Questions et Réponses

SÉNAT DE BELGIQUE


Bulletin 3-85

SESSION DE 2006-2007

Questions posées par les Sénateurs et réponses données par les Ministres (Art. 70 du règlement du Sénat)

(Fr.): Question posée en français - (N.): Question posée en néerlandais


Vice-premier ministre et ministre des Finances

Question nº 3-6295 de Mme Anseeuw du 17 novembre 2006 (N.) :
Octroi de crédit. — Fonds d'investissement. — Risques pour les banques.

De nombreuses personnes du monde financier s'inquiètent de l'octroi royal de crédit fait par les banques à des fonds d'investissement en actions. La Financial Services Authority (FSA) britannique a publié ce mois un document à débattre sur le secteur des fonds d'investissement, dans lequel il est également fait mention de risques pour le système financier « en tant que tel » dus au risque de crédit qu'encourent les banques à cause de leurs octrois de crédits aux fonds d'investissement. On attend la première entreprise qui succombera sous la dette après un rachat par un investisseur à risque, selon le rapport de l'organe de surveillance du secteur financier britannique. Cette institution s'inquiète que les banques ne soient pas suffisamment « prudentes » dans l'octroi de crédits pour des rachats. Souvent les entreprises obtiennent des « prêts excessifs » et à qui les banques revendent les prêts reste flou. Cela peut entraîner de grands risques économiques selon la FSA. La FSA veut accorder plus d'attention à la surveillance des fonds d'investissement sous la forme d'un « centre d'expertise » pour les placements alternatifs. La FSA ne veut toutefois pas de nouvelles règles de surveillance pour l'industrie des fonds d'investissement. Le but ne peut en réalité pas être d'accroître le poids de la réglementation.

Au début de septembre, les banques centrales européennes ont déjà déclaré qu'elles examinaient l'engagement des organismes bancaires européens dans les fonds d'investissement. La Nederlandsche Bank (DNB) ne désire pas réagir au rapport de la FSA, mais cet organe de surveillance se soucie lui aussi de la situation de manière comparable comme cela ressort de la dernière publication de son mensuel. Selon la DNB la forte concurrence sur le marché « buy-out » entraîne un « champ de tension entre l'évaluation adéquate du risque et le prix compétitif des emprunts ».

Javier Echarri, secrétaire général de l'European Private Equity and Venture capital Association (Evca) dans une réaction au rapport de la FSA, renvoie aux banques. « Les prix montent car elles sont tout le temps prêtes à donner des prêts plus importants », dit-il. « Si le marché du crédit s'écroule, nous serons les premiers à en souffrir. » Le niveau des prêts est « épouvantablement haut ».

Le fait que les banques peuvent revendre leurs prêts entre autres à des hedge funds en est une cause importante. De nombreuses banques examinent seulement si elles peuvent encore revendre un prêt dans les trois mois. La vue à court terme prime la vision à long terme. L'attention des banques se porte davantage sur le retour sur investissement plutôt que sur les risques encourus.

Je souhaiterais recevoir une réponse aux questions suivantes :

1. L'honorable vice-premier ministre partage-t-il l'inquiétude des organes de surveillance britannique et néerlandais à propos des charges trop lourdes que font peser les fonds d'investissement sur les entreprises rachetées grâce à des emprunts excessifs, charges qui mettent en péril leur savoir-faire et leur croissance à long terme ?

2. Quelle est sa réaction au constat fait par les organes de surveillance britannique et néerlandais que les banques s'exposent à de graves risques de crédit en prêtant aux fonds d'investissement ?

3. Y a-t-il des indications qu'en Belgique des entreprises qui ont été rachetée par des fonds d'investissement grâce à des prêts excessifs se soient vu imposer de financer leur reprise et peut-il expliquer en détail sa réponse ?

4. Est-il d'accord avec la constatation que la forte concurrence dans le marché buy-out entraîne un champ de tension entre l'évaluation adéquate des risques et le prix compétitif des emprunts ?

5. Comment pense-t-il qu'il faille intervenir lors de reprises futures par des fonds d'investissement ? La réglementation actuelle suffit-elle ou faut-il prévoir des clignotants supplémentaires ?

6. Que pense-t-il de la proposition de créer un centre d'expertise sur les placements alternatifs ? Êtes-vous disposé à plaider pour des mesures équivalentes en Belgique en concertation avec la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) ? Dans la négative, peut-il expliquer son point de vue en détail ? Si oui, quand prendra-t-il ces mesures et quels moyens leur sont-ils réservés ?

Réponse : Aux questions de l'honorable membre, il peut être répondu ce qui suit :

1. Au cours des dernières années, les activités de private equity ont connu à travers le monde une progression exceptionnelle. Cette croissance a été fortement stimulée par des facteurs tels que le niveau peu élevé des taux d'intérêt, l'abondance de liquidités, la recherche du rendement (« search for yield ») de la part des investisseurs et l'augmentation du nombre de participants constatée sur ce marché au cours des dernières années.

Parmi les activités de private equity, les opérations de « leveraged buy-out » (LBO) ont connu une forte croissance. Un « leveraged buy-out » est une opération de rachat avec effet de levier. Il s'agit de l'acquisition d'une société par création d'une autre société qui s'endette pour financer le rachat de la société cible. L'objectif est de limiter autant que possible la proportion d'apport en espèces par rapport à la valeur de l'entreprise cible (d'où 1'« effet de levier »). Les actifs de cette dernière entreprise servent d'ordinaire à couvrir les emprunts contractés pour financer l'achat.

Selon un récent rapport de Fitch (1) , les activités LBO ont doublé en Europe occidentale en 2005 (la valeur totale des opérations de LBO a augmenté en un an de 97 %). De ce fait, le montant total des opérations de LBO a atteint pour l'année 2005 le chiffre record de 75 milliards d'euros. Cette tendance s'est confirmée au cours du premier semestre 2006 avec une croissance de 48 % par rapport au premier semestre de 2005.

Dans le cadre d'une étude des banques centrales européennes (2) dont le rapport est attendu dans le courant du premier trimestre 2007, une enquête a été menée en septembre 2006 auprès des grandes banques européennes sur le financement des LBO par le secteur bancaire européen. Dans ce type de matière, la coopération internationale joue un rôle important, s'agissant d'évolutions à l'échelon mondial.

Dans le cadre de cette étude européenne des établissements de crédit belges ont aussi été questionnés. Il a été constaté à cette occasion que les banques belges interrogées affichaient des positions relativement limitées sur le marché LBO (principalement des positions dans des tranches moins à risque de financement de dette, des opérations suivies de revente rapide à d'autres acteurs du marché, ...), que ces positions visaient surtout des petites et moyennes capitalisations et que les opérations s'inscrivaient dans le cadre des procédures générales de crédit des établissements (sur le plan de l'analyse crédit, des organes de décision, de la documentation, de l'évaluation des risques, du suivi des opérations, ...), et que les opérations de LBO étaient soumises à des exigences plus spécifiques en matière de procédures et de règles et limitations internes.

Dans le cadre de cette enquête auprès des banques belges, la question des risques liés aux activités LBO a été examinée plus en détail. Le degré élevé de liquidité (voir également question 4) et l'état de la conjoncture s'avèrent à cet égard déterminants pour le ratio risque-performance d'un investissement LBO.

L'un de ces risques porte sur le degré croissant d'endettement (« leverage ») des transactions. Concrètement, les ratios de leverage agressifs exercent sur l'entreprise cible une pression importante quant à ses objectifs de rentabilité.

Si la conjoncture vient à se détériorer, l'entreprise se verra peut-être soumise à forte pression pour réduire ses coûts afin d'atteindre malgré tous ses objectifs de rentabilité, mais ceci pourrait porter préjudice à sa stratégie à long terme, ou ne s'avérer possible que moyennant des dépenses de capital.

Il est en outre constaté sur le marché LBO un nombre croissant de recapitalisations (l'on parle de « recaps », lorsque l'entreprise rachète, à l'aide d'emprunts, les titres des investisseurs initiaux LBO). L'inconvénient de ce type de stratégie est que la part de capitaux propres (l'equity) qui subsistait est à son tour remplacée par des dettes supplémentaires. En d'autres termes, l'effet de levier s'en trouve encore renforcé, ce qui affaiblit la structure financière de l'entreprise.

2. L'on peut signaler à ce propos le caractère « back-ended » de plus en plus prononcé des opérations de LBO.

En effet, les tranches les plus à risque (tranches B et C) du LBO sont généralement remboursées en une seule fois à l'échéance, par opposition à la partie moins risquée de l'emprunt (tranche A), qui fait l'objet d'un remboursement progressif. Ce caractère « back-ended » étant de plus en plus présent dans les LBO, il est plus que jamais nécessaire d'assurer un bon suivi des crédits afin d'éviter que d'éventuelles difficultés de remboursement n'apparaissent qu'au bout de quelques années.

Il faut toutefois préciser l'impact de ces évolutions sur le risque auquel sont exposées les banques belges. Les établissements interrogés ont en effet pris des mesures spécifiques en vue de maîtriser les risques liés aux LBO.

Tout d'abord, les risques sont limités par l'imposition de limites de risque internes en matière de financement LBO. Les banques s'imposent ainsi elles-mêmes des précautions sous forme notamment de limitations et/ou de règles quant au volume des investissements LBO, aux procédures de décision, à la revente de positions LBO, etc.

En outre, une partie importante des risques ultimes se situe auprès des investisseurs institutionnels et non auprès des banques, les tranches les plus risquées du financement LBO (tranches subordonnées) étant habituellement réservées à cette catégorie d'investisseurs. C'est l'un des facteurs qui expliquent que les positions des banques dans ces tranches sont généralement limitées (à l'exception d'un risque résiduel de contestation (litigation) par des clients à la suite d'une vente non transparente ou d'une vente à des clients au profil de risque inadapté).

Enfin, les banques procèdent en règle générale assez rapidement à la revente d'une part importante de leurs positions LBO (bien que ceci varie en fonction du modèle de gestion que l'établissement utilise), ce qui limite l'exposition finale des banques dans ce type d'opérations.

3. Il n'y a pas d'indications à ce propos.

4. La concurrence sur le marché LBO est en effet intense, en raison du niveau de liquidité actuellement élevé. Le principal impact de cette concurrence se situe au niveau de la structure de capital des opérations et des prix. En ce qui concerne la structure de capital des LBO, la part des tranches les plus à risque (les tranches subordonnées) a connu une forte croissance à la suite d'une augmentation de la demande de positions plus risquées et donc potentiellement plus rentables (« search for yield ») de la part des investisseurs institutionnels. Une part importante de la pression sur les prix est d'ailleurs absorbée par ces investisseurs institutionnels, dont les placements visent précisément les tranches les plus subordonnées, et donc les plus demandées.

Un autre risque potentiel qui peut naître de la concurrence marquée est une tendance à octroyer du crédit à des entreprises de secteurs plus risqués.

5. Il n'y a pas de réglementation bancaire spécifique pour les activités de private equity des établissements de crédit belges. Cependant, les banques doivent détenir pour ces activités — comme pour toute autre activité bancaire — un niveau de capital calculé en fonction des risques liés aux opérations. Dans la mesure où le financement LBO présente un risque accru, les exigences de fonds propres imposées à l'établissement seront plus élevées. Les activités LBO des banques s'inscrivent par ailleurs dans le cadre de l'octroi de crédit, lequel est assurément soumis à un encadrement strict en matière d'organisation, de suivi des risques, etc.

Il existe par ailleurs en Belgique deux types de fonds « private equity » réglementés : la pricaf (prifonds) publique, d'une part, et la pricaf privée, d'autre part. À l'heure actuelle, deux pricafs publiques sont inscrites sur la liste tenue par la CBFA et deux pricafs privées sont inscrites sur la liste tenue par le Service public fédéral Finances.

En ce qui concerne la Pricaf publique, l'endettement maximal autorisé par la réglementation semble offrir une protection suffisante. La Pricaf publique ne peut en effet, aux termes des dispositions réglementaires qui lui sont applicables, contracter d'emprunts qu'à hauteur de 10 % maximum de ses actifs. L'on peut ajouter, pour être complet, qu'une pricaf publique peut également contracter des emprunts en devises liés à des prêts d'une même valeur dans le seul but de l'acquisition de devises, lorsqu'à la suite de ces opérations, son endettement net ne se modifie pas et ne se modifiera pas. Le danger d'emprunts excessifs au niveau de la Pricaf publique, et, dans la foulée, le risque que, pour y faire face, la Pricaf impose des charges trop importantes aux sociétés qu'elle a rachetées, semblent donc limités par le cadre réglementaire (cf. question 1). En outre, une Pricaf publique ne peut elle-même octroyer de crédits. La réglementation spécifique applicable aux Pricafs publiques ne prévoit en revanche pas de règles en matière d'endettement maximal des entités dans lesquelles la pricaf prend une participation.

La réglementation n'impose pas aux Pricafs privées de limitations en matière d'emprunts. Le danger d'emprunts excessifs n'est donc pas totalement exclu par le cadre réglementaire spécifique applicable aux pricafs privées.

6. Le secteur dispose de plusieurs associations professionnelles qui prennent des initiatives en matière d'autoréglementation. À l'instar d'autres organisations professionnelles pour le capital à risque (venture capital) dans d'autres États de l'Union européenne, les membres de la Belgian Venturing Association (BVA), à laquelle adhèrent les banques dont l'activité en private equity est relativement importante, se sont imposés un code de déontologie.

Dès lors, dans les circonstances actuelles, il ne me semble pas nécessaire de créer un centre d'expertise relatif aux investissements alternatifs.


(1) « It's high tide in the European leveraged credit market », Fitch Ratings, 7 september 2006.

(2) Il s'agit d'une étude effectuée par les membres du Working Group on Macroprudential Analysis, un groupe de travail du Comité de surveillance bancaire.