4-678/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

25 JUIN 2008


Proposition de résolution visant à lutter contre les prétendus crimes d'honneur en Belgique

La question de la violence liée à l'honneur en Belgique


RAPPORT

FAIT AU NOM DU COMITÉ D'AVIS POUR L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES PAR

MMES de BETHUNE ET DURANT


I. INTRODUCTION

La proposition de résolution visant à lutter contre les prétendus crimes d'honneur en Belgique a été déposée le 8 avril 2008.

Le Comité d'avis pour l'Égalité des Chances entre les femmes et les hommes avait déjà organisé des auditions les 13 et 27 février 2008, dans le cadre de l'analyse de la problématique de la violence liée à l'honneur. Le compte rendu de ces auditions ainsi que les recommandations qui ont été formulées à la suite de l'examen approfondi de la problématique figurent dans le rapport détaillé du Comité d'avis (doc. Sénat, nº 4-379/1).

Conformément à l'article 86, § 4, du règlement du Sénat, le Comité d'avis pour l'Égalité des Chances entre les femmes et les hommes a décidé de donner de sa propre initiative son avis sur la proposition de résolution à l'examen à la commission de la Justice.

Les réunions des 21 mai et 11 juin 2008 ont été consacrées à l'examen de la proposition de résolution et de l'avis, lequel a été adopté lors de la réunion du 25 juin 2008.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE L'AUTEUR DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le groupe socialiste, qui a déposé la proposition de résolution visant à lutter contre les prétendus crimes d'honneur en Belgique, se félicite de l'intérêt que porte la Comité d'avis à cette problématique.

Le problème des crimes d'honneur a refait surface récemment. Ce n'est en effet pas la première fois que nous sommes confrontés à ce type de problème, qui constitue une violation flagrante des droits de l'être humain et des libertés fondamentales, en particulier celles des femmes.

Les auteurs de la proposition considèrent que ces attitudes sont des crimes commis au nom de l'honneur, mais qui n'ont aucun respect, ni aucune humanité envers les droits des femmes. Il est question non seulement de meurtres, mais également de lapidations, d'immolations, de vitriolage, d'arrachage des yeux, de mutilations des organes génitaux féminins, de viols, de violence domestique, d'enlèvements et de séquestrations.

Il faut également associer aux crimes d'honneur le mariage forcé. Les deux pratiques sont des formes de violence fondées sur une conception patriarcale de l'honneur et de la famille. Le mariage forcé constitue un moyen de contrôler la sexualité des femmes et leur autonomie. Il s'accompagne de mesures coercitives, de pression psychologique, de chantage affectif et d'une pression sociale et familiale intense.

Certaines sociétés patriarcales continuent à pratiquer des crimes d'honneur. Ce principe n'est toutefois pas uniquement lié au Moyen-Orient, mais il existe également dans les sociétés d'Amérique latine et d'Afrique. Les prétendus crimes d'honneur ont principalement lieu en Turquie, Jordanie, Iran, Palestine, Pakistan mais aussi en Afghanistan, Bangladesh, Cambodge, Égypte, Inde, Israël, Liban, Nigeria, Brésil, Pérou et certains pays de l'Europe de l'Est. Ils ont également lieu dans les pays occidentaux. Le dernier film des frères Dardenne, Le Silence de Lorna, aborde cette problématique.

Un certain nombre d'alibis sont évoqués afin de justifier ce type de comportement. Les auteurs de la résolution considèrent que l'honneur d'une famille ne peut pas être mis au-dessus de l'intégrité de la femme. Le fait qu'une jeune femme aurait refusé un mariage arrangé, aurait un comportement « trop occidental », aurait été infidèle, ou encore, aurait perdu sa virginité est considéré par certaines familles comme des signes de déshonneur. Ils ont le sentiment qu'ils ne peuvent réparer ce déshonneur qu'en se vengeant directement sur la femme.

Il n'existe en Belgique pas de véritable base de données qui tienne compte du concept des prétendus crimes d'honneur. La Cellule « Agression » de la Police fédérale a cependant mené une enquête via les carrefours d'informations et a relevé pas moins de 17 cas de prétendus crimes d'honneur commis en Belgique en 5 ans. Cependant, il est clair que l'élaboration de statistiques afin de construire des dossiers étayés constitue un exercice difficile.

La Belgique n'est pas isolée et les autres pays européens connaissent également ce phénomène. C'est ainsi qu'en Allemagne, par exemple, le centre d'aide pour jeunes femmes issues de l'immigration en crise a collecté une série d'informations de 1996 à 2005. Il recense 68 cas de femmes et d'hommes qui ont été blessés au nom de l'honneur, et 53 morts dont 20 pour cent sont liés à un mariage forcé. Au Royaume-Uni, au cours des cinq dernières années, on a enregistré au moins 20 décès liés à des crimes dits d'honneur.

Selon Asma Jahangir, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, 5 000 femmes dans le monde en sont victimes chaque année. Celle-ci précise cependant que ces chiffres sont nettement inférieurs à la réalité.

On peut cependant se réjouir du fait que les prétendus crimes d'honneur sont de plus en plus reconnus par certains États comme un véritable fléau frappant leur société et que les instances de décision de certains pays, tels que la Turquie ou le Pakistan, ont pris des mesures pour prévenir et réprimer plus sévèrement ces crimes.

La Belgique a pris conscience ces dernières années de cette problématique et a pris récemment une série d'initiatives en la matière. C'est ainsi que, depuis 2007, à l'initiative de Laurette Onkelinx, alors ministre de la Justice, le Code pénal incrimine le mariage forcé (article 391sexies). Cette disposition prévoit en effet que: « Toute personne qui, par des violences ou des menaces, aura contraint quelqu'un à contracter un mariage sera punie d'un emprisonnement d'un mois à deux ans ou d'une amende de cent à cinq cents euros. La tentative est punie d'un emprisonnement de quinze jours à un an ou d'une amende de cinquante à deux cent cinquante euros ». Le Code civil élargit quant à lui les moyens d'annuler un tel mariage par le biais de son article 146ter.

Coordonné par Christian Dupont, ministre de l'Égalité des chances, le Plan d'action national de lutte contre les violences entre partenaires 2004-2007, a permis d'arriver à des avancées substantielles en la matière (par exemple, circulaire dite de tolérance zéro). Ce plan a contribué à sensibiliser l'ensemble des acteurs concernés ainsi que l'opinion publique sur cette problématique importante. Les auteurs de la proposition de résolution considèrent dans ce cadre que ce plan devrait à l'avenir être étendu à l'ensemble des violences faites aux femmes. Ils plaident en effet en faveur d'une approche plus globale, systématique, intersectorielle et durable des violences faites aux femmes, dont les prétendus crimes d'honneur, les mariages forcés et les mutilations génitales féminines.

Les auteurs de la proposition de résolution demandent au gouvernement, en concertation avec les entités fédérées, une intégration de cet aspect dans le Plan national de lutte contre les violences à l'encontre des femmes. En outre, il faut veiller à une meilleure sensibilisation des différents acteurs sociaux, médicaux, policiers et judiciaires. Il faut également dispenser une formation à la police, la magistrature et les auxiliaires de justice, relative à la problématique des prétendus crimes d'honneur. La société civile, qui se mobilise fortement par rapport à ce problème, devrait être soutenue via les associations; il faut aussi renforcer leur coopération avec les autorités locales et nationales.

Mme Zrihen met encore l'accent sur la mise en place de programmes d'éducation et de campagnes de sensibilisation pour les différentes communautés installées sur notre territoire. Il faut aussi renforcer les services d'appui qui permettent de répondre aux besoins des victimes.

Il existe également des possibilités d'affiner notre représentation à travers le recueillement de données statistiques sur la fréquence de ces crimes. Il est nécessaire d'assurer la mise en œuvre effective de la loi belge du 25 avril 2007 qui vise à incriminer et à élargir les moyens d'annuler les mariages forcés. Il faut aussi faire en sorte que toute personne qui demande un statut de réfugié puisse le faire, en particulier les femmes et les jeunes filles, en vertu du risque de subir des actes de persécution « en raison de leur sexe ». Enfin, toute plainte, concernant des violences ou de mauvais traitements devrait faire l'objet d'un procès-verbal transmis au parquet. Il faut veiller à ce que ces crimes fassent l'objet d'enquêtes et de poursuites efficaces.

Mme Zrihen conclut son exposé en demandant aux membres du Comité d'avis de traiter cette proposition de résolution avec urgence: chaque jour, la vie de nombreuses jeunes filles est en danger, surtout à l'approche des vacances scolaires.

III. DISCUSSION

Mme Zrihen souhaite revenir sur la définition des mots. La proposition de résolution qu'elle a déposée vise à lutter contre les « prétendus » crimes d'honneur. En fait, le crime d'honneur englobe tant le meurtre que toutes les violences physiques qui portent atteinte aux personnes.

Mme Durant indique que les violences peuvent également être d'ordre psychologique. Dans le langage courant, le crime est souvent associé au meurtre. De plus, il ne permet pas de faire référence aux violences morales ou sociales. Il serait donc mieux d'utiliser le terme « violences ».

Mme Zrihen propose alors d'utiliser le groupe de mots « violences et crimes d'honneur ».

La présidente est d'avis qu'il faut définir clairement les termes utilisés dans le texte.

Mme Lijnen propose que pour la suite des travaux, on utilise, en néerlandais, les mots « eergerelateerd geweld ».

Mme Durant remarque que le terme « prétendu » est extrêmement tendancieux. Il faut donc remplacer « contre les prétendus crimes d'honneur » par « contre les violences et les crimes d'honneur ».

Mme Lijnen indique que le groupe Open Vld a quelques réserves sur la troisième recommandation reprise sous le titre « Mesures juridiques et autres », plus particulièrement en ce qui concerne le statut de réfugié. Dans le texte, on peut lire que « le statut de réfugié peut être accordé aux personnes qui subissent ou risquent de subir des actes de persécution « en raison de leur sexe », lesquels peuvent notamment viser les prétendus crimes d'honneur, tel que précisé dans l'exposé des motifs ». L'Open VLD est d'avis que la recommandation précitée est superflue étant donné que depuis 2007, la loi sur les étrangers du 15 décembre 1980 prévoit un statut de protection subsidiaire. De plus, cette recommandation est formulée en des termes trop généraux. Par conséquent, l'alinéa doit soit être supprimé, soit être rendu plus contraignant.

Mme Zrihen est d'avis que les crimes d'honneur ne figurent pas en tant que tels dans la loi. Cela pose donc problème. C'est dans cet esprit que les auteurs de la proposition de résolution ont voulu préciser la situation des personnes qui peuvent subir des crimes d'honneur.

La sénatrice rappelle que les éventuels amendements sur la proposition de résolution devront être déposés en commission de la Justice.

IV. AVIS

Le Comité d'avis soutient la proposition de résolution visant à lutter contre les prétendus crimes d'honneur en Belgique, déposée par Mme Olga Zrihen et consorts.

Les membres du Comité d'avis estiment qu'en néerlandais, il vaut mieux utiliser les mots « eergerelateerd geweld », et qu'en français, on peut parler de « violences et crimes d'honneur ».

Le Comité d'avis renvoie aux recommandations qu'il a formulées à la suite de l'examen approfondi de la question de la violence liée à l'honneur (doc. Sénat, nº 4-379/1 - 2007/2008).

V. VOTES

L'avis a été approuvé par 8 voix et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé par 8 voix et 1 abstention.

Les rapporteuses, La présidente,
Sabine de BETHUNE.
Isabelle DURANT.
Dominique TILMANS.