4-1629/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2009-2010

5 MAI 2010


Exploitation et trafic des richesses naturelles dans l'Est du Congo


RAPPORT

DU GROUPE DE TRAVAIL « EXPLOITATION ET TRAFIC DES RICHESSES NATURELLES DANS L'EST DU CONGO » FAIT À  LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR

MME SCHELFHOUT


SOMMAIRE

  • I. INTRODUCTION
  • II. AUDITIONS
  • A. Audition du 26 janvier 2010
  • L'aspect technique des richesses naturelles dans l'Est du Congo
  • 1. Exposé de M. Raf Custers, chercheur à l'IPIS (International Peace Information Service)
  • 2. Échange de vues
  • B. Audition du 2 février 2010
  • La contribution de la communauté internationale à la lutte contre l'exploitation et le commerce illégaux des matières premières dans la région des Grands Lacs
  • 1. Exposé de M. Roeland van de Geer, envoyé spécial de l'Union européenne pour les Grands Lacs
  • 2. Échange de vues
  • C. Audition du 9 mars 2010
  • Task Force Mineral Ressources in Central Africa (MIRECA): la politique belge relative à la problématique minière en Afrique centrale
  • 1. Exposé de M. Karel Dhaene, représentant du ministre des Affaires étrangères
  • 2. Échange de vues
  • D. Audition du 30 mars 2010
  • D.1. Présentation du Réseau belge des ressources naturelles (RBRN) et de ses activités
  •  Exposé de Mme Véronique Rigot, chargée de recherche Environnement et Développement, Centre National de Coopération au Développement (CNCD) — 11.11.11
  • D.2. Présentation des recommandations et des alternatives élaborées par le Réseau belge des ressources naturelles (RBRN) et des pistes de politiques possibles
  •  Exposé de Mme Axelle Fisher, secrétaire générale, Commission Justice et Paix et de M. Koen Warmenbol, chargé de plaidoyer Ressources Naturelles, 11.11.11
  • D.3. Échange de vues
  • E. Audition du 20 avril 2010
  • 1. Exposé de M. Michel Defays, World Mining Company
  • 2. Échange de vues

  • I. INTRODUCTION

    Le groupe de travail « Exploitation et trafic des richesses naturelles au Congo de l'Est » a été créé le 15 décembre 2009 au sein de la commission des Relations extérieures et de la Défense.

    Ce groupe de travail a pour mission:

    — de proposer un cadre en vue d'intégrer dans la législation belge des mesures favorisant le commerce éthique, en particulier le commerce dans les zones en conflit, telles que définies dans les normes de l'OIT, dans les directives de l'OCDE et dans les principes de conduite professionnelle des entreprises multinationales (7 juin 2000), ainsi que dans le livre vert d'l'UE inititulé « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises »;

    — d'élaborer des propositions en vue de conférer à ces mesures un caractère obligatoire en les assortissant d'un mécanisme de sanction;

    — de formuler des propositions en vue de mettre au point, au niveau international, un système de certification et de traçabilité des matières premières, qui n'existe pas encore à l'heure actuelle.

    Le groupe de travail était chargé de faire rapport de ses activités dans le courant du mois de juin 2010. À cause de la fin anticipée de la législature, le groupe de travail n'a plus été en mesure de terminer ses travaux. C'est pourquoi le présent rapport ne contient que le compte rendu des auditions qui ont été organisées.


    II. AUDITIONS


    A. Audition du 26 janvier 2010


    L'aspect technique des richesses naturelles dans l'Est du Congo


    1. Exposé de M. Raf Custers, chercheur à l'IPIS (International Peace Information Service)

    L'Est du Congo se compose des actuelles provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Maniema (qui formaient autrefois le Kivu) et, au nord de celles-ci, de la région de l'Ituri dans la Province Orientale. Pour l'approvisionnement, on y inclut également le nord de la province du Katanga.

    Les principales richesses du sous-sol exploitées sont la cassitérite (étain), le coltan (tantale et niobium) et l'or. L'on exploite également de petites quantités de tungstène, quelques filons de diamant et de nombreux autres minéraux tels que le cuivre, la bauxite et des pierres précieuses.

    Localisation des gisements (classés par ordre de fréquence):

    — étain et tantale: dans pratiquement l'ensemble du Kivu;

    — niobium: gisements très localisés, à Lueshe (Nord-Kivu);

    — tungstène: exploitation assez répandue;

    — or: exploitation industrielle en Ituri, projet de Banro au Sud-Kivu, extraction artisanale partout;

    — diamant: gisements très localisés dans la partie occidentale de l'Est du Congo, c'est-à-dire dans la périphérie ouest du Shabunda et dans le nord du Maniema.

    Ces richesses naturelles sont destinées aux applications suivantes:

    — étain: soudure (y compris sur des cartes de circuit imprimé), plaquettes d'étain, revêtements, stabilisant du PVC, amalgame dentaire, retardateur de flamme, etc.;

    — tantale: métal dur et lourd présentant un point de fusion élevé et une grande résistance chimique, utilisé principalement pour la fabrication de composants (accumulateurs miniatures) d'appareils électroniques;

    — niobium: utilisé pour la fabrication d'acier résistant aux températures élevées et d'alliages spéciaux, etc.;

    — tungstène: résistant aux températures élevées, utilisé dans les alliages d'acier, les lampes, les appareils d'irradiation, etc.;

    — or: joaillerie, réserves monétaires, instrument de placement, etc.;

    — diamant: joaillerie, têtes de forage, etc.

    M. Custers présente ensuite un aperçu des volumes de production.Les chiffres avancés divergent souvent d'un service à l'autre. Cela s'explique en partie par les dysfonctionnements et le manque d'équipement des services et des fonctionnaires et en partie par les fraudes et les sous-déclarations commises en vue de bénéficier d'une moindre taxation. L'étain (ou, pour reprendre la dénomination locale, la cassitérite) tient le haut du pavé. Dans un contexte global, seul le tantale a une certaine importance, les gisements étant limités.

    • Or: contrebande à grande échelle

    — Division des Mines, pour 2007 (Global Witness): 117 kg (Nord-Kivu et Sud-Kivu confondus);

    — USGS/DFID: exportation officielle en 2005: 600 kg (Sud-Kivu), 9 kg (Nord-Kivu); estimation de l'exportation réelle: 10 tonnes;

    — Kilo & Moto en Ituri: « l'un des gisements les plus prometteurs d'Afrique », projets industriels entre autres de RandGold en collaboration avec AngloGold et Mwana Africa, petite participation étatique via Okimo;

    • Diamant: « quelques carats », donc insignifiant dans ce contexte;

    • La cassitérite et ses minerais dits « accompagnateurs » que sont le coltan et le tungstène (Division des Mines du Nord-Kivu, FEC Sud-Kivu).

    Exportation du Sud-Kivu en 2008 (!)

    Cassitérite Coltan Tungstène
    5 663,3 tonnes 421,7 tonnes 167,6 tonnes

    Exportation du Nord-Kivu en 2008 (!)

    Cassérite Coltan Tungstène
    13 310 tonnes 87 tonnes 548 tonnes
    81,7 millions $ 1,5 millions $ 4 millions $

    Remarque: la production et l'exportation par province ne correspondent pas exactement car des minerais sont parfois acheminés d'une province à une autre.

    Comparaison avec la production mondiale (RMD Stockholm + USGS)

    Étain (2007) Tantale (2005) Tungstène (2008)
    Chine 120 000 tonnes Australie 900 tonnes Chine 41 000 tonnes
    Indonésie 75 000 tonnes Canada 77 tonnes Russie 3 200 tonnes
    Pérou 39 000 tonnes Mozambique 75 tonnes Canada 2 600 tonnes
    Bolivie 16 000 tonnes
    Total mondial: 330 000 tonnes Total mondial: 1 500 tonnes Total mondial: 54 600 tonnes

    Le Congo représenterait environ 4 % de la production mondiale d'étain.

    La chaîne de production, de transport et de commercialisation au Congo est très diversifiée; elle implique de nombreux acteurs et est calibrée sur l'exportation. La valeur ajoutée locale (value added) est très faible. Des entrepreneurs belges dirigent notamment des sociétés d'exportation (WMC et MDM à Bukavu) et une importante société de transport (TMK à Goma).

    En ce qui concerne la production, M. Custers signale que la liquidation de la Sominki (dans laquelle la participation belge s'élevait à 72 %) en 1996 a sonné le glas de l'exploitation industrielle. La Sominki faisait essentiellement de l'exploitation minière au Maniema et au Sud-Kivu, avec de grands centres à Kalima et à Lulingu (étain), ainsi qu'à Kamituga (or). En 1996, la Sominki a été reprise par Banro, qui s'est concentré sur l'or. S'en est suivi un litige juridique, qui n'a été tranché qu'en 2006-2007.

    L'exploitation se fait maintenant à petite échelle, de manière artisanale, en nécessitant un fort coefficient de main-d'œuvre. Des milliers de creuseurs artisanaux travaillent dans les mines de l'Est du Congo. Les estimations de leur nombre divergent. Pour 2008, la Division des Mines du Nord-Kivu a fait état de 5 000 creuseurs, dont 3 500 travaillaient dans le bassin de Bisiye, où l'on comptait également, parmi les activités connexes, 3 500 transporteurs et 4 500 négociants. L'exploitation minière est néanmoins le principal secteur économique du Kivu. En réalité, c'est probablement en dizaines de milliers que se comptent les creuseurs.

    On compte plusieurs dizaines d'exploitations minières, tant autour des gisements et dans les anciennes concessions de la Sominki que dans de nombreuses concessions privées situées dans la forêt.

    Les principaux centres miniers sont:

    — Dans le Nord-Kivu: Bisiye, Territoire de Walikale: découvert seulement en 2002 (car il ne fait pas partie de la concession de la Sominki) et Bibatama, Territoire de Masisi;

    — Dans le Sud-Kivu: Lulingu, Territoire de Shabunda, Lemera, Territoire d'Uvira, Misi, mine d'or dans le Territoire de Fizi, Kamituga, Territoire de Mwenga, Numbi et Nyabibwe, Territoire de Kalehe;

    — Au Maniema: Punia, Kalima;

    — Au Nord-Katanga: la région située au nord de Manono.

    Les projets industriels peuvent être résumés comme suit:

    — Banro (Can) possède quatre concessions au Sud-Kivu;

    — Kivu Resources/MPC (Afrique du Sud) détient des concessions à Walikale et dans la province du Maniema;

    — Tanganyika possède des concessions dans les hauts plateaux du Sud-Kivu.

    Au Kivu, les flux commerciaux et de transport sont orientés vers l'est. C'est un phénomène nouveau dont l'origine remonte à la période de la guerre (1998-2003). Jusqu'alors, l'économie de l'Est du Congo était orientée vers l'ouest. Les transports s'effectuaient entre autres par le fleuve Congo. Durant la guerre, le Congo fut scindé en deux. L'Est du Congo fut occupé par des troupes provenant d'Ouganda, du Rwanda et du Burundi ainsi que par des organisations de rebelles proches de ces pays. Elles organisèrent une économie de guerre tournée vers l'exportation des richesses naturelles vers et par le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi.

    Aujourd'hui, les chefs-lieux Bukavu (Sud-Kivu) et Goma (Nord-Kivu) constituent les principaux centres d'exportation de minerais. Uvira (au Sud-Kivu — qui borde la capitale burundaise de Bujumbura) et Butembo (dans le Nord-Kivu) sont des centres d'exportation secondaires respectivement pour l'or et pour le bois et l'or. Les minerais transitent par les ports de Mombasa au Kenya et de Dar-es-Salam en Tanzanie avant d'être expédiés à des fondeurs en Asie, essentiellement en Malaisie et en Thaïlande.

    La chaîne de transport intérieure (du gisement jusqu'à la frontière) est minutieusement réglée et repose sur l'intervention de multiples opérateurs tant privés que publics. Les principaux maillons sont le gisement, le transport et la société d'exportation.

    En aval, entre les gisements et les centres d'exportation (Bukavu/Goma), plusieurs intermédiaires sont actifs. Dans les gisements, des creuseurs travaillent pour le compte d'exploitants titulaires ou non de licences d'exploitation légales. Chaque creuseur doit se faire enregistrer. Sur le site minier, on effectue un premier raffinage rudimentaire dans le but de réduire le volume et d'accroître la teneur en minerai du matériau à transporter (jusqu'à obtention de 35 à 50 % de métal). Les exploitants vendent à des acheteurs (négociants) qui doivent se faire enregistrer. Les négociants travaillent le plus souvent pour le compte de sociétés d'achat (maisons d'achat) qui doivent être agréées par l'État. Les maisons d'achat titulaires d'une licence d'exportation sont appelées des comptoirs et sont établies dans les centres d'exportation de Bukavu et de Goma. Leur nombre est limité. En 2008, on en comptait 22 à Goma et une dizaine à Bukavu. Les comptoirs effectuent un deuxième raffinage jusqu'à obtenir une teneur en métal d'environ 70 % pour l'étain et assurent l'expédition des minerais.

    Les principaux comptoirs sont:

    — À Goma: Sodexmines, Amur, Huaying, Clepad, JMT, ...

    — À Bukavu: Panju, WMC, Muyeye, MDM (entre autres, Michel Defays), Groupe Olive, Bakulikira, ...

    Certains comptoirs possèdent leurs propres gisements.

    Le transport des minerais s'effectue essentiellement par avion et, dans une moindre mesure, par la route. La première étape, à savoir le transport du minerai jusqu'aux lieux de stockage, est parcourue à pied. Des porteurs transportent des colis dont le poids atteint généralement 50 kg. Les principaux lieux de stockage se situent aux abords de pistes d'atterrissage. Là, les colis sont traités par les agences des exportateurs qui organisent l'expédition par avion. D'autres lieux de stockage sont ce qu'on appelle les « parkings ». Ce sont les endroits les plus éloignés accessibles aux camions. Il va sans dire que les transports par la route sont nettement plus susceptibles de faire l'objet d'irrégularités administratives de la part d'agents des services publics et de militaires ou de pâtir de l'insécurité provoquée par des groupes armés irréguliers.

    Le contrôle et la taxation des exploitations minières dans l'Est du Congo sont assurés par une dizaine de services publics, dont les principaux sont l'Administration/la Division des Mines, le Centre d'Expertise, d'Évaluation et de Certification (CEEC), le Service d'Assistance et d'Encadrement du Small Scale Mining (SAESSCAM), l'Office des douanes et accises (Ofida), l'Office Congolais des Contrôles (OCC), le Cadastre Minier (Cami) et divers services de police et de renseignement comme la Police des Mines et l'Agence Nationale de Renseignements (ANR).

    Globalement, on peut dire que les services publics sont présents uniquement dans les centres urbains et, surtout, dans les centres d'exportation. Le SAESSCAM commence à jouer un rôle grandissant dans les exploitations. Le CAMI n'est pas encore présent au Kivu.

    À ce jour, aucun agent des services publics n'a encore été déployé sur les sites miniers en raison du manque de moyens financiers et de l'absence d'infrastructure ou de la piètre qualité de celle-ci.

    L'armée congolaise (FARDC), les commandements des 8e et 10e régions militaires, détachent des troupes dans les sites miniers, officiellement pour y garantir la sécurité. Or, on sait que les militaires détachés se livrent au commerce de minerais, très vraisemblablement pour le compte de leurs supérieurs. Des militaires travaillent aussi individuellement dans des sites miniers pour leur propre compte.

    Des groupes armés irréguliers cherchent à obtenir le contrôle des sites miniers pour pouvoir payer leurs hommes et leurs équipements. L'organisation hutue rwandaise FDLR est/était bien implantée dans les environs des principaux sites miniers et y développa une activité agricole et minière florissante, en relative symbiose avec la population autochtone.

    Les opérations militaires menées contre le FDLR et la présence du CNDP (le mouvement de Laurent Nkunda/Bosco Ntaganda) dans l'armée congolaise constituent un élément nouveau. Nkunda a été arrêté au début de l'année 2009. Ntaganda a été intégré dans les FARDC. En 2009, plusieurs opérations militaires successives ont eu lieu dans le but de neutraliser le FDLR. Il semblerait que des unités des FARDC commandées par des officiers du CNDP profitent de celles-ci pour prendre systématiquement le contrôle des sites miniers.

    M. Custers souhaite formuler quatre remarques à cet égard:

    — Le concept des comptoirs date de l'époque coloniale et est une invention portugaise. Les firmes coloniales étaient tournées vers l'exportation.

    — Sous le régime du président Mobutu, ce concept est demeuré inchangé. À l'époque, les comptoirs étaient essentiellement actifs dans le secteur diamantaire.

    — En 1982, l'exploitation des minerais a été libéralisée et les particuliers sont autorisés depuis lors à se livrer au négoce de minerais. C'est à cette époque que l'exploitation minière artisanale a commencé à se développer.

    — Le rôle des comptoirs en dehors du secteur diamantaire s'est intensifié avec la guerre. Ils étaient alors étroitement imbriqués dans l'économie de guerre rwando-ougandaise. Plusieurs propriétaires de comptoirs étaient des figures éminentes dans le cadre de la collaboration.

    M. Custers décrit ensuite la chaîne de transport internationale (de la frontière jusqu'au consommateur).

    Les comptoirs vendent leurs minerais à des traders. Les plus grands volumes sont exportés « vers la Belgique », ce qui veut dire en pratique qu'ils sont achetés par des traders établis en Belgique en vue d'être expédiés chez des fondeurs établis en Asie. À Goma, où les plus grands volumes sont exportés, les traders Traxys et Trademet, établis en Belgique, sont de loin dominants.

    Exportation de cassitérite de Goma en 2008 (Division des Mines Nord-Kivu)

    Total 13 310 tonnes
    Belgique 8 335 tonnes 62,6 %
    Thaïlande 1 042 tonnes 7,8 %
    Hong-Kong 996 tonnes 7,5 %

    Acheteurs de cassitérite à Goma en 2008 (Division des Mines Nord-Kivu)

    Comptoir Négociant Quantité Pourcentage
    Sodexmines SDE 2 731 tonnes 20,5 %
    Amur Trademet 2 150 tonnes 16,1 %
    Huaying Traxys 1 578 tonnes
    Clepad Trademet 1 156 tonnes
    JMT Thaisarco 1 018 tonnes

    Acheteurs de tungstène à Goma en 2008 (Division des Mines Nord-Kivu)

    Belgique 302 tonnes 59 %
    Hong-Kong 105 tonnes 20,6 %
    Australie 18,7 %

    Acheteurs de coltan à Goma en 2008 (Division des Mines Nord-Kivu)

    Belgique 38 tonnes 44,8 %
    Hong-Kong 31,9 tonnes 37,5 %
    Thaïlande 15 tonnes 17,7 %

    Quelques particularités peuvent être relevées à cet égard:

    — La société Traxys est établie à Bruxelles. Elle a été fondée par Arcelor Mittal et Umicore, mais est contrôlée par Private Equity depuis 2006. Chiffre d'affaires pour l'année 2007: 1,014 milliard USD.

    — Trademet, établie à Grez-Doiceau, est une société unipersonnelle (avec une société sœur en Grande-Bretagne). Chiffre d'affaires pour l'année 2007: 68,2 millions USD.

    — La société SDE, établie à Bruxelles, appartient au groupe américano-congolais Blattner. Chiffre d'affaires pour l'année 2007: 416 323 USD. SDE fournit essentiellement des services à diverses filiales du groupe Blattner au Congo. Elle s'approvisionne exclusivement auprès du comptoir Sodexmines à Goma, qui fait partie du même groupe.

    — STI, établie à Berchem, est une société unipersonnelle. Chiffre d'affaires pour l'année 2007: 21 525 USD. Négociant en café.

    Les autres négociants sont Afrimex (Royaume-Uni), Tengen, AMC/Thaisarco, ...

    Le préfinancement est une pratique courante, en vertu de laquelle des négociants avancent de l'argent aux comptoirs pour l'achat de minerais. Certains négociants seraient également copropriétaires de comptoirs. Il n'existe cependant aucune preuve, sauf pour SDE.

    En ce qui concerne les minerais de sang, M. Custers souligne que le secteur minier dans l'Est du Congo subit des pressions (internationales), parce que les achats de minerais financeraient des groupes armés, réguliers ou non, ce qui entretiendrait la situation de quasi-guerre dans la région. Plusieurs rapports ont soutenu cette thèse ces dernières années.

    En décembre 2008, le Groupe d'experts des Nations unies a cité nommément plusieurs comptoirs à Bukavu qui préfinancent des négociants, lesquels achèteraient à leur tour des minerais « contaminés » provenant de sites miniers contrôlés par les FDLR. Il s'agit des comptoirs Groupe Olive, Ets Muyeye,MDM (Mudekereza & Defays), WMC (Kitambala) et Panju. À Goma, le comptoir Munsad (Munyarugerero) était lié au CNDP de Laurent Nkunda.

    Les ONG anglo-saxonnes Global Witness (basée à Londres) et, depuis 2009, Enough (basée aux États-Unis) mènent une campagne appelant à des mesures de lutte contre ces pratiques. Depuis le printemps 2009, le Parlement américain examine un projet de loi visant à interdire l'importation de « minerais de sang » provenant du Congo. Aux Pays-Bas, le parlementaire du PvdA Martijn Van Dam a lancé, à la fin de l'année 2008, une pétition sur internet destinée à appuyer un plaidoyer en faveur d'un embargo.

    Enfin, pour ce qui est de la normalisation du secteur minier dans l'Est du Congo, M. Custers déclare que ni les responsables politiques, ni les entreprises, ni la société civile au Congo (oriental) ne souhaitent un embargo. Le gouvernement cherche à restaurer l'autorité de l'État sur l'ensemble du territoire. Diverses initiatives, nationales et internationales, soutiennent cet effort en vue de normaliser le secteur minier dans l'Est du Congo.

    Au mois de juillet 2009, le premier ministre Adolphe Muzito a ainsi lancé le Plan de Stabilisation et de Reconstruction de l'Est du Congo (STAREC), qui comprend trois volets: sécurité, aide humanitaire et reconstruction économique. En termes de budget, c'est le volet économique qui est le plus mis en valeur. Le plan STAREC a été élaboré par le gouvernement congolais en étroite collaboration avec la MONUC, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Congo. Au sein de la MONUC, une nouvelle cellule pour la stabilisation, baptisée UNSSSS (United Nations Security and Stabilisation Support Strategy), a été créée en 2008; celle-ci se charge entre autres de canaliser les fonds internationaux vers les différents volets du plan STAREC.

    La communauté internationale met surtout l'accent sur l'importance d'une certification digne de ce nom. Par analogie avec le processus Kimberley prévu pour le secteur du diamant, il s'agirait d'octroyer des certificats aux « minerais propres », de manière à exclure les minerais contaminés des circuits agréés du marché. L'industrie de l'étain est active sur ce terrain par l'intermédiaire de sa fédération ITRI qui discute de ses projets avec le gouvernement congolais. L'action de l'ITRI est compliquée par le fait que deux de ses membres importants, Traxys et AMC/Thaisarco, ont suspendu leurs achats de cassitérite dans l'Est du Congo respectivement en juin et en août 2009. La fédération du tantale, la TIC, est légèrement à la traîne dans ce domaine.


    2. Échange de vues

    Un membre du groupe de travail souhaiterait savoir comment l'enquête menée par l'IPIS sur cette problématique a été financée et qui l'a commandée.

    Au cours de son exposé, M. Custers a surtout fait référence à des comptoirs situés à Bukavu et à Goma. Cependant, il existerait aussi des comptoirs situés juste au-delà des frontières congolaises, où les minerais ont été transportés illégalement et blanchis afin qu'ils puissent être achetés par des groupes internationaux (souvent par le biais de sociétés intermédiaires). Ces minerais n'étaient donc pas censés provenir de zones de conflits, mais d'autres pays comme l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Ce phénomène a-t-il disparu aujourd'hui ? Y a-t-il des connexions en Belgique ?

    Un autre membre du groupe de travail est particulièrement surprise de la décision prise en 2009 par le premier ministre Adolphe Muzito d'arriver à une sorte de formalisation ou de régulation de ce qui se passe dans l'Est du Congo. Vu la petitesse des moyens déployés, il est toutefois légitime d'être interrogatif concernant la partie la plus intéressante de son Plan de Stabilisation et de Reconstruction de l'Est du Congo, à savoir la reconstruction économique. On entend régulièrement que c'est sur ce volet-là que les choses sont les plus difficiles, et pourtant, les moyens existent, étant donné la richesse du sous-sol. Comment pourrait-on aller plus loin ? L'intervenant a-t-il quelques hypothèses sur le volet de la reconstruction économique ? Quels sont les instruments pratiques mis en place et ceux que l'on pourrait encore mettre en place ?

    En outre, il est possible d'amener une certaine régulation de l'extérieur, que ce soit par un dispositif du style Kimberley ou par un certain nombre de critères pour l'exportation. Quelle serait la définition des minerais propres ? La certification par un fonctionnaire public dans les carrières suffit-elle ? Faut-il mettre d'autres critères qui seraient peut-être plus contraignants ou qui amèneraient des aspects sur le plan de la qualité du travail ou sur les partenariats possibles entre le public et le privé ?

    Un orateur suivant a retenu de l'exposé de M. Custers que certaines entreprises belges n'achetaient plus de minerais au Congo. Si les Belges ne les achètent pas, qui les achète alors ? Est-ce que les minerais ne passent pas la frontière pour être blanchis dans des pays voisins, ce qui expliquerait que certains pays ont une exportation de minerais qui dépasse manifestement les possibilités de leur sous-sol ?

    De plus, il est question de lancer un système de certificat public avec des fonctionnaires qui travailleraient au niveau des mines. Or, lorsque les FDLR ont disparu de certaines mines, elles ont été remplacées des composantes de l'armée congolaise qui viennent du CNDP. Est-ce dès lors vraiment réaliste d'avoir des fonctionnaires qui contrôlent dans les mines, alors qu'une autre composante de l'autorité de l'État vie sur ces mines ?

    Enfin, il apparaît que la grande partie des minerais est achetée par des entreprises belges, qui servent que de courtier. N'y a-t-il pas d'autres entreprises, non-belges, qui jouent ce rôle ? Ou jouent-ils ce rôle de l'autre côté de la frontière ?

    Un membre du groupe de travail se réfère au rapport de Global Witness, qui vise les négociants, et non les comptoirs. Pourtant, les comptoirs jouent un rôle important sur le plan de la traçabilité et de la transparence. Quel est le sentiment de M. Custers à ce sujet ?

    En outre, tous les minerais sont destinés à l'exportation. Il n'y a pas de valeur ajoutée locale, même si certaines entreprises opèrent une forme minimale de transformation. Quelles sont les perspectives à envisager ?

    Enfin, le membre fait remarquer que les groupes armés présents dans la région ne font pas que se faire la guerre, ils sont également en relations d'affaires.

    Réponses de M. Custers

    M. Custers s'est peu intéressé à ce qui se passe en dehors des frontières du Congo. En réalité, c'est surtout le Rwanda qui pèse sur le secteur minier dans l'Est du Congo. La crise économique n'y est pas étrangère: l'ensemble du secteur minier dans l'Est du Congo et au Katanga a ressenti l'impact de la crise économique.

    Au cours des dix dernières années, des synergies sont apparues entre l'extraction de minerais au Congo proprement dit et une partie du processus de transformation au Rwanda. Ainsi, la société MPC (Mining and Processing Congo) est active des deux côtés de la frontière, mais suivant des modalités assez complexes. MPC possède des concessions à Bisiye mais n'a pas encore pu les exploiter en raison de la présence de groupes armés irréguliers. Elle possède une fonderie à Gisenyi mais celle-ci est à l'arrêt depuis un bon moment. De grandes quantités de minerais sont nécessaires pour la faire fonctionner. En raison de la crise, la demande de minerais métalliques refondus est trop faible.

    En ce qui concerne la valeur ajoutée locale, les gouvernements provinciaux du Nord-Kivu et du Sud-Kivu plaident pour l'enrichissement (la transformation des matériaux bruts en matériaux intermédiaires ou en un produit fini), parce qu'ils estiment que cela profiterait à l'économie locale. L'intervenant estime néanmoins qu'il s'agit de plaidoyers plutôt frileux, qui se heurtent d'ailleurs immédiatement aux réticences du monde de l'entreprise.

    En 2008, cela a conduit à un conflit violent au Nord-Kivu entre l'administration provinciale et le gouvernement national de Kinshasa, d'une part, et la FEC (Fédération des Entreprises du Congo), d'autre part. Il avait été question d'une modification du taux de taxation des minerais destinés à l'exportation, ce qui était considéré comme une ingérence excessive des pouvoirs publics dans le secteur minier.

    En ce qui concerne les relations avec le Rwanda, de nombreux travaux de recherche ont été réalisés dans ce domaine, principalement par le Britannique Nicholas Garrett (Resource Consulting Services).

    Contrairement à ce qui est généralement admis, M. Custers estime que le Rwanda a — et a toujours eu — des réserves de minerais. Toutefois, l'industrie minière rwandaise est restée à l'arrêt durant les 20 dernières années, mais elle serait actuellement en phase de redémarrage. L'on parle actuellement d'une privatisation à grande échelle. Des projets privés de taille relativement modeste ont été lancés pour réactiver l'exploitation minière.

    Ceci va à l'encontre de l'opinion largement répandue selon laquelle le Rwanda n'aurait aucune ressource dans son sous-sol et importerait tout en contrebande depuis le Congo, pour réaliser ensuite des opérations de blanchiment.

    À cet égard, M. Custers fait remarquer que la proximité des pays voisins est surtout importante sur le plan logistique. Tout d'abord, Goma et Gisenyi forment ensemble une seule et même mégapole. De plus, trois pays ont un point frontalier commun au nord de Goma. Il est possible de traverser la frontière entre le Congo et l'Ouganda à Bunagana. La ville frontière de Cyanika est à cheval entre le Rwanda et l'Ouganda. Il arrive parfois qu'en raison de problèmes logistiques et de difficultés de transport, l'on préfère emprunter la route de Gisenyi à Cyanika plutôt que de traverser la frontière à Bunagana.

    L'harmonisation régionale représente une solution à envisager, mais l'intervenant n'a pas d'informations complémentaires à communiquer à ce sujet.

    Un membre du groupe de travail demande si des minerais sont encore transportés par avion ou par la route vers les pays voisins tels que l'Afrique du Sud ou la Zambie, pour être ensuite exportés à partir des comptoirs dans le circuit international.

    Ces derniers temps, M. Custers n'a plus entendu parler de transports spectaculaires à bord d'avions Antonov. Pour l'or, le Burundi demeure un pays de transit important.Une étude menée par le précédent panel des Nations Unies a révélé que des transporteurs individuels exportaient frauduleusement d'importantes quantités d'or vers la Belgique.

    En ce qui concerne l'harmonisation régionale, un incitant négatif pousse à réaliser des exportations frauduleuses vers le Rwanda, en ce sens que ce pays taxe très faiblement les minerais, contrairement au Congo. Les écarts de taxation sont tels qu'il est plus intéressant financièrement pour les entrepreneurs du Congo de transférer d'abord leurs marchandises en fraude vers le Rwanda, pour les exporter ensuite à partir de ce pays. Les organes régionaux de coopération économique et politique des Grands Lacs recherchent activement une solution à ce problème.

    L'IPIS, quant à lui, travaille surtout pour différents commanditaires externes. Le projet Mapping (cartes interactives) s'est étendu du Katanga vers le Nord et vers la République centrafricaine, et sera achevé sous peu. Il a été financé par le SPF Affaires étrangères et par des donateurs étrangers.

    Le DFID (Department for International Development) de Grande-Bretagne est également un commanditaire majeur, de même que le Programme environnemental des Nations Unies, pour lequel l'IPIS a réalisé une étude sur l'impact environnemental des conflits au Congo. Des études sur des questions ponctuelles sont également réalisées de façon régulière pour des ONG, ce qui permet à l'IPIS de se rendre sur le terrain dans l'Est du Congo.

    L'intervenant donne ensuite un mot d'explication au sujet des actions et des instruments précis du STAREC (Programme de Stabilisation et de Reconstruction des Zones sortant des conflits armés). Le STAREC disposait initialement d'un budget de 1,2 milliard de dollars, dont il fallait encore réunir plus de la moitié.

    Dans ce budget, plus d'un demi-milliard de dollars sont destinés à la reconstruction économique, mais des projets en matière de police et de justice (création de justices de paix) sont également prévus. Dans ce cadre, des contrôles ponctuels de cargaisons sont également effectués sur les pistes d'atterissage de petits porteurs, qui transportent tout de même en moyenne deux tonnes de matériau brut vers Bukava ou Goma. Le but est de créer, à proximité des exploitations minières, des bourses pour pilotes qui seront des points de collecte officiels pour les minerais et où de vastes opérations de contrôle pourront être menées.Il s'agit d'une expérience bénéficiant d'un apport logistique important de la MONUC et qui est soutenue en grande partie par des volontaires.

    Le STAREC tente par ailleurs d'insuffler un nouvel élan à l'économie locale en dotant à nouveau les marchés locaux d'une véritable infrastructure et en facilitant l'acheminement de produits agricoles. De telles actions ont un effet multiplicateur important pour la vie économique locale.

    Qu'entend-on par « minéraux propres non contaminés » ? À l'aide d'instruments demapping, il est possible de vérifier quels sites miniers sont contrôlés par des groupes militaires et devraient dès lors être automatiquement considérés comme des sites contaminés. À terme, il faut démilitariser l'économie et la placer sous le contrôle de la police. Mais cet objectif est encore loin d'être réalisé, ce qui ne facilite évidemment pas le déploiement de fonctionnaires sur ces sites miniers. En 2008, le ministre national des mines a déjà tenté de faire évacuer les militaires de Bisiye, mais en vain. En 2009, des escarmouches ont éclaté lorsque des agents du Service administratif d'encadrement du small-scale mining (SAESSCAM) ont été envoyés à Bisiye.

    Les militaires doivent rester à l'écart des sites miniers; toutefois, faute de disposer d'une solde suffisante, ils recherchent d'autres sources de revenus en créant des réseaux dans les sites miniers, ce qui est pour eux une activité très lucrative. Il faut rompre ce cercle vicieux.

    L'on a tenté de définir un critère chimique ou physique auquel un minerai devrait satisfaire pour pouvoir être considéré comme « propre », mais cela s'est avéré beaucoup trop compliqué. Il s'agit en fait de déterminer les propriétés chimiques des minerais par site minier et de les stocker dans une base de données. Cette opération est possible pour le diamant, mais pas pour les minéraux métalliques car on trouve différentes sortes de minerais dans un même gisement minier. Une expérience allemande de certification de minerais au moyen de la technique du fingerprinting est trop coûteuse en termes de main-d'œuvre et d'investissements. Il faut, par conséquent, trouver une autre méthode de certification. L'IPIS s'est penché sur la question et en est arrivé à la conclusion que chaque maillon de la chaîne devrait être soumis en permanence à un audit, ce qui demanderait toutefois beaucoup de temps et ne garantirait pas un contrôle sans faille, loin s'en faut.

    En ce qui concerne les entreprises belges qui n'achètent plus dans l'Est du Congo, le négociant Traxys a suspendu ses achats. Plusieurs banques belges exercent une forte pression sur les comptoirs individuels. Des entreprises britanniques et asiatiques sont d'ailleurs également actives sur ce marché. Il faut toutefois être vigilant parce que, si une entreprise cesse ses activités, d'autres sociétés peu scrupuleuses risquent de s'infiltrer dans la brèche. Le plus grand comptoir de Goma, Sodexmines, se plaint du fait que les comptoirs officiels ne parviennent plus à se procurer suffisamment de minerais par la voie officielle à cause du circuit de contrebande organisé par des acheteurs de minerais individuels rwandais. Ceux-ci achètent les minerais à très bas prix puis franchissent la frontière vers le Rwanda. Toutefois, cette situation est due également à la crise économique et financière internationale.

    M. Custers signale que la présence des négociants belges constitue un levier important pour l'exploitation minière dans l'Est du Congo. Si ceux-ci menaçaient de cesser leurs activités, faute d'assainissement de l'ensemble de l'exploitation minière, le circuit de contrebande subsisterait mais l'industrie minière officielle en pâtirait énormément. Toutefois, un véritable embargo serait encore beaucoup plus dommageable qu'une action économique des négociants.

    Les comptoirs donnent de l'argent aux négociants par le biais du système de préfinancement. Par conséquent, ils pourraient également faire pression sur la chaîne en amont afin d'assainir progressivement l'exploitation minière. L'International Tin Research Institute (ITRI) a élaboré un plan en trois étapes prévoyant une action en amont sur une période de trois ans.

    Enfin, il faut rétablir l'autorité de l'État congolais et l'économie doit être démilitarisée d'urgence. Cela signifie également que les problèmes avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) doivent être résolus.


    B. Audition du 2 février 2010


    La contribution de la communauté internationale à la lutte contre l'exploitation et le commerce illégaux des matières premières dans la région des Grands Lacs


    1. Exposé de M. Roeland van de Geer, envoyé spécial de l'Union européenne pour les Grands Lacs

    M. van de Geer fournit tout d'abord quelques précisions sur la politique européenne concernant la région des Grands Lacs.

    La Haute Représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, Mme Ashton, dispose d'une dizaine d'envoyés spéciaux, dont trois pour l'Afrique: M. Koen Vervaeke (pour l'Union africaine), M. Torben Brylle (pour le Soudan) et M. van de Geer (pour la région des Grands Lacs). Pour l'Union européenne, il faut une coopération entre les envoyés spéciaux ainsi qu'avec les ambassadeurs des pays de l'UE, qui sont présents dans de très nombreux pays africains, mais cette coopération ne coule pas toujours de source.

    D'après M. van de Geer, le pays d'Afrique le plus problématique est actuellement le Soudan. L'intervenant se montre particulièrement préoccupé par les développements dans ce pays et exprime la crainte qu'un grand conflit armé y éclate prochainement. Sur la liste des pays à problèmes, la Somalie et la région des Grands Lacs partagent la deuxième place, derrière le Soudan. Toutefois, le risque d'un conflit avec des conséquences internationales est beaucoup plus grand en Somalie que dans la région des Grands Lacs.

    La région des Grands Lacs correspond à la zone de la ligne de faille africaine, avec des lacs profonds ainsi que de nombreuses ressources naturelles d'une grande richesse. Sur le plan politique, la région couvre le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda et l'Est du Congo.

    La Belgique est associée de nombreuses manières à la région des Grands Lacs. La relation avec une ancienne colonie est généralement difficile et pourrait être définie comme une relation d'amour-haine. Pourtant, la Belgique entretient encore des contacts très étroits avec la RDC et s'intéresse toujours de très près à ce pays.

    Pour l'Union européenne, une politique coordonnée dans cette région revêt une importance capitale parce que la paix dans cette zone est positive non seulement pour les pays concernés eux-mêmes, mais aussi pour l'Afrique et même pour le monde entier. L'Union européenne veut investir non seulement pour la paix et la sécurité mais aussi pour le développement de cette région. En outre, la zone regorge de minerais essentiels pour l'Europe, qu'il convient toutefois d'exploiter de manière légale.

    Pour réaliser ses objectifs, l'Union européenne apporte sa contribution aux quatre grands processus de paix régionaux:

    — le processus de Juba (avec l'Armée de résistance du Seigneur (Lord's Resistance Army - LRA);

    — le processus de Goma (avec les groupes internes congolais — le CNDP, les MayiMayi, le FRF et les PARECO);

    — le processus de Nairobi (avec les FDLR);

    — le processus du Burundi.

    Les processus de Goma et de Nairobi constituent évidemment le noyau dur du conflit dans l'Est du Congo, y compris en ce qui concerne l'exploitation illégale. L'Union européenne soutient la réalisation de ces processus et entend ainsi contribuer à leur exécution sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan de la coopération au développement, de même qu'en ce qui concerne la sécurité et le commerce.

    M. van de Geer dépeint ensuite quatre domaines d'action auxquels l'Union européenne apporte une contribution:

    — la réforme du secteur de la sécurité dans la région: l'armée, la police et l'appareil judiciaire;

    — la lutte contre les dirigeants des FDLR en Europe: alors que l'intervention militaire contre les FDLR dans la région des Grands Lacs fait des victimes tant dans les rangs des FDLR que dans ceux de la communauté internationale, les dirigeants des FDLR circulent librement en Europe et continuent d'exercer un pouvoir politique, financier et militaire important dans la région et donc également sur l'exploitation illégale. La Belgique a toujours agi de manière conséquente avec les FDLR mais l'Allemagne et la Suède ont à présent, elles aussi, arrêté des leaders importants sur leur territoire, et les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont adapté leur cadre législatif. La Suède a, en principe, décidé d'extrader un dirigeant vers le Rwanda (mais la Cour européenne des droits de l'homme doit encore statuer dans cette affaire). La France a multiplié les actions dans plusieurs domaines mais n'a toutefois pas encore arrêté certains dirigeants;

    — la lutte contre les violences sexuelles dans l'Est du Congo: l'Union européenne mène déjà des actions dans plusieurs domaines, mais M. van de Geer recommande qu'elle en fasse plus car cette forme de violence est innommable;

    — l'exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC.

    La politique européenne en matière d'exploitation illégale des ressources naturelles s'inscrit donc dans une politique plus large parce qu'il n'est pas pertinent de n'intervenir que dans un seul de ces domaines. Il est inutile de s'attaquer à l'exploitation illégale sans s'intéresser à la réforme de l'armée, car celle-ci joue un rôle majeur dans la lutte contre ces pratiques.

    Les principales actions concrètes de l'Union européenne sur le plan de la lutte contre l'exploitation illégale des richesses du sous-sol sont aujourd'hui menées à l'initiative de la Task Force pour la lutte contre l'exploitation illégale et le trafic de richesses naturelles dans la région des Grands Lacs. Cette Task Force, créée au début de l'année 2009 à partir d'une initiative européenne, réunissait au départ un petit groupe de membres qui ont surtout dû constater un manque d'expertise. Elle tente à présent de mettre sur pied une politique globale de lutte contre l'exploitation illégale en collaboration avec plusieurs ONG, telles que Global Witness, l'IPIS et d'autres.

    La plupart des États membres de l'UE actifs dans la région des Grands Lacs sont représentés au sein de cette Task Force. Outre M. van de Geer, qui représente les 27 membres de l'UE et la Commission, des représentants de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de la Suède sont présents aux réunions de la Task Force. Parfois, des représentants de l'Espagne, de l'Italie, du Portugal, de la Finlande et du Danemark sont également présents.

    La Task Force a mené un travail de réflexion en 2009, lors de quatre réunions qui se sont tenues successivement en février à Bruxelles, en avril à Londres, puis en juillet et en septembre à Bruxelles. Les 21 et 22 janvier, la Task Force a posé les bases d'un partenariat très encourageant avec le gouvernement lors d'une réunion de la Task Force, organisée par le ministre des Mines lui-même.

    Ils se sont accordés sur une série d'éléments qui tiennent compte du Plan de stabilisation et de reconstruction STAREC, adopté par le gouvernement de la RDC en mai 2009, du plan d'action de la CIRGL d'octobre 2009, ainsi que des propositions faites par le secteur privé et la société civile.

    Il s'agit des domaines suivants:

    1. coordination et mécanisme de suivi entre le gouvernement congolais et les partenaires internationaux;

    2. cartographie des sites miniers contrôlés par les groupes armés;

    3. clarification du cadre juridique applicable aux entreprises, renforcement des capacités de l'État, lutte contre l'impunité;

    4. renforcement des règles de diligence raisonnable pour vérifier l'origine des produits;

    5. initiatives régionales, notamment pour la certification, et enfin;

    6. renforcement de la transparence dans le secteur minier en général: cela signifie qu'il faut faire preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne non seulement les activités dans le domaine visé mais aussi celles qui se situent aux stades postérieurs de la chaîne. Il faut donc, en d'autres termes, être attentif à ce qui se passe en amont mais aussi en aval et, en particulier, à ce qu'il advient des marchandises une fois que celles-ci ont été négociées. Le processus de Kimberley est illustratif de cette démarche mais il n'est pas transposable en tant que tel car il porte sur des richesses naturelles bien précises et est ancré dans un secteur qui collabore, ce qui n'est pas le cas pour les minerais dans la région des Grands Lacs.

    Les propositions de la Task Force ont été adoptées par le ministère et résumées dans une « Synthèse des travaux ». Le ministère est disposé à élaborer un plan d'action portant sur l'ensemble des six domaines et à entamer sa mise en œuvre à court terme. Aussi M. van de Geer estime-t-il que les premières mesures concrètes devraient pouvoir être prises d'ici la fin de l'année 2010.

    La Task Force continue à collaborer très étroitement avec les ONG qui jouent un rôle majeur parce qu'elles ont les moyens d'effectuer sur place un travail d'étude considérable tandis que l'Union européenne peut en assurer le financement.

    L'Union européenne a axé prioritairement sa politique sur ces six domaines. Le règlement relatif à la diligence raisonnable sera élaboré en étroite collaboration avec l'OCDE, laquelle a déjà créé sa propre Task Force à cet effet. En ce qui concerne les initiatives régionales, l'Union européenne collaborera avec la Conférence internationale sur les Grands Lacs, qui est une organisation régionale réunissant des représentants de la RDC, des neuf pays voisins et du Kenya.

    Enfin, M. van de Geer évoque plusieurs évolutions politiques récentes.

    En janvier 2010, les émissaires des Nations unies Olusegun Obasanjo et Benjamin Mkapa (qui sont les anciens présidents respectivement du Nigéria et de la Tanzanie) ont mis fin provisoirement à leur travail dans la région des Grands Lacs parce qu'ils ont le sentiment qu'au terme d'une année, la crise la plus grave est conjurée.

    Lors d'une réunion qui a eu lieu à Kampala à la fin du mois de janvier 2010 sur le thème de la coordination des efforts européens, il a été décidé d'ancrer la lutte contre la LRA dans un cadre non violent, notamment par la diffusion d'un plus grand nombre d'informations par les médias, l'amélioration des dispositifs de démobilisation, l'organisation de rencontres entre les leaders du nord et la LRA et la mise en œuvre d'une réforme de la campagne militaire contre la LRA en vue de garantir une plus grande efficacité de la protection civile. Toutes les mesures susceptibles d'amener les groupes armés à déposer les armes sont importantes dans la lutte contre l'exploitation illégale. Chaque fois que l'on parvient de manière pacifique à convaincre un rebelle de déposer les armes, on apporte une contribution essentielle à la paix et à la stabilité.

    La Belgique et les Pays-Bas ne sont pas des grandes puissances européennes mais peuvent se targuer malgré tout de jouer un rôle majeur dans la région, et cela est encore plus vrai pour la Belgique. Elle le doit à son réseau de contacts très étendu. Il est important que le Parlement belge continue à suivre ce dossier de près, étant donné que de nombreuses entreprises belges sont impliquées dans l'exploitation des richesses naturelles dans la région.

    Il est à craindre que plusieurs entreprises ne veuillent plus prendre aucun risque et quittent la région afin de ne pas être associées à l'exploitation illégale. C'est compréhensible, mais il n'empêche qu'une entreprise qui exploite et commercialise des matières premières en toute légalité doit pouvoir compter sur un soutien politique. Il est important que nous donnions une vraie chance aux entreprises qui font correctement leur travail.


    2. Échange de vues

    Un membre du groupe de travail estime que M. van de Geer a exposé avec beaucoup de clarté la politique étrangère complexe de l'Union européenne. Comment se déroule en fait la collaboration avec le Parlement européen ?

    M. van de Geer répond que le Parlement européen ne témoigne pas d'un intérêt très vif pour l'Afrique. Il précise toutefois à titre personnel qu'il a de bons contacts informels avec plusieurs parlementaires et que s'il prend lui-même l'initiative de venir au Parlement européen, il est le bienvenu.

    Un autre membre du groupe de travail demande des précisions sur la rencontre de M. van de Geer avec 200 Congolais issus de tous les secteurs, dont les résultats ont été approuvés par le ministère congolais des Mines et à laquelle il s'est référé dans son exposé introductif.

    M. van de Geer répond que le ministre congolais des Mines s'est directement engagé à travailler avec le groupe de travail et une réunion a été organisée sous la présidence du ministre. L'orateur est très optimiste pour le moment parce que le rapport synthétique des travaux du groupe sera présenté par le ministre au gouvernement et dès lors l'orateur peut lancer son plan d'action conjoint.

    Le plan en tant que tel s'inscrit dans les autres engagements du gouvernement, notamment la réforme du secteur sécuritaire, la mise en œuvre du Plan de stabilisation et de reconstruction (STAREC), la réforme du système politique du Kivu et le remaniement du gouvernement. Il reste néanmoins encore beaucoup de défis à relever.

    Un sénateur constate que l'Afrique est le théâtre de la lutte de pouvoir entre les grandes puissances. La Chine en particulier y a accru son influence au cours des dernières années. Que pense M. van de Geer de cette situation ?

    M. van de Geer explique qu'il se rendra en Angola et en Afrique du Sud au cours de la semaine du 8 février 2010 afin de préparer un voyage d'étude en Chine. La Chine a demandé aux représentants des États-Unis, de l'Union européenne et des Nations unies de se concerter. La Chine est évidemment une très grande puissance en Afrique. Si l'Union européenne agit en ordre dispersé, sa puissance risque de s'affaiblir rapidement. Toutefois, la puissance des États-Unis est encore étonnamment grande en Afrique et la Grande-Bretagne y est infiniment plus importante que tous les autres pays réunis. Le département britannique pour le développement international (DFID) demeure un donateur de premier ordre. La France, la Belgique et les Pays-Bas ont perdu énormément d'influence et la confiance que leur accordaient les pays africains s'est gravement érodée. L'influence des pays francophones dans les régions francophones d'Afrique reste un facteur significatif.

    Le Brésil ainsi que l'Inde, qui entretient des rapports depuis très longtemps déjà avec l'Afrique orientale et australe, sont fort sous-estimés. La Chine entend, elle aussi, contribuer au développement de l'Afrique en faisant du commerce, mais non en soutenant la cause de la protection des droits de l'homme à l'instar des Européens, qui ne parviennent pas vraiment à y obtenir des résultats.

    Les contrats que la Chine a conclus avec le Congo posent de nombreux problèmes dans la pratique et ils doivent être revus. La Chine doit certes respecter les règles internationales mais elle est en mesure d'intervenir en étant soumise à des conditions moins nombreuses (no strings attached) que l'Union européenne. La politique de pression de la Chine envers le régime criminel du Soudan a porté ses fruits. S'il y a une nation en mesure d'éviter la guerre dans ce pays, c'est bien la Chine.

    M. van de Geer est très préoccupé par le gouvernement du président Kabila et il se peut que notre approche raisonnable devienne inutile et qu'il faille imposer des conditions très contraignantes pour pouvoir poursuivre les relations économiques et commerciales.

    Un membre du groupe de travail se demande si on peut constater un certain désintérêt de l'Union européenne, plus particulièrement chez les nouveaux adhérents, vis-à-vis de l'Afrique.

    Le système actuel permet-il d'être certain que les rebelles qui ont remis leurs armes ne retournent pas dans la rébellion, déçus de la manière dont ils étaient accueillis. On risque ainsi de tourner en rond.

    Les entreprises belges qui respectent les règles du jeu et quitteraient le Congo ne risquent-elles pas d'être remplacées par d'autres venant de l'Asie qui, elles, respectent beaucoup moins les règles ?

    M. van de Geer explique que les pays vraiment concernés par les problèmes de l'Afrique sont la Belgique, les Pays-Bas, la France et la Grande Bretagne, l'Allemagne et la Suède. Des nouveaux adhérents, surtout la République tchèque et la Pologne, possèdent encore beaucoup d'expertise de l'Afrique.

    Il convient de focaliser les intérêts de ces huit pays qui ne sont pas si divergents.

    Les seuls intérêts belges au Congo sont très limités.

    Des inquiétudes sont suscitées par l'évolution de la position de Mme Ashton, pour qui l'Afrique ne constitue pas vraiment une grande priorité. En revanche, la présence de M. Van Rompuy est ressentie comme positive. Pour ce qui concerne l'ensemble de la politique européenne envers l'Afrique, une progression favorable mais graduelle se dessine.

    Le problème des rebelles était difficile à gérer en 2007 et 2008 parce que le gouvernement était et est encore fragile. La confiance en l'Est est très faible. Le président Kabila (y compris son entourage) n'a pas le profil prononcé des présidents Kagamé et Musaveni. Le comportement des rebelles dans les années 2007 et 2008 constituait un grand problème. Mais après le rapprochement entre Kigali et Kinshasa, la décision de Kigali contre le dirigeant du CNDP, Laurent Nkunda, et la décision de lancer les opérations militaires contre les FDLR parmi les dirigeants de l'Est, on a graduellement accepté l'autorité de l'État et la consolidation du pouvoir. Mais ce n'est pas encore acquis, on est seulement à mi-parcours. L'année 2010 sera très importante.

    Des défis et des questions subsistent.

    Il y a environ un an, on était affronté à une situation épouvantable avec Laurent NKunda qui se préparait pour prendre Goma. Bien que la situation se soit améliorée, il reste encore bon nombre de préoccupations.

    Le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est l'administration rebelle établie par Laurent Nkunda dans la région du Kivu de la République démocratique du Congo. Le CNDP est maintenant intégré dans les Forces armées de la RDC, mais la chaîne de commandement de la CNDP est restée intacte.

    Les entreprises responsables quittent le pays et des firmes irresponsables demeurent. C'est pourquoi la Task Force entend promouvoir le commerce légal. Traxsys, une entreprise belge respectable, a décidé de s'en aller. Dans l'ensemble, la Belgique joue encore un rôle important sur le plan commercial et il faut stimuler les firmes belges d'être plus actives. Mais l'orateur n'a pas de preuves que les entreprises belges sont responsables de l'exploitation illégale en tant que telle. Mais l'industrie en général doit être plus attentive sur le plan de la diligence raisonnable, qui n'est toujours pas acquise.

    Un dialogue constructif a été mené entre la Task Force, les ONG et l'industrie. Il donne lieu à un optimisme prudent.

    Si le Congo était capable de bien préparer les élections et d'assurer une certaine facilitation concernant l'intégration de la CNDP sur le plan politique, et si le Président Kabila présentait un gouvernement qui inspire la confiance, les perspectives seraient plutôt favorables.

    Toutefois, si la réforme du secteur sécuritaire n'est pas vraiment lancée en 2010, la situation restera dangereuse. L'année 2010 sera l'année de la vérité et le président Kabila est maintenant à mi-parcours.

    Un autre membre du groupe de travail demande dans quelle mesure la politique de l'Union européenne est influencée par l'attitude d'États membres individuels et par les blocs qui se sont formés en Afrique sous l'influence de plusieurs grandes puissances dans certains États africains.

    M. van de Geer estime que cette remarque concerne l'essence même de son mandat. Il y a une cohérence entre les États membres de l'Union européenne qui sont présents dans la région des Grands Lacs, en partie grâce à l'existence de liens historiques entre ces pays.

    La France et la Belgique et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas ont un accès privilégié à Kinshasa. Les pays disposant d'un accès privilégié doivent mener un dialogue non seulement constructif mais aussi ferme et critique avec le régime congolais. Le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas ont un accès privilégié au Rwanda. Les Pays-Bas et la Suède ont certes réduit leur aide au Rwanda après le rapport des Nations unies sur ce pays, mais l'intervenant juge qu'ils doivent se montrer plus critiques vis-à-vis du Rwanda.

    Dans une perspective européenne, l'intervenant tente de rapprocher les pays disposant d'un accès privilégié au Congo ou au Rwanda. Il essaie aussi de coordonner les messages qu'ils envoient à Kinshasa et à Kigali. Au mois de septembre 2009, il a organisé à Goma une réunion qui rassemblait tous les ambassadeurs européens à Kinshasa et à Kigali.

    L'intervenant conclut que l'Union européenne doit être plus ferme et mieux coordonnée, et qu'elle doit davantage inciter la Chine à rendre compte de ses actes.

    M. van de Geer bénéficie certes d'un large soutien des 27 États membres de l'Union européenne, mais l'Europe ne parvient pas à faire front aux moments cruciaux. Lorsque Laurent Nkunda était aux portes de Goma, l'intervenant a proposé que l'Union européenne fasse un geste en envoyant des observateurs militaires à Goma et une petite force de protection civile destinée à protéger la population locale. En réalité, Laurent Nkunda n'avait pas l'intention d'envahir réellement Goma et la présence de troupes de l'Union européenne aurait donc constitué pour lui l'excuse idéale pour s'en abstenir. Mais l'Union européenne n'a pris aucune décision à cet égard et n'a finalement pas envoyé non plus le Battlegroup.

    L'Union européenne n'a pas non plus réagi fermement lorsque le représentant des Nations Unies au Burundi a récemment été expulsé du pays.

    Un autre membre du groupe de travail souhaite aborder les six domaines qui occupent les groupes de travail. Les États membres individuels de l'Union européenne ont-ils déjà reçu des recommandations les invitant à adapter leur politique en la matière ? Il est inquiétant que l'entreprise belge Traxsys veuille se retirer. L'intervenante se demande donc comment l'on pourrait aider les entreprises à rester, ce qui est évidemment aussi dans l'intérêt de la prospérité locale.

    Le processus de Kimberley permet d'identifier les diamants, mais il est également possible d'assurer la traçabilité des minerais en analysant leur composition. Comment cela se passe-t-il concrètement ?

    M. van de Geer explique qu'il existe quatre groupes et six domaines d'intérêt.

    L'International Task Force est installée à Kinshasa, où elle opère en deux groupes: le « groupe thématique mines » et le « groupe pour le plan STAREC ». C'est ainsi qu'un mécanisme de concertation a été créé entre l'International Task Force et le gouvernement congolais.

    L'IPIS a réalisé un travail remarquable de cartographie des innombrables mines dans l'Est du Congo.

    Le gouvernement congolais promet de réformer l'armée dans un avenir proche dans le but d'en écarter les rebelles. Entre-temps, le président du Rwanda, M. Kagamé, a annoncé qu'il évacuerait lui-même les éléments du CNDP de l'armée congolaise.

    Des progrès ont été enregistrés en 2007-2008, mais il n'y a pas eu de véritables résultats.

    Il faut reconstruire la capacité policière et le ministère des Mines. La Task Force peut seulement se charger de recréer le ministère des Mines.

    L'OCDE dispose d'une Task Force « diligence raisonnable », présidée par Mme Lara Liberti, qui établira de nouvelles directives dès cette année.

    En ce qui concerne la certification, la Conférence internationale sur les Grands Lacs sera organisée cette année dans le cadre des initiatives régionales. Il existe déjà un protocole relatif à la certification qui, selon le Congo, doit être réglé au niveau national. En outre, les flux commerciaux doivent être plus transparents.

    Le Rwanda reçoit des marchandises en provenance du Congo avec les documents internationaux requis, dont l'on sait toutefois qu'ils sont faux; rien n'est fait pour s'y opposer et les transactions continuent tout simplement. Le Congo doit pourtant, lui aussi, prendre ses responsabilités à cet égard.

    L'intervenant souligne que la Task Force ne peut rien faire d'autre qu'exercer une pression morale dans le cadre de la concertation avec les entreprises, dont Traxsys.

    Selon M. van de Geer, il s'agit de mener au Congo une action commune à laquelle il participerait personnellement aux côtés des représentants spéciaux de l'UE pour la région des Grands Lacs de Suède (Lena Sund), de France (Christian Counand) et de Belgique (Frank De Coninck).

    Un membre du groupe de travail estime qu'il faut établir un commerce équitable au Congo. La Belgique n'a-t-elle pas fait preuve de peu de pragmatisme en comparaison avec l'approche plus réaliste des autres pays qui s'inscrit dans les rapports de force existant au Congo ? L'Union européenne est-elle disposée à engager le débat géostratégique qui tient compte de l'alliance transatlantique ? Prôner le commerce équitable a du sens si on a un rapport de force qui a du sens.

    L'oratrice a l'impression que la Russie n'a pas un profil très prononcé pour l'instant au Congo. Qu'en est-il ?

    Selon M. van de Geer, la position de l'Union européenne par rapport aux droits de l'homme correspond souvent à celle des États-Unis. Sur la lutte contre la violence sexuelle, la secrétaire d'État américaine Mme Hilary Clinton, a adopté une position plus forte que l'Union européenne.

    La Russie ne joue, pour l'instant, pas un rôle essentiel dans la région des Grands Lacs. Elle demeure un exportateur de ressources minérales.

    L'Union européenne doit promouvoir le dialogue entre les grands acteurs dans la région des Grands Lacs pour veiller à la protection des droits de l'homme et à la bonne gouvernance.

    L'intérêt pour l'Afrique des nouveaux adhérents à l'Union européenne, n'est pas très grand. Les capitales qui comptent à cet égard sont Paris, Bruxelles, La Haye, Londres, Berlin et Stockholm et, dans une moindre mesure, Madrid, Lisbonne et Rome.

    M. van de Geer, M. Koen Vervaecke et M. Torben Brylle forment pour ainsi dire un groupe de pression pour l'Afrique au sein des institutions européennes. Ce groupe compte cependant sur l'appui des parlements des États membres.

    Un orateur suivant signale qu'il est possible qu'il y ait une révision de la Constitution permettant de prolonger le mandat présidentiel. Les élections locales qui permettaient de compléter jusqu'au bout le processus démocratique, initié par la communauté internationale et plus particulièrement par l'Union européenne, n'ont pas abouti et elles ont été reportées. Si on organise maintenant ces élections locales ne risque-t-on pas de les voir reportées de nouveau ?

    Tant qu'il y a des dirigeants rebelles qui vivent en Europe des revenus de l'exploitation des matières premières de l'Est, a-t-on une réelle possibilité de pacifier la zone de l'Est du Congo ? Ces dirigeants ont intérêt à créer en permanence des groupes armés qui leur permettent de contrôler à distance un certain nombre de zones minières dans l'Est du Congo. Il convient de mettre fin à cette situation.

    M. van de Geer fait observer que le gouvernement congolais a souligné l'importance des élections de 2011 qu'il veut organiser et financer. Il a été nié qu'une prolongation du mandat du président Kabila était envisagée. Un collaborateur de M. van de Geer, qui a préparé pendant six ans ces élections à Kinshasa, estime que cela est impossible. Si les élections tiennent après le 3 septembre 2011, il y aura violation des dispositions de la Constitution. Celles-ci ne peuvent pas être modifiées sans référendum populaire et, par conséquent, le gouvernement agirait en dehors du cadre de la Constitution. L'appui financier de l'Union européenne s'avère indispensable.

    Le Groupe de contact pour les Grands Lacs se réunit à Londres les 4 et 5 février 2010 et comprend des représentants des Nations unies, des États-Unis, de la Belgique, des Pays Bas, de la France et du Royaume-Uni. La position de la communauté internationale envers les élections au Congo en 2011 y sera discutée.

    Pour ce qui concerne les dirigeants rebelles, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et le Lord's Resistance Army (LRA) posent problème. Deux hauts membres de la FDLR ont été arrêtés en Allemagne et un troisième court toujours en France, mais les FDLR ont déjà décidé de les remplacer. Selon les estimations de la MONUC, les FDLR a perdu 50 % de leurs effectifs mais il est possible que la perte se limite à quelque 35 à 40 %. Les membres des FDLR devraient être poursuivis en Europe, mais l'Allemagne vient de déclarer qu'elle ne veut pas que sa politique en matière de poursuites s'inscrive dans le cadre d'une politique européenne.

    Un membre du groupe de travail conclut en disant que le défi majeur consiste toujours à réaliser l'unanimité parmi les différents acteurs dans la région des Grands Lacs.


    C. Audition du 9 mars 2010


    Task Force Mineral Ressources in Central Africa (MIRECA): la politique belge relative à la problématique minière en Afrique centrale


    1. Exposé de M. Karel Dhaene, représentant du ministre des Affaires étrangères

    Le présent exposé ne traite pas uniquement des intentions politiques du ministre des Affaires étrangères, M. Vanackere; mais esquissera également l'historique des actions belges et de la Task Force MIRECA.

    a. Contexte de la problématique minière en Afrique centrale

    — La RDC dispose d'une part importante des réserves de richesses naturelles mondiales. Leur exploitation et leur commerce emploient, directement et indirectement, un sixième de la population congolaise (chiffres de la Banque mondiale).

    — Les défis en la matière sont légion, tant structurellement que sur le plan de la bonne gouvernance, sans compter ceux qui résultent du conflit et de l'insécurité dans certaines zones. Depuis 2008, la crise économique et financière ainsi que la perte de confiance qu'elle a provoquée, qui a également eu un impact sur le secteur minier en RDC, constituent un défi supplémentaire.

    — Les richesses du sol de la RDC sont dispersées dans tout le pays: outre les réserves dans l'Est du Congo, il y a du cuivre, du cobalt et d'autres métaux au Katanga, des diamants au Kasaï, de l'or en Ituri, du coltan, de la cassitérite, du cobalt et de l'or dans la région du Kivu et de la bauxite au Bas-Congo. De plus la Cuvette centrale offre encore des perspectives d'exploitation pétrolière.

    — Le Code minier de la RDC interdit l'exportation de richesses minérales brutes, mais cette interdiction n'est pas respectée dans la pratique.

    — Les richesses du sol sont exploitées par une multitude d'acteurs et par un secteur informel gigantesque. Outre le chiffre déjà cité (1/6 de la population congolaise), Il faut mentionner aussi les grands groupes miniers et un nouvel acteur, la Chine. À cela s'ajoutent les entreprises minières congolaises nationalisées, Miba et Gécamines, et divers services publics, les CEEC (Centres d'expertise et de certification), l'OFIDA (Office des douanes et accises), la DGI (Direction générale des impôts) et la DGRAD (Direction générale des recettes administratives et domaniales). Enfin, l'exploitation et le commerce des richesses du sol suscitent également l'intérêt au plus haut niveau politique.

    b. L'intérêt belge

    L'intérêt belge s'est accru principalement depuis 2006. Il convient de préciser à cet égard que d'autres pays manifestent aussi un intérêt pour le secteur minier en RDC. Tel est le cas de l'Allemagne (pas uniquement en RDC mais aussi au Rwanda et dans la région des Grands Lacs), du Royaume-Uni (via le DFID) et de la Chine, entre autres.

    En février 2006, le SPF Affaires étrangères a organisé une table ronde à laquelle divers acteurs ont participé: le monde économique, les ONG et le monde scientifique. Cette conférence a donné naissance à la Task Force MIRECA. Cette Task Force est composée d'un certain nombre d'experts (des universités, le MRAC de Tervuren, des représentants du monde des entreprises, des centres tels que l'IPIS, l'institut Egmont), qui, selon les thèmes traités, sont assistés par les services du SPF Affaires étrangères. La Task Force a pour objectif de formuler des recommandations pour la politique du ministre des Affaires étrangères.

    Dès le début, en septembre 2006, il a été décidé de travailler par projet dans des régions moins en proie aux conflits. La préférence a été donnée au Katanga parce qu'une expertise était déjà disponible pour cette région et que la situation des nombreux « creuseurs » y est particulièrement problématique.

    Dès janvier 2007, la Task Force a pris conscience qu'il fallait se concerter avec d'autres pays et d'autres acteurs tels que l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Banque mondiale. Le 15 janvier 2007, la MIRECA et le SPF Affaires étrangères ont organisé une première réunion avec les pays et institutions intéressés par la problématique du secteur minier au Congo. Aucun représentant de la RDC n'était en revanche présent à cette réunion.

    En avril 2007, le travail de réflexion et d'analyse de la Task Force a été confronté à la réalité à Lubumbashi et une concertation a eu lieu avec les autorités congolaises. Cela a conduit à l'élaboration d'un projet-pilote.

    Ce projet-pilote se fixe sur la bonne gouvernance et la transparence dans le secteur minier, et la traçabilité des flux financiers minéraux dans le commerce du cuivre et du cobalt en RDC (Katanga).

    En avril 2008, lors d'une visite en RDC, le ministre des Affaires étrangères de l'époque a communiqué les résultats du projet-pilote aux autorités de Kinshasa et du Katanga.

    Les éléments essentiels du projet étaient les suivants:

    — la certification de bonne foi des minerais sur les sites d'exploitation: cette certification se fonde non pas sur une analyse de la composition des minerais mais sur les documents produits. Une certification plus analytique sur la base d'une analyse des minerais est bien plus onéreuse et n'a pas été proposée en premier lieu;

    — la création des centres de négoces (centres de commerce locaux);

    — la création d'un fonds de soutien à des projets sociaux dans la mesure où de nombreux creuseurs artisanaux vivent dans des conditions difficiles.

    En 2007 et 2008, la Belgique a été membre du Conseil de sécurité des Nations unies et le ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. De Gucht, a décidé d'inscrire le dossier « Ressources naturelles et conflits » à l'agenda du Conseil de sécurité. Le débat qui a suivi a mené à une déclaration de la Présidence. Cette déclaration ne portait pas uniquement sur la RDC, mais elle a eu pour résultat que l'on aborde aussi la problématique des ressources naturelles du sous-sol lors des négociations sur le mandat de la MONUC.

    c. Autres points d'intérêt

    La problématique du continent africain a entre-temps connu, elle aussi, un regain d'intérêt, notamment dans le cadre de la Conférence internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL).Cette Conférence a déjà conduit à l'adoption d'un Protocole sur la lutte contre l'exploitation illégale des ressources naturelles.

    Des progrès ont été enregistrés au cours des derniers mois et surtout depuis 2009. La Belgique a encouragé cette dynamique africaine, notamment en participant de manière active à des réunions d'experts sur la question.

    Les experts sont entre-temps parvenus à un accord sur plusieurs éléments, mais cet accord n'a pas encore été avalisé par les responsables politiques. Ces éléments, modestes mais bien réels, concernent les points suivants:

    — la décision d'harmoniser les législations nationales;

    — l'élaboration d'une banque de données sur la production et le commerce des richesses du sous-sol;

    — l'introduction d'un mécanisme régional de certification;

    — le soutien apporté à l'Initiative relative à la transparence des industries extractives (ITIE);

    — l'élaboration d'un mécanisme de « whistle blowing ».

    D'après M. Dhaene, un sommet sera organisé au cours des prochains moins — fin 2010, début 2011 — en vue d'approuver ces différents éléments.

    Depuis quelques mois, la Banque mondiale s'intéresse également au secteur minier en RDC. Toutefois, son approche est résolument différente de celle de la Belgique: alors que la Belgique aborde plutôt la question dans une perspective de projets, la Banque mondiale conçoit son approche de façon plutôt globale.

    Le projet « Promines » offre un cadre universel pour l'amélioration et la stimulation de la gestion des richesses du sous-sol du Congo. Une réforme de ce secteur et la mise en place de mécanismes de concertation permettraient certainement de rendre les investissements dans le secteur plus attractifs.

    Les objectifs du projet Promines sont les suivants:

    — augmenter la production du secteur minier;

    — renforcer les capacités des autorités afin de garantir une gestion transparente;

    — optimiser les recettes du secteur minier.

    Le projet a déjà été soumis aux autorités congolaises mais n'a pas encore été approuvé par le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale.

    d. Évolutions récentes

    Fin 2008, le groupe d'experts des Nations unies a publié un rapport de suivi. Ce rapport a suscité un intérêt particulier de la part de la communauté internationale, car il rappelle avec insistance que l'exploitation illégale des richesses naturelles contribue en permanence à entretenir le conflit dans l'Est du Congo.

    Par la suite, le Groupe de contact (il s'agit d'un nombre limité de pays qui se réunissent régulièrement à propos de la région des Grands Lacs pour mettre au point une politique plus adaptée) a décidé de constituer un groupe de travail informel qui se penchera sur la problématique des richesses naturelles dans l'Est du Congo afin de coordonner les différentes initiatives.

    L'objectif de ce groupe de travail informel est triple (et dépasse la région de l'Est du Congo):

    — promouvoir la transparence du commerce des richesses naturelles;

    — promouvoir la légalisation des activités dans le secteur minier;

    — démanteler la base financière des groupes de rebelles armés.

    Le groupe de travail s'est réuni pendant un an dans les différentes capitales. À l'issue de quatre réunions, la communauté internationale a finalement estimé, compte tenu de l'accord conclu sur de nombreux éléments, que le temps était venu de passer le relais aux autorités congolaises.

    Un accord a été trouvé sur les points suivants:

    — la concentration des travaux sur les zones de conflits (le Kivu, le Maniema, l'Ituri et le Nord Katanga);

    — la promotion de la bonne gouvernance et de l'établissement de l'autorité de l'état et du commerce légal;

    — faire le point sur le mapping de l'exploitation illégale des ressources naturelles, sur les mesures de due diligence pour les entreprises impliquées dans l'exploitation ou le commerce des ressources naturelles et sur les mécanismes de certification des minerais et sur la promotion du commerce légale.

    Le renforcement des capacités techniques du Congo, la coopération régionale, ainsi que la surveillance et le contrôle font aussi partie des thèmes qui ont été abordés.

    Les 21 et 22 janvier 2010, les conclusions du groupe de travail ont été transmises aux autorités congolaises et ont obtenu leur adhésion. Ce volontarisme s'inscrit dans la lignée d'autres signaux positifs adressés par les autorités congolaises, comme l'adoption de plusieurs mesures prévues dans le Plan de Stabilisation et de Reconstruction de l'Est du Congo (STAREC).

    Les activités déployées dans le cadre de l'OCDE constituent une autre évolution récente.

    Un groupe de travail créé dans le cadre de l'OCDE a été chargé d'examiner quelles recommandations pourraient être données aux entreprises actives au Congo, et plus particulièrement les recommandations en matière de « due diligence ». Les activités du groupe de travail en question sont fondées sur l'Outil de sensibilisation au risque de l'OCDE destiné aux entreprises multinationales opérant dans des zones à déficit de gouvernance et sur les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales.

    La résolution 1897 du Conseil de sécurité des Nations unies charge d'ailleurs également le groupe d'experts des Nations unies d'élaborer des recommandations en matière de « due diligence ».

    e. L'engagement congolais

    La réunion des 20 et 21 janvier 2010 a été suivie de plusieurs déclarations d'intention de la part des autorités congolaises et de l'annonce d'une série de mesures concrètes:

    — le renforcement des services administratifs (le ministère des Mines et le CEEC, le centre d'expertise, d'évaluation et de certification des substances précieuses et semi-précieuses);

    — la sensibilisation des services publics, notamment par la diffusion de manuels, en vue d'aboutir à une action plus efficace;

    — la mise sur pied (en concertation avec l'Allemagne) d'un mécanisme de certification national (lequel n'est pas encore opérationnel);

    — le dialogue avec l'industrie et avec la Fédération des entreprises du Congo;

    — le lancement du projet de centres de négoces.

    f. Les intentions belges

    Le ministre belge des Affaires étrangères opte pour une politique de continuité et continue d'attirer l'attention sur le sujet. Par exemple, dans le cadre du budget « Consolidation de la paix », un montant non négligeable est affecté au fonctionnement permanent de la Task Force MIRECA.

    La différence entre MIRECA I et MIRECA II réside dans le changement de contexte international. MIRECA II constitue plus qu'avant un instrument servant à alimenter la politique belge dans le cadre des différentes actions internationales et régionales, comme la CIRGL, ou à définir la position dans certains forums.

    La deuxième différence importante est que MIRECA II ne se limite plus au Katanga, mais concerne aussi l'Est du Congo. Les autorités congolaises reconnaissent, elles aussi, l'importance du « mapping » (cartographie), qui a déjà fait l'objet d'entretiens exploratoires.

    Par l'intermédiaire de la Task Force MIRECA, la Belgique continuera aussi à suivre le projet relatif à la traçabilité, notamment par des contacts avec la Banque mondiale. C'est en effet un projet d'envergure, dont l'évocation dans le cadre de divers forums permet à l'idée de la certification de faire son chemin.

    En concertation avec la Banque mondiale, la Belgique examinera comment la Task Force MIRECA peut jouer un rôle dans le projet Promines.

    Par ailleurs, la Belgique soutiendra les activités menées dans le cadre de l'OCDE. Il faut signaler à cet égard qu'il existe déjà une demande concrète de soutien financier.

    Le secrétariat de la CIRGL pourra lui aussi compter sur l'aide de la Belgique.

    La Belgique a rejoint l'Initiative relative à la transparence des industries extractives (ITIE) et contribue au Fonds multi-bailleurs de la Banque mondiale qui soutient le processus de l'ITIE, principalement en vue d'encourager ledit processus au Congo. Il est difficile d'appliquer ce processus au Congo. Lorsque celui-ci fut proche du déraillement, la Belgique a décidé de financer le processus de la réconciliation par le biais de la CTB, en plus des efforts de la Banque mondiale.

    Enfin M. Dhaene indique qu'après que la Belgique eut inscrit la problématique des richesses naturelles et des conflits à l'ordre du jour du Conseil de sécurité, les Nations unies ont examiné si cette question pouvait aussi être évoquée à l'Assemblée générale, mais elles se sont heurtées à des réticences. La Belgique est consciente de la nécessité de garder ce thème au cœur des débats aux Nations Unies, mais cette volonté ne peut tout de même pas rencontrer une trop grande résistance.


    2. Échange de vues

    Un membre du groupe de travail formule des observations au sujet de l'affirmation selon laquelle les autorités congolaises approuvent les propositions de la Task Force. La question est de savoir si les autorités ont la volonté et les moyens de mettre ces propositions à exécution, surtout quand on sait que la déstabilisation de l'exploitation des richesses naturelles n'est pas le fait uniquement de groupes de rebelles armés mais que l'armée congolaise elle-même y participe.

    M. Dhaene indique que, dans l'Est du Congo, la situation est effectivement complexe et que le contrôle des mines par l'armée congolaise pose des problèmes, mais il discerne néanmoins quelques actions prudentes et signes encourageants du côté des autorités congolaises. Ainsi, elles ont elles-mêmes attiré l'attention sur l'importance de procéder à la démilitarisation des sites miniers.

    Un sénateur souhaite savoir si les moyens financiers octroyés par la Belgique placent les autorités congolaises devant une obligation de résultat.

    M. Dhaene explique que le renforcement de la capacité fait partie des projets de la Banque mondiale. Cette dernière a prévu des investissements pour un montant frôlant les 100 millions de dollars alors que, de son côté, la Belgique octroie une aide qui se traduit pour l'essentiel par la mise à disposition d'experts et de savoir-faire et qui peut donc difficilement être assortie d'une obligation de résultat mesurable.

    Un autre membre du groupe de travail demande quelle est la place des entreprises belges dans les activités de la Task Force MIRECA.

    M. Dhaene confirme que les entreprises belges (surtout Umicore) sont associées à la concertation, conjointement avec d'autres opérateurs. En fait, la Task Force MIRECA est un groupe de réflexion qui s'efforce de donner du corps à la politique.

    Le membre du groupe de travail renvoie ensuite aux objectifs qui ont été formulés après la conférence de Lubumbashi (la certification de bonne foi des minerais, la création des centres de négoces et d'un fonds pour les creuseurs). Pourquoi le respect du Code minier, qui prévoit que les produits non manufacturés ne peuvent pas sortir du pays, n'a-t-il pas été repris parmi ces objectifs ? Il s'agit pourtant d'une disposition essentielle, qui pourrait surtout avoir de nombreuses conséquences — positives — sur la situation des creuseurs.

    M. Dhaene souligne qu'il s'agit en l'espèce des piliers du projet élaboré par la Task Force MIRECA et mis en place de manière unilatérale par la Belgique. Il n'en reste pas moins que ce projet a fait l'objet d'une évaluation lors du colloque qui a eu lieu à Lubumbashi en 2007 et que les résultats définitifs ont été communiqués aux autorités congolaises en avril 2008 par le ministre des Affaires étrangères de l'époque. M. Dhaene tient à préciser qu'aucun accord n'a été conclu avec les autorités congolaises au sujet de ces objectifs. D'ailleurs, les tensions diplomatiques qui régnaient à l'époque rendaient difficile toute négociation directe avec les autorités congolaises sur ce point. La diplomatie belge s'est alors mise en quête de nouveaux canaux dans le but de ne pas couper les liens et ce, essentiellement par le biais de la Banque mondiale et de la Conférence internationale pour la Région des Grands Lacs.

    Une autre question concerne les projets de cartographie. Que cartographie-t-on exactement: les sites miniers ou les routes ? Les cartes pourront-elles servir par la suite à soutenir la traçabilité et le processus de certification ?

    Si l'origine des matières premières ne peut être recherchée au moyen de leur composition, mais bien en fonction des routes suivies, le projet de certification est gravement compromis surtout lorsqu'on connaît l'inventivité de toutes les parties concernées pour ce qui est des itinéraires.

    M. Dhaene explique que la Task Force MIRECA a identifié un certain nombre de thèmes, parmi lesquels la cartographie, la certification, l'amélioration de la « due diligence » et le « capacity building ». Il faut s'atteler simultanément à tous ces thèmes si l'on veut enregistrer des avancées.

    M. Chantry, responsable du desk Congo au SPF Affaires étrangères, ajoute que, lors de la réunion de janvier 2010, M. Kasongo, alors vice-ministre des Mines, a sollicité le concours d'experts pour définir la méthodologie de la cartographie. M. Kasongo n'étant plus en fonction aujourd'hui, il faut attendre pour savoir si les autorités congolaises sont toujours demandeuses de l'expertise belge.

    En ce qui concerne la méthodologie, M. Chantry souligne que la cartographie est censée indiquer les sites et les routes. Pour les sites, il s'agit d'informations relatives à la qualité des minerais et de données juridiques, telles que le nom du propriétaire et de l'exploitant de la mine.

    Une question qui se pose à cet égard est de savoir à quelle fréquence il faudra répéter l'exercice. La situation dans les Kivus est très instable et l'exploitation minière peut changer du jour au lendemain.

    Pour ce qui est de la certification, M. Chantry indique qu'une définition scientifique des minerais est possible mais difficile à organiser dans la pratique et très onéreuse. Par conséquent, on a opté pour une approche sérieuse, à savoir une certification sur la base de documents tels que décrits dans le projet-pilote MIRECA I pour le cuivre au Katanga. L'on recourt parfois à des moyens physiques, comme l'utilisation d'emballages spéciaux pour les minerais afin d'en connaître l'origine ou le recours à des zones de stockage certifiées.

    Il est un fait que nombre d'éléments de ce projet-pilote ont été repris dans d'autres projets congolais, ce qui est un signe encourageant. Citons par exemple la création des centres de négoces par le STAREC, l'utilisation d'emballages spéciaux par le ministère provincial du Sud Kivu, les zones de stockage certifiées, ...

    En réponse à la question sur le rôle de la Gécamines, M. Chantry attire l'attention sur une différence fondamentale entre cette dernière et les sites miniers dans les Kivus: la Gécamines est une exploitation industrielle, principalement de cuivre au Katanga, alors que les sites miniers des Kivus sont exploités de façon artisanale. L'exploitation artisanale favorise davantage l'exploitation illégale des minerais.

    Pour l'exploitation industrielle, les espoirs de la communauté internationale et des autorités congolaises reposent sur l'Initiative relative à la transparence des industries extractives (ITIE), qui vise à répertorier les flux financiers des principaux acteurs industriels. S'agissant du Congo, l'initiative ITIE concerne 20 entreprises minières et 5 entreprises d'exploitation pétrolière.

    M. Kasongo, ancien vice-ministre des Mines, a toujours plaidé pour une exploitation plus industrielle, pour laquelle il est plus facile de définir un cadre.

    Une partie des problèmes actuels disparaîtra, en effet, progressivement lors du passage à une exploitation plus industrielle. Vu la capacité du Congo, ce processus prendra du temps. Il n'est cependant pas certain que l'adoption d'un mode d'exploitation entièrement industriel soit souhaitable lorsque l'on sait qu'une multitude de familles vivent de l'exploitation artisanale au Kivu. Un passage trop brusque à la production industrielle ne ferait qu'y accentuer la pauvreté.

    M. De Pyper, collaborateur du desk Congo au SPF Affaires étrangères, ajoute que le projet-pilote MIRECA avait notamment pour objectif de réorganiser l'économie et de créer des structures.

    Un membre du groupe de travail s'enquiert ensuite du degré d'implication des pays voisins. Suivent-ils les discussions de la Task Force ?

    M. Dhaene ne peut nier que les matières premières quittent le Congo sans avoir été transformées, et ce en raison de l'absence d'infrastructures dans ce pays et de la perméabilité des frontières.

    Au lieu de sanctionner, la communauté internationale a opté pour des mécanismes tels que la certification, le renforcement de la capacité des pouvoirs publics et la légalisation. Une étude du BCAH, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, sur l'impact d'un embargo sur la population établit en effet que les conséquences d'un tel embargo seraient néfastes pour les creuseurs de l'Est du Congo.

    De plus, les pays concernés ont décidé d'évoquer le problème et de se mettre d'accord sur des mesures concrètes, dans le cadre de la Conférence internationale pour la Région des Grands Lacs.

    En réponse à la question sur les rapports avec l'Angola, M. Dhaene indique que cette problématique est d'un autre ordre. Les tensions avec l'Angola concernent principalement l'exploitation pétrolière.


    D. Audition du 30 mars 2010


    D.1. Présentation du Réseau belge des ressources naturelles (RBRN) et de ses activités


    Exposé de Mme Véronique Rigot, chargée de recherche Environnement et Développement, Centre National de Coopération au Développement (CNCD) — 11.11.11

    Font partie du réseau belge des ressources naturelles des organisations de développement et environnementalistes, coordonnées par la Commission Justice et Paix.

    Est et peut devenir membres toute association belge travaillant le thème des ressources naturelles et désirant effectuer un travail politique sur ce thème en collaboration avec d'autres membres. Par extension, les membres associés sont les associations travaillant/intéressées par la thématique au niveau belge, européen ou international et souhaitant informer/être informées régulièrement sur ce thème.

    Identité du réseau

    Le réseau est un lieu d'échange et de concertation sur le travail des ressources naturelles mené par les associations belges. Par « ressources naturelles », le réseau entend une matière première, extraite ou produite par la nature, reconnue comme nécessaire aux besoins essentiels de l'activité humaine, à partir du moment ou celle-ci aura acquis une valeur économique et marchande dans son état relativement non modifié (naturel). Par exemple: les forêts, les minerais, l'eau, espèces végétales locales, ...

    Le réseau ressources naturelles se veut thématique et ne privilégie pas l'une ou l'autre zone géographique a priori. Il favorise autant l'approche par thématique (apport de contenu) que l'approche par projet (actions communes et soutien aux actions des membres).

    Il travaille le thème des ressources naturelles en lien avec les questions de paix, de développement et de préservation de l'environnement.

    Vision du réseau

    Les ressources naturelles font de plus en plus partie des thèmes de travail du monde associatif belge. Spécialisées sur un pan de la problématique ou sur un type de ressources, les associations développent, d'une part, les connaissances et l'expertise en la matière, et élaborent, d'autre part, des actions de sensibilisation et de lobbying à destination du grand public ou des décideurs.

    Cet accent sur les ressources naturelles repose sur le lien avec les problématiques générales que travaillent les ONG et autres associations belges: les questions de paix, de développement, de protection de l'environnement et, de manière transversale, la question du respect des droits humains.

    En effet, les ressources naturelles sont au cœur des conflits contemporains. La garantie de leur accès, le contrôle de leur exploitation et la maîtrise de leur commercialisation soulèvent des enjeux économiques et politiques importants dont les différents acteurs — les États, les multinationales, les groupes armés rebelles, ... — cherchent à tirer profit. Le lien entre les ressources naturelles et les conflits est rétabli: elles en sont à la fois à la source, de par les convoitises qu'elles suscitent, mais elles sont aussi un élément déterminant de leur durée.

    À côté de cela, le potentiel des ressources naturelles dans le développement économique des pays qui les possèdent est lui aussi reconnu. Pourtant, on constate que la plupart des États où ces ressources sont abondantes souffrent d'une importante pauvreté. Le manque de transparence et la gestion inefficiente qui prévalent souvent dans l'exploitation des ressources naturelles en est à l'origine. Quand bien même des États ont tenu le pari du « développement économique » par une gestion appropriée de leurs ressources, les bénéfices redistribués à leur population sont souvent faibles.

    Enfin, l'exploitation des ressources naturelles, si elle n'est pas effectuée dans une optique de préservation de l'environnement, a un impact destructeur sur les écosystèmes et sur les populations autochtones. À l'heure actuelle, les effets visibles sont, entre autres, la disparition des forêts de bois précieux, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques par les procédés d'extraction des minerais, la disparition des terres cultivables, etc.

    Les populations vivant dans un environnement dégradé voient leurs moyens de subsistance menacés. La pauvreté qui en découle à terme est source d'instabilité sociale et politique et peut mener à des conflits armés. Cela crée un cercle vicieux que les associations du réseau des ressources naturelles tentent d'enrayer.

    Objectifs du réseau

    — la mise en œuvre de projets politiques communs sur la base d'un agenda établi ensemble;

    — le renforcement des actions d'un membre, à sa demande, et après accord des autres membres, par la participation du réseau au niveau politique et/ou de sensibilisation;

    — l'échange sur le travail des uns et des autres de façon à coordonner le travail au niveau belge et à créer des synergies dès le départ.

    Les publics cibles du réseau sont:

    — pour les actions politiques communes et le soutien aux actions des membres: le public cible est le monde des décideurs politiques belge, européen et/ou international en fonction de l'action menée;

    — pour l'échange d'information et d'expertise: le public cible est l'ensemble des membres du réseau et le monde associatif belge travaillant sur les ressources naturelles ou intéressé par une information régulière sur le travail autour des ressources naturelles effectué en Belgique.

    Que fait le réseau belge ?

    Les activités types sont:

    — l'échange d'information sur le thème (apport de contenu ou apport sur les actions menées);

    — la concertation régulière avec les plateformes francophone (CNCD-11.11.11) et néerlandophone (11.11.11);

    — l'échange d'expertise en appui aux projets des membres;

    — la rencontre avec des experts extérieurs du monde académique, politique et économique;

    — la mise en œuvre d'actions communes (mémorandum politique, ...).

    Spécifiquement par rapport à l'Est de la République Démocratique du Congo (RDC):

    Les « richesses naturelles » de l'Est de la RDC sont minérales (eau de surface (grands lacs) et nappes souterraines, mines d'or, colombo-tantalite (coltan), uranium, diamants, manganèse, cobalt, étain, cuivres, pétrole, ...), mais aussi végétales (forêts et autres) et animales (insectes, oiseaux, rongeurs, animaux de toutes espèces, ...). Parmi ces richesses naturelles, nous comptons également la qualité des terres de l'Est de la RDC qui sont de nature volcanique et donc particulièrement fertiles.

    Enfin, la République Démocratique du Congo est dotée d'une biodiversité (variété du vivant, c'est-à-dire la diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes) très abondante.

    Paradoxalement, les États limitrophes de la RDC sont relativement moins dotés en ressources.

    Les ressources extractives font l'objet d'un intérêt particulier aux yeux des membres du RBRN pour l'Est de la RDC. Par définition, ce sont les ressources que l'Homme extrait de la terre à des fins économiques.

    a) Les activités du RBRN ces derniers mois:

    — rencontre du Réseau international « Publish what you pay »;

    — audition au Parlement européen et préparation des recommandations spécifiques;

    — préparation de la Présidence belge de l'Union européenne (coordination avec autres réseaux, interpellation du ministre des Affaires étrangères pour mise à l'agenda, ...);

    — participation à la discussion en prévision du rapport 2010 de la Banque mondiale sur le commerce des ressources naturelles;

    — planification 2010 et évaluation du RBRN.

    b) Activités spécifiques des membres du réseau

    Qui fait quoi ?

    La majorité des organisations membres et associées ont l'Est de la RDC parmi leurs centres d'intérêt; certaines ne travaillant qu'en RDC (AFEDE).

    Les partenaires en RDC sont:

    — le Réseau Ressources Naturelles congolais (RRN) qui travaille surtout sur le bois et les ressources extractives;

    — le Réseau d'Organisations des Droits Humains et d'Education Civique d'Inspiration Chrétienne (Rhodecic).

    Certains membres du réseau entretiennent également des partenariats spécifiques.

    De plus, il y a aussi des réseaux internationaux dans lesquels les différents membres s'investissent; en particulier sur les ressources extractives et qui sont, pour certains, communs.


    D.2. Présentation des recommandations et des alternatives élaborées par le Réseau belge des ressources naturelles (RBRN) et des pistes de politiques possibles


    Exposé de Mme Axelle Fisher, secrétaire générale, Commission Justice et Paix, et de M. Koen Warmenbol, chargé de plaidoyer Ressources Naturelles, 11.11.11

    Les recommandations élaborées par les membres du Réseau belge Ressources Naturelles sont structurées autour de 4 points qui concernent:

    1. la cessation de l'utilisation des minerais en vue d'alimenter les conflits armés;

    2. une gestion transparente et durable des ressources naturelles;

    3. la responsabilité des entreprises européennes;

    4. une gestion des ressources naturelles en faveur du développement des pays du Sud.

    À titre d'introduction, Mme Fisher souligne que le réseau va faire référence à 3 éléments:

    — La Belgique s'est montrée consciente des impacts de l'exploitation des ressources naturelles sur les populations du Sud et sur l'environnement. En témoigne notamment son implication à porter la thématique du lien entre les ressources naturelles et les conflits au Conseil de sécurité des Nations unies lorsqu'elle en assurait la présidence tournante en juin 2007.

    — Raw Material Initiative:

    Référence à la Politique européenne d'approvisionnement en matières premières « non énergétiques » référence à la « Raw material initiative » de la Commission européenne (communication de la Commission au PE et au Conseil en 2008) qui considère cette thématique comme essentielle au soutien de la politique de croissance et d'emploi de l'UE définie dans la Stratégie de Lisbonne.

    En effet, des secteurs importants de l'économie européenne (construction, automobile, aérospatiale, industrie chimique, etc.), représentant près de 30 millions d'emplois, dépendent des importations qui comblent l'insuffisance de la production interne à l'UE, particulièrement en ce qui concerne les métaux.

    Au-delà des solutions internes à l'UE (développer la production interne et réduire sa consommation), l'objectif prioritaire de la Commission est donc d'assurer la sécurité et la stabilité des prix de l'approvisionnement de l'UE provenant des pays tiers, en renforçant le jeu de la libre concurrence et la compétitivité des entreprises européennes. Pour remplir cet objectif, la Commission choisit de s'attaquer à ce qu'elle appelle des « mesures de distorsion du commerce international », autrement dit aux taxes, quotas, subsides, fixation des prix, et régulation des investissements instaurés dans certains pays producteurs.

    — Le programme de la Présidence belge de l'UE fait globalement écho au double enjeu que représentent les ressources naturelles pour l'UE: l'enjeu interne de la garantie de l'approvisionnement en matières premières (Lisbon Strategy), et l'enjeu externe de son implication dans les politiques de développement de pays tiers (EU Sustainable Development Strategy).

    Pour que l'exploitation des minerais cesse d'alimenter les conflits armés dans la Région des Grands Lacs, il faut l'établissement de mécanismes de certification identifiant l'origine des minerais. Le but est de permettre de différencier les ressources « propres » de celles finançant les conflits et de ne commercialiser que les minerais certifiés.

    Le processus de Kimberley (système de certification pour le commerce international du diamant brut) a pour but d'encourager et d'aider les gouvernements de la Région des Grands Lacs à améliorer le contrôle interne de l'exploitation et du commerce du diamant.

    Il est également nécessaire que la Belgique contribue à l'instauration de mécanismes de certification d'autres minerais pouvant alimenter les conflits, comme l'or ou le coltan.

    À ce niveau, la Belgique via sa Task Force MIRECA (Projet-pilote sur le Cuivre et Cobalt au Katanga) a débroussaillé le terrain. Les idées travaillées (traçabilité bona fide plutôt que basée sur des analyses scientifiques, certifications d'origine, comptoirs d'achat, ...) pourraient être transposées par ailleurs (pourquoi pas à l'Est ?) et sur d'autres métaux mais Mme Fisher attire l'attention sur le contexte et des acteurs en présence: quelle maîtrise de la chaîne d'approvisionnement ? Rôle de la MONUC (surveillance et contrôle ?), ...

    Il y a besoin d'un suivi parlementaire de cette Task Force par exemple via des updates réguliers des actions de MIRECA et de son impact. Ne faudrait-il pas profiter de la Présidence belge de l'UE pour formaliser le travail réalisé par cette Task Force ?

    De plus, il est important de soutenir ce qui existe déjà.

    En janvier 2010, il y a eu une rencontre de la Task Force (avec les Allemands et les Britanniques) avec le gouvernement congolais (national + provinces). L'enjeu de cette rencontre était que la RDC mette en route les recommandations du représentant spécial de l'UE sur l'Afrique des Grands Lacs, M. Roeland Van De Geer. Selon les Affaires étrangères belges: « les Congolais ne donnent pas des indications claires ». Ils parlent vraiment des limites du jeu diplomatique.

    Enfin, il est important de soutenir la société civile locale afin qu'elle puisse elle-même faire pression auprès de son gouvernement.

    Le réseau souligne également l'importance de la mise en œuvre d'initiatives régionales allant dans ce sens. Par exemple, le Protocole de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) concernant la lutte contre l'exploitation illégale des ressources naturelles.

    M. Koen Warmenbol esquisse les pistes de réflexion éventuelles:

    a) Une gestion transparente des richesses naturelles

    La transparence est la condition de base d'une bonne gestion des richesses naturelles. Envisager les choses sous l'angle de la « chaîne de valeur » permet d'établir un cadre intéressant pour analyser sur quels domaines l'on pourrait intervenir pour augmenter la transparence du secteur de l'exploitation minière et des richesses naturelles en général.

    Au cours des dernières années, l'initiative ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives), qu'il faut considérer comme l'une des initiatives les plus novatrices dans le domaine de la gestion des richesses naturelles, a joué un rôle crucial dans de nombreux pays accablés par la « malédiction des ressources », comme c'est le cas de la RDC. L'initiative vise spécifiquement à garantir la transparence des recettes de l'État et des paiements d'impôts et de royalties effectués par les entreprises dans le cadre de l'exploitation de richesses naturelles. Le projet a connu des débuts très difficiles au Congo mais le premier rapport d'audit a finalement été publié le mois dernier et porte sur l'année 2007. Bien que la RDC ne soit pas parvenue à respecter la date limite pour accomplir l'ensemble du processus de validation (avant mars 2010), le conseil d'administration de l'ITIE a décidé la semaine dernière de maintenir son statut de pays candidat et de lui accorder une prorogation de délai pour clôturer le processus de validation. Les rapports pour 2008 et 2009 sont en préparation et il semble que le Congo respectera le nouveau délai imposé pour publier et diffuser les différents rapports.

    Le rapport pour 2007 révèle des écarts importants entre les paiements et les recettes. Ces écarts devront être réexaminés à des fins de clarification. En outre, l'initiative ITIE en est encore à ses balbutiements: le rapport intègre uniquement les recettes provenant de l'extraction du cuivre, du cobalt et du pétrole. À terme, le rapport devra porter également sur d'autres minerais et des produits forestiers et le projet devra par ailleurs également être mis en œuvre au niveau des provinces.

    En dehors de la transparence dans le domaine des recettes fiscales, nous aspirons également à une plus grande ouverture dans les différents autres pôles de la « chaîne de valeur ».Il y a quelques mois s'est achevé le processus de révision des contrats miniers, à l'exception de celui de la société Tenke Fungurume. Ce n'est qu'après avoir longuement insisté que la société civile a enfin obtenu que les autorités congolaises procèdent à la publication des contrats concernés par le processus de révision. Cette révision étant achevée, nous réclamons à présent une publication des contrats renégociés, pas seulement pour pouvoir analyser objectivement les résultats du processus de renégociation, mais surtout pour pouvoir exercer un contrôle parlementaire et social du respect des engagements contractuels.

    Le gouvernement congolais pourrait encore aller plus loin en intégrant la publicité des contrats publics dans la législation, comme l'ont fait ces dernières années certains pays africains.

    Pour la régulation et le monitoring des activités d'exploitation, il est important que les autorités locales et la population locale prennent connaissance des études d'impact sur l'environnement, et des mesures sociales et environnementales spécifiques qu'elles décrivent.

    La gestion et l'affectation des recettes publiques provenant de l'extraction de richesses minières constituent un autre pôle crucial. Finalement, ces recettes représentent un instrument essentiel pour financer des projets de développement qui, à terme, permettront de rendre le développement du pays moins dépendant de l'extraction de matières premières. Et ces recettes peuvent également constituer un levier important pour un meilleur partage des richesses du pays et pour le développement local. L'inscription au budget de ces moyens devrait se faire de la manière la plus transparente possible et avec la participation de la population locale dans le cadre de leur affectation à des projets spécifiques.

    Quelles actions la Belgique et l'Europe peuvent-elles entreprendre dans le domaine de la transparence ?

    — Maintien du soutien technique et financier lors de la mise en œuvre de l'ITIE. Ce qui importe ici, c'est que le projet progresse d'année en année par son extension à d'autres minerais et par la mise en place de sections de l'ITIE dans chaque province. Il s'agit d'un aspect capital pour intégrer les minerais du conflit et les régions en conflit au sein de l'ITIE. Il faudrait élaborer un plan avec les autorités congolaises et les représentants de la société civile au sein du comité ITIE afin de définir des objectifs concrets en ce qui concerne l'extension de l'ITIE.

    — La Commission européenne compte revoir en 2010 sa directive 2004/109/CE sur l'harmonisation des obligations de transparence. Nous recommandons l'adoption d'une nouvelle norme imposant aux entreprises européennes de l'industrie extractive d'établir des rapports par pays sur les paiements d'impôts concernant des activités en dehors de l'Union européenne.

    — Lors de la révision des normes de l'International Accounting Standard Board, l'Union européenne devrait également veiller à imposer aux entreprises multinationales de fournir des informations comptables par pays dans leurs rapports annuels.

    — L'Europe et la Belgique pourraient faire pression sur le gouvernement congolais pour qu'il publie les contrats soumis au processus de révision, ainsi que tous les autres contrats d'exploitation, en ce compris ceux conclus avec des coopératives de production artisanale (autorités nationales et provinciales).

    — La DGCD et les autres donateurs européens peuvent mettre l'accent sur un cofinancement avec les autorités nationales ou provinciales à partir de fonds spécifiques alimentés par les revenus de l'industrie extractive, et ce pour les différents projets sur le terrain dans le domaine du développement agricole, de l'enseignement, de la santé, etc.

    b) La responsabilité sociale des entreprises

    Le document de la Coalition européenne pour la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (voir annexe) dresse un aperçu des initiatives principales prises par l'Union européenne dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) au cours des 10 dernières années.

    Jusqu'à présent, la Commission européenne s'est surtout focalisée sur la promotion d'initiatives volontaires d'entreprises dans le cadre de la RSE (voir la Communication de la Commission de 2006) et avait fait la sourde oreille à l'appel lancé par le Parlement européen (résolution de mars 2007) en vue d'étendre les obligations légales à certains aspects fondamentaux de la RSE.

    Après l'élaboration et la présentation du « Framework of Business and Human Rights » (également intitulé « Protéger, respecter et réparer — un cadre pour la responsabilité sociétale des entreprises ») du PNUD, par le professeur John Ruggie, l'Union européenne semble avoir revu sa position à propos du caractère de la RSE.

    Ce cadre repose sur trois piliers:

    — l'obligation de l'État de protéger l'individu contre les violations des droits de l'homme commises par des tiers, et donc y compris par des entreprises;

    — la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l'homme;

    — l'amélioration de l'accès des victimes à une réparation effective, par des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires.

    Plusieurs initiatives prises l'an passé semblent montrer qu'aujourd'hui, l'Union européenne cherche réellement à imposer une réglementation contraignante aux entreprises afin de jouer son rôle politique de « protection contre les violations des droits de l'homme commises par des tiers »:

    — l'obligation pour les entreprises de rédiger des rapports sur les mesures prises en matière de protection sociale, de protection de l'environnement et de bonne administration;

    — la possibilité pour les victimes d'activités d'entreprises européennes exercées en dehors de l'Europe d'introduire un recours juridique en Europe.

    Actions possibles depuis la Belgique:

    1) Plaider pour l'adoption d'une directive européenne sur la responsabilité sociale des entreprises, prévoyant:

    — des compétences extraterritoriales de la jurisprudence européenne sur les activités d'entreprises européennes;

    — l'obligation pour les entreprises d'assurer un devoir de diligence: la responsabilité des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales et de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement;

    — l'obligation de rédiger un rapport annuel sur les aspects environnementaux et sociaux.

    2) Revoir la loi sur l'Office national du ducroire, en prévoyant un renforcement ou l'introduction de clauses spécifiques en matière de lutte contre la corruption et de protection des droits de l'homme et de l'environnement.

    En ce qui concerne une gestion des ressources naturelles favorable au développement dans le Sud, Mme Fisher explique qu'il est nécessaire que la Belgique plaide (par exemple dans le cadre de la présidence belge de l'UE) pour une cohérence entre les politiques européennes et les objectifs de développement qu'elle s'est fixés. L'UE doit mettre en conformité sa politique d'approvisionnement en ressources naturelles avec ses objectifs de développement à l'égard des pays producteurs de matières premières.

    La problématique des ressources naturelles questionne la cohérence globale des politiques européennes, c'est-à-dire que les ressources naturelles représentent un double enjeu pour l'UE:

    — d'une part, l'enjeu interne de la garantie de l'approvisionnement en matières premières;

    — d'autre part, l'enjeu externe de son implication dans les politiques de développement de pays tiers.

    La compatibilité de ces deux enjeux ne va pas forcément de soi, leurs objectifs respectifs entrant potentiellement en concurrence. En effet, force est de constater qu'en l'état actuel de l'initiative lancée par la Commission et des textes élaborés en vue de la préparation de la Présidence belge, c'est l'enjeu interne de l'approvisionnement qui prend le dessus sur celui externe de l'impact durable des politiques commerciales de l'UE dans les pays tiers. Nous sommes conscients de l'importance pour l'UE de maintenir sa place en tant qu'acteur économique de poids sur le marché international, mais défendre les intérêts économiques de l'UE ne peut se faire au détriment des intérêts des populations des pays tiers, hors de ses frontières.

    Le réseau belge attire l'attention sur les problèmes suivants liés à la non-prise en compte de la complexité de la thématique dans les politiques envisagées:

    — l'euro-centrisme: nécessité d'une prise en compte des externalités/retombées de l'extraction et du commerce des matières premières, tant celles vectrices de développement et de réduction de la pauvreté via une redistribution équitable vers les populations des richesses crées par ces activités, que celles vectrices de retombées négatives (conflit politique, violations des droits de l'homme, dégradation de l'environnement et de la biodiversité). Or, le respect des droits de l'homme doit primer sur toute autre considération dans le cadre de ses relations extérieures et en particulier, dans la conclusion des accords commerciaux et le cadre d'approvisionnement de l'UE en matières premières;

    — la mise en danger du droit à la pleine souveraineté des peuples sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles;

    — Mme Julienne Baseke (l'association AFEM du Sud Kivu) a expliqué à quel point les femmes qui cultivaient se tournent de plus en plus vers l'exploitation artisanale des ressources (« maman broyeuses ») pour deux raisons principales:

    * l'insécurité dans les champs liées à la présence des groupes armés, entre autres la stratégie d'éparpillement des FDLR suite aux opérations conjointes Kimya 1 et 2;

    * la logique de « gain rapide » (à la fin de la journée), vu la situation de détresse économique dans laquelle les gens se trouvent.

    Alors que la Commission européenne reconnaît que l'accès de l'industrie extractive à la terre est légitimement limitée en Europe en raison d'une concurrence avec d'autres usages du foncier, cette limitation n'est pas envisagée dans les pays tiers, notamment lorsqu'il y a concurrence entre la production agricole et l'exploitation des ressources naturelles des sols.

    Il y a donc réellement besoin d'un plaidoyer pour que les besoins, et donc la demande, en ressources naturelles des pays de l'UE vers les pays producteurs soit cadrés et ce, afin d'éviter que terres cultivées à des fins alimentaires changent d'utilisation pour devenir des zones d'exploitation de ces ressources, ce qui met à mal la souveraineté alimentaire des populations qui en vivent.

    Un autre élément sur lequel Mme Fisher attire l'attention est l'écoute et la prise en compte des populations locales (voir ce qui a été fait en Amérique latine: du principe de « consentement libre et préalablement informé »). Vu le contexte très particulier de l'Est de la RDC de l'exploitation artisanale, il y a d'autant plus nécessité de tenir compte du positionnement de la société civile et des populations.

    À Kamituga, à 170 km de Bukavu, en décembre 2010, certaines personnes (partenaires et population) ont exprimé leur souhait de voir revenir de grandes compagnies étrangères exploiter le carré minier. C'est le cas notamment à Kamituga où les gisements d'or et de cassitérite, anciennement exploités par la société belge SOMINKI, sont aujourd'hui exploités artisanalement. L'arrivée d'un nouvel opérateur minier permettra, en théorie, de réinvestir dans l'outil minier en déliquescence, depuis la départ de la SOMINKI, et la création d'emplois autour d'une activité minière de type industriel.

    Le remplacement progressif du secteur artisanal, qui représenterait encore aujourd'hui près de 80 % des exportations congolaises, par le secteur industriel est souhaitable à plusieurs égards:

    — L'activité artisanale pose en effet problème en matière de durabilité. Il est par exemple pratiquement impossible d'exercer un contrôle sur l'impact environnemental et sanitaire pour les populations locales des activités des creuseurs artisanaux. Les conditions dans lesquelles ces derniers travaillent sont extrêmement précaires et dangereuses. À Kamituga, en plus des maladies liées au travail de la mine, de nombreux accidents, parfois mortels, sont dénombrés (éboulement des galeries, ensevelissement, etc.). Le succès relatif de l'exploitation artisanale s'explique en partie par ce manque de durabilité. En effet, selon un exemple donné par Didier de Failly (du BEST à Bukavu), il est fort profitable pour un marchand de minerais de commander 15 tonnes à un comptoir sans avoir à investir le moindre centime dans l'exploitation elle-même.

    — L'exploitation artisanale rend également plus difficile la traçabilité des minerais dans la chaîne commerciale et complique ainsi la lutte contre le pillage et l'exploitation illégale des ressources naturelles. Le secteur artisanal pose donc également problème sur le plan économique en matière de durabilité.

    Cependant, Mme Fisher souhaite attirer de nouveau l'attention sur les recommandations relatives au cadre nécessaire à l'activité des entreprises. Sinon, l'urgence de la demande des Congolais risque de déboucher sur d'autres problèmes, comme ceux actuellement vécus par l'Amérique latine, comme au Pérou où l'exploitation des ressources extractives est industrialisée, mais a pour conséquences de nombreux problèmes en termes environnementaux, non-respect des normes de l'OIT, conflits sociaux, ...

    Pour cela, il est nécessaire de renforcer la société civile locale active sur ces questions à cause de la faiblesse et de la division de la société civile au Congo, particulièrement à l'Est (liée entre autres à la paupérisation des membres de la société civile congolaise).

    Une deuxième recommandation concerne le genre. L'exploitation des ressources naturelles a de nombreuses conséquences sur les femmes à l'Est de la RDC (cf. IPIS: coïncidence entre lieux riches en ressources naturelles et politiques de terreur par groupes armés de violences sexuelles et difficultés à travailler la terre).

    Les femmes sont les principales victimes, mais aussi actrices de changement.

    Le réseau belge plaide pour un suivi de la résolution 1325 des Nations unies, qui est un outil politique intéressant. D'abord, parce qu'elle attire l'attention internationale sur une réalité dont il faut tenir compte. Ensuite, cette résolution pose un cadre et donne des balises pour que chaque pays puisse entreprendre des actions concrètes. Enfin, il s'agit d'un instrument utile pour la société civile aussi bien du Sud que du Nord. Avec cette résolution, la société civile dispose d'un outil lui permettant de faire pression pour que les gouvernements prennent leurs responsabilités dans ces matières. En effet, il s'agit d'une loi internationale que les membres des Nations unies sont tenus de respecter. Enfin, cette résolution est également un outil qui peut servir à la formation et à la sensibilisation locale.

    Le problème ne réside donc pas dans l'absence de loi. L'enjeu principal réside aujourd'hui dans l'application et le respect du droit:

    — mise en place de mesures coercitives;

    — mise en place d'outils permettant de mesurer l'impact que cette résolution a sur les femmes (mécanisme de surveillance, indicateurs qualitatifs et quantitatifs permettant d'évaluer sa mise en application);

    — mise en place par la Belgique de politiques d'appui financier aux associations locales.

    En conclusion, Mme Fisher se réfère à la politique extérieure belge du Conseil de sécurité à la Présidence de l'Union européenne.

    Le 31 décembre 2008 a marqué la fin du mandat de la Belgique en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Pendant deux ans, notre pays a en effet fait partie des 15 membres de l'organe onusien chargé du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde.

    En juin 2007, un débat thématique sur l'exploitation des ressources naturelles et ses liens avec les conflits a également été organisé pendant la présidence belge du Conseil de sécurité, ce qui a permis à notre pays de déterminer l'agenda dans cet organe onusien, qui s'attache le plus souvent à traiter en urgence des faits d'actualité.

    Le bilan de l'action accomplie par la Belgique pendant ce mandat est positif et il y a une reconnaissance extérieure pour le travail accompli (vision réaliste et pragmatique appréciée).

    Cependant, Mme Fisher pose trois questions:

    1) Continuité ?

    En décembre 2008, un diplomate de la direction des Nations unies au SPF Affaires Etrangères a confié qu'il ne savait pas encore comment allait être assuré le suivi de la réflexion entamée sur les ressources naturelles. Il faut rappeler les recommandations adressées par le Conseil de sécurité des Nations unies concernant l'exploitation illégale des ressources naturelles en RDC.

    2) Rôle de contrôle du pouvoir exécutif par le pouvoir législatif lors de ce mandat

    La prise en compte de l'avis de l'appareil législatif, ainsi qu'une communication efficace à son égard de la part du personnel diplomatique n'ont pas été correctement assurées.

    Le 14 décembre 2006, la commission des Relations extérieures du Sénat adoptait une résolution établissant une liste de recommandations pour guider l'action de la Belgique (doc. Sénat, nº 3-1969/4). Ces 16 priorités ont parfois été jugées trop ambitieuses, voire irréalisables par certains diplomates à New-York et au SPF Affaires étrangères. Ces derniers insistent sur le caractère urgent du travail quotidien mené au sein du Conseil de sécurité, et donc sur l'impossibilité de le planifier.

    Intérêt de nos parlementaires et de leurs partis politiques respectifs pour les questions internationales:

    * En deux ans de présence de la Belgique au Conseil de sécurité, il y a une seule résolution, visant à recadrer les objectifs et les priorités de l'action de la Belgique au Conseil de sécurité a été adoptée par le Sénat le 12 juin 2008, soit un an et demi après le début du mandat belge.

    * La Belgique assurera la présidence de l'Union européenne lors du deuxième semestre de l'année 2010. C'est donc là une occasion de tirer des leçons du mandat onusien afin d'améliorer l'action internationale de la Belgique.

    Il est important de mettre la question de l'Est de la RDC et de l'exploitation des ressources naturelles comme une priorité de la présidence belge de l'Union européenne.

    3) L'importance d'une prise en compte de la société civile dans la préparation et suivi de ce mandat européen

    En effet, ni la plateforme internet de consultation des citoyens belges, ni les séances de consultation de la société civile organisées par Monsieur Chastel (séances thématiques réunissant les membres de la société civile, où les débats étaient certes enregistrés mais sans dialogue (absence) des représentants des institutions) ne sont suffisantes.

    De plus, Mme Fisher regrette que malgré l'accueil favorable qui a été réservé aux demandes de concertation (rencontres en 2009 et en mars 2010), il y a une tendance à « partitionner » le rôle des uns et des autres au lieu de fonctionner avec une communication triangulaire.

    Enfin, le Réseau belge Ressources naturelles a sollicité une entrevue auprès du ministre Vanackere pour demander que soit organisée une rencontre sur le thème de la gestion des ressources naturelles dans le cadre de la Présidence belge de l'UE avec différents acteurs impliqués dans cette problématique: responsables politiques, acteurs économiques, société civile.


    D.3. Échange de vues

    Un membre du groupe de travail a pu constater, lors d'un récent voyage de commission au Burundi, que les autorités des différents pays de la région des Grands Lacs sont réceptifs à une évolution et à un recadrage de la manière dont les ressources sont exploitées et transformées sur place. Néanmoins, le sénateur se demande si le premier problème, notamment dans l'Est de la RDC, ne réside pas dans le rétablissement d'un État de droit. En effet, régulièrement, des textes sont signés, mais restent souvent lettre morte parce que l'État ne fonctionne pas correctement et la corruption reste particulièrement importante, voire un véritable mode de gestion dans certaines zones.

    Est-il, dans ces conditions, possible de mettre en route la certification des minerais ? De plus, il est à craindre que le mandat de la MONUC prenne fin ou que sa présence soit réduite et que l'on retombe dès lors dans les mauvaises habitudes du passé.

    Un autre membre du groupe de travail estime que pour changer les choses, la solution idéale serait d'arriver à un changement top-down: il faudrait d'abord avoir un bon État de droit et puis appliquer les dispositifs législatifs. Malheureusement, cela ne correspond pas vraiment à la réalité sur le terrain. Néanmoins, l'on a pu constater dans d'autres domaines que, parfois, un certain nombre de dispositifs de pression et un regard particulier, telle que la position que la Belgique a adoptée lorsqu'elle présidait le Conseil de sécurité des Nations unies, permettent de modifier légèrement les choses. Il nous manque toutefois des représentations plus techniques de la situation réelle sur le terrain.

    En ce qui concerne la présidence belge, la sénatrice indique qu'il faut beaucoup de temps avant qu'une chose puisse concrètement être réalisée. Le Parlement européen est une grosse machine qui n'a pas toujours une vitesse de réaction très importante. La Belgique devrait semer un dispositif beaucoup plus général et global, mais cela ne pourra se réaliser pendant cette présidence, ni durant la présidence hongroise. En effet, les nouveaux États membres de l'Union européenne n'ont pas la même sensibilité vis-à-vis des anciennes colonies.

    Un sénateur insiste sur le fait que la Belgique doit jouer un rôle important dans le contexte européen, ce qu'il soutient bien évidemment. L'Europe est à la recherche de mesures concrètes et contraignantes. La mise en pratique reste, néanmoins, extrêmement difficile en raison de la situation sur place.

    Il n'est cependant pas permis d'oublier le contexte mondial. L'Europe paraît assumer le rôle du premier de la classe, mais qu'en est-il de plusieurs autres acteurs de taille tels que les États-Unis, le Canada, la Chine et le Brésil ? Que représentent les efforts des États membres de l'Union européenne par rapport aux activités de ces autres pays ?

    En ce qui concerne les acteurs économiques (les entreprises belges et européennes actives dans la région, entre autres), un autre sénateur voudrait entendre leurs réactions à la réglementation contraignante formulée jusqu'à présent, comme l'obligation de faire rapport. Prennent-ils part aux négociations en la matière ?

    Concernant les entreprises belges, un membre du groupe de travail voudrait savoir quels sont les souhaits des intervenants qui ont évoqué l'absence de rôle du Ducroire.

    Un autre membre souhaiterait savoir s'il existe un État qui se serait doté d'un outil législatif qui vise à interdire la vente de n'importe quelle matière première sur son marché, d'un produit dont il n'aurait pas pu garantir sa provenance et le fait que des taxes auraient effectivement été payées.

    Mme Emmanuelle Devuyst indique qu'un projet de loi est actuellement à l'étude dans le Sénat américain.

    Mme Fisher confirme que la question de l'État de droit et de la bonne gouvernance reste au centre des préoccupations des partenaires congolais. Il faut en effet un État de droit avant de pouvoir avoir un système de contrôle, mais en même temps ce conflit, qui n'a peut-être pas été directement causé par les ressources naturelles, est entretenu et financé par les ressources naturelles.

    L'intervenante est d'accord qu'il s'agit de processus longs, dans lesquels il faut surtout jouer sur la simultanéité et sur l'équilibre nécessaire à trouver entre ownership, diplomatie et en même temps pression et accompagnement. Il faut permettre au pays de se construire, même si cela prend énormément de temps et d'énergie.

    Pour ce qui est du rôle des différents acteurs, ainsi que celui de la MONUC, les associations partenaires se sont clairement positionnées pour une continuité du mandat de la MONUC, car la situation serait pire sans la MONUC.

    En ce qui concerne la société civile, il est vrai qu'elle vit dans une certaine précarité, mais en même temps elle dégage une certaine force: elle a la volonté de faire changer les choses et que le conflit cesse. Il faut utiliser cette force de la population. L'intervenante lance un appel afin que les sénateurs ne rencontrent pas uniquement la société civile « officielle », mais également « l'autre » société civile.

    Quant au processus MIRECA, qui demande une analyse concrète sur le terrain, il est nécessaire de le débuter le plus vite possible.

    Enfin, Mme Fisher met en garde contre les risques d'un discours de boycott, parce qu'il encourage des situations irrégulières.

    M. Warmenbol confirme que le plus grand défi consiste à mener à bien des entreprises dans un pays où l'État de droit est complètement inexistant. L'intervenant est, par contre, agréablement surpris par l'évolution que l'ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives) a connue. Lors du lancement de cette initiative, datant d'il y a quelques années, il ne lui serait jamais venu à l'esprit que la RDC y adhérerait et qu'un premier rapport serait publié trois ans plus tard. En outre, pratiquement toutes les entreprises minières et pétrolières internationales ont adhéré à l'ITIE et ce, volontairement. Plusieurs PDG soutiennent pleinement l'initiative parce qu'une plus grande transparence leur permet d'offrir de meilleures garanties pour leurs contrats à long terme et leur procure davantage de sécurité pour leurs investissements. L'ITIE peut sans aucun doute contribuer au développement d'un État de droit. Les informations étant diffusées partout, la société civile et le parlement exerceront plus de pressions pour que l'État intervienne réellement contre les abus.

    L'intervenant plaide pour que la Belgique lance un signal fort afin de soutenir pleinement cette initiative de manière à ce qu'elle puisse continuer à s'étendre aux régions les plus conflictuelles qui n'avaient délibérément pas encore été incluses dans le projet.

    Comment peut-on empêcher que des minerais provenant de l'exploitation illégale n'entrent dans le circuit ? Il existe deux possibilités: le processus de Kimberley et le devoir de diligence. Le processus de Kimberley a prouvé que le mécanisme de certification est possible et a contribué à compliquer énormément l'exploitation illégale de diamants, dès lors que des mesures concrètes (sanctions économiques) sont prises lorsque l'on sait que des diamants illégaux sont en circulation en Europe.

    Par ailleurs, il y a l'aspect du devoir de diligence. Différentes études ont été lancées au niveau européen pour découvrir comment les entreprises peuvent faire en sorte, dans le cadre de leur politique d'achat, que tous les minerais qu'elles achètent soient produits correctement. L'intervenant cite l'exemple de Coca Cola qui, en raison de la violation des droits de l'homme dans une de ses filiales en Colombie, a engagé un processus approfondi de contrôle de tous ses fournisseurs et de toutes les filiales de distribution de ses produits.

    En ce qui concerne l'Office national du ducroire, ce dernier applique des directives basées sur celles de l'OCDE concernant les organismes de crédit à l'exportationqui ne sont cependant pas contraignantes. Il faudrait donc, au niveau européen, tendre vers des directives concernant l'application concrète de clauses relatives aux droits de l'homme, aux aspects sociaux et environnementaux. Il faut en tout cas engager le débat sur l'adaptation de la loi relative à l'Office national du ducroire aux différentes initiatives concernant un contrôle accru exercé par l'État.

    Enfin, il existe encore une troisième possibilité: un mécanisme de contrôle indépendant pourrait exercer un contrôle en cas de doutes quant à l'implication de certains crédits couverts dans l'un ou l'autre problème relatif aux droits de l'homme. De cette manière, l'Office national du ducroire pourrait prendre lui-même plus de précautions afin qu'une telle chose ne se reproduise pas à l'avenir.

    Une sénatrice revient sur l'utilisation du processus de Kimberley pour la certification des minerais. Une étude aurait démontré que la particularité des minerais utilisés ne permet pas une traçabilité maximale, contrairement à ce qui se passe avec les diamants. Il faut établir un certain nombre de critères différents et bien déterminer la localisation avec ses spécificités, ce qui rend la procédure de transaction commerciale très complexe.

    Un autre sénateur raconte le cas d'un directeur de mine, de nationalité belge, qui avait été renvoyé parce que les Congolais voulaient administrer la mine eux-mêmes. Ce directeur a toutefois été rappelé à plusieurs reprises pour reprendre la mine en main. À l'époque, les mines étaient tout simplement pillées. Les choses ont-elles si peu changé depuis lors ?

    M. Warmenbol indique que toutes les entreprises d'État ont fait faillite: la production est retombée à un dixième de ce qu'elle était dans les années 70. Un processus de révision a dès lors été enclenché et l'ensemble du secteur a été réformé. Actuellement, il ne subsiste plus que des joint ventures dans lesquelles les décisions essentielles concernant la production sont du ressort des investisseurs privés.


    E. Audition du 20 avril 2010


    1. Exposé de M. Michel Defays, World Mining Company

    L'orateur a travaillé pour SIPEF (à Schoten) et le groupe sucrier belge. Il a géré à l'Est du Congo, les plantations de quinquina, de café et de thé où il y avait à l'époque plus de 3 000 travailleurs. Au moment des problèmes que le Congo a connus à la fin du Mobutisme, ces deux sociétés ont décidé de quitter la région et avec divers travailleurs, une nouvelle société a été créée par le biais du système d'un management buy out. Ce groupe, le plus important à l'Est du Congo, compte quelque 1 500 travailleurs (car 1 000 travailleurs ont été perdus, comme mentionné plus bas). Ceux-ci sont répartis dans plusieurs sociétés Il est actif en Ouganda dans le transport fluvial. Le groupe travaille avec des sociétés de recherche pétrolière sur le lac Albert (Heritage et Thulow). À Bunia, le groupe approvisionne le PAM et ESCO, une société qui amène la nourriture pour les forces de la MONUC.

    Le groupe est aussi actif à Beni, Butembo et Bunia dans le café, le quinquina et la papaïne. À Bukavu, le groupe s'occupe des minerais pendant déjà 19 ans. Au Burundi, la société a un laboratoire de développement de plantes in vitro en collaboration avec différents acteurs belges dans le domaine de la coopération au développement.

    Il y a deux ans, la plantation de thé de l'entreprise dans les Massisi avec 1 000 travailleurs a été entièrement détruite à cause des combats entre la CNDP et l'armée congolaise.

    À Bukavu, le groupe travaille 1 500 tonnes de cassitérite par an et de la wolframite. Il est très peu actif dans la colombo-tantalite parce qu'à l'heure actuelle, les prix ne sont pas intéressants. Le groupe a une usine performante de traitement de minerais, elle lui permet par exemple de retirer plus ou moins 2 % de colombo-tantalite/tonne de cassitérite.

    Le traitement de minerais consiste surtout à travailler sur les densités et l'électromagnétisme ainsi un minerais de 50 % de teneur en étain peut après traitement arriver à 75 % de teneur au maximum. Au-delà, il faut appliquer la technique de la fonderie.

    Le groupe a été souvent décrié. La région est très complexe et vit une situation de guerre larvée. La Monuc estime qu'il y a encore 4 000 à 5 000 de FDLR, anciens génocidaires ou militaires du Rwanda à l'Est du Congo. Ils ont été soutenus par le régime de Kabila et ils ont été très proches de l'armée congolaise d'où la difficulté de les déloger. Ce sont en tout cas de grands travailleurs bien intégrés, beaucoup ont épousé des Congolaises avec lesquelles ils ont des enfants d'où la difficulté pour l'armée de les considérer comme des ennemis. Il y a bien sur quelques groupes armés incontrôlés, mais ceux-ci ressemblent plus à des pilleurs de routes qu'à d'anciens combattants.

    La solution réside dans le dialogue. Il faut impérativement que ces gens soient désarmés et éloignés des frontières rwandaises, il faut également leur permettre de s'installer dans le pays. Le Congo de l'Est dépend essentiellement du minier. Le minier comprend les minerais, mais aussi l'or, et l'absence de réseaux routiers fait que les gens se ruent vers le secteur minier. Toutefois, les militaires qui contrôlent les mines jouent un rôle de garde-fou et évitent l'anarchie. Ils sont armés mais ne sont pas payés, ce qui est une combinaison très dangereuse. Les militaires n'empêchent cependant pas que les mines fonctionnent de manière plus ou moins normale. Les enfants des mineurs peuvent fréquenter l'école et n'aident généralement leurs parents que le weekend ou les jours fééries. Les conditions de vie sont loin d'être celles que décrivent Global Witness ou d'autres NGO qui ont fait de ce sujet leur fond de commerce. Dans l'Est du Congo, 300 000 à 400 000 personnes vivent directement ou indirectement du secteur minier, ce secteur évite donc à la région la reprise d'une guerre certaine.

    Beaucoup de routes sont en cours de réhabilitation actuellement. Les Chinois en sont souvent les maîtres d'œuvre mais bon nombre de ces travaux se font avec l'argent de la Banque mondiale et de l'Europe.

    En tout cas, le développement du pays doit passer impérativement par le développement de l'activité agricole, mais en attendant la population doit vivre. La vie de certains mineurs n'est pas facile, mais en Belgique aussi, il y a 100 ans, les conditions de travail étaient comparables à celles du Congo aujourd'hui.

    Les personnes qui travaillent dans la cassitérite gagnent à peu près 10 $ par jour, ce qui représente un salaire énorme pour le Congo. Un travailleur gagne en moyenne 2 à 3 $ par jour.


    2. Échange de vues

    Un membre du groupe de travail désire savoir comment fonctionne le secteur minier. Il semble exister un système instable de corruption et d'activité dans lequel l'État ne joue pas un rôle très important en tant qu'acteur économique.

    M. Defays répond qu'il y a deux secteurs miniers au Congo: le secteur de l'or qui n'est plus du tout contrôlé par les entreprises. Dans ce secteur, il s'agit de petits acheteurs et l'or représente à peu près 2 tonnes par mois, soit l'équivalent de 40 millions de dollars, entre l'Ituri, les deux Kivu et le Maniema. Cet argent est injecté dans la région, mais il échappe au contrôle de l'État. Les Congolais ont fait de l'or une monnaie d'échange stable qui leur permet d'effectuer des transactions avec d'autres pays. Le Burundi était un grand acheteur d'or congolais. Le Congo impose une taxe de 3 % sur le commerce de l'or si celui-ci est lucratif, il est également très volatile sur les marchés internationaux. Il gène le secteur des autres minerais car il est totalement informel. Aucun opérateur officiel n'a envie d'y travailler. Le seul opérateur qui voulait y travailler et qui achetait 40 kilos par semaine a été arrêté en Belgique voici quelques années suite à une plainte du gouvernement congolais contre X, ce qui a ôté à certains acheteurs l'envie de s'installer au Congo. Cette personne continue a opérer officiellement au Congo dans le commerce du minerais.

    Pour qu'on puisse recommencer le commerce de l'or d'une manière normale, il faut revoir la taxation parce que les pays limitrophes ne taxent pas ou très peu. Il faut savoir que le commerce de minerais représente la moitié de celui de l'or.

    La plupart des mines ne sont accessibles que par avion. Or les avions atterrissent sur deux aéroports: Goma et Bukavu. Chaque minerai est reconnaissable par son aspect. La cassitérite a différentes couleurs selon son origine d'extraction. Quand elle arrive dans un aéroport elle n'est pas encore baptisée mais quand elle arrive dans les centres urbains les origines sont mélangées. On aurait dû prévoir depuis longtemps des centres de contrôle dans les aéroports parce que leur passage à cet endroit constitue un moment clef.

    La région de Walikalé au Nord, produit grosso modo 12 000 tonnes de cassitérite par an. D'après une ONG, on a constaté qu'il manquait 4 000 tonnes aux exportations des comptoirs de Goma. Il faut savoir que les minerais contiennent des déchets comme le quartz, le titane et du fer, une partie est donc perdue. Une autre partie se trouve au Rwanda. Par ailleurs, les négociants sont contrôlés par le ministère des Mines et sont souvent des indépendants. Ils achètent à l'intérieur du pays, où on ne fait le commerce qu'en dollars, le franc congolais étant peu utilisé. Les gens y échangent aussi des minerais contre des prestations pour se faire soigner par exemple, c'est le système du troc. Les négociants stockent leurs biens et les font transiter à l'intérieur par un aéroport. Il faut construire des centres de négoce qui permettent de créer une traçabilité.

    De plus, il faut aussi compter sur les échanges frontaliers. Beaucoup de femmes congolaises vont chercher de la nourriture au Rwanda. L'on peut donc éviter ainsi que des minerais partent vers le Rwanda, qui est le pays le plus concerné: 3 à 4 mille tonnes de cassitérite qui proviennent du Congo y sont travaillées chaque année. L'orateur ne croit pas que ce commerce puisse être évité, mais il faut le contrôler officiellement vers ce pays. On y traite également du coltan congolais pour éviter la lourde taxation au Congo pour un produit de faible valeur.

    Il y a un projet belge qui envisage d'établir une cartographie de tous les sites en ciblant toutes les zones minières afin de déterminer si elles sont susceptibles d'être exploitées avec l'aval des autorités locales et de la Monuc.

    Un autre membre du groupe de travail estime que l'instabilité à l'Est du Congo est largement alimentée par le trafic illégal. Le gouvernement se montre-t-il sensible à ces contrôles à l'aéroport et est-ce qu'il y a d'autres interlocuteurs, outre le groupe de l'orateur ? Pourquoi éprouve-t-on tellement de problèmes au niveau du traitement du coltan ? Le redéploiement des activités agricoles pourrait-il se faire dans un climat serein étant donné la polarité qui règne dans la région de l'Est du Congo ?

    M. Defays répond que tout le monde ne peut pas aller dans les mines. La plupart des gens travaillent dans les villes. En moins de 10 ans la ville de Goma est passée de 100 000 habitants à quelques 400 000 habitants. Probablement elle dépassera le million d'habitants d'ici 2015. Le grand problème des pays de l'Afrique centrale est la démographie galopante. Quand les routes s'ouvriront, les gens quitteront les centres urbains dans lesquels ils vivent très mal. À l'heure actuelle, ils reçoivent de l'aide alimentaire des ONG ou du PAM. Il faut en tout cas inciter les gens à rentrer dans les campagnes. Il faut au lieu d'établir d'abord des dispensaires ou des écoles, créer des conditions acceptables pour que les gens puissent quitter les villes. Maintenant, certaines ONG font l'inverse et les gens ne peuvent souvent pas envoyer leurs enfants dans les écoles faute de moyens.

    Les gens se tournent en priorité vers l'or qui est monté à 1 150 dollars/once par rapport à la colombo-tantalite, qui commence seulement à augmenter. L'étain rapporte à l'heure actuelle 18 000 dollars/tonne, ce qui représente le quadruple d'il y a quelques années.

    Le plus grand producteur de coltan est l'Australie avec qui les utilisateurs ont conclu des contrats assez importants. La Congo reprendra la production de coltan quand le prix atteindra 40 ou 50 dollars/once.

    Le groupe de l'orateur se composait de deux sociétés: d'une part WMC et, d'autre part, MDM. Cette dernière a été fermée parce qu'elle avait une capitalisation insuffisante. Des achats ont été faits entre 15 et 20 tonnes sur cette société avant sa fermeture. Ce tonnage a été épinglé par le responsable principal de la commission de l'ONU sur l'exploitation des minerais, M. Matani. Ce petit tonnage est passé dans la société WMC par la voie officielle. L'orateur estime que la commission s'était montrée incompétente et de mauvaise volonté, en effet elle n'a pas accepté les documents officiels transmis par WMC concernant ce tonnage parce Monsieur Matani considérait que tous les documents pouvaient s'acheter au Congo (sic) et de plus elle n'a jamais interrogé des représentants de la société à ce sujet.

    Or, quand la société charge un conteneur de minerais, il y a dix services de l'État qui la contrôlent. Les fraudes se produisent bien avant ce stade. Dès lors, il s'agit d'accusations gratuites.

    Un membre du groupe de travail estime que les revenus de l'exploitation des matières premières ne profitent pas aux Congolais. Les entreprises dans l'Est du Congo peuvent-elles contribuer à la reconstruction de cette région ? La certification en tant que telle a-t-elle lieu dans les centres de négoce situés à l'intérieur des aéroports ? Les entreprises ne pourraient-elles pas faire en sorte que cette certification soit effectuée dans les mines elles-mêmes ?

    M. Defays répond que la population locale bénéficie bien de l'extraction de minerais. La taxation pose problème parce la majorité des impôts est détournée, les contrôleurs n'étant pas rémunérés ils agissent ainsi avec les creuseurs et les négociants. Le gouvernement doit combattre le travail informel mais il doit aussi assumer ses responsabilités. Les comptoirs paient les taxes auxquelles ils sont soumis, et l'orateur estime que dans ce domaine il n'y a pas de fraude.

    La BGR (Bundesanstalt für Geowissenchaften und Rohstaffe) a organisé deux réunions dans la sous-région, l'une à Bukavu et l'autre à Bujumbura, en collaboration avec l'organisation internationale des migrations et la Coopération allemande, elle envisage de construire les premiers centres de négoce dès le mois de juin, le but des réunions était de déterminer les sites de ces centres et de clarifier avec les pays limitrophes la nécessité d'acheter et de payer les taxes des minerais entrant chez eux à la RDC. Ils veulent également établir une empreinte des divers origines des minerais afin d'établir in fine un certificat de traçabilité.

    La présidente-rapporteuse,
    Els SCHELFHOUT.