4-839/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

27 JUIN 2008


Proposition de résolution concernant l'observation et l'évaluation de l'application des principes et recommandations de bonne gouvernance d'entreprise

(Déposée par Mme Joëlle Kapompolé et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de résolution reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 9 mars 2007 (doc. Chambre, nº 52-2985/001).

En Belgique, des dispositions s'inspirant de la théorie de la gouvernance d'entreprise ont été insérées à partir des années 80 dans la législation s'appliquant aux sociétés commerciales. Elles ont été renforcées en 2002 (loi du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés et la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition, dite « loi de corporate governance »).

À côté de ces dispositions légales, deux récentes initiatives d'autorégulation ont été prises.

La Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA), Euronext Brussels et la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) ont pris l'initiative commune de créer une Commission « Corporate Governance », qui a élaboré le Code de « best practice », dit « Code Lippens », qui est censé s'appliquer à toutes les sociétés cotées en bourse depuis le 1er janvier 2005 (date fixée par le Code Lippens lui-même) et peut servir de référence à toutes les autres sociétés.

Par ailleurs, l'Union des classes moyennes (UCM) et UNIZO ont également créé une Commission qui a élaboré le Code de « best practice » dit « Code Buysse », censé s'appliquer aux entreprises non cotées en bourse, depuis septembre 2005.

Enfin, depuis octobre 2004, l'affaire dite « Picanol » et les faiblesses de l'autorégulation mises en relief à cette occasion ont précipité une véritable offensive législative en matière de publicité des rémunérations des dirigeants d'entreprises. Un projet de loi, complétant le Code des sociétés par des dispositions relatives à la publicité des rémunérations des administrateurs et des dirigeants de sociétés cotées en bourse et de sociétés de droit public, a été adopté au Sénat (1) le 9 décembre 2004 avant d'être rejeté à la Chambre des représentants, le 18 avril 2008 (2) . Plusieurs propositions de loi relatives à la publicité des participations et des rémunérations individuelles des dirigeants d'entreprises cotées en bourse ont parallèlement été déposées à la Chambre (3) .

Ces derniers événements amorcent le débat concernant la voie juridique à utiliser pour amener les entreprises à respecter les principes et recommandations de gouvernance d'entreprise: il faut, pour chacun de ces principes et chacune de ces recommandations, se demander s'il convient de l'insérer dans un cadre légal ou dans un cadre autorégulé.

Plusieurs propositions de résolution et de loi ont été déposées à la Chambre, pour tenter de déterminer les règles devant s'inscrire dans l'autorégulation et celles à insérer dans le cadre légal belge. De nombreuses auditions ont commencé début 2005 concernant ces propositions. Toutefois, force est de constater qu'il n'a pas été possible de déterminer avec certitude la forme de régulation adaptée à chacune des règles de bonne gouvernance d'entreprise proposées depuis 2004.

Joëlle KAPOMPOLÉ
Olga ZRIHEN
Christianne VIENNE
Christophe COLLIGNON.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. considérant les règles de corporate governance actuellement intégrées dans le cadre légal belge, notamment via la loi du 2 août 2002 modifiant le Code des sociétés et la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition, et les récentes initiatives d'auto-régulation prises en Belgique et ayant abouti à l'adoption de codes de bonnes pratiques, tels que le « Code Lippens » et le « Code Buysse »;

B. considérant les nombreuses propositions déposées au Sénat et à la Chambre des représentants dans le but de tenter de déterminer les règles devant s'inscrire dans un mécanisme d'autorégulation et celles à insérer dans le cadre légal belge;

C. considérant l'agenda dicté par l'Union européenne et les nombreuses directives adoptées récemment, en vue de la modernisation du droit des sociétés: directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE, dite directive « transparence »; directive 2006/43/ce du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil, et abrogeant la directive 84/253/CEE du Conseil; directive 2006/46/ce du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, 83/349/CEE concernant les comptes consolidés, 86/635/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établissements financiers, et 91/674/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises d'assurance;

D. considérant les exigences de la directive 2006/46/CE imposant aux sociétés cotées d'indiquer des informations minimales à faire figurer dans la déclaration de gouvernement d'entreprise, devant être insérées dans leur rapport de gestion ou dans un rapport distinct relativement à la désignation du code de gouvernement d'entreprise que la société a décidé d'appliquer volontairement ou auquel elle est soumise, ce qui laisse aux États membres la liberté de choisir la voie juridique la plus appropriée (voie légale et/ou voie autorégulatoire) pour appréhender les règles de bonne gouvernance d'entreprise, et sachant que la transposition de cette directive doit se faire pour septembre 2008;

E. considérant la directive 2006/43/CE qui contient des règles relatives à la composition et aux compétences de comités d'audits (ou, dans certaines circonstances, de l'organe de gestion) au sein d'entités d'intérêt public (sociétés cotées, établissements de crédit et compagnies d'assurance) et tenant compte du fait que cette directive doit être transposée pour le 29 juin 2008;

F. considérant les nombreux débats et les auditions menés à la Chambre des représentants, depuis 2005, à propos de la voie juridique à utiliser pour amener les entreprises à respecter les principes et recommandations de gouvernance d'entreprise (voie légale ou voie autorégulatoire);

G. considérant qu'à l'issue de ces débats, les avis restent partagés quant à la nécessité pour le législateur d'intervenir en matière de gouvernance d'entreprise, soit pour confirmer par la loi certains principes et recommandations de bonne gouvernance, soit pour déterminer les effets juridiques liés à l'application desdits principes et recommandations, et tenant compte du fait de la nécessité de pouvoir dégager des « standards internationaux », afin de garantir la sécurité juridique des opérateurs (ex: la notion d'administrateur « indépendant » n'a pas de définition uniforme selon qu'on se réfère au Code des sociétés belge — article 524 — ou au « Code Lippens »);

H. considérant l'importance de la problématique de la bonne gouvernance des entreprises, en raison de ses dimensions économiques, sociales et éthiques, et la nécessité d'encadrer au mieux la gestion des sociétés, afin de promouvoir une gestion davantage respectueuse de toutes les parties prenantes;

I. considérant la nécessité, dans notre système juridique, de situer l'application de codes de bonne conduite dans un modèle économique et social européen, avec un ancrage légal et un ancrage dans la concertation sociale, et de faire en sorte que la gouvernance d'entreprise ne soit pas considérée comme une forme de dérégulation.

Demande au gouvernement:

1. la mise en place, au sein du Conseil central de l'Économie, d'une Commission d'observation de l'application et de l'évaluation des principes et recommandations de bonne gouvernance d'entreprise. La Commission d'observation sera composée, d'une part, des partenaires sociaux membres du Conseil central de l'Économie et d'un représentant de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA), et, d'autre part, à titre d'experts, de représentants des investisseurs, d'Euronext et de l'Institut des réviseurs d'entreprises;

2. l'organisation, au sein de cette « Commission d'observation », d'une évaluation des codes, mais aussi des règles de bonne conduite auxquelles les entreprises établies actuellement en Belgique peuvent adhérer et portant, principalement, sur les critères suivants:

a) contrôle des dispositions d'un code de gouvernance:

i) quantité et nature des interventions de la CBFA concernant les sociétés cotées, sachant que l'évaluation du « Code Lippens » ne doit pas rester au stade d'un simple contrôle formel;

ii) concernant les sociétés non cotées et les petites PME, quels sont les instruments mis en place pour l'application de règles de bonnes pratiques et qui en assure le contrôle et le suivi ?

iii) dans quelle mesure les sociétés, en général, appliquent-elles un code de gouvernance ?

iv) quelles sont les dispositions généralement non appliquées ou appliquées de manière différente par les sociétés ?

v) quelle est la nature et la portée de la non-application de dispositions d'un code de gouvernance ou d'une partie d'un code choisi par la société et quelles sont les sanctions, tant vis-à-vis de la société qu'au regard des tiers ?

vi) quel organe a généralement en charge la surveillance de l'application des règles de gouvernance ?

b) publicité des rémunérations: la directive « transparence » reconnaît que le pendant nécessaire à l'application d'un code de bonne conduite est le niveau de transparence de la société, qu'en est-il dès lors quant:

i) au respect des prescriptions de bonne gouvernance d'entreprise sur la transparence et l'équité des rémunérations ?

ii) au type de justifications utilisées en cas de non-respect de ces prescriptions, au type d'informations publiées (intègrent-elles les éléments suivants: rémunération fixe et/ou variable, publication globale et/ou individuelle relativement à quel organe) ?

iii) aux régimes de départ, options sur actions octroyées aux managers, pensions, assurances, les avantages de toute nature sont-ils pris en considération ?

iv) à la manière dont les sociétés, en général, publient ce type d'informations et quant à leurs certifications ?

v) à la manière dont, au regard de ces données, la politique salariale de l'entreprise est déterminée ?

c) désignation des administrateurs indépendants:

i) qui sont-ils ?

ii) quels sont les critères retenus pour leur « indépendance » et combien sont-ils au sein des différentes instances sociétales ?

iii) cumulent-ils d'autres mandats (retrouve-t-on un certain nombre de personnes nommées comme « administrateurs indépendants » dans un certain nombre d'entreprises n'appartenant pas à un même groupe d'entreprises) et existe-t-il des incompatibilités ?

iv) quel est le rôle du conseil d'entreprise dans la nomination de ces administrateurs indépendants (a-t-il été informé, consulté) ?

d) comités consultatifs:

i) quelle est leur composition, ainsi que l'étendue de la responsabilité de leurs membres ?

ii) de quelle manière est définie la notion « d'intérêt social » dans la politique stratégique à laquelle ils participent ?

e) surveillance du contrôle interne:

i) au regard des exigences de la directive 2006/46/CE, comment les sociétés cotées organisent-elles la supervision du contrôle interne ?

ii) y-a-t-il un ou plusieurs administrateurs indépendants dans les comités d'audit ?

iii) des sociétés ont-elles permis à leur conseil d'administration de se constituer lui-même en comité d'audit, après justification auprès de l'assemblée générale ?

iv) de quelle manière les sociétés non cotées assurent-elles leur contrôle interne ?

v) quel est, généralement, l'organe responsable de cette surveillance; rédige t-il un rapport à cet effet ?

f) information des conseils d'entreprises: dans quelle mesure les conseils d'entreprises sont-ils informés des principes et recommandations de bonne gouvernance d'entreprises appliqués à titre d'informations économiques et financières essentielles ?

g) parité de genre dans les organes de gestion: quelle est la proportion hommes/femmes au sein des conseils d'administration, voire des instances exécutives des sociétés cotées et des entreprises publiques autonomes ?

h) transparence en matière environnementale et sociale: dans quelle mesure les sociétés cotées indiquent-elles dans l'annexe aux comptes annuels ou aux comptes consolidés des informations environnementales et sociales nécessaires à la compréhension du développement, de la performance et de la situation de la société ?

i) publicité des opérations effectuées hors bilan: dans quelle mesure les sociétés cotées indiquent-elles, dans l'annexe aux comptes annuels ou aux comptes consolidés, les opérations hors bilan, telles que définies par la directive 2006/46/CE ?

3. le dépôt au Sénat d'un rapport de cette Commission d'observation portant essentiellement sur les critères énoncés au point 2, sachant que la Commission d'observation remettra son premier rapport au plus tard le 1er février 2009.

19 juin 2008.

Joëlle KAPOMPOLÉ
Olga ZRIHEN
Christianne VIENNE
Christophe COLLIGNON.

(1) Doc. parl., Sénat, no 3-872/8.

(2) Doc. parl., Chambre, no 51-1502/009.

(3) Voyez, notamment, la proposition de loi modifiant le Code des sociétés et la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition en vue de garantir la transparence des salaires et avantages de toute nature dont jouissent les dirigeants, doc. parl., Chambre, no 51-243/001.