH est arrivé à la conclusion qu'il était impossible, sur la base de l'arrêté royal existant, de procéder à une collecte de données correcte, d'effectuer une analyse stratégique ou de proposer un quelconque aperçu de la situation.

    Les problèmes rencontrés ont été détaillés dans une note du 23 mars 2006 et présentés par la présidente du Comité de gestion du CIATTEH au cours de la réunion de la Cellule interdépartementale du 30 mars 2006. Le Comité de gestion a évoqué les solutions envisageables suivantes:

    — le seul moyen d'atteindre les objectifs consiste à autoriser légalement le CIATTEH à utiliser des données à caractère personnel au lieu de données anonymes;

    — pour que le CIATTEH puisse remplir ses missions de manière optimale, il est nécessaire de prévoir un budget permettant de disposer des moyens nécessaires en matériel et en personnel.

    Dans le cadre du plan d'action de lutte contre la traite des êtres humains, le Conseil des ministres du 11 juillet 2008 a formulé et approuvé plusieurs propositions concernant le CIATTEH.

    Ces propositions sont actuellement mises au point par la cellule stratégique du CIATTEH.

    4. La Circulaire du ministre de la Justice en matière de recherche et poursuites des faits de traite des êtres humains (Col 01/2007).

    Cette nouvelle directive du 1er février 2007 a actualisé les recherches et les poursuites des faits de traite des êtres humains pour les rendre conformes aux nouvelles dispositions de la loi du 10 août 2005 (essentiellement au niveau de son champ d'application).

    Cette directive ministérielle a pour objectif d'élaborer une politique criminelle uniforme coordonnée et cohérente relative aux recherches et poursuites en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Cela signifie qu'elle ne se limite pas aux formes « traditionnelles » d'exploitation comme la prostitution et l'exploitation économique. D'autres formes, apparues plus récemment, comme l'adoption illégale, le mariage blanc, la mendicité forcée, le trafic d'organes, ... entrent dans le cadre de cette directive. La circulaire fait l'objet d'une évaluation annuelle par le Service de la Politique criminelle.

    5. Suivi sur le plan International

    Le gouvernement assure également un suivi actif de la politique de lutte contre la TEH sur le plan international.

    Le Service de la Politique criminelle a ainsi participé systématiquement à de nombreux travaux et conférences dont notamment UNDOC (Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime) relative à la Convention de Palerme (Criminalité organisée) et ses protocoles (dont les protocoles traite et trafic).

    Un suivi assidu des initiatives européennes est également assuré. Le Bureau de la Cellule Interdépartementale a ainsi invité l'expert « TEH » de la Commission européenne à le rencontrer de manière à établir un réseau de contacts efficaces.

    Enfin, la Belgique assure une présence effective et efficace dans toutes les négociations de texte ayant pour cadre l'Union européenne.

    Une brochure en anglais présentant le modèle belge a également été préparée par le Bureau de la Cellule Interdépartementale. Ce document a été distribué au cours de différentes conférences internationales.

    6. Conclusion

    Ce qui caractérise la politique en matière de lutte contre la traite des êtres humains en Belgique est l'approche multidisciplinaire. La modèle Belge est considéré comme un exemple à suivre en Europe.

    L'accent a été mis essentiellement ces dernières années sur les aspects liés à la répression des auteurs ou à la protection des victimes. Des efforts sont actuellement en cours en ce qui concerne d'autres aspects, comme la prévention.


    2. Exposé de M. Visart de Bocarmé, procureur général près la Cour d'Appel de Liège

    Le trafic et la traite des êtres humains sont en continuelle expansion; il s'agit de phénomènes dont la forme est évolutive et qu'on tente de juguler au quotidien.

    Le développement de ces phénomènes criminels justifie le caractère prioritaire donné par le gouvernement à la lutte contre la traite et le trafic.

    On sait que la Belgique fut un des premiers pays de l'Union à développer une approche intégrale et intégrée de la traite des êtres humains.

    Notre législation reste un modèle et le rôle pionnier de la Belgique sur le plan international dans l'approche de la traite des êtres humains n'est plus à démontrer. La création de cette sous-commission en apporte encore une preuve supplémentaire.

    Si le législateur belge a dernièrement pris des initiatives essentielles en matière de traite et de trafic des êtres humains, force est de constater que le ministère public a emboîté le pas.

    L'intervenant n'exposera pas le cadre législatif de la matière mais évoquera ci-après le rôle du ministère public dans la lutte contre la traite des êtres humains.

    En sus d'exercer l'action publique, le ministère public joue un rôle essentiel dans le cadre de l'élaboration de la politique criminelle. L'intervenant entend préciser les différentes missions incombant au ministère public dans son rôle de mise en œuvre de la politique criminelle.

    1. Fin 2001, le ministre de la justice et Collège des procureurs généraux donnèrent leur approbation à la création des « réseaux d'expertise ».

    Les réseaux d'expertise voyaient ainsi le jour, pour certaines matières de politique criminelle jugées prioritaires. Plusieurs réseaux d'expertise furent ainsi créés et répartis entre les parquets généraux dans le cadre de ce qu'on a appelé la répartition des portefeuilles au sein du Collège des procureurs généraux.

    Chaque réseau est donc géré par un Procureur général en exécution des missions définies dans l'Arrêté Royal du 6 mai 1997 qui définit les tâches spécifiques des membres du Collège des procureurs généraux.

    L'objectif commun des réseaux d'expertise vise à apporter, entre autre par l'élaboration de projets concrets, au profit de tous les magistrats du ministère Public et en particulier au profit du Collège des procureurs généraux, un appui à l'élaboration et au soutien de la politique criminelle dans les domaines choisis, dans un souci permanent du bon fonctionnement du ministère public.

    Selon l'article 4, alinéa 4, de la loi du 12 avril 2004 portant intégration verticale du ministère public, le réseau d'expertise veille, sous l'autorité du Collège des procureurs généraux et sous la direction et la surveillance du procureur général désigné spécialement en cette matière, « à promouvoir la circulation de l'information et de la documentation entre les membres du ministère public »; les réseaux d'expertise « peuvent en outre être chargés par le Collège de toute mission d'appui en vue de l'exercice des compétences de celui-ci ».

    Les activités des réseaux d'expertise s'inscrivent donc dans la mise en œuvre d'une politique criminelle générale, cohérente et coordonnée par le ministre de la Justice et le Collège des procureurs généraux.

    Quant au réseau traite et trafic des êtres humains, voici bientôt 10 ans que ce réseau fonctionne avec à son actif bon nombre de réalisations menées à bien et de nombreux projets en cours.

    Le réseau TEH peut se targuer d'apporter une plus-value considérable à l'ensemble des acteurs actifs dans le domaine de la traite des êtres humains. Voici son fonctionnement ainsi que ses principales réalisations.

    a) Le réseau d'expertise « traite et trafic d'êtres humain » est composé des magistrats de référence des parquets généraux, des auditorats généraux du travail, des parquets de première instance, des auditorats du travail, du parquet fédéral, d'un représentant du Service de la politique criminelle, d'un coordinateur des analystes statistiques et d'un représentant de la direction générale de la législation et des libertés et droits fondamentaux. D'autres services actifs en matière de traite des êtres humains pourront être associés à l'activité du réseau (Centres d'accueil des victimes de la traite, Centre pour l'Égalité des chances, cellule TEH de la police fédérale, Office des étrangers, etc.).

    Le réseau d'expertise tient annuellement une réunion plénière au cours de laquelle sont abordées des questions problématiques dans l'action du ministère public en matière de TEH; sont également communiqués les résultats de l'évaluation qualitative de la directive relative aux recherches et poursuites en matière de traite et portant sur l'exercice précédent tels qu'analysés par le Service de la politique criminelle.

    C'est le 30 octobre 2009 que s'est tenue cette réunion plénière qui se voulait principalement axée sur un échange d'expériences de terrain portant sur diverses problématiques spécifiques.

    On note toutefois de réelles difficultés récurrentes liées à l'organisation de ces réunions eu égard au manque crucial de moyens budgétaires.

    b) Le réseau d'expertise est assisté par une équipe de coordination chargé de la gestion journalière et de la coordination des activités du réseau.

    La composition de cette équipe est, quant à elle, réduite aux représentants des parquets généraux, auditorats généraux ainsi que d'un représentant du Service de la politique criminelle. C'est parmi les membres du Team de coordination que le coordinateur principal du réseau est désigné, en l'occurrence M. Frédéric Kurz, avocat général près la Cour du travail de Liège.

    Le team de coordination du réseau d'expertise se réunit plusieurs fois par an afin d'évoquer des problématiques précises à la demande des magistrats de terrain et tente d'apporter un avis éclairé sur les questions abordées. Il promeut et/ou participe à plusieurs groupes de travail, tels que:

    I. un groupe de travail consacré aux mariages de complaisance et mariages forcés: un manuel et une circulaire ont été rédigés; l'objectif des ces documents de travail est d'aider les différents intervenants dans cette matière complexe (notamment les officiers d'état civil) et de détecter les projets de mariage de complaisance;

    II. un groupe de travail chargé d'élaborer un projet de loi sur la possibilité de sanctionner les donneurs d'ordre qui recourent à des intermédiaires pratiquant la traite des êtres humains; il s'agit de lutter contre ceux qui tirent profit de l'exploitation d'autrui.

    Il arrive en effet qu'un entrepreneur ou un sous-traitant soit condamné du chef de traite des êtres humains avec finalité d'exploitation économique alors même que le donneur d'ordre ou l'entrepreneur principal ne pouvait ignorer que les conditions de travail des travailleurs étaient contraires à la dignité humaine, voir même favoriseraient l'émergence de telles pratiques. Cette préoccupation, essentielle, rejoint d'ailleurs des travaux en cours au sein du Conseil de l'Union européenne.

    Cette problématique est importante car les travaux du groupe de travail évoqués ci-avant seront vraisemblablement débattus au sein de cette même assemblée et il appartiendra à la commission d'y réserver la plus haute attention.

    III. un groupe de travail œuvrant à la problématique des saisies et confiscations partielles dans le cadre des dossiers marchands de sommeil, dans lesquels des difficultés d'exécution des décisions judiciaires se posent régulièrement; ce groupe de travail se compose de représentants de l'OCSC, d'un receveur communal, de représentants du SPF Finances, d'un représentant du notariat ainsi que des magistrats de terrain.

    Les différentes réunions ont dans un premier temps permis d'épingler les différents problèmes rencontrés sur le terrain.

    La seconde étape consiste à rédiger un document reprenant les bonnes pratiques ainsi que les modifications législatives suggérées par les participants.

    IV. un groupe de travail chargé d'examiner le statut des interprètes dans le cadre des opérations de contrôles et de la procédure judiciaire entamée suite à des faits de traite (qui devrait prochainement entamer ses travaux).

    V. un espace internet, intégré au site d'Omptranet, a également vu le jour. Cet espace est régulièrement alimenté par divers documents (jurisprudence, agenda, doctrine, ...) susceptibles d'informer les magistrats de terrain. Ce site est en continuelle expansion. En plus de présenter une compilation d'informations pertinentes en la matière, il a vocation de permettre aux magistrats du ministère public d'échanger de manière rapide, spontanée et efficace.

    L'objectif est de fournir à tous les usagers potentiels un instrument clair, pratique et exhaustif.

    Le projet mérite d'être poursuivi afin d'optimaliser le fonctionnement de l'outil susceptible d'apporter une plus-value considérable pour chaque usager. Un accès au site d'Omptranet a également été octroyé à un représentant du ministère de la Justice — DG Législation qui se voit chargé également de suivre les travaux du team de coordination.

    En ce qui concerne les activités proprement dites du réseau d'expertise, on peut conclure que le bilan des travaux menés au sein du réseau d'expertise traite et trafic est plus que satisfaisant, et ce notamment grâce à la motivation de chacun des intervenants qui contribuent activement aux travaux développés au sein du réseau afin de cerner et de combattre le phénomène.

    2. Outre l'arsenal législatif performant dont nous disposons, le ministère public s'est aussi doté, toujours dans le cadre des travaux du réseau d'expertise, de véritables outils spécifiques en matière de politique criminelle.

    — La politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains est déterminée dans une circulaire du Collège des procureurs généraux (COL 1/2007); cette circulaire détermine notamment le rôle des magistrats de liaison, les priorités en matière de recherches et poursuites, les méthodes destinées à disposer d'une image du phénomène, l'importance de la prise en considération des intérêts des victimes, et définit le mode d'évaluation de l'activité du ministère public dans ce domaine.

    On relèvera encore que les annexes de cette circulaire contiennent une note relative à la notion de mise au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine, une liste d'environ 70 indicateurs permettant de supposer des faits de TEH, les critères d'évaluation de l'action du ministère public sur les plans qualitatif et quantitatif, un modèle de rapport de contrôle à utiliser par les services de police et une liste des codes de prévention et qualifications propres à la matière.

    — Un groupe de travail a élaboré une circulaire relative à la mise en œuvre d'une coopération multidisciplinaire concernant les victimes de la traite des êtres humains et/ou de certaines formes aggravées de trafic des êtres humains.

    Il s'agissait d'organiser la collaboration entre les différents prestataires afin de mettre en œuvre le statut protecteur de la victime aux différentes étapes prévues par la loi.

    Ce groupe de travail se composait des différents services concernés (Office des étrangers, centres d'accueil, Centre pour l'égalité des chances, police fédérale, Service de la politique criminelle, y compris plusieurs magistrats du ministère public émanant du réseau d'expertise TEH).

    Dans le cadre de la diffusion de la circulaire ci-avant mentionnée, le Collège des procureurs généraux a également pris une circulaire (COL 8/2008) déterminant plus précisément le rôle du ministère public.

    — Une circulaire spécifique au trafic des êtres humains est sur le point d'être finalisée et sera prochainement diffusée à l'attention des magistrats du ministère public.

    3. Toujours dans le but d'assurer la coordination des diverses initiatives dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, une Cellule de coordination interdépartementale de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains a été créée.

    Cette Cellule réunit les acteurs de terrain ainsi que les acteurs politiques actifs dans la lutte contre la traite des êtres humains.

    Le Collège des procureurs généraux est membre de la Cellule interdépartementale de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains, ainsi que du comité de gestion du Centre d'informations et d'analyse sur la traite et le trafic des êtres humains (CIATTEH) créés par l'arrêté royal du 16 mai 2004.

    La cellule interdépartementale doit permettre une coordination efficace entre les différents départements impliqués et le CIATTEH est chargé d'assurer un flux optimal d'informations entre les différents acteurs impliqués dans la lutte contre les deux phénomènes. Des analyses stratégiques pertinentes devraient être réalisées en vue d'être communiquées aux différents partenaires et sur base de ces analyses, chaque partenaire pourrait entreprendre, selon ses propres finalités, les actions politiques, stratégiques et/ou opérationnelles qui s'imposent.

    Le fonctionnement du CIATTEH s'est cependant très rapidement heurté à des obstacles légaux, notamment le respect de la loi relative à la protection de la vie privée. L'arrêté royal précité prévoyant que l'échange d'informations entre les divers acteurs concernés ne peut porter que sur des données anonymes et non pas codées ou dépersonnalisées, il s'est rapidement avéré que, sur base de telles données, les analyses stratégiques envisagées sont impossibles à réaliser.

    Seule une modification législative paraît de nature à remédier à cet obstacle majeur s'opposant au bon fonctionnement du CIATTEH.

    On ne peut cacher qu'une difficulté dans la mise en place de ces nouvelles structures réside dans l'absence de moyens (humains et budgétaires) minima propres à assurer leur fonctionnement

    4. Le Collège des procureurs généraux est, faut-il le rappeler, partenaire du plan d'action de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains en Belgique, approuvé par le gouvernement belge en juillet 2008.

    Ce plan met à charge du Collège des procureurs généraux diverses missions qu'il lui appartient de réaliser, comme:

    VI. la réalisation d'une synthèse des données d'évaluation;

    VII. l'élaboration d'indicateurs spécifiques de traite des enfants dans le cadre d'une actualisation de la directive COL 1/2007;

    VIII. la formulation aux enquêteurs d'un feedback des procès et condamnations en matière de TEH;

    IX. la mise en place de formations spécifiques des magistrats; à cet effet, le programme d'un nouveau cycle de formation est en voie d'élaboration en collaboration avec l'institut de formation judiciaire;

    X. l'organisation d'une « conférence de presse » sur les enquêtes et condamnations en matière de traite des êtres humains, ce en concertation avec les instances disposant de données exploitables.

    C'est le 16 octobre 2009, sous l'égide du Collège des procureurs généraux, qu'à été organisée pour la première fois ce point presse.

    L'objectif est de donner de façon récurrente et, en plus des communications ponctuelles sur des dossiers, une publicité aux enquêtes, poursuites et condamnations en matière de traite des êtres humains.

    De plus, toujours dans le but de sensibiliser le public, cette communication a eu lieu le même jour que l'« Antitrafficking day », organisé annuellement depuis 2007 par la Commission européenne.

    L'objectif de ces deux événements était d'attirer l'attention sur la multidisciplinarité que présente le phénomène de la traite des êtres humains.

    Ces deux événements se sont soldés par un franc succès qui ne peut qu'encourager les organisateurs pour l'année 2010.

    5. Outre ces activités et afin d'accentuer le volet prévention, le Collège des procureurs généraux participe, par le truchement du coordinateur principal du réseau d'expertise:

    XI. aux initiatives organisées par d'autres intervenants, tels que le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, la Fondation Samilia, la Fondation Roi Baudouin,

    XII. aux travaux des institutions supranationales dans le domaine de la TEH: ONU (UNGift), Union européenne (groupe d'experts), Conseil de l'Europe (exposés), OSCE (exposés, séminaires), EuroJust, BIT (séminaires).

    Comme cela apparaît de ce qui précède, la traite et le trafic des êtres humains constituent des phénomènes criminels contre lesquels luttent tous les intervenants, qui agissent côte à côte, dans les secteurs de la prévention, de la protection et de la répression.

    Il importe de maintenir une collaboration bien comprise entre ces instances qui poursuivent une finalité identique au-delà de leurs missions respectives.

    On ne se rend pas toujours compte à quel point l'arsenal de lutte contre la traite et le trafic mis en place en Belgique est envié à l'étranger. L'importance du phénomène criminel justifie qu'il soit maintenu comme prioritaire par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

    En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, l'intervenant insiste sur le fait que c'est avec force, conviction et persévérance que nous continuerons à traquer toute forme d'exploitation de l'être humain.


    3. Exposé de M. Johan Delmulle, procureur fédéral

    La traite organisée des êtres humains et le trafic des êtres humains figurent dans la liste des infractions énumérées à l'article 144ter du Code judiciaire. Le parquet fédéral est compétent pour exercer l'action publique pour les infractions mentionnées sur cette liste, si une bonne administration de la justice l'exige.

    Le principe de base est que la compétence du procureur fédéral pour exercer l'action publique est subsidiaire par rapport à la compétence des parquets de première instance. Le procureur fédéral ne peut exercer l'action publique que si cela représente une plus-value du point de vue de la bonne administration de la justice.

    On peut considérer par exemple qu'il y a une plus-value lorsque le parquet fédéral possède une expertise particulière qui n'est pas disponible au niveau local dans une mesure équivalente. Toutefois, dans le domaine de la traite et du trafic des êtres humains, pareille expertise est aussi largement présente dans les parquets locaux. C'est le cas, par exemple, pour les parquets de Bruges, de Bruxelles, d'Anvers, de Liège, etc. D'ailleurs, dans tous les parquets locaux, des magistrats de référence ont été désignés pour s'occuper des dossiers liés aux faits de traite et de trafic des êtres humains.

    C'est pourquoi le parquet fédéral mène lui-même un certain nombre d'enquêtes mais s'emploie aussi à accomplir ses missions légales de coordination et à faciliter la collaboration internationale dans le domaine du trafic et de la traite des êtres humains.

    Ainsi, dans le cadre de la collaboration internationale, des contacts ont été pris avec la Bulgarie et le parquet fédéral a transmis aux autorités bulgares un dossier pénal relatif à une organisation criminelle qui se livrait à la traite des êtres humains à des fins de prostitution. Les activités déployées par cette organisation en Belgique et en Europe occidentale étaient en effet dirigées depuis la Bulgarie. L'objectif était de faire en sorte que ce pays procède au démantèlement des structures sous-jacentes de cette organisation, ce qui a d'ailleurs été fait, avec succès, à la fin de l'année dernière et a conduit à l'arrestation de plusieurs de ses dirigeants et à la saisie de divers biens mobiliers et immobiliers.

    Le dossier Mandev a vu le jour après que la PJF de Bruxelles eut observé un accroissement sensible du nombre de prostituées et de proxénètes bulgares dans le milieu bruxellois de la prostitution. On constata de surcroît que tous — les prostituées comme leurs proxénètes — étaient originaires de Sliven, une ville de Bulgarie. Divers dossiers en cours firent apparaître que le milieu bruxellois de la prostitution était dirigé depuis la Bulgarie.

    Le parquet fédéral demanda l'ouverture d'un dossier regroupant toutes les informations disponibles sur l'organisation établie à Sliven en Bulgarie, qu'il s'agisse d'informations provenant d'autres dossiers judiciaires ou d'informations collectées par les services de police (numéros de téléphone, noms, lieux, etc.). Tant les proxénètes condamnés que les prostituées furent interrogés de manière spécifique dans le cadre du volet bulgare du dossier. Certains déposèrent sous leur vrai nom alors que d'autres le firent sous couvert de l'anonymat. On put alors reconstituer en grande partie l'« organigramme » de l'organisation bulgare.

    Deux possibilités se présentaient alors: soit poursuivre nous-mêmes les membres de l'organisation et les faire condamner par défaut en espérant que l'un d'entre eux puisse tôt ou tard être arrêté à l'étranger, soit révéler les faits à la Bulgarie. Nous avons choisi la deuxième solution en pensant qu'elle mettrait les Bulgares devant leurs responsabilités, qu'elle les obligerait à s'attaquer eux-mêmes au problème et qu'elle représenterait un signal bien plus percutant adressé au milieu.

    Le parquet fédéral a (personnellement) révélé les faits à la plus haute instance judiciaire de Bulgarie. Bien que l'on ait pu douter au départ de la bonne volonté des autorités bulgares, il s'est finalement avéré que celles-ci s'étaient non seulement basées sur le dossier belge, mais aussi qu'elles avaient elles-mêmes ouvert un dossier, dans le cadre duquel elles ont envoyé en Belgique une vaste commission rogatoire visant principalement à recueillir des déclarations.

    Au mois d'octobre 2009, les autorités bulgares sont intervenues au sein de l'organisation en Bulgarie, ont arrêté ses principaux membres et ont saisi de nombreux biens mobiliers et immobiliers. Cette affaire a fait grand bruit en Bulgarie et a eu des répercussions dans tout le milieu de la prostitution en Europe occidentale, l'organisation étant également active aux Pays-Bas, en France et en Allemagne.

    Le parquet fédéral participe aussi régulièrement à des réunions d'Eurojust, en appui aux parquets locaux.

    En résumé, la politique du parquet fédéral consiste à lutter contre la traite et le trafic organisés des êtres humains, dans le cadre d'un effort commun et en parfaite synergie avec les parquets locaux. Si le parquet fédéral adoptait une approche isolée du phénomène, les chances de réussite seraient minces et cela impliquerait, par ailleurs, d'étendre considérablement son cadre organique et/ou d'abandonner d'autres priorités stratégiques.

    En ce qui concerne ses propres enquêtes pénales, le parquet fédéral présente les chiffres suivants dans son rapport annuel 2007-2008:

    Code Aantal dossiers

    Nombre de dossiers
    Omschrijving — Description Detail

    Détail
    2008 2007 2006 2005 2008 2007
    37 91 54 38 93 37A verkrachting. — 37A viol
    37B aanranding van de eerbaarheid. — 37B attentat à la pudeur
    37E aanzetten tot ontucht. — 37E incitation à la débauche
    37F ontucht van minderjarigen. — 37F débauche de mineurs
    37H prostitutie. — 37H prostitution
    37J schunnige films, prenten, voorwerpen of boeken. — 37J films, images, objets ou livres obscènes
    37K pedofilie. — 37K pédophilie
    37L mensenhandel. — 37L traite des êtres humains
    37N kinderpornografie. — 37N pédopornographie
    37O publiciteit in verband met prostitutie en ontucht. — 37O publicité relative à la prostitution et à la débauche
    37P incest. — 37P inceste
    3
    4
    9
    10
    1
    1
    5
    3
    52
    2
    1
    2
    0
    2
    0
    0
    0
    4
    1
    45
    0
    0
    55 10 25 11 38 55A wet op de vreemdelingen. — 55A loi relative aux étrangers
    55B onwettig verblijf. — 55B séjour illégal
    55C huisjesmelkerij. — 55C pratiques de marchands de sommeil
    55D mensenhandel - uitbuiting door arbeid. — 55D traite des êtres humains - exploitation par le travail
    55F mensenhandel - het opleggen inbreuken te plegen. — 55F traite des êtres humains - contrainte à commettre des délits
    55G mensensmokkel (art.77bis (r) art.77 quinquies wet van 15 december 1980). — 55G trafic des êtres humains (art. 77bis (r) art. 77quinquies de la loi du 15 décembre 1980)
    55H schijnhuwelijk. — 55H mariage de complaisance
    1
    2
    1
    1
    1
    4

    0
    11
    3
    1
    2
    0
    5

    3

    Il convient de souligner que ce sont toutes des enquêtes complexes et à grande échelle présentant un caractère fortement national et international, lors desquelles étaient visés la traite et le trafic organisés des êtres humains.

    Jugements et arrêts en 2007

    Répartition des jugements entre les matières les plus importantes
    Traite des êtres humains 4

    Jugements et arrêts en 2008

    Répartition des jugements entre les matières les plus importantes
    Traite et trafic des êtres humains 5


    4. Exposé de M. Frédéric Kurz, avocat général et coordinateur principal du Reseau d'expertise Traite des êtres humains

    1. Rappel des dispositions légales

    Suivant l'article 433quinquies du Code pénal, l'infraction de traite des êtres humains vise le fait de « recruter, de transporter, de transférer, d'héberger, d'accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle, afin:

    1º) de permettre la commission contre cette personne des infractions prévues aux articles 379, 380, § 1er et § 4, et 383bis, § 1er;

    2º) de permettre la commission contre cette personne de l'infraction prévue à l'article 433ter;

    3º) de mettre au travail ou de permettre la mise au travail de cette personne dans des conditions contraires à la dignité humaine;

    4º) de prélever sur cette personne ou de permettre le prélèvement sur celle-ci d'organes ou de tissus en violation de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes;

    5º) ou de faire commettre à cette personne un crime ou un délit, contre son gré ».

    Il existe trois niveaux de circonstances aggravantes (articles 433sexies à 433octies du Code pénal):

    — premier niveau: lorsque l'infraction a été commise

    * par une personne qui a autorité sur la victime ou par une personne qui a abusé de l'autorité ou des facilités que lui confèrent ses fonctions,

    * par un officier ou un fonctionnaire public, un dépositaire ou un agent de la force publique agissant à l'occasion de l'exercice de ses fonctions,

    — deuxième niveau:

    * lorsque l'infraction a été commise envers un mineur,

    * lorsqu'elle a été commise en abusant de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve une personne, en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, de sa situation sociale précaire, d'un état de grossesse, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale, de manière telle que la personne n'a en fait pas d'autre choix véritable et acceptable que de se soumettre à cet abus,

    * lorsqu'elle a été commise en faisant usage, de façon directe ou indirecte, de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d'une forme quelconque de contrainte,

    * lorsque la vie de la victime a été mise en danger délibérément ou par négligence grave,

    * lorsque l'infraction a causé une maladie paraissant incurable, une incapacité permanente physique ou psychique, la perte complète d'un organe ou de l'usage d'un organe, ou une mutilation grave,

    * lorsque l'activité concernée constitue une activité habituelle,

    * lorsqu'elle constitue un acte de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association, et ce, que le coupable ait ou non la qualité de dirigeant;

    — troisième niveau:

    * lorsque l'infraction a causé la mort de la victime sans intention de la donner,

    * lorsqu'elle constitue un acte de participation à l'activité principale ou accessoire d'une organisation criminelle, et ce, que le coupable ait ou non la qualité de dirigeant.

    L'infraction de traite des êtres humains est punie d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 500 à 50 000 euros. La tentative est punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de 100 à 10 000 euros. En cas de circonstances aggravantes, les peines sont portées:

    — au premier niveau, à la réclusion de 5 à 10 ans et à une amende de 750 à 75 000 euros;

    — au deuxième niveau, à la réclusion de 10 à 15 ans et à une amende de 1 000 à 100 000 euros;

    — au troisième niveau, à la réclusion de de 15 à 20 ans et à une amende de 1 000 à 150 000 euros.

    2. Spécificités de la loi belge

    2.1. La diversité des infractions

    — L'infraction de traite des êtres humains a été insérée dans le Code pénal (article 433quinquies) alors qu'elle se fondait précédemment sur l'article 77bis de la loi du 15 décembre 1980 relative aux étrangers; les faits de traite ne sont donc plus limités aux seules victimes étrangères;

    — Le trafic d'êtres humains est dorénavant visé spécifiquement et exclusivement dans l'article 77bis de la loi du 15 décembre 1980 tel que modifié;

    — L'aide à l'immigration illégale reste réprimée par l'article 77 de la loi du 15 décembre 1980;

    — L'exploitation de la mendicité est réprimée dans une infraction particulière, l'article 433ter du Code pénal;

    — La pratique des marchands de sommeil consistant à abuser de la vulnérabilité d'autrui en vendant, louant ou mettant à la disposition des biens meubles ou immeubles en vue de réaliser un profit anormal est punissable sur base des articles 433decies et suivants du Code pénal; cette infraction n'est pas comprise dans l'infraction de traite des êtres humains.

    2.2. Extensions par rapport au droit international

    Sur différents plans, le législateur belge a étendu la définition de la traite des êtres humains et les possibilités de poursuite d'auteurs de l'infraction:

    — le Protocole des Nations-unies (3) , la Convention du Conseil de l'Europe (4) , la décision-cadre de l'Union européenne (5) définissent l'infraction de traite des êtres humains au travers de trois éléments constitutifs: une action, un moyen, une finalité, à l'exception du cas où la victime est âgée de moins de 18 ans; dans cette dernière situation, la traite existe même si aucun des moyens énoncés n'a été utilisé; en droit belge, quel que soit l'âge de la victime, le moyen n'est pas un élément constitutif de l'infraction, mais une circonstance aggravante (6) ;

    — les instruments internationaux précités stipulent que le consentement d'une victime de la traite des personnes à l'exploitation envisagée est indifférent lorsque l'un quelconque des moyens énoncés a été utilisé, cette hypothèse ne s'appliquant pas aux victimes âgées de moins de 18 ans (pour elles, le moyen utilisé est indifférent); en droit belge, le consentement est en tout état de cause indifférent;

    — il résulte des instruments juridiques internationaux qu'ils visent l'exploitation économique comme étant au minimum le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage et la servitude (7) ; selon la loi belge, l'exploitation économique consiste à mettre ou à permettre la mise au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine; les annexes 1 et 2 de la COL 1/2007 tendent à éclairer la notion de « conditions de travail contraires à la dignité humaine »;

    — dans l'énonciation des moyens, la loi belge précise que la vulnérabilité de la victime, dont l'auteur abuse, est celle qui provient de la situation administrative illégale ou précaire, de la situation sociale précaire — outre d'un état de grossesse, d'une infirmité ou d'une déficience physique.

    2.3. Quelles perspectives au plan législatif ?

    1. À propos de la finalité d'exploitation sexuelle

    1.1. Une difficulté découle du terme « permettre » utilisé par l'article 433quinquies, 1º, du Code pénal qui énonce: « Constitue l'infraction de traite des êtres humains le fait de recruter, de transporter, de transférer, d'héberger, d'accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle afin: 1º de permettre la commission contre cette personne des infractions prévues aux articles 379, 380, § 1 à 4, et 383bis, § 1 ».

    Suivant les travaux parlementaires de la loi du 10 août 2005: « Par l'expression « permettre la commission des infractions », le projet ne vise pas en tant que tel celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même autrui. Ce comportement est incriminé à l'article 380 du Code pénal. Une distinction doit être cependant établie entre la personne qui exploite autrui en dehors de la traite des êtres humains, et l'exploitant qui se situe au bout de la filière et a ainsi participé à la traite. Ce dernier pourra être poursuivi comme coauteur de l'infraction de traite des êtres humains sur base de l'article 433quinquies » (8) .

    L'infraction de traite en vue de l'exploitation sexuelle visée par l'article 433quinquies, 1º, nécessiterait dès lors pour être constituée que l'exploitant soit le dernier maillon d'une filière. Celui qui recrute et exploite lui-même la sexualité ou la prostitution d'autrui, en dehors donc de toute filière, serait quant à lui sanctionné par l'article 380 du Code pénal; il ne pourrait pas être question de traite dans ce dernier cas.

    Le tribunal correctionnel de Liège a prononcé tout récemment une décision en ce sens (9) . Il a refusé de retenir la prévention de traite en raison de l'absence de toute filière dans le cas d'espèce: « Reste que la traite des êtres humains ne vise pas en tant que tel celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même autrui. Ce comportement est puni par l'article 380 du Code pénal. Le texte de l'article 433quinquies du Code pénal vise en réalité l'exploitant qui se situe au bout d'une filière (...). Il doit être question en quelque sorte d'une organisation, d'une association de personnes ayant pour but l'utilisation de personnes aux fins visées par la loi. Tel n'est nullement le cas en l'espèce ».

    Cette interprétation du texte légal, suivant laquelle il requiert l'existence d'une filière, pose question.

    L'enjeu de celle-ci est de déterminer quand le procureur du Roi doit citer sur base de l'article 380 ou de l'article 433quinquies du Code pénal ou encore sur base de ces deux dispositions, ce qui est capital concernant la possibilité de reconnaissance du statut protecteur de victime de la traite des êtres humains, statut qui peut conduire à l'octroi d'une autorisation de séjour illimitée en Belgique.

    Lors de la réunion annuelle du réseau d'expertise TEH, les magistrats du ministère public de Liège et d'Anvers ont observé que l'interprétation précitée de l'article 433quinquies du Code pénal n'est pas conforme au texte de cette disposition et à la ratio legis de la loi.

    Tout d'abord, le droit belge, comme indiqué ci-dessus, définit la traite par référence à une action et à une finalité. Considérer que l'infraction de traite des êtres humains requiert l'existence d'une filière reviendrait à ajouter une condition à cette incrimination. Le texte de la disposition ne vise pas la condition d'une filière.

    Ensuite, une telle interprétation aboutit à des conséquences fortement critiquables:

    — primo, des situations de traite ne sont plus considérées comme telles, avec pour conséquence que les victimes ne peuvent pas revendiquer le statut protecteur;

    — secundo, à suivre cette interprétation, les victimes belges seraient les premières ignorées ! Celles-ci ne sont en effet pas recrutées à l'étranger et ne passent donc généralement pas par une filière. Dans la plupart des cas, au contraire, elles sont recrutées et exploitées par la même personne en Belgique; or la loi du 10 août 2005 a opéré le déplacement de l'incrimination de traite de la loi du 15 décembre 1980 vers le Code pénal, précisément pour pouvoir retenir la prévention de traite lorsque la victime est un ressortissant national;

    — tertio, si l'on admet qu'il ne peut y avoir de traite que s'il y a une filière, une différence fondamentale est établie entre l'exploitation sexuelle et certaines autres formes d'exploitation. En effet, dans l'article 433quinquies, le mot « permettre » ne se retrouve que dans le 1º et le 2º, qui visent l'exploitation sexuelle et l'exploitation de la mendicité. Admettre que seule la traite en vue de ces formes d'exploitation serait conditionnée par l'existence d'une filière revient à introduire un régime distinct entre les victimes de la traite des êtres humains en fonction des formes d'exploitation qu'elles ont subi. C'est ainsi que la victime de l'exploitation économique bénéficiera du statut protecteur même en l'absence de filière constatée, contrairement à la victime de l'exploitation sexuelle ou de la mendicité (10) ; ceci pourrait conduire les parquets à viser la finalité d'exploitation économique, même lorsqu'il s'agit d'une personne amenée à travailler dans l'industrie du sexe. On ne peut exclure que la Cour constitutionnelle soit saisie par voie préjudicielle d'une question sur ce point;

    — quarto, l'existence d'une filière, dans l'interprétation donnée, implique nécessairement l'existence d'une association de malfaiteurs (11) et/ou d'une organisation criminelle (12) , qui constitue une circonstance aggravante. La traite des êtres humains avec finalité d'exploitation sexuelle serait dès lors, contrairement à cette infraction pour d'autres finalités, d'office constituée avec circonstance aggravante.

    La question posée à l'issue de ce raisonnement est donc celle de la coexistence des infractions visées aux articles 380 CP et 433quinquies CP et donc, de lege ferenda, d'une intégration du premier dans le deuxième (13) .

    1.2. L'article 2 de la proposition de loi visant à modifier l'article 433quinquies afin d'étendre la définition de la traite des êtres humains à l'exploitation sexuelle, déposée par Mme N. Lanjri et consorts le 6 janvier 2010 (14) , rencontre la préoccupation énoncée ci-dessus, en ce qu'elle vise la finalité d'exploitation sexuelle comme étant celle « d'exploiter la prostitution de cette personne ou de la soumettre à d'autres formes d'exploitation sexuelle, y compris la pornographie ».

    Les motifs de la proposition ne visent pas toutefois les observations qui précèdent; celles-ci pourraient leur être joints.

    1. À propos de la finalité d'exploitation économique

    Comme cela a été indiqué ci-dessus, le législateur belge a largement étendu la finalité d'exploitation économique en visant le fait de « mettre ou de permettre la mise au travail d'une personne dans des conditions contraires à la dignité humaine ».

    Se référant à ce concept de dignité humaine, il n'a certes pas facilité le travail des enquêteurs et des magistrats. Pour ce motif, la COL 1 /2007 contient une annexe 1 qui tend à définir cette notion et une annexe 2 qui fournit des indicateurs d'exploitation économique à usage des enquêteurs et du ministère public.

    M. Kurz ne pense pas qu'il faille une modification législative en vue de préciser la notion de conditions contraires à la dignité humaine. Il convient en effet de laisser la jurisprudence déterminer les critères dans lesquels les conditions présentent la caractéristique d'être contraires à la dignité humaine. Ces conditions sont en effet variables et visent autant les conditions de travail proprement dites (notamment au plan de la sécurité), que les conditions d'existence éventuellement prévues par l'employeur (logement, nourriture, accès aux soins) et les caractéristiques de la relation de travail (niveau de la rémunération, modalités de l'engagement, ...) et de la situation administrative des travailleurs (confiscation des documents de séjour, ...).

    C'est donc au cas par cas et avec la souplesse permettant de s'adapter à l'évolution des situations de mise au travail que les juridictions évaluent la réalité de l'exploitation économique. On peut retenir par exemple que, contrairement à ce qu'expriment les travaux préparatoires de la loi, le seul fait de payer une rémunération inférieure au barème n'est pas constitutif d'une exploitation économique au sens de l'article 433quinquies, 3º, du Code pénal.

    2. Les victimes des marchands de sommeil

    La loi du 10 août 2005 a inséré dans le livre II, titre VIII du Code pénal un chapitre IIIquater relatif à l'abus de la vulnérabilité d'autrui, en vendant, louant ou mettant à disposition des biens en vue de réaliser un profit anormal et contenant les dispositions qui incriminent le comportement des marchands de sommeil (art.433decies à 433quinquiesdecies CP).

    Ces comportements ne constituent pas de la traite des êtres humains sensu stricto.

    Il en résulte que les victimes de l'infraction ne sont pas considérées comme victimes de la traite des êtres humains et échappent au statut protecteur réservé à cette dernière par les articles 61/2 et suivants de la loi du 15 décembre 1980.

    Or, force est de constater que, de ce comportement, nombreuses sont les victimes de nationalité étrangère en situation illégale.

    Il résulte dès lors de cette situation non seulement un manque de considération à l'égard des victimes des marchands de sommeil mais également un affaiblissement des moyens de lutter contre ce phénomène, dès lors que les victimes, par peur d'une expulsion, n'ont aucun intérêt à divulguer aux autorités les faits qu'elles subissent.

    Il serait dès lors intéressant d'envisager, de lege ferenda, une reconnaissance du statut de victimes à l'issue de la procédure énoncée à l'article 61/2 de la loi du 15 décembre 1980 aux victimes des marchands de sommeil.

    3. Saisies et confiscations

    Un groupe de travail multidisciplinaire (magistrats, notaires, administration des domaines, OCSC, receveur) a passé en revue les difficultés que posent les saisies et les confiscations des biens appartenant aux marchands de sommeil et qui ont servi ou ont été destinés à la commission de l'infraction.

    Pour rappel, l'article 433terdecies du Code pénal rend obligatoire la confiscation prévue à l'article 42, 1º du Code pénal, même lorsque la propriété des choses n'appartient pas au condamné et sans préjudice des droits des tiers; cette confiscation s'applique tant aux immeubles qu'aux biens meubles, à la partie de celui-ci ou encore à la chambre.

    L'article 433quaterdecies du Code pénal autorise la saisie des mêmes biens par le procureur du Roi ou le juge d'instruction.

    Il ressort des travaux du groupe de travail que, outre des bonnes pratiques à mettre en œuvre par les différents intervenants, certaines modifications législatives sont souhaitables, notamment:

    — afin de rendre praticable la confiscation avec sursis, il conviendrait de prévoir dans un texte de loi que, en cas de saisie effectuée préalablement, celle-ci doit être maintenue dans les mains du ministère public jusqu'à expiration de la période probatoire ou jusqu'à révocation du sursis avec interdiction d'aliéner le bien;

    — pour donner une information exacte à la personne dont le bien est saisi, il convient de modifier l'article 35bis du Code d'instruction criminelle — qui énonce quelles mentions doit contenir l'exploit de l'huissier de justice instrumentant dans le cadre d'une saisie immobilière conservatoire — afin qu'il précise, à propos de la disposition de l'article 1568 du Code judiciaire, que seuls les points 1º et 2º de cette disposition doivent être mentionnés (les points 3º et 4º concernant le recours contre une saisie en matière civile);

    — l'article 433quaterdecies du Code pénal impose l'apposition de scellés sur le bien saisi, ce qui s'avère fort lourd dans la pratique; il serait donc souhaitable que l'apposition de scellés ne soit que facultative, ce que le texte ne prévoit pas en l'état actuel.

    4. Les donneurs d'ordre

    À la suite de la déclaration gouvernementale de 2003 et au rapport du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme relatif à la traite des êtres humains de 2003 (15) , un groupe de travail piloté par la Cellule interdépartementale de lutte contre la traite des êtres humains a été mis sur pied en vue d'élaborer un texte visant à instaurer un mécanisme de responsabilité solidaire entre le donneur d'ordre et l'entrepreneur. Différents textes ont déjà été discutés au sein de ce groupe de travail.

    Par ailleurs, la Directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier stipule qu'une infraction pénale doit être prévue lorsque l'infraction d'occupation d'une main d'œuvre étrangère illégale est commise par un employeur qui, tout en n'étant pas poursuivi du chef de traite des êtres humains, utilise le travail ou les services d'un ressortissant d'un pays tiers en, séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains (art. 9, 1, d).

    Cette disposition, qui comme les autres dispositions de la Directive, devra faire l'objet d'une transposition, introduit donc la distinction entre le donneur d'ordre qui utilise et tire profit d'un travail réalisé dans le cadre de la traite d'êtres humains et la personne qui est auteur de l'infraction de traite des êtres humains.

    Le groupe de travail est occupé à finaliser un texte qui prévoit des sanctions sur le plan de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale lorsque le donneur d'ordre savait ou devait savoir que des travailleurs sont occupés dans des conditions de travail contraires à la dignité humaine.

    Cette question devrait dès lors faire l'objet d'une attention particulière dans un avenir proche.


    5. Exposé de M. Freddy Gazan, Conseiller général adjoint au Service de la Politique criminelle

    Le Service de la Politique criminelle est un service autonome au sein du SPF Justice. Ses mandataires ne relèvent pas de la structure administrative du département. L'idée est de mettre à la disposition du ministre de la Justice, mais également du Collège des procureurs généraux, une structure d'aide à la décision dotée d'une liberté d'esprit lui permettant d'agir tant que faire se peut dans un cadre d'objectivation scientifique.

    Il n'est guère utile de rappeler le contenu de certaines interventions d'autant que le Service de la Politique criminelle, en tant que carrefour de l'échange d'informations y apportant la plus-value de ses propres analyses et actions, se retrouve dans plusieurs commentaires formulés jusqu'ici. L'intervenant souhaite davantage inciter à raisonner ensemble sur certains points:

    I/ D'abord la question de l'importance de la traite:

    Qu'en est-il du phénomène et quels résultats ont été enregistrés ?

    Le 20 octobre 2009, un journal anglais sérieux, « The Guardian », titrait: « L'enquête échoue à trouver un seul trafiquant ayant forcé quiconque à entrer dans la prostitution ». Ce n'était pourtant pas que les moyens faisaient défaut: des centaines de descentes avaient eu lieu, 822 établissements ou appartements du milieu des travailleurs du sexe avaient été visités par les 55 forces de police du Royaume-Uni sur une période de six mois.

    Officiellement, cette opération « Pentameter » est un succès ayant abouti à l'arrestation de 528 criminels associés à l'un des pires crimes menaçant notre société. L'enquête du Guardian démontrera cependant qu'il n'en est rien. Des 548 arrestations, 122 n'ont jamais eu lieu; 153 autres personnes avaient déjà été relâchées des semaines avant que la police n'annonce le chiffre de 548 arrestations dont 106 étaient sans charge et 47 pour des infractions mineures. Sur les 253 restantes, 73 personnes furent inculpées pour des faits liés au non-respect de règles sur l'immigration, 76 pour des infractions diverses en matière de drogue, roulage, tenue de maison de prostitution, et d'autres avaient disparu soit physiquement soit des enregistrements policiers.

    En fait 67 personnes furent accusées de traite mais seulement 22 poursuivies et 15 condamnées. Mais ces condamnations portent sur la base d'infractions proprement britanniques dont le champ d'action dépasse celui de l'infraction retenue par le protocole des Nations unies. Par exemple, transporter une personne prostituée volontaire n'est pas une infraction pour les Nations unies mais en est une en droit anglais. Finalement, seules 5 personnes furent condamnées pour avoir importé des femmes et les avoir forcées à se prostituer. Cependant, la condamnation se fit sur base d'autres enquêtes.

    Comme l'on pourrait s'y attendre, l'article suscita nombre de réactions soulignant la difficulté juridique de prouver la contrainte ou estimant que le journaliste du Guardian aurait été sous l'influence d'associations favorables à une banalisation de la prostitution comme métier. Selon certaines autres réactions, même peu nombreux, ces cas méritent néanmoins toute l'attention des autorités.

    Au même moment sortait en Belgique l'ouvrage historique « Du sordide au mythe. L'affaire de la traite des Blanches » signé par le professeur Chaumont et Christine Machiels, aspirante FNRS. Cet ouvrage déconstruit la façon dont certains courants ont élaboré ou entretenu le scandale de ce qui deviendra « les petites anglaises » importées en Belgique même si l'un ou l'autre cas avéré de traite fut finalement prouvé.

    Que retenir de tout cela ? Qu'il est impossible de distinguer la réalité du discours qu'elle engendre. La notion de traite a, dans l'opinion publique, une résonance mêlant des sentiments nobles et moins nobles si bien qu'il appartient à chacun de s'accorder sur son contenu et la finalité de son usage.

    Une autre question concerne les résultats: il s'agit de savoir si les actions menées depuis tant d'années ont une quelconque efficacité. Cette question ne date pas d'hier. En effet, il ressort de l'ouvrage précité qu'au temps de la traite des petites anglaises, certaines associations moralistes justifiaient le faible taux de cas de traite prouvés par leurs actions de sensibilisation. S'il y avait peu de cas. c'était précisément, selon eux, grâce à leurs actions sur le terrain. Poser ce constat revenait dés lors à constater la haute valeur ajoutée de ces associations en évitant de remettre en question leur utilité.

    Quel constat peut être posé actuellement en termes d'efficacité ? Des progrès ont certes été réalisés dans la capacité à produire des outputs (c'est-à-dire des statistiques sur le nombre de condamnations, d'octroi du statut de victimes, etc.) mais qu'en est-il des outcomes ? Le Centre pour l'égalité des chances a constaté que les exploitants ont affiné leur stratégie en laissant une faible part des revenus engendrés par la traite aux exploités. Convient-il dés lors de considérer que les victimes ne plus sont tant exploitées que cela ? Doit-on se réjouir de l'efficacité de notre politique qui a permis une diminution du nombre de victimes ? Ou faut-il, au contraire, analyser ce subterfuge qui fait perdurer le mécanisme d'exploitation d'autrui tout en le rendant encore plus complexe ?

    La définition du phénomène de la traite des êtres humains joue également un rôle essentiel. Le taux de réussite de notre politique en matière de traite des êtres humains est influencé selon que l'on considère l'exploitation de la prostitution d'autrui comme de la traite ou non. Ainsi, la politique qui consiste à faire une distinction entre le terme néerlandais « uitbating » (simplement tirer profit) et « uitbuiting » (spolier) entraine des conséquences au niveau de l'efficacité de la loi pénale. Faut-il rappeler que la Belgique est sous l'obligation paradoxale de devoir interdire la location d'un lieu aux fins de prostitution (article 2 de la Convention de New-York du 20 mars 1950) alors qu'elle autorise cette même location aux fins de prostitution lorsque le but n'est pas de réaliser un profit anormal (article 380, § 1er, 3º du Code pénal) ? (16) .

    II/ En ce qui concerne la structure d'appréhension du phénomène en Belgique:

    La Cellule interdépartementale et son Bureau.

    Il s'agit de la structure qui nous vaut tant de louanges de l'étranger, symbolisant une politique intégrale et intégrée. Le Service de la Politique criminelle est fier d'avoir été à l'initiative de la proposition de création du Bureau qui regroupe les principaux acteurs de la lutte contre la traite dans un but de collaboration. L'intervenant est plus mitigé pour la Cellule proprement dite. Non qu'il faille la remettre en cause mais sa mission, au regard de sa composition, comporte un problème d'efficience. En effet, la Cellule fait des propositions et des recommandations et est composée de décideurs politiques et d'autres qui n'ont pas ce pouvoir. La question qui se pose est de savoir si le politique, qui a sa propre rationalité dans la prise de décision, doit ou non déjà s'expliquer devant la Cellule. D'un côté, en termes de transparence, il est positif de voir des conseillers associés au processus de décision, d'un autre, il faut rester réaliste: les vraies décisions ne se prennent pas dans un groupe aussi large où les participants ont des niveaux de responsabilité divers. Ainsi par exemple, sous une autre législature, on a vu la cellule à un certain moment pratiquement désertée par les politiques, étant présidée par le SPC qui, en l'absence de représentant politique, se doutait que la cellule parlerait dans le vide.

    Quant au Centre d'information et d'analyse de la traite et du trafic d'êtres humains (CIATTEH).

    L'idée a émergé lors de la Task Force organisée en son temps chez le Premier ministre. Le principe est séduisant: c'est la théorie de la mosaïque selon laquelle il faut regrouper des données éparses aux fins de faire progresser nos connaissances. Ce faisant, des informations dénuées de sens, parce que isolées, permettent d'en trouver un par leur rassemblement. En son temps, l'intervenant a cependant proposé au sein de la Task Force, un exercice de simulation: chacun devait apporter, pour la prochaine réunion, les catégories de données dont il disposait et, à partir de leur mise en commun, l'on projeterait le type de résultats pouvant être atteints. Malheureusement, lors de ladite séance l'exercice n'a pas été fait. Lors de l'installation effective du CIATTEH, un exercice a été effectué portant sur la traite économique. Il y est cependant rapidement apparu que l'interdiction d'accès aux données personnalisables handicapait fortement les possibilités. Et pourtant, à l'origine, il avait bien été prévu que le CIATTEH ne travaillerait que sur les sources ouvertes.

    Il est intéressant de noter que les Américains, dans le domaine du terrorisme, investissent actuellement beaucoup (17) dans la collecte d'informations à partir de réseaux sociaux. Mais là aussi, le sujet est controversé car il s'agit de rassembler un océan de données dans l'espoir éventuel d'en ressortir une pépite sous forme d'information utile.

    En ce qui concerne la traite, le fait que l'Union européenne s'intéresse au sujet devrait permettre de répartir le travail engendré par cette approche.

    III/ Sur le plan international

    Il faut distinguer l'approche multilatérale et bilatérale. Ainsi qu'il apparaît, lorsqu'il s'agit d'évaluer les progrès enregistrés dans le cadre de la Convention sur la criminalité transnationale organisée, dont les protocoles traite et trafic, des freins manifestes existent. C'est que le mécanisme d'évaluation sera fort inspiré de celui de la Convention sur la corruption qui a lui-même beaucoup de difficultés à se mettre en place. Qu'en sera-t-il pour une convention et trois protocoles qui couvrent un champ beaucoup plus large que la seule corruption ? On peut dès lors se demander si ce n'est pas le relais régional, voire bilatéral, qui permet d'engager des progrès. Au niveau régional, c'est le cas avec l'Union et son projet de directive (en outre nous sortons d'une évaluation de la traite dans le cadre de Schengen) ou, concernant le Conseil de l'Europe, avec le GRETA — processus d'évaluation — que notre pays espère intégrer. Sur le plan bilatéral: qu'on vive plus ou moins bien le fait de rendre des comptes aux Américains qui se permettent d'attribuer des cotes aux pays en matière de lutte contre la traite — et heureusement jusqu'ici, la Belgique s'en sort bien — il n'empêche que cet activisme permet d'agir sur le degré de conscience et d'accentuer la lutte. C'est d'autant plus le cas que sont assortis à cette évaluation des soutiens notamment financiers. L'Union n'est pas en reste non plus puisque la question de la traite figure dans de nombreux traités conclus notamment avec des pays des Balkans et d'Afrique. À présent l'idée d'un coordinateur européen est dans l'air.

    Conclusions

    L'observateur du terrain peut difficilement nier que des modifications existent sur le terrain. Néanmoins, compte tenu du lien entre la traite et la pauvreté ainsi que la recherche d'un avenir susceptible d'être meilleur, elle a malheureusement encore de beaux jours devant elle, la solution à trouver étant systémique. Il n'empêche, l'acuité de l'intérêt pour la question doit permettre que les personnes victimes, lorsque repérées, puissent susciter une intervention adéquate. C'est l'objectif du SPC.

    Sur le plan belge, et bien que la traite dépasse de loin la question de l'exploitation de la prostitution d'autrui, M. Gazan rappelle qu'un précédent gouvernement avait décidé d'inscrire dans l'Accord de gouvernement qu' « il sera mis fin à l'insécurité sociale et juridique des personnes prostituées ». Le service de l'intervenant a, à l'époque, pris l'initiative d'établir des propositions dont celle d'un équivalent de la loi casino qui avait permis au personnel d'être socialement protégé. Cette note n'avait pas eu d'écho or nous savons que tout ce qui peut aider à protéger ces personnes contribue à leur empowerment, étape nécessaire dans leur affirmation de soi.

    Autre aspect périphérique à la traite mais aussi lié par la loi de 1995: lorsqu'on a supprimé la circulaire COL 10/2004 pour la remplacer par une version adaptée à la loi de 2005, on a du même coup supprimé tout le volet relatif à la pornographie enfantine. Ce domaine reste donc sans directive spécifique. La location à des mineurs aux fins de prostitution n'est punissable que si le loyer demandé est anormalement élevé. Ce n'est pas acceptable. De même, au moment où d'aucuns voudraient condamner le client de personnes dont il ne pouvait ignorer qu'elles sont victimes de traite, il convient d'observer qu'une disposition semblable, celle qui sanctionne très lourdement les clients de prostitué(e)s mineur(e)s, reste en peine de la moindre condamnation alors qu'il arrive de temps en temps que des mineurs soient repérés en train de se prostituer. Cela plaide pour une politique réaliste à laquelle le service de l'intervenant tient à pouvoir collaborer.

    Un membre revient au problème de la définition légale de la traite des êtres humains. À l'heure actuelle, celle-ci se présente sous des formes qui sont sensiblement plus larges que ce que la loi prévoit. Ne serait-il dès lors pas indiqué d'étendre aussi la définition de la traite des êtres humains qui figure dans la loi ?

    Le procureur général constate qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas de réel problème avec la définition légale de la traite des êtres humains et que l'on peut y faire entrer pratiquement tous les phénomènes rencontrés, vu que la définition de base est large. La difficulté, c'est qu'il y a une jurisprudence qui se crée et que l'on obtient des condamnations. Il y a des incertitudes car les tribunaux réagissent parfois très différemment sur la base de la même loi. Le Collège des procureurs fait l'exercice de prendre en compte toutes les décisions rendues par les tribunaux correctionnels et, le cas échéant, de pousser vers une procédure d'appel et même une procédure en cassation afin d'uniformiser l'interprétation de la loi.

    La loi du 10 août 2005 est une loi trop jeune pour en apprécier déjà toutes les difficultés, vu le manque de recul. La jurisprudence doit s'adapter et concrétiser l'application pratique de la loi sur le terrain.


    6. Exposé de Mme Karin Carlens, premier substitut près le parquet de Bruxelles

    1. Situation en matière de traite des êtres humains à Bruxelles

    À Bruxelles, la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle se présente sous deux formes.

    En premier lieu, il y a la prostitution visible qui se manifeste:

    — à proximité de la rue d'Aerschot, où l'on compte une cinquantaine de vitrines et où 200 à 300 prostituées travaillent par tranche de 24 heures;

    — dans la centaine de « carrés » (appartements) de Saint-Josse et de Schaerbeek, plus de 150 prostituées travaillent par tranche de 24 heures; il s'agit essentiellement de prostituées Belges et africaines;

    — la prostitution de rue à proximité de l'avenue Louise, de l'Alhambra et de la place Fontainas; il s'agit essentiellement de prostituées d'origine belge, africaine et est-européenne ainsi que de travestis sud-américains; on estime qu'ils sont entre 20 et 150 au total par 24 heures.

    En ce qui concerne la prostitution cachée, on considère que le nombre de personnes concernées se situe entre 200 et 500. Dans ce cas de figure, l'activité de prostitution se déroule dans des saunas, des salons de massage et des appartements. Par prostitution cachée, on entend aussi la prostitution des escortes, la prostitution dans les cabarets et les clubs, ainsi que la prostitution des stripteaseuses. Il arrive qu'une activité de prostitution ait lieu dans des cafés (par exemple ASBL belgo-turques à Bruxelles, Laeken, Molenbeek et Schaerbeek).

    On distingue plusieurs filières de prostitution:

    1. la filière bulgare:

    — structure pyramidale, mafieuse;

    — base d'opérations établie à Sliven (Bulgarie);

    — « exportation » de filles vers les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique et rotation rapide de celles-ci;

    — environ 70 % de l'activité de prostitution est localisée à la rue d'Aerschot;

    — des hommes de main contrôlent les victimes sur place (il s'agit parfois de « lover boys »);

    — l'argent et les victimes sont transportés à bord de minibus;

    2. la filière roumaine:

    — autrefois, il s'agissait de filles roumaines encadrées par des proxénètes albanais;

    — aujourd'hui, on observe un afflux de filles d'origine roumaine accompagnées de proxénètes provenant de la région de Galati-Braila-Giurgiulesti;

    3. la filière albanaise:

    — moins organisée;

    — très violente;

    — s'est déployée au milieu des années 80, après le déclenchement de la crise yougoslave;

    — recours fréquent à de faux documents italiens ou au mariage de complaisance en vue d'un séjour régulier en Belgique;

    — moins visible; les activités ont aussi tendance actuellement à évoluer vers le trafic de drogue et le vol;

    4. la filière africaine:

    — entrée en Europe au moyen de faux papiers, avec utilisation fréquente de documents « look-alike »;

    — les prostituées sont exploitées par une « dame maquerelle » et doivent rembourser une somme qui peut varier entre 40 000 et 65 000 euros; elles retrouvent ensuite leur liberté, alors que ce n'est pas le cas dans d'autres filières;

    — il arrive que d'anciennes prostituées deviennent elles-mêmes des « dames maquerelles »;

    — les prostituées sont souvent originaires du Nigéria;

    — elles sont mises sous pression par des rituels vaudou (les parents sont souvent au courant);

    — elles habitent à Anvers et travaillent à Bruxelles;

    — il est difficile de déterminer l'identité; parfois, les prostituées introduisent une demande d'asile lorsque le pays est en guerre (Sierra Leone, Libéria ou Soudan).

    Différentes parties sont impliquées dans l'exploitation de la prostituée.

    1. Il arrive que les proxénètes qui recrutent une personne fassent partie d'une filière ou soient des « lover-boys ». Ils exercent des pressions sur les victimes en usant de violence à leur égard, en menaçant leur famille ou en abusant des sentiments amoureux qu'elles éprouvent.

    2. L'exploitant du bar, qui, généralement, n'est pas le propriétaire; les revenus de ces exploitants sont très élevés.

    3. Le bailleur d'un « carré » (chambre, appartement).

    4. Les « dames de compagnie ». Elles accompagnent les prostituées de vitrine, mais, en fait, elles les contrôlent pour le réseau.

    5. Les exploitants de salons de massage et d'autres établissements du même genre.

    6. Les personnes qui transportent les victimes et l'argent. Grâce à la nouvelle loi sur la traite des êtres humains, il est possible à présent de procéder à leur arrestation.

    7. Les prostituées elles-mêmes qui travaillent 12 heures par jour, 6 jours sur 7. Elles sont pauvrement logées.

    2. Problèmes relatifs à l'application de la législation actuelle

    1. Loi du 15 décembre 1980 sur l'accès, le séjour, l'établissement des étrangers, article 61/2

    Cet article concerne les victimes de la traite ou du trafic des êtres humains avec circonstances aggravantes. Mme Carlens fait remarquer que c'est un cas de figure systématique lorsqu'il s'agit de trafic d'êtres humains, car on exploite la situation précaire d'une personne.

    Toutefois, dans certains cas, il y a un problème de capacité. Lorsqu'il s'agit de traite ou de trafic, il suffit de disposer de quelques déclarations pour pouvoir poursuivre l'auteur. Mais comment procéder lorsque l'on découvre 160 victimes en une fois ? Doivent-elles toutes bénéficier de mesures de protection ? Cela ne risque-t-il pas d'entraîner de nouveaux abus ?

    2. Moyens d'investigation légaux

    L'arsenal des moyens disponibles est large. Il y a la loi sur les méthodes particulières de recherche. En outre, il est possible d'établir des connexions avec des faits qui se sont produits à l'étranger; le transport et le logement de victimes sont punissables.

    3. L'application dans la pratique est parfois plus difficile:

    Le recours aux écoutes téléphoniques est soumis à l'autorisation d'un juge d'instruction. Certains juges d'instruction qui n'ont pas une connaissance approfondie du phénomène de la traite des êtres humains ne saisissent pas toujours la nécessité de mettre en œuvre ce type de moyens.

    Il arrive que les suspects soient relaxés immédiatement après leur renvoi, si bien qu'ils échappent à une condamnation.

    Il existe des peines très lourdes pour sanctionner la traite des êtres humains, mais ce ne sont pas toujours celles-là qui sont prononcées.

    La collaboration judiciaire avec la Bulgarie n'est pas aisée.

    Au palais de justice de Bruxelles, le transfert de suspects vers la salle d'audience est rendu difficile par le manque de personnel policier, de sorte qu'il est parfois nécessaire de reporter certains procès.

    En ce qui concerne la Belgique, la directive de 2007 relative à la traite des êtres humains est obsolète.


    7. Exposé de Mme Cathérine Collignon, premier substitut près le parquet de Liège

    Le trafic et la traite des êtres humains sont en continuelle expansion.

    Le développement de ces phénomènes criminels justifie le caractère prioritaire donné par le gouvernement à la lutte contre la traite et le trafic.

    M. Visart, le procureur général de Liège, a déjà précisé les différentes missions du ministère public dans son rôle de mise en œuvre de la politique criminelle. M. Kurz a notamment suggéré certaines améliorations possibles afin de parfaire l'arsenal législatif.

    L'intervenante aborde surtout les problèmes pratiques rencontrés tant au niveau des tribunaux que sur le terrain.

    1. Considerations juridiques

    I. La coexistence de l'article 433quinquies, § 1er, et de l'article 380, § 1er, 1º et 4º, du Code pénal, au regard de la décision rendue par la 8e chambre du tribunal correctionnel de Liège le 11 février 2009.

    Les faits sont les suivants.

    Le 23 janvier 2008, la police d'Anderlecht acte la plainte de la victime (23 ans) à l'encontre du prévenu.

    Elle raconte qu'elle sortait d'une relation avec son ancien compagnon et que le jour de la séparation, elle a fait la rencontre de manière fortuite du prévenu. Ce dernier l'embarque et lui propose de l'héberger dans un appartement à Seraing au-dessus d'un débit de boissons. Il faut savoir que cette jeune fille est décrite comme quelqu'un de fragile et avec une volonté affirmée par elle et par les personnes de son entourage d'échapper à l'autorité parentale.

    Elle a résidé trois mois à Seraing. Ensuite, elle a résidé avec le prévenu et sa compagne actuelle pour ensuite être hébergée par un ami.

    Tout se passait bien au départ, une relation amicale puis sentimentale s'est nouée entre les deux et lorsqu'elle lui a fait part de sa volonté de travailler, le prévenu lui a spontanément parlé de prostitution en lui faisant miroiter l'importance des gains.

    Elle accepte et est rapidement placée dans un bar à Saint-Trond.

    Elle est engagée comme serveuse mais également en chambre. La patronne du bar percevait 50 % de ses recettes. Immédiatement, le prévenu a fait main basse sur les autres 50 %. Cette victime explique qu'elle a toujours donné son argent à ce dernier par peur et sous la menace. Elle déclare avoir déjà été menacée par une arme de poing et que le prévenu l'a menacée de s'en prendre à sa famille.

    Après deux mois, elle a été contrainte de passer de Saint-Trond à Seraing où le prévenu lui a trouvé une vitrine. Elle raconte qu'elle faisait des passes de 14 h à 06h00 soit le double de la plupart des prostituées.

    Le prévenu devenait de plus en plus exigeant et passait régulièrement chercher la recette (1 000 à 1 500 euros). Il se montrait de plus en plus violent: il la frappait et l'a violée à plusieurs reprises. Elle était devenue méconnaissable.

    Elle a tenté à plusieurs reprises de sortir des griffes de l'intéressé notamment aidée par son frère qui, arrivé sur les lieux, a été menacé par une arme. Elle a finalement pu s'échapper et a été conduite dans un centre d'accueil à Bruxelles.

    Le prévenu a continué à menacer ses parents et son frère afin de tenter de la retrouver.

    Parallèlement à ces faits, il lui a soutiré sa carte d'identité et ses cartes bancaires et s'est servi d'elle pour faire de nombreux prêts à tempérament.

    Au moment du réquisitoire, ce qui a prévalu en matière de qualification et notamment celle de traite des êtres humains, c'est l'état de dépendance et de vulnérabilité de la victime et l'exploitation qui en est faite, à savoir:

    — le prévenu a connaissance que cette personne est vulnérable; elle est l'ancienne compagne d'un de ses amis et le jour de leur rencontre il apparaît un peu comme le sauveur et le protecteur; il l'isole, l'héberge en dehors de son milieu familial et réduit les contacts avec ses parents et amis;

    — il la donne à un ami pour être violée (comportement qui à lui seul, sans une modification législative, ne peut être réprimé comme infraction à l'article 433 quinquies qui fait référence aux articles 379, 380, § 1er, 1º et 4º, et 383bis et non à l'article 375 du Code pénal);

    — il l'a mise sous son contrôle;

    — une fois qu'elle est dépendante de lui, il la séquestre de plus en plus, lui donne des coups, la soumet à un état de dépendance économique;

    — cette personne est devenue l'objet de ses pulsions sexuelles et de celles des autres, du financement de tous ses besoins.

    Le tribunal a acquitté le prévenu sur la base de l'article 433quinquies et l'a condamné sur la base de l'article 380 du Code pénal.

    L'article 433quinquies a été inséré par la loi du 10 août 2005, inspirée par la nécessité de mettre la loi belge en conformité avec les instruments internationaux et européens. L'article 433quinquies considère que les éléments matériels constitutifs de la traite des êtres humains sont le fait de recruter, de transporter, de transférer, d'héberger, d'accueillir une personne, de passer ou de transférer le contrôle exercé sur elle et que l'élément moral consiste à poser ces actes dans un objectif d'exploitation sexuelle, économique, criminelle ou autre.

    Le législateur belge a donc décidé, en insérant l'article 433quinquies, d'être plus sévère que ne l'est la décision-cadre du 19 juillet 2002 du Conseil de l'Union européenne puisqu'elle considère les modi operandi, tels que l'usage de la contrainte, de la force, de la tromperie ou abus d'autorité ou de situation de vulnérabilité, comme des circonstances aggravantes et non comme des éléments constitutifs de l'infraction.

    Au regard des faits décrits, l'auteur a été poursuivi sur l'article 433quinquies § 1er et sur l'article 380, § 1er, 1ºet 4º du Code pénal. Le prévenu était à la fois le recruteur et l'exploiteur de la prostitution d'une victime belge en dehors de toute forme d'association ou d'organisation.

    Cette coexistence des deux infractions se faisait régulièrement depuis l'entrée en vigueur de la loi du 10 août 2005 et les juges estimaient qu'ils se trouvaient dans la situation d'un concours idéal d'infractions et condamnaient le ou les prévenus du chef des deux.

    Les juges liégeois, se référant en cela à l'exposé des motifs, ont considéré que la traite des êtres humains visée à l'article 433quinquies, § 1er, du Code pénal ne vise pas celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même la prostitution d'autrui mais vise, en réalité, l'exploitant qui se situe au bout d'une filière.

    Le tribunal précise même: « Il doit être, en quelque sorte, question d'une organisation, d'une association de personnes ayant pour but l'utilisation de personnes aux fins visées par la loi. »

    Sur cette motivation le prévenu sera donc acquitté de la prévention de traite des êtres humains.

    Cette décision pose question à deux titres.

    1/ Pourquoi aller consulter les travaux préparatoires alors que l'on se trouve face à un texte clair ?

    Ces travaux préparatoires ajoutent sans aucun doute une condition supplémentaire à l'incrimination. On doit considérer que l'infraction au titre de l'article 433quinquies, § 1er, n'est établie que si l'on est en présence de deux personnes, ce qui, à ce titre, forme une association (qui est normalement une condition aggravante).

    2/ La loi belge voulait faciliter la faculté de rapporter la preuve de la traite des êtres humains en considérant des modi operandi comme des circonstances aggravantes et non des éléments constitutifs, ce qui ne sera plus le cas en matière d'exploitation sexuelle contrairement aux autres alinéas de l'article 433 quinquies.

    De plus, par cette interprétation, toute une série de victimes ne pourront pas bénéficier du statut particulier que leur offre la qualification traite des êtres humains, notamment des victimes belges qui, si elles sont victimes de traite des êtres humains le sont très rarement dans le cadre d'une filière et jamais dans le cadre d'un trafic.

    Mme Collignon propose donc de rester à l'essence même de la traite qui consiste à tirer profit de la détresse d'autrui avec pour objectif essentiel l'exploitation de la personne sans qu'il soit nécessaire qu'elle s'inscrive dans une filière.

    II. Les confiscations d'immeuble: depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 2009, la confiscation d'immeubles, lorsqu'elle n'est pas prévue par un texte, n'est plus possible même lorsque cet immeuble a servi à commettre l'infraction. Dans ces conditions, plus aucun immeuble ne pourrait être confisqué si les prévenus sont poursuivis sur la base des infractions aux articles 380 et/ou 433quinquies du Code pénal.

    III. Depuis la loi du 10 août 2005, l'infraction de marchand de sommeil est dorénavant traitée de manière autonome et non plus comme une forme particulière de traite des êtres humains.

    Le texte de l'article 433decies est quasiment identique à l'ancien article 77bis § 1erbis, de la loi du 15 décembre 1980 sous réserve de cinq innovations: l'extension de l'incrimination aux victimes belges, l'extension aux biens meubles, la prise en compte de la précarité et la référence à la dignité humaine et la confiscation obligatoire des immeubles, même lorsque l'immeuble appartient à un tiers.

    L'article est rédigé de manière suivante:

    « Sera puni d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 500 à 25 000 euros, quiconque aura abusé, soit directement, soit par un intermédiaire, de la position particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve une personne en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, en vendant, louant ou mettant à disposition dans l'intention de réaliser un profit anormal, un bien meuble, une partie de celui-ci, un bien immeuble, une chambre ou un autre espace visé à l'article 479 dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, de manière telle que la personne n'a en fait pas d'autre choix véritable et acceptable que de se soumettre à cet abus. »

    L'incrimination requiert donc la réunion de 5 éléments constitutifs:

    — mise à disposition, location ou vente;

    — un bien meuble ou immeuble;

    — des conditions incompatibles avec la dignité humaine;

    — un profit anormal;

    — la situation particulièrement vulnérable de la victime.

    Les deux premières conditions posent moins de problèmes que les autres conditions.

    Conditions contraires à la dignité humaine: le rapport de la commission de la Justice a mis en avant la crainte de certains parlementaires pour qui cette notion est floue car aucune loi ne définit ce qu'est un logement contraire à la dignité humaine.

    Selon beaucoup d'auteurs, il ne faut pas définir davantage ce critère qui dépendra des éléments de la cause et chaque magistrat appréciera, en son âme et conscience, si les conditions de vie et d'hébergement des victimes sont ou non contraires à la dignité humaine.

    Bien qu'il n'ait pas défini la notion de dignité humaine, le législateur a quand même donné des indicateurs pour mieux la définir.

    La jurisprudence peut également être une bonne source d'information.

    Le profit anormal: ce dernier est également déterminé selon les éléments de la cause. À la lecture des documents parlementaires, on peut constater que l'on considérait que: « s'il s'agit d'un logement insalubre constaté comme tel par les autorités compétentes », l'anormalité du profit est de facto démontrée.

    En pratique, il arrive que des immeubles soient déclarés insalubres mais il apparaît parfois que le montant du loyer est dérisoire et que la victime entendue déclare que sans ce logement, elle est à la rue.

    Qu'entend-on par profit anormal ? Si l'on s'en tient aux documents parlementaires, aucun loyer ne peut être demandé pour un logement insalubre. N'importe quel loyer demandé, aussi modique soit-il, est donc un profit anormal.

    Une autre question va se poser immédiatement: la question du droit au logement.

    L'abus de la situation particulièrement vulnérable et l'absence de choix: la plupart des auteurs, à juste titre, considèrent que cet élément n'est pas constitutif de l'infraction mais découle de la vulnérabilité de la victime.

    Par des amendements, on a essayé de faire supprimer ces mots « de manière telle que la personne n'a en fait pas d'autre choix véritable que de se soumettre à cet abus.... » car on estimait qu'une telle formulation restreignait le champ d'application de l'article. Devait-on démontrer que la victime n'avait d'autre choix véritable et acceptable ?

    La ministre de la Justice y a répondu par la négative, estimant que cette loi vise en effet à protéger les personnes qui se trouvent en situation vulnérable. Toute autre interprétation serait contra legem.

    L'insertion n'a pas pour objet de réduire le champ d'application actuellement donné à l'infraction.

    Cependant, dans la pratique, nombre d'avocats citent ce membre de phrase dans leurs plaidoiries, en insistant sur le fait

    1/ qu'il s'agit d'une condition supplémentaire;

    2/ que le ministère public est en défaut d'apporter la preuve de cette absence de choix.

    N'aurait-il pas fallu supprimer ce bout de phrase qui prête à confusion si l'intention du législateur était si claire ?

    Les victimes de l'infraction ne sont pas considérées comme victimes de la traite des êtres humains et échappent au statut protecteur. Cela est regrettable.

    En effet, il est parfois difficile, au début d'une enquête de pouvoir cerner l'ensemble des infractions. Pouvoir réauditionner les victimes après qu'elles aient été mises en confiance est indispensable. En privant la victime du statut protecteur, on se prive de moyens pour poursuivre l'enquête car il est plus que probable que l'étranger qui peut payer 200 à 400 euros par mois pour un logement insalubre obtient ces rentrées de manière illégale, plus que probablement en étant exploité.

    Enfin, en matière de confiscation, dans la mesure où la loi de 2005 la rend obligatoire même si le bien n'appartient pas au condamné, les juges contournent cette obligation légale, soit en accordant le sursis (il faudrait pouvoir prolonger la saisie après jugement avec interdiction d'aliéner), soit en confisquant des parties d'immeubles (voir notamment tribunal de première instance de Liège 23 avril 2007 — Cour d'appel de Liège 10 janvier 2006) (ce qui équivaut à rendre une décision inexécutable).

    2. Considérations pratiques

    Il n'est pas facile d'avoir une image fidèle du phénomène de la traite et du trafic des êtres humains.

    1. IMAGE DU PHÉNOMÈNE

    L'évolution et le renforcement de l'arsenal législatif ainsi que l'élargissement des frontières poussent les groupes criminogènes à évoluer et complique la détection des victimes de la traite des êtres humains. L'action menée sur le terrain par la police locale et fédérale à Liège pousse les organisations criminelles à modifier leur comportement.

    Le phénomène de la prostitution africaine et albanaise a tendance à disparaître à Liège à la suite des actions menées par les policiers ayant abouti à des condamnations lourdes. Une autre forme de traite des êtres humains se fait jour: celle des pays de l'Est et principalement celle venant de Roumanie. Comme précisé, les comportements changent: les prostituées arrivent en couple (pour ne pas éveiller les soupçons) pour trois mois puis repartent et sont remplacées par d'autres, elles ont souvent leur papiers, sont bien habillées et ont un discours clair quant à leur parcours. La directive de 2007 a le mérite d'exister mais est déjà, à beaucoup d'égards dépassée (notamment au niveau des indicateurs).

    Ces prostituées sont peu enclines à dénoncer les faits car elles s'estiment souvent mieux que chez elles et pensent, à tort, qu'elles n'ont plus besoin, vu l'ouverture de nos frontières, du statut particulier de victime de la traite des êtres humains.

    Nous disposons d'un arsenal législatif qui nous est envié par les autres partenaires européens mais le sujet de la traite reste difficile à aborder. Tout d'abord la complexité, voire parfois le manque de clarté, des textes légaux réprimant les infractions relatives à la traite des êtres humains ne facilite pas le travail ni des enquêteurs, ni des magistrats en charge des informations et des instructions judiciaires et est source de longs débats devant les juridictions de fond.

    Une clarification des notions et l'adoption d'une législation encore plus claire seraient certainement un progrès.

    La lourdeur des procédures permettant de démanteler une organisation est également à pointer: méthodes particulières de recherche, écoutes téléphoniques et souvent commissions rogatoires (qui pour la plupart doivent être traduites). Ces dernières prennent souvent du temps et ont un résultat parfois insatisfaisant. Les écoutes sont coûteuses et de surcroît doivent souvent être traduites. Il arrive également que les conversations échangées le soient dans un dialecte pour lequel il existe un ou deux interprètes sur l'ensemble de la Belgique.

    Par sa complexité, la matière de la traite des êtres humains fait encore peur à beaucoup d'intervenants. Il s'agit, d'une part, d'une matière très sensible et, d'autre part, d'une matière encore fort méconnue.

    Les personnes qui sont en première ligne pour détecter les victimes sont souvent les moins informées. Ce sont souvent les agents de quartier ou les policiers d'intervention, mais ces derniers n'ont pas toujours les bons réflexes.

    Il en est de même pour l'ensemble du personnel dans le milieu médical. Ils sont également en première ligne mais leur mission première n'est pas la détection des victimes. Ils sont souvent mal à l'aise lorsqu'un cas problématique se pose à eux, car ils ne savent pas vers qui s'orienter. Outre le problème de la détection, se pose le problème du secret professionnel.

    Les règlements communaux de plus en plus stricts en ce qui concerne la prostitution, notamment par l'interdiction de toutes formes de prostitution sur leur commune ou la fermeture successive des vitrines, poussent les prostituées à se déplacer et ou à exercer dans des lieux privés. Qui dit prostitution privée dit prostitution cachée.

    2. MOYENS

    Pour lutter efficacement contre la traite des êtres humains dans des grands parquets comme celui de Liège, il faudrait un magistrat ne s'occupant que de cette matière et qui aurait des connaissances en droit des étrangers, en législation sociale ainsi qu'en législation fiscale. De cette manière, il appréhenderait efficacement la problématique. Le magistrat pourrait être actif de temps à autre sur le terrain en planifiant des actions bien ciblées sur la base des renseignements collectés.

    Par manque de temps, le magistrat délègue souvent ce genre d'actions et de contrôles.

    À Liège, l'intervenante gère non seulement la matière relative à la traite des êtres humains (à l'exception de l'exploitation économique) mais aussi d'autres matières, à savoir toute la problématique des mœurs entre adultes (exploitation de la prostitution, viol, outrages aux mœurs, attentats à la pudeur ....), ce qui représente annuellement un nombre important de dossiers dans des matières extrêmement sensibles. Heureusement, elle trouve appui tant auprès du magistrat de référence du parquet général qu'auprès du magistrat coordinateur principal du réseau d'expertise concernant la traite des êtres humains.

    Enfin, le magistrat n'est pas vraiment aidé au niveau logistique. Il ne dispose ni de greffier ni d'employé à temps plein ni de juriste, ce qui veut dire que la plupart des travaux de dactylographie ou de recherche juridique doivent être effectués par lui.

    Tant que des moyens supplémentaires ne pourront être dégagés, notamment en termes de renforcement du cadre des magistrats, la meilleure solution consiste à promouvoir la collaboration et la synergie la plus élaborée possible entre les magistrats chargés de la traite des êtres humains et ECOFIN du parquet et l'auditorat, comme c'est déjà le cas à Liège.

    3. INITIATIVES LIÉGEOISES

    Deux initiatives sont nées à Liège en 2009.

    La première a été prise au niveau provincial et consiste en la création d'un groupe de travail afin d'aller à la rencontre des objectifs suivants:

    1/ la réactualisation de mécanismes de détection de victimes de la traite des êtres humains;

    2/ l'information de ces victimes quant à leur statut car peu se reconnaissent comme telles et sont donc ignorantes des protections mises en place pour elles, ou réticentes à y faire appel;

    3/ la mise en place d'actions de sensibilisation et de formation des intervenants de première ligne (travailleurs sociaux, personnel médical, agents de quartier ...).

    Dans le même esprit, le magistrat du parquet, à l'initiative de la police locale et du directeur de l'ASBL Surya, est allé à la rencontre des travailleurs sociaux de deux des grands hôpitaux dans la région liégeoise.

    Ces réunions furent un succès et l'attente au niveau des travailleurs sociaux est grande. Ils ne demandent finalement qu'à être informés et mieux orientés. À l'issue d'une des réunions et en raison de la démystification de la matière, un contact a été pris dès le lendemain avec Surya par un travailleur social qui s'interrogeait quant à une situation.

    Une deuxième initiative au niveau local consiste en la rédaction d'un protocole d'accord entre le parquet et les services administratifs de la ville de Liège (service de la sécurité et de la salubrité publiques, urbanisme, pompiers ...) en matière de marchands de sommeil. Ce protocole a pour but l'échange d'information, la coordination des actions des autorités administratives et judiciaires et les moyens à mettre en œuvre en cas de découverte d'infractions à l'article 433decies.


    8. Exposé de M. Luc Falmagne, auditeur du travail de Liège

    Selon l'intervenant, la législation actuelle est excellente.

    Il existe toutefois un manque de moyens tant chez les services de police (services d'enquête, police de proximité, etc.) qu'au niveau des services de l'inspection du travail.

    Lorsqu'il travaillait à Bruxelles, le système marchait bien car les services d'inspection étaient plutôt proactifs. D'ailleurs, grâce au travail effectué pendant six années, une filière brésilienne a pu être démantelée.

    Dans le cadre de l'exercice de sa fonction à Liège, il constate qu'il faut sensibiliser les services d'inspection du travail pour qu'ils aient une approche plus proactive, ce qui n'a pas toujours été le cas jusqu'à présent. De plus, il faudrait, qu'au sein de l'inspection sociale, les personnes puissent enquêter. Or les inspecteurs sociaux n'ont pas la qualité d'officier de police judiciaire, ce qui constitue un obstacle.

    Par ailleurs, il attire l'attention sur le fait qu'à Bruxelles, on rencontre également de l'esclavage domestique dans les ambassades. Ce sont des dossiers difficiles car tout se passe intra-muros.

    Pour finir, le nombre de dossiers traités reste identique pour les deux dernières années.


    9. Exposé de M. Charles-Eric Clesse, premier substitut près l'auditorat du travail de Charleroi

    M. Clesse met en exergue quelques problèmes rencontrés tant en pratique que dans l'interprétation de la loi.

    Bien que l'infraction de marchands de sommeil ne soit pas, in se, de la traite des êtres humains, il dépose également le texte des actes d'un colloque sur la traite des êtres humains dans lequel ont été étudié les questions problématiques majeures des articles 433terdecies et suivants du Code pénal (voir l'annexe).

    1. La prostitution

    L'article 433quinquies du Code pénal réprime, entre autres, le fait d'« exciter, favoriser ou faciliter, pour satisfaire les passions d'autrui, la débauche, la corruption ou la prostitution d'un mineur de l'un ou de l'autre sexe » (renvoi à l'article 379 du Code pénal), de se livrer à l'une des activités d'organisation, d'exploitation de la débauche ou de la prostitution, même de son consentement, d'une personne, dans les circonstances énumérées à l'article 380, § 1er, 1º à 4º (diverses formes de prostitution et de débauche des majeurs) et § 4, 1º à 5º (diverses formes de prostitution et de débauche des mineurs, y compris l'obtention de services sexuels au préjudice d'un mineur), ou, enfin, de commercialiser, distribuer ou détenir à ces fins, des documents « qui représentent des positions ou des actes sexuels à caractère pornographique, impliquant ou présentant des mineurs » (renvoi à l'article 383bis, § 1er, du Code pénal).

    Le renvoi à ces infractions implique que l'exécution de ces crimes ou délits, tels qu'ils sont incriminés, doit découler de la finalité poursuivie par l'auteur.

    Le caractère particulièrement large des dispositions susceptibles d'être invoquées risque de mener à ce qu'un seul et même comportement soit constitutif, concomitamment, de deux incriminations distinctes, auxquelles s'attachent parfois des conséquences différentes, notamment du point de vue de la peine ou des textes relatifs aux devoirs d'information et d'instruction (18) .

    Ainsi, par exemple, le fait « pour satisfaire les passions d'autrui, d'embaucher en vue de la prostitution une personne majeure » ne recouvre-t-il pas également celui de « recruter une personne, (...) afin de permettre la commission contre cette personne de l'infraction prévue à l'article 380, § 1er du Code pénal » (et donc l'infraction dont question à l'article 433quinquies, § 1er, alinéa 1er, 1º, du Code pénal) ?

    La question prend une acuité soudaine au vu de la jurisprudence liégeoise qui a refusé de retenir la prévention de traite en raison de l'absence de toute filière dans le cas d'espèce: « Reste que la traite des êtres humains ne vise pas en tant que tel celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même autrui. Ce comportement est puni par l'article 380 du Code pénal. Le texte de l'article 433quinquies du Code pénal vise en réalité l'exploitant qui se situe au bout d'une filière (...). Il doit être question en quelque sorte d'une organisation, d'une association de personnes ayant pour but l'utilisation de personnes aux fins visées par la loi. Tel n'est nullement le cas en l'espèce » (19) .

    Cette interprétation du texte légal, qui impose l'existence d'une filière, semble contra legem. Le problème soulevé revêt toutefois une importance majeure et pose indirectement la question de savoir quand le ministère public doit citer sur la base de l'article 380 ou de l'article 433quinquies du Code pénal ou encore sur la base de ces deux dispositions. L'enjeu de la question touche au statut de victime de la traite des êtres humains.

    Lors des travaux préparatoires, il fut précisé que « par l'expression « permettre la commission des infractions », le projet ne vise pas en tant que tel celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même autrui. Ce comportement est incriminé à l'article 380 du Code pénal » (20) . Toutefois, l'article 380, § 1er, 1º (ou § 4, 1º, s'agissant de la débauche et de la prostitution d'une personne mineure), du Code pénal n'est pas quant à lui limité à l'hypothèse dans laquelle l'auteur embaucherait une personne en vue de la prostitution afin de l'exploiter lui-même (21) .

    En tout état de cause, si l'intention du législateur a été, par le recours à l'expression « permettre la commission des infractions », de ne pas incriminer le comportement de « celui qui recrute en vue d'exploiter lui-même autrui », n'aurait-il pas été plus simple et plus clair de le préciser de manière expresse ?

    2. La mendicité

    Bien que cette forme d'exploitation n'ait jamais été retenue, à notre connaissance, par un parquet, certaines questions se posent toutefois.

    De lege lata, l'incrimination vise uniquement le fait pour un auteur d'adopter l'un des comportements incriminés afin de « permettre » la commission de l'infraction. En revanche, le fait de recruter la victime en vue d'exploiter personnellement sa mendicité ne semble pas, selon la formulation actuelle du texte de loi, relever de la traite des êtres humains (22) .

    Ne serait-il pas plus facile de considérer que la mendicité est une forme de travail contraire à la dignité humaine et l'inscrire comme telle dans l'incrimination ? Ce qui aurait pour conséquence, s'agissant de l'exploitation du travail, d'incriminer tant le fait de mettre soi-même la victime au travail que de permettre cette mise au travail par un tiers.

    3. L'exploitation par le travail

    a) Traite des êtres humains et infractions de droit pénal social

    Le travail forcé est une problématique connue depuis de longues années, à ce point que l'Organisation Internationale du Travail s'était déjà dotée en 1930 d'une Convention en vue d'éliminer toutes formes de travail forcé et obligatoire. La Convention européenne des droits de l'homme fait elle-même référence au travail forcé en précisant, en son article 4.2, que « nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ». L'OIT définit le travail forcé comme celui qui est exécuté sous la menace d'une peine — qui ne doit pas être nécessairement comprise comme une mesure pénale — et contre la volonté de la personne.

    Pour définir la notion d'exploitation par le travail le plus largement possible, le législateur belge a choisi de se référer aux conditions de travail contraires à la dignité humaine, par analogie à la loi française (23) . L'exploitation par le travail ne doit pas être confondue avec le travail non déclaré ni avec l'utilisation de main-d'œuvre étrangère. Ce qui pose de nombreux problèmes pour les juges du fond qui, souvent, estiment que le fait de ne pas payer une rémunération conforme aux barèmes, de ne pas fournir des vêtements de travail, de ne pas respecter les normes de sécurité, etc., sont autant d'infractions distinctes de droit pénal social qui, dans leur ensemble, ne sont pas constitutifs de traite des êtres humains.

    À cet égard, le recours aux critères Delfi de l'OIT n'est pas éclairant car ceux-ci s'apparentent plus à une formule arithmétique (24) . Il serait intéressant de réunir un groupe d'experts qui pourrait publier un mémento pratique qui s'imposerait doctrinalement.

    b) Un travail contraire à la dignité humaine

    La mise au travail doit être contraire à la dignité humaine. Ce concept n'est pas inconnu en droit belge. La Constitution et certaines réglementations de droit social — sur le revenu d'intégration par exemple — y font référence (25) .

    La notion de dignité humaine n'est pas définie par le législateur. D'une certaine façon, heureusement ! Car tenter de remplir le concept de dignité humaine n'aurait, comme seule conséquence, que de le vider de sa substance en restreignant les hypothèses dans lesquelles la loi serait susceptible de s'appliquer.

    Les esprits chagrins objecteront, sans doute, qu'un tel principe est incompatible avec les exigences de prévisibilité qui doivent présider à l'adoption de dispositions réprimées pénalement, conformément à l'article 12 de la Constitution et à l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. On relèvera toutefois qu'en cette matière, sous l'empire de la précédente législation, la Cour constitutionnelle avait déjà été amenée à se prononcer quant à la constitutionnalité de notions légales relativement floues, telles que celles d'« abus de la position particulièrement vulnérable d'un étranger » et de « profit anormal ».

    La souplesse de ce principe doit être maintenue pour ne pas enfermer le magistrat dans un carcan contraignant et limitatif.

    4. Le prélèvement d'organes

    En collaboration avec Frédéric Lugentz, l'intervenant a étudié plus avant cette forme de traite dans l'ouvrage dirigé par H-D. Bosly et C. De Valkeneer, « Les infractions contre les personnes » (26) . La formulation actuelle, se référant à la loi du 13 juin 1986, risque de poser un problème majeur.

    Cette forme de traite des êtres humains n'était pas visée dans la décision-cadre du 19 juillet 2002. Sa transposition résulte du Protocole de Palerme sur la traite des personnes, qui ajoute à l'exploitation sexuelle et économique, le prélèvement d'organes (27) .

    Est donc réprimée la traite des êtres humains qui a pour finalité le prélèvement d'organes en violation de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes (28) , soit « le prélèvement d'organes, du corps d'une personne, appelée 'donneur', en vue de la transplantation de ces organes à des fins thérapeutiques sur le corps de la même personne ou d'une autre personne, appelée 'receveur' » (29) .

    M. Clesse précise que le non-respect des dispositions de la loi du 13 juin 1986 fait déjà l'objet de sanctions pénales (voir les articles 17 et 18 de cette loi), de sorte que les poursuites du chef d'infraction à l'article 433quinquies, § 1er, alinéa 1er, 4º, du Code pénal peuvent aller de pair avec celles-ci.

    Une loi du 19 décembre 2008 relative à l'obtention et à l'utilisation de matériel corporel humain destiné à des applications médicales humaines ou à des fins de recherche scientifique a été adoptée (30) .

    Les prélèvements de tissus et cellules en vue de transplantation à des fins thérapeutiques, autrefois régis par la loi du 13 juin 1986, en ont été retirés aux termes de l'article 27, alinéa 1er, 1º, de la loi du 19 décembre 2008. Le champ d'application de l'article 433quinquies, § 1er, alinéa 1er, 4º, du Code pénal semble donc en être réduit.

    Quant à la loi du 19 décembre 2008, elle « s'applique au don, au prélèvement, à l'obtention, au contrôle, au traitement, à la conservation, au stockage, à la distribution et à l'utilisation du matériel corporel destiné à des applications humaines ou à des fins de recherche scientifique » (article 3, § 1er) et elle exclut de son champ d'application le prélèvement d'organes « en vue de leur transplantation, tel que visé dans la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes » (article 3, § 3).

    Au-delà de la définition de l' « organe », par rapport notamment aux « tissus et cellules » (31) , de lege lata, ne sera donc pas incriminée au titre de l'article 433quinquies du Code pénal l'infraction en ce qu'elle tendrait à prélever sur la victime ou à permettre le prélèvement sur celle-ci d'organes ou de tissus en violation de la loi du 19 décembre 2008 relative à l'obtention et à l'utilisation de matériel corporel humain destiné à des applications médicales humaines ou à des fins de recherche scientifique. Il en sera de même en cas de prélèvement de tissus, de cellules, quelle qu'en soit l'utilisation projetée, scientifique ou médicale.

    Cette exclusion de facto de formes de prélèvements illicites de matériel corporel humain du champ d'application de la traite des êtres humains est le corollaire du principe de légalité des incriminations, le droit pénal étant d'interprétation stricte.

    On pourrait toutefois douter de l'opportunité de cette distinction dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, y compris sous l'angle de principes fondamentaux tels que la non-discrimination entre des personnes se trouvant dans des situations comparables, du point de vue, en l'espèce, tant des auteurs que de celui des victimes de l'infraction.

    Ainsi, la victime du comportement susvisé, si elle est destinée à subir un prélèvement illicite en violation de la loi du 19 décembre 2008, ne sera pas susceptible de se prévaloir des dispositions (notamment celles la protégeant de manière spécifique) relatives à la répression de la traite des êtres humains.

    Quant à l'auteur de l'infraction, de lege lata toujours, il sera plus sévèrement sanctionné si le prélèvement est intervenu sur la base de la loi du 13 juin 1986, que si l'acte posé visait à méconnaître les dispositions de la loi du 19 décembre 2008. Pareille méconnaissance est toutefois (mais encore faut-il que l'infraction ait été consommée (32) ) pénalement réprimée aux termes de l'article 24 de la loi du 19 décembre 2008.

    Quant aux autorités judiciaires, elles ne pourraient mettre en œuvre les devoirs d'information et d'instruction dont le Code d'instruction criminelle permet l'usage en matière de traite des êtres humains. L'efficacité des enquêtes risque dès lors d'en souffrir.

    Sur ce point, une réforme législative urgente devrait être menée.

    5. Les « market deal » et la question des victimes-auteurs

    Si la victime est forcée à commettre une infraction contre son gré, elle n'en demeure pas moins passible de poursuites pour cette infraction. Peut-on concevoir que cette victime soit à la fois victime au sens de la procédure pénale et prévenue ou inculpée, avant d'être condamnée du chef de ce « crime ou délit » qu'on lui fait commettre ?

    Dans le cadre des « market deal », des ressortissants étrangers en séjour illégal, ressortissants pour la plupart des pays du Maghreb, sont forcés de vendre des produits stupéfiants dans des appartements. Bien que forcés à « dealer », ils sont souvent poursuivis du chef d'infraction aux articles du Code pénal relatifs à la vente de produits stupéfiants. Les parquets sont peu enclins à considérer le dealer comme victime de la traite.

    Une question pratique se pose quant à la possibilité pour la victime d'invoquer la cause d'excuse absolutoire de l'article 71 du Code pénal. Peut-il considérer avoir été « contraint par une force à laquelle il n'a pu résister » ? A priori, non car le fait que l'infraction commise par la victime de la traite des êtres humains l'ait été contre son gré ne nous paraît pas correspondre à la définition de la contrainte irrésistible qui implique que la volonté de l'agent doit être, notamment, annihilée complètement, situation extrême qui est interprétée de manière stricte par la jurisprudence (33) .

    Dès lors, même si la victime de la traite des êtres humains a agi contre son gré, l'infraction qu'elle a été amenée à commettre ne l'a pas pour autant été sous l'emprise de la contrainte ou d'une force réputée irrésistible. Partant, il n'est pas nécessairement question, dans le chef de la victime de la traite des êtres humains, de cause d'excuse absolutoire à l'égard de son comportement.

    Cette situation est sans doute une conséquence inattendue du choix du législateur, à la différence de la décision-cadre du 19 juillet 2002, de ne pas considérer les modes opératoires comme des éléments constitutifs de l'infraction, mais comme des circonstances aggravantes de celle-ci.

    Il serait peut-être intéressant de revoir cette disposition pour permettre aux victimes, considérées comme telles par le ministère public, d'exciper de la contrainte irrésistible.

    6. Les circonstances aggravantes

    Le texte légal distingue « officier public » et « fonctionnaire public ». M. Clesse n'aperçoit pas la portée de la nuance.

    7. Les donneurs d'ordre

    La directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier stipule qu'une infraction pénale doit être prévue lorsque l'infraction d'occupation d'une main-d'œuvre étrangère illégale est commise par un employeur qui, tout en n'étant pas poursuivi du chef de traite des êtres humains, utilise le travail ou les services d'un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier en sachant que cette personne est victime de la traite des êtres humains (art. 9, 1, d de la directive).

    Cette disposition distingue le donneur d'ordre qui utilise et tire profit d'un travail réalisé dans le cadre de la traite d'êtres humains de la personne qui est auteur de l'infraction de traite des êtres humains. Il est utile de sanctionner les donneurs d'ordre qui ne sont jamais poursuivis devant les tribunaux correctionnels.

    En pratique, il est évident qu'un entrepreneur principal qui accepte des devis qui paraissent bien trop bas ou qui laissent transparaître une fraude sociale importante, qui constate des travailleurs étrangers sur son chantier sans s'enquérir de leur statut, etc., devrait pouvoir être solidairement responsable des sanctions civiles prononcées à charge de son sous-traitant, voire être co-auteur de l'infraction de traite des êtres humains si celle-ci est retenue à l'encontre de son sous-traitant.

    8. La peine

    Il conviendrait de prévoir un parallèle avec l'incrimination des marchands de sommeil et multiplier le montant de l'amende par le nombre de victimes reconnues par le juge du fond.

    (voir également l'annexe en fin du rapport).


    4. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES DE POLICE SPÉCIALISÉS EN TRAITE DES ÊTRES HUMAINS


    1. Exposé de M. W. Bontinck, Service central Traite des êtres humains

    1. L'optimisation de la lutte contre la traite des êtres humains du point de vue du Service central traite des êtres humains

    L'intervenant se base sur son expérience acquise auprès du Service central Traite des êtres humains dont il fait partie déjà depuis l'an 2000. Lorsqu'il compare la manière avec laquelle la Belgique aborde la question de la traite des êtres humains par rapport aux 26 autres États membres de l'UE, il constate que notre pays ne s'en sort pas mal, comme il ressort également d'une évaluation de l'UE sur la traite des êtres humains dans l'espace Schengen et d'une journée d'étude LABOREX à propos de l'exploitation économique au sein de l'UE. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons verser dans l'autosatisfaction.

    Lorsque l'intervenant utilise la notion de « traite des êtres humains » dans la suite de son exposé, il pourrait souvent tout aussi bien utiliser celle de « trafic d'êtres humains ».

    Son exposé repose sur deux observations.

    Lorsqu'un inspecteur d'un service d'inspection ou de contrôle ou un agent de police entre en contact avec une victime potentielle de la traite des êtres humains, il doit tout mettre en œuvre pour l'identifier en tant que victime de la traite des êtres humains. C'est peut-être la première fois que la possibilité de l'identifier se présente, et il n'y aura probablement plus de deuxième chance de le faire. Le trafiquant d'êtres humains va en effet remuer ciel et terre pour déplacer cette personne le plus rapidement possible. Pour diverses raisons, une victime potentielle de la traite des êtres humains ne va pas toujours se manifester ouvertement comme victime. C'est son choix et c'est peut-être la première fois qu'elle est libre de faire un choix. Nous devons donc respecter son choix, ce qui n'empêche pas qu'il faille lui fournir toutes les informations lui permettant de faire le bon choix.

    La problématique actuelle de la traite des êtres humains en Belgique et chez nos voisins n'est plus comparable avec ce qu'elle était dans les années '90. Les exploiteurs ont tiré les leçons du passé. La traite des êtres humains n'est pas toujours synonyme d'« esclavage ». Les contrôles en matière d'exploitation économique et sexuelle sont désormais effectués selon des méthodes perfectionnées. Le défi demeure donc de s'adapter rapidement et de manière innovante aux nouvelles tendances dans le domaine de la traite des êtres humains.

    Afin de mettre ces idées en perspective, l'intervenant décrit brièvement les missions du Service central Traite des êtres humains (SCT).

    Le service a commencé son activité en 1993 comme point de référence central pour les policiers belges ainsi que pour leurs collègues à l'étranger, y compris ceux d'Europol et d'Interpol. Ceux-ci peuvent poser leurs questions ou demander des informations au SCT qui tentera de satisfaire leur requête. Dans le cadre de cette mission, le service cherche aussi à relier les enquêtes belges en matière de traite des êtres humains entre elles et avec des enquêtes internationales.

    Le SCT sert également de point de contact policier auquel peuvent s'adresser tous les services et organisations qui ne relèvent pas de la police ainsi que les citoyens, lorsqu'ils veulent révéler des faits à la police. Cela évite qu'ils ne trouvent nulle part une oreille attentive ou qu'ils doivent répéter leur histoire à de nombreux interlocuteurs.

    Le SCT joue aussi le rôle de conseiller et d'informateur pour les pouvoirs publics. C'est la raison pour laquelle les réponses aux questions parlementaires concernant la traite des êtres humains sont toujours confiées au SCT.

    Le service a également pour mission de diffuser son « expertise » en matière de traite des êtres humains au sein de la police. Cela consiste à organiser des formations et des journées d'information, mais aussi à fournir des renseignements sur l'intranet de la police et à élaborer des manuels, des listes de contrôle, des lettres d'information, à diffuser des images, etc. Une lettre d'information externe est également envoyée aux partenaires. Le service met aussi cette expertise à profit lorsqu'il participe à des groupes de travail ou qu'il définit des directives pour les départements de la Justice et de l'Intérieur. Le service s'appuie également sur son expertise pour établir, tous les quatre ans, le plan policier « traite des êtres humains » au sein de la police intégrée.

    En outre, le SCT est aussi un service opérationnel. Il apporte ainsi une aide spécialisée lors de l'analyse d'images saisies et il surveille l'Internet avec des outils adéquats pour détecter les utilisations à des fins de traite et de trafic d'êtres humains, dans le cadre de ses propres enquêtes ou pour soutenir la justice et les enquêteurs locaux ou fédéraux.

    Enfin, le service optimise en permanence ses partenariats dans le but de lutter contre la traite des êtres humains d'une manière toujours plus efficace.

    Compte tenu de ces missions, M. Bontinck expose sept points importants au niveau policier pour une approche efficace de la traite des êtres humains.

    Tout d'abord, force est de constater que l'on ne remédie pas à toute une série de problèmes connus (de longue date) en ce qui concerne les contrôles et la recherche effectués par la police sous la direction des magistrats. Les acteurs sur le terrain se demandent souvent si le monde politique souhaite vraiment une justice et une police efficaces. Voici quelques exemples:

    — l'absence d'un « concept d'accueil » transcendant les départements, en collaboration avec d'autres organisations, telles que l'Office des étrangers, l'OIM et la Croix-Rouge, qui respecte les droits de l'homme fondamentaux des étrangers en séjour illégal interceptés;

    — le manque d'interprètes (fiables et compétents) pour les différents devoirs d'enquête (pour l'audition de victimes potentielles de la traite des êtres humains, de personnes en séjour illégal et de trafiquants, ou pour les écoutes téléphoniques) et leur rémunération inadéquate;

    — les écoutes téléphoniques onéreuses et qui nécessitent beaucoup de temps à cause de l'absence de modalités correctes pour l'octroi de licences aux opérateurs téléphoniques, des produits « jetables » qu'ils proposent, ainsi que de la charge de travail (administratif) qui en découle;

    — les décisions des juges parfois incompréhensibles (en chambre des mises en accusation et à l'audience) au cours et au terme d'enquêtes relatives à la traite et au trafic d'êtres humains, pour lesquelles des personnes et des moyens ont été mobilisés pendant des mois, ce qui réduit l'effet dissuasif et fait courir d'énormes risques en matière de sécurité aux victimes coopérantes de la traite des êtres humains ou de formes plus graves de trafic d'êtres humains.

    En deuxième lieu, la directive du ministre de la Justice relative à la politique de recherches et de poursuites en matière de traite des êtres humains n'est pas assez contraignante. Chaque magistrat mais aussi chaque policier développent leur propre pratique en fonction de visions locales et confèrent à celle-ci des accents spécifiques. Un magistrat ou un policier préconisera tel mode opératoire et un autre magistrat ou un autre policier en prônera un autre. Pour faire en sorte que les procédures de recherche et de poursuite soient efficaces, il faut qu'une directive contraignante fixe des actes d'instruction minimaux et standardisés. Nous pensons, en l'espèce, à l'utilisation de moyens techniques lors de l'enquête, aux constatations techniques systématiques, à la recherche et à l'identification systématiques des victimes d'un groupe d'auteurs donné, à la définition de ce que recouvre la notion de « renseignements susceptibles d'être fournis par la victime », aux vérifications faites par le biais d'Europol en vue d'établir que le suspect fait partie d'un réseau plus vaste et/ou international, etc. La fixation de normes minimums afférentes à l'enquête sur des faits de traite des êtres humains facilite l'évaluation de celle-ci et permet d'éviter l'arrêt des recherches, simplifie l'échange d'informations mais, surtout, favorise la collaboration avec d'autres pays dans le cadre d'une (nouvelle) enquête en matière de traite des êtres humains.

    Le troisième constat formulé par M. Bontinck est qu'il arrive souvent, surtout lors d'enquêtes supralocales et internationales sur des faits de traite des êtres humains, que des policiers mais aussi des magistrats ne soient pas satisfaits du travail accompli, même lorsque toutes les informations recueillies lors des investigations ont été centralisées ou partagées. Personne en fin de compte ne décide qui poursuit l'enquête et selon quelles modalités. Le parquet fédéral n'assume pas ce rôle. Le SCT rencontre les mêmes difficultés lorsqu'il ouvre des dossiers nationaux ou internationaux ou qu'il démontre l'existence de certains liens après avoir comparé les résultats d'investigations menées en Belgique sur des faits de traite des êtres humains à des informations internationales provenant d'Europol et qu'il en informe le parquet fédéral.

    Une quatrième réflexion de l'intervenant concerne le rôle clé que les magistrats de référence en matière de traite des êtres humains jouent dans le cadre des recherches et des poursuites de celle-ci. Si certains d'entre eux accomplissent cette tâche de manière exclusive, d'autres doivent la combiner avec d'autres tâches. Dans les arrondissements judiciaires de grande dimension, un magistrat traite un nombre élevé de dossiers relatifs à la traite des êtres humains, alors que, dans les petits arrondissements, la charge de travail est assurément moins volumineuse. C'est ainsi que des dossiers similaires peuvent connaître un suivi différent en fonction de l'expérience acquise par l'arrondissement et de l'évaluation qu'il en fait.

    Le choix des différents parquets de Flandre occidentale de regrouper désormais tous les dossiers relatifs à des faits de traite et de trafic des êtres humains à l'échelle de la province au sein d'un même parquet et de les confier à un seul magistrat de référence ne peut que favoriser le développement d'une approche cohérente et efficace de ces dossiers. Pareille démarche pourrait s'inscrire dans le cadre d'une réforme du paysage judiciaire en vue d'une bonne administration de la justice. On pourrait aussi créer une « capacité de recherche pluridisciplinaire nationale » en matière de traite des êtres humains en mobilisant à cet effet des inspecteurs sociaux, des policiers mais aussi des représentants de l'Office des étrangers. Cette capacité de recherche serait un appoint dans le cadre des enquêtes supralocales et/ou internationales et pourrait elle aussi trouver sa place dans la réforme précitée. De surcroît, on évite les discussions sur le regroupement de personnes issues de régions et de services différents en vue de traiter les dossiers, ce qui freine de plusieurs manières l'action tant des magistrats que des chefs (de police).

    La cinquième réflexion a trait aux victimes de la traite des êtres humains. Celles-ci sont au cœur de l'approche que la Belgique applique et qui fait d'elle un exemple pour les autres pays. La directive 8/2008 relative au statut de la victime en est une bonne illustration, même si elle a besoin d'être adaptée çà et là. L'un des défis qui subsistent à l'heure actuelle est de savoir comment concilier la recherche des trafiquants d'êtres humains avec la nécessité de rendre justice aux victimes lorsque celles-ci ne demandent pas à bénéficier du statut de protection. Les victimes bénéficiant du statut de protection doivent-elles être les seules à obtenir une compensation pour l'injustice qu'elles ont subie, ou faut-il aussi dédommager les personnes qui, pour quelque raison que ce soit, ont opté rapidement pour un retour vers le pays d'origine ? Pour que ces victimes obtiennent une compensation du préjudice subi, ne suffit-il pas qu'elles se fassent suivre (en ambulatoire) et assister, dans leur pays d'origine, par un centre agréé spécialisé dans la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains ? Qu'en est-il lorsqu'une personne qui se présente dans un centre spécialisé en Belgique fait des déclarations ou fournit des renseignements qui mènent à l'arrestation de trafiquants en Allemagne ? Peut-elle également bénéficier du statut belge de victime (plus favorable), en concertation avec la justice allemande, dans l'intérêt de la sécurité de la victime ?

    Une sixième piste évoquée par l'intervenant concerne un système de « contrôle administratif » comme manière d'aborder la traite des êtres humains. L'approche dissuasive et répressive de la traite des êtres humains est focalisée sur les victimes et les auteurs. Certains magistrats ont déjà fait savoir que leurs moyens et leurs effectifs, tout comme ceux des services d'inspection, de contrôle et de police, ne sont pas illimités. C'est pourquoi il faut rechercher des alternatives tout aussi efficaces. L'on se pose rarement la question de savoir comment et en quoi un système de « contrôle administratif » pourrait contribuer de manière structurelle, systématique ou complémentaire à l'approche globale de lutte contre la traite des êtres humains. M. Bontinck pense au rôle des provinces et à celui des villes et communes avec leurs différents services — comme les pompiers — impliqués dans les contrôles, les signalements, les autorisations ou la délivrance de documents. Une réflexion similaire peut également être menée pour le cadastre, l'inspection de l'environnement, l'inspection alimentaire, etc. Les différents partenaires peuvent être associés, à l'aide d'un « linking pin », pour former ensemble un grand « réseau de contrôle administratif en vue de lutter contre la traite des êtres humains ». Une telle démarche nécessite une bonne base (légale), une structure adéquate et une procédure idoine pour l'échange d'informations.

    La septième et dernière réflexion de l'intervenant est une mise en garde contre l'idée d'une collection globale des données sur la traite des êtres humains, qui servirait de levier pour améliorer l'efficacité de la lutte contre ce phénomène. Chaque partenaire a déjà pu améliorer sa collection de données sur la traite des êtres humains en s'inspirant de projets ou d'études. La police est en mesure d'apporter une réponse à bon nombre de questions, comme peut en témoigner le Centre pour l'égalité des chances. Si chaque partenaire se livrait au même exercice, un rapporteur national sur la traite des êtres humains serait dans une position confortable. C'est une lacune éventuelle dans cette collection de données qui doit donner lieu à une action ciblée en vue d'y remédier, et non l'inverse. L'intervenant fait référence aux propositions (de 2008, 2009) du SCT relatives à une recherche et une action ciblées, mais courtes, mûrement réfléchies et multidisciplinaires, sur l'exploitation de la mendicité des mineurs qui commettent également d'autres méfaits, sous contrôle ou sous la contrainte. Il s'agit, dans certains cas, de traite des êtres humains. Malgré les références faites à des expériences à l'étranger, certains prônent toujours aujourd'hui « la bonne image » (pourtant irréalisable) avant d'agir, alors qu'il n'y a pas de données belges disponibles.


    2. Exposé de M. Christian Deville, Commissaire principal de la police locale de Charleroi

    M. Deville expose qu'il s'occupe de la TEH depuis 1994. À l'époque, il s'agissait uniquement de prostitution. Il était alors le seul policier à s'occuper de la prostitution dans les rues de Charleroi. La BSR de la gendarmerie s'occupait de la prostitution dans les bars et les maisons privées. Depuis la fusion, la PJF s'occupe toujours de la prostitution dans les bars et maisons alors que la police locale de Charleroi s'occupe de la prostitution de rue.

    Au début, les prostituées étaient des jeunes femmes d'origine belge. Vers les années 1998-1999, la police a constaté une arrivée massive des femmes d'origine africaine. C'est à ce moment que son service a été renforcé. Vers 2000, les femmes d'origine africaine ont quitté la région vers Bruxelles et Anvers. Elles ont été remplacées par des femmes d'origine albanaise. Lors de la fusion de la police, l'on a constitué une cellule TEH au niveau de la police locale, composée de 12 policiers.

    Actuellement, la prostitution dans la rue constitue 3 % du temps de travail de son équipe. Le reste est consacré à la TEH économique qui s'est développée depuis lors.

    À Charleroi, l'intervenant se dit chanceux car aussi bien au niveau politique qu'au niveau du chef de zone et de la magistrature, il y a toujours eu une très grande collaboration. La police locale collabore très bien avec la police fédérale, avec le magistrat de référence avec l'auditorat du travail où deux magistrats s'occupent de la traite et des dossiers financiers liés à la TEH. Son service collabore également avec les ASBL en ce domaine (Surya, Le Nid, ...).

    Il affirme que la recherche d'interprètes représente un grand problème pour le moment: il y a souvent des langues très rares pour lesquelles il est parfois très difficile de trouver un interprète.

    En dépit de cette bonne structure et de la bonne collaboration, il y a un élément qui pose parfois problème dans le processus judiciaire: le juge de fond. Il y a cinq ans, son équipe a construit un dossier important contre des marchands de sommeil. Son service a saisi cinq bâtiments, avec tout ce que cela implique comme lourdes procédures. En dépit du dossier constitué (photos, rapports du service pompiers, ...) le juge de fond a estimé qu'il n'y avait pas lieu de saisir le bâtiment. On a donc dû restituer ces bâtiments après de mois de travail.

    Ce problème n'est toujours pas résolu et il a été demandé à la police de lever le pied en ce qui concerne les saisies de bâtiments dans le cadre des marchands de sommeil.

    En ce qui concerne l'organisation globale, le magistrat de référence en matière de traite des êtres humains organise tous les 3 mois une réunion avec les services de police concernés: la police locale, la police fédérale, la police des chemins de fer, la police de l'aéroport et parfois même la police routière. On y examine tous les dossiers pénaux, les enquêtes en cours et on organise un échange d'informations. Suite à une convention conclue avec le parquet, le service de police qui a initié une enquête, la termine.

    Une réunion mensuelle est organisée avec l'auditorat du travail. Sa cellule y participe avec la police judiciaire locale ainsi que tous les services sociaux. Il y a également des représentants de la région wallonne, de l'ONEM, de l'inspection sociale, etc. On y examine également les dossiers en cours, sans toutefois en divulguer le contenu. L'aide des services sociaux en cette matière est indispensable. Durant ces réunions, ces services peuvent faire appel aux services de police, pas uniquement pour garantir leur sécurité mais aussi pour détecter des cas de TEH ou de séjour illégal.

    Ce qui le frappe le plus dans le dossier de la TEH est le manque de motivation pour lutter contre le phénomène à tous les niveaux. Des bourgmestres affirment qu'il n'y a pas de prostitution dans leur commune mais ignorent totalement qu'il y a des victimes d'exploitation économique qui y vivent pourtant. Il faut donc conscientiser les responsables à tous les niveaux: la TEH est une réalité qui existe partout et il faut lutter contre ce phénomène avec tous les moyens possibles.


    3. Exposé de M. Johan Debuf

    Dans la zone de police de Bruxelles-Nord, la section traite des êtres humains (TEH) se compose de cinq personnes. La priorité de la zone est la prostitution en vitrine dans le quartier de la rue d'Aerschot, à Saint-Josse-ten-Node. Bien que la section doive s'attaquer à toutes les formes de traite des êtres humains, la priorité est donnée à ce qui dérange le plus. À chaque élection, la commune fait pression pour que l'on renforce les contrôles. Leur objectif n'est pas tant de lutter contre la traite des êtres humains, mais plutôt de faire « un grand nettoyage ». L'une des conséquences est que les phénomènes combattus se déplacent tout simplement. Lorsque certaines communes mènent des actions contre la prostitution sur la voie publique, l'on constate que celle-ci se déplace simplement sur le territoire d'une autre commune.

    La section de l'intervenant consacre environ 80 % de son temps à la prostitution en vitrine. Durant la période 2004-2008, la lutte contre la prostitution et contre la traite des êtres humains qui en découle avait été inscrite dans les priorités du plan zonal. Depuis 2008, ce n'est plus le cas parce qu'il existe une section spécialisée, mais il précise que certaines zones ne disposent même pas d'une section « traite des êtres humains ». Il est persuadé que le phénomène de la prostitution est présent dans chaque commune du pays, mais qu'il est simplement très difficile à repérer lorsqu'il se produit dans la plus grande discrétion.

    La base de tous les dossiers est la détection. Pour sa section, cette opération est très simple à réaliser car les contrôles permettent d'identifier très facilement les victimes. En fin de compte, la quasi-totalité des prostituées peuvent être considérées comme des victimes. C'est la raison pour laquelle le parquet a dû fixer des priorités en matière de traite des êtres humains, à savoir s'attaquer aux cas les plus flagrants.

    La rue d'Aerschot compte 57 bars. Au cours des 32 contrôles effectués entre le 1er juillet 2009 et le 31 décembre 2009, on a contrôlé 265 femmes, généralement d'origine bulgare ou roumaine. Sur ces 265 femmes contrôlées, 95 étaient de « nouvelles recrues ». C'est une constante: tous les contrôles montrent qu'un quart à un tiers des femmes sont de nouvelles arrivantes, c'est-à-dire qu'elles n'étaient pas encore connues du service de l'intervenant. Il s'agit de jeunes filles d'à peine 18 ans, qui sont installées en vitrine. Il va sans dire que ce genre de cas relève clairement de la traite des êtres humains. C'est un signe que la traite des êtres humains fonctionne très bien.

    Il s'agit d'un business qui brasse beaucoup d'argent et dans lequel une vie humaine n'a de valeur que les bénéfices que l'on peut en retirer. Il s'agit à chaque fois d'enquêtes fort complexes. Vous n'avez ni plaignant ni victime, ce qui signifie que vous devez tout rechercher par vous-même. Sur ce plan, la collaboration avec les magistrats de référence est excellente. En revanche, on a souvent des problèmes quand on a pour interlocuteur un juge d'instruction ou un membre de la magistrature assise. Certains juges d'instruction connaissent mal cette problématique, pour ne pas dire qu'ils en ignorent tout. Certains d'entre eux ne s'y intéressent absolument pas. Les résultats atteints varient donc en fonction du juge d'instruction en charge du dossier. Avec un peu de malchance, votre dossier et votre enquête resteront bloqués parce que le juge d'instruction refuse d'autoriser des écoutes téléphoniques. Certains pensent que ces dossiers peuvent se résoudre par de simples auditions ou observations. Mais en procédant à une audition, vous informez les protagonistes qu'une enquête est en cours et ils disparaissent dans la nature.

    C'est pourquoi il est essentiel que chacun comprenne ce qu'est exactement la traite des êtres humains. Force est de constater à cet égard une grande ignorance à tous les niveaux. L'intervenant a la nette impression que la formation de base dispensée dans les écoles de police se focalise avant tout sur les rapports avec le citoyen. La formation judiciaire passe cependant au second plan.

    Le citoyen ne perçoit pas non plus ce que recouvre exactement la traite des êtres humains. Par contre, le phénomène est souvent bien connu des services de secours, notamment des infirmières en milieu hospitalier qui, comme les pompiers, entrent régulièrement en contact avec des victimes. Ces services représentent une précieuse source d'information. Ils doivent néanmoins être capables de reconnaître certains signes.

    Une des grandes difficultés des enquêtes en matière de traite des êtres humains tient au fait que les victimes ne se sentent pas toujours des victimes. Il ne suffit pas de les retirer des bars et de les rapatrier dans leur pays d'origine. Quand on agit de la sorte, elles sont immédiatement réintégrées dans le réseau, au besoin en leur procurant de faux documents ou en leur faisant contracter des mariages blancs.

    Dans son travail, la police doit bâtir une relation de confiance avec les victimes. Très souvent, la prostituée ne parlera pas de sa propre situation, mais évoquera plutôt celle d'une victime dont le sort est encore moins enviable. Il est ainsi possible de recueillir des informations sans que les prostituées se manifestent.

    L'ampleur de la tâche est telle qu'elle impose de recourir à des informatrices en grand nombre, elles-mêmes souvent d'origine étrangère, ce qui peut poser des problèmes de compréhension. l'on ne peut pas avoir recours aux services d'un interprète pour traduire les conversations avec une informatrice. De ce fait, soit l'on passe à côté d'une grande partie des informations transmises, soit l'on fait appel à une personne qui accepte de servir gratuitement d'interprète, avec tous les risques que cela suppose. Ce problème devra être examiné plus en détail.

    La possibilité existe de faire appel à des interprètes dans le cadre du volet judiciaire d'une enquête, mais ici aussi, les problèmes sont légion. Les interprètes ne sont pas toujours disponibles et sont surtout très mal rémunérés. Certains attendent toujours le paiement de prestations qu'ils ont fournies deux ans auparavant. En raison des mauvaises conditions de paiement du parquet de Bruxelles, certains interprètes refusent toute nouvelle collaboration avec la police bruxelloise.

    Étant donné que l'on ne peut pas travailler avec les victimes, il faut employer d'autres méthodes pour poursuivre les auteurs. Les enquêteurs doivent ainsi tenter d'identifier les endroits où résident les victimes.

    La police n'a pas le droit d'ouvrir une enquête en procédant à des écoutes téléphoniques. Celles-ci sont en effet soumises à l'autorisation d'un juge d'instruction. Le magistrat du parquet doit non seulement être convaincu de la nécessité d'une telle enquête, mais il doit aussi persuader le juge d'instruction. Bien souvent, ce dernier estime qu'il n'est pas nécessaire de faire procéder à des écoutes. Et lorsque la procédure de recours introduite contre sa décision aboutit enfin, le numéro de téléphone a changé depuis longtemps.

    Ces enquêtes téléphoniques sont pourtant indispensables et apportent de nombreuses indications. Savoir « qui appelle qui » permet en effet de remonter la filière.

    Les écoutes téléphoniques prennent beaucoup de temps — y compris pour les juges d'instruction chargés de prendre la décision — et sont très onéreuses. Aussi ne sont-ils pas très enclins à les autoriser. Toutefois, lorsqu'une écoute téléphonique peut être effectuée, elle est très fructueuse.

    L'intervenant n'a pas encore connu un seul dossier dans lequel l'utilisation de tels moyens d'investigation n'a pas mené à une condamnation assortie de très lourdes peines.

    Les personnes arrêtées pour traite des êtres humains restent un moment derrière les barreaux. Mais vu la lenteur de la procédure judiciaire, leurs avocats parviennent à obtenir leur libération avant même leur comparution devant le juge. À cet effet, ils demandent souvent l'accomplissement de devoirs d'enquête supplémentaires alors que l'enquête policière proprement dite est déjà clôturée depuis longtemps. Les trafiquants d'êtres humains en question sont souvent relâchés, particulièrement en période de vacances, lorsque la chambre du conseil est présidée par des juges du tribunal civil. Les intéressés disparaissent alors dans leur pays d'origine, d'où ils se rendront de nouveau coupables de traite des êtres humains.

    L'intervenant cite l'exemple de cinq trafiquants bulgares qui ont été libérés alors que leur cause n'avait pas encore été plaidée. L'affaire est suspendue dans l'attente des résultats de la commission rogatoire qui doit être envoyée en Bulgarie.

    La collaboration avec la police bulgare fonctionne très bien car sa section a des contacts avec la police locale, qui la conseille. Mais lorsque la coopération passe par les instances officielles, telles qu'Interpol, cela prend beaucoup trop de temps.

    L'intervenant cite encore l'exemple d'un trafiquant albanais qui a été arrêté sous un faux nom en Belgique, alors qu'il avait été condamné, sous sa véritable identité, à 12 ans de prison en Italie. Dès son arrestation, les autorités italiennes ont été informées des données le concernant afin de pouvoir procéder à toutes les vérifications nécessaires. Le trafiquant a été libéré après cinq mois, les autorités italiennes ayant confirmé trop tard qu'il s'agissait de la personne en question. Il est un fait que les documents se sont fait attendre beaucoup trop longtemps, empêchant toute efficacité. Il vaudrait certainement la peine de réexaminer les procédures de coopération avec les pays voisins.

    Les dossiers de traite des êtres humains concernent toujours un niveau supralocal. Cela pose le problème de la compétence des parquets, qui veulent tous voir leur propre enquête porter ses fruits. La police locale doit, elle aussi, avoir des résultats à présenter. Il est toutefois difficile d'en présenter chaque année. À partir du moment où une enquête est ouverte, il faut souvent un an pour rassembler tous les éléments avant de pouvoir entamer des poursuites. Il faut en effet coopérer avec l'étranger, obtenir certaines extraditions, etc. Bref, si l'on était évalué sur les résultats obtenus durant l'année en question, ce serait comme si l'on n'avait rien fait. C'est pourquoi les résultats de l'intervenant sont toujours présentés sur deux ans.

    Les bourgmestres de Schaerbeek et de Saint-Josse ont instauré, dans leur commune, un règlement communal qui s'inspire de l'exemple anversois. Le problème, c'est qu'il faut toujours invoquer une tout autre législation, par exemple des prescriptions urbanistiques, étant donné que le statut de la prostitution n'est pas réglé en Belgique. Grâce au règlement en question, il sera possible de contrôler les conditions dans lesquelles les prostituées doivent travailler.

    L'intervenant souligne enfin qu'outre la prostitution, il faut aussi être attentif à la problématique des marchands de sommeil, à la mendicité et à l'exploitation économique. La traite des êtres humains est un trafic diversifié, qui rapporte énormément d'argent. Ce que nous faisons actuellement, c'est appliquer un emplâtre sur une jambe de bois.


    4. Exposé de M. Patrick Bourgeois, chef de service, PJF de Bruxelles

    La deuxième section de la Police judiciaire fédérale de Bruxelles s'occupe de tous les phénomènes de traite et de trafic des êtres humains.

    Les dossiers de trafic des êtres humains portent principalement sur les filières de transport clandestin et d'immigration pseudo-légale.

    Le service s'occupe en outre de toutes les formes d'exploitation en matière de traite des êtres humains. On distingue cinq formes:

    — l'exploitation sexuelle;

    — et l'exploitation économique, qui sont les deux phénomènes dont le service de l'intervenant s'occupe le plus;

    — l'exploitation de la mendicité (plus rarement);

    — le commerce d'organes, qui constitue un domaine dans lequel son service n'a pas d'expérience;

    — le fait de faire commettre des crimes ou des délits, un phénomène qui commence lentement à se développer.

    Son service est subdivisé en trois groupes d'enquête: le trafic des êtres humains, la traite des êtres humains (exploitation sexuelle et économique) et l'exploitation sexuelle des mineurs (pornographie infantile et tourisme sexuel). Ce dernier groupe d'enquête requiert une certaine expérience en ce qui concerne l'audition des mineurs.

    Le service est constitué d'une quarantaine d'enquêteurs, parmi lesquels 18 ou 19 se concentrent sur le trafic des êtres humains. Treize enquêteurs s'occupent de la traite des êtres humains et 5 de l'exploitation sexuelle des mineurs.

    La lutte contre la traite des êtres humains est déjà bien soutenue par le cadre actuel. L'intervenant esquisse brièvement le cadre de référence du service.

    La circulaire du ministre de la Justice (COL 2/2002) du 20 février 2002 organisant la répartition des tâches, la collaboration, la coordination et l'intégration entre la police locale et la police fédérale en ce qui concerne les missions de police judiciaire prévoit:

    — une répartition des tâches entre la police locale et la police fédérale en ce qui concerne les missions de police judiciaire;

    — que le trafic et la traite des êtres humains relèvent de la compétence de la police fédérale.

    La directive COL 01/2007 du ministre de la Justice relative à la politique de recherches et poursuites en matière de traite des êtres humains donne des instructions sur la manière d'aborder la traite des êtres humains. Elle fixe également des priorités. L'objectif principal est la poursuite pénale des auteurs responsables, en se basant pour ce faire sur une image du phénomène et sur des contrôles.

    Outre ce travail d'enquête régulier, le service se voit imposer des missions supplémentaires par le Plan national de sécurité 2008-2011. En vertu de ce plan, il est censé fixer des priorités supplémentaires en fonction de la capacité disponible. Dans ce cadre, le service accorde une attention particulière à:

    — l'exploitation sexuelle liée à la prostitution cachée (le projet DARKNESS). Jusqu'en 2008, le service s'occupait principalement de la prostitution visible. À présent, des enquêtes sont aussi menées régulièrement sur la prostitution cachée;

    — l'exploitation économique;

    — une enquête ciblée sur les maisons et immeubles qui abritent les victimes du trafic des êtres humains. En effet, certains propriétaires savent pertinemment bien qu'ils mettent leur immeuble à la disposition de trafiquants d'êtres humains.

    L'objectif du service est de faire traduire en justice un maximum d'individus se rendant coupables de faits d'exploitation. Cela devrait se concrétiser par des dossiers réactifs: dossiers, PV, tribunaux et jugements. Le problème, c'est que la traite des êtres humains a lieu dans des milieux fermés et ne fait l'objet de pratiquement aucune plainte directe. Le service doit par conséquent partir lui-même à la recherche d'informations. Il le fait généralement en établissant des contacts avec des indicateurs ou informateurs, ou en menant des enquêtes proactives. Cette dernière méthode est devenue courante, car elle permet d'effectuer certaines investigations menant à l'identification de l'entourage de la victime et de l'auteur des faits d'exploitation. Si elle permet de procéder à des investigations, une enquête proactive a également ses limites: elle ne permet par exemple pas de recourir à des mesures de contrainte.

    Dans le cadre de la prostitution visible, M. Bourgeois fait référence à l'enquête proactive baptisée NEON. Cette enquête est consacrée à la prostitution de rue et à la prostitution en vitrine dans les bars et carrés de la région de Schaerbeek et d'Evere mais également à la prostitution exercée dans les débits de boissons, même si la passe a lieu autre part. Cette enquête proactive est menée en collaboration avec différentes zones de police. La zone BRUNO, par exemple, est très active dans le dossier NEON.

    Une enquête proactive sur la prostitution cachée est menée sous le nom de code DARKNESS. Les immeubles impliqués dans le trafic des êtres humains font, quant à eux, l'objet d'une enquête dénommée HOTEL.

    L'intervenant souhaite dresser un aperçu des pierres d'achoppement de la procédure en les situant dans le cadre des différents stades d'une enquête judiciaire.

    Une remarque préliminaire est formulée concernant le cas spécifique de Bruxelles. Un nombre important de bandes et d'organisations sont implantées dans la capitale, qui sert manifestement de base de départ. Le phénomène y est donc très présent en comparaison avec d'autres villes. Bruxelles compte également beaucoup d'étrangers en séjour illégal. Cela concerne aussi bien la prostitution visible que les filières. De nombreux transports sont organisés à partir de Bruxelles. La capitale offre donc une très large palette d'informations pouvant être exploitées dans le cadre d'une enquête proactive, mais la capacité de recherche disponible ne le permet pas.

    L'intervenant dresse un aperçu des problèmes rencontrés aux différents stades de l'enquête.

    1) Début de l'enquête:

    90 % des enquêtes en matière d'exploitation sexuelle sont ouvertes sur la base d'informations dont le service dispose. Il est tout à fait exceptionnel que l'ouverture d'une enquête fasse suite à une apostille réclamant une enquête sur la base de constatations de faits d'exploitation sexuelle.

    Ces informations sont rassemblées non seulement lors des enquêtes menées par le service mais aussi lors des recherches qu'il effectue régulièrement à l'aide de sa capacité propre. Celles-ci s'inscrivent dans le cadre des enquêtes proactives, qui font l'objet d'accords avec le parquet pour déterminer ce que le service peut faire ou non. Concrètement, les enquêteurs se rendent sur le terrain et essaient de gagner la confiance de la victime. Sur la base de cette relation de confiance, le service tente de rassembler un maximum d'éléments utiles pour aider à identifier l'entourage de la victime. Dans la mesure du possible, le domicile et les contacts de la victime sont ainsi vérifiés. Il va sans dire que ce volet du travail demande beaucoup de temps et requiert par conséquent la capacité nécessaire.

    L'intervenant souhaite insister à nouveau sur l'importance que revêtent la capacité et les budgets du service.

    Par ailleurs, la collecte d'informations n'est pas aisée: il faut faire face à la méfiance qu'inspire la police, à la barrière de la langue, à la précarité de la victime, au fait qu'elle n'ose pas sortir de sa situation et qu'elle craigne des représailles si elle parle à la police.

    Pour pouvoir entrer en contact avec les victimes, il faut faire appel à des interprètes. Dans le service de l'intervenant, la question des frais d'interprétation est réglée dans le cadre d'une enquête proactive. Le recours à un interprète dans le cadre du travail avec les indicateurs reste par contre problématique. La confidentialité relative à la personne et aux informations de l'indicateur risque d'être violée. C'est pourquoi l'on opte plutôt pour une tierce personne, choisie par l'indicateur lui-même, pour assurer la traduction.

    Même si c'est rare, les victimes portent parfois plainte. Cela arrive lorsqu'une fille est contrainte de se prostituer depuis peu et oppose encore une résistance. Parfois, c'est l'enquêteur lui-même qui constate les faits d'exploitation lors d'un contrôle; parfois, c'est une autre prostituée qui signale qu'une nouvelle a des problèmes.

    La période de réflexion dont bénéficient les victimes pose également des difficultés. En vertu de la loi, une période de réflexion de 45 jours doit être accordée d'office et une prise en charge doit être prévue dans un centre spécialisé.

    Un premier problème concerne l'abus de la procédure de protection des victimes. Autant le statut de victime de la traite des êtres humains est louable, autant les abus sont réels. Certaines personnes prétendent être sur le territoire depuis 5 ans, sans pouvoir indiquer l'endroit où elles habitent ni les personnes qu'elles connaissent. En outre, dans certains cas, les victimes donnent constamment une version différente des faits.

    Un deuxième problème tient au fait que la police ne sait pas toujours qui elle place dans un centre d'accueil. Certaines victimes ont des antécédents judiciaires ou sont envoyées dans un centre pour retrouver la trace d'autres victimes. Alors que deux jeunes filles se trouvaient dans un centre d'accueil, il est déjà arrivé que l'une d'entre elles disparaisse et que l'autre soit enlevée quelques semaines plus tard. La sécurité des victimes en centre d'accueil, une fois leur déposition faite, n'est donc pas garantie et doit, par conséquent, faire l'objet d'un suivi.

    L'octroi et la protection du statut de victime de la traite des êtres humains ne valent que pour des faits commis en Belgique, ce qui est regrettable compte tenu de la rotation internationale des victimes au sein des filières. Étant donné que la traite des êtres humains est un phénomène international, il serait bon d'internationaliser ce statut.

    Le statut de victime de la traite des êtres humains permet de bénéficier d'un droit de séjour définitif lorsqu'une condamnation est prononcée ou qu'une action est intentée pour traite des êtres humains. Toutefois, rien n'est réglé lorsqu'un des suspects décède ou qu'il quitte le pays et que le parquet met un terme à l'enquête. Nous devons veiller à ne pas léser la victime une seconde fois.

    L'intervenant met à nouveau l'accent sur les difficultés relatives aux contacts avec les indicateurs. Les indicateurs sont d'une importance cruciale dans une enquête étant donné que la traite des êtres humains a lieu dans des milieux clos et qu'il est très difficile d'obtenir des informations à ce sujet. En outre, le nombre d'indicateurs est très limité et ils sont eux-mêmes souvent en séjour illégal. Dans ce cas, les services de police peuvent prévoir un arrangement et leur procurer une autorisation de séjour temporaire. Mais les personnes concernées n'ont pas de travail pour autant et ne peuvent donc pas subvenir à leurs besoins. La seule possibilité pour elles de gagner de l'argent est de retourner dans le circuit illégal. Or, l'une des conditions pour être reconnu comme indicateur est de ne pas participer à des activités criminelles. Si les indicateurs concernés pouvaient être temporairement autorisés à travailler, ils pourraient se soustraire au milieu criminel.

    2) Élaboration de l'enquête

    L'intervenant met tout d'abord l'accent sur la spécificité de l'enquête. La coopération dans les investigations menées en matière de traite des êtres humains est minime. Tout se fait dans l'anonymat et l'illégalité. En outre, la traite des êtres humains présente un caractère international. Il arrive fréquemment qu'une organisation illégale exploite une quarantaine de Roumaines en Belgique, alors que les trafiquants contrôlent tout depuis la Roumanie.

    Par conséquent, les enquêtes sont longues, ce qui leur vaut parfois d'être classées sans suite par le parquet. Pour éviter ce genre de situations, la PJF de Bruxelles a décidé de mener une enquête proactive plus longue et de ne dresser un procès-verbal qu'in fine, une fois le dossier complet, avant de transmettre ce P.-V. au parquet.

    Autre conséquence en cas d'enquêtes de longue durée: certaines informations n'ont parfois plus de valeur parce qu'elles sont dépassées et le parquet tente alors de les actualiser.

    En ce qui concerne l'utilisation des méthodes particulières de recherche (application de la loi MPR), l'intervenant souligne que la traite des êtres humains a lieu dans le milieu de l'illégalité. L'identification ou l'enregistrement des personnes concernées est très difficile (pas d'adresse, pas de véhicule, etc.). En général, les intéressés travaillent avec des numéros de téléphone et des surnoms. La PJF doit dès lors identifier elle-même les personnes concernées, ce qui n'est possible que par l'observation.

    L'observation poursuit un double objectif. Le premier concerne la collecte d'éléments de preuve. Il n'est en effet pas toujours opportun d'intervenir sur-le-champ. Les enquêteurs approfondissent souvent leur enquête afin de pouvoir démanteler toute une bande. Le second objectif d'une observation est de pouvoir cerner l'évolution de la bande/l'organisation concernée au fil du temps.

    Il existe deux types d'observations: l'observation défensive (visant uniquement à collecter des informations) et l'observation offensive (combinant l'observation et l'intervention). Compte tenu de la capacité d'observation limitée, les observations offensives sont prioritaires sur les défensives.

    Pour illustrer la complexité des devoirs d'enquête, M. Bourgeois cite l'exemple de la surveillance téléphonique. En raison de son coût élevé, celle-ci fait l'objet d'une évaluation minutieuse avant d'être autorisée.

    Le bon vouloir du juge d'instruction est également d'une importance cruciale: à Bruxelles, les magistrats de référence en matière de traite des êtres humains connaissent parfaitement les dossiers.

    La coopération varie d'un juge d'instruction à un autre. En matière de trafic des êtres humains, le service de l'intervenant travaille souvent avec le même juge d'instruction. L'avantage est que le juge d'instruction connaît bien la matière et agit de manière plus rapide et flexible. Les suspects ont souvent plusieurs numéros de téléphone qu'ils n'utilisent que pendant quelques jours. Lorsqu'une autorisation d'écoute téléphonique est demandée, il importe dès lors qu'elle soit accordée très rapidement.

    3) Accueil

    L'accueil des victimes n'est pas adapté. Il n'existe pas d'infrastructure d'« accueil » adaptée. Récemment, le service de l'intervenant a été confronté à 150 victimes de trafic des êtres humains alors qu'il s'attendait à en trouver 50.

    En ce qui concerne la préparation du statut de « victime de traite/trafic des êtres humains », l'intervenant attire l'attention sur le manque de temps et de possibilités. La barrière linguistique rend le contact difficile et le manque d'interprètes n'arrange rien. Comme il faut fixer des priorités, l'on choisit généralement d'interroger les auteurs avec l'aide d'un interprète et les victimes sont laissées sur le carreau.

    En ce qui concerne la prise en charge des victimes dans les centres spécialisés, l'intervenant estime qu'il faudrait plus de transparence sur la capacité d'accueil. Les centres refusent parfois des victimes par manque de place.

    L'expression (ancienne) « quitter le milieu » et l'expression (actuelle) « quitter les auteurs responsables de l'exploitation » ne sont pas non plus toujours claires: dans la pratique, l'on se réfère plutôt au critère « quitter le milieu ».

    Les délais sont trop courts (12 heures pour une arrestation administrative et 24 heures pour une arrestation judiciaire) pour que l'on puisse consacrer du temps aux victimes.

    Les décisions administratives — et notamment les ordres de quitter le territoire — sont parfois inapplicables. Les victimes se retrouvent ainsi souvent de nouveau dans la rue, sans autre choix que de retourner chez les trafiquants.

    4) Traitement des dossiers

    Les auteurs des faits sont souvent en séjour illégal dans le pays. Ils sont placés en détention préventive. L'intervenant cite l'exemple de deux dossiers dans le cadre desquels une écoute téléphonique et un travail d'enquête intensif ont été effectués pendant plusieurs mois, mais où les auteurs ont récemment été libérés avant même d'avoir été renvoyés devant le tribunal. Le dossier « Sunset » avait permis l'arrestation de 22 suspects: ils ont tous été libérés. L'intervenant a de nouveau arrêté 6 d'entre eux dans le cadre du dossier qui lui a succédé. Même scénario dans une affaire de traite des êtres humains avec exploitation sexuelle dans le milieu nigérian: les personnes en séjour illégal dans le pays sont de toute façon libérées. Il est conscient que les suspects ont des droits, mais libérer sans conditions une personne en séjour illégal dénote un manque de sens des réalités. Comment expliquer cela aux victimes ?

    5) Propositions d'amélioration

    — la situation spécifique de Bruxelles doit être prise en considération, ce qui implique logiquement la reconnaissance d'une capacité d'enquête spécifique;

    — la marge budgétaire nécessaire doit être prévue pour les enquêtes proactives en matière de prostitution illégale;

    — la collecte d'informations est difficile en raison des coûts d'interprétation dans le cadre des enquêtes proactives ou en dehors des enquêtes judiciaires;

    — en ce qui concerne la période de réflexion pour les témoins: le statut de victime de la traite des êtres humains ne devrait pas pouvoir être accordé d'office mais devrait être subordonné à une évaluation ou alors, il faudrait créer un centre de transit distinct afin de limiter les risques;

    — l'octroi de ce statut devrait être étendu aux faits commis dans d'autres États membres de l'UE ou la victime devrait pouvoir être transférée dans le pays où les faits de traite des êtres humains ont été commis;

    — si les poursuites intentées contre les auteurs de traite des êtres humains sont interrompues pour des motifs indépendants de la volonté de la victime, celle-ci doit pouvoir bénéficier de certaines garanties;

    — en ce qui concerne les indicateurs: ils devraient être plus rapidement autorisés à effectuer un travail légal;


    5. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES D'INSPECTION SOCIALE


    1. M. Paul Neuville, Service d'information et de recherche sociales (SIRS)

    Coordinateur au Service d'information et de recherche sociale, l'orateur déclare avoir été, auparavant, inspecteur à l'inspection sociale, où il était chargé de la cellule s'occupant de la traite des êtres humains dans le Brabant wallon.

    Le SIRS est une coupole qui essaie de coordonner les actions communes des différents services fédéraux de l'inspection sociale, de soutenir les inspections et d'établir des plans stratégiques pour les cellules d'arrondissement. Les cellules d'arrondissement sont présidées par un auditeur du travail; elles rassemblent des représentants des services d'inspection, du service des finances, de la police et d'autres services invités. Leur mission consiste à lutter contre la fraude sociale en contrôlant les travailleurs sur le terrain.

    La traite des êtres humains fait l'objet d'une approche spécialisée et multidisciplinaire. La Belgique a la particularité d'y associer les services de police et les inspections sociales. L'inspection sociale et le contrôle des lois sociales disposent de cellules spécialisées, tout comme la police judiciaire fédérale.

    Dans les grandes agglomérations, les polices locales comptent également des spécialistes dans leurs rangs.

    Cette approche multidisciplinaire comprend également une collaboration entre les services de police, les inspections sociales et l'Office des étrangers. Des contrôles sont menés à la fois par les cellules d'arrondissement et par la plate-forme COL 01.

    L'approche multidisciplinaire présente quatre avantages majeurs.

    En premier lieu, les contrôles sont plus complets. Les policiers s'occupent principalement du volet relatif à la traite des êtres humains. Les inspections sociales contrôlent le volet relatif aux lois sociales, ce qui peut donner lieu à des infractions pénales, à des amendes administratives; un volet concerne par ailleurs la régularisation.

    En deuxième lieu, les magistrats possèdent plus de moyens pour lutter contre la traite des êtres humains. Les auditeurs du travail et les magistrats du parquet travaillent en étroite collaboration, les auditorats prenant à leur compte le volet social.

    En troisième lieu, le travail est réparti lors des contrôles. Les inspections prennent en charge le volet social ce qui permet aux policiers de mieux se concentrer sur le volet de la traite des êtres humains.

    En quatrième lieu, les contrôles sont plus efficaces. Autrefois, quand la collaboration était moins fréquente, les agents prenaient deux procès-verbaux d'audition. Maintenant, dans la plupart des cas, ils dressent un procès-verbal d'audition commun. Les quinze ou vingt premières questions sont toujours les mêmes, que ce soit pour le volet social ou pour le volet traite des êtres humains. L'efficacité a donc été renforcée. Le fait de réaliser une audition commune permet aussi de diminuer les frais d'interprétation quand il s'agit de travailleurs qui ne parlent pas le français.

    Le 31 mai 2001, l'inspection sociale et le contrôle des lois sociales ont établi un mini protocole de lutte contre la traite des êtres humains. Pour les inspections, ce fut une première grande étape. Des actions avaient lieu tous les mois. À l'époque, nous avions déploré l'intitulé de ce mini protocole. Nous aurions préféré qu'il s'intitule « lutte contre l'occupation illégale de travailleurs étrangers et la traite des êtres humains ». Il est clair que les inspections n'initieront pas seules des actions contre la traite des êtres humains.

    Le fait que ce protocole concerne uniquement ces deux services posait un problème. Le SIRS a décidé d'intégrer ce mini protocole au sein des cellules d'arrondissement, qui disposent d'une autre structure, avec des représentants de la magistrature, de l'auditorat, du parquet et des services de police, ce qui favorise l'approche multidisciplinaire.

    Chaque année, le SIRS établit un plan stratégique et des plans opérationnels pour les cellules d'arrondissement. En 2010, la priorité pour les cellules d'arrondissement sera la lutte contre le travail non déclaré, qui s'articule autour de quatre objectifs: les travailleurs au noir, les travailleurs cumulant une allocation, les travailleurs exploités économiquement, employés dans des conditions contraires à la dignité humaine et, enfin, les travailleurs étrangers occupés illégalement.

    Il leur a été demandé d'effectuer 10 000 contrôles en 2010. Des normes qualitatives et quantitatives ont été élaborées pour les 21 cellules d'arrondissement. Les résultats des contrôles sont envoyés aux autres services d'inspection, à l'ONEM, à l'INAMI et à l'Inasti pour couvrir l'ensemble du volet social et détecter les fraudes aux cotisations sociales ou aux allocations sociales.

    La plate-forme COL 01 rassemble plus ou moins les mêmes services que les cellules d'arrondissement. Quelle est la différence ? Les cellules d'arrondissement s'intéressent avant tout à la fraude sociale mais, lors d'un contrôle, elles peuvent être amenées à constater des faits relevant de la traite des êtres humains. Il faut donc que les membres de ces services soient compétents, aient la sensibilité et la formation requises pour avoir les bons réflexes.

    La plate-forme COL 01, quant à elle, cible vraiment la traite des êtres humains. Le SIRS et les inspections organisent régulièrement des formations et des séances de sensibilisation des inspecteurs sociaux. Ainsi, des formations internes sont organisées, d'autres sont données par la police ou, éventuellement, par le SIRS.

    Dans le cadre de l'intégration du protocole au sein des cellules d'arrondissement, nous avons essayé de sensibiliser et de former les intervenants à la détection des cas de traite des êtres humains.

    Dans les cellules d'arrondissement, les services qui n'ont pas la compétence doivent néanmoins avoir le réflexe de communiquer sur le champ l'information au magistrat de liaison ou, s'ils n'arrivent pas à le joindre, à l'auditeur du travail; en dernier recours, ils doivent s'adresser à un service de police. Transmettre l'information deux jours plus tard, cela n'a plus de sens car, bien souvent, les travailleurs seront partis.

    Ils doivent avoir conscience que la traite des êtres humains est beaucoup plus grave que les infractions aux lois sociales. Dès qu'ils ont l'impression d'être en présence d'une victime de la traite des êtres humains, leur priorité doit aller à la protection de la victime. Pour cela, des procédures doivent être mises en place.

    Enfin, le SIRS mène une collaboration étroite avec les services de police. En ce qui concerne la traite des êtres humains, le SIRS et l'inspection sociale se sont associés pour donner aux policiers une formation, leur expliquer nos pouvoirs et leur montrer l'intérêt que présente la collaboration. Il faut toujours insister sur le fait que la collaboration doit être permanente. Cette formation a été très fructueuse, à la fois pour eux et pour le SIRS.

    Le SIRS organise aussi régulièrement des formations pour les permanents syndicaux de la CSC et de la FGTB. On les invite à transmettre eux aussi l'information.

    L'orateur estime que pour bon nombre d'acteurs, la distinction entre l'occupation illégale de travailleurs étrangers et la traite des êtres humains est encore insuffisante. Dans certains services de police, par exemple, il subsiste une confusion. Or, il s'agit de deux types de contrôles tout à fait différents, avec des conséquences tout à fait différentes. Le SIRS s'efforce de le rappeler à la moindre occasion.

    Dans ses rapports annuels, il fait une nette distinction entre les statistiques relatives à l'occupation illégale de travailleurs étrangers et celles relatives à la traite des êtres humains.

    Pour les inspections sociales, le SIRS dispose de statistiques nationales pour l'année 2008. On a constaté que 2 693 travailleurs étrangers étaient occupés illégalement. Une grande partie des victimes de la traite des êtres humains a été traitée par la police. Dans certains cas, le traitement a été initié par les inspections sociales. Ces dernières ont traité 26 victimes en 2006 et 25 en 2007. Ces chiffres ne sont pas énormes mais la collaboration est bien là. Le travail est réparti lors des contrôles. Les constats portant sur des victimes de la traite des êtres humains sont effectués par des policiers.

    En guise de conclusion, l'orateur signale avoir entendu un responsable déclarer qu'il n'y avait pas de traite des êtres humains dans sa région. L'orateur pense que la traite existe partout, au nord comme au sud du pays, même si elle est surtout présente dans les grandes villes et dans les agglomérations.

    Il importe que l'information circule. Par conséquent, outre les inspections et les services de police, il faut absolument sensibiliser les citoyens. Les citoyens ont tendance à croire que les travailleurs étrangers occupés illégalement ou les victimes de la traite des êtres humains sont de toute manière mieux chez nous que dans leur pays d'origine. Sur ce plan, il reste du travail car, à défaut d'information, les magistrats sont dans l'incapacité d'agir.

    Lors d'une visite dans un centre d'accueil, l'orateur a posé la question de savoir si des Belges avaient été victimes de la traite des être humains depuis la nouvelle réforme. La réponse a été positive. Le responsable du centre d'accueil a parlé d'un pensionnaire qui avait travaillé dans une friterie, au vu de tout le monde. Personne ne s'était jamais soucié de savoir si cet homme travaillait dans des conditions dignes. En fait, il était logé derrière la friterie, dans des conditions désastreuses et son occupation était contraire à la dignité humaine.

    Voilà un exemple qui montre que la traite peut exister partout et qu'il ne s'agit pas uniquement de prostitution. Au niveau de l'exploitation économique, nous sommes à environ 50 % des cas. Les policiers et les inspections ont donc un rôle important à jouer. La collaboration est vraiment pertinente et efficace. C'est une grande richesse pour la Belgique, en plus de sa législation très pointue.


    2. Ludo Beck, direction générale Contrôle des lois sociales

    La direction générale Contrôle des lois sociales a pour mission de contrôler le respect de la législation du travail, avant tout pour protéger le travailleur. Elle dispose pour ce faire d'un effectif d'environ 250 inspecteurs qui prennent la route quotidiennement. Au cours des dernières années, 40 % de l'activité a consisté à lutter contre la fraude sociale sous tous ses aspects, y compris l'emploi de travailleurs non enregistrés, c'est-à-dire de travailleurs sans permis de travail ou titre de séjour.

    L'orateur souligne toutefois que les actions visent principalement les conditions de travail et de rémunération des travailleurs.

    L'intervenant précédent a déjà expliqué qu'il y a une collaboration pluridisciplinaire entre plusieurs services publics et que son service d'inspection en est l'un des acteurs. En 2001, les services publics Emploi et Sécurité sociale ont conclu un protocole de coopération qui leur permet d'échanger régulièrement des informations et d'organiser des actions coordonnées. Ces actions sont reprises au niveau local par les 22 cellules d'arrondissement.

    Des contrôles collectifs sont organisés deux fois par mois dans le cadre d'actions ciblées. Il est vrai que celles-ci visent parfois les personnes employées illégalement dans notre pays ou la traite des êtres humains. Toutes les parties qui participent à ces actions, notamment la police et l'Office des étrangers, échangent les données récoltées. Ces actions pourraient toutefois encore faire l'objet d'améliorations.

    La traite des êtres humains n'existe pas seulement dans l'horeca ou les restaurants exotiques. En 2008, des contrôles visant l'emploi d'une main-d'œuvre étrangère ont été menés dans un grand nombre de secteurs, notamment dans l'agriculture et l'horticulture, l'industrie alimentaire, la métallurgie, la construction, le commerce de gros et de détail, les transports routiers, l'horeca, les télécommunications, les services de nettoyage, le secteur sportif, récréatif et de loisirs, et auprès des ménages qui emploient des gens de maison. Au total, 2683 travailleurs ont été contrôlés. L'on constate une augmentation constante du nombre de signalements au parquet — avec pour corollaire la rédaction d'un procès-verbal — et l'établissement de rapports de nature pénale. En 2007, il s'agissait de 2 800 dossiers, nombre qui passait déjà à près de 3 000 en 2008.

    Tous ces contrôles exigent d'importants préparatifs et mobilisent beaucoup de personnel. Un seul service d'inspection ne pourrait pas supporter une telle charge de travail. Une approche pluridisciplinaire est néanmoins requise, d'autant plus qu'il s'agit, encore plus que ce n'était le cas auparavant, de secteurs criminels. En matière de criminalité, la force contraignante de la loi est bienvenu.

    L'échange d'informations s'avère crucial. Cette coopération est menée à différents niveaux: au niveau de la cellule interdépartementale, au niveau des services eux-mêmes, au niveau local dans le cadre de la circulaire COL 10 et au niveau des cellules d'arrondissement, dans lesquelles les services des régions sont également impliqués.

    La collaboration avec la Justice s'effectue par l'échange d'informations et l'envoi des constats. La plupart du temps, les infractions sont sanctionnées par des amendes administratives. Il est vrai que la plupart d'entre elles concernent les conditions de travail et de rémunération.

    La collaboration avec les services de police ne se limite pas à un échange d'informations: des formations communes sont également organisées pour mieux percevoir les compétences réciproques et garantir une approche unifiée. Ainsi, les inspecteurs de terrain savent à qui ils doivent s'adresser pour un problème spécifique.

    Pour terminer, l'orateur évoque encore quelques problèmes non dénués d'importance.

    Au cours des cinq dernières années, l'on a assisté à une montée en puissance inédite des phénomènes de migration économique et de dumping social, avec à la clé des conditions de rémunération et de travail incorrectes.

    La sécurité et la santé sur les chantiers constituent également un problème de taille. Malgré l'aide de nombreux services et organisations syndicales, il n'est pas évident de faire comprendre aux nombreux travailleurs étrangers toutes les prescriptions et directives. La barrière de la langue est en partie surmontée à l'aide d'étiquettes, mais le système reste perfectible.

    La discrimination sur le lieu de travail constitue un autre problème. Jusqu'au début de l'année 2009, les plaintes étaient rares, mais elles ne cessent d'augmenter depuis l'adoption des lois de 2008. Actuellement, l'on recense déjà quelque 300 dossiers. Le service éprouve aussi de grandes difficultés à établir la responsabilité du maître d'ouvrage. En revanche, il peut facilement identifier les victimes et les auteurs.

    La collaboration avec les autres services et l'échange d'informations entre les acteurs dans le cadre du protocole fonctionnent relativement bien. Mais il n'en va pas de même avec les autorités fiscales. Les échanges devraient se faire par voie électronique. L'on pourrait rendre la collaboration plus efficace en créant une banque de données à laquelle tous les services concernés auraient accès.

    La préinformation est également essentielle. Elle réunit les quatre services d'inspection sociale. Grâce au programme Genesis, chaque inspecteur peut voir immédiatement en ligne ce qui s'est passé la veille chez un employeur donné. Une bonne information, surtout émanant des services de police, est la garantie d'un traitement adéquat des dossiers.


    3. Mme Brigitte Doudelet, inspectrice sociale, directrice de l'Inspection sociale de Liège

    Outre sa fonction d'inspectrice sociale, directrice pour la région de Liège, l'intervenante déclare également être membre de la cellule interdépartementale de lutte contre la traite des êtres humains, créée en 2004.

    a) Le rôle de l'inspection sociale dans la cellule interdépartementale

    La cellule interdépartementale est composée de deux organes: la cellule elle-même, qui réunit les membres de plusieurs services publics fédéraux ainsi que les responsables politiques, et le bureau de la cellule, qui ne regroupe que les membres des divers services publics fédéraux.

    Le bureau de la cellule se réunit une fois par mois pour préparer des projets. Ceux-ci sont ensuite soumis à la cellule qui se réunit environ deux fois par an. Le bureau prépare des projets, des textes, un plan d'action, qui a été élaboré en 2009.

    En ce moment, la cellule se réunit plus souvent pour préparer différents événements dans la cadre de la présidence belge de l'Union européenne au deuxième semestre, notamment le trafficking day qui aura lieu à l'échelon européen au mois d'octobre. Pour cet événement, elle attend aussi le soutien politique de la cellule.

    Le rôle de l'inspection sociale dans les travaux de la cellule consiste à participer aux réunions, à rédiger des rapports ou des parties de rapports communs, à répondre aux questionnaires qui lui sont soumis par l'Union européenne et par diverses organisations internationales — comme l'OIM ou l'UNODC, qui dépendent de l'ONU —, à élaborer le plan d'action, à fournir à la cellule des informations propres à l'inspection sociale.

    b) Les missions et les principaux objectifs de l'inspection sociale

    L'inspection sociale est compétente pour la sécurité sociale (compétence partagée avec l'ONSS), la Dimona et les documents sociaux (compétence que partagée avec d'autres services d'inspection), les vacances annuelles, l'assurance accident de travail (compétences exclusives de l'inspection sociale), l'occupation de main-d'œuvre étrangère (compétence partagée avec d'autres services, fédéraux ou régionaux), l'occupation à temps partiel (compétence également partagée aussi avec d'autres services).

    Les quatre principaux objectifs de l'inspection sociale sont les régularisations en matière de sécurité sociale. Le gouvernement leur fixe régulièrement des objectifs chiffrés.

    Pour la période 2007-2009, l'inspection sociale avait des objectifs sur trois ans; actuellement, elle a un plan pour 2010-2011, avec des objectifs sur deux ans: la lutte contre le travail au noir et la fraude sociale, la lutte contre la fraude transfrontalière et le traitement des dossiers dans les délais impartis.

    c) La place de la traite des êtres humains dans les missions et les objectifs de l'inspection sociale

    Les interventions de l'inspection sociale dans la traite des êtres humains s'inscrivent dans sa lutte contre le travail au noir.

    Dans cette lutte, l'inspection sociale recherche les infractions à la Dimona, aux documents sociaux, à la législation relative aux temps partiels et à l'emploi de main-d'œuvre étrangère.

    Les contrôles s'effectuent soit dans le cadre des cellules d'arrondissement, en accord avec le plan stratégique du SIRS, soit dans le cadre des actions propres organisées par le service de l'inspection sociale.

    Pourquoi l'inspection sociale est-elle importante dans la lutte contre la traite des être humains ? Comme d'autres services d'inspection, le service de l'inspection sociale est un acteur de terrain, un intervenant de première ligne. Elle organise des contrôles réguliers. Étant donné sa visibilité, la lutte contre la traite des êtres humains a bien sa place dans ses missions.

    L'inspection sociale mène en outre des recherches proactives sur les lieux de travail — chantiers, commerces, restaurants, etc. — centrées sur l'occupation des travailleurs en séjour illégal.

    Ces travailleurs, dans une situation précaire, sont particulièrement vulnérables sur le plan de l'exploitation économique. L'inspection sociale reçoit des informations de la police, de l'auditorat du travail, du procureur du Roi; des plaintes et des dénonciations d'abus sont également transmises.

    La traite des êtres humains est définie à l'article 433quinquies du Code pénal. L'inspection sociale s'occupe surtout de l'exploitation économique, c'est-à-dire de la mise au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine.

    L'inspection sociale est beaucoup moins concernée par l'exploitation sexuelle, les marchands de sommeil, la mendicité, entre autres, même si elle participe parfois à des enquêtes axées sur l'exploitation sexuelle, à la demande de la police ou des autorités judiciaires.

    d) La collaboration multidisciplinaire

    L'inspection sociale n'est qu'un maillon de la chaîne; elle ne peut pas agir seule.

    Elle collabore avec d'autres services, notamment dans le cadre de la circulaire de septembre 2008. Il s'agit principalement des services de police, des autres services d'inspection concernés, c'est-à-dire le contrôle des lois sociales et l'ONSS, l'ONEM n'étant pas compétent pour la traite des êtres humains.

    L'inspection sociale collabore aussi, surtout pour l'échange d'informations, avec l'auditorat du travail et le procureur du Roi, ainsi qu'avec d'autres services, comme l'Office des étrangers et les centres spécialisés dans l'accueil des victimes.

    Dans le cadre des enquêtes et des contrôles proactifs sur le terrain, ses services sont amenés à constater diverses infractions, soit spécifiquement des fraudes sociales pour lesquelles le service dressera un pro justitia, soit en matière de Dimona, de main-d'œuvre étrangère, de travail à temps partiel. Dans certains cas, ils peuvent aussi détecter des cas de traite des êtres humains. Un pro justitia peut alors être dressé sur la base du Code pénal.

    Jusqu'où va cette collaboration multidisciplinaire sur le terrain ? Où s'arrête le rôle de l'inspection sociale ?

    Les lieux de travail sont son champ d'action. C'est là que l'inspection sociale est présente pour détecter, à travers l'exploitation économique, les éventuels faits de traite des êtres humains.

    L'inspection sociale est parfois sollicitée pour l'audition des victimes. L'inspection sociale peut jouer un rôle à ce stade, essentiellement pour établir les faits d'exploitation économique et recueillir, auprès de ces victimes, toutes les informations nécessaires sur le ou les exploiteurs et les périodes de travail.

    Par contre, pour ce qui est de remonter les filières, ce n'est en principe pas le rôle de l'inspection sociale. Cette tâche incombe aux services de police car ce type d'enquête demande une expertise particulière que ses services n'ont pas.

    e) Les cas et les problématiques rencontrées

    Il s'agit de l'exploitation économique. Dans la région de Liège, il y a actuellement un auditeur du travail qui était auparavant à Bruxelles où il a acquis une certaine expérience de cette problématique.

    Plusieurs cas ont été détectés et des dossiers sont en cours, notamment dans les domaines de la construction et du nettoyage.

    La pratique a amené à constater que le phénomène ne se limite pas à une région mais présente souvent des ramifications dans d'autres. Ainsi, une situation d'exploitation économique est repérée à un endroit précis mais l'exploiteur a son siège d'activité, son siège social ou son domicile dans une autre région. Les bureaux des responsables et des comptables peuvent également se trouver dans une autre région.

    Tout cela démontre la nécessité de collaborer avec l'inspection sociale des autres régions. Il en est de même pour les autorités judiciaires.

    f) Problèmes ou lacunes dans le système actuel

    En matière de législation, on l'a dit, la Belgique est déjà bien outillée. Nous avons de bonnes définitions. Le statut des victimes est très bien établi. Les lacunes ne résident donc pas dans le domaine législatif.

    Par contre, les auditions des victimes de traite des êtres humains sont très longues. Souvent, ces personnes s'expriment dans une langue étrangère, ce qui nécessite le concours d'interprètes fiables et disponibles dans un délai raisonnable, ce qui n'est pas toujours aisé.

    De plus, lorsque des personnes sont déclarées dans un autre État, il faut vérifier l'exactitude du statut déclaré. Cependant, la coopération avec les autorités d'autres pays, qu'ils soient ou non membres de l'Union européenne, est difficile.

    Les enquêtes sur la traite des êtres humains demandent beaucoup de temps. Si le gouvernement souhaite que l'inspection sociale s'investisse davantage dans ces enquêtes, il faudra renforcer le personnel. Le service de l'Inspection sociale dispose d'environ 250 inspecteurs de terrain, pour toute la Belgique. La traite des êtres humains ne constitue qu'une de ses missions, parmi de nombreuses autres.

    L'année dernière, l'inspection sociale a investi dans une formation spécifique pour les inspecteurs de référence en matière de traite des êtres humains, soit environ 30 à 40 personnes.

    Par ailleurs, si l'on veut favoriser une bonne coopération avec les autres pays afin d'obtenir des informations et assurer le suivi des dossiers, il est nécessaire de conclure des accords internationaux.


    4. M. Peter Van Hauwermeiren, inspecteur social et directeur de l'Inspection sociale de la région de Flandre orientale

    L'intervenant est employé par l'Inspection sociale depuis une vingtaine d'années. Il a travaillé comme contrôleur pendant cinq ans, comme inspecteur pendant dix ans et est à présent directeur de la région de Flandre orientale.

    a) compétences et organisation de l'inspection sociale

    L'appellation collective « inspecteurs sociaux » désigne plusieurs fonctionnaires travaillant dans différents services d'inspection.

    Ces services sont habilités à contrôler le respect des lois sociales, en ce compris les dispositions pénales. Bien que les inspecteurs sociaux disposent de certaines compétences de police, ils n'ont pas la qualité d'officier de police judiciaire. En outre, ils n'interviennent pas uniquement à titre répressif mais donnent également des informations et font de la prévention.

    Les compétences de l'inspection sociale sont très larges. Les actes qu'elle peut accomplir dans le cadre du contrôle des employeurs sont énumérés dans la loi du 16 novembre 1972 concernant l'inspection du travail: « Les inspecteurs sociaux peuvent, dans l'exercice de leur mission, (...) procéder à tout examen, contrôle et audition et recueillir toutes informations qu'ils estiment nécessaires pour s'assurer que les dispositions des législations dont ils exercent la surveillance sont effectivement observées. »

    Cette formulation générale offre une multitude de possibilités de contrôle.

    Pour un aperçu des compétences matérielles des différents services d'inspection, l'intervenant se réfère au tableau figurant en page 4 de l'annexe 3. Il s'agit des quatre services centraux suivants: le Contrôle des lois sociales (CLS), l'Inspection sociale (IS), l'Office national de l'emploi (ONEM) et le Service d'inspection de l'ONSS (ONSS). Ces services constituent une sorte de patchwork. Certains d'entre eux ont des compétences qui se chevauchent, d'autres disposent de compétences exclusives dans certains domaines. Pour la traite et le trafic des êtres humains, seul l'ONEM n'est pas compétent. Il en va de même pour le séjour sur le territoire.

    Depuis dix ou quinze ans, l'Inspection sociale a créé les cellules MERI, compétentes pour la traite des êtres humains et les secteurs à risques. Chaque région dispose d'une telle cellule, chargée d'effectuer des contrôles ciblés sur l'emploi de main-d'œuvre étrangère.

    En ce qui concerne la part de l'activité des cellules MERI dans l'activité totale du service, l'intervenant indique que le nombre de dossiers clôturés en 2009 représente 12 % du total et qu'ils ont mobilisé 13 % du temps de travail total. Il y avait eu un renversement en 2007, avec surtout une baisse du temps de travail de 20 % en 2006 à 16 % en 2007, pour passer ensuite à 13 % en 2008.

    Cette évolution est liée aux nouvelles priorités, principalement d'ordre financier, qui ont été imposées au service depuis 2007.

    b) rôle de l'inspection sociale dans la lutte contre la traite des êtres humains.

    D'après la loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation des travailleurs étrangers, l'inspection sociale doit intervenir contre de nombreuses infractions. L'intervenant en cite quelques-unes.

    La première infraction est libellée comme suit: « Faire ou laisser travailler illégalement un ressortissant étranger qui n'est pas admis (infraction grave) ou est autorisé (infraction légère) à séjourner plus de trois mois en Belgique. »

    Lorsque l'employeur est condamné pour l'infraction grave, le tribunal peut ordonner la fermeture de l'entreprise (temporaire ou définitive, partielle ou totale).

    L'employeur est également solidairement responsable du paiement de l'indemnité pour les frais de rapatriement, d'hébergement, de séjour et de soins de santé des travailleurs étrangers et de ceux des membres de leur famille qui séjournent illégalement en Belgique.

    Une confiscation peut également être appliquée aux biens n'appartenant pas au contrevenant.

    Ces dispositions se rapportent non pas à la traite des êtres humains mais à la lutte contre le travail illégal.

    Le service peut également constater des infractions qui vont au-delà du simple fait de mettre des personnes illégalement au travail. Ainsi, il constate les infractions consistant à favoriser l'entrée de ressortissants étrangers ou à les aider à trouver un emploi.

    La loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation des travailleurs étrangers prévoit également un large éventail d'infractions.

    « Quiconque a fait entrer en Belgique un ressortissant étranger ou a favorisé l'entrée en Belgique de celui-ci en vue d'y être occupé, pour autant que le ressortissant étranger ne possède pas un permis de travail valable; »

    « Quiconque a promis à un ressortissant étranger, moyennant une rétribution sous forme quelconque, soit de lui chercher un emploi, soit de lui procurer un emploi, soit d'accomplir des formalités prescrites par la loi du 30 avril 1999 ou ses arrêtés d'exécution; »

    « Quiconque a réclamé ou reçu d'un ressortissant étranger, une rétribution sous une forme quelconque, soit pour lui chercher un emploi, soit pour lui procurer un emploi, soit pour accomplir des formalités prescrites par la loi du 30 avril 1999 ou ses arrêtés d'exécution; »

    « Quiconque a servi d'intermédiaire entre un ressortissant étranger et un employeur ou les autorités chargées de l'application des dispositions de la loi du 30 avril 1999 ou de ses arrêtés d'exécution ou encore entre un employeur et ces mêmes autorités, en accomplissant des actes susceptibles d'induire en erreur, soit ce ressortissant étranger, soit l'employeur, soit lesdites autorités; »

    L'inspection sociale constate également les infractions suivantes:

    « Toute personne qui a fait obstacle à la surveillance organisée en vertu de la loi du 30 avril 1999;

    Toute personne qui a refusé de remettre le permis de travail au travailleur étranger ou le lui a remis moyennant paiement d'une somme ou d'une rétribution sous quelque forme que ce soit;

    Toute personne qui a omis d'informer immédiatement l'autorité compétente de la fin de l'occupation d'un travailleur étranger avant le terme prévu au contrat de travail et, en tout cas, lorsque l'occupation prend fin avant l'expiration de la durée de validité du permis de travail. »

    Ces infractions ne se rapportent toujours pas à la traite des êtres humains mais elles s'orientent quand même dans cette direction.

    L'inspection sociale est confrontée à des situations de plus en plus complexes.

    En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs étrangers, l'intervenant souligne que certaines catégories de travailleurs qui souhaitent entrer au service d'un employeur belge doivent encore disposer d'un permis de travail.

    Les non-ressortissants de l'UE doivent avoir un permis de travail, ce qui n'est pas le cas des ressortissants de l'UE. Depuis le 1er mai 2009, les personnes originaires d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie, de Pologne, de Tchéquie, de Slovaquie, de Hongrie et de Slovénie n'ont plus besoin de permis de travail. Quant à la Bulgarie et la Roumanie, elles sont encore en période transitoire jusque fin 2011. Il subsiste encore bon nombre d'exemptions: permis d'établissement, réfugiés reconnus, conjoint d'un Belge, étudiants, etc.

    D'autre part, les travailleurs étrangers peuvent également s'installer comme indépendants en Belgique. Contrairement aux non-ressortissants de l'UE, les ressortissants de l'UE n'ont, pour ce faire, plus besoin de carte professionnelle.

    Grâce à la libre circulation des services, des indépendants et entreprises de l'étranger peuvent bien entendu également opérer en Belgique, pour autant qu'ils remplissent les conditions imposées. Il doit s'agir d'activités bien délimitées, d'une entreprise exerçant une activité substantielle dans le pays d'origine et de travailleurs légalement employés dans le pays d'origine.

    Les contrôles à effectuer posent souvent problème car en l'absence d'une coopération internationale, il n'est pas toujours simple de prouver certaines infractions. Il importe que les travailleurs employés par des entreprises étrangères qui viennent travailler en Belgique bénéficient des conditions de rémunération et de travail propres à la Belgique.

    Dans la lutte contre la traite des êtres humains, notion que la loi de 2005 a étendue à l'exploitation économique, l'inspection sociale joue avant tout un rôle de soutien grâce à son expertise et à sa présence importante sur le terrain, et aussi grâce à son approche pluridisciplinaire de l'exploitation au travail.

    Elle constitue un acteur de première ligne. L'inspection sociale est massivement présente sur le terrain étant donné qu'elle dispose pour ses quatre services d'inspection de près d'un millier d'inspecteurs qui contrôlent chacun plusieurs employeurs par jour. Ces inspecteurs doivent faire preuve de vigilance à l'égard de la traite des êtres humains et ont donc besoin d'être sensibilisés et formés.

    Pour l'employeur, l'impact financier de l'intervention de l'inspection sociale est considérable. Ceux qui emploient illégalement des travailleurs étrangers s'exposent en effet à de lourdes sanctions. En cas d'emploi illégal d'étrangers, le juge peut en outre prononcer des mesures spécifiques, comme la mise sous scellés, la fermeture de l'entreprise, la confiscation de matériel et d'avantages patrimoniaux illégalement acquis.

    Bien entendu, l'inspection sociale peut aussi régulariser la situation des victimes du point de vue des rémunérations et de la sécurité sociale.

    En résumé, l'on peut affirmer que grâce à l'action de ses services (Contrôle des lois sociales, Inspection sociale et Inspection de l'ONSS), l'inspection sociale joue un rôle de soutien dans la lutte contre les délits de droit commun relevant de la traite des êtres humains, même s'il ne s'agit pas de son activité principale. Sa tâche essentielle consiste à contrôler l'occupation illégale de travailleurs étrangers, laquelle représente une branche du droit pénal social.

    Quelles sont les choses qui relèvent davantage des services de police que des services d'inspection ?

    Premièrement, la rédaction de procès-verbaux pour traite des êtres humains. En 2009, nous avons rédigé, tous services confondus, une vingtaine de procès-verbaux pour traite des êtres humains. Il s'agit avant tout d'une tâche policière mais des arrangements peuvent être conclus au niveau local, et il est également possible de prévoir d'autres dispositions suivant le contexte.

    Bien entendu, l'inspection sociale prête toujours son concours lorsqu'il s'agit de prouver des délits en matière de traite des êtres humains.

    L'application de la loi sur le séjour du 15 décembre 1980 relève non pas vraiment du domaine de compétence de l'inspection sociale, mais plutôt de celui des services de police qui l'accompagnent lors des contrôles. Ce sont eux qui entrent en contact avec l'Office des étrangers et prennent des mesures contre les étrangers en séjour illégal.

    Généralement, ce sont les services de police, et non les services d'inspection, qui contactent également les centres d'accueil pour les victimes de la traite des êtres humains.

    c) tendances en matière d'occupation illégale et approche adoptée lors des contrôles

    L'occupation illégale et la traite des êtres humains se rencontrent principalement dans les secteurs à risques classiques (restaurants exotiques, construction, horticulture, commerces de détail), mais aussi dans d'autres secteurs, notamment dans l'industrie de transformation de la viande, dans le secteur du nettoyage, dans le lavage de voitures et sur les marchés.

    En Flandre orientale, par exemple, nous avons contrôlé durant quelques années l'occupation illégale de travailleurs étrangers dans l'industrie de transformation de la viande. Les vérifications ont évidemment été effectuées en concertation avec le service Contrôle des lois sociales, qui a notamment pu prouver une mise à disposition dans plusieurs dossiers.

    Des condamnations pour complicité ont également été prononcées à l'encontre du donneur d'ordre et du comptable. Le service de l'intervenant a souvent été confronté à des constructions fictives, par exemple des firmes françaises qui détachaient des Polonais pour venir travailler en Belgique. La coopération avec les organismes étrangers n'étant pas toujours évidente, il n'est pas facile de savoir si ces firmes existent bel et bien en France et si les salaires minimums sont payés en Pologne.

    Par ailleurs, depuis quelques années, son service constate des fraudes à l'identité sous la forme de déclarations DIMONA multiples, dans le secteur de l'arboriculture fruitière par exemple. Une seule identité légale est utilisée pour 10 à 15 déclarations DIMONA par autant d'employeurs. L'inspection sociale a pris des mesures en la matière et note que le phénomène semble un peu moins fréquent.

    D'autre part, la fraude aux allocations augmente. Un exemple: des associés restent dans une société pendant quelques mois, puis démissionnent et vont directement demander une allocation au CPAS. L'intervenant connaît par exemple une firme qui, en l'espace de deux ans, a eu 70 associés bulgares et roumains. Chacune de ces personnes a été associée durant quelques mois, a été inscrite à la commune et licenciée peu après.

    Il est également de plus en plus fréquent que des travailleurs soient mis en chômage économique après un seul jour de service et perçoivent des allocations, alors qu'ils sont souvent bel et bien au travail. Il est vraisemblable, dans ce cas, que le gérant empoche la moitié de l'allocation de chômage.

    L'inspection sociale constate également un glissement vers des statuts semi-légaux ou fictifs. L'intervenant cite l'exemple des étudiants chinois. Il a l'impression que le nombre de travailleurs irréguliers dans les restaurants chinois est en baisse. Par contre, il est plus fréquent de trouver des étudiants chinois qui sont inscrits auprès d'un établissement d'enseignement belge alors qu'ils ne parlent ni le français, ni le néerlandais, ni l'anglais, mais uniquement le chinois.

    Grâce à cette inscription, ils obtiennent un permis de travail pour étudiant et travaillent à temps partiel dans des restaurants chinois.

    L'inspection sociale constate également des cas de (pseudo-)indépendance dans le milieu de la prostitution et parmi les travailleurs détachés. En matière de prostitution, on constate une légère baisse du travail illégal dans les bars mais l'on soupçonne un accroissement des activités dans les habitations privées.

    Depuis quelques années, l'inspection sociale a recours, dans certaines régions, à une approche très financière dans le cadre de laquelle différentes données sont recoupées: prestations journalières, déclarations à la TVA, données Banksys, impôt des personnes physiques et des sociétés.

    Sur la base de ces données, combinées à des observations et à des auditions ad hoc de l'employeur et des travailleurs, le service essaie, par exemple, de calculer le chiffre d'affaires et le nombre de membres du personnel nécessaire pour le réaliser. Dans le Limbourg et en Flandre occidentale, cette méthode a porté ses fruits dans une série de dossiers.

    Des auditeurs du travail demandent également de plus en plus souvent à l'inspection sociale de procéder au calcul de l'avantage patrimonial en vue d'une confiscation.

    d) les besoins et les problèmes

    L'inspection sociale requiert une sensibilisation continue des inspecteurs et pas seulement des inspecteurs spécialisés des cellules MERI.

    Des formations doivent également être assurées, par exemple pour pouvoir reconnaître les faux documents d'identité et de séjour.

    Un système d'alerte pourrait aussi être créé dans la base de données DIMONA pour détecter les fraudes à l'identité sous la forme de déclarations DIMONA multiples.

    Mme Doudelet a déjà parlé d'autres points d'attention en ce qui concerne les objectifs du service. Une grande priorité est accordée à la détection des cotisations de sécurité sociales éludées.

    L'inspection sociale a une capacité limitée. Les inspecteurs ne peuvent pas tout faire comme ils le souhaiteraient, d'autant plus qu'enquêter sur le travail illégal et la traite des êtres humains est une activité à forte intensité de main-d'œuvre. Il ne suffit pas de croiser des bases de données: les inspecteurs doivent se rendre sur place et procéder à des auditions détaillées, ce qui représente de nombreuses heures de travail.

    Un autre point névralgique concerne les différents statuts et — très souvent — les statuts fictifs des travailleurs (indépendant établi en Belgique, associé dans une entreprise belge, indépendant ou travailleur détaché de l'étranger, etc.), ainsi que le manque de coopération avec les organismes étrangers.

    La requalification d'un statut social requiert par exemple la coopération d'instances étrangères, laquelle se déroule rarement sans heurts, même avec des pays limitrophes tels que l'Allemagne ou le Luxembourg.

    Pour conclure, l'intervenant passe en revue les statistiques de l'inspection sociale pour 2009.

    En matière de traite des êtres humains, 19 procès-verbaux ont été dressés à l'encontre de 33 employeurs. Par ailleurs, 1 298 employeurs ont été verbalisés pour occupation illégale de travailleurs étrangers.

    Le nombre de travailleurs étrangers employés illégalement est particulièrement élevé dans les secteurs classiques tels que l'horeca, le secteur de la construction, le commerce de gros et de détail, l'agriculture et l'horticulture.


    5. M. Bruno Devillé, contrôleur auprès de l'Inspection sociale de Bruxelles et membre de la cellule traite des êtres humains

    Les cellules TEH travaillent à la fois sur la mise au travail d'illégaux et sur les dossiers de TEH. L'intervenant s'est spécialisé dans les dossiers de TEH et dans la lutte contre les filières brésiliennes. Les deux se rejoignent parfois.

    Dès la publication de la nouvelle loi de 2005, son service a participé à certaines actions spécifiques en matière de TEH. En effet, à Bruxelles, un accord a immédiatement pu être conclu entre le parquet et l'auditorat du travail pour une répartition des tâches. Tous les dossiers qualifiés d'exploitation économique, même s'ils étaient d'abord renseignés au parquet, étaient relayés vers l'auditorat du travail qui gérait ces dossiers.

    Sur cette base, dès fin 2005/début 2006, son service a été de plus en plus sollicité par l'auditorat du travail pour réaliser soit des interventions, soit des enquêtes, dans des dossiers d'exploitation économique.

    Il donne un aperçu des dossiers traités de 2006 à 2009.

    En 2006, son service a initié ou traité neuf dossiers de traite des êtres humains et a contribué, pour onze personnes, à leur mise sous statut particulier de victimes de la traite.

    En 2007, le service a traité 18 dossiers de traite des êtres humains et a participé, pour vingt personnes, à leur mise sous statut particulier de victimes.

    En 2008, 15 dossiers ont été traités et vingt personnes mises sous statut de victimes. Cette année était un peu exceptionnelle, non par les chiffres mais par le nombre de victimes qui ont pu être placées en centres d'accueil à la suite d'une opération. C'est à cette époque qu'a eu lieu l'opération à l'hôtel Conrad.

    En 2009, huit enquêtes ont été initiées et douze personnes placées sous le statut de victimes. En quatre ans, son service a donc traité ou initié 50 dossiers de traite et contribué, pour 63 personnes, à leur mise sous statut particulier de victimes.

    La cellule TEH ne comptait que quatre personnes et seulement deux d'entre elles travaillaient de manière très active sur ce type de dossiers. Les chiffres montrent, en tout cas pour Bruxelles et dans le domaine de l'exploitation économique, que le travail ne manque pas et qu'il y a lieu de s'impliquer.

    Quel peut être le rôle de l'Inspection du travail en général et de l'Inspection sociale en particulier, dans ce type de dossier ?

    L'inspection sociale doit être sensibilisée aux contrôles de première ligne; elle doit avoir la réaction adéquate, les bons réflexes au bon moment.

    En outre, à Bruxelles, il faut parfois intervenir dans les suites d'enquêtes, ce qui est très différent de ce qui se passe dans les autres régions. Cela peut dépasser le rôle initial du service. Il arrive que certains magistrats, mis en confiance par le fait que le service a déjà traité ce genre de dossiers et par les liens qui se sont créés avec le parquet ou le juge d'instruction, demandent de réaliser des enquêtes de type policier.

    Il faut souligner que, même si son service a acquis une certaine expérience, l'intervenant estime qu'il n'a ni la formation ni les moyens nécessaires pour mener ce genre d'actions spécifiques — des enquêtes de voisinage, des expertises médicales des victimes, etc., par exemple.

    Cela dépasse clairement le rôle de l'inspection sociale, même si elle est parfois requise pour ces tâches.

    Son rôle est primordial à certains moments de l'enquête, comme celui de l'audition des victimes.

    En effet, les inspecteurs de l'inspection sociale sont spécialisés dans le monde du travail dont ils connaissent les pratiques, les tenants et les aboutissants, ce qui n'est pas le cas des collègues policiers.

    Ils jouent donc un rôle essentiel dans la récolte des informations, d'autant plus qu'ils connaissent aussi les pratiques de l'économie souterraine, les barèmes d'une journée de travail du travailleur illégal de telle origine et dans tel secteur. L'inspection sociale peut donc faire les comparaisons et pointer les éléments d'exploitation économique.

    L'inspection sociale a également un rôle important à jouer en fin d'enquête. N'oublions pas que tous ces dossiers initiés en matière de traite des êtres humains ont un aboutissement judiciaire devant un tribunal. Pour avoir assisté à de nombreuses audiences, l'intervenant constate qu'un élément qui peut parfois emporter la décision, « blinder » le dossier, est de chiffrer l'indu, le montant de la fraude. Cet argument est particulièrement décisif lorsque le juge d'instruction est sensibilisé aux aspects financiers.

    Cette tâche ne peut être assurée que par le service d'inspection sociale, puisque c'est là sa fonction première.

    Malheureusement, les services d'inspection sociale manquent de moyens. Le personnel est insuffisant, de même que les moyens, y compris matériels, pour mener certains types d'enquête. À titre d'exemple, l'intervenant cite le fait que l'inspection ne dispose pas de véhicules de service. Les enquêtes sont menées en utilisant les transports en commun ou les véhicules personnels. Or, quand des enquêtes doivent avoir lieu dans certains quartiers, certains inspecteurs hésitent à utiliser leur véhicule personnel, d'autant plus qu'ils sont souvent déjà connus et que l'enquête ne manquera pas d'avoir des conséquences pénales.

    Par ailleurs, on a beaucoup évoqué les secteurs à risques, notamment ceux définis dans le mini-protocole établi avec les collègues du CLS.

    L'expérience a permis d'identifier les trois secteurs qui, à Bruxelles, pratiquent le plus la traite des êtres humains. Cette traite est parfois très dure, génère des blessures, différentes formes de violence qui peuvent aller jusqu'à la tentative de suicide des victimes.

    Ces trois secteurs sortent quelque peu des secteurs à risques qui avaient été définis au départ. Dans ce « top 3 » figure, en tout premier lieu, l'occupation de domestiques internes. L'intervenant a déjà cité le dossier de l'hôtel Conrad mais l'inspection sociale a eu à connaître énormément de cas de personnes qui étaient exploitées à domicile par une famille.

    Il peut s'agir d'exploitation intrafamiliale — la cousine que l'on fait venir de son pays lointain et qui doit travailler 24 heures sur 24 — ou de l'exploitation de personnes au domicile de fonctionnaires ou hauts fonctionnaires. Chaque mois, l'inspection sociale reçoit des informations de ce type.

    Il faut souligner que ce secteur ne fait pas l'objet des contrôles habituels puisque cette exploitation s'opère à domicile et qu'elle n'est pas visible. Le problème de la détection se pose à cet égard.

    Le deuxième secteur est plus classique mais enregistre une diminution des dossiers de traite: la construction. Voici deux ou trois ans, de nombreuses personnes issues du milieu de la construction ont été placées sous le statut de victimes, notamment dans le milieu des filières brésiliennes. On constate toutefois que ces chiffres diminuent. En effet, l'inspection sociale a acquis une bonne connaissance de ces milieux d'illégaux. En fait, les cas se multiplient mais ils sont communs et ne présentent pas de circonstances aggravantes ou qui révèlent une traite caractérisée. Il s'agit « juste » de la pratique du milieu, si regrettable soit-elle.

    Une concertation a eu lieu avec les milieux judiciaires où l'on s'est interrogé. Si les critères de base étaient appliqués, les 300 ou 400 Brésiliens illégaux repérés annuellement risqueraient de se retrouver sous le statut de victimes. Dans ces proportions, ce statut aurait-il encore du sens ?

    Le troisième secteur est typique de la problématique bruxelloise. Cette réalité très dure concerne l'occupation de personnel dans les ambassades ou les résidences d'ambassades. Les exploiteurs sont donc couverts par l'immunité diplomatique. Il y a énormément de dossiers ouverts et de personnes placées sous le statut de victimes. Ces affaires concernent des ambassades du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Amérique du sud. Il s'agit de cas d'exploitation très durs.

    Par exemple, une domestique travaillait 20 heures sur 24 dans la résidence d'un ambassadeur. Une nuit, elle fut réveillée par le fils de l'ambassadeur qui lui demandait de préparer un barbecue pour ses amis.

    Elle avait élevé ce fils car elle était au service de la famille depuis une quinzaine d'années. Protestant de sa fatigue, elle fut menacée d'être renvoyée au pays en pièces détachées. Cette femme s'est enfuie de l'ambassade.

    L'intervenant cite cet exemple pour que l'on comprenne qu'il se passe parfois derrière les murs de certains bâtiments diplomatiques des choses difficilement croyables.

    Dans ce type de dossiers, il ne peut y avoir de décision judiciaire quant à la qualification des faits en traite des êtres humains ou l'aboutissement de la procédure, particulièrement pour la victime.

    Actuellement, la situation semble quelque peu s'éclaircir grâce à une circulaire de fin 2008 qui accorde la prolongation de ce statut et l'octroi de papiers aux personnes qui ont été occupées par du personnel diplomatique.

    En conclusion, si le service d'inspection a un rôle à jouer, en tant qu'expert, dans ce type de dossier, il est malheureusement limité dans ses moyens et surtout par les autres missions qui lui sont imposées.


    6. Discussion générale

    Un membre se réfère à une série de faits récents: une armada de filles d'étage étaient exploitées à l'hôtel Conrad et de nombreuses victimes de la traite des êtres humains vivent cachées dans des caves dans le quartier diamantaire d'Anvers. Ces pratiques de traite des êtres humains sont bien décrites dans le livre « Mijn Woestijn » de Waris Dirie et son adaptation cinématographique « Desert Flower ».

    Nous connaissons donc la triste réalité, mais nous avons l'impression d'être impuissants.

    Tout inacceptable que cela paraisse, certaines personnes acceptent parfois du travail illégal parce qu'en définitive, elles en tirent un avantage. Il peut s'agir de sans-papiers, mais également de ressortissants de l'UE qui travaillent au noir. Lorsque des membres de la police ou de l'Office des étrangers sont présents lors d'une inspection sociale, les sans-papiers sont expulsés.

    Il est vrai que les droits des travailleurs, y compris des travailleurs illégaux, doivent être respectés, mais l'intervenante déplore que certaines personnes soient deux fois victimes. C'est le cas des sans-papiers, qui non seulement louent un logement délabré à un marchand de sommeil, mais sont en outre expulsés.

    Pouvons-nous protéger les droits sociaux des travailleurs et en même temps empêcher que les intéressés soient doublement victimes ?

    Un membre fait part de la remarque suivante. Les personnes qui se trouvent ici en séjour illégal se voient contraintes d'accepter n'importe quel travail pour survivre. Si ces personnes, qui ne portent pas plainte et qui acceptent d'une certaine manière les conditions de travail, sont découvertes lors d'une inspection, s'agit-il véritablement de traite des êtres humains ou simplement de travail au noir ? Ce sont deux choses qui doivent être sanctionnées différemment.

    M. Ludo Beck donne en partie raison au membre. Il insiste sur la nécessité d'une approche multidisciplinaire et d'une coopération entre les services (notamment l'inspection sociale, la police, l'Office des étrangers et l'inspection du travail), compte tenu de la complexité de la matière.

    Chaque année, 80 000 visites sont effectuées et 40 000 dossiers constitués. Les 22 cellules d'arrondissement ne mènent toutefois que deux actions par mois. Il s'agit des actions coordonnées qui sont parfois qualifiées de « razzias » dans le monde extérieur.

    Si des personnes travaillent illégalement, la police et l'Office des étrangers ne peuvent pas fermer les yeux.

    L'intervenant sait par expérience que l'on est toujours plus attentif à l'aspect social dans ce genre d'actions. Lors du constat, l'on parvient beaucoup plus que par le passé à faire payer le salaire de l'intéressé avant qu'il soit emmené, précisément pour éviter que l'employeur soit deux fois gagnant et l'intéressé deux fois perdant.

    L'on tente de trouver un équilibre entre les contrôles et le nombre d'actions coordonnées. Il est nécessaire d'effectuer des contrôles pour montrer au monde extérieur que ceux-ci sont une réalité, tout comme le risque de se faire prendre. Une collaboration existe: une base de données appelée Genesis est utilisée et permet à chaque inspecteur d'échanger des données en ligne. Par rapport au nombre de contrôles, les actions coordonnées avec les services de police sont minoritaires.

    On essaie de faire primer l'aspect social, mais les inspecteurs doivent faire leur travail. On tente dès lors de trouver un équilibre. En outre, il n'est pas toujours possible d'effectuer un contrôle sans la présence de la police, compte tenu des circonstances parfois dangereuses dans lesquelles les inspecteurs doivent travailler. Dans certains milieux, ils ont véritablement besoin d'une protection.

    La mission des services d'inspection sociale est la protection des conditions de travail et de rémunération du travailleur. À court terme, un travailleur peut avoir intérêt à effectuer du travail au noir, mais à long terme, il est préférable pour lui que son salaire soit déclaré.

    Un membre dit comprendre l'utilité d'une approche multidisciplinaire mais pense que la coopération avec les pays d'origine peut également être utile, d'autant plus que de nombreux travailleurs illégaux viennent d'États membres de l'UE. En quoi consiste la coopération avec ces pays ?

    M. Ludo Beck répond que ce serait un réel progrès que de parvenir à mettre en cause la responsabilité des donneurs d'ordre.

    M. Peter Van Hauwermeiren confirme que l'échange d'informations, en particulier la coopération avec des instances étrangères, est problématique. Lorsqu'un pays ne veut pas vérifier quel est le statut social d'un ressortissant qui est détaché en Belgique, les services d'inspection sociale ne peuvent rien faire.

    Une importante communauté turque vit dans la région de Gand. Un certain nombre d'entre eux font assez souvent appel à des Bulgares pour travailler dans divers secteurs, avec un statut qui se rapproche de la traite des êtres humains, sans qu'il y ait nécessairement eu contrainte. Comme cela a été souligné précédemment, les personnes consentent parfois à leur propre exploitation. Mais le service de l'intervenant ne l'entend pas de cette oreille. Aussi la responsabilité d'un inspecteur sur place est-elle particulièrement grande. L'intervenant ne cache cependant pas que les inspecteurs ont parfois des divergences de vues entre eux ou même avec les services de police.

    Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de décider sur place, sur-le-champ, si une personne est victime ou non. Un inspecteur doit faire preuve de bon sens. Lorsqu'il perçoit une contrainte, un rapport de force ou une inégalité injustifiable entre deux parties, il peut prendre contact avec un magistrat, même si ses soupçons devaient être infirmés par la suite.

    Il s'agit de ne pas laisser passer des opportunités.


    6. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES CENTRES D'ACCUEIL

    Le 30 mars 2010, le groupe de travail a organisé une audition avec des représentants des centres d'accueil:

    — M. Denis Xhrouet, Esperanto;

    — M. Christian Meulders, Sürya;

    — Mme Heidi De Pauw, Pag-Asa;

    — Mme Solange Cluydts, Payoke.


    1. M. Denis Xhrouet, représentant de ESPERANTO

    Esperanto s'occupe de personnes mineures ou majeures, victimes de la traite des êtres humains.

    Ce centre est agréé par la Communauté française et subventionné par l'État fédéral pour encadrer des mineurs étrangers non accompagnés victimes de la traite des êtres humains. Son intervention portera essentiellement sur la situation des mineurs étrangers victimes de la traite.

    En sept ans d'existence, Esperanto a traité 144 cas. On y constate actuellement une difficulté par rapport au public cible, les jeunes victimes de la traite des êtres humains.

    Pour illustrer le phénomène, l'intervenant cite quelques statistiques (voir annexe 4). La première ligne reprend les nouveaux dossiers de prise en charge globale en une année. Au centre et en rose figurent les chiffres déterminés par l'Office des Étrangers pour les jeunes qui ont le statut de victimes de la traite des êtres humains. La dernière courbe, en bleu, représente la situation des jeunes pris en charge par Esperanto et qui ont obtenu un statut de victime de la traite des êtres humains.

    Pour 2004, 2005 ou 2006, les statistiques de l'Office des Étrangers font état de 15 à 20 nouveaux dossiers de jeunes victimes de la traite des êtres humains. La situation est très différente en 2009 puisque sous réserve de vérification des chiffres, l'Office des Étrangers n'a traité que deux cas. Il semble que l'Office des Étrangers aurait traité cinq nouveaux cas en 2009. C'est extrêmement peu par rapport au nombre de mineurs étrangers qui arrivent sur notre territoire. D'après les données chiffrées, ils seraient entre 1 000 et 1 300. On peut difficilement imaginer qu'ils soient seulement cinq à être victimes de la traite des êtres humains.

    Pour toute l'année 2009, Esperanto a tout de même accueilli 22 jeunes en situation de vulnérabilité. Esperanto est partie du postulat que ces jeunes sont des victimes présumées de la traite des êtres humains. Parmi ces 22 jeunes, cinq d'entre eux ont refusé de porter plainte par loyauté familiale. Il s'agit souvent de jeunes d'origine Rom ou des pays de l'est. Pour certains, la situation d'exploitation est claire et constatée par les instances policières. Malgré cela, rien ne peut être fait pour que ces jeunes aient un statut de victime de la traite des êtres humains car ils refusent d'accuser leur famille.

    Cinq autres jeunes ne souhaitent pas rester sur le territoire belge et veulent rentrer dans leur pays.

    Deux autres cas se caractérisent par le fait que l'exploitation n'a pas lieu en Belgique.

    Quatre autres jeunes n'ont pas besoin du statut de victimes de la traite des êtres humains parce qu'ils ont déjà un statut en Belgique. Il s'agit essentiellement de jeunes filles belges.

    Deux autres jeunes sont en demande d'asile et deux autres encore sont des mineurs étrangers non accompagnés — MENA —, au sens large de la circulaire de l'Office des Étrangers.

    A priori, rien n'indique qu'ils vont s'inscrire dans la procédure de traite des êtres humains.

    Pour les quatre jeunes qui n'ont pas besoin du statut de victime de la traite, deux étaient des jeunes filles belges liées à des bandes urbaines de Bruxelles et nécessitant une protection à titre personnel. C'est le service de l'Aide à la jeunesse ou le Tribunal de la jeunesse qui les envoie chez Esperanto, avec un accord de collaboration avec le juge de la Jeunesse. Une jeune Française est d'ailleurs dans le même cas de figure.

    La dernière jeune fille est serbe, reconnue par un statut. Sa situation s'inscrit dans le cadre d'un mariage coutumier ou mariage forcé. Elle n'a pas non plus particulièrement besoin du statut de victime de la traite des êtres humains.

    S'agissant des jeunes qui ne veulent pas rester sur notre territoire, les cinq situations sont bien distinctes, mais ont en commun le fait qu'il s'agit de jeunes filles originaires des pays de l'est. Trois d'entre elles ont quitté notre pays pour l'Italie, la France ou l'Espagne, dans le cadre du regroupement familial. Les deux autres sont rentrées en Bulgarie et en Slovaquie. Ces retours ont pris un peu plus de temps, en collaboration avec l'Organisation Internationale pour les Migrations. Il s'agissait d'assurer la sécurité de ces jeunes filles, par leur prise en charge dans le pays d'origine.

    Les cinq situations décrites concernent donc des retours volontaires.

    Pour les deux cas où l'exploitation n'avait pas lieu en Belgique mais bien en Allemagne et en France, aucun élément ne permettait d'appliquer la procédure de traite des êtres humains.

    Quant aux jeunes qui refusent de porter plainte en raison de la loyauté familiale, il s'agit de jeunes Roms. On peut même se demander s'ils sont conscients d'être exploités par leur famille.

    Le dernier cas concernait un jeune garçon venu du Nicaragua. Il ne souhaitait pas porter plainte, dans le cadre d'une affaire de mœurs intervenue à Bruxelles. Il est en passe de rentrer au Nicaragua très prochainement. Son père est emprisonné pour l'instant.

    Force est de constater que peu de jeunes entrent dans la procédure destinée aux victimes de la traite des êtres humains. Parmi les jeunes qui entrent quand même dans cette procédure, l'intervenant cite le cas d'une jeune fille originaire du Nigeria et victime de la prostitution à Anvers et celui d'un jeune Afghan victime d'un trafic, aggravé puisqu'il est mineur, à Zaventem. Ce sont les deux seuls jeunes qui ont pu bénéficier du statut de victime de la traite et donc d'une protection. C'est extrêmement peu.

    La situation actuelle est donc interpellante et semble indiquer qu'il y a un dysfonctionnement. Les mineurs sont en effet mal identifiés au départ et les causes en sont multiples, dont le défaut d'information des policiers et du service des tutelles mis en place depuis 2005. Depuis cette époque, en effet, la situation n'a cessé de se compliquer. La loi sur l'accueil prévoit que les jeunes arrivent dans des centres fédéraux, à Steenokkerzeel et Neder-over-Heembeek.

    L'intervenant estime que la problématique de la traite n'est pas prise en charge dans ces centres. Ce sont des lieux où les jeunes peuvent se poser et où l'on doit déterminer leurs besoins mais durant cette période, de nombreux jeunes disparaissent.

    Esperanto entoure les jeunes d'importantes mesures de sécurité, ce qui n'est pas le cas des centres fédéraux où l'on ne leur explique pas la procédure relative à la traite des êtres humains. Esperanto est un centre secret; les jeunes peuvent venir y déposer leur histoire et souffler un peu.

    Une des difficultés que rencontre Esperanto est de ne plus disposer de titres de séjour pour ces jeunes. Le temps d'attente devient un temps d'angoisse. Il est essentiel de rassurer le jeune sur sa présence chez nous ainsi que sur sa situation juridique et sur les aides fournies dans le cadre de la reconnaissance comme victime de la traite.

    Une autre difficulté réside dans le fait que l'accueil des mineurs est une problématique particulière dans laquelle s'engagent beaucoup d'acteurs: parquets de la Jeunesse, service des tutelles, SAJ et SPJ de la Communauté française. Malheureusement, ces articulations souffrent actuellement de mauvais rouages.

    L'intervenant plaide pour une reconnaissance officielle d'Esperanto comme centre spécialisé pour les jeunes victimes de la traite des êtres humains, ce qui permettrait d'avoir enfin une personne de référence et un interlocuteur incontournable. Actuellement, tout repose sur la bonne volonté des uns et des autres. Les mineurs victimes de la traite doivent être vraiment reconnus distinctement, de même qu'Esperanto en tant que centre de référence. La symbolique est également importante.

    Notre pays connaît une grande difficulté en ce qui concerne les MENA et l'accueil en général. On considère actuellement que 20 % de ces mineurs sont en danger, soit parce qu'ils sont victimes de la traite, soit en raison de difficultés psychologiques importantes, soit parce des jeunes filles sont enceintes ou accompagnées de bébés. Tous ces jeunes sont dans des situations difficiles. Certes, il s'agit de 20 % de 1 300 cas, ce qui n'est pas beaucoup, mais chaque histoire est interpellante par la détresse qu'elle implique.


    2. M. Christian Meulders, représentant des centres d'accueil Pag-Asa, Payoke et Sürya

    L'intervenant situe dans un premier temps le cadre général des missions des centres d'accueil.

    Ces dernières années, de grands changements sont intervenus sur le plan législatif dans le but de conformer notre législation aux différentes directives européennes. Cela concerne tant la transposition pénale que l'octroi des documents de séjour.

    Une circulaire relative à la mise en œuvre d'une coopération multidisciplinaire concernant les victimes de la traite des êtres humains et/ou de certaines formes aggravées de trafic des êtres humains a permis de redéfinir le rôle des différents acteurs. Cette circulaire permet à chacun de bien comprendre les enjeux de cette collaboration et de cette concertation, surtout en ce qui concerne les victimes de la traite. Elle indique une complémentarité des acteurs de terrain dans les missions de lutte contre ces phénomènes criminogènes de grande ampleur. Elle a le mérite de remettre les victimes au centre des préoccupations de chacun, conformément à la volonté exprimée par notre pays, depuis 1994, de répondre à l'aspect humanitaire de cette question.

    Cette procédure octroiera à la victime un certain nombre de droits mais aussi d'obligations qui découlent de ces droits. En effet, la personne concernée doit pouvoir être identifiée comme victime par les acteurs de première ligne. Chaque acteur intervient simultanément tant sur le plan de la détection, que de l'orientation ou de l'accueil des personnes potentiellement victimes de la traite ou du trafic des êtres humains.

    L'action des centres d'accueil se situe sur quatre plans: l'accueil, l'accompagnement, l'hébergement de toute personne potentiellement victime de trafic ou de traite des êtres humains et enfin, un point de plus en plus développé par les centres d'accueil, la sensibilisation, l'information, la formation et l'apprentissage de la prévention à l'intention des différents acteurs de terrain ainsi que du grand public.

    L'accueil correspond à une période d'expertise. Cette expertise s'est développée au fil du temps. À l'exception du Centre Payoke qui existe depuis une vingtaine d'années, les centres d'accueil sont nés plus ou moins en même temps. Pag-Asa vient de fêter ses quinze ans et Sürya aura quinze ans à la fin de cette année.

    L'accueil s'effectue 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il consiste à répondre à toute demande relative à des personnes potentiellement victimes, qu'elles soient majeures, mineures, femmes, hommes, couples avec ou sans enfants, personnes seules avec enfants, personnes âgées, personnes handicapées. La demande peut émaner d'un service de première ligne ou d'un particulier confronté à une personne pouvant être victime de traite.

    L'accueil consiste à analyser la situation afin de définir si la personne peut entrer dans le processus réservé à la victime de traite des êtres humains. Cette analyse est faite par une équipe pluridisciplinaire. En cas de difficulté particulière, les centres d'accueil interpellent un magistrat pour avoir un avis complémentaire sur la situation.

    En fonction du résultat de l'analyse, les centres d'accueil proposent à la personne un schéma d'intervention afin qu'elle puisse elle-même décider, en connaissance de cause, de son avenir.

    Un double accompagnement est proposé: l'hébergement ou l'accompagnement extra-muros. S'il n'existe pas de solution pour la personne, sa demande sera réorientée. On lui expliquera clairement ce qu'il y a lieu de faire par la suite. Cette précision est importante car il se produit souvent que des personnes arrivent dans les centres d'accueil, envoyées par des services sociaux, en bout de course. Il s'agit d'étrangers qui ont épuisé toutes les possibilités d'aide. Ces personnes ne sont pas nécessairement victimes de la traite, mais ce sont des étrangers sans droits. Les rapports d'activités des centres d'accueil démontrent bien qu'un grand nombre de dossiers sont ouverts, alors que peu de personnes sont finalement accompagnées par leurs soins.

    L'accompagnement se caractérise par différentes phases prévues par le législateur, notamment la délivrance des titres de séjour comme l'ordre de quittter le territoire, qui est une phase de réflexion de 45 jours, outil trop peu développé car il est souvent dépassé.

    En effet, les services de police qui interceptent une victime vont parfois directement à l'audition de police, sans prendre contact avec les centres d'accueil. Il arrive souvent que des personnes fassent des déclarations complémentaires qui n'ont rien à voir avec la première déclaration. Des avocats prétendent alors que ces personnes font une déclaration seulement dans le but d'obtenir des papiers, alors qu'elles n'ont pas tenu ces propos la première fois. Cette phase de réflexion n'est pas suffisamment utilisée parce que la procédure n'est pas toujours connue par les services de première ligne.

    Une autre phase de l'accompagnement est la délivrance de l'attestation d'immatriculation, lorsque la personne a fait une déclaration, suivie du certificat d'inscription au registre des étrangers (CIRE), jusqu'à une demande de séjour définitif, si le dossier aboutit au tribunal.

    L'accompagnement se situe sur différents plans. La première phase de l'accueil consiste en des explications claires et précises sur la procédure afin que la personne sache dans quoi elle s'engage. Les centres sont indépendants dans la mesure où ils ne sont pas directement un service de l'État ou attachés à un service de police. Ils donnent des explications à la personne, en toute objectivité, et n'ont aucun intérêt personnel; leur travail ne consiste pas à les inciter à tout prix à dénoncer les réseaux. Les centres ne conditionnent pas l'obtention d'un logement ou d'un travail à des révélations. Leur mission consiste à expliquer que les personnes ont éventuellement la possibilité de bénéficier d'un droit dont il découle, par ailleurs, des obligations et un risque.

    L'objectivité et l'indépendance des centres d'accueil permettent de faire en sorte que ces personnes ne soient pas également victimes du dispositif censé les protéger.

    Par conséquent, l'accompagnement est impensable sous la contrainte. Il est hors de question qu'un service de police amène une personne menottée, victime de la traite. Le but est de travailler avec la personne sur la reconnaissance par elle-même de sa condition de victime. Cela peut se faire dans le cadre de l'ordre de quitter le territoire.

    L'hébergement se déroule au sein des centres d'accueil, en tout cas pour Pag-Asa et Sürya. Payoke a développé un partenariat privilégié, en raison de la spécificité des structures d'aide dans la région néerlandophone. L'hébergement n'est qu'une des missions des centres d'accueil.

    L'hébergement dure entre cinq et six mois. Pendant cette période, les travailleurs des maisons d'accueil aident la personne à s'installer progressivement à l'extérieur en prenant un logement en toute autonomie. Durant l'hébergement, il est obligatoire d'apprendre la langue de la région de résidence. Cette obligation est inscrite dans la convention d'accompagnement. La convention est un outil commun aux trois centres d'accueil élaboré il y a quelques années lors d'une concertation au sein du Centre pour l'égalité des chances.

    L'accompagnement n'est efficace que si tout le monde travaille ensemble. Le rôle du policier de quartier est primordial dans la détection des victimes de la traite ou du trafic, du fait qu'il peut facilement côtoyer les gens. Quand un étranger arrive chez nous avec un visa touristique, il doit déclarer son arrivée à la commune, qui demande au policier d'effectuer une vérification. Si l'on ne vérifie pas que la personne a bien quitté le domicile au terme de l'autorisation de séjour temporaire, un mécanisme d'exploitation domestique peut s'installer. Trop souvent, des jeunes filles qui viennent soi-disant pour étudier ou rendre visite à une prétendue tante sont contraintes de prolonger leur séjour pour s'occuper des enfants et tombent dans des situations d'exploitation.

    L'exploitation domestique est par ailleurs extrêmement malaisée à prouver. Il existe bien un arrêt rendu par la cour d'appel de Liège, l'arrêt Bineta Diallo, dans lequel le juge a dit que la personne savait qu'elle pouvait sortir librement parce qu'elle n'était pas attachée. Elle pouvait franchir la porte et, donc, il n'y avait pas de contrainte. Les mécanismes d'exploitation que nous rencontrons le plus souvent sont la contrainte psychologique, la contrainte financière et la contrainte sociale.

    Les inspecteurs sociaux jouent également un rôle important dans la détection des victimes de la traite car ils contrôlent bon nombre d'établissements. Il est important de faire appel aux centres d'accueil pour essayer de créer un climat de confiance avec la personne afin de l'amener à collaborer ou, en tout cas, à accepter d'être identifiée comme victime de la traite.

    La détection des victimes passe d'abord par la formation des acteurs de terrain. Dans l'ignorance des mécanismes mis en place au niveau de la traite et du trafic, il est impossible de déterminer qu'une personne est victime et, donc, de l'adresser à un service compétent. La formation doit être multidisciplinaire. Elle doit être donnée par un travailleur d'un centre d'accueil et un policier de terrain de façon à montrer qu'il est possible de travailler avec un service social. « L'impossible collaboration » est un mythe. Chaque fois qu'une collaboration régulière entre un service de police et un centre d'accueil est mise sur pied, un travail de qualité s'installe au fil du temps.

    Les difficultés proviennent essentiellement des changements au sein des services de police et de la magistrature. Ainsi, à Liège, on en est au troisième magistrat de référence en huit ans et demi.

    Il faut également sensibiliser d'autres personnes que les acteurs de première ligne. Le plan national d'action a soulevé la question de la formation du personnel psycho-médico-social. En matière d'exploitation sexuelle, les grandes villes ont vraiment circonscrit les lieux ou se déroule la prostitution. Parmi les prostituées, on rencontre très souvent des personnes victimes de la traite des êtres humains. Ces lieux étant cachés, les services de première ligne éprouvent des difficultés à aller à leur rencontre.

    Les hôpitaux doivent, par exemple, être sensibilisés à la problématique de la traite des êtres humains. L'intervenant cite le cas d'une assistante sociale au sein d'un hôpital public qui avait des doutes à propos d'une jeune fille hospitalisée. Cette jeune fille était en permanence contrôlée devant sa porte et ne pouvait jamais s'adresser en français au personnel soignant. Surya a rencontré cette jeune fille, mais il s'est avéré qu'elle était majeure. Six mois plus tard, elle s'est présentée dans un service de police accompagnée d'une autre jeune fille pour expliquer qu'elles étaient victimes d'exploitation sexuelle dans des night shops, des phone shops et des restaurants pittas. Les patrons de ces établissements téléphonaient à un proxénète et les jeunes filles étaient conduites à différents endroits ... Dans cette situation, l'hôpital a été l'élément déclencheur.

    À Liège, fort d'expériences de ce type, l'on s'efforce d'aller à la rencontre d'autres personnes. La cellule interdépartementale de la traite des êtres humains étudie aussi le problème.

    L'intervenant déclare que les centres d'accueil ne sont pas des distributeurs de documents de séjour. Leur travail ne consiste pas à délivrer le plus grand nombre possible de documents au plus grand nombre de personnes. Certains services craignent que les centres ne facilitent l'entrée et le séjour de personnes par le biais de la procédure relative à la traite des êtres humains. En pratique, il y a tellement d'acteurs qui donnent leur avis qu'il est quasiment impossible d'abuser de la situation.

    Leur intervention se situe sur le plan du respect des droits d'une personne qui est peut-être victime. A-t-elle été accueillie dans de bonnes conditions ? Le travailleur social a-t-il pris le temps de bien lui expliquer sa situation ? A-t-il pris le temps d'aller consulter un avocat avec elle ? Quand elle a souhaité suivre une formation, a-t-elle été orientée correctement ? Les trois centres d'accueil viennent de décider d'élaborer une grille d'évaluation permanente pour répondre à toutes ces questions et cerner les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

    Actuellement, la création de cette grille d'évaluation et d'une base de données informatisée commune est au centre des préoccupations en matière de collaboration.

    La Belgique a opté pour une approche multidisciplinaire, de manière à impliquer divers acteurs dans la lutte contre la traite des êtres humains. La circulaire relative à la mise en œuvre de l'approche multidisciplinaire concernant les victimes de la traite et du trafic des êtres humains dans certaines circonstances aggravantes est entrée en vigueur en 2008. Elle précise le rôle des différents services et elle sera soumise à une évaluation approfondie en 2010. Les centres plaident pour une concertation étroite avec les autres acteurs présents sur le terrain.

    Dans le cadre de l'approche multidisciplinaire, on a créé la cellule interdépartementale de coordination de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains. Tous les acteurs se réunissent au sein de cette cellule avec d'autres services, départements fédéraux et représentants pertinents des ministres compétents. La cellule est présidée par un représentant du ministre de la Justice. Elle est chargée de la coordination des différentes initiatives dans le cadre des phénomènes de traite et de trafic des êtres humains. Elle doit réaliser une évaluation critique des résultats de la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains et, si nécessaire, collaborer à la formulation de propositions et de recommandations relatives à la politique en la matière. Il est toutefois étonnant que les trois centres, auxquels la circulaire a tout de même confié un rôle important, ne fassent pas partie de la cellule.

    L'intervenant demande dès lors qu'une représentation des centres spécialisés puisse être intégrée dans la cellule interdépartementale pour que les intérêts des victimes puissent être défendus en tout temps dans le cadre des travaux de cet organe essentiel.

    En 2008, le gouvernement a approuvé le plan d'action national. Malheureusement, force est de constater qu'il est resté lettre morte pour l'essentiel. Tel est le cas, par exemple, de la reconnaissance et du financement des centres d'accueil des victimes de la traite des êtres humains.

    Chaque centre d'accueil spécialisé doit rechercher des subsides. Pour l'instant, il n'existe pas de financement structurel. Les subsides de chaque centre d'accueil spécialisé proviennent de différents niveaux: fédéral, régional et, parfois, international. Chaque année, les centres doivent demander leur enveloppe à la Loterie nationale et au ministère de l'Emploi. Ceci ne concerne pas l'aspect hébergement. Il est temps de réfléchir à plus long terme pour permettre de développer différents projets. Depuis quinze ans, la situation a évolué. Il est capital de disposer des moyens en dehors des subsides habituels pour mettre en place un accueil de qualité répondant à des normes de plus en plus strictes. La mission des centres d'accueil a été voulue par l'État fédéral. À l'exception de Payoke, les centres d'accueil ne sont pas nés d'initiatives particulières. Ils résultent d'une volonté politique qui a abouti à ce que différents acteurs soient mandatés. Il faut donc donner les moyens de remplir cette mission de service public.


    3. Discussion générale

    Un membre souhaite une précision au sujet des mineurs étrangers non accompagnés (MENA)qui, eux aussi, sont souvent victimes de la traite des êtres humains. Leur statut étant déjà protégé, l'obtention du statut de victime de traite des êtres humains leur apporte peu de chose. Par conséquent, on n'a pas un aperçu suffisant du phénomène des trafiquants d'êtres humains qui les exploitent, et il faut remédier à cette lacune. Il ne faut pas compliquer l'obtention du statut de mineur non accompagné, mais il convient peut-être d'adapter les critères d'octroi du statut de victime de la traite des êtres humains pour les mineurs. En tout cas, le législateur doit faire en sorte que les mineurs puissent porter plainte contre les personnes qui les exploitent.

    Le membre revient sur la question relative à la reconnaissance des centres pour mineurs étrangers non accompagnés et victimes de la traite des êtres humains. Les trois centres — Minor Ndako, Juna et Esperanto — sont financés par les Communautés, mais s'ils souhaitent obtenir une reconnaissance, c'est surtout parce qu'elle leur permettrait de travailler directement avec l'Office des étrangers et de signaler qui est victime de la traite des êtres humains. Cela est-il correct ?

    Les centres s'occupent principalement d'une forme bien précise de traite des êtres humains, à savoir la prostitution et l'exploitation sexuelle. C'est ainsi qu'ils se sont développés d'un point de vue historique. Les centres soutiennent-ils et accompagnent-ils aussi des victimes de la traite des êtres humains dans d'autres secteurs, comme l'exploitation dans le secteur de la construction et dans le cercle familial, ou l'exploitation économique par exemple ? Les centres accompagnent-ils aussi les mineurs qui en sont victimes ?

    La Belgique est l'un des rares pays où la personne qui veut être reconnue en tant que victime de la traite des êtres humains doit obligatoirement se faire accompagner. L'accompagnement ne réussit que s'il est volontaire. Il est préférable qu'il ne soit pas imposé, à moins que ce soit par un juge. Il est dès lors judicieux de dissocier la reconnaissance de l'accompagnement. Des exemples à l'étranger montrent d'ailleurs que de très nombreuses victimes demandent un accompagnement.

    Selon le membre, la création d'un ou plusieurs centres d'accueil serait également nécessaire dans les provinces de Flandre orientale et de Flandre occidentale, en raison de la traite des êtres humains qui sévit à la côte et dans la zone portuaire.

    M. Xhrouet répond que c'est un leurre de penser qu'un jeune ne dépose pas plainte parce qu'il a d'autres possibilités. La circulaire de 2005 de l'Office des étrangers est obsolète. Dans les faits, elle est en effet inapplicable et, donc, inappliquée. Actuellement, les jeunes n'ont aucun titre de séjour quand ils sont dans les centres, ce qui n'était pas le cas précédemment. La première tâche des centres est de faire établir un passeport pour le jeune et de faire en sorte qu'il dispose d'une déclaration d'arrivée pour pouvoir rester sur le territoire et recevoir les soins médicaux minimums. À défaut, il est complètement illégal. L'Office des étrangers ne travaille pas de cette manière. Si le jeune a une déclaration d'arrivée, il aura un CIRE lorsqu'il aura produit un passeport; or, cela est extrêmement difficile. Pour l'instant, les jeunes n'ont rien. Les jeunes éprouvent de réelles difficultés à déposer plainte car le système est bien organisé. Les jeunes ne savent pas toujours qui les a exploités, ni même dans quelle ville ils se trouvent. Dès lors, il est déjà très difficile de déterminer l'endroit où l'exploitation a eu lieu. Par ailleurs, la famille peut être à la base de l'exploitation ou faire l'objet de pressions dans le pays d'origine.

    L'essentiel du travail des centres consiste à rendre confiance à ces jeunes. Par la suite, ils peuvent reprendre contact avec la famille et même, dans certains cas, avec les exploitants. Parfois, cela débouche sur le démantèlement d'un réseau.

    La loyauté vis-à-vis de la famille est un élément déterminant. Les jeunes ne veulent pas couper les liens car ils ont peur de se retrouver en Belgique sans rien. Ainsi, dans les mariages forcés ou coutumiers, même si la jeune fille estime être maltraitée par son présumé mari et sa belle-famille, elle refusera généralement de déposer plainte contre cette famille. Les risques sont trop importants. En cas de plainte, elle risque de couper les ponts avec la famille et, ne bénéficiant pas forcément de la procédure « traite », de n'avoir aucun statut en Belgique. Elle se retrouve alors dans une situation kafkaïenne. Et c'est le cas de la plupart des jeunes. De jeunes garçons roms, mis en confiance, expliquent comment sont organisés les vols dans les habitations mais refusent de dénoncer les faits à la police puisque leur famille est en première ligne.

    L'intervenant estime regrettable qu'il n'y ait aucune reconnaissance possible pour certains jeunes, aussi longtemps qu'ils ne peuvent produire une déclaration d'arrivée ou un passeport. À dix-huit ans, ils sont obligés de quitter le centre puisqu'ils n'ont rien. Ils passent donc dans l'illégalité. Cela s'est produit plus d'une fois. La problématique des mineurs est donc très particulière et il faut y apporter des réponses appropriées. L'Office des étrangers reconnaît que la situation est inacceptable et un groupe de travail s'efforce d'analyser cette problématique, de la quantifier et d'envisager la possibilité d'accorder à ces jeunes présumés victimes un statut particulier. Ce groupe rencontre les parquets et les services de première ligne.

    Tout comme les jeunes, les centres sont dans une situation précaire. Les professionnels qui encadrent les mineurs étrangers victimes de la traite des êtres humains devraient être reconnus en tant que tels. Il existe certaines associations qui consacrent une partie de leurs activités à ces jeunes victimes ou présumés telles mais Esperanto est le seul, en Communauté française, à en faire une activité exclusive.

    Il faut que cet outil, créé à la demande du pouvoir subsidiant, soit utilisé de manière adéquate. Il a été mis sur pied en 2002, parce que les mineurs victimes de la traite disparaissaient dans la nature. La situation est inchangée aujourd'hui, alors que nous avons connu une période où ce n'était plus le cas.

    Alors que la Belgique se veut le fleuron de la prise en charge des victimes mineures et majeures de la traite, force est de constater qu'une lacune subsiste dans l'approche de cette question pour les mineurs. Cette insuffisance sera comblée si les personnes de référence sont nettement identifiées. Ceci implique une reconnaissance officielle. Les centres d'accueil veulent être en relation directe avec l'Office des étrangers et le service des tutelles, et être reconnus comme une instance incontournable dont on pourra solliciter l'expertise.

    M. Meulders signale qu'à l'occasion de la réflexion sur la nouvelle circulaire, le législateur a mis en place une procédure spécifique pour les personnes exploitées par des diplomates. Cette procédure implique l'ouverture d'une enquête, puis la prise de position d'un magistrat, sans qu'il faille aller nécessairement au tribunal. Notre système offre suffisamment de garanties pour éviter un usage abusif de cette procédure et pour ne pas créer de statuts qui permettent à certaines personnes de produire un discours pré-établi pour bénéficier d'un document de séjour.

    L'intervenant est partisan d'instaurer, pour les mineurs non accompagnés, une obligation de collaborer avec un service judiciaire compétent sans qu'il y ait poursuite devant le tribunal, pour autant que des éléments d'enquête permettent d'établir qu'un jeune est réellement victime de la traite.

    Ce jeune pourrait alors se voir octroyer un statut sur la base d'un rapport d'intégration sociale, comme les victimes de diplomates. Cela permettrait de contourner les difficultés venant de l'obligation de porter plainte. Il s'agirait d'une déclaration qui pourrait permettre d'enquêter sur la situation et au jeune d'être reconnu comme une victime. La victime d'un accident de la route, la victime de la traite, la victime d'un viol, qu'elle soit mineure ou majeure, a besoin d'être reconnue comme telle — par une instance judiciaire, par une autorité représentant l'État — pour surmonter l'épreuve et redémarrer dans la vie. Si l'on se contente de donner un statut MENA aux victimes mineures, elles risquent de ne pas comprendre leur situation et donc de replonger.

    Pour les adultes, par contre, l'accompagnement n'est pas obligatoire dans la plupart des pays.

    Mme Heidi De Pauw signale qu'il convient de faire une distinction entre la Belgique et l'étranger en ce qui concerne l'accompagnement obligatoire. La Commission européenne a repris une version allégée du système belge et l'a recommandée aux États membres. Toutefois, la grande différence est qu'en Belgique, les victimes ont une chance d'obtenir un permis de séjour définitif au terme de la procédure, ce qui n'est généralement pas le cas dans les autres pays de l'Union européenne, où les victimes doivent retourner dans leur pays d'origine après le processus d'accompagnement.

    Au début des années nonante, le législateur belge a opté pour une approche multidisciplinaire tendant à l'équilibre entre, d'une part, la lutte contre les réseaux de trafiquants d'êtres humains qui exploitent des personnes et, d'autre part, l'aide et l'accueil des victimes. Il est en grande partie exact que l'aide et l'accompagnement ne peuvent réussir que sur une base volontaire. D'ailleurs, chez nous, l'aide est également libre dans la plupart des cas. La victime reçoit des informations qui expliquent le système d'aide et la procédure qui, dans notre pays, est conditionnelle, ce qui signifie qu'elle exclut tout contact avec les auteurs présumés et qu'elle implique une collaboration avec la Justice en échange d'un permis de séjour provisoire, puis définitif si une condamnation est prononcée. Les victimes qui ne veulent pas accepter l'aide n'ont pas accès aux centres. Lors d'un premier entretien, les trois centres expliquent clairement le cadre légal aux victimes, qui choisissent elles-mêmes en fin de compte.

    L'intervenante estime qu'il faudrait faire quelque chose, en Belgique également, pour les victimes qui ne veulent pas, ne peuvent pas ou n'osent pas collaborer avec les autorités judiciaires ou qui ne veulent pas, ne peuvent pas ou n'osent pas s'engager dans le processus d'aide.

    Les victimes doivent suivre cet accompagnement parce que, au terme du processus, les centres doivent rédiger un rapport social pour l'Office des étrangers, pour lequel l'intégration dans la société belge est souvent déterminante pour l'évaluation de la victime. On remarque de plus en plus à quel point l'Office des étrangers insiste sur ce point et demande toujours plus de critères d'intégration, comme la connaissance active de la langue, un emploi, etc.

    En réponse à la question relative aux centres d'accueil en Flandre orientale et en Flandre occidentale, l'intervenante souligne que les trois centres de Belgique sont compétents pour l'ensemble du territoire. Ils collaborent dès lors tous les trois avec les services de Flandre orientale, de Flandre occidentale, d'Anvers, de Charleroi, de Liège, etc.

    Mme Solange Cluydts souligne que, durant les premières années, les trois centres ont principalement pris en charge des femmes qui étaient exploitées dans le milieu de la prostitution. Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle législation relative à la traite des êtres humains, qui met davantage l'accent sur l'exploitation économique et des formes spécifiques d'exploitation (telles que la mendicité), les trois centres encadrent essentiellement des victimes d'exploitation économique. À Bruxelles, par exemple, les services d'inspection sociale se concentrent surtout sur l'exploitation dans le secteur de la construction, ce qui explique que l'on trouve chez Pag-Asa un très grand nombre de victimes issues du secteur de la construction, principalement des Brésiliens. Dans la région d'Anvers, des contrôles sont régulièrement effectués dans les restaurants chinois. Les chiffres du rapport annuel montrent que bon nombre de victimes d'exploitation économique sont des Chinois. Sur la base de la nouvelle législation et de l'attention portée à l'exploitation économique, les services de police et d'inspection ont élaboré des règles et des directives afin de contrôler systématiquement certains secteurs. Comme on ne se limite plus au milieu de la prostitution, on découvre davantage de victimes d'exploitation économique dans d'autres secteurs également, et on les dirige ensuite vers les services d'accueil.

    La législation belge accorde aux victimes de la traite et du trafic des êtres humains avec circonstances aggravantes, une protection spéciale en matière de procédure et de statut. Cela se reflète également dans les chiffres. L'année dernière, de nombreux cas de trafic des êtres humains ont été constatés parce que le procureur de Bruxelles a été attentif aux réseaux pakistanais et indiens. Les victimes de ces réseaux sont également accueillies et prises en charge par nos soins.

    Un membre fait remarquer que l'on entend souvent que l'avis rendu par les centres à l'Office des étrangers est déterminant pour l'octroi d'un permis de séjour. Il estime que l'Office des étrangers doit exploiter toutes les sources d'information possibles et peut trouver dans les centres un partenaire privilégié pour évaluer la situation d'une personne. Si un permis de séjour dépend uniquement du rapport positif d'un centre, autant dire que la décision est prise par le centre, et non par l'Office des étrangers.

    Un membre évoque sa visite à Payoke: elle y a en effet appris que peu de victimes de mariages forcés y sont accueillies. Les tentacules ne vont manifestement pas jusque là. Il n'y a dès lors pas de données transparentes en la matière.

    Mme Solange Cluydts répond que des documents de séjour provisoires peuvent être octroyés à tout moment de la procédure, que ni le centre d'accueil ni l'Office des étrangers ne déterminent qui est victime ou non et que la décision d'octroi d'un document de séjour relève de la compétence du magistrat du parquet.

    Dans 99 % des cas, la régularisation d'un séjour est accompagnée d'un jugement. En cas de jugement, l'Office des étrangers propose toujours automatiquement une régularisation du séjour. Ce n'est que lorsqu'un dossier est classé sans suite ou lorsqu'une personne suit la procédure depuis deux ans qu'on attache une grande importance à l'intégration de la personne concernée. Cette intégration est suivie par l'un des trois centres. Les services d'intégration communiquent aux centres les points qui ont été obtenus aux tests. Ces informations sont alors soumises à l'Office des étrangers en vue d'une régularisation basée sur la procédure STOP. Dans le cas d'un jugement, lorsqu'il apparaît clairement qu'une personne est victime de la traite des êtres humains et que des poursuites sont engagées contre les auteurs, l'Office des étrangers ne fait pas appel aux centres.

    Un membre revient sur le fait que seule une petite minorité obtient le statut de victime de la traite des êtres humains. Mais pour une prolongation de séjour, les centres donnent un avis à l'Office des étrangers. Lorsque les magistrats ne connaissent pas bien un dossier, ils s'en remettent manifestement à l'avis des centres.

    Le membre ne conteste pas l'importance de l'accompagnement et du soutien assurés par les centres, mais on ne peut tout de même pas admettre que des victimes ne soient pas régularisées parce qu'elles ne peuvent ou ne veulent pas être accompagnées. L'intervenante considère en outre qu'une victime doit pouvoir s'opposer à une décision si elle estime que l'avis ne correspond pas à la réalité. En d'autres termes, il doit être possible de contredire l'avis.

    Mme De Pauw répond que lorsqu'une personne arrive et n'a pas encore déposé plainte, le centre vérifie d'abord s'il s'agit effectivement d'une victime de la traite des êtres humains et si elle est disposée à suivre la procédure. La victime est donc toujours libre d'accepter ou non les conditions de la procédure.

    En Belgique, les personnes qui, pour une raison quelconque, ne peuvent ou ne veulent pas suivre la procédure restent effectivement sur le carreau. C'est lié à la procédure légale en matière de traite des êtres humains.

    Il est important de souligner que le procureur décide du statut et que l'Office des étrangers, sur la base de son jugement, prend une décision en ce qui concerne l'autorisation de séjour ou la régularisation.

    M. Xhrouet insiste sur le fait qu'actuellement, les centres donnent leur avis au centre pour victimes, qui le communique à son tour à l'Office. Il n'y a donc jamais de contact direct avec le magistrat.

    M. Meulders rappelle que la circulaire prévoit des contacts entre les centres d'accueil et les magistrats. Le législateur a prévu cet échange dans le cadre de la procédure afin de permettre à tous d'avoir connaissance du dossier à tout moment. Quand le magistrat a l'impression que le dossier tourne mal pour le statut de la victime, il peut interpeller les centres. Quand le centre d'accueil a le sentiment que la victime est tentée de renouer avec le milieu, il peut alerter le magistrat en lui suggérant d'accélérer la procédure.

    Un dialogue est ainsi instauré mais c'est le magistrat qui doit donner un avis à l'Office des étrangers quant au statut lorsqu'un titre de séjour est sur le point d'arriver à expiration. Les centres d'accueil n'ont aucune influence sur le magistrat ou sur l'Office des étrangers. Il faut d'ailleurs joindre une kyrielle d'attestations au rapport social dans le cadre de la « Stop procédure » (classement sans suite après deux ans de procédure), mais l'avis subjectif des centres n'a aucune influence sur la décision relative à la régularisation.

    Mme Cluydts confirme que chez Payoke, il n'y a effectivement pas de victimes de mariages forcés, étant donné que ces personnes ne sont pas considérées comme des victimes de la traite des êtres humains. Les centres ne prennent en charge que les victimes de la traite des êtres humains.


    7. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SERVICES PUBLICS FÉDÉRAUX ET DES BARREAUX


    1. Mme Renée Raeymaeckers, Office des étrangers, bureau MINTEH

    Le service MINTEH s'occupe de l'octroi des documents de séjour à l'Office des étrangers. Dans la lutte contre le trafic des êtres humains, ce département s'inscrit dans l'approche intégrée et pluridisciplinaire qui a été choisie pour aborder cette problématique.

    Le service MINTEH a des contacts avec les centres Pag-Asa, Payoke et Sürya, pour l'octroi des documents et donc le suivi des victimes en ce qui concerne le statut de séjour. Il se situe donc dans la sphère de la protection des victimes et n'a aucune compétence quant à la poursuite des auteurs.

    Une autre de ses missions est de représenter l'Office des étrangers au sein de la Cellule interdépartementale de lutte contre la traite des êtres humains, tant par une participation à la réunion mensuelle du bureau en vue de préparer les points à discuter au sein de la cellule qu'à la cellule elle-même. Dans ce cadre, l'Office des étrangers a assuré la présidence d'un groupe ad hoc qui s'est occupé du statut des victimes, en général mais aussi en particulier, par exemple en ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés ou le personnel diplomatique. Cette réflexion a abouti à une série de recommandations.

    L'Office des étrangers a également assuré la présidence des réunions de travail qui ont conduit à la rédaction de la circulaire multidisciplinaire de 2008.

    L'Office des étrangers apporte également un soutien aux services de terrain, grâce à deux services spécialisés.

    L'un, appelé en interne « Bureau des recherches », prépare les actions sur le terrain, en collaboration avec les services de police ou d'inspection sociale. L'autre, appelé « Section judiciaire », soutient concrètement les actions sur le terrain, notamment en assurant le contact direct avec l'Office des étrangers durant le contrôle des personnes concernées.

    Un autre volet des missions de l'Office est assuré par les bureaux d'exécution où se déroulent les premiers contacts avec les personnes concernées, en particulier les demandeurs d'asile parmi lesquels se trouvent des victimes potentielles. Le personnel de tous les bureaux d'exécution, quels qu'ils soient, a été formé à la détection des victimes de la traite des êtres humains. Il s'agit évidemment d'une formation de base, certes perfectible.

    Le personnel des centres fermés est également sensibilisé à cette problématique et des rencontres sont régulièrement organisées pour parler du statut des victimes, de la détection et des contacts qu'il y a lieu d'avoir, le cas échéant, avec les centres d'accompagnement. L'Office des étrangers exerce également sa mission par le biais d'une équipe de fonctionnaires à l'immigration. Ces personnes se rendent à l'étranger, notamment pour mener des campagnes d'information dans les pays d'origine et prévenir l'immigration illégale. Elles recueillent des informations qui sont transmises aux services de police.

    La tâche du bureau MINTEH consiste d'abord à repérer les victimes potentielles et à les informer. Le personnel de l'Office des étrangers, du Commissariat général et du Conseil du Contentieux des étrangers a reçu une formation de base à cet égard. Il n'est pas rare que les collègues qui interrogent les demandeurs d'asile prennent contact avec le bureau MINTEH pour obtenir de plus amples informations. Le cas échéant, ils auditionnent les personnes et les confient à un centre.

    La prise en charge ne concerne pas directement son service; elle est assurée par les trois centres d'accompagnement.

    L'enquête judiciaire ne relève pas du bureau MINTEH, mais la coopération de la victime à cette enquête est vérifiée dans le cadre de l'octroi d'un document. Il y a donc toujours des contacts avec les auditorats et parquets.

    Le bureau MINTEH est surtout concerné par les modalités de délivrance des documents de séjour.

    Dans la procédure de délivrance de titres de séjour, une période de réflexion est prévue afin de permettre à la victime de se reposer et de réfléchir à la question de sa participation éventuelle à la procédure, ce qui suppose soit de porter plainte, avec ce que cela implique, soit de ne pas le faire, ce qui suppose alors d'organiser son retour.

    L'étape suivante est l'inscription de la personne au registre des étrangers, d'abord de façon temporaire et ensuite de façon illimitée.

    Si, dans la première phase, la victime porte plainte immédiatement, elle ne recevra pas l'ordre de quitter le territoire. Par contre, si elle n'a pas encore porté plainte mais qu'elle est prise en charge par un centre d'accompagnement, elle recevra un ordre de quitter le territoire dans les 45 jours. Cette période a été jugée nécessaire pour que la victime soit correctement informée par le centre d'accompagnement de toutes les possibilités qui s'offrent à elle et leurs conséquences.

    Les victimes qui ont opté pour le dépôt de plainte reçoivent quant à elles un document positif de couleur orange: l'attestation d'immatriculation, valable trois mois. Dès la délivrance de ce document, un contact est pris avec l'auditorat du travail ou le parquet, afin de vérifier la suite de la procédure judiciaire. On demande au parquet ou à l'auditeur de bien vouloir répondre aux questions prévues dans la législation.

    Les chiffres sont parlants (voir annexe 5, p. 8). En 2009, 124 nouveaux dossiers de victimes potentielles ont été introduits. Depuis 2005 et 2006, le secteur économique est fortement représenté, au point de supplanter la prostitution qui reste évidemment importante.

    Le profil des victimes se modifie quelque peu en fonction du secteur concerné. Le secteur économique comprend bien plus d'hommes que de femmes. L'âge a également augmenté. Il s'agit désormais d'hommes âgés de 25 à 30 ans, alors que la prostitution est généralement le fait de femmes plus jeunes.

    Il n'y a plus eu de cas de victimes de la mendicité. Quant au secteur du trafic, il est relativement stable, par rapport aux autres années.

    En 2009, l'élément interpellant est la chute du nombre de cas, soit 124 cas, par rapport aux années précédentes. Le bureau MINTEH en a parlé avec les centres d'accompagnement mais aucune explication objective à ce phénomène n'est donnée à ce jour. La seule chose qui se soit produite en 2009 est la campagne de régularisation, mais son impact éventuel est inconnu.

    Le secteur économique a toujours été important, même s'il l'est un peu moins en 2009, en raison de la diminution globale du nombre des dossiers. Par contre, les chiffres du secteur de la prostitution restent assez stables.

    Concernant la délivrance des titres de séjour, l'attestation d'immatriculation délivrée à la victime présumée en période de réflexion peut être prolongée une seule fois, également pour une période de trois mois, dans l'attente d'une réponse claire du parquet ou de l'auditorat. Ce cas de figure est relativement rare. En général, la personne reçoit immédiatement le document « carte A » ou l'inscription au registre des étrangers.

    Dès ce moment, on demande à la personne concernée de mettre tout en œuvre pour prouver son identité et présenter son passeport. Ce point est délicat pour les victimes car leurs documents sont souvent retenus par l'auteur de la traite.

    Le tableau « Nombre d'AI et OQT délivrés (période de réflexion) » (voir annexe 5, p. 11), reprend, dans la première colonne, le nombre d'attestations d'immatriculation octroyées de 2006 à 2009. La deuxième colonne reprend le nombre d'ordres de quitter le territoire délivrés dans le cadre de la traite des êtres humains. Il s'agit donc bien d'OQT de 45 jours et non d'OQT de fin de procédure. On constate une proportion importante de victimes présumées qui choisissent de porter plainte directement et obtiennent donc immédiatement l'attestation d'immatriculation.

    Après l'attestation d'immatriculation et pour autant que les réponses du procureur ou de l'auditeur aux questions prévues dans la législation soient parvenues (la procédure judiciaire est toujours en cours, l'étranger coopère toujours, etc), le bureau MINTEH accorde le certificat d'inscription au registre des étrangers (carte A). Ce document est valable six mois. Le dossier est toujours revu de six mois en six mois et c'est le centre d'accompagnement qui demande la prolongation ou l'octroi d'un document.

    Comme pour l'attestation d'immatriculation, un contact est établi avec les autorités judiciaires. La carte A est prolongée tout au long de la procédure judiciaire.

    Dans le tableau reprenant les chiffres relatifs à la délivrance de cette carte A (voir annexe 5, p. 13), on constate, pour les années 2006 à 2009, le nombre de cartes A qui ont été délivrées dans le cadre strict de la traite des êtres humains, donc de l'application des articles 61/2 et suivants de la loi, et celles qui ont été délivrées, pour des raisons humanitaires, soit aux personnes qui accompagnent les victimes potentielles, soit aux victimes elles-mêmes qui sont devenues des ex-victimes et qui ne relèvent plus précisément de la traite des êtres humains mais font une demande humanitaire.

    La deuxième colonne reprend les prolongations de ce type de documents.

    Ainsi, en 2009, 103 cartes A ont été octroyées en première instance et 11 cartes A pour raisons humanitaires. La même année, 536 prolongations de carte A dans le cadre de la traite des êtres humains ont été octroyées, contre 117 dans le cadre humanitaire. Le cadre humanitaire consiste parfois en l'octroi de documents à la famille, sans entrer dans le cadre strict du regroupement familial, traité par un autre bureau.

    En toute fin de procédure, dans la phase de jugement, un séjour illimité peut être accordé si la plainte a abouti à une condamnation ou si le procureur ou l'auditeur a retenu la prévention de traite ou de trafic dans ses réquisitions. À ce stade, on demandera à nouveau à la personne concernée, de manière très officielle, de prouver son identité. La personne qui est en mesure de produire un document d'identité se voit accorder un certificat d'inscription au registre des étrangers illimité, appelé carte B. Si elle ne peut fournir un document d'identité, elle doit démontrer valablement qu'elle est dans l'impossibilité de se le procurer. Dans ce cas, par une procédure exceptionnelle, le document est tout de même accordé, pourvu que la justification soit tout à fait établie.

    Dans le tableau reprenant le nombre de cartes B délivrées pour les années 2006 à 2009 (voir annexe 5, p. 15), on constate que, par rapport aux 200 personnes environ qui ont demandé à être reconnues comme victimes de la traite des êtres humains, la première colonne reprend les chiffres de celles qui ont finalement obtenu ce statut à l'issue du jugement.

    La deuxième colonne reprend le nombre de cartes B qui ont été octroyées dans le cadre humanitaire. Il s'agit souvent d'anciennes victimes qui ont fait preuve de suffisamment d'intégration. Cette procédure, tout à fait jurisprudentielle et bien connue des centres, permet une certaine souplesse à l'égard de personnes qui ont été considérées comme victimes à une période de leur existence, mais qui n'ont pas, in fine, obtenu ce statut formel.

    Concernant les mineurs étrangers non accompagnés, la procédure est quelque peu assouplie par rapport à celle des adultes. En effet, en début de procédure, le mineur ne sera jamais confronté à un ordre de quitter le territoire ni éventuellement à un ordre de reconduire signifié à son tuteur. Il passe directement à l'attestation d'immatriculation, même en l'absence de dépôt de plainte.

    Les centres d'accompagnement, Pag-Asa, Sürya et Payoke, sont chargés du suivi administratif, mais la prise en charge quotidienne des mineurs victimes de la traite est assurée par des centres spécialisés, un dans chaque région: Esperanto en Wallonie, Juna en Flandre et Minor N'Dako à Bruxelles. Les mineurs étrangers non accompagnés se voient désigner un tuteur.

    Les chiffres relatifs aux mineurs sont aussi très explicites (voir annexe 5, p. 17). De 2006 à 2009, on constate la faiblesse de la proportion de mineurs potentiellement victimes qui entrent dans le statut: généralement moins de 10 %. En 2009, ils étaient treize puis finalement douze, car l'un d'entre eux a été considéré comme majeur après le test d'âge. Parmi ces douze mineurs, seulement deux sont des MENA effectifs. Les autres sont des mineurs accompagnés qui ont obtenu des documents parce que leurs parents sont victimes. L'un d'entre eux était victime en même temps que ses parents. Cette situation interpellante devra être prise en compte dans l'évaluation.

    Le faible nombre de mineurs étrangers non accompagnés à entrer dans le statut interpelle les personnes de terrain. À la suite du groupe ad hoc et des réunions relatives à la circulaire multidisciplinaire, une grande attention a été accordée aux mineurs: plus de souplesse et en général une attention accrue au travers de toute la procédure.

    Cependant, cette démarche doit être traduite dans les faits, de façon à mieux détecter les mineurs étrangers non accompagnés victimes. Un groupe de travail, auquel participent l'Office des étrangers, la police et particulièrement M. Bontinck, le Centre pour l'égalité des chances et le service des tutelles, s'est employé à définir un questionnaire. Ce dernier sera distribué aux personnes de terrain, comme les tuteurs, les services de police, l'Office des étrangers, Fedasil. L'objectif est de savoir pourquoi aussi peu de mineurs entrent effectivement dans la procédure relative à la traite des êtres humains.

    Il existe déjà une vague idée en la matière qui est toutefois trop subjective. Pour des mineurs, il doit être assez lourd de porter plainte et de collaborer avec la police et les magistrats. Une autre explication émise par Fedasil et certains tuteurs est que d'autres statuts de séjour sont disponibles pour les MENA, entre autres la demande d'asile, la circulaire du 15 septembre 2005 qui leur permet d'obtenir un statut de façon assez souple ou les demandes de régularisation. Le questionnaire répondra de façon beaucoup plus affinée à cette question.

    Dans le cadre de la procédure générale, il peut être décidé de mettre fin à l'autorisation de séjour si la personne renoue des liens avec les auteurs ou pour d'autres raisons. Cette disposition concerne les personnes en possession d'une attestation d'immatriculation et les possesseurs de la carte A. Cependant, la raison la plus fréquente est tout simplement la fin de la procédure elle-même.

    Des ordres de quitter le territoire sont alors octroyés. Dans ce cas, il ne s'agit plus d'ordres de quitter le territoire dans le cadre de la traite des êtres humains mais bien de documents qui mettent fin au séjour de personnes qui ne sont pas ou plus reconnues comme victimes.

    Concernant l'évaluation du système qui est en cours actuellement, il y a d'une part la circulaire multidisciplinaire qui existe depuis presque deux ans et qui prévoit sa propre évaluation. Elle comporte des points positifs, à commencer par une possibilité accrue de reconnaissance pour les victimes dans le cadre diplomatique. Dans le passé, celles-ci ne bénéficiaient d'aucune possibilité d'obtenir un statut et un titre de séjour définitif, en raison de l'immunité diplomatique de l'auteur de l'infraction.

    De plus, à la fin de la procédure, la circulaire multidisciplinaire prévoit que pour ces personnes, le parquet ou surtout l'auditorat puisqu'il s'agit essentiellement d'une exploitation économique, peut prendre contact avec nous pour attester que la personne a bien été victime. En 2009, l'auditorat de Bruxelles a transmis au bureau MINTEH une série de dossiers, dans le cadre de la circulaire multidisciplinaire. Dans tous les cas, les victimes au sein du personnel diplomatique ont obtenu la carte B, soit le séjour illimité. Il s'agit donc d'une avancée majeure qui démontre le bon fonctionnement du système.

    Par ailleurs, la circulaire multidisciplinaire accorde une attention accrue aux MENA, mais il faudra aller plus loin. L'évaluation et le questionnaire permettront d'approfondir cela.

    Un autre point mis en évidence par la circulaire est la concertation et l'échange d'informations entre tous les intervenants. Ce point devra encore être développé concrètement. Certains auditorats le font systématiquement mais il n'existe pas encore de politique générale à cet égard, ce que l'on peut déplorer. L'évaluation de la circulaire est donc en cours. Fin avril, début mai 2010, des groupes se mettront en place afin d'entendre tous les acteurs.

    L'Office des étrangers assurera la présidence d'un groupe de travail. Pour éviter d'être juge et partie, ce groupe de travail ne concernera pas ses compétences propres mais le travail social. Par contre, l'Office des étrangers, par l'intermédiaire du service MINTEH, participera au groupe qui le concerne relatif au statut de séjour des personnes. Tous ces travaux devront, en principe, être terminés après les deux ans de la mise en vigueur de la circulaire, soit en septembre 2010.

    Selon l'intervenante, de nombreux progrès ont été réalisés en ce qui concerne la formation mais la détection et l'information des victimes peuvent encore être améliorées, par une formation continue.

    Beaucoup de personnes sont sensibilisées et formées mais des besoins subsistent, notamment en raison du renouvellement du personnel. La formation doit se poursuivre dans les services de police mais aussi auprès du personnel de l'Office des étrangers. Cette démarche serait également intéressante pour les personnes qui ne sont pas des intervenants directs mais qui pourraient être en contact avec une victime potentielle, comme les gens de terrain dans les hôpitaux, les écoles, les services sociaux. On pourrait utilement leur fournir un outil très pratique, une simple marche à suivre, afin qu'elles puissent agir efficacement. En l'absence d'une telle information, les personnes de terrain ne savent pas toujours à qui s'adresser.

    Enfin, l'intervenant exprime le souhait d'une clarté accrue et d'une plus grande uniformité dans les réponses apportées par les magistrats aux réponses prévues par la loi. Certaines d'entre elles mettent parfois en difficulté et le bureau MINTEH doit très régulièrement interpeller à nouveau les magistrats concernés, afin d'obtenir une clarification, par exemple quand une procédure se termine mais qu'elle se poursuit dans le cadre d'une action civile ou autre. Les réponses ne sont pas toujours uniformes d'un parquet à l'autre ou d'un auditorat à l'autre.


    2. M. Jean-Pierre Jacques, avocat au barreau de Liège

    Dans le cadre du réseau interuniversitaire Odysseus, l'intervenant a été chargé par la Commission européenne d'évaluer la manière dont la Belgique a transposé la directive européenne 2004/81 du 29 avril 2004. En effet, le système actuel de protection des victimes est issu d'une directive européenne que la Belgique a transposée par la loi du 15 septembre 2006.

    Dans un premier temps, l'intervenant a ainsi listé les quelques aspects qui semblaient problématiques d'un point de vue purement juridique. Sans dire que cette transposition est mauvaise, elle n'est toutefois pas complète sur certains aspects et est imparfaite sur d'autres.

    Le premier aspect vient de l'intitulé même de la directive européenne 2004/81, qui permettait d'octroyer un titre de séjour aux personnes ressortissantes de pays tiers, c'est-à-dire tiers à l'Union européenne. La directive date de 2004, donc avant l'entrée des douze nouveaux États membres. Depuis lors, les choses ont changé.

    La directive permet donc de donner un titre de séjour aux personnes qui sont victimes de la traite des êtres humains. La Belgique a bien transposé cet aspect. Par contre, la directive accordait également un statut aux personnes qui ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine. Or, cet aspect de la directive n'a pas été transposé. On peut le regretter. C'est sans doute lié au contexte belge. En effet, les infractions relatives à la traite des êtres humains, qui antérieurement figuraient déjà dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, ont été scindées en deux types par la loi belge du 10 août 2005: d'une part, les infractions dites de traite en tant que telle, qui ont été insérées dans le Code pénal, et, d'autre part, les infractions de trafic, qui ont été laissées aux articles 77 et 77bis de la loi du 15 décembre 1980.

    Le législateur a sans doute estimé qu'étant donné qu'il existait déjà des infractions de trafic dans l'arsenal de la loi du 15 décembre 1980, il n'était pas nécessaire de transposer l'aspect de la directive qui concerne les personnes faisant l'objet d'une aide à l'immigration clandestine. En effet, le but de la transposition belge est de désigner les personnes qui peuvent obtenir le titre de victime de la traite, à savoir les personnes qui sont victimes de l'infraction visée à l'article 433 du Code pénal (les infractions de traite) mais également les personnes victimes de trafic.

    Pourtant, l'esprit de la directive était quelque peu différent. Les personnes qui ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine ne sont pas toutes victimes de trafic. L'infraction de trafic ne vise pas particulièrement des personnes qui, par le biais de la famille ou d'un autre canal, indépendamment de mafias, bénéficient d'une aide à l'immigration clandestine et pourraient faire l'objet d'une protection. Cela n'a pas été prévu dans la transposition, alors que la directive le permettait.

    Le reproche suivant adressé à la transposition est un peu plus général. Il faut savoir aussi que le cadre européen n'était pas favorable à un esprit plus protecteur des victimes. D'ailleurs, l'idée de la directive européenne est de lutter efficacement contre la traite des êtres humains, ou le phénomène de traite ou de trafic, au moyen de la délivrance d'un titre de séjour. Dans l'esprit du législateur européen, le fait d'octroyer un titre de séjour aux victimes les amèneront à faire des déclarations, ce qui permettra de lutter efficacement contre le phénomène de trafic ou de traite.

    D'après sa pratique professionnelle, l'intervenant pense que c'est un leurre de croire que la seule délivrance d'un titre de séjour à une personne que l'on reconnaît comme victime de la traite suffise pour lutter contre le trafic ou la traite des êtres humains. La lutte dépend beaucoup plus d'autres éléments, comme la mise en œuvre de politiques adéquates par les acteurs de terrain. En outre, la délivrance d'un titre de séjour est conditionnée à la coopération des victimes.

    L'article 61/3 § 4 de la loi du 15 décembre 1980 exige de l'étranger qu'il puisse tenter de prouver son identité. Cette exigence paraît quelque peu difficile à satisfaire dans le cadre de la traite, et plus particulièrement du trafic. En effet, un des modus operandi du trafic est la rétention des documents d'identité, voire l'utilisation de faux documents. Il paraît donc quelque peu paradoxal de pouvoir considérer une personne comme victime d'un trafic éventuel alors qu'elle a utilisé de faux documents ou qu'elle n'a plus ses documents, parce que ceux-ci sont détenus par l'auteur de l'infraction.

    L'article 110bis, § 5, de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 prévoit expressément la possibilité d'obtenir un CIRE à durée illimitée pour un étranger qui satisfait aux conditions prévues pour être reconnu victime et qui présente un document d'identité, à moins qu'il ne démontre valablement l'impossibilité de se procurer ce document en Belgique. Cette exigence de prouver son identité ou de démontrer l'impossibilité de se procurer le document est fixée uniquement dans l'arrêté royal, mais pas dans la loi ni dans la directive. Il semble donc que l'arrêté royal va au-delà de ce que la loi exige.

    À noter également que la directive européenne avait expressément prévu que l'assistance juridique gratuite devait être automatique pour une personne victime de la traite. Ce point n'a pas été non plus transposé. Il suffisait de modifier la loi de 1998 sur l'aide juridique gratuite, l'aide juridique de première et de deuxième ligne, en ajoutant dans cette loi le bénéfice automatique de l'aide juridique.

    Dans la pratique, la personne reconnue victime bénéficie d'une attestation d'immatriculation, une carte A valable six mois. À partir de cette carte A, il lui est possible de bénéficier du revenu d'intégration sociale, de l'aide sociale. Avec les documents qu'elle va produire, elle n'aura donc pas de problème pour démontrer son indigence et bénéficier d'une aide juridique gratuite de deuxième ligne. Il aurait été plus facile pour une victime confrontée à un arsenal mis en place pour la protéger qu'elle puisse obtenir automatiquement le statut et la qualité de bénéficiaire de l'aide juridique. Il est regrettable que si elle veut être aidée par un avocat, elle doive entreprendre les démarches auprès du bureau d'aide juridique en démontrant son indigence, alors qu'elle est en droit d'en bénéficier, puisque la directive l'avait expressément prévu.

    Ce qui pose également problème est que le droit de séjour actuellement accordé est quasi exclusivement lié à la procédure pénale. Or la directive européenne avait prévu dans ses considérants « la possibilité d'autoriser à séjourner pour d'autres motifs, les ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions de la directive ainsi que les membres de leur famille ». Dans la pratique, il existe des possibilités de régularisation d'un étranger victime de la traite qui n'a plus ce statut, mais elles n'ont pas été suffisamment soulignées ou mises en exergue.

    L'intervenant souligne ensuite les imperfections du système, constatées dans le cadre de sa pratique d'avocat. Le système n'est certes pas mauvais mais perfectible. Le premier élément est symptomatique et anecdotique. Le premier document que reçoit une victime ou une personne qui se prétend victime de la traite ou du trafic est un ordre de quitter le territoire. C'est le système qui le veut, mais il y a quelque chose de paradoxal dans l'esprit du législateur qui veut protéger les victimes. On ne peut pas souhaiter protéger quelqu'un en lui demandant de quitter le territoire dans les quarante-cinq jours. Le titre du document pourrait être modifié, ce qui permettrait une meilleure compréhension de la part de la personne qui se prétend victime.

    Les conditions de délivrance de ce premier titre de séjour, qui est en fait un ordre de quitter le territoire dans les quarante-cinq jours, posent également problème. En effet, on peut mettre fin à ce premier titre de séjour si l'étranger a activement, volontairement et de sa propre initiative renoué avec les auteurs présumés de l'infraction. Il est donc possible que l'on ait mis fin au titre de séjour d'une personne qui, pour des raisons qui lui étaient propres, avait renoué des contacts en début de dossier avec des auteurs présumés qui, à la fin de l'enquête, après deux, trois ou quatre ans, n'ont pas été reconnus auteurs, mais bien également victimes. La notion d'auteur présumé nécessite une appréciation large. Tout cela ne dépend pas de la victime ou de son avocat, mais uniquement du rapport que fera le magistrat en charge du dossier et qui sera transmis à l'Office des étrangers.

    Les magistrats doivent uniformiser et préciser les éléments qu'ils relatent à l'Office des étrangers puisque la délivrance du titre de séjour en dépend. Un effort particulier est donc nécessaire.

    L'intervenant déplore également une absence de recours spécifique en matière de traite des êtres humains, qui serait organisé par la loi. Certes, toutes les décisions en termes de séjour sont prises par l'Office des étrangers et soumises au contrôle de légalité du Conseil du Contentieux des étrangers, aux termes de la loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980. Or, il ne s'agit que d'un contrôle de légalité, et non d'un contrôle d'opportunité. En matière de traite des êtres humains, du point de vue de la victime, l'opportunité devrait être un critère qui permettrait au Conseil du Contentieux, en cas de contestation, d'apprécier différemment les décisions prises par l'Office des étrangers. Ce n'est pas le cas pour le moment.

    Il en va de même pour la question de la proportionnalité de la décision. Est-il proportionné de mettre fin au séjour d'une personne éventuellement en procédure depuis plusieurs années lorsque la procédure se clôture soit parce que l'auteur est décédé, soit parce qu'il a fui la Belgique, soit parce qu'il est identifié et retrouvé mais se trouve dans un pays d'où il ne peut être extradé ? La procédure pénale prend alors fin pour des raisons totalement indépendantes de la victime. Celle-ci perd son statut de séjour, mais n'a aucune possibilité légale de contester. En effet, lorsque la procédure pénale se termine, les conditions légales pour mettre fin au séjour sont remplies. Un contrôle de proportionnalité de la mesure pourrait être demandé au Conseil du Contentieux dans le cadre d'un recours spécifique à l'égard des victimes.

    L'intervenant constate également que la loi du 15 septembre 2006 qui a scindé les infractions de traite et de trafic a clarifié l'ensemble de ces phénomènes délictuels, mais a omis de considérer les victimes de marchands de sommeil comme des victimes de la traite des êtres humains, au sens où l'on peut obtenir un statut et une protection liés à cette infraction. C'est une omission extrêmement grave.

    Auparavant, l'article 77bis, § 1erbis, permettait de considérer les victimes de marchands de sommeil comme des victimes de la traite. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, car l'infraction de marchand de sommeil est visée aux articles 433decies à 433quinquiesdecies du Code pénal. Mais ces dispositions ne permettent pas, lorsqu'on est victime de cette infraction, de bénéficier du statut prévu par la loi du 15 décembre 1980. Or les personnes victimes de trafic ou de traite sont les plus susceptibles d'être victimes de marchands de sommeil, car elles sont soumises à des conditions d'hébergement parfois déplorables. La législation en la matière devrait être modifiée. Le champ d'application du chapitre 4 de la loi du 15 décembre 1980 devrait être élargi aux victimes de l'infraction visée à l'article 433decies, à savoir l'infraction de marchand de sommeil.

    Enfin, il faut regretter les notions floues utilisées par le législateur car elles entrainent de facto un pouvoir d'appréciation de la part des autorités qui y ont recours. Or ce pouvoir d'appréciation n'est pas contrebalancé. En tant qu'avocat de victimes, l'intervenant n'a pas la possibilité de remettre en cause la manière dont on apprécie si un étranger a collaboré immédiatement avec la justice. Le magistrat du parquet donnera un avis affirmant que l'étranger a effectivement collaboré immédiatement ou non. Que signifie collaborer ou faire des déclarations immédiates ? Il ne faut pas oublier non plus que l'étranger est avant tout une victime. À l'occasion d'une descente de police, les étrangers victimes de l'infraction de traite économique ou prostitutionnelle rencontrent pour la première fois les différents services intervenants (la police, les services du SPF Sécurité sociale et les agents inspecteurs sociaux) avec lesquels ils doivent collaborer immédiatement. Ils ne les connaissent pas, ils ne savent pas qu'ils peuvent bénéficier du statut de victime de la traite, ils ignorent même ce qu'est pour eux la traite.

    À la première audition de la victime, le policier termine son audition en demandant à la personne si elle se considère comme une victime de la traite des êtres humains. Dans neuf cas sur dix, la réponse est négative. La raison est qu'au moment où la victime est prise en charge et qu'elle est auditionnée devant les services de police, elle a peur. En effet, elle ne sait pas ce qu'est le statut; elle n'en connaît pas les modalités. Elle déclare donc qu'elle n'est pas victime de la traite parce qu'elle estime que les conditions de son travail et de son exploitation ne sont pas si graves par rapport à ce qui l'attend ou à ce qui attend sa famille dans son pays d'origine.

    Le problème est que, devant le tribunal correctionnel, la défense présente le procès-verbal de la première audition et demande pourquoi la victime s'est constituée partie civile. Pendant quatre ans, la victime a bénéficié de l'aide sociale alors qu'à sa première audition devant les services de police, elle ne se considérait pas comme une victime.

    Le problème se situe dans les modalités de défense basées sur des notions floues mentionnées dans la loi du 15 décembre 1980. Comment juge-t-on la coopération de l'étranger avec les autorités ? Quand considère-t-on qu'il manifeste une volonté claire de coopérer ? Quels sont les critères utilisés ? La circulaire manque de précision à cet égard. Une intervention législative n'est peut-être pas nécessaire, mais il faut en tout cas préciser les modalités.

    Enfin, l'intervenant constate qu'il existe toute une série de possibilités de mettre fin au statut de victime de la traite pour des raisons qui sont totalement indépendantes de la volonté de la victime.

    Par exemple, lorsqu'une victime a manifestement subi des comportements qui s'assimilent à la traite, mais que les éléments qu'elle a à sa connaissance — lieux, personnes, reconnaissance visuelle ou de terrain — sont insuffisants pour pouvoir mener à bien un dossier au niveau pénal, le dossier sera clôturé dans les six mois. Une victime peut ne pas connaître suffisamment d'informations parce qu'elle a été maintenue dans l'ignorance (conditions de détention, de séquestration), parce qu'elle est amenée directement de l'étranger et qu'elle est complètement dépaysée par le contexte dans lequel elle arrive en Belgique ou parce qu'il s'agit de traite de prostitution privée. Il s'agit alors de faire venir une jeune fille moldave ou nigériane dans des villas cossues des banlieues des grandes villes. C'est la traite moderne; le phénomène délictuel s'adapte au phénomène répressif. Ils savent qu'il y a des descentes dans les quartiers prostitutionnels chauds, ils ne mettent donc plus ces filles dans les vitrines ni sous la dépendance d'un proxénète.

    La prostitution est donc organisée de façon privée. Il est alors impossible pour la victime de connaître les informations sur les lieux, les personnes, etc. Or, il s'agit bien de traite, car les personnes qui organisent ce système se remplissent les poches.

    La simple délivrance d'un titre de séjour à ces victimes n'améliorera pas la qualité de leurs déclarations. Si l'auteur présumé a pris la fuite ou ne peut être extradé ou s'il décède — autant de causes totalement indépendantes de la volonté de la victime —, la procédure pénale s'arrête, la victime perd son statut et retourne dans la clandestinité. Il existe bien des possibilités de régulariser le statut de cette ex-victime, comme un changement de statut. Mais celui-ci est malheureusement laissé à l'appréciation du magistrat et les critères ne sont pas assez nombreux, si ce n'est celui de la bonne intégration de la personne. Une amélioration est donc nécessaire.

    Il faut insister sur ce point car le considérant nº 18 de la directive précise que « si des ressortissants d'un pays tiers concernés déposent une demande pour un titre de séjour d'une autre catégorie (...). Lors de l'examen d'une telle demande, les États membres devraient tenir compte du fait que les ressortissants d'un pays tiers concernés ont obtenu le titre de séjour délivré sur la base de la présente directive ». La directive prévoyait expressément que l'on tienne compte du fait que les ex-victimes qui font une demande de changement de statut avaient antérieurement obtenu le statut de victime. Ce changement de statut devrait être une possibilité expressément prévue lorsque la procédure pénale n'aboutit pas pour des raisons indépendantes de la volonté de la victime. De nombreuses victimes ont affronté la procédure pénale, ont pris des risques en faisant des déclarations et, finalement, pour des raisons totalement indépendantes de leur volonté, la procédure pénale s'arrête. Elles se retrouvent alors livrées à elles-mêmes, en risquant des représailles de la part des auteurs. Il faut donc continuer à les protéger.

    En conclusion, l'étranger victime de la traite est trop tributaire de la procédure pénale et de ses aléas. Il est également dépendant du centre spécialisé qui l'accueille. En cas de conflit entre une victime et un centre, l'avocat doit intervenir. Heureusement, les hypothèses de conflit sont rares parce que les centres effectuent un très bon travail. Il n'en demeure pas moins que la pratique diffère d'un centre à l'autre.

    Certaines victimes sont exclues d'un centre et récupérées par un autre. Il ne s'agit pas de conflits; le centre met simplement fin à l'accompagnement parce que la victime ne remplit plus certaines conditions. La victime essaye alors de trouver un autre centre pour la prendre en charge. Si elle n'en trouve pas, elle reste dans l'anonymat ou dans la clandestinité.

    Le juge d'instruction refuse alors la constitution de partie civile. C'est illégal et, généralement, un courrier envoyé au président du tribunal suffit à débloquer la situation. Certains magistrats sont totalement hermétiques à l'idée de victime de traite. Ils estiment que l'étranger a déjà largement bénéficié du système en se maintenant irrégulièrement sur le territoire et en bénéficiant des faveurs des auteurs des infractions. Un certain recul est nécessaire.

    Le système n'instrumentalise-t-il pas d'une certaine manière les victimes ? Ce risque s'accentuera dans les prochaines années au vu de la diminution du nombre de dossiers constatée par Mme Raeymaeckers. L'une des explications possibles est que, depuis le 1er janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie sont entrées dans l'Union européenne. Les ressortissants bulgares et roumains ne sont donc plus susceptibles de bénéficier du statut de victime de la traite des êtres humains, étant donné qu'ils ne sont plus des ressortissants d'États tiers à l'Union européenne.


    3. M. Jérôme Toussaint, SPF Affaires étrangères

    Concernant le rôle du SPF Affaires étrangères dans la lutte contre la traite des êtres, l'intervenant déclare qu'il y a tout d'abord une participation active aux réunions du Bureau de la Cellule interdépartementale, organe qui est essentiellement chargé de mettre en œuvre la politique belge en la matière et plus spécifiquement le plan d'action adopté par le gouvernement belge pour la période 2008-2011. Ce rôle spécifique au sein du Bureau de la Cellule interdépartementale est d'assurer la collaboration des services et des postes diplomatiques à l'étranger, c'est-à-dire la mise en œuvre de la politique gouvernementale en la matière, en particulier dans le domaine de la prévention, de la sensibilisation et de l'échange d'informations.

    Le SPF Affaires étrangères doit également veiller à la participation active de la Belgique aux travaux des organisations internationales compétentes en la matière. On y joue donc un rôle de coordination, notamment dans la réponse belge à différents questionnaires.

    Il y a également d'autres niveaux d'intervention, dans le financement ponctuel, par exemple, des projets dans certains pays tiers. Il s'agit de projets essentiellement exécutés par l'Organisation internationale pour les migrations et financés par un budget spécifique des Affaires étrangères, à savoir le budget « Diplomatie préventive — Prévention des conflits ».

    La direction générale des Affaires consulaires prend régulièrement des initiatives en vue de lutter contre la fraude en matière de visas, de passeports et autres documents d'identité. Un service de monitoring de la délivrance des visas par les postes diplomatiques a été créé et une fois par an, en moyenne, se tiennent les journées consulaires.

    Trois exemples assez récents et concrets illustrent bien l'apport du SPF Affaires étrangères à cette lutte.

    Fin 2008, à la demande de l'Office des étrangers et de la police fédérale, le département a demandé à douze des postes diplomatiques de réaliser une évaluation exhaustive sur le déroulement pratique des retours des victimes de la traite dans les États d'origine. Cette évaluation permet de recueillir des informations très utiles et d'inciter les États examinés à davantage de réactivité et de proactivité en la matière.

    Fin de l'année dernière, un nouveau projet a été mis en œuvre au sein du Bureau de la Cellule interdépartementale. Ainsi, un prospectus a été transmis à quatre de nos postes consulaires. Ce prospectus doit être remis aux candidats bénéficiaires de permis de travail et voulant se rendre en Belgique. On vise essentiellement les professions précaires ou potentiellement dangereuses. Cette notice explicative, qui est désormais jointe systématiquement au visa, contient un résumé des droits sociaux, des droits en matière de travail en Belgique et surtout une liste des coordonnées des organismes pouvant leur venir en aide en cas de problème ou en cas d'abus. Il s'agit pour le moment d'une phase test et, si les résultats sont concluants, ce projet sera probablement étendu à d'autres postes consulaires.

    Le SPF Affaires étrangères joue aussi un rôle proactif en matière de lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, dite également prostitution enfantine, par exemple par la mise en œuvre de campagne de prévention et de sensibilisation.


    4. Mme Gerrigje Veldhuis, service du Protocole, SPF Affaires étrangères

    Le service du Protocole du SPF Affaires étrangères examine les cas potentiels d'exploitation et de traite des êtres humains chez les gens de maison employés par des diplomates. Le SPF Affaires étrangères est habilité, comme le prévoit la Convention de Vienne de 1961, à délivrer un permis de séjour à des personnes qui viennent en Belgique pour travailler en qualité de domestique chez un diplomate étranger. Le service du Protocole se charge de délivrer les cartes et d'assurer le suivi administratif. Il est donc aussi l'instance qui identifie ces personnes. La spécificité de ce groupe est que nous connaissons les personnes par leur nom et qu'elles travaillent ici en toute légalité, mais au domicile privé d'un diplomate.

    Un fonctionnaire spécifique a été désigné au sein du service du Protocole pour lutter activement contre l'exploitation de gens de maison par des diplomates étrangers. Le contrôle opéré par le service se déroule en plusieurs phases. Le service effectue un contrôle préventif extrêmement strict avant l'arrivée de l'employé de maison en Belgique et exerce aussi une surveillance pendant la durée du contrat qui lie le diplomate et l'employé de maison en Belgique. En outre, le service peut intervenir de manière active en cas de litiges ou de plaintes sérieuses durant l'exécution du contrat et même encore après sa résiliation.

    Le service du Protocole a élaboré une réglementation concernant l'emploi de gens de maison par des diplomates. Il est systématiquement rappelé aux missions étrangères qu'elles sont tenues de respecter cette réglementation.

    Quand un diplomate souhaite engager un employé de maison, les missions étrangères doivent en avertir le service du Protocole, par une note officielle, accompagnée d'un contrat de travail signé par les deux parties, c'est-à-dire le diplomate et l'employé de maison. Le contrat s'inspire du contrat type établi en collaboration avec le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale. Quel que soit le contrat utilisé, il doit impérativement reprendre tous les éléments du contrat type et donc respecter la législation belge sur l'emploi de gens de maison.

    Lorsque les conditions de travail stipulées dans le contrat correspondent aux normes appliquées en Belgique, le service du Protocole vérifie encore si d'autres éléments ne s'opposent pas à la venue d'un employé de maison, tels que des violations antérieures des conditions de travail du personnel domestique, un passif ou d'autres choses qui pourraient plonger le domestique dans une situation de précarité.

    Une fois que le cap de tous les contrôles a été passé avec succès, le service entame la procédure de visa en vue de faire venir le domestique dans le pays. Une demande est adressée à l'Office des étrangers, avec notification à l'ambassade belge qui sera amenée à délivrer le visa. Cette dernière reçoit également une copie du contrat par courriel car le délégué de l'ambassade doit s'entretenir personnellement avec chaque domestique envoyé en Belgique dans ce cadre.

    Lors de cet entretien, il doit également parcourir le contrat de travail avec l'employé et vérifier si ce dernier l'a bien compris.

    À son arrivée en Belgique, l'employé est tenu de retirer personnellement son permis de séjour au service du Protocole. À ce moment, il a de nouveau un entretien personnel avec le fonctionnaire compétent. La possibilité lui est ainsi offerte de poser des questions et d'aborder des sujets tels que le cadre de travail, la rémunération, etc. L'employé de maison se voit également remettre une liste où figurent les adresses d'instances qui pourraient lui être utiles, telles que le SPF, le médiateur de ce secteur, la police ainsi que le service du Protocole lui-même.

    La carte d'identité délivrée aux employés de maison n'est valable qu'un an. Cela signifie que tous les domestiques enregistrés auprès du service du Protocole ont la possibilité d'avoir au moins une fois par an un entretien personnel sur leur situation professionnelle. La pratique montre toutefois que les employés de maison n'attendent pas un an pour signaler un problème et qu'ils se rendent de leur propre initiative au service du Protocole.

    Lorsque quelque chose ne fonctionne pas, le service du Protocole intervient de manière active. Dans certains cas, il s'avère que les entretiens personnels annuels peuvent déjà en soi déboucher sur une amélioration de la situation des employés de maison. Les employeurs les considèrent donc bel et bien comme une forme de contrôle. En cas de litige sur le contrat de travail, le service du Protocole peut jouer un rôle de médiateur. Il s'agit en l'occurrence de dépister les formes éventuelles d'exploitation.

    Le service du Protocole peut également envoyer une note officielle au chef de poste de l'ambassade concernée (employeur du diplomate) pour exhorter ce dernier à se mettre en règle, et la direction du service du Protocole peut convoquer l'ambassadeur pour lui faire comprendre qu'une telle situation est inacceptable en Belgique. L'intervention se fait donc de manière graduelle.

    Il va de soi que si la preuve de l'exploitation peut être rapportée, il ne sera plus permis à ce diplomate ni à un autre membre de sa mission de faire venir un autre domestique de l'étranger tant que la situation n'aura pas été corrigée d'une manière acceptable pour l'employé de maison.

    En cas d'indices ou de présomptions laissant supposer que le domestique est victime de la traite des êtres humains, on fait immédiatement appel à un centre d'accueil spécialisé. Comme ces faits sont souvent commis à Bruxelles, on fait généralement intervenir le centre Pag-Asa. La procédure concernant les victimes de la traite des êtres humains est dès lors enclenchée. Il y a ensuite une collaboration avec l'Office des étrangers pour le permis de séjour. Ensuite, l'échange d'informations passe souvent par le centre de guidance et parfois aussi par le SPF Justice, mais il est vrai qu'il n'est pas toujours évident d'obtenir de la Justice les informations permettant au service du Protocole de prendre position vis-à-vis du diplomate et de la mission. La situation devra encore être améliorée sur ce point.

    Pour terminer, citons encore quelques chiffres: la Belgique compte 5 300 diplomates qui, en théorie, ont droit à un domestique dans le cadre de la Convention de Vienne. En moyenne, les missions diplomatiques de notre pays emploient 600 à 700 domestiques. Chaque année, 150 à 200 d'entre eux retournent au pays et sont presque tous remplacés.

    Cette année, le service du Protocole n'a pas encore dû intervenir. En 2009, quatre personnes ont été orientées vers un centre d'accueil. Elles suivent actuellement la procédure prévue pour les victimes de la traite des êtres humains.

    Le service du Protocole effectue quatre fois par an une médiation active en réunissant les personnes concernées autour de la table.

    En 2009, il lui est arrivé à environ 20 reprises de devoir envoyer une note officielle à une mission, ce qui équivaut en fait à écrire à l'étranger. Les irrégularités dénoncées sont variables et peuvent par exemple concerner le défaut systématique de paiement du pécule de vacances. Le service du Protocole a convoqué un chef de poste à cinq reprises.

    L'intervention s'effectue toujours en plusieurs étapes. Lorsque l'information a été recueillie, la première chose à faire est d'entendre également la partie adverse. Les problèmes ne sont pas toujours si dramatiques mais dans de nombreux cas, il s'agit quand même d'abus comme on les rencontre également dans d'autres milieux employant des gens de maison. Bien entendu, les diplomates ne commettent pas tous de tels abus. Il s'agit souvent de fonctionnaires qui recourent aux services d'une femme de ménage seulement une fois par semaine. Mais il s'agit de travail domestique, c'est-à-dire d'un terrain difficile, et de diplomates protégés.

    Le rapporteur, Le président,
    Dirk CLAES. Philippe MOUREAUX.

    ANNEXE 1

    Commission de l'Intérieur et des Affaires administratives

    Groupe de travail « Traîte des êtres humains »

    1. La composition du groupe de travail

    CD&V De heer Dirk Claes
    CD&V Mevrouw Nahima Lanjri
    MR M. Philippe Monfils
    MR M. Richard Fournaux
    Open Vld Mevrouw Ann Somers
    VB De heer Yves Buysse
    PS Mme Caroline Désir
    sp.a Mevrouw Fatma Pehlivan
    cdH Mme Céline Frémault vervangen door de heer du Bus de Warnaffe
    Ecolo M. José Daras

    2. Mission du groupe de travail

    Le groupe de travail a pour mission de faire une balance de la situation actuelle de la traîte des êtres humains dans notre pays. À cet effet, il pourra:

    — examiner toutes les formes de traîte des êtres humains, compris les phénomènes secondaires comme le travail clandestin et le travail des enfants, dans la mesure où ces activités s'inscrivent dans la gamme étendue des activités des filières et qu'elles débouchent sur l'esclavage économique;

    — examiner les moyens légaux permettant la poursuite des traficants d'êtres humains et la protection des victimes de la prostitution forcée;

    — examiner les moyens matériels dont disposent la police et les parquets dans la lutte contre la traîte des êtres humains.

    3. Objectif du groupe de travail

    Le groupe de travail entend faire une analyse de la situation actuelle de la traîte des êtres humains dans notre pays. Sur base de l'analyse précitée, il examinera si la législation et la politique actuelles suffisent à juguler le phénomène.

    Dans ses conclusions, qu'il adresse à la commission, il peut proposer d'améliorer ou d'adapter certains aspects de la législation actuelle.

    Le groupe de travail peut également proposer des recommandations au gouvernement pour que celui-ci revoie sa politique en matière de traîte des êtres humains.

    4. Fonctionnement du groupe de travail

    Dans le cadre de ses travaux, le groupe de travail entendra les ministres et services compétents, organisera des auditions et effectuera des visites dans des services publics et des organismes.

    Le gouvernement est invité à informer le groupe de travail de toute décision qu'il prendra en la matière.

    Pour ce qui est des auditions, le groupe de travail pourra faire appel aux services non permanents du Sénat (compte rendu analytique)2..


    ANNEXE 2

    Extrait de « marchands de sommeil. Questions spéciales », colloque de la RDPC, mai 2010

    Cet extrait ne porte pas sur la question de la confiscation de l'immeuble qui ne cesse de poser question. En effet, la confiscation peut porter sur tout ou partie du bien qui servait à commettre l'infraction pose problème en pratique: comment confisquer une chambre ? Qui va prendre en charge les frais d'entretien ? L'État devient-il copropriétaire de l'immeuble si la confiscation ne porte que sur une partie de celle-ci ? L'État peut-il sortir d'indivision en forçant la vente ?

    Actuellement, ce texte légal est inapplicable. Une réforme en profondeur devrait être initiée par le législateur.

    En outre, plusieurs questions se posent quant à la victime (qui n'a pas le statut reconnu à celle de la traite des êtres humains) et à son relogement. Dans le cadre du colloque pré-mentionné, voici ce que nous soulevons:

    § 3. Troisième question: La mise à disposition du bien au bénéfice du Centre public d'action sociale

    I. Le texte légal

    L'article 433quaterdecies dispose notamment que:

    « Selon le cas, le procureur du Roi ou le juge d'instruction peut saisir le bien meuble, la partie de celui-ci, le bien immeuble, la chambre ou tout autre espace visé à l'article 433decies. S'il décide de pratiquer la saisie, le bien meuble, la partie de celui-ci, le bien immeuble, la chambre ou tout autre espace visé à l'article 433decies doit être scellé ou, avec l'accord écrit du propriétaire ou du bailleur, être mis à la disposition du CPAS afin d'être restauré et loué temporairement. (...) »

    II. Les partenaires de l'accord

    Le bien, meuble ou immeuble, ne peut être mis à disposition du centre public d'action sociale que si le propriétaire ou le bailleur y consent. Le propriétaire n'étant pas nécessairement le marchand de sommeil, il peut donc arriver que ce soit son locataire, bailleur aux yeux des victimes, qui marquent son accord.

    Procédure étrange donc, par lequel l'autorité judiciaire peut, moyennant l'accord d'un tiers non-propriétaire, déposséder un propriétaire de son immeuble. Ce qui pourrait heurter tant l'article 16 de la Constitution que l'article 1er du premier protocole du 20 mars 1952 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui érigent, tous deux, le respect de la propriétaire en droit fondamental.

    L'article 1er pré-vanté contient trois normes distinctes: « la première, qui s'exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » (34) .

    C'est essentiellement la deuxième norme, relative aux mesures de privation de liberté, qui nous intéresse car elle englobe l'expropriation de fait « par quoi l'on entend une paralysie complète des prérogatives de la propriété » (35) , sans suppression du titre (36) . Ainsi, dans son arrêt Kargiannis (37) , la Cour a décidé que constituait une expropriation de fait, l'occupation par l'autorité publique des terrains appartenant à un individu, lorsqu'elle occasionne pour ce dernier une perte totale de disponibilité de son bien. Nous sommes, sans aucun doute, dans un tel cas de figure.

    Pour être admissible, la privation de liberté doit poursuivre une cause d'utilité publique, notion qui, selon la Cour de cassation, ne signifie pas nécessairement que le transfert de propriété, de fait ou de droit, ait lieu au profit de l'autorité publique, qui l'affecterait à l'usage public. « Un transfert obligatoire de propriété d'un individu à un autre peut, dans certaines circonstances, représenter un moyen légitime de servir l'intérêt général. Ainsi, un transfert de propriété opéré dans le cadre d'une politique légitime -d'ordre social, économique ou autres — peut répondre à l''utilité publique » même si la collectivité dans son ensemble ne se sert ou ne profite pas elle-même du bien dont il s'agit » (38) . Cette jurisprudence nous semble pouvoir être étendue à l'hypothèse que nous soulevons.

    L'article 1er, alinéa 2, du protocole additionnel pré-cité laisse aux États le droit d'adopter les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (39) . Dans sa décision sur la recevabilité en cause de Tas contre Belgique (40) , la Cour, saisie d'une question relative à la confiscation prévue au sein de l'article 433terdecies du Code pénal, rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « une ingérence au sens de cet alinéa doit être prévue par la loi et poursuivre un ou plusieurs buts légitimes; de surcroît, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le ou les buts visés. En d'autres termes, il incombe à la Cour de rechercher si l'équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général et l'intérêt du ou des individus concernés (41)  ».

    Il est vrai que l'espèce soumise à la Cour, dans l'espèce Tas, le requérant, propriétaire de l'immeuble, avait été condamné par les juridictions belges en tant que marchand de sommeil et, à ce titre, s'était vu confisqué son immeuble. Toutefois, la portée de cette décision peut être étendue. La Cour rappelle « qu'en matière de confiscation de biens ayant été utilisés illégalement, (l'équilibre entre le but de combattre le trafic des êtres humains (42) et les droits fondamentaux) dépend de maints facteurs et, parmi les circonstances à considérer, figure l'attitude du propriétaire. La Cour doit donc rechercher si les autorités belges ont eu égard au degré de faute ou de prudence (du propriétaire) ou, pour le moins, au rapport entre sa conduite et l'infraction qui avait lieu. De plus, il convient de prendre en compte la procédure qui s'est déroulée dans l'ordre juridique interne pour évaluer si celle-ci offrait au requérant, compte tenu de la gravité de la mesure encourue, une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes, alléguant, le cas échéant, une violation de la légalité ou l'existence de comportements arbitraires ou déraisonnables ».

    Peut-on vraiment considérer que, si le ministère public conclut un accord écrit avec le bailleur en vue de mettre le bien d'un tiers à disposition du CPAS, il rencontre cet équilibre ? À notre estime, non.

    Bien que le texte légal laisse le choix au ministère public, celui-ci aura soin de ne solliciter que l'accord du ou des (43) propriétaires du bien saisi. De lege ferenda, il serait utile de supprimer toute référence au bailleur.

    III. La forme de l'instrumentum

    La loi est muette quant à la forme et au contenu de l'accord écrit. Partant, cet accord peut ressortir d'un simple échange de courriers entre les autorités judiciaires et le propriétaire ou le bailleur, il peut être inscrit dans un procès-verbal de police ou d'inspection, ou être acté dans un Pro Justitia dressé par le magistrat compétent, etc.

    IV. Les frais de remise en état

    A. L'avance des frais

    Qui avancera les frais, puisqu'une restauration préalable du bien sera souvent requise (44)  ?

    Excluons immédiatement le propriétaire ou le bailleur libre de poursuite. Nous imaginons mal un propriétaire donner son accord pour transférer son bien au CPAS et prendre en charge des frais de restauration, s'il n'a rien à se reprocher. De même, s'il sont prévenus, accepteront-t-ils d'avancer des frais qu'ils ne récupéreront sans doute jamais pour un immeuble qui sera confisqué ?

    Si ces parties sont poursuivies, les frais de remise en état des lieux pourraient être assimilés à des frais de justice (45) dès lors que la loi-programme du 27 décembre 2006 (II) (46) dispose en son article 2 qu'en matière pénale « les frais de justice comprennent les frais engendrés par: 1º toute procédure pénale dans la phase d'information, d'instruction, de jugement; (...) ». Le caractère très large de ce texte pourrait avoir vocation à couvrir les frais engendrés par la mise à disposition du CPAS (47) . C'est donc sur les deniers de l'État que la remise en état du bien serait réalisée, sur réquisitions du ministère public ou du magistrat instructeur. Ce qui semble peut concevable dans la mesure où il devrait désigner un ou des corps de métier, demander des devis, faire établir de plans, introduire les demandes de permis auprès des autorités administratives, etc. Si malgré tout, le magistrat compétent se sent des envies de superviser des travaux, alors, conformément au droit commun et à l'article 162 du Code d'instruction criminelle (48) , ces frais seront ensuite, en fonction de l'issue de la procédure, mis à charge du condamné, de la partie civile qui aurait succombé ou laissé à charge de l'État.

    Hormis cette hypothèse théorique, les frais de remise en état semblent devoir être supportés, dans un premier temps au moins, par le CPAS. Ainsi, dans les travaux préparatoires ayant mené à l'adoption de l'ancien article 77bis, § 4bis, de la loi du 15 décembre 1980, Mmes de Bethune et Thijs ont déposé un amendement nº 65 (49) , qui tendait à ne plus obliger les CPAS à restaurer des logements, surtout en raison de la question du coût d'une telle restauration et de celle de savoir par qui cette restauration doit être faite. Le ministre a répondu que « c'est une réflexion qu'il appartient à chaque CPAS d'avoir. En outre, il ne s'agit pas toujours de grands travaux entraînant beaucoup de frais. Le CPAS n'est pas non plus obligé de restaurer le logement. Cet article tend principalement à éviter que lorsqu'il y a une action, un logement ne reste vide pendant des années en raison d'une procédure judiciaire ».

    Autant dire que personne ne prendra le risque de prendre en charge ces frais. Le propriétaire ou le bailleur n'y ont pas intérêt; le magistrat compétent risque de mettre à charge de l'État des frais importants; le CPAS n'est pas certain de récupérer à charge de l'État ou, comme nous allons le voir, du propriétaire, ses frais. Le texte apparaît donc inapplicable.

    B. La récupération des frais

    1. Première hypothèse: les frais sont qualifiés de frais de justice

    Si ces frais peuvent être qualifiés de justice, et si, malgré l'ampleur de la tâche, le magistrat compétent se sent des envies de superviser des travaux, alors, conformément au droit commun et à l'article 162 du Code d'instruction criminelle (50) , ils seront ensuite, en fonction de l'issue de la procédure, mis à charge du condamné, ou délaissés à charge de l'État.

    2. Deuxième hypothèse: les frais ne sont pas qualifiés de frais de justice

    Les travaux préparatoires de la loi programme du 2 août 2002, qui avait introduit le paragraphe 4bis au sein de l'article 77bis, précise que « dans l'hypothèse où le prévenu sera acquitté, il disposera à nouveau librement de son immeuble et ce, même en cas d'immeuble restauré » (51) . Ce bref commentaire ne résout que partiellement la question. Nous rejoignons V. Guerra (52) lorsqu'il établit une distinction entre le prévenu qui est condamné et celui qui acquitté.

    Dans la première hypothèse, le prévenu voit son immeuble confisqué. V. Guerra estime qu'il est alors « peu probable que le propriétaire doive rembourser les frais de restauration ». En effet, le bien confisqué sera revendu par l'administration des domaines et le prix de vente couvrira les frais de restauration. En revanche, aucun texte ne précise comment le CPAS recouvre ses frais. De lege ferenda, un arrêté royal prévoyant la procédure de recouvrement des frais encourus par le CPAS serait utile.

    Dans la seconde hypothèse, lorsque le CPAS ne peut, en cas de restitution du bien à son propriétaire, se retourner contre l'État (53) , peut-il se retourner contre le propriétaire, acquitté ou bénéficiant d'un non-lieu, sur base de la théorie de l'enrichissement sans cause ? La question demeure controversée.

    Il y a enrichissement sans cause lorsqu'une personne, par un fait personnel, procure à autrui un enrichissement auquel va correspondre son appauvrissement corrélatif, sans que ni cet enrichissement, ni cet appauvrissement ne se justifie par quelque cause (54) . Cette théorie trouve son fondement dans un principe d'équité selon lequel nul ne peut s'enrichir au dépend d'autrui (55) .

    C'est essentiellement la condition de l'absence de cause qui énerve la récupération des frais avancé par le CPAS à charge du propriétaire. Comme le précise le professeur Van Ommeslaghe, il s'agit de la condition la plus importante et pourtant la moins bien définie (56) . Il suffit que l'enrichissement ou l'appauvrissement se justifie pour qu'il n'y ait pas lieu de rétablir la situation antérieure (57) . La cause peut être légale ou conventionnelle.

    Si l'enrichissement d'une partie trouve son fondement dans la loi, il n'y a pas lieu d'invoquer la théorie de l'enrichissement sans cause. Les auteurs de doctrine citent unanimement les articles 549 (58) , 564 (59) , 599 (60) , etc. du Code civil. Force est de constater que dans toutes ces hypothèses, la loi dispose expressément que l'indemnisation de l'appauvri n'a pas lieu d'être. En l'espèce, l'article 433quaterdecies du Code pénal, prévoit effectivement que le bien mis à disposition du CPAS doit être restauré mais ne dispose pas que les travaux de réhabilitation profiteront au propriétaire du bien. Mais, certains pourraient y voir une cause dont la présence exclut l'application de ce principe général du droit (61) . En outre, la convention rédigée entre le CPAS et le propriétaire ou le bailleur pourrait également être la cause de l'enrichissement. Les controverses en cette matière exposent le CPAS à une relative insécurité quant à l'issue d'une telle procédure.

    Toutes ces embûches sont de nature à décourager les CPAS. Prendront-ils le risquent de supporter des frais de restauration d'un immeuble sans être certains de pouvoir se retourner contre son propriétaire et sans pouvoir en réclamer le coût à l'État ? Tout président de CPAS qui gère ses deniers en bon père de famille refusera un tel risque (62) .

    De lege ferenda, il serait utile de s'inspirer du régime de la prise en gestion, par un opérateur immobilier, d'un logement abandonné. Dans ce cadre, l'opérateur doit veiller à l'entretien du logement (63) et, à ce titre, peut effectuer des travaux de réhabilitation ou de restructuration permettant d'atteindre les critères minimaux de salubrité fixés par l'arrêté du gouvernement wallon du 11 février 1999 (64) . Avant et après les travaux, l'opérateur doit faire réaliser un inventaire, à frais communs avec le titulaire de droits réels (65) . Une fois par an ou à la demande du juge de paix, l'opérateur immobilier est tenu de présenter un rapport financier aux titulaires de droits réels, rendant ainsi compte de sa gestion (66) .

    L'opérateur immobilier perçoit les loyers et les impute sur sa créance afférente aux différents travaux de réhabilitation ou de restructuration effectués (67) ainsi que sur sa créance de gestion, à savoir les charges d'entretien et de gestion du logement (68) . En outre, le Code wallon du logement prévoit que si le titulaire de droits réels obtient à nouveau, par décision du juge de paix, la gestion de son logement, il est tenu de rembourser l'opérateur immobilier à concurrence du solde des frais exposés par lui.

    Une procédure identique devrait être insérée dans les articles 433terdecies et suivants du Code pénal afin de résoudre toutes les questions épineuses qui, actuellement, freine l'application du texte légal.

    V. Un bail entre le CPAS et les nouveaux locataires ?

    A. Un bail ... et lequel ?

    1. La loi sur les baux à loyers

    L'article 433quaterdecies in fine dispose que la location doit être temporaire, sans toutefois donner de limite temporelle. Le caractère temporaire de la location dépendra de la durée de la procédure judiciaire ouverte à l'encontre du propriétaire de l'immeuble ou de son bailleur. En effet, à la fin de celle-ci, soit le bien lui sera restitué — en cas d'acquittement —, soit restitué à son propriétaire de bonne foi, soit confisqué au bénéfice de l'État.

    La loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer (69) , s'applique, aux termes de son article 1er, aux baux portant sur le logement que le preneur affecte à sa résidence principale. Le CPAS qui recourt à un tel bail doit respecter les dispositions de la loi sur les baux à loyer, en ce compris la durée du bail qui, sauf dérogation (70) , est de neuf ans. Une telle durée s'avère contraire à l'article 433quaterdecies in fine.

    Il est possible de recourir à la dérogation de l'article 3, § 6, de la loi sur les baux à loyers et conclure un bail pour une durée inférieure ou égale à trois ans, pour lequel les causes et conditions de résiliation anticipée du bail de neuf ans ne sont pas applicables au bail de courte durée (71) . Toutefois, il semble difficile, dès la signature du bail, de prévoir la durée de ce bail qui variera suivant les critères externes rappelés en exergue.

    Pour palier cette difficulté et respecter le caractère temporaire de la mise en location, les parties pourraient inscrire, dans l'instrumentum, une clause de résiliation anticipée. Mais, cette pratique est controversée. La recension jurisprudentielle, de M. Higny et M. De Smedt (72) , des décisions pro et contra cette possibilité, met en lumière les difficultés que rencontrerait les CPAS qui souhaiteraient recourir à ce type de clause.

    Ainsi, le recours à une clause de résiliation anticipée semble admise par une certaine doctrine (73) et acceptée par certains juges de paix qui, comme celui du 1er canton de Verviers, estiment que « si la loi se contente d'indiquer que le bail de courte durée n'est pas régi par les dispositions concernant les causes de résiliation anticipée prévue pour les baux de neuf ans, elle n'interdit pas explicitement aux parties d'en convenir autrement. Il faut donc en conclure que les clauses de résiliations anticipée peuvent être prévues au contrat, même si une telle clause est peu conciliable avec la ratio legis du bail de courte durée » (74) .

    En revanche, d'aucuns estiment que la seule manière de résilier un bail de courte durée est la notification, par l'une ou l'autre partie, d'un préavis au moins trois mois avant l'expiration de la durée convenue. Il n'est pas question dans le texte légal, souligne le juge de paix du 3e canton de Liège, d'autre possibilité de mettre fin à un bail de courte durée (75) .

    Cette controverse n'est certes pas de nature à inciter les CPAS à recourir à des baux de courtes durées.

    2. Un bail relatif à un logement d'urgence ou transitoire ?

    Un logement d'urgence — urgence qui signifie que l'on doit trouver une solution dans les deux ou trois jours (76) — est un logement que le CPAS loue pour une courte période à des personnes qui se trouvent dans une situation de besoin. Le contrat de location est conclu pour un maximum de 4 mois et peut être prolongé une fois (77) . Un tel logement offre une réponse à la situation de personnes qui se trouvent sans logement, entre autres, car leur logement a été déclaré insalubre ou inhabitable ou en raison d'un avis d'expulsion.

    Toutefois, pour bénéficier d'un subside pour un logement d'urgence, le CPAS doit, notamment, être propriétaire du logement d'urgence ou disposer d'une emphytéose de longue durée et s'engager à utiliser le logement comme logement d'urgence pendant 9 ans au moins. Ce qui annihile les possibilités de recours à ce système.

    Le logement de transit est un logement réhabilité ou restructuré grâce à une subvention de la Région. Il est destiné à l'hébergement temporaire de ménages en état de précarité (78) ou de ménages privés de logement pour des motifs de force majeure. Toutefois, ce type de logement, outre que la durée minimum du bail est de six mois, doit faire l'objet d'une procédure d'agréation de la commune dans le cadre de l'ancrage communale. Ce qui risque d'être long.

    Ni l'une ni l'autre, de ces possibilités ne sont donc réalisables en l'espèce.

    3. Les baux exclus

    Le bien mis à la disposition du CPAS doit « être restauré et loué temporairement ». Cette formulation implique que le bien loué a été préalablement restauré et exclut la signature d'un bail à rénovation qui permet de louer, dans certaines conditions, un bien contraire à la dignité humaine (79) .

    Il est également exclu de louer le bien en tant que logement social. En effet, ces biens sont gérés par les sociétés de logements sociaux qui, même si un ou plusieurs représentants du CPAS font partie de leur conseil d'administration, sont des entités juridiques distinctes des CPAS, de sorte que le prescrit légal n'est pas rencontré.

    B. La fin de la location en cas de levée de la saisie ou d'acquittement

    Quel sort sera réservé aux éventuels nouveaux occupants des lieux si le prévenu est acquitté ou si la saisie est levée en cours de procédure ? Certes, le propriétaire acquitté pourra revendiquer la restitution immédiate de son bien. Mais, peut-il résilier le bail qui lie le locataire au CPAS alors qu'il n'y est pas partie ? Cela nous paraît difficile, d'autant plus si le bail a été enregistré, obligation légale à charge du bailleur. L'enregistrement du bail permet de l'opposer au tiers. Le locataire bénéficie, à partir de cette date certaine du contrat, d'une protection légale contre l'expulsion, par le nouveau propriétaire. Et c'est là que le bât blesse ! Car l'enregistrement permet de protéger le locataire en cas de vente, mais n'a pas prévu le cas d'un immeuble à nouveau géré par son propriétaire après avoir été mis à la disposition d'un tiers qui l'a loué.

    Ici également, de lege ferenda, l'opposabilité du bail conclut entre le CPAS et le locataire, au propriétaire du bien devrait être inscrite dans la loi.

    VI. Le sort réservé aux loyers

    Qui percevra les loyers durant la procédure ? Si le propriétaire ou le bailleur sont poursuivis du chef d'infraction aux articles 433decies et suivants du Code pénal, on peut admettre que les loyers perçus reviendront au CPAS, sans préjudice de leur restitution en cas de non-lieu ou d'acquittement et après déduction des frais encourus par cet organisme (80) . En cas de condamnation du propriétaire, la perception des loyers restera acquise au CPAS.

    De lege ferenda, il serait utile de s'inspirer du régime instauré par le Code wallon du logement autorisant la prise en gestion de logements inoccupés par tout opérateur immobilier, dont les communes et les régies communales autonomes (81) . Le bien géré par l'opérateur peut être mis en location. Dans ce cadre, l'opérateur immobilier passera un contrat de bail écrit de résidence principale (82) . Il perçoit les loyers et les impute sur sa créance afférente aux différents travaux de réhabilitation ou de restructuration effectués (83) ainsi que sur sa créance de gestion.

    Il conviendrait également de régler le sort du solde restant après imputation sur les frais de travaux et de gestion. Equitablement, il faudrait prévoir que le solde des loyers est versé sur un compte bloqué. Ce solde revient au propriétaire si son bien lui est restitué par décision judiciaire ou en cas de classement sans suite. En cas de confiscation du bien, il revient au CPAS.

    VIII. Une solution pragmatique de lege lata: la vente du bien

    Dans l'état actuel de la législation, la vente du bien immeuble, sur base des articles 28octies et 61sexies C.I.Cr., paraît être la solution la plus pragmatique qui s'offre au magistrat confronté à un immeuble en mauvais état et placé sous scellés. Si le bien est un meuble le recours à l'aliénation s'imposera à lui. En effet, la mise à la disposition du CPAS n'aurait pas de sens et le maintien d'une saisie sur une telle chose (84) ne pouvant que mener à une réduction progressive de sa valeur (85) .

    § 4. Quatrième question: Le relogement des victimes

    I. le texte légal

    Selon l'article 433quinquiesdecies:

    « Dans les cas visés à l'article 433decies, les victimes peuvent être, le cas échéant, accueillies ou relogées sur décision, selon le cas, du ministre compétent, de l'autorité compétente ou des fonctionnaires désigné par eux, et ce, en concertation avec les services compétents en la matière. Les frais de logement sont à charge du prévenu. Lorsque le prévenu est acquitté, les frais sont mis à la charge, selon le cas, de l'État ou du CPAS Compétent » (86) .

    II. Considérations liminaires

    Le rapport de la fondation Roi Baudouin soulignait que: « la lutte contre l'insalubrité pose la question du relogement des personnes habitant dans ces logements. Si la solution peut s'avérer simple — et radicale — pour les clandestins, soit l'expulsion (ou le rapatriement); peu de choses semblent prévues en Belgique francophone en matière de relogement pour des personnes en situation régulière (Belges de souche, naturalisés, etc.), aussi le bourgmestre va parfois hésiter à procéder à la fermeture du bâtiment, car il n'a pas de réponse à apporter sur le plan du relogement. À Bruxelles, un Fonds de solidarité alimenté par les amendes payées par des propriétaires frauduleux devrait permettre de financer le relogement des personnes. Des logements de transit et d'insertion devraient être créés au niveau communal. En Wallonie, les communes sont également encouragées à créer des logements de transit et d'insertion pour le relogement. Dans le cadre des ILA (initiatives locales d'accueil), Fedasil finance aussi les CPAS pour de tels projets ».

    III. Un relogement ... mais pour quelles victimes

    Initialement, le gouvernement avait maintenu la possibilité de relogement des victimes au sein de la loi du 15 décembre 1980 (87) , ce qui limitait la possibilité de relogement aux seules victimes étrangères. Un amendement (88) , soutenu par la ministre de la Justice (89) , a étendu cette possibilité à toute victime d'un marchand de sommeil, en ce compris donc compris les européens et les nationaux.

    Le Rapport de la commission Justice estime que l'objet de l'article 433quinquiesdecies était limité au relogement temporaire des victimes de marchands de sommeil qui ne peuvent par leurs propres moyens se reloger (90) . Il faut toutefois mettre en évidence le caractère résiduaire de cette solution. Il n'est pas interdit au magistrat compétent de laisser les victimes transitoirement dans l'immeuble. La saisie effectuée n'empêche pas l'effectivité d'une résidence, certes contraire à la dignité humaine (91) .

    IV. Le relogement par le bourgmestre

    Si le bourgmestre prend un arrêté d'inhabilité et d'expulsion que la question du relogement trouve une nouvelle acuité car il doit s'être enquis au préalable des solutions de relogement des expulsés (92) . Effectivement, « les dégâts sociaux et humains d'une expulsion qui ne seraient pas agrémentées d'une solution de relogement sont souvent irréparables » (93) .

    Chaque médaille a son revers. En l'espèce, les obligations qui pèsent sur le bourgmestre de reloger les habitants de l'immeuble frappé de l'arrêté d'inhabilité, lui feront souvent fermer les yeux préférant, souligne N. Bernard, encore maintenir les habitants dans un logement déclassé et insalubre plutôt que de les mettre à la rue (94) . En outre, comme le précise L. Tholome, « l'action du bourgmestre en matière de salubrité est évidemment subordonnée à l'existence ou non d'un tissu étoffé de logements sociaux ou à loyers modérés, de logements d'urgence, de places disponibles dans les maisons d'accueil (...) » (95) .

    Qui plus est, si le bourgmestre souhaite mettre les frais de relogement à charge du marchand de sommeil, il doit respecter l'inapplicable procédure de recours au ministre compétent. Autant dire que, de lege lata, aucun marchand de sommeil ne se verra jamais mettre à charge le moindre coût inhérent au relogement de ses victimes.

    V. Le ministre compétent

    A. Considérations liminaires

    Déterminer le ministre compétent, l'autorité compétente ou les fonctionnaires désignés par eux, n'est pas chose aisée. Si en matière d'étrangers, le ministre compétent est celui du SPF Intérieur, rien ne permet d'identifier le ministre compétent pour le relogement d'un citoyen belge ou d'un ressortissant européen. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à pouvoir prétendre à ce droit au relogement.

    Faut-il étendre la compétence du ministre de l'intérieur à l'hypothèse des ressortissants de l'Union européenne ? Nous ne le pensons pas. En revanche, les ministres régionaux ont compétence en matière de logement. Ne faudrait-il pas au contraire se tourner vers eux ?

    B. La compétence du SPF Intérieur

    Le SPF Intérieur se subdivise en cinq directions générales dont les missions ont essentiellement pour but de servir et secourir le citoyen (96) . Parmi elles, trois sont susceptibles de nous intéresser.

    Tout d'abord, la DG Sécurité civile qui gère les services de protection civile et d'incendie. Ensuite, la DG Sécurité et prévention prépare élabore et exécute la politique de sécurité intégrale du ministre de l'intérieur. Enfin, la DG Office des étrangers qui traite des demandes d'asile, des demandes de séjour, etc.

    Cette dernière direction générale justifie la compétence du ministre de l'intérieur pour les victimes étrangères au sens de la loi du 15 décembre 1980. En revanche, il n'est pas compétent pour les victimes belges ou ressortissantes de l'Union européenne.

    Le ministre n'a, à ce jour, désigné aucune fonctionnaire compétent à qui adresser la demande d'accueil ou de relogement des victimes.

    C. Les compétences régionales

    Dans les années 1970, l'État fédéral a transféré ses compétences, en matière de logement, aux autorités régionales. Il a seulement conservé, pour l'essentiel, deux compétences: l'une en matière de bail via la loi sur les baux à loyers et, la seconde, relative à la fiscalité.

    Sont compétents: en Région wallonne, le ministre du Logement, des Transports et du Développement territorial qui est compétent, en Région flamande, le ministre du Logement, de l'Énergie, de l'Économie sociale et de la Politique des villes; en Région de Bruxelles-capital, le ministre-président. Tout comme leur collègue fédéral, aucun n'a désigné de fonctionnaire compétent.

    VI. La procédure à suivre

    Aucune procédure n'a été prévue pour saisir le ministre compétent et obtenir son accord. Il suffit donc de lui adresser une demande, par voie postale ou informatique, et ... d'attendre. En l'absence de réponse, il convient d'introduire une nouvelle demande.

    Autant dire que cet article est inapplicable. Dans la pratique, il est arrivé qu'un relogement informel soit trouvé grâce à une intervention informelle du CPAS ou de la croix-rouge. Mais, dans une telle hypothèse, la procédure n'étant pas respectée, le prévenu non-acquitté est en droit de contester la mise à sa charge des frais de relogement; aucune décision ministérielle n'ayant été prise.

    De lege ferenda, il conviendrait qu'un texte légal désigne le ministre compétent et décrive la procédure à suivre.

    V. Les frais de relogement

    Dans la mesure où la loi prévoit que ces frais sont « à charge du prévenu » et non du condamné ou du coupable (97) , il faut en conclure qu'une telle prise en charge financière devrait intervenir avant même la condamnation et également en cas de classement sans suite (98) . En effet, le principe de stricte interprétation de la loi pénale nous pousse à considérer que le prévenu doit supporter ces frais car, techniquement, il n'est pas acquitté (99) . À cet égard, il est souhaitable, même si cela engendre des frais à charge de l'État, qu'en cas d'absence d'infraction, le ministère public ne classe pas sans suite mais cite le prévenu devant les tribunaux correctionnel et requiert son acquittement. De lege ferenda, il serait équitable d'adopter la formulation suivante: « Lorsque le prévenu est condamné, ou lorsqu'il bénéficie d'une mesure de suspension du prononcé de la peine, les frais restent à sa charge », ce qui évite tous problèmes en cas de classement sans suite.

    Certains parlementaires trouvaient « inacceptable, par rapport aux droits de la défense, que l'on impose en fait une amende provisoire dans le cadre d'une procédure pénale » (100) . La réponse qui fut apportée lors des travaux préparatoires de la loi-programme du 2 août 2002 laisse perplexe: « Le ministre fait remarquer que cet article s'applique au cas où des personnes doivent être relogées. Si une autorité judiciaire constate que cela se fait par la faute du bailleur, il est logique que ce dernier supporte les frais liés à ce nouveau logement. Il ne s'agit pas d'une sanction, mais d'une obligation du bailleur. Si le bailleur est finalement acquitté, les frais lui seront remboursés » (101) . Remboursés. Certes, mais par qui ? Une nouvelle question sans réponse.


    ANNEXE 3

    Audition de M. Peter van Hauwermeiren — Inspecteur social


    ANNEXE 4

    Esperanto


    ANNEXE 5

    Service MINTEH


    (1) Protocole du 1er juin 2001 relatif à la coopération dans la lutte contre la traite des êtres humains conclu entre l'Inspection sociale du ministère des Affaires sociales et l'Inspection des lois sociales du ministère de l'Emploi et du Travail.

    (2) Article 1er, 3o, de l'arrêté royal du 13 février 2001 portant exécution de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel

    (3) Protocole additionnel à la Convention des nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, du 15 novembre 2000, entrée en vigueur en décembre 2003.

    (4) Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, entrée en vigueur le 1er février 2008; la Belgique l'a ratifiée le 27 avril 2009.

    (5) Décision-cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains du 19 juillet 2002.

    (6) Pour rappel, le législateur a entendu alléger la charge de la preuve reposant sur le ministère public, a souhaité éviter le risque d'interprétation jurisprudentielle diverse relative au modus operandi, et a entendu pouvoir prendre en considération toutes les situations où l'usage d'un moyen déterminé n'apparaît pas avec évidence.

    (7) Ces notions étant reprises de la convention no 29 de l'OIT, de la convention ONU sur l'esclavage et de la convention ONU supplémentaire sur l'abolition de l'esclavage, le commerce des esclaves et les institutions pratiques similaires à l'esclavage. La déclaration-cadre de l'Union européenne est légèrement plus nuancée car elle parle expressément d'exploitation au travail qui comprend au minimum les notions évoquées.

    (8) Exposé des motifs, Doc. 51-1560/00, p. 18 et 19.

    (9) Corr. Liège, 11 février 2009, Araceli.

    (10) Même s'il est bien compris pourquoi la finalité de l'exploitation économique vise le fait de « mettre ou permettre la mise au travail » dans des conditions contraires à la dignité humaine: aucune infraction du droit belge n'incrimine en effet le fait de mettre quelqu »un au travail dans des conditions contraires à la dignité humaine.

    (11) Association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés.

    (12) Association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée, des crimes et délits punissables d'un emprisonnent de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux (art. 324bis CP)

    (13) À noter que cette intégration avait été discutée puis rejetée par le groupe de travail ayant élaboré l'avant-projet de loi ayant donné lieu à la loi du 10 août 2005.

    (14) Doc. Sénat, no 4-1589/1.

    (15) Voir encore le Rapport 2007, p. 120.

    (16) Ce qui n'est certainement pas acceptable est que l'article 380, § 4, 3o exige le même critère de profit anormal quand il s'agit de la prostitution d'un mineur d'âge alors qu'il n'y aurait pas lieu de tolérer la prostitution d'enfants.

    (17) Numéro 4 de la revue néerlandaise « Crimelink » d'octobre 2009, p. 10.

    (18) Ainsi, l'article 90ter, § 2, du Code d'instruction criminelle admet l'utilisation d'interceptions, d'écoutes de (télé)communications privées par les autorités lorsque l'enquête est relative à des faits de traite des êtres humains accompagnés de l'une des circonstances aggravantes prévues aux articles 433sexies à 433octies du Code pénal, alors que l'infraction à l'article 383bis, § 1er, de ce Code ne saurait seule donner lieu à de tels devoirs d'instruction. Cette nuance quant à la qualification légale des faits soumis à enquête est importante dès lors qu'il est renvoyé, au titre de la condition dite de « proportionnalité » à la liste d'infractions reprise à l'article 90ter, § 2, du Code d'instruction criminelle pour ouvrir le recours à nombre d'autres actes d'information ou d'instruction.

    (19) Corr. Liège, 11 février 2009, Araceli.

    (20) Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, sess. 2004-2005, no 51-1560/1, p. 18, in fine. Voy. également au sujet de cette nuance M.A. Beernaert et P. Le Cocq, « La loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil », o.c., p. 370.

    (21) Quant au fait d'exploiter soi-même ou par un intermédiaire la débauche ou la prostitution, voir l'hypothèse incriminée aux termes de l'article 380, § 1er, 4o, du Code pénal.

    (22) Idem, p. 370, spéc. note 118.

    (23) Voir e.a. les articles 225-13 à 225-16 du Code pénal français, relatifs aux conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité de la personne.

    (24) Précisons toutefois que ces critères sont excessivement intéressants pour les enquêteurs qui peuvent, sur le terrain, bénéficier d'un aide mémoire intéressant.

    (25) Nous n'avons pas pour but d'étudier la notion philosophique de « dignité de la personne humaine ».

    (26) (dir. H-D. Bosly et C. De Valkeneer), Bruxelles, Larcier, 2010.

    (27) Article 3, a), du Protocole des Nations unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée.

    (28) Loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la transplantation d'organes, Moniteur belge, 14 février 1987, p. 2129.

    (29) Article 1er, § 1er, alinéa 1er, de la loi. Ne sont au demeurant pas considérés comme des prélèvements d'organes au sens de cette loi « le transfert d'embryon, le prélèvement et la transplantation de testicules et ovaires, et l'utilisation des ovules et du sperme » (article 1er, § 1er, alinéa 3).

    (30) Moniteur belge, 30 décembre 2008, pp. 68774 et s. Cette loi est entrée en vigueur le 14 juillet 2009. Voir le commentaire: B. Fonteyn et P. Slegers, « L'utilisation de matériel corporel humain à des fins scientifiques: commentaires à propos de la loi du 19 décembre 2008 », J.T., 2009, pp. 205 et s.

    (31) Conformément à l'article 2, 7o, de la loi du 19 décembre 2008, l'organe est défini comme étant la « partie différenciée et vitale du corps humain, constituée de différents tissus, et qui maintient, de façon largement autonome, sa structure, sa vascularisation et sa capacité à exercer des fonctions physiologiques ». Par voie de conséquence, un prélèvement d'organes impliquerait un prélèvement de tissus, mais pas nécessairement l'inverse.

    (32) Cette réalisation effective du but illicite poursuivi n'étant en revanche pas requise en matière de traite des êtres humains (voir supra).

    (33) Voy. ainsi Cass., 31 octobre 2007, P.071309.F.

    (34) CEDH, Broniowski c./ Pologne, 22 juin 2004, § 134.

    (35) S. Van Drooghenbroeck, La convention européenne des droits de l'Homme 2002-2004, Vol. 2, Articles 7 à 59 de la convention — protocoles additionnels, Bruxelles, Larcier, Les dossiers du J.T., no 57, p. 160, no 529.

    (36) CEDH, IRS et autres c./ Turquie, 20 juillet 2004.

    (37) Kargiannis et autres c./ Grèce, 16 janvier 2003, § 41.

    (38) Back. C./ Finlande, 20 juillet 2004, § 60 (arrêt relatif à une réduction de créance dans le cadre d'un plan d'apurement), Pincova et Pinc c./ République tchèque, 5 nov. 2002, § 51 (arrêt relatif à la restitution à leur premier propriétaire de biens confisqués sous régime communiste), Allard c./ Suède, 24 juin 2003, § 52 (arrêt qui concerne la démolition d'une maison construite sans l'accord des autres copropriétaires du terrain sur lequel elle avait été édifiée).

    (39) CEDH, Agosi c./ Royaume-Uni, 24 oct. 1986, § 51, Série A, no 108.

    (40) 12 mai 2009.

    (41) La Cour cite: Sporrong et Lönnroth c./ Suède, 23 sept. 1982, §§ 69 et 73, série A, no 52; James et autres c./ Royaume-Uni, 21 févr. 1986, série A, no 98.

    (42) Étrangement, la Cour se trompe lorsqu'elle retient un but relatif à la traite des êtres humains, alors qu'elle est saisie d'une requête relative à la confiscation des biens d'un marchand de sommeil.

    (43) Si l'immeuble est en indivision, achetés par des époux sous le régime légal, etc., il convient de solliciter l'accord de tous les co-propriétaires.

    (44) Sur cette question, voy. P. Herbots, « Huisjesmelkerij », NjW., 2005, p. 1123, no 22.

    (45) En ce sens: Ch-E Clesse et F. Lugentz, « Les marchands de sommeil », in Les infractions contre les personnes (H-D. Bosly et C. De Valkeneer, dir.), Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 690-691.

    (46) Moniteur belge, 28 décembre 2006, entrée en vigueur le 8 janvier 2007.

    (47) Le fait que l'arrêté royal du 28 décembre 1950 portant règlement général sur les frais de justice en matière répressive (ainsi que l'arrêté royal du 27 avril 2007 portant règlement général des frais de justice en matière répressive, annulé aux termes de l'arrêt du Conseil d'État du 17 décembre 2008, no 188 928, Chambre belge des experts judiciaires en matière automobile et autres) ne mentionne pas l'existence de tels frais de restauration ou leur tarif n'est pas relevant dès lors que ce texte comprend une disposition résiduaire aux termes de son article 66: s'agissant d'éventuels frais « extraordinaires et non prévus » par le règlement général sur les frais de justice en matière répressive, et lorsque l'information ou l'instruction d'une affaire exige leur dépense, celle-ci ne peut « être faite qu'avec l'autorisation soit des procureurs généraux près les cours d'appel, soit avec l'autorisation des présidents des Cours d'assises, dans le cas où ceux-ci agissent en vertu de leur pouvoir discrétionnaire. Les procureurs généraux informent sans délai le ministre de la Justice de l'autorisation qui a été donnée. Dans les limites établies par le ministère de la Justice, les procureurs généraux peuvent dispenser l'autorité requérante de l'autorisation prévue à l'alinéa 1er ». Il conviendrait dès lors, ici, de faire application de ce texte.

    (48) « Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction, les condamnera aux frais, même envers la partie publique. La partie civile qui succombera pourra être condamnée à tout ou partie des frais envers l'État et envers le prévenu. Elle sera condamnée à tous les frais exposés par l'État et par le prévenu en cas de citation directe ou lorsque une instruction a été ouverte suite à la constitution de partie civile. Les frais seront liquidés par le jugement ». Voy. également les articles 194 et 365 du même Code, ainsi que l'article 50 du Code pénal.

    (49) Doc. Sénat, no 2-1248/2.

    (50) « Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction, les condamnera aux frais, même envers la partie publique. La partie civile qui succombera pourra être condamnée à tout ou partie des frais envers l'État et envers le prévenu. Elle sera condamnée à tous les frais exposés par l'État et par le prévenu en cas de citation directe ou lorsque une instruction a été ouverte suite à la constitution de partie civile. Les frais seront liquidés par le jugement ». Voy. également les articles 194 et 365 du même Code, ainsi que l'article 50 du Code pénal.

    (51) Amendement no 28 du gouvernement, Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord., 2001-2002, 1823/7, p. 12.

    (52) V. Guerra, op. cit., p. 565.

    (53) L'amendement no 68 (déposé par Mmes. De Bethune et Thys, rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales, Doc. parl., o.c., pp. 38-39) tendant à prévoir, en cas de restitution du bien à son propriétaire, l'indemnisation par l'État, du CPAS qui aurait pris en charge de tels frais, n'a pas été adopté.

    (54) P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Vol. II, syllabus de l'ULB, p. 1985/412.

    (55) Idem, p. 1985/413.

    (56) Idem, p. 1987/414.

    (57) R. Dekkers, Précis de droit civil belge, T. 2, Bruxelles, Bruylant, 1955, p. 181, no 314.

    (58) Le possesseur de bonne foi peut garder les fruits de la chose qu'il a restitué.

    (59) Les pigeons, lapins, poissons, qui passent dans un autre colombier, garenne ou étang, appartiennent au propriétaire de ces derniers.

    (60) Le nu-propriétaire ne doit aucune indemnité à l'usufruitier pour les améliorations apportées par ce dernier au bien.

    (61) En outre, comme nous le précisions avec F. Lugentz dans notre contribution sur les marchands de sommeil (op. cit., p. 692, note no 162) lors des travaux préparatoires ayant mené à l'adoption de l'ancien article 77bis, § 4bis, de la loi du 15 décembre 1980, le gouvernement, confronté à des critiques en raison du risque financier qu'impliquait pour le CPAS la mise à disposition de tels biens, précisa que « le CPAS concerné doit examiner la question de savoir s'il exécutera ou non un investissement déterminé. Le coût de l'investissement contrebalancera-t-il son rendement, compte tenu des risques potentiels ? » (Projet de loi-programme, rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales, Doc. parl., Sénat, sess.ord., 2001-2002, 2-1248/6, p. 39). Pareille situation, consistant d'une certaine manière pour le CPAS à décider d'intervenir en fonction du profit escompté de ce qui est qualifié d'investissement, semble de nature à exclure l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause, l'existence d'un aléa, d'une volonté de spéculer, consistant déjà en une cause (Voy. S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wery, « Chronique de jurisprudence — Les obligations: les sources (1985-1995) », J.T., 1996, p. 700, no 29, P. Van Ommeslaghe, op. cit., p. 187/417).

    (62) Ainsi, en 2005, le CPAS de Charleroi a refusé la mise à disposition d'un immeuble saisi par le juge d'instruction aux motifs que les travaux à réaliser était d'un coût trop élevé.

    (63) Article 83, § 3, du Code wallon du logement du 29 octobre 1998.

    (64) Article 83, par. 3, al. 2, du Code wallon du logement et art. 7 de l'arrêté du gouvernement wallon du 20 mai 1999.

    (65) Article 7 de l'arrêté du gouvernement wallon du 20 mai 1999.

    (66) Article 83, § 5, du Code wallon du logement et art. 9 de l'arrêté du gouvernement wallon du 20 mai 1999.

    (67) Article 83, § 4, al. 1er du Code wallon du logement.

    (68) Article 81, al. 3, 3o et 83, par. 4, al. 2 du Code wallon du logement

    (69) Moniteur belge, 22 février 1991.

    (70) Le législateur a prévu trois dérogations:
    1) le bail de courte durée conclu pour une durée inférieure ou égale à trois ans (article 3, § 6, de la loi)
    2) le bail conclu pour une durée supérieure à neuf ans (article 3, § 7, de la loi)
    3) le bail conclu pour la vie du locataire (article 3, § 8, de la loi)

    (71) Y. Merchiers, « Les baux en général », Rép. Not., T. VIII, livre I, Bruxelles, Larcier, 1997, p. 93, no 84.

    (72) « Le bail de résidence principale: modifications législatives et jurisprudence récente », Le bail et le leasing immobilier (Dir. B. Kohl), CUP, vol. 112, Louvain-La-Neuve, Anthémis, 2009, nos 107-1 à 108-2, pp. 174 à 178.

    (73) A. Pauwels-Massart, Bestendig handboeck huishuur, I, B-II-3-28.

    (74) 18 octobre 2005, Échos log., 2006, p. 21. Dans le même sens, M. Higny et M. De Smedt relève: J.P. Tournai (2ème canton), 3 juin 2008, JLMB, 2009, p. 500; Civ. Liège, 15 mars 2006, JLMB, 2007, p. 995.

    (75) 30 juin 2006, JLMB, 2007, p. 998. Voy. également: J.P. Zomergem, 18 janv. 2008, RW, 2009, p. 887.

    (76) C. Emonts, Carrefour du logement 2007: remettre l'habitant au cœur du logement — un défi pour les élus. Logement, transit et urgence, http://www.uvcw.be/articles/33,512,510,510,2102.htm, site consulté le 15 janvier 2010.

    (77) Définition reprise dans le courrier du CPP Intégration social du 16 décembre 2008, Appel à projets « Augmentation du nombre de logements d'urgence » — 2009, référencé POLAR 2009.

    (78) Par ménage en état de précarité, on entend:
    a) la personne seule dont les revenus annuels imposables globalement ne dépassent pas 12 000 euros majorés de 2 200 euros par enfant à charge,
    b) plusieurs personnes unies ou non par des liens de parenté dont les revenus annuels imposables globalement ne dépassent pas 16 400 euros majorés de 2 200 euros par enfant à charge,
    c) le ménage faisant l'objet d'une guidance auprès d'un Service de Médiation de dettes agréé par le gouvernement et dont les ressources mensuelles ne dépassent pas 120 % du montant du revenu d'intégration sociale correspondant à la composition de ce ménage.

    (79) Les parties qui souhaitent conclure un bail à rénovation doivent le faire par écrit en indiquant dans l'instrumentum:
    — les travaux que le locataire compte effectuer;
    — le délai, réaliste, nécessaire à l'exécution des travaux;
    — la contrepartie du bailleur;
    — la durée de l'engagement, qui n'est pas nécessairement liée au délai nécessaire à l'exécution des travaux.

    (80) Ch. E. Clesse, La répression des marchands de sommeil, op.cit., pp. 272-273, no 47.

    (81) Le mécanisme institué par le Code wallon du logement porte sur un logement. Les deux critères qui constituent des indices d'inoccupation permettent d'étayer cette interprétation. Ils ont trait à la manifestation de l'inoccupation et ne sont pas nécessairement des indices d'un état d'abandon proche de l'insalubrité. Ainsi, un logement est réputé inoccupé par l'article 7 dudit Code, s'il a été déclaré inhabitable par le bourgmestre ou le gouvernement wallon depuis au moins douze mois ou s'il ne dispose pas du mobilier indispensable à son affectation pendant une période d'au moins douze mois consécutifs. Pour de plus amples développements, voy. le site http://www.uvcw.be/fiches/logement-inoccupe/index.cfm (consulté le 15 janvier 2010).

    (82) Article 82 du Code wallon du logement.

    (83) Article 83, § 4, al. 1er du Code wallon du logement.

    (84) Ces biens sont par ailleurs « remplaçables » et d'une « valeur aisément déterminable » (articles 28octies, § 2, et 61sexies, § 2, C.i.cr.).

    (85) En ce sens: Ch-E Clesse et F. Lugentz, « les marchands de sommeil » in Les infractions contre les personnes, Bruxelles, larcier, 2010, à paraître.

    (86) Cette disposition reproduit celle de l'ancien article 77bis, § 4ter, de la loi du 15 décembre 1980, introduite aux termes de l'article 192 de la loi-programme précitée du 2 août 2002.

    (87) Cette possibilité avait été intégrée au sein l'article 77bis, § 4ter par la loi-programme du 2 août 2002. Le projet du gouvernement inscrivait cette faculté dans un nouvel article 77septies de la loi du 15 décembre 1980.

    (88) Amendement no 1 de Mme Lanjri et M. Van Parys, Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2004-2005, 51-1560/2.

    (89) Amendement no 13 du gouvernement, Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2004-2005, 51-1560/2. Cet amendement vise à supprimer l'article 77septies du projet de loi.

    (90) Rapport de la Commission Justice de la Chambre, Doc. Parl., Ch. repr., Sess. ord., 2004-2005, 51-1159/4, p. 42 et 43.

    (91) Se pose toutefois la question du paiement des loyers. Le magistrat qui autorise la poursuite de la location et le paiement des loyers entre les mains du bailleur ou du propriétaire ne devient-il pas complice ou co-auteur de l'infraction ?

    (92) Voy. à cet égard: N. Bernard, « Motivation et conséquence sur le plan administratif d'un arrêté d'inhabitabilité », La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles (Dir. N. Bernard et G. De Pauw), Bruxelles, Bryulant, 2004, p. 94 et suivantes.

    (93) N. Bernard, « Expulsions de logement, relogement et dignité humaine », Le droit au logement: vers la reconnaissance d'un droit fondamental de l'être humain, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 113.

    (94) Ibidem.

    (95) « Chronique d'une « mort juridique » annoncée », note sous J.P. Seneffe, 7 déc. 1999, Échos log., 2002, p. 213.

    (96) Voy. Le site www.securitecivile.be.

    (97) Compar. les termes de cet article 433quinquiesdecies du Code pénal et ceux de l'article 433terdecies, alinéas 1er et 2, du même Code qui, eux, visent le « coupable ».

    (98) Les travaux préparatoires de la loi-programme du 2 août 2002 confirment cette interprétation, correspondant au souhait du gouvernement.

    (99) Dans un souci d'équité, lorsque le classement sans suite est fondé sur une absence d'infraction entre autres, il est souhaitable que le ministère public cite le prévenu devant les tribunaux correctionnel et requiert son acquittement. En tout état de cause, de lege ferenda, le légaislateur devrait modifier son texte et adopter la formulation suivante: « Lorsque le prévenu est condamné, ou lorsqu'il bénéficie d'une mesure de suspension du prononcé de la peine, les frais restent à sa charge ». Pareil formulation évite tous problèmes en cas de classement sans suite.

    (100) Projet de loi-programme, rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales, Doc. parl., o.c., p. 37.

    (101) Idem.