3-1180/1

3-1180/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2004-2005

4 MAI 2005


Proposition de résolution sur l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes

(Déposée par Mmes Margriet Hermans et Stéphanie Anseeuw)


DÉVELOPPEMENTS


1. Introduction : reconnaissance légale de l'égalité de rémunération

1.1. Reconnaissance internationale

Le principe de l'égalité de rémunération pour les travailleurs féminins et masculins pour un travail de valeur égale a été inscrit en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l'homme (1). (Article 23.2.)

Ce principe a été réitéré trois ans plus tard dans la Convention nº 100 de l'Organisation internationale du Travail. Le principe de l'égalité de rémunération entre la main-d'oeuvre masculine et la main-d'oeuvre féminine pour un travail de valeur égale a donc été admis au niveau mondial. La Belgique a ratifié cette convention.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre ce principe en son article 26. La Belgique a également ratifié ce pacte.

Plusieurs normes européennes en la matière sont applicables en droit belge. Il y a tout d'abord l'article 141 (ex-article 119) du traité instituant la Communauté européenne, coordonné par le Traité d'Amsterdam du 20 octobre 1997. Le 9 février 1976, la Communauté européenne a approuvé la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39 du 14 février 1976). La question de l'emploi et des conditions de travail a dû être réexaminée en fonction du principe de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Ces deux textes ont donné lieu à plusieurs arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes qui précisent l'interprétation qui doit en être donnée (voir notamment les arrêts Rummler, Danfoss et Enderby). Ces arrêts revêtent une importance capitale, étant donné qu'ils précisent de quelle manière les emplois doivent être évalués. Nous reviendrons sur cette question au point 2.2.4.

La Charte sociale européenne (article 4.3) se réfère elle aussi au principe de l'égalité de rémunération.

1.2. L'égalité de rémunération dans la législation belge

1.2.1. La Constitution

Les articles 10 et 11 de la Constitution énoncent les règles de base applicables dans l'ordre juridique belge pour ce qui est de l'égalité de traitement entre les personnes.

On retiendra principalement l'article 11, alinéa 1er, qui est rédigé comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination ».

La loi du 4 août 1978 de réorientation économique (Moniteur belge du 17 août 1978) transpose les dispositions de la directive européenne en droit belge.

1.2.2. Premier instrument juridique : la loi de réorientation économique

Les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination ont été affinés dans le titre V de la loi de réorientation économique qui traite plus spécifiquement de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les conditions de travail et l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, ainsi que l'accès à une profession indépendante (2).

La loi reconnaît trois catégories d'exceptions au principe de non-discrimination :

D'abord les mesures de protection de la maternité, pour le motif évident que seules les travailleuses courent ce risque, puis des programmes d'action positive visant à offrir les mêmes chances aux femmes et aux hommes et, enfin, des mesures particulières visant à protéger les femmes au travail (3).

L'article 128 précise par ailleurs que par conditions de travail, il y a lieu d'entendre notamment les dispositions et les pratiques relatives à la rémunération et à la protection de celle-ci ainsi que celles relatives à la classification des professions (dont font également partie l'évaluation des emplois et les classifications de fonctions qui en découlent).

L'article 141 prévoit des sanctions pénales pour l'employeur, ses préposés ou ses mandataires qui enfreignent les dispositions relatives à l'égalité de traitement pour ce qui est des conditions d'emploi ainsi que celles relatives aux conditions de licenciement (article 127).

Selon Chris Vanlaere, cela montre bien que les règles concernant l'égalité de traitement sont des règles d'ordre public qui font partie des fondements essentiels de l'ordre juridique belge.

L'article 137 charge les fonctionnaires désignés par le Roi de la surveillance concrète du respect de ces dispositions. Il s'agit en l'occurrence des fonctionnaires de l'inspection du travail.

Les dispositions de la loi de réorientation économique ont été reprises dans la loi du 7 mai 1999 (Moniteur belge du 19 juin 1999) sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale (ci-après la « loi sur l'égalité de traitement »).

La loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme adapte la loi du 7 mai 1999. L'article 2 de cette loi générale anti-discrimination prévoit que toute discrimination directe ou indirecte est interdite, lorsqu'elle porte sur les conditions d'accès au travail salarié, non salarié ou indépendant, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d'activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion, les conditions d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, tant dans le secteur privé que public.

1.2.3. Deuxième instrument juridique : la CCT nº 25 du Conseil national du travail

La CCT nº 25 du 15 octobre 1975 sur l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, a été conclue en vue de mettre en oeuvre l'article 119 du Traité instituant la Communauté économique européenne et la directive nº 75/117. Cette CCT a été rendue obligatoire par l'arrêté royal du 9 décembre 1975. Son article 1er a été modifié en 2001 par la CCT nº 25bis (4).

L'on retiendra surtout l'article 3 : « L'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins doit être assurée dans tous les éléments et conditions de rémunération, y compris, lorsqu'ils sont utilisés, les systèmes d'évaluation des fonctions.

En aucun cas, les systèmes d'évaluation des fonctions ne peuvent entraîner de discrimination, ni dans le choix des critères, ni dans leur pondération, ni dans le système de transposition des valeurs d'évaluation en composantes de la rémunération. »

L'article 5 prévoit que tout travailleur qui s'estime lésé ou l'organisation représentative de travailleurs à laquelle il est affilié, peut intenter auprès de la juridiction compétente une action tendant à faire appliquer le principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins.

Cette juridiction a la faculté de s'entourer, aux fins d'évaluer la plainte, d'une commission spécialisée de composition paritaire ayant pour mission de lui donner des avis sur les litiges portant sur l'application du principe de l'égalité des rémunérations.

Il ressort de ce qui précède que la Belgique possède une législation très détaillée pour ce qui est de l'application du principe de l'égalité des rémunérations et pour ce qui est de l'évaluation des emplois. On pourrait supposer dès lors qu'en pratique, il n'y a guère de discriminations au niveau des systèmes d'évaluation des emplois et des classifications de fonctions.

Le chapitre suivant examine la situation de fait en matière d'égalité des rémunérations.

2. L'égalité de rémunération : la situation de fait

2.1. Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes : quelques données chiffrées

Selon une étude menée par A. Cattryse, la différence de rémunération est actuellement de 18 % en moyenne dans notre pays (dans les secteurs privé et public confondus).

En analysant séparément les chiffres relatifs au secteur privé et ceux relatifs au secteur public, on constate que, dans le premier, les femmes ont un salaire inférieur de 23 % en moyenne à celui de leurs collègues masculins et que, dans le second, elles ont un salaire inférieur de 15 % en moyenne à celui des hommes.

Ces chiffres sont tirés d'une enquête qui a été réalisée en 2002 par l'Inspection du travail.

La CSC estime également que l'écart salarial entre les hommes et les femmes atteint encore environ 18 %.

Selon une enquête concernant l'écart salarial entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins qui a été réalisée par SD WORX, le salaire des femmes (partie variable et avantages extralégaux compris) est inférieur de 8,4 % à celui des hommes.

Selon une enquête récente de la FGTB, l'écart s'élèverait à 24 % pour ce qui est du salaire annuel brut, ou à 12 % pour ce qui est du salaire horaire brut.

Selon une étude de la KU Leuven, les écarts de salaire concrets sont les suivants :

Tableau VI : Salaires mensuels bruts pour les hommes et pour les femmes (libellés en euros)

Moyenne — Gemiddelde
Femmes

Vrouwen
Hommes

Mannen
Différence entre hommes et femmes

Verschil tussen vrouwen en mannen
Total. — Totaal 2 319 3 039 720
Niveau opérationnel. — Operationeel niveau 1 988 2 301 313
Niveau professionnel. — Professioneel niveau 2 466 2 826 360
Management 3 091 3 877 786

Source : Research Report, KUL, Department of Applied Economics, 2001, p. 6.

Annelies Cattryse déclare ce qui suit : « Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes sont importants à tous les niveaux de la hiérarchie, mais on peut clairement constater que l'écart se creuse à mesure que l'on monte dans celle-ci. Alors que les rémunérations se valent approximativement au niveau opérationnel et au niveau professionnel, les femmes qui occupent des fonctions de manager ont des salaires nettement inférieurs à ceux de leurs collègues masculins. » (traduction)

2.2. Les causes de l'inégalité de rémunération : existe-t-il une cause objective ?

2.2.1. Les différences en matière de formation, d'expérience et d'ancienneté

Les tenants de la théorie néoclassique du capital humain sont d'avis que les écarts de salaire sont avant tout dus aux différences en matière de formation, d'expérience et d'ancienneté. Selon cette théorie, les femmes investissent moins dans la formation. Leur taux d'absentéisme est plus élevé sur le marché du travail (par exemple, parce qu'elles dispensent des soins à domicile à un enfant).

Cette théorie est toutefois dépassée : pour ce qui est de la formation, des changements sont en cours depuis une dizaine d'années, qui indiquent qu'un nombre croissant de femmes suivent une formation supérieure et universitaire.

Les filles et les femmes sont en train de rattraper leur retard aux plus hauts niveaux de formation : au cours de l'année académique 2000-2001, la population estudiantine des universités, qui atteignit 55 000 personnes au total en Flandre, compta 5 000 étudiantes de plus que d'étudiants. Cela signifie que ces étudiantes disposent d'une formation aussi sérieuse et aussi valable que celle de leurs condisciples masculins (5).

Il ressort également d'enquêtes réalisées au niveau national et au niveau international que cette théorie ne peut expliquer que très partiellement l'écart salarial existant. Des études de D.J. Treimanen et H.I. Hartmann ont montré que les facteurs en question ne pouvaient le plus souvent expliquer qu'un quart et jamais plus de la moitié des différences salariales entre les deux sexes.

2.2.2. La ségrégation sur le marché de l'emploi en tant que cause des différences salariales

Sur le marché de l'emploi, on fait toujours une distinction entre des professions dites « masculines » et des professions dites « féminines », ainsi qu'entre des secteurs « masculins » et des secteurs « féminins ». En 1999, à peine 6 % des femmes âgées de 15 à 64 ans travaillaient dans le secteur de l'industrie, contre environ un quart des hommes. Dans une perspective internationale, cela signifie que la Belgique ainsi que les deux autres pays du Bénélux et les pays méditerranéens que sont l'Espagne et la Grèce, sont totalement à la traîne en matière de taux d'emploi des femmes dans le secteur de l'industrie.

On constate qu'il y a une ségrégation horizontale : les secteurs du marché de l'emploi où l'on trouve une grande concentration d'hommes sont bien distincts des secteurs où l'on trouve une grande concentration de femmes. En fait, les femmes sont présentes surtout dans les secteurs qui sont axés sur l'amélioration du bien-être (soins de santé, enseignement, distribution, nettoyage, administration), alors que les hommes sont présents surtout dans les secteurs qui sont axés sur le développement de la prospérité. Cette différenciation des rôles dans la société existe déjà au moment du choix des études : les garçons s'orientent plus souvent vers des domaines techniques et les filles vers des domaines de service public, des domaines para-médicaux ou des domaines administratifs.

Il ressort d'enquêtes globales que l'on accorde relativement moins de valeur au travail qui est axé sur l'amélioration du bien-être qu'au travail qui est axé sur le développement de la prospérité (6).

Par ailleurs, les femmes sont toujours peu nombreuses à la tête des entreprises et des organisations de travail en général. Elles accèdent difficilement à des fonctions supérieures. Les facteurs institutionnels, tels que le recrutement et la sélection, continuent à les pénaliser lourdement.

2.2.3. Le travail à temps partiel

Parmi les salariés, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel. Elles sont plus de 39 % à le faire contre à peine 5 % d'hommes.

Pourcentage de travail à temps partiel

Percentage deeltijdse arbeid
1985 1990 1995 2000
Hommes. — Mannen 2 % 2 % 3 % 5 %
Femmes. — Vrouwen 23 % 29 % 33 % 39 %
Total. — Totaal 9 % 13 % 15 % 20 %

Source : http://statbel.fgov.be/press/pr065_fr.asp

En pratique, nombre d'avantages ne sont accordés qu'à des gens qui travaillent à temps plein ou qui travaillent au moins pendant un nombre minimal d'heures par semaine ou par mois. Ils peuvent se traduire par une augmentation des salaires horaires, par l'ouverture du droit à une pension d'entreprise complémentaire, par le maintien du paiement au travailleur, par l'employeur, d'un salaire en cas de maladie, par l'ouverture du droit, par exemple, à une indemnité d'incapacité de travail, à une indemnité de licenciement, à une augmentation salariale ou à une indemnité pour suivre une formation en dehors des heures de travail, par une autre manière de déterminer la longueur de la carrière à prendre en considération en vue du calcul de la pension ou par l'ouverture du droit à une rémunération pour les heures de travail supplémentaires.

Il s'avère, quand on convertit le salaire que perçoivent les personnes qui travaillent à temps partiel, en un salaire à temps plein, que celui des personnes qui travaillent effectivement à temps plein lui est largement supérieur.

2.2.4. La discrimination au niveau de l'évaluation des fonctions

Jadis, les conventions collectives de travail prévoyaient des salaires différents pour les hommes, d'une part, et les femmes, d'autre part, et les salaires des femmes y étaient même exprimés en pourcentage de celui des hommes. Cette époque est heureusement révolue.

L'évaluation des fonctions est un instrument traditionnel qui permet de classer les diverses fonctions selon leur importance au sein d'une organisation de travail et de les mettre dans un juste rapport les unes vis-à-vis des autres.

On peut dire, à titre de comparaison, que, comme une règle graduée verticale à laquelle chaque fonction serait fixée à l'échelon qui lui revient, elle permet d'établir une hiérarchie entre elles.

Cette hiérarchie est ensuite organisée en catégories. En fin de compte, un salaire ou un barème de salaires est attribué à chaque groupe. La structure des rémunérations est alors un fait.

Cette classification des fonctions établie sur la base d'une évaluation de celles-ci est un outil de discussion relative aux salaires correspondant aux fonctions et constitue la base de la structure des salaires.

Dans la pratique, ce sont le plus souvent les partenaires sociaux eux-mêmes ou un bureau-conseil qui effectuent les évaluations des fonctions au sein d'une entreprise ou d'un secteur. Certaines grandes entreprises instaurent un système fait sur mesure.

Deux principes jouent un rôle essentiel à cet égard. Selon le premier, la nature de la fonction sert de critère pour le classement hiérarchique, quelle que soit la personne qui exerce cette fonction. On évalue la fonction elle-même et non pas les prestations fournies par le titulaire de celle-ci. Autrement dit, on évalue la chaise et non pas la personne qui est assise dessus.

Le deuxième principe est celui qui dit : « À travail égal, salaire égal ». Il en résulte que les fonctions d'importance plus ou moins égale sont rémunérées de la même manière.

Comme l'évaluation des fonctions prend en compte la fonction et non pas la personne, on pourrait dire qu'il s'agit d'une activité relativement neutre : peu importe de savoir si une fonction donnée est exercée par un homme ou par une femme. Toutefois, toutes sortes de mécanismes discriminatoires et « stéréotypants » occultes peuvent jouer un rôle au cours du processus d'évaluation des fonctions et déformer l'évaluation au détriment des femmes.

La discrimination qui a lieu dans le cadre de l'évaluation des fonctions constitue une sorte de différence de traitement indirecte entre les deux sexes, qui se traduit par une sous-évaluation des caractéristiques traditionnellement associées aux fonctions féminines (aptitudes sociales, soins physiques et émotionnels, concentration, dextérité) et qui entraîne un classement à une place relativement trop basse dans la hiérarchie des fonctions et dans la grille des salaires, ainsi qu'une surévaluation des caractéristiques traditionnellement associées aux fonctions masculines (comme l'aptitude à diriger, la capacité d'organisation, la compréhension technique, les responsabilités financières, le travail physique lourd).

À cet égard, on perçoit immédiatement le lien qui existe avec la ségrégation sur le marché de l'emploi. Selon les résultats de l'enquête de Chris Vanlaere, « la discrimination dans l'évaluation des fonctions n'est possible que si l'on parle de fonctions masculines et de fonctions féminines ou, autrement dit, que si la ségrégation sur le marché de l'emploi est caractérisée par une ségrégation entre les sexes » (traduction).

Cette discrimination peut avoir lieu à chaque stade de l'évaluation des fonctions, c'est-à-dire soit lors de la description des fonctions, soit lors de l'organisation et de la mise en oeuvre du système en question, soit lors de la transposition des résultats de l'évaluation en vue d'établir les structures salariales.

L'arrêt Rummler de la Cour de Justice des Communautés européennes apporte une série d'indications concrètes concernant les exigences auxquelles doit satisfaire l'évaluation des fonctions dans l'optique de l'égalité de traitement (7).

Il serait inadmissible qu'« un système d'évaluation des fonctions soit organisé dans son ensemble de façon telle qu'il aboutit, en fait, à une discrimination générale des travailleurs d'un sexe par rapport à ceux de l'autre ».

Selon les motifs de l'arrêt, qui précisent les choses à cet égard, le « système d'évaluation des fonctions peut se référer à des critères liés aux caractéristiques que l'on trouve plutôt chez les hommes, à condition qu'il se réfère aussi à d'autres critères auxquels les femmes sont plus aptes à répondre, de manière telle qu'il exclue dans son ensemble toute forme de discrimination sur la base du sexe ».

Selon le motif 25 en particulier, « les critères conditionnant le classement dans différents niveaux de rémunération doivent assurer la même rémunération pour un même travail objectivement donné, qu'il soit accompli par un travailleur masculin ou par un travailleur féminin ».

Il est évident que la discrimination au niveau des fonctions explique pour une bonne part l'écart salarial entre les hommes et les femmes. Elle est responsable à elle seule du tiers de l'écart actuel en Belgique.

Il ressort d'études menées aux Pays-Bas par L. Boelens et A. Veldman que la sous-évaluation du travail des femmes, qui est responsable de toute une série d'écarts salariaux, constitue également un problème juridique à la lumière, notamment, de l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes qui a été cité ci-dessus. La Cour a formulé, dans plusieurs de ses arrêts, toute une série d'exigences formelles qui n'ont pas encore été remplies.

3. Conclusion : l'égalité de rémunération est inscrite dans la loi, mais elle n'existe pas dans les faits

Comme l'indique le chapitre 2, les causes des écarts salariaux entre les hommes et les femmes sont diverses. Certaines sont objectives, mais deux d'entre elles ne le sont pas.

Il va de soi qu'il faut également combattre les causes objectives. Un manque de formation peut être compensé par un apprentissage permanent.

Selon le chapitre 2, il y a deux faits qui favorisent sérieusement la discrimination salariale, à savoir le fait que le travail à temps partiel est moins bien rémunéré que le travail à temps plein et le fait que la discrimination au niveau de la classification des fonctions est fréquente.

Comme le montre le chapitre 1er, l'égalité de traitement est un fait sur le plan juridique, mais elle n'a pas encore été réalisée sur le terrain.

Tous les travailleurs et toutes les travailleuses qui s'estiment lésés et l'organisation syndicale représentative à laquelle ils ou elles sont affiliés, peuvent engager une action en justice auprès de la juridiction compétente en vue d'obtenir l'application du principe de l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (article 5 de la CCT relative à l'égalité de rémunération — article 19 de la loi sur l'égalité de traitement) (8).

Pourquoi les travailleuses n'intentent-elles pas de procès ? Annelies Cattryse répond comme suit : « Même au cas où un travailleur ou une travailleuse se rendrait compte qu'il ou elle n'est pas rémunéré(e) de la même manière que certains de ses collègues, il ou elle aurait peu de chances d'être entendu(e) par les syndicats auxquels on s'adresse pourtant tout normalement en premier lieu.

C'est dû au fait que les syndicats ont mené eux-mêmes des négociations au sujet des classifications de fonctions au sein des commissions paritaires et qu'ils ne sont dès lors pas fort portés à les remettre en question devant un tribunal. »

Elle ajoute qu'il arrive aussi souvent que l'élément émotionnel bride un travailleur dans son envie d'assigner son employeur devant un tribunal.

Elle note enfin que les tribunaux ne disposent souvent pas des connaissances techniques nécessaires. Il faut déjà disposer d'une vaste expertise pour pouvoir juger si un système d'évaluation des fonctions emporte une discrimination fondée sur le sexe.

Voici ce que dit l'enquêtrice Mieke Verheyde : « La loi sur l'égalité de traitement a beau être précise, son application n'en demeure pas moins contestable. On le remarque par le fait que l'égalité sur le marché de l'emploi doit encore devenir une réalité, ce qui est dû en partie au fait que les victimes de discrimination intentent rarement des procès pour faire entendre leurs droits. Les procès sont très peu nombreux en Belgique (9). »

Elle estime également que l'isolement juridique du requérant (« the legal isolation of the claimant ») réduit ses possibilités de déposer plainte pour discrimination et que l'égalité de rémunération ne constitue pas une priorité pour les syndicats : « Il s'avère en fait que l'égalité de traitement n'est pas inscrite comme une priorité au programme de ces organisations (syndicats). » (traduction)

En ce qui concerne l'approche des écarts salariaux, on constate qu'il y a, en Belgique, un décalage entre la situation juridique et la situation réelle. Le travailleur féminin est trop isolé du point de vue juridique pour pouvoir démontrer, par ses propres moyens, qu'une classification de fonctions donnée et la rémunération qui l'accompagne ont un caractère discriminatoire.

En outre, l'élément émotionnel bride souvent le travailleur dans son envie d'assigner son employeur devant un tribunal. C'est pour toutes ces raisons que les femmes ont rarement saisi les tribunaux ces dernières années.

Bien que l'on ait accompli des progrès dans certains domaines, l'égalité de fait au travail est encore loin d'être une réalité, et ce, en dépit de l'interdiction légale de toute discrimination et d'inégalité salariale.

Si la réforme de grande envergure des classifications de fonctions n'a toujours pas été réalisée, c'est parce qu'aucun des partenaires sociaux n'a grand intérêt à remplacer l'ancien système sectoriel de classification des fonctions par un système analytique moderne. Les employeurs risquent d'avoir à faire face à une augmentation des coûts salariaux. Les organisations syndicales risquent d'avoir à faire face à d'importantes tensions internes entre les travailleurs qui auront été classés pendant fort longtemps à un échelon trop élevé de la hiérarchie et qui ne bénéficieront plus d'aucune augmentation de salaire pendant plusieurs années, d'une part, et les autres travailleurs, d'autre part (10).

Par conséquent, cette résolution prendra en compte les desiderata de toutes les parties concernées : employés, employeurs et syndicats.

4. À l'étranger on veut également s'attaquer au problème de l'inégalité de rémunération

4.1. Le Royaume-Uni

Selon le « Report on women employment and pay » (Rapport concernant l'emploi et la rémunération des femmes) du 5 décembre 2001, de Mme Kingsmill, l'écart salarial entre les hommes et les femmes s'élevait à l'époque à 18 % en Angleterre (11).

L'auteur fait diverses recommandations en vue de supprimer cette discrimination. La recommandation qui va le plus loin concerne la condition de divulgation (disclosure requirement), qui a été introduite le 6 avril 2003.

Tout travailleur a le droit d'obtenir des informations relatives au salaire d'un collègue du sexe opposé, s'il a l'impression que ce collègue, qui effectue un travail égal ou équivalent au sien, perçoit un salaire supérieur au sien. L'employeur dispose d'un délai de 8 semaines pour répondre à la demande d'informations du travailleur.

Il y a lieu aussi d'améliorer la gestion du capital humain (human capital management). Le marché de l'emploi subit, en ce moment, des changements radicaux. Le vieillissement de la population oblige les entreprises à tirer un meilleur parti des possibilités qui s'offrent à elles.

Les pouvoirs publics procéderont eux-mêmes, au sein de leurs départements, à des audits concernant l'égalité salariale (equal pay reviews). Ils élaboreront des plans d'action en vue de supprimer les écarts salariaux dans les deux ans.

À l'heure actuelle, la ministre Kingsmill n'impose encore aucun audit (reviews) concernant l'égalité de rémunération au secteur privé. Toutefois, s'il s'avérait, dans quelques années, que les choses ne se sont pas améliorées, il conviendrait de reposer la question de savoir s'il ne faudrait pas revoir la politique salariale (12). Il y a en tout cas lieu d'encourager la réalisation d'études visant à mettre le doigt sur d'éventuelles discriminations salariales.

Par ailleurs, il est prévu d'octroyer des crédits d'impôt aux employeurs qui recrutent des femmes à des fonctions et dans des secteurs où elles sont fort peu nombreuses. Il faut aussi faire en sorte que les femmes puissent s'élever dans la hiérarchie et prévoir à cet effet l'octroi de crédits d'impôt aux employeurs qui leur offrent la possibilité d'accéder à des postes supérieurs.

L'on consacrera également des études aux écarts que l'on relève entre le salaire des travailleurs à temps plein et le salaire converti en salaire pour un temps plein de certains travailleurs à temps partiel. Il existe peut-être des causes objectives qui expliquent ces écarts, mais il se peut aussi qu'il n'y en ait pas. Des mesures pourraient être prises si nécessaire.

4.2. La France

En France, on a introduit, le 28 juin 2004, le label égalité. Ce label est délivré aux entreprises et aux organisations qui oeuvrent à la réalisation de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (13).

Le 4 janvier 2005, le président français a chargé le gouvernement de préparer un projet de loi de mobilisation pour l'emploi (Loi de mobilisation pour l'emploi) (14).

Cette loi devra faire en sorte que les entreprises appliquent effectivement le principe de l'égalité de rémunération dans un délai maximal de cinq ans.

La possibilité a toutefois été donnée aux partenaires sociaux de conclure un accord avant que le législateur n'intervienne directement, ce qui signifie que le gouvernement veut imposer une obligation de résultat aux partenaires sociaux.

L'accord social du 1er mars 2004 prévoyait une réduction de la discrimination salariale, mais on a décidé que les mesures nécessaires à sa mise à exécution devraient être arrêtées dans le cadre de la concertation sectorielle.

Selon l'INSEE, l'écart salarial moyen s'élève à 22 %.

La loi fixera les objectifs, mais elle laissera le soin aux partenaires sociaux de prendre les mesures concrètes nécessaires pour pouvoir les atteindre et de fixer les modalités à respecter pour ce faire.

Des sanctions financières ou juridiques sont prévues pour le cas où les partenaires sociaux ne respecteraient pas la loi.

Margriet HERMANS.
Stéphanie ANSEEUW.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Considérant qu'une enquête récente, qui a été menée auprès de 2000 Belges, a montré qu'en ce qui concerne la suppression des discriminations entre les hommes et les femmes, l'égalité de rémunération constitue la priorité absolue (au total, 37 % l'ont désignée comme telle ou, plus précisément, 35 % des hommes interrogés et 38 % des femmes interrogées);

B. Considérant que l'égalité de rémunération est la condition première de l'égalité professionnelle;

C. Considérant que le principe de l'égalité de rémunération pour les travailleurs féminins et les travailleurs masculins pour un travail de valeur égale a été inscrit en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l'homme;

D. Vu l'article II-83 de la Constitution européenne qui prévoit que l'égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération; que le deuxième alinéa dispose que : « le principe de l'égalité n'empêche pas le maintien ou l'adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté »;

E. Vu l'arrêt Rummler de la Cour de Justice des Communautés européennes qui apporte un certain nombre d'indications concrètes concernant les exigences auxquelles l'évaluation des fonctions doit satisfaire dans l'optique de l'égalité de traitement (15);

F. Vu la conclusion de la conférence de Luxembourg des ministres de l'Union européenne chargés de l'égalité entre les hommes et les femmes du 4 février 2005, selon laquelle l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes doit être éliminée par une approche diversifiée des facteurs sous-jacents, dont la ségrégation sectorielle et professionnelle, les classifications de fonctions et les systèmes salariaux;

G. Considérant que l'enquête menée récemment indiquait que l'égalité de rémunération constitue la priorité absolue dans l'optique de la réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes;

H. Étant donné le décalage entre la situation juridique et la situation que révèle l'approche des écarts salariaux en Belgique;

I. Considérant que les travailleuses sont trop isolées du point de vue juridique pour pouvoir démontrer, par leurs propres moyens, qu'une classification de fonctions avec les rémunérations attachées à celles-ci a un caractère discriminatoire;

J. Vu la loi sur l'égalité de traitement et la CCT nº 25 du 15 octobre 1975 sur l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins, modifiée le 19 décembre 2001 par la CCT nº 25bis,

Demande au gouvernement fédéral :

1. de lancer, dans les six mois suivant l'approbation de la présente résolution, une concertation avec les partenaires sociaux en vue de supprimer, dans un délai maximal de 3 ans, les discriminations entre les hommes et les femmes au niveau des évaluations de fonctions et des classifications de fonctions;

2. de déposer auprès du Parlement, le 8 mars de chaque année, un rapport intermédiaire faisant le point sur les progrès réalisés dans le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux, d'une part, et sur l'élimination de la ségrégation sur le marché de l'emploi, d'autre part, et ce, jusqu'à ce que les discriminations au niveau des évaluations de fonctions et des classifications de fonctions, ainsi que la ségrégation sur le marché de l'emploi aient disparu;

3. de lancer une étude comparative visant à déterminer les causes des écarts salariaux entre le travail à temps partiel et le travail à temps plein et de communiquer les résultats de cette étude au Parlement au plus tard le 8 mars 2006;

4. de supprimer, pour 2009 au plus tard, les disparités non objectives entre la rémunération pour un travail à temps partiel et celle pour un travail à temps plein, en déposant un projet de loi fondé sur les résultats de l'étude comparative visant à déterminer les causes des écarts salariaux entre le travail à temps partiel et le travail à temps plein;

5. de déposer, pour 2009 au plus tard, un projet de loi prévoyant la possibilité, pour un juge, d'ordonner aux parties d'une CCT d'adapter une CCT sectorielle concernant une classification de fonctions, lorsqu'il apparaît qu'elle ne respecte pas les normes concernant l'égalité de rémunération et l'évaluation des fonctions, ni celles qui donnent le droit à un travailleur ou à une travailleuse d'obtenir des informations sur le salaire d'un collègue du sexe opposé qui effectue un travail égal ou équivalent, s'il ou si elle a l'impression que ce collègue bénéficie d'un salaire supérieur au sien.

8 mars 2005.

Margriet HERMANS.
Stéphanie ANSEEUW.

(1) http ://meta.fgov.be/pa/paa/framesetfrce00.htm

(2) Vanlaere Chris, Tijdschrift voor sociaal recht, « Ongelijke beloning en functiewaardering in België », 1999.

(3) Cattryse Annelies, « De positie van de vrouw op de arbeidsmarkt », mémoire de fin d'études, KU Leuven, 2004.

(4) http ://www.cnt-nar.be/CAO/cao-25.doc

(5) Citation d'Annelies Cattryse, supra.

(6) Gevers, Sels, Overlaet, 2001, cité par Annelies Cattryse.

(7) CJCE. 1er juillet 1986 (Rummler/Dato Druck Gmbh), nº C-237/85, Jur. CJCE. 1986, I, 2101.

(8) A. Cattryse, « De positie van de vrouw op de arbeidsmarkt », mémoire de fin d'études KU Leuven, 2004.

(9) M. Verheyde, « Gender equality on the Belgian Labour Market », The principle of equality, a South African and a Belgian perspective, J. Vande Lanotte, J. Sarkin, Y. Haeck, editors, 2001.

(10) http ://meta.fgov.be/pdf/pd/nldfHRW3-2001.pdf Taux d'emploi chez les femmes.

(11) www.kingsmillreview.gov.uk

(12) Conclusions and recommendations, review of women employment and pay, UK.

(13) Coup d'envoi du « label égalité », 29 juin 2004, www.le114.com

(14) Agir pour l'emploi, c'est agir pour plus d'égalité et plus de liberté, www.elysee.fr

(15) CJCE. 1er juillet 1986 (Rummler/Dato Druck Gmbh), nº C-237/85, Jur. CJCE. 1986, I, 2101.