4-417/1

4-417/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2007-2008

22 NOVEMBRE 2007


Proposition de loi modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 afin d'introduire un régime de taxation distinct pour les droits d'auteur et les droits voisins

(Déposée par M. Bart Martens et Mme Christiane Vienne et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée à la Chambre des représentants le 7 février 2007 (doc. Chambre, nº 51-2898/001).

La présente proposition de loi a pour objet de modifier et de clarifier le régime fiscal des droits d'auteur et des droits voisins afin de soutenir l'activité des auteurs et des artistes-interprètes en remédiant aux difficultés qu'ils éprouvent en matière de fiscalité.

Il existe en effet une incertitude juridique quant à la qualification des revenus des auteurs et des artistes-interprètes. Concrètement, la source de leurs revenus est double:

— d'une part, les revenus qui rémunèrent le travail, la prestation en tant que telle (le « cachet » du comédien, le revenu que reçoit un scénariste du producteur d'un film pour écrire ce scénario, etc.);

— d'autre part, les « droits » (« d'auteur » ou « voisins ») qui rémunèrent l'exploitation de l'œuvre créée ou l'interprétation de celle-ci, par des tiers (chaînes de télévision, théâtres, etc.).

Le premier type de revenus constitue fiscalement un « revenu professionnel » si l'activité génératrice de ce revenu est une activité « professionnelle » (c'est-à-dire selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, un « ensemble d'opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une activité professionnelle »).

Si ce n'est pas le cas, il constitue un « revenu occasionnel » (au sens de l'article 90, 1º, du CIR 92: « les bénéfices ou profits quelle que soit leur qualification qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle (...) »).

Le second type de revenus (les droits d'auteur et les droits voisins) ne découle pas directement du travail fourni par l'auteur ou l'artiste, mais résulte en réalité de l'exploitation de l'œuvre créée par l'auteur ou de l'interprétation de l'artiste, par des tiers, qu'il s'agisse par exemple de producteurs, d'éditeurs, de distributeurs, de salles de théâtre ou de cinéma. Sous cet aspect, patrimonial, les droits d'auteur et les droits voisins sont mobiliers, cessibles et transmissibles (1) .

Dans son arrêt de principe du 19 novembre 1984, la Cour de cassation a très clairement défini les droits d'auteur comme constituant « les droits patrimoniaux de l'auteur qui sont liés à l'exploitation de son œuvre par des tiers » (Cass., 19 novembre 1984, Pas., 1985, p. 344) (2) .

Par analogie, les « droits voisins » des artistes-interprètes constituent également « les droits patrimoniaux » de l'artiste « liés à l'exploitation (de son interprétation) par des tiers » (cf art. 34 et 35 de la loi du 30 juin 1994 définissant les droits des artistes-interprètes, de la même manière que les art. 1 et 2 de la même loi le font pour les droits d'auteur).

Dès lors, en droit fiscal, ce type de revenus correspond a priori à la notion de « concession de biens mobiliers » de l'article 17, 3º, du CIR 1992 (« les revenus (...) des biens mobiliers sont tous les produits d'avoirs mobiliers engagés à quelque titre que ce soit, à savoir (...) 3º les revenus de la location, de l'affermage, de l'usage, et de la concession des biens mobiliers »), les droits d'auteur et les droits voisins étant, en droit, des biens mobiliers incorporels.

Alors que les « revenus professionnels » sont soumis à un tarif progressif par tranches, les revenus mobiliers sont soumis à un taux distinct de taxation de 10 à 25 % (15 % pour les revenus de concession de biens mobiliers, cf. article 171, 2ºbis, a), du CIR 1992).

Une disposition du Code permet néanmoins de requalifier des revenus mobiliers en revenus professionnels lorsque les biens mobiliers en question « sont affectés à l'exercice de l'activité professionnelle du bénéficiaire desdits revenus » (article 37 du CIR 1992).

Cette disposition est utilisée fréquemment par l'administration fiscale et les tribunaux pour taxer les droits d'auteur et les droits voisins à titre de revenus professionnels, considérant que les « biens mobiliers incorporels » que constituent les droits d'auteur ou les droits voisins des artistes-interprètes sont affectés à l'exercice de leur activité professionnelle.

Certaines décisions de jurisprudence n'utilisent même pas cette disposition et considèrent — d'office — que les droits d'auteur et les droits voisins en question (recueillis par un artiste « professionnel ») doivent être taxés à titre de revenus professionnels car répondant d'office à la définition du « profit » de l'article 27 du CIR 1992 (« les profits sont tous les revenus de professions libérales, charges ou offices et tous les revenus d'une occupation lucrative qui ne sont pas considérés comme des bénéfices ou des rémunérations »).

Lorsque, en revanche, l'artiste n'est pas « professionnel » (artiste « amateur »), les droits d'auteur ou les droits voisins qu'il perçoit sont susceptibles soit de garder leur qualification originaire de « revenus mobiliers » (cf supra), soit d'être alors assimilés à des « revenus de prestations occasionnelles » (1ère catégorie des « revenus divers » de l'article 90 du CIR 1992, précité), soumis à un taux distinct de taxation de 33 %.

L'auteur aura d'autant plus de difficultés à retenir une qualification adéquate que des autorisations d'exploitation de même nature pourront être qualifiées différemment, en fonction de la relation contractuelle entre lui et son cocontractant. Ainsi, selon que son contrat est une concession ou une cession de droits, les revenus qui découleront de cette forme d'exploitation recevront une qualification différente, la cession étant assimilée à une vente et la concession à une location.

Il en est d'autant plus ainsi que la notion « d'auteur » elle-même recouvre des prestations variables: de l'écriture d'un ouvrage juridique jusqu'à la réalisation d'un long métrage multimédia en passant par l'écrivain de roman, le sculpteur, l'auteur de bandes dessinées, le chanteur, le mime ou le doubleur de voix, les usages contractuels diffèrent significativement.

Ce rapide survol des diverses qualifications possibles des différents revenus pouvant être recueillis par les auteurs et les artistes-interprètes, fait apparaître la complexité de leur statut ainsi que la possibilité — et la nécessité — de distinguer, parmi l'ensemble de ces revenus, cette catégorie spécifique des « droits d'auteur » et « droits voisins ».

En insérant dans le CIR 1992 de nouvelles dispositions, les droits d'auteur et les droits voisins seront isolés des revenus professionnels soumis au principe de progressivité de l'impôt afin d'éviter l'effet pervers qu'un versement de droits d'exploitation important, en une seule année, augmente considérablement l'importance des revenus professionnels de cette année-là et donc le taux d'imposition marginal.

Pour l'heure, et pour poser un premier jalon dans la reconnaissance de la nature particulière des activités d'auteur et d'artiste-interprète et des revenus qui en découlent, il est proposé d'ajouter un alinéa 13º dans l'article 90 du CIR 1992, qui concerne les revenus divers.

Les revenus visés par cette nouvelle disposition seront les revenus de droit d'auteur et de droit voisin qui découlent de l'application de la loi du 30 juin 1994 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Le taux afférent à ces revenus sera inséré dans un article nouveau du CIR 1992: l'article 171bis. En effet, la reconnaissance de la spécificité de ces revenus qui suppose que ceux-ci soient isolés des autres n'empêche pas qu'au sein des auteurs et des artistes interprètes, il faille tenir compte de l'écart important entre les revenus perçus par des auteurs et des artistes-interprètes.

Dans la mesure où l'article 171 du CIR 1992 ne prévoit que des taux fixes pour les revenus divers, l'article 171bis instaurera des taux progressifs par tranches allant de 10 % à 35 %.

La taxation s'appliquera sur le montant net des revenus; sur la première tranche, la quotité exemptée d'impôt sera applicable.

Enfin, par l'instauration d'une catégorie distincte de revenus, les successions aux droits d'auteur se verront appliquer le même système.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

Conformément à l'article 83 de la Constitution, cet article précise que la présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Article 2

Cet article vise à compléter l'article 90 du CIR 1992 d'un 13º qui intègre une nouvelle catégorie de revenus divers, à savoir l'ensemble des revenus perçus par les auteurs et les artistes-interprètes, ainsi que les ayants-cause, à l'occasion de l'exploitation de leurs droits d'auteur et droits voisins.

Désormais, les droits d'auteur et les droits voisins au sens de la loi du 30 juin 1994 seront donc exclusivement taxés sur base de l'article 90, 13º, du CIR 1992, à l'exclusion de toute autre disposition du Code.

Article 3

Cet article modifie l'article 97 du CIR 1992 qui traite de la détermination du montant net d'une certaine catégorie de revenus divers, à savoir les bénéfices ou profits qui, quelle que soit leur qualification, résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle, à l'exclusion des opérations de gestion normale d'un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers.

Cette disposition prévoit que le revenu net s'entend du montant brut diminué des frais que le contribuable justifie avoir faits ou supportés pendant la période imposable en vue de créer son œuvre ou sa prestation ou d'acquérir ou de conserver ces revenus.

Le même régime sera applicable à la détermination du montant net des revenus de droits d'auteur et de droits voisins.

Il est de doctrine et de jurisprudence constante qu'il ne faut pas un lien direct et immédiat entre les revenus perçus (et taxables) et la dépense en question (une dépense peut être déductible même si elle a été exposée au cours d'une période imposable antérieure à celle où sera effectivement recueilli le revenu imposable). Cette jurisprudence et cette doctrine sont particulièrement pertinentes en matière de droits d'auteur, où il n'y aura quasiment jamais de concomitance au cours d'une même année, entre la perception du revenu et l'exposition de la dépense en vue de créer l'œuvre ou la prestation, de conserver ou d'acquérir ce revenu (par hypothèse, le droit d'auteur produit par l'exploitation d'un tiers sera toujours produit bien après les prestations de l'auteur et les frais exposés par lui seront donc bien antérieurs).

Un second alinéa sera introduit afin de permettre l'application des frais forfaitaires à ces revenus. Ces frais forfaitaires sont identiques à ceux prévus par l'article 51 du CIR 1992.

Article 4

Cet article vise à instaurer un dispositif similaire à celui prévu à l'article 103 du CIR 1992 et qui s'applique aux revenus divers visés à l'article 90, 1º, du CIR 1992.

L'objectif est de permettre la déductibilité des pertes éprouvées au cours des cinq périodes imposables précédant la cession ou la licence de droits d'auteur ou de droits voisins visées par la loi du 30 juin 1994 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Ces pertes seraient déduites des revenus de droits d'auteur ou de droits voisins des artistes-interprètes.

Ce faisant, il s'agit de reconnaître la spécificité de l'activité d'auteur et d'artiste-interprète et notamment la période de création, qui s'étale généralement sur plusieurs années et constitue plus une forme d'investissement qu'une rémunération, l'exploitation de l'œuvre et de la prestation n'intervenant qu'au terme de ce travail de création.

Article 5

Cet article vise à insérer un nouvel article 171bis dans le CIR 1992, dans la section relative aux régimes spéciaux de taxation. Cette disposition n'est pas intégrée dans l'article 171, relatif aux taux applicables aux revenus divers, car ce dernier ne connaît que les taux fixes.

La nouvelle disposition prévoira un taux progressif par tranches allant de 10 % à 35 %. La première tranche de revenus, soumise à un taux de 10 %, ira jusqu'à 10 000 euros. Celle-ci bénéficie de la quotité exemptée d'impôt, visée à l'article 131 du CIR 1992.

La seconde tranche, de 10 000 à 20 000 euros, se verra appliquer un taux de 15 %. De 20 000 à 30 000 euros, le taux applicable sera de 20 %, de 30 000 à 40 000 euros, de 25 %, et de 35 % au-delà de ce dernier montant.

Bart MARTENS
Christiane VIENNE
André VAN NIEUWKERKE
Olga ZRIHEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 90 du Code des impôts sur les revenus 1992, modifié en dernier lieu par la loi du 25 avril 2007, est complété comme suit:

« 13º à l'exclusion de toute autre disposition du présent Code, les revenus recueillis par un auteur et un artiste-interprète visés par la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins ainsi que par leurs ayants-cause à l'occasion de l'exploitation de leurs droits d'auteur et droits voisins. ».

Art. 3

À l'article 97 du même Code, remplacé par la loi du 25 avril 2007, sont apportées les modifications suivantes:

A. dans le texte actuel, qui formera l'alinéa 1er, les mots « et 13º » sont insérés entre les mots « article 90, 1º » et les mots « s'entendent »;

B. l'article est complété par les alinéas suivants:

« Pour ce qui concerne les revenus visés à l'article 90, 13º, les frais professionnels autres que les éventuelles cotisations et sommes visées à l'article 52, 7º et 8º, sont, à défaut de preuve,s fixés forfaitairement en pourcentages du montant brut de ces revenus diminués desdites cotisations.

Ces pourcentages sont:

a) 20 % de la première tranche de 3 750 euros;

b) 10 % de la tranche de 3 750 euros à 7 450 euros;

c) 5 % de la tranche de 7 450 euros à 12 400 euros;

d) 3 % de la tranche excédant 12 400 euros ».

Art. 4

L'article 103 du même Code est complété par un

§ 4, rédigé comme suit: « § 4. Les dispositions du § 1er, sont également applicables aux pertes éprouvées, au cours des cinq périodes imposables antérieures, à l'occasion d'opérations visées à l'article 90, 13º. ».

Art. 5

Un article 171bis, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code:

« Art. 171bis. — Par dérogation aux articles 130 et 132 à 168, l'ensemble des revenus visés à l'article 90, 13º, sont imposables distinctement aux taux suivants:

1º 10 % pour la tranche de revenus de 0,01 euros à 10 000 euros;

2º 15 % pour la tranche de 10 000 euros à 20 000 euros;

3º 20 % pour la tranche de 20 000 euros à 30 000 euros;

4º 25 % pour la tranche de 30 000 euros à 40 000 euros;

5º 35 % pour la tranche supérieure à 40 000 euros. ».

21 novembre 2007.

Bart MARTENS
Christiane VIENNE
André VAN NIEUWKERKE
Olga ZRIHEN.

(1) Article 3, § 1er, et 33, al. 2, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins.

(2) Il s'agissait en l'occurrence de définir exactement ce qu'entendait l'article 5 de l'arrêté royal no 38 organisant le statut social des indépendants, par les termes: « les personnes qui jouissent de droits d'auteur ne sont pas assujetties (au statut des indépendants) si elles bénéficient déjà, à quelque titre que ce soit, d'un statut social au moins équivalent à celui organisé par ledit arrêté ».