3-416/1

3-416/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

12 DÉCEMBRE 2003


Proposition de loi relative au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire

(Déposée par Mme Christine Defraigne)


DÉVELOPPEMENTS


Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une anomalie d'une particulière gravité. Des centaines d'affections peuvent aujourd'hui être détectées. Dans la majorité des cas, celles-ci ne sont pas guérissables.

Plusieurs techniques sont utilisées. On pense notamment à :

­ l'échographie, technique de routine utilisée en général 3 fois durant la grossesse. Elle détecte les pathologies foetales visibles (fente labiopalatine, anencéphalie, hydrocéphalie, ...);

­ l'amniocentèse, qui consiste à introduire une aiguille dans l'utérus pour récolter du liquide amniotique. Elle permet de déterminer le caryotype du foetus (détection de la trisomie 21); elle permet aussi d'effectuer des dépistages des maladies métaboliques, anomalie du tube neural ou l'étude de l'ADN. Elle est pratiquée en général au début du deuxième trimestre de la grossesse.

Il existe également la mesure de l'alpha-foeto-protéine dans le sang maternel. Ce test est utilisé dans les programmes de dépistage systématique des maladies du tube neural (spina bifida et anencéphalie).

Enfin, le diagnostique préimplantatoire, dit le DPI, qui consiste à analyser les caractéristiques génétiques d'embryons in vitro dans le but de ne transférer que les embryons sains. Son utilisation évite de recourir à l'avortement thérapeutique ou évite la naissance d'un enfant porteur de la maladie dépistée au stade de l'embryon in vitro. Le but est donc d'améliorer les résultats de la fécondation in vitro.

Un point important dans ce type d'examens est son lien avec l'avortement. Que faire en cas de résultats accablants ? L'auteur adhère à la position défendue par l'OMS qui est la suivante : « L'information qui est transmise au couple vise à les aider dans leur processus de décision en leur présentant les diverses options possibles, comme continuer la grossesse jusqu'à son terme, se préparer à un accouchement difficile et des soins néonataux particuliers ou mettre fin à la grossesse ».

La maternité est devenue un agir librement et pleinement assumé. C'est pourquoi la préoccupation de vivre au mieux la période qui précède l'accouchement s'est considérablement développée.

Par ailleurs, beaucoup de femmes aujourd'hui décident de fonder une famille à un âge relativement élevé. Le diagnostic prénatal représente pour ses femmes une sécurité sur l'état de leur grossesse. Il n'est donc pas sans servir la communauté : il favorise la natalité. Ces enfants n'auraient peut-être pas été conçus si ce genre de test n'avait pas existé.

Le diagnostic prénatal pallie également un défaut de fonctionnement d'un mécanisme naturel de protection de l'espèce. La technique ne fait qu'aider la nature comme il est de tradition en médecine. Le bien de l'enfant et de la famille le justifie également.

Mais, les risques de dérives sont réels dans ce dossier, comme l'utilisation de ces tests pour uniquement connaître le sexe de son enfant, pour empêcher la naissance de personnes handicapées ou pour éliminer des foetus qui pourraient développer une maladie génétique grave à 50 ans (maladie de Parkinson). Le pas pour tomber dans l'eugénisme est vite franchi.

Le but de cette proposition de loi est de fixer des balises claires quant à l'utilisation de ces techniques, non pour entraver le travail des médecins, ni pour restreindre la liberté de choix des familles, mais pour les encadrer de manière générale. Il s'agit d'aider ces médecins à faire face aux multiples situations qui se présentent à eux sans tomber dans la dérive.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article 2 détermine le champ d'application de la présente loi en définissant notamment ce que l'on entend par tests prénataux. L'auteur n'a pas voulu énumérer dans la loi les examens visés car de nouvelles techniques verront très certainement le jour dans le futur.

Article 3

§ 1. La femme doit conserver le droit de ne pas savoir. Avec ou sans problème particulier, la femme enceinte peut refuser d'effectuer un test et même d'en connaître les résultats.

§ 2. L'article 3 est fondamental puisqu'il énonce les conditions de l'utilisation des diagnostics prénataux. L'objectif premier de ce type de tests est de veiller à la santé de l'enfant à naître et non de répondre aux caprices des parents dans le but de concevoir un enfant avec telle ou telle caractéristique. L'eugénisme privé est tout à fait inacceptable.

La sélection du sexe pour convenance personnelle, par exemple, n'est jamais souhaitable parce qu'il s'agit d'une mainmise sur la vie et sur l'identité de l'enfant à venir. Cela est d'ailleurs déjà interdit par l'article 5, 5º, de la loi du 11 mai 2003 relative à la recherche sur les embryons in vitro sauf si l'objectif est d'écarter les embryons atteints de maladies liées au sexe.

§ 3. En ce qui concerne le DPI, des précautions particulières supplémentaires doivent être prises puisque le test est réalisé avant la réimplantation de l'embryon dans l'utérus. Il permet de refuser à des embryons porteurs de certaines caractéristiques génétiques anormales la possibilité de se développer jusqu'à la naissance. Le risque d'eugénisme revient au galop. C'est pourquoi la femme enceinte doit y avoir souscrit par écrit et son utilisation est réservée à des cas précis : uniquement pour éviter la naissance d'un enfant gravement malade ou handicapé sur base d'un conseil génétique. Le diagnostic doit avoir pour seul objectif d'identifier une anomalie ou un risque d'anomalie responsable d'une maladie grave, préalablement identifié par écrit par un médecin dans le chef d'un ou des deux parents (mucoviscidose, myopathies, retard mental lié au chromosome X, maladie de Huntington, ...). En effet, à ce jour, les médecins sont capables de diagnostiquer 45 mutations génétiques différentes, qui correspondent à 26 maladies, car une même maladie peut résulter de différentes mutations génétiques. Ils ne recherchent évidemment pas toutes les 45 mutations pour chaque embryon.

Le § 4 traite du problème de l'extension du DPI dans l'intérêt d'un tiers. En 2000, l'affaire du petit Adam avait fait grand bruit aux États-Unis : il avait été choisi parmi six embryons, ses tissus, qui étaient compatibles avec ceux de sa soeur aînée atteinte d'une maladie génétique mortelle (anémie de Fanconi), pouvaient l'aider à guérir. L'objectif de ce dépistage est de transfuser à l'aîné des cellules souches provenant du sang du cordon lors de la naissance de son frère ou de sa soeur. Ce traitement déjà effectué à partir d'enfants compatibles sans avoir été sélectionnés a donné des résultats très encourageants pour l'enfant malade et sans préjudice immédiat pour l'enfant donneur.

Il convient évidemment de s'opposer à la procréation d'un « enfant-médicament » ou à l'instrumentalisation de l'enfant à naître, mais comme le considère d'ailleurs le Conseil consultatif national d'éthique français (avis nº 72 du 4 juillet 2002), « il ne faut pas interdire le tri embryonnaire permettant de sauver un frère ou une soeur déjà né(e). Permettre qu'un enfant désiré représente, en plus, un espoir de guérison pour son aîné est un objectif acceptable, si évidemment l'aspect thérapeutique vient en « second ». L'enfant donneur restera de toute façon un être singulier et c'est même cette singularité qui le constitue en tant qu'être humain unique; le lien biologique, en passant au premier plan, ne l'atténue en rien. Le don de cellules du sang du cordon en raison de son caractère non invasif est un geste simple.

Un entretien approfondi sur les implications avec un psychiatre et une information adéquate donnée par un médecin sont souhaitables pour ce type de situation. Il importe d'éviter que tout échec éventuel de cette grossesse hypermédicalisée, déjà vécue comme une attente difficile à accepter pour sauver l'enfant malade, suscite une importante angoisse voire un sentiment de culpabilité de la part de la mère. La finalité thérapeutique ne doit jamais l'emporter sur l'attente spécifique du second enfant. Tout comme le don du sang du cordon ne doit pas signifier un assujettissement à vie, par des dons de moelle ultérieurs.

Dans le cas où la fécondation in vitro donnerait des embryons in vitro sains, mais non compatibles génétiquement, ces derniers ne peuvent être écartés sous ce seul prétexte. « Le médecin proposera de les réimplanter même s'ils ne sont pas parfaitement compatibles, même s'il ne pourra jamais contraindre une femme à accepter un transfert d'embryons qu'elle récuse ».

Si la femme est libre de refuser cette réimplantation, elle ne pourra par contre plus bénéficier d'une seconde fécondation in vitro. « Elle doit être avertie de cette éventualité avant toute tentative. La médecine, sollicitée ici pour intervenir, se doit d'anticiper cette situation, d'expliquer sa complexité morale pour ne pas se retrouver dans ce dilemme qui privilégierait de fait les intérêts de l'enfant malade plutôt que de l'enfant à naître.

Les parents devront faire en sorte que cet enfant donneur se sente valorisé en apprenant à connaître le problème vital de son aîné et les enjeux de cette situation. Il pourra dans cette perspective comprendre qu'il est au coeur de la solidarité intra-familiale, dont il aurait été bénéficiaire s'il s'était trouvé dans la situation de son aîné. Il s'agit d'une réciprocité directe sans aucun doute virtuelle, mais qui a cependant son poids.

L'autonomie et l'intégrité de l'enfant né après le DPI doivent à tout prix être privilégiées.

Seul le respect résolu de l'altérité peut, dans cette situation, justifier le choix d'un objectif thérapeutique.

Toute technique, tout outil, peuvent être mis au service de finalités opposées, les unes bonnes, les autres mauvaises. Il peut paraître illégitime de s'opposer au nom des risques toujours possibles, aux espoirs suscités par l'utilisation de techniques nouvelles lorsque celles-ci sont reconnues comme efficaces. »

Article 4

En ce qui concerne les incapables, la personne responsable est consultée.

Article 5

Les résultats d'un diagnostic prénatal ou d'un DPI peuvent être accablants pour le couple. Ils ne doivent pas être communiqués de n'importe quelle façon. Seul un médecin, le plus apte à apprécier la portée des résultats, pourra expliquer au cours d'un entretien et avec la forme qu'il convient ce qui attend les futurs parents.

Le médecin est là pour présenter de manière objective aux parents les solutions qui s'offrent à eux. Il ne peut en aucun cas influencer la femme quant à l'avenir de sa grossesse en cas de résultats difficiles.

Article 6

Les données personnelles dans le cadre de la réalisation de tests prénataux ne peuvent être récoltées ou enregistrées que dans le cadre des soins médicaux.

Les données personnelles dans le cadre de diagnostics prénataux sont confidentielles.

L'accès à ces données personnelles n'est autorisé que par la personne de qui elles proviennent. Si un membre du couple désire obtenir les données de l'autre membre, il doit obtenir son consentement libre et éclairé.

Article 7

Des dispositions pénales sont prévues en cas de non respect de la présente loi.

Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, on entend par :

­ diagnostic prénatal : ensemble des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une anomalie d'une particulière gravité

­ diagnostic préimplantatoire, dit le DPI : technique consistant, dans le cadre d'une fécondation in vitro, à analyser une ou des caractéristiques génétiques d'embryons in vitro dans le but de ne transférer que des embryons non porteurs des anomalies détectées.

Art. 3

I. Le diagnostic prénatal

§ 1. Le diagnostic prénatal n'est réalisé que si la femme enceinte y a consenti par écrit.

§ 2. Le diagnostic prénatal n'a d'autre objectif que d'identifier un risque sérieux pour la santé de l'enfant à naître.

II. Le diagnostic préimplantatoire (DPI)

§ 3. En ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire, les conditions des §§ 1er et 2 sont applicables.

En outre :

a) le DPI n'est réalisé qu'après une consultation médicale de conseil génétique.

b) le médecin qui procède au DPI et exerçant son activité dans le cadre d'un programme de soins visé par l'arrêté royal du 15 février 1999, atteste par écrit que le couple a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic;

c) le diagnostic n'est réalisé que s'il a été préalablement et précisément identifié, au moins chez l'un des membres du couple, une anomalie ou un risque d'anomalie responsable d'une maladie visée au point b);

d) le diagnostic n'a d'autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter.

§ 4. Par dérogation au § 2, le DPI est exceptionnellement réalisé dans l'intérêt thérapeutique d'un enfant déjà né du couple, lorsque le médecin a pu s'assurer préalablement, sur base du rapport d'un médecin psychiatre, que l'implantation envisagée n'a pas pour seul objectif cet intérêt thérapeutique.

Avant de prendre sa décision, la femme est en outre informée par le médecin de toutes les conséquences et de tous les risques tant pour l'enfant à naître que pour l'enfant déjà né.

Dans le cas où la fécondation in vitro donne des embryons sains, mais non compatibles génétiquement avec l'enfant déjà né, ces embryons ne sont pas écartés sous ce seul prétexte. La femme est libre de refuser cette réimplantation et de choisir d'en faire don à la recherche scientifique ou à un couple stérile ou de les détruire. Le couple ne peut plus bénéficier d'une seconde fécondation in vitro. Il est informé préalablement de cette éventualité.

Art. 4

Le représentant légal, l'autorité ou la personne autorisée pour représenter selon les dispositions légales les incapables est consulté.

Art. 5

Le résultat du diagnostic prénatal ou du diagnostic préimplantatoire est donné au cours d'une consultation auprès d'un médecin.

Le médecin informe et conseille le couple sur tous les aspects et les choix qu'il estime opportuns, à savoir soit continuer la grossesse jusqu'à son terme, soit se préparer à un accouchement difficile et des soins néonataux particuliers, soit mettre fin à la grossesse.

Art. 6

Au cours du diagnostic prénatal et du DPI, les données personnelles ne sont collectées, traitées et enregistrées qu'à des fins de soins médicaux, de diagnostic et de prévention de la maladie, ainsi qu'à des fins de recherche strictement liées aux soins médicaux.

Toute information, à caractère personnel, obtenue dans le cadre d'un diagnostic prénatal et d'un DPI est tenue confidentielle.

Le droit d'accès aux données personnelles collectées en vue du diagnostic prénatal et du DPI n'est accordé qu'à la personne concernée par ces données.

Art. 7

Quiconque effectue un diagnostic prénatal ou un diagnostic préimplantatoire sans respecter les présentes dispositions légales est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 1 000 à 10 000 euros ou d'une de ces peines seulement.

Quiconque ne respecte pas les dispositions relatives à la confidentialité des données personnelles est puni d'un emprisonnement de un à six mois et d'une amende de 100 à 500 euros.

1er août 2003.

Christine DEFRAIGNE.