3-315/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

7 NOVEMBRE 2003


Proposition de loi prévoyant la cessation du mandat de membre du Parlement européen en cas d'élection à une autre assemblée parlementaire

(Déposée par M. Luc Van den Brande et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi vise à renforcer le rôle de l'électeur en privant de leur premier mandat les parlementaires qui se portent candidats à l'élection d'une autre assemblée parlementaire et qui y sont élus, de sorte qu'ils ne pourront exercer que le dernier mandat pour lequel ils ont été élus.

La structure fédérale de la Belgique fait que les élections du parlement fédéral et des conseils de région ont lieu simultanément ou à des dates rapprochées. Viennent en outre s'y ajouter les élections du Parlement européen, qui sont normalement organisées en même temps que les élections des conseils de région.

Les conditions d'éligibilité n'excluent pas qu'un membre du Parlement européen se porte candidat à l'élection de la Chambre des représentants, du Sénat, du Conseil flamand, du Conseil régional wallon ou du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.

Nous ne souhaitons rien modifier à cet égard. Il convient de permettre à un élu de se porter candidat à un autre niveau de pouvoir que celui dont il fait partie. Il peut d'ailleurs s'avérer utile de savoir comment fonctionne un autre niveau de pouvoir et quels problèmes s'y posent.

Bien qu'aucune obligation constitutionnelle ou légale n'existe en la matière, normalement, le candidat qui est déclaré élu, exerce effectivement son mandat. Il en va autrement lorsque ce candidat exerce déjà un mandat parlementaire. Il ne peut exercer qu'un seul mandat en raison de l'incompatibilité constitutionnelle ou légale qui existe entre deux mandats parlementaires. La législation actuellement en vigueur lui laisse le choix entre poursuivre l'exercice du mandat parlementaire qu'il exerce ou démissionner de ses fonctions et exercer le nouveau mandat pour lequel il a été élu.

Il va de soi que cette possibilité de choix n'est pas de nature à renforcer la participation citoyenne ni la crédibilité du monde politique. L'électeur escompte à juste titre qu'un candidat élu exerce effectivement son mandat. Le personnel politique qui exerce un mandat parlementaire et est déclaré élu pour un mandat parlementaire d'un autre niveau de pouvoir, mais qui renonce à exercer ce dernier mandat, donne l'impression de ne pas prendre au sérieux le verdict de l'électeur. La confiance dans les institutions politiques n'en sort pas renforcée parce que l'électeur a le sentiment d'avoir été trompé : au lendemain des élections, il doit constater que son suffrage est subordonné au plan de carrière du politique.

La présente proposition n'instaure pas de nouvelle incompatibilité. Une incompatibilité est « l'interdiction faite à une personne qui est élue à un mandat ou qui exerce une fonction ou un mandat, d'être simultanément titulaire d'un autre mandat ou fonction, de l'exercer » (1). En cas d'incompatibilité absolue, le titulaire d'un mandat ou d'une fonction est obligé de renoncer à sa qualité de titulaire pour pouvoir exercer un mandat ou une fonction incompatible avec l'exercice de l'autre. En cas d'incompatibilité relative, la personne ne peut exercer simultanément deux fonctions ou mandats incompatibles. Dans les cas d'incompatibilité tant absolue que relative, le titulaire a le choix d'exercer ou non l'autre mandat ou fonction.

La présente proposition prévoit que le mandat de membre du Parlement européen s'achève lorsque son titulaire s'est porté candidat à un mandat au sein d'une autre assemblée parlementaire et a été élu, et ce, même avant qu'il soit question d'exercer simultanément deux mandats. Elle tend à attacher une conséquence de plein droit au fait d'avoir été élu pour une autre assemblée parlementaire et règle donc en fait la déchéance d'un mandat parlementaire.

Le texte proposé prévoit que ce mandat s'achève de plein droit sans que soit laissée à l'intéressé la faculté de choisir entre le mandat dont il est titulaire et le nouveau mandat pour lequel il a été élu (2).

La présente proposition vise ainsi à faire en sorte que les parlementaires qui se portent candidat à un mandat au sein d'une autre assemblée parlementaire et sont élus exercent effectivement leur nouveau mandat et ne fassent pas fi de la volonté de l'électeur. Si elle n'oblige toutefois pas l'élu à exercer son nouveau mandat parlementaire, la présente proposition n'en incite pas moins fortement l'intéressé à assumer celui-ci. Elle entend assurer ainsi un meilleur respect de la volonté de l'électeur et accroître la transparence lors des élections.

La présente proposition de loi vise à insérer dans la loi du 23 mars 1989 relative à l'élection du Parlement européen un article 44bis prévoyant que le membre du Parlement européen qui s'est porté candidat à l'élection d'une autre assemblée parlementaire et a été élu membre de celle-ci perd sa première qualité au moment de son élection et de la proclamation de celle-ci. S'il achève, par suppléance, un mandat au sein d'une autre assemblée, la prestation de serment est l'instant où il perd sa première qualité. La seule exception à ce principe concerne le mandat de membre du Conseil de la Communauté germanophone, qui est compatible avec celui de membre du Parlement européen.

À l'encontre du principe de la présente proposition de loi, on pourrait objecter qu'un élu ne peut exercer effectivement son mandat qu'après la validation des élections et la vérification des pouvoirs. Les cas où les élections sont déclarées invalides sont toutefois si exceptionnels que cette hypothèse est plutôt d'ordre théorique. Il en va de même pour un élu dont les pouvoirs n'ont pas été acceptés.

On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si une réforme de la réglementation actuelle relative à la validation et à la vérification des pouvoirs est conciliable avec l'article 3 du Premier Protocole de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à des élections libres au scrutin secret, et avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière.

La validation et la vérification des pouvoirs relèvent actuellement de la compétence des chambres législatives et des conseils communautaires et régionaux. Dans son arrêt Podkolzina, la Cour européenne des droits de l'homme est arrivée à la conclusion que, lors de la procédure de constat d'inéligibilité d'un candidat, une décision « équitable et objective » doit être prise afin « d'éviter tout abus de pouvoir ».

Bien que l'arrêt Podkolzina de la Cour européenne des droits de l'homme n'aborde que la procédure de constat d'inéligibilité d'un candidat, ce raisonnement peut également s'appliquer à l'autre volet de la vérification des pouvoirs, à savoir la validité des opérations électorales. En toute logique, la procédure permettant de statuer sur la validité des opérations électorales doit être, comme le précise la Cour, « de nature à garantir une décision équitable et objective, ainsi qu'à éviter tout abus de pouvoir ». Dans la mesure où, dans le cadre de la vérification des pouvoirs, l'on ne s'y emploie pas systématiquement, il convient de se demander si l'article 48 de la Constitution et l'article 31 de la loi spéciale de réformes institutionnelles, qui garantissent le monopole des chambres législatives et des conseils communautaires et régionaux en la matière, sont conciliables avec l'article 3 du Premier protocole de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'il est interprété par la Cour européenne des droits de l'homme. Dans la mesure où la procédure ne garantit pas l'impartialité de l'organe de décision, il convient de répondre par la négative » (3).

On ne peut dès lors pas exclure une réforme de la réglementation en vigueur. Une telle réforme sort toutefois du champ d'application de la présente proposition.

La présente proposition de loi forme un tout avec d'autres propositions mettant fin au mandat de membre du Parlement fédéral, du Conseil flamand, du Conseil de la Communauté française, du Conseil régional wallon, du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale et du Conseil de la Communauté germanphone.

Luc VAN den BRANDE.
Ludwig CALUWÉ.
Sabine de BETHUNE.
Stefaan DE CLERCK.
Mia DE SCHAMPHELAERE.
Etienne SCHOUPPE.
Erika THIJS.
Hugo VANDENBERGHE.
Marc VAN PEEL.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Un article 44bis, libellé comme suit, est inséré dans la loi du 23 mars 1989 relative à l'élection du Parlement européen :

« Art. 44bis. ­ Le membre du Parlement européen qui, étant candidat aux élections des Chambres législatives fédérales ou d'un conseil de communauté ou de région, à l'exception du Conseil de la Communauté germanophone, est élu, perd sa qualité de membre du Parlement européen dès la proclamation de son élection.

Le membre du Parlement européen qui, en tant que suppléant, achève le mandat d'un membre des Chambres législatives fédérales ou d'un conseil de communauté ou de région, à l'exception du Conseil de la Communauté germanophone, perd sa qualité de membre du Parlement européen dès l'instant où il prête serment en tant que membre des Chambres législatives fédérales ou d'un conseil de communauté ou de région. »

9 octobre 2003.

Luc VAN den BRANDE.
Ludwig CALUWÉ.
Sabine de BETHUNE.
Stefaan DE CLERCK.
Mia DE SCHAMPHELAERE.
Etienne SCHOUPPE.
Erika THIJS.
Hugo VANDENBERGHE.
Marc VAN PEEL.

(1) K. Muylle, « Parlementaire en ministeriële onverenigbaarheden », in M. Van Der Hulst et L. Veny, « Parlementair Recht, Commentaar en teksten », 1999, nº 3, p. 3.5.-2.

(2) Voir également « Voorstel van bijzonder decreet houdende wijziging van het bijzonder decreet van 26 juni 1995 houdende invoering van onverenigbaarheden met het mandaat van lid van de Vlaamse Raad, Vlaams Parlement, stuk nr. 1547 (2002-2003), nr. 2 ».

(3) K. Muylle et J. Van Nieuwenhove, « Parlement Recht », in « Tijdschrift voor Bestuurswetenschappen en Publiek Recht », 2003, nº 3, p. 191-192.