4-533/6

4-533/6

Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

21 AVRIL 2009


Proposition de résolution visant à lutter contre les mutilations génitales féminines


TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET LA DÉFENSE


Le Sénat,

Considérant que les mutilations génitales féminines constituent une violation fondamentale des droits des femmes et des filles et qu'il s'agit d'une pratique qui les prive de leur droit de disposer des meilleures conditions possibles de santé, de leur droit de vivre à l'abri de toutes les formes de violence physique et mentale, de préjudices corporels ou de maltraitance, de leur droit d'être protégées des pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants et des femmes, de leur droit de prendre des décisions en matière de procréation sans être victimes de discrimination, de coercition et de violence, de leur droit de vivre à l'abri des préjugés et d'autres pratiques fondées sur l'infériorité ou la supériorité présumée de l'un des deux sexes ou sur l'attribution aux hommes et aux femmes de rôles stéréotypés;

Considérant que l'interdiction des mutilations génitales féminines constitue un impératif démocratique et un respect incontestable des droits humains;

Considérant que les Nations unies et l'Union européenne exigent de leurs États membres qu'ils prennent des mesures appropriées pour modifier ou abolir les règles, coutumes et pratiques existantes et qui constituent une violation des droits humains et une discrimination à l'égard des femmes;

Considérant que différents gouvernements d'Afrique et d'ailleurs ont déjà pris certaines mesures afin d'éradiquer les pratiques de mutilations génitales féminines dans leur pays (loi d'interdiction, programmes de prévention ou d'éducation);

Considérant que certains pays, comme le Burkina Faso qui, après avoir pris de telles mesures et grâce aussi au travail accompli par les ONG sur le terrain, ont vu le risque d'excision chez les jeunes filles de 15 à 19 ans diminuer de moitié par rapport aux femmes plus âgées;

Considérant que de nombreux pays (Belgique, Pays-Bas, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suède, Royaume-Uni, États-Unis) ont déjà adopté des législations spécifiques visant à incriminer la pratique des mutilations génitales féminines;

Considérant la nécessité d'agir au sein des communautés étrangères ou d'origine étrangère installées en Belgique en les sensibilisant aux conséquences graves de ces mutilations sur la santé des femmes de manière à éviter la prolifération de telles pratiques proches de la torture;

Considérant l'influence importante dont jouit le gouvernement belge à l'égard de certains pays où se pratiquent les mutilations génitales féminines;

Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme;

Vu le Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques;

Vu la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;

Vu la Convention internationale des droits de l'enfant;

Vu la Convention européenne des droits de l'homme;

Vu la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant;

Vu le protocole de Maputo du 11 juillet 2003, signé par 53 chefs d'État de l'Union africaine et dont l'article 3 spécifie que les mutilations sexuelles doivent être interdites et sanctionnées;

Vu le Code pénal qui incrimine la pratique, la tentative ou la facilitation des mutilations génitales féminines (art. 409), qui lève le secret professionnel des personnes confrontées à des cas de mutilations sexuelles (art. 458bis) et qui prévoit que le délit de non-assistance à personne en danger s'applique à toute personne qui ne signale pas le danger qu'encourt une fillette menacée de mutilations génitales (art. 422 bis);

Vu la proposition de résolution relative aux mutilations sexuelles votée à l'unanimité au Sénat le 4 mars 2004 (doc. Sénat, nº 3-523/1 et 2);

Considérant que malgré l'arsenal législatif belge, européen et international, les mutilations génitales féminines ont toujours lieu et qu'il convient dès lors de prendre une série de nouvelles mesures visant à les combattre;

Demande au gouvernement en concertation avec les entités fédérées:

1. En ce qui concerne les outils juridiques ou autres dont dispose la Belgique:

— la mise en place, suite au Plan d'action national de lutte contre les violences entre partenaires 2004-2007, d'un nouveau plan d'action élaboré en concertation avec les entités fédérées et de l'étendre à l'ensemble des violences faites aux femmes, dont les mutilations génitales féminines. Ce plan détaillera l'ensemble des objectifs repris ci-dessous;

— d'assurer la mise en œuvre de la loi belge en veillant à la poursuite sur le territoire belge de tous les auteurs de mutilations génitales féminines pratiquées au sein des communautés étrangères ou d'origine étrangère vivant en Belgique;

2. Concernant la sensibilisation et la formation:

— de rédiger et de mettre en œuvre un protocole relatif à la protection des petites filles exposées au risque de mutilations génitales féminines, de manière à établir des directives claires destinées aux professionnels qui sont confrontés à ces petites filles. Un groupe de travail devra élaborer ce protocole qui contiendra également toutes les recommandations énumérées ci-après au point 2;

— de poursuivre et systématiser les efforts d'information et de sensibilisation auprès des professionnels de l'éducation et de la santé (médecins, gynécologues, centres de planning familial, ...), notamment par le biais de brochures, de réunions d'information, ..., et plus particulièrement de clarifier la problématique à laquelle les gynécologues sont directement confrontés, à savoir le débat sur le plan éthique et légal en matière de réinfibulation, d'incision symbolique et de chirurgie esthétique;

— de veiller tout particulièrement à la sensibilisation du personnel de l'ONE et de Kind en Gezin en contact permanent avec ces femmes, petites filles ou nouveaux-nés lors des consultations prénatales et consultations-dépistage;

— d'assurer une formation continue des différents professionnels travaillant avec les communautés concernées par les MGF, en particulier dans le secteur de l'accueil et de l'intégration;

— de mener des actions d'information et de sensibilisation ciblées (notamment les femmes enceintes et les jeunes mères) auprès des populations concernées en évitant toute stigmatisation;

3. En ce qui concerne les associations:

— de renforcer le soutien aux associations qui ont pour objectif d'œuvrer en faveur de l'abolition des mutilations génitales féminines et de les aider dans la coordination de leurs actions;

4. En ce qui concerne les frais médicaux:

— de prendre en charge les frais liés aux actes médicaux spécifiques visant à remédier aux conséquences néfastes des mutilations génitales féminines (chirurgie réparatrice et/ou reconstructrice, suivi kinésithérapeutique, suivi ethno-psychiatrique, ...);

5. Sur le plan international:

— de mobiliser tous les efforts politiques, diplomatiques et économiques afin d'interdire les mutilations sexuelles féminines dans les pays où elles sont pratiquées et en particulier dans les pays de concentration de l'aide belge au développement;

— de sensibiliser les ambassades et les consulats belges présents dans les pays qui connaissent un nombre élevé de femmes victimes de mutilations génitales féminines, en leur demandant notamment d'informer clairement les personnes demandant un visa pour la Belgique de l'existence de la loi belge interdisant et sanctionnant les mutilations génitales féminines;

— de prévoir un volet de lutte contre les mutilations génitales féminines avec chaque pays au sein duquel intervient la Belgique au titre de la coopération et qui est concerné par les mutilations génitales féminines: Mali (92 % des femmes entre 15 et 49 ans sont concernées), Sénégal (28 %), Bénin (17 %), Tanzanie (18 %) et Niger (5 %);

— de conclure des accords en matière de lutte contre les mutilations génitales féminines également dans les pays non partenaires où la Belgique n'intervient pas au titre de la coopération au développement, mais où les MGF sont très fréquentes. Il s'agit plus particulièrement du Soudan (89 %), de la Somalie (98 % d'infibulation), de la Guinée (99 %) et de l'Éthiopie (85 %);

— de soutenir, dans les pays partenaires de la coopération où se pratiquent les mutilations génitales féminines, les initiatives locales visant à protéger les petites filles qui vont en vacances dans leur pays d'origine, ou de développer des programmes en faveur des petites filles et des femmes qui cherchent de l'aide dans leur pays d'origine lorsqu'elles ne veulent pas être excisées. En outre, dans la plupart des pays d'Afrique, il existe des projets communautaires efficaces visant à changer les comportements, qui attendent une plus large diffusion, par exemple les initiatives « rite de passage », dialogue entre les générations, approche de la situation, etc.;

— d'assurer le suivi de la ratification du protocole de Maputo, signé le 11 juillet 2003 par 53 chefs d'État de l'Union africaine et dont l'article 3 spécifie que les mutilations sexuelles doivent être interdites et sanctionnées;

— d'enseigner l'expertise médicale en matière de chirurgie réparatrice, visant à remédier aux conséquences des mutilations génitales féminines, aux pays où les mutilations génitales féminines sont fréquentes;

6. Concernant le statut de réfugié:

— de veiller à l'application effective des nouvelles dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement (article 48/3) telle que modifiée par la loi du 17 septembre 2006, qui prévoient entre autres que le statut de réfugié peut être accordé aux personnes qui subissent ou qui risquent des subir des actes de persécution « en raison de leur sexe », lesquels peuvent notamment viser les mutilations génitales, comme le précise l'exposé des motifs de la loi du 17 septembre 2006;

7. Au niveau européen:

— de prendre une initiative pour obtenir des pays où se pratiquent des mutilations sexuelles et qui n'ont pas encore de législation condamnant ces pratiques, qu'ils introduisent la condamnation de ces pratiques dans leur code pénal et, dans le cadre de la présidence belge de l'UE en 2010, d'inscrire cette problématique à l'agenda européen et d'oeuvrer à l'élaboration d'un plan stratégique commun visant à mettre fin à la pratique des mutilations génitales en Europe et dans le monde;

8. Sur le plan national:

— de mener une enquête afin de mieux connaître l'ampleur des mutilations génitales en Belgique et de remettre les résultats au Sénat au plus tard le 1er janvier 2010.