2-657/3

2-657/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

14 MARS 2001


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision de l'article 184 de la Constitution

(Déclaration du pouvoir législatif,
voir le « Moniteur belge » n º 88
du 5 mai 1999)


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR MME NYSSENS ET M. LOZIE


I. PROCÉDURE

Le 14 février 2001, le gouvernement a introduit une proposition de révision de l'article 184 de la Constitution, afin d'adapter celle-ci au nouveau paysage policier (doc. Sénat, nº 2-657/1).

La commission des Affaires institutionnelles a examiné ladite proposition lors de ses réunions des 22 février, 8 et 13 mars 2001.

Le 13 mars 2001, la commission des Affaires institutionnelles a adopté cette proposition après l'avoir amendée.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

1. La présente proposition de modification de l'article 184 de la Constitution trouve d'abord son origine dans la déclaration de révision de la Constitution émanant du précédent gouvernement, eu égard à la disparition de la gendarmerie et à la mise en place simultanée de la police fédérale. Le texte de l'actuel article 184 de la Constitution, qui dispose que l'organisation et les attributions de la gendarmerie font l'objet d'une loi, devait donc être formellement adopté.

Par ailleurs, cette modification trouve également son origine dans un point de vue plusieurs fois répété par le Conseil d'État et que l'on peut résumer comme suit :

­ la police fédérale peut être considérée comme l'« héritière » de la gendarmerie;

­ le statut du personnel de la gendarmerie fait l'objet d'une loi en vertu de l'article 184 de la Constitution;

­ l'article 184 de la Constitution concerne en effet non seulement l'organisation et les attributions, mais également le statut;

­ dès lors, le statut du personnel de la police fédérale (et de la police locale puisque le statut est identique pour tous les policiers ­ article 119 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux) doit être réglé par la loi, ou à tout le moins ses composantes essentielles.

Tel est très schématiquement le syllogisme suivi par la section de législation du Conseil d'État.

2. Il convient de remarquer que c'est à l'occasion de l'avis qu'elle a rendu sur la proposition de loi qui est devenue la loi du 7 décembre 1998 que la section de législation s'est pour la première fois exprimée en ce sens. D'abord à titre d'observations générales (doc. Chambre, nº 1676/5, 1997-1998, pp. 1 à 5), le Conseil d'État a répété son point de vue à propos de l'article 121 qui confère au Roi le pouvoir d'arrêter le statut du personnel.

Force est de constater que le législateur n'a pas estimé devoir adapter le texte de l'article 121, nonobstant cette réserve du Conseil d'État. La question avait pourtant été sérieusement débattue à l'époque en commission de l'Intérieur de la Chambre. M. Tant, l'un des membres de cette commission, avait expréssement conclu qu'il ne fallait pas modifier la Constitution avant de pouvoir poursuivre l'examen de la loi proposée. Il ajouta même que la proposition de loi contenait une modification « implicite » de la Constitution. Et encore que « la gendarmerie n'est ancrée qu'indirectement dans la Constitution par l'article précité » (184) (doc. Chambre, nº 1676/9, 1997-1998, p. 47).

3. Le Conseil d'État semble fonder son point de vue sur une confusion entre l'article 182 et l'article 184 de la Constitution. En vertu de l'article 182 de la Constitution, les droits et les devoirs des militaires (donc leur statut) sont réglés par la loi. L'article 184 de la Constitution ne traite en revanche que de l'organisation et des attributions de la gendarmerie et nullement du statut de son personnel.

Tant que le personnel de la gendarmerie avait la qualité de militaire (c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 1992), il était incontestablement visé par l'article 182 de la Constitution, sinon le constituant aurait pris la peine de répéter à l'article 184 ce qu'il avait dit dans l'article 182. Lors de l'élaboration de la loi statutaire du personnel de la gendarmerie (loi du 27 décembre 1973), c'est d'ailleurs à l'article 182 que le Conseil d'État a fait référence à titre de fondement de cette loi. Depuis sa démilitarisation, ce personnel n'a plus cette qualité de militaire et il ne va dès lors plus de soi que cet article 182 le concerne encore.

À plusieurs reprises, le Conseil d'État a invoqué trois arrêts de la Cour d'arbitrage pour fonder son point de vue (nºs 34/96 du 15 mai 1996, 134/99 du 22 décembre 1999 et 91/2000 du 13 juillet 2000). Dans ces trois arrêts, la question de la compatibilité de certaines dispositions statutaires applicables au personnel de la gendarmerie avec l'article 184 de la Constitution a bien été évoquée et même deux fois par un moyen soulevé d'office par la Cour ... mais force est de constater que cette question n'a été tranchée dans aucune des trois affaires. Arguer du silence de la Cour d'arbitrage pour fonder son point de vue n'est pas pertinent.

4. Enfin, et pour autant que de besoin, il convient de rappeler que l'article 121 de la loi du 7 décembre 1998 qui charge le Roi de fixer le statut du personnel du service de police intégré ne donne pas un pouvoir absolu au Roi puisque ce statut doit être arrêté « conformément et dans les limites fixées par la loi ». La loi du 7 décembre 1998 contient elle-même, dans ses articles 116 à 140, les principes essentiels du statut des membres de la police.

5. Quoi qu'il en soit, une précision dans le texte même de la Constitution, permettant que le statut du personnel soit fixé par ou en vertu de la loi, lèvera toute ambiguïté et mettra fin à toute contestation quant au pouvoir du Roi. En revanche, les missions et l'organisation du service de police intégré doivent être réglées par la loi.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Une membre invite la commission à procéder à des auditions sur la disposition en projet, comme elle l'a fait à propos de la proposition de révision de la Constitution en ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes (doc. Sénat, nº 2-465/4). La nécessité d'un éclairage extérieur lui semble en effet s'imposer dans un sujet aussi important, qui concerne la manière de concevoir la distribution des pouvoirs au sein de l'État.

Une autre membre estime que le texte de la proposition est très clair et qu'il n'est pas nécessaire de procéder à des auditions sur celui-ci. Son groupe politique souscrit au texte proposé, mais suggère de déplacer la disposition vers le titre VII de la Constitution, dans la mesure où elle n'a plus aucun rapport avec les forces armées dont il est question au titre VI.

Une membre attire l'attention sur l'importance de la proposition. Non seulement on révise la Constitution, mais on touche à l'équilibre entre les pouvoirs. Il s'agit de déterminer le pouvoir qui va arrêter le statut de la nouvelle police. Le gouvernement présente cette révision comme urgente car les statuts de la nouvelle police fédérale doivent entrer en vigueur au 1er avril 2001. Le Parlement dispose donc de peu de temps pour analyser un article fondamental de la Constitution. Pourquoi cette proposition n'a-t-elle pas pu être présentée plus tôt ? La réforme des polices a été à plusieurs reprises à l'ordre du jour du Sénat au cours de cette législature, notamment lors de la discussion de la loi du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police. Le Conseil d'État a rendu des avis, tant sur la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, que sur la loi précitée du 27 décembre 2000. Sa position est connue quant au pouvoir législatif et aux dérogations accordées au Roi en vertu de l'ancien article 184 de la Constitution. Un nouvel avis du Conseil d'État est attendu sur le projet d'arrêté établissant les statuts de la police. Cet avis sera très intéressant puisqu'il contiendra une analyse de ce qui peut être délégué ou non au Roi en cette matière. Si le gouvernement n'était pas d'accord avec les avis du Conseil d'État, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour déposer une proposition de modification de l'article 184 de la Constitution ? Cela donne l'impression que la Constitution est modifiée pour justifier des lois adoptées au Parlement. C'est une méthode pour le moins légère et critiquable.

Sur le plan du fond, il ne faut pas oublier que l'article 184 de la Constitution est ouvert à révision pour une adaptation terminologique. Or, la présente proposition de modification ne se borne pas à remplacer le terme « gendarmerie », elle va au-delà de la volonté du préconstituant en modifiant l'équilibre des pouvoirs dans notre État de droit. Si l'organisation de la police doit être réglée par la loi, la position juridique du personnel, soit son statut, sera désormais arrêté « par », mais aussi « en vertu de la loi ».

Certes, le gouvernement a besoin d'une marge de manoeuvre pour mettre en oeuvre sa politique, l'on ne peut faire appel au Parlement pour adopter la moindre décision en matière de statut juridique du personnel de la police. Mais il faut à tout le moins baliser le pouvoir du Roi. L'article 184 proposé ne contient aucune restriction, il ne précise pas les socles de compétences réservées à la loi et les matières susceptibles d'être déléguées au Roi. À cela, on objectera peut-être que le Parlement, en votant la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, a approuvé le cadre légal auquel le Roi doit s'en tenir. La membre rappelle cependant que cette loi a été votée sous l'empire de l'article 184 actuel de la Constitution, et non sur base de l'article 184 proposé aujourd'hui.

Il est particulièrement remarquable qu'aucune Constitution, dans les pays voisins du nôtre, ne comporte de disposition donnant au Roi la compétence d'arrêter les statuts de la police. C'est toujours la loi qui fixe les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'État, en ce compris les fonctionnaires de police. La Constitution néerlandaise dispose que la loi règle le statut des fonctionnaires. En Allemagne, il est prévu que le pouvoir fédéral a la compétence législative exclusive en matière de statuts du personnel au service de la république fédérale. Dans ce dernier pays, comme en Italie, l'histoire donne l'exemple des dérives possibles en cas de concentration excessive des pouvoirs de police entre les mains de l'Exécutif.

On ne peut toucher à une charte fondamentale sur une matière aussi importante que l'ancienne gendarmerie et la nouvelle police, sans prendre de précautions. La membre dit partager les inquiétudes exprimées par le Conseil d'État dans son avis sur le projet devenu la loi du 27 décembre 2000, précitée. Sans l'avis du Conseil d'État sur le projet d'arrêté fixant les statuts, il est difficile de faire le relevé des points pouvant être effectivement délégués au Roi en vertu de la loi. Que faut-il réserver à la loi en matière de statuts disciplinaires de la police ? En matière de mobilité, de détachement, de déontologie, de diplômes, de rémunération, en ce qui concerne la réaction d'un agent de police à un ordre illégal, en ce qui concerne les droits et les obligations inscrits dans les statuts, que peut-on déléguer au Roi ? Les statuts concernent les droits et obligations de la personne, ils touchent au domaine des libertés. Ces libertés doivent être protégées.

Comment baliser le pouvoir du Roi à l'article 184 ? L'on peut supprimer purement et simplement les mots « en vertu de la loi ». Si le statut du personnel est réglé par la loi et les principes fixés dans la loi du 7 décembre 1998, pourquoi prévoir encore à l'article 184 que la position juridique est réglée en vertu de la loi ?

Il serait intéressant de faire l'historique des délégations au Roi en matière de police. Le législateur de 1831, prudent, n'avait pas confié de délégation au Roi en la matière. Aujourd'hui, des auditions s'imposent pour, avec l'aide de constitutionnalistes ou d'experts en matière de police, identifier ce qui doit être réglé par la loi et ce qui peut être délégué.

Enfin, il faut souligner que, pour l'organisation des autres pouvoirs, notamment le pouvoir judiciaire, les normes n'ont pas subi de changement fondamental. Une extension de cadre dans la magistrature nécessite toujours une loi. À la suite des accords octopartites, un organe a été créé à l'article 151 de la Constitution pour faire au ministre des propositions de nomination des magistrats.

Comment dès lors peut-on se contenter, en matière de police, de déléguer au Roi des pouvoirs non circonscrits, alors que l'on a pris tant de précautions constitutionnelles pour l'organisation interne du pouvoir judiciaire ?

En conclusion, la membre approuve la révision de l'article 184 de la Constitution en tant qu'elle vise à remplacer le terme « gendarmerie ». Elle soutient aussi la volonté d'assurer un statut unique pour l'ensemble de la police et marque son accord pour que l'esprit de la réforme soit « bétonné » à l'article 184. Cependant, pourquoi ne pas consacrer aussi l'existence des niveaux local et fédéral de la police ? L'on pourrait en effet imaginer une réforme de la police structurée à des niveaux différents. Que signifient exactement les termes « position juridique » ? L'introduction de termes nouveaux dans la Constitution implique que l'on en cerne bien les contours. Enfin et surtout, la membre refuse d'adopter une disposition qui modifierait l'équilibre constitutionnel des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement, sans baliser le pouvoir de ce dernier.

En réponse à la suggestion de la première intervenante, le ministre de l'Intérieur se dit convaincu de l'utilité de mettre de l'ordre dans les dispositions de la Constitution. Toutefois, il faut vérifier au préalable si c'est possible et, si oui, dans quelles conditions.

Le ministre confirme ensuite son attachement à la démocratie et son souci de veiller à la garantie des libertés. Cependant, il ne faut pas être hypocrite. La réforme entre en vigueur sous peu et l'adaptation de la Constitution est urgente. Le ministre rappelle que sa position a été constante. Il s'est fondé sur les conclusions d'un groupe de travail officiel sur les réformes des polices, remises au premier ministre sous la législature précédente. Selon ces conclusions, « La proposition ne méconnaît pas l'article 184. Au contraire, elle applique simplement la possibilité suggérée par le Conseil d'État d'harmoniser le fonctionnement et l'intervention de la gendarmerie, à cet égard qualifiée de police fédérale, avec d'autres services qui seront réunis dans un service de police intégrée, structurée à deux niveaux ».

L'avis du Conseil d'État sur le projet d'arrêté relatif aux statuts n'est pas encore disponible, mais ayant recueilli certains échos, le ministre a pris l'initiative du présent projet en vue de mettre fin aux controverses.

L'article 184 ne pose pas de difficulté particulière. La proposition adapte la terminologie et bétonne l'exigence de principe de ne pas avoir de police unique. Le constituant doit-il s'enfermer dans une terminologie précise à un moment donné ? Le ministre ne le pense pas. Les modalités de la police intégrée, structurée à deux niveaux pourront évoluer.

Les réponses aux questions plus précises relatives aux statuts figurent dans la loi du 7 décembre 1998. Il y est clairement dit que le statut disciplinaire est réglé par la loi. Ce statut disciplinaire, adopté sous la législature précédente, a d'ailleurs suscité certaines insatisfactions dans la mesure où il n'offrirait pas les garanties suffisantes pour l'exercice des droits. Des propositions de modifications seront donc soumises au Parlement.

Les dispositions réglementaires seront encadrées par la loi. C'est dans cet esprit qu'a été conçu le chapitre consacré aux statuts dans la loi du 7 décembre 1998. Les développements relatifs à l'article 121 de la loi, donnant délégation au Roi pour arrêter les statuts, précisent que : « Le Roi ne dispose pas d'une habilitation illimitée. Les articles 122 à 140 énumèrent un ensemble de principes essentiels du futur statut, qui balisent singulièrement le pouvoir discrétionnaire du Roi. »

Effectivement, on précise dans ces dispositions comment fonctionne l'exercice de l'autorité au sein de la police, en privilégiant la hiérarchie fonctionnelle à la hiérarchie fondée sur le grade. On y lit que les procédures de nomination, d'avancement, de recrutement doivent se dérouler dans une parfaite objectivité. On y dit expressément que les policiers disposent des mêmes droits que les citoyens; que les policiers sont chargés de respecter et faire respecter les droits de l'homme. On y réglemente la disponibilité du policier et l'exercice du droit de grève.

On y définit la notion d'impartialité dont doivent faire preuve les policiers. On y consacre la possibilité de mobilité, de même que l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sous réserve des dispositions protectrices de la maternité. On y inscrit l'obligation d'intégrité. Enfin, on y règle la question des incompatibilités professionnelles, le cumul entre la qualité de policier et d'autres activités professionnelles.

La présente proposition de modification de l'article 184 de la Constitution ne vise pas à justifier après coup des lois votées. C'est parce que l'ensemble de la problématique a été abordée que le préconstituant a décidé d'ouvrir à révision l'article 184 et nous habilite à lever aujourd'hui toutes les ambiguïtés.

Un membre souligne qu'au début de la législature, l'accent a été mis sur la revalorisation du Sénat, son nouveau rôle en tant que chambre de réflexion. Or, le texte actuellement soumis et la manière de travailler imposée ne constituent guère un exemple de bon travail. C'est seulement aujourd'hui que les membres ont eu officiellement le texte sous les yeux, alors qu'il s'agit d'une révision de la Constitution. L'article 184 a été ouvert à révision sous la législature précédente, entre autres en prévision de la suppression de la gendarmerie. La loi est votée, la gendarmerie disparaît dans les principes. Cependant, le gouvernement rencontre des difficultés dans l'élaboration des statuts et le Conseil d'État, consulté, lui rappelle l'article 184 de la Constitution. Dès lors, le gouvernement dépose rapidement une proposition de révision de la Constitution pour éviter les problèmes. Le gouvernement savait depuis un an et demi que cette adaptation était requise et le texte n'était pas très difficile à rédiger. Cette manière de travailler n'est pas correcte et revient à considérer que le Sénat et la Chambre doivent « dépanner » le gouvernement.

D'autre part, le membre partage les craintes de l'intervenante précédente : les mots « en vertu de la loi » sont la porte ouverte à un sérieux glissement de pouvoir du pouvoir législatif vers l'exécutif.

Une membre admet que la Constitution devait être révisée depuis un certain temps, mais l'essentiel est qu'un texte soit enfin sur la table et que la modification soit opérée convenablement. Les discussions de la législature précédente se sont conclues par la volonté de créer un service de police intégré, structuré à deux niveaux. La réforme doit pouvoir se mettre en place le plus rapidement possible et une révision de la Constitution s'impose pour qu'aucune zone d'ombre ne vienne la mettre en péril. Le citoyen doit en effet disposer d'une police efficace sur le terrain. L'article 121 de la loi du 7 décembre 1998 est très clair. Le législateur a bien indiqué les limites qu'il entendait mettre à l'action du gouvernement. C'est dans le droit fil de cette disposition qu'il convient de continuer à travailler.

Il est important que la volonté d'une police intégrée, à deux niveaux, soit consacrée dans la Constitution. La membre s'interroge toutefois sur la terminologie utilisée. Dans le texte néerlandais, est-il correct de disposer que « de rechtspositieregeling ( ... ) wordt geregeld » ? En français, l'expression « position juridique » n'est pas très claire. Peut-être pourrait-on reprendre la formulation de l'article 121 de la loi du 7 décembre 1998, en tenant compte du fait qu'il peut y avoir différentes positions juridiques dans les statuts.

Le ministre s'engage à examiner ces observations techniques et légistiques. Sur le plan politique, il explique que dès le commencement de la réforme des polices, la difficulté de la tâche au niveau du personnel est apparue. Le personnel appartenait en effet à des services de police différents, avec leur propre culture et leurs statuts. Il fallait harmoniser l'ensemble en tentant d'éviter les mécontentements. Les négociations fructueuses menées avec les syndicats ont permis d'obtenir un large accord sur un projet de statut. Ces dispositions statutaires seront plus claires, amélioreront les choses, notamment sur le plan pécuniaire. C'est pourquoi le ministre met tout en oeuvre pour que ces dispositions puissent entrer en vigueur le plus tôt possible.

IV. EXAMEN DE L'ARTICLE

A. Réunion du matin du 8 mars 2001

Un autre membre rappelle que le gouvernement a déposé une proposition de révision de la Constitution visant, d'une part, à supprimer la mention de la gendarmerie et, d'autre part, à régler la position juridique des membres du personnel du service de police intégré, structuré à deux niveaux, par ou en vertu d'une loi. Le groupe de l'intervenant ne peut en aucun cas approuver les mots « en vertu d'une loi ». Il dépose avec deux autres sénateurs un amendement (amendement nº 6 de M. Vandenberghe et consorts) visant à permettre au gouvernement de réaliser le statut de la police dans les délais fixés, sans compromettre ni le principe de la base légale de l'organisation de la police, ni le statut du personnel.

Pour l'intervenant, ce n'est pas un hasard si la loi est mentionnée dans la Constitution. Le texte initial de l'article 122 de la Constitution de 1831 disposait littéralement ce qui suit : « Il y a une garde civique. L'organisation en est réglée par la loi. » À l'époque, l'article 123 de la Constitution disposait que « La mobilisation de la garde civique ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi ». Ce sont là des dispositions importantes dont il faut examiner quelle était la signification précise.

La préconstituante de la législature précédente n'a pas estimé que l'entrée en vigueur de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux rendait obsolète l'article 184 de la Constitution et les garanties démocratiques que cet article comporte. En outre, la loi doit régler non seulement l'organisation et les attributions du service de police intégré, mais, en principe, aussi le statut de son personnel. Il est utile de se repencher sur les textes du Congrès national de 1830. La sagesse constitutionnelle de ce congrès sur le plan de la protection des libertés publiques est reconnue par tous. En 1830, la Belgique avait la constitution la plus libérale du XIXe siècle. Toute l'organisation de la force publique a été soustraite à la compétence de l'exécutif pour les raisons suivantes, qui sont exposées dans la publication du professeur docteur Marc Verdussen Contours et enjeux du Droit constitutionnel pénal, 1995, Bruylant, p. 355 : « Ainsi que l'a observé Francis Delpérée, la spécificité constitutionnelle de la gendarmerie comme force de police repose sur deux éléments. Tout d'abord l'existence même de la gendarmerie est reconnue par la Constitution. Ensuite, l'organisation et les attributions de la gendarmerie sont rangées parmi les matières réservées au seul législateur. Ceci se justifie par la volonté d'éviter ­ dans le cadre de la séparation des pouvoirs ­ que la force publique qu'est la gendarmerie soit entre les mains du gouvernement. Il y va ainsi d'une dérogation à l'article 107, alinéa 2, de la Constitution ancien qui permet au Roi d'adopter à l'exclusion du législateur les règles d'organisation de l'administration générale de l'État. Ces deux éléments témoignent d'une double préoccupation du Constituant qui a entendu (1830), d'une part, garantir la souveraineté nationale vis-à-vis des menaces intérieures en instituant une force capable d'assurer la protection de l'État et de ses habitants et, d'autre part, se prémunir contre les dangers que peut représenter une force publique dont la puissance serait utilisée pour remettre en question l'ordre légal. »

Selon l'intervenant, ce point de vue est confirmé également par d'autres sources. Le professeur Jan Velaers écrit ainsi dans « De Grondwet en de Raad van State, afdeling Wetgeving », 1999, Maklu, p. 637 : « L'organisation de la police (anciennement la gendarmerie) est réservée au législateur. » (traduction). Selon le membre, cette thèse est fondée sur d'importantes considérations liées à l'histoire et à la théorie du droit. La gendarmerie était organisée suivant le principe de la stricte séparation des pouvoirs. Après la création des Pays-Bas-Unis, la « gendarmerie nationale » fut supprimée et remplacée par la « maréchaussée », par le décret du Prince d'Orange du 26 octobre 1814. Cette appellation était une référence explicite au corps de l'Ancien Régime : on abandonnait sciemment le concept de la force publique au service des pouvoirs constitutionnels ­ impliquant ipso facto qu'elle ne serait pas au service d'un seul pouvoir ­, pour en revenir sous le régime néerlandais à un concept régalien de la force publique en vertu duquel cette force interviendrait exclusivement sur l'ordre du souverain et pour son service. La Révolution belge a voulu en finir avec cette conception exécrable suivant laquelle la police pourrait être aux mains du gouvernement et c'est la raison pour laquelle le constituant a précisé que la police devait être de la compétence du législateur. En d'autres termes, l'article 184 de la Constitution traduit la volonté historique des fondateurs de notre pays, qui avaient encore bien vivaces à l'esprit les abus qui pourraient se commettre si la police était contrôlée exclusivement par le pouvoir exécutif. C'est pour cela que la police devait être au service des trois pouvoirs. L'indépendance et la possibilité d'un contrôle par le législateur sont nécessaires et le statut des services de la police intégrée doit rester de la compétence exclusive du législateur.

D'autres auteurs juridiques encore souscrivent également, selon l'intervenant, à cette thèse. C'est le cas de Dor, Le droit constitutionnel de la Belgique, Liège, tome II, 1911, nº 134, et du professeur Senelle, Commentaar op de Belgische Grondwet : « Le fait que, conformément à l'article 68 de la Constitution, le chef de l'État exerce le commandement des forces armées, n'empêche pas que le régime du recrutement et de l'avancement, ainsi que les droits et les devoirs des militaires soient fixés par le législateur. C'est pour les intéressés une garantie précieuse. » (traduction) Autrement dit, il y a, d'une part, l'équilibre des pouvoirs et le problème des garanties démocratiques entourant l'exercice de ces pouvoirs et, d'autre part, le fait que le statut est déterminé par la loi, constitue pour les membres du personnel concernés une garantie, car ils savent que leur statut ne peut pas être modifié pour un oui ou pour un non par les coalitions qui se succèdent au pouvoir.

Pour l'intervenant, il y a de bonnes raisons de ne pas céder à la légère la compétence du législateur au pouvoir exécutif.

Lors de l'examen, à la Chambre des représentants, de la déclaration de révision de la Constitution du 20 avril 1999 (doc. Chambre, 1998-1999, nº 2150/1-3), il a été dit que l'article 184 de la Constitution devait être révisé pour remplacer, en raison de la réforme des polices, le mot « gendarmerie » par les mots « service de police intégré, structuré à deux niveaux ». Au cours de la législature précédente, nul n'a envisagé de retirer au législateur la compétence de régler le statut de la police. À l'occasion de la loi dite « Octopus » du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, la section de législation du Conseil d'État a déclaré dans son avis (doc. Chambre, 1997-1998, nº 1676-5, p. 2) qu'elle allait beaucoup trop loin en ce qui concerne la délégation au gouvernement : « Si l'article 184 de la Constitution n'exclut pas que certaines délégations soient conférées au Roi, il réserve au législateur fédéral la compétence d'établir les règles essentielles en ces matières. » Le Conseil d'État a fait référence à une série d'articles où c'était effectivement le cas, comme l'article 121 de la loi du 7 décembre 1998. Le Conseil d'État a en outre estimé dans son avis que la délégation au Roi était trop ample. Le ministre de l'Intérieur n'a toutefois pas partagé la conception du Conseil d'État sur la portée de l'article 184 de la Constitution. Or, le membre constate aujourd'hui que le gouvernement a déposé une proposition de révision de l'article 184 de la Constitution.

Le membre se réfère aussi, pour étayer son point de vue, à la publication du professeur A. Alen intitulée « Compendium van het Belgisch Staatsrecht », I, p. 296-297. L'intervenant estime en outre que la même conception se retrouve non seulement dans l'avis du Conseil d'État, section de Législation, mais aussi dans les arrêts de la Cour d'arbitrage et, plus précisément, dans l'arrêt nº 23/96 du 27 mars 1996 concernant l'interprétation de l'article 182 de la Constitution, qui est parallèle à l'article 184 de celle-ci, dans l'arrêt nº 81/95 du 14 décembre 1995 et dans l'arrêt nº 134/99 du 22 décembre 1999. Ce dernier arrêt revêt une importance capitale : il concerne en effet la portée de l'article 184 même de la Constitution. Le membre cite le passage suivant dudit arrêt : « B.5. Selon les parties requérantes, les articles 3 et 4 de la loi du 10 février 1998 laissent, sur différents points, au Roi et au ministre de la Défense un pouvoir d'appréciation trop large, incompatible avec le prescrit de l'article 184 de la Constitution. B.6.1. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de régler l'organisation et les attributions de la gendarmerie, l'article 184 de la Constitution garantit que cette matière fera l'objet de décisions prises par une assemblée délibérante démocratiquement élue. Bien que cette disposition réserve ainsi, en cette matière, la compétence normative au législateur fédéral ­ lequel doit en régler lui-même les éléments essentiels ­, elle n'exclut toutefois pas que soit laissé un pouvoir limité d'exécution au Roi. » Dans le cas en question, le pouvoir limité d'exécution du Roi a été admis, mais, selon le membre, ce qui est important dans cet arrêt, c'est que la Cour d'arbitrage reprend littéralement les motifs que le Conseil d'État invoque à l'appui de ses avis sur la loi Octopus du 7 décembre 1998 et sur la loi dite de réparation du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police. De plus, la loi du 13 mai 1999 règle le statut disciplinaire des membres du personnel des services de police. S'agissant de cette matière, l'on a donc bien suivi la disposition actuelle de l'article 184 de la Constitution. Selon le groupe politique du membre, il n'y a pas lieu de supprimer dans la Constitution la garantie légale en tant que telle. En tout cas, le groupe auquel le membre appartient ne peut approuver le mémoire tel qu'il a été déposé par le gouvernement. Celui-ci souhaite en effet une révision de la Constitution avec effet rétroactif. Il estime que l'article 121 de la loi du 7 décembre 1998 autorise le Roi à régler le statut du personnel des services de police. Le Conseil d'État, section de Législation, a considéré que la chose était inconstitutionnelle et la Cour d'arbitrage a estimé que la délégation du législateur au Roi était beaucoup trop étendue. En conséquence : le gouvernement souhaite adapter l'article 184 de la Constitution de manière que le statut puisse faire l'objet d'un régime légal (c'est accorder une délégation au Roi). Cela revient à voter une révision de la Constitution avec effet rétroactif.

L'objet réel de la révision de la Constitution proposée est de conférer à la loi du 7 décembre 1998 et à la loi de réparation du 27 décembre 2000 un caractère constitutionnel et d'éviter que des recours ne soient formés contre leurs arrêtés d'exécution. Selon la justification, il y a lieu de demander de voter une révision de la Constitution avec effet rétroactif afin de pallier la nullité éventuelle des arrêtés d'exécution de la loi inconstitutionnelle du 7 décembre 1998 et de la loi de réparation du 27 décembre 2000. Le membre souligne que le Conseil d'État et la Cour d'arbitrage ont émis des réserves à propos de l'initiative du législateur visant à légitimer certains actes entachés d'irrégularité et à leur conférer une validité légale en faisant voter une loi avec effet rétroactif. Pareil procédé pourrait en effet emporter une violation du principe d'égalité, du principe de la séparation des pouvoirs et de plusieurs autre principes juridiques, la jurisprudence faisant une distinction selon qu'une action a déjà été engagée ou non contre l'arrêté ou la loi qui fait l'objet d'une validation. Il n'est toutefois pas évident, au vu des diverses décisions des juridictions, même s'il n'y a pas de contentieux au moment de la validation des actes potentiellement illégaux, qu'une validation avec effet rétroactif soit acceptée purement et simplement. Le Conseil d'État, section de législation, a porté un jugement très critique sur ce point dans ses avis. Il n'admet d'effets juridiques que pour l'avenir et donc pas d'effets rétroactifs. Le membre cite l'exemple de l'adoption de la « loi du 30 août 1998 sur le pilotage » à propos de laquelle les pouvoirs publics ont décidé d'une validation avec effet rétroactif par la voie d'une loi, ce qui a valu à l'État belge une condamnation par la Cour des droits de l'homme de Strasbourg, avec à la clé des demandes de dommages-intérêts d'un montant de plusieurs milliards (CEDH, 20 novembre 1995, Pressos Compania Naviera SA et autres contre Belgique). Le membre estime dès lors que la question de savoir si la Constitution peut être révisée avec effet rétroactif, qui est à l'examen, est une question capitale. Il ne faut pas perdre de vue à cet égard que l'on crée un précédent dont certains membres mal intentionnés ­ mus par un sens contestable de la démocratie ­ pourraient se prévaloir pour faire d'autres propositions. Le groupe du membre se dit toutefois disposé à unir ses efforts à ceux du gouvernement pour trouver une solution permettant de ne pas compromettre la réforme de la police qui est en cours. C'est pourquoi le membre dépose, avec deux autres sénateurs, un amendement nº 6 dans lequel la première phrase du texte de la proposition du gouvernement est conservée, mais la deuxième phrase remplacée par une disposition transitoire rédigée comme suit : « Le Roi peut toutefois arrêter la position juridique des membres du personnel des services de police intégrés, structurés à deux niveaux, pour autant que l'arrêté soit confirmé par une loi adoptée avant le 31 décembre 2001. »

Cet amendement permet d'éviter de mettre en péril la réforme des polices, sans que l'on ne déroge pour autant au principe fondamental selon lequel c'est en principe la loi qui règle le statut de la police. Le groupe du membre est disposé à fournir l'appoint nécessaire pour pouvoir obtenir une majorité des deux tiers à condition que le gouvernement puisse fournir une série de garanties (une dizaine) concernant le contenu de l'arrêté d'exécution de la loi du 7 décembre 1998 :

1º en ce qui concerne la mise en oeuvre de la réforme des polices, la neutralité budgétaire pour les communes ne peut emporter aucune forme de récompense pour les communes qui n'ont pas suffisamment investi dans la police par le passé, les moyens fédéraux de la gendarmerie doivent être répartis en fonction des clés de répartition régionales, l'on ne peut pas utiliser de modèle dégressif sans quoi les communes y perdront à terme, des moyens doivent être prévus pour garder en service le personnel ACS qui assure l'appui administratif de la police locale, les cadres du personnel doivent être fixés sur la base d'un cadre de financement réaliste permettant à la police locale de disposer d'effectifs suffisants, le financement des pensions des membres du personnel de la police locale doit être organisé au sein de l'ONSS/APL, les compléments de salaire de la police locale doivent être payés par l'échelon local;

2º des garanties sont demandées pour pouvoir assurer le bon fonctionnement du conseil consultatif des bourgmestres (il est inadmissible que ce conseil n'ait pas été convoqué au cours des deux mois et demi passés, car, à défaut d'avis, il est réputé avoir émis un avis positif);

3º des directeurs, on attend au moins un bilinguisme fonctionnel; on demande un Dirco et un Dirju entièrement néerlandophones pour l'arrondissement administratif de Hal-Vilvorde et en tout cas une représentation garantie des Flamands au sein des conseils de police des communes bruxelloises;

4º une chance équitable lors des épreuves d'évaluation : il convient de tirer les conclusions qui s'imposent du rapport de contrôle concernant l'évaluation organisée pour les directeurs;

5º il faut donner la priorité à la mise au point d'une gestion de l'information et à la mise en place d'échanges d'informations;

6º maintien des compétences du ministre de la Justice en ce qui concerne l'utilisation des compétences de la police fédérale;

7º la fixation immédiate d'une norme minimale de capacité pour les missions judiciaires;

8º la création d'un conseil de police fédéral, conformément à ce qui est prévu dans la loi;

9º l'organisation correcte des formations théoriques et pratiques;

10º la transmission en temps voulu d'informations claires aux bourgmestres.

Le point de vue du groupe politique du membre peut se résumer comme suit :

La compétence légale relative au statut des membres du personnel de la police doit être maintenue. Il pourrait toutefois être admis qu'un arrêté règle les modalités de la réforme des polices à condition qu'il soit ensuite confirmé par une loi. Il y a lieu de fournir une série de garanties relatives au contenu du projet d'arrêté.

Le ministre de l'Intérieur partage la préoccupation du préopinant et le remercie pour son sens des responsabilités. La réforme des polices est très importante mais très difficile à mettre en oeuvre et, pour qu'elle réussisse, il faut que l'on puisse compter sur l'aide et la disponibilité de l'ensemble du personnel de la police. En vue de la définition d'un statut unique, l'on a organisé une concertation vaste et détaillée avec les représentants du personnel de la police. Comme cet exercice difficile a été mené en bonne fin, le personnel de la police attend impatiemment le nouveau statut. La réforme des structures, les statuts et les problèmes de financement sont importants, mais il ne sont pas primordiaux. Il y a lieu de changer les mentalités, de rendre le personnel plus disponible pour assurer la sécurité et de rendre les services de police plus efficaces. Cela nécessite toutefois un personnel dévoué, qui puisse s'acquitter en toute quiétude de ses tâches. Le ministre remercie le membre pour sa proposition d'amendement, qui permet d'écarter une remise en question de l'ensemble de la réforme des polices. Il ressort clairement des considérations relatives à l'histoire du droit que l'intervenant a émises que le constituant a toujours eu le souci de ne pas assimiler un service de police à un service public ordinaire. Ce service touche aux règles de fonctionnement démocratique de l'État dans la mesure où il touche à l'exercice des droits et des libertés. Le risque de voir le pouvoir exécutif faire un emploi pervers de services puissants n'est pas exclu. En ce qui concerne la réponse du gouvernement aux avis du Conseil d'État, section de Législation, le ministre renvoie à la note explicative jointe à la proposition de révision de l'article 184 de la Constitution (doc. Sénat, 2000-2001, nº 2-657/1). À propos des références que le membre a faites aux arrêts susvisés de la Cour d'arbitrage, le ministre déclare qu'à son avis il donne à ces arrêts une interprétation excessive. Il est vrai que la Cour d'arbitrage a estimé que le législateur ne pouvait pas donner de délégation exagérée au pouvoir exécutif, mais elle n'a pas dit que toute délégation devait être exclue. En outre, le législateur de 1998 connaissait le problème : en effet, la loi du 7 décembre 1998 elle-même comporte une série de dispositions relatives à des matières qui ont été confiées exclusivement au législateur.

Il s'agit des matières suivantes :

­ le statut disciplinaire;

­ le statut syndical;

­ les droits et obligations du personnel;

­ les restrictions aux droits et libertés justifiées par la fonction;

­ les incompatibilités;

­ l'exercice du droit de grève;

­ la désignation à certaines functions dirigeantes;

­ le serment;

­ l'octroi de la qualité d'officier de police judiciaire;

­ l'exercice de l'autorité;

­ l'égalité hommes-femmes;

­ le secret professionnel;

­ la mobilité.

Le législateur de 1998 a interdit lui-même explicitement au pouvoir exécutif d'intervenir pour réglementer ces matières. C'est ainsi que l'article 139 de la loi du 7 décembre 1998 dispose que le statut disciplinaire doit être réglé par la loi.

Le ministre considère que, dans une réforme de l'ampleur de la réforme des polices, il faut réaliser deux choses : d'une part, tenter de dégager un consensus le plus large possible et, d'autre part, mettre un terme à la controverse juridique pour raffermir la sécurité juridique. Le ministre n'est pas convaincu que la révision de la Constitution qui est proposéee soit une révision rétroactive. Il ne partage donc pas l'avis de M. P. Tant, membre de la Chambre des représentants, qui a déclaré, au cours de l'examen de la loi du 7 décembre 1998 à la Chambre, qu'il estimait quant à lui que la loi du 7 décembre 1998 modifiait implicitement la Constitution. Le ministre estime toutefois que si l'on parvenait, par le biais de la révision de l'article 184 de la Constitution, à mettre fin à la controverse, il ne faudrait pas omettre de veiller à renforcer la sécurité juridique. la Cour d'arbitrage a proposé une formule qui ne manque pas d'importance : elle revient à dire que l'on doit retrouver dans la loi les « éléments essentiels ». Le ministre estime que l'inventaire susvisé des éléments essentiels garantis par la loi suffit, mais il est prêt, pour prévenir d'autres controverses, à faire davantage en ajoutant d'autres éléments à la liste des « éléments essentiels ».

À cet égard, il pense, par exemple, aux matières suivantes :

­ l'enquête de moralité dont les candidats de recrutement dans un cadre operationnel font l'objet;

­ les autres conditions d'admission à la police;

­ la désignation des autorités de nomination, autres que celles déjà reprises dans la loi sur la police intégrée;

­ les grades et les principes gouvernant les échelles qui y sont liées;

­ les conditions liées à la carrière barémique, à l'avancement dans le grade et à l'avancement par accession aux cadres supérieurs;

­ les conditions de l'exercice de la libre expression par les membres du personnel;

­ l'obligation du respect pour les membres du personnel d'un code déontologique;

­ les règles de base de l'évaluation des membres du personnel;

­ les règles de base relatives aux retraits définitifs d'emploi et à la cessation des fonctions;

­ le principe de la protection médicale;

­ les principes du droit au traitement et à la rétribution garantie.

Toutes ces dispositions se trouvant dans l'avant-projet d'arrêté royal « mammouth » qui est actuellement soumis pour avis au Conseil d'État peuvent être ratifiées par une loi. Ainsi, le ministre croit qu'une réponse est donnée aux inquiétudes actuelles.

Il est dès lors prêt à examiner l'amendement nº 6 en ce sens que l'intervenant propose. Il souligne néanmoins que l'on ne peut pas priver entièrement le pouvoir exécutif de son pouvoir réglementaire en la matière. Le législateur de 1998 n'a d'ailleurs pas non plus eu l'intention de le faire. Pour régler des questions statutaires, même si elles concernent la police, il faut toujours faire preuve d'une certaine souplesse.

Le ministre estime que les autres conditions que le membre a mentionnées dans son exposé ne sont pas directement liées à la révision de l'article 184 de la Constitution. Cela ne l'empêchera toutefois pas de réagir sur ce point. Il tient à préciser ce qui suit :

1º On veille à la neutralité budgétaire globale en ce qui concerne la police locale dans le souci d'assurer une plus grande équité entre les diverses communes, pour leur permettre de supporter le coût du nouveau statut et de poursuivre l'important exercice politique que constitue l'exécution des contrats de sécurité. Mais il faut veiller aussi à que les communes qui ont fait trop peu d'efforts en faveur de la sécurité dans le passé soient mieux servies par la réforme que les autres. D'où la piste qui consiste à accorder un bonus aux communes qui ont investi dans la sécurité dans le passé.

2º Il faut accorder un meilleur support logistique au conseil consultatif des bourgmestres : il négocie à ce propos avec le ministre du Budget en vue de trouver la formule technique adéquate. Il a toujours défendu la thèse suivante : l'Union des villes et communes, qui est très bien encadrée, pourrait participer au secrétariat du conseil consultatif des bourgmestres. En outre, le premier ministre a donné aux bourgmestres la garantie qu'une solution serait trouvée à ce problème.

3º En ce qui concerne la troisième condition mentionnée par le membre, il est évident, selon lui qu'il y a lieu de veiller au respect des lois linguistiques. Pour la police fédérale, l'on créera des cadres linguistiques conformément à ce que prévoit la loi, si bien que, lorsque la nécessité du bilinguisme personnel n'aura pas été prévue, l'on nommera un adjoint du rôle linguistique autre que celui du titulaire. En d'autres termes, l'on va appliquer la loi. En ce qui concerne Hal-Vilvorde, le gouvernement a pris des décisions dans le sens de ce que demandait l'intervenant.

4º Pour ce qui est de l'évaluation, il partage l'avis du commissaire. On devra tirer les leçons du passé et non pas supprimer les procédures, car on a prévu des éléments d'objectivation pour ce qui est des procédures de recrutement et des garanties supplémentaires pour ce qui est de la qualité du personnel. Toutefois, il faudra sans doute réorienter et nuancer un certain nombre de choses. Il estime ainsi qu'il faut établir clairement si l'évaluation est sélective ou si elle est un élément d'appréciation fourni à l'autorité qui fait la nomination.

5º Le problème essentiel de la gestion et de l'échange d'informations est capital : c'est le ministre de la Justice qui est compétent en cette matière. Il souligne que sur ce plan aussi, des progrès ont été réalisés qui ne tarderont pas à porter leurs fruits.

6º Pour ce qui est du rôle du ministre de la Justice concernant les moyens budgétaires prévus pour la police judiciaire, il est clair que ce ministre conserve sa compétence en la matière. Un protocole d'accord a été paraphé à cet effet par les ministres de la Justice et de l'Intérieur.

7º Pour la fixation de la norme minimum et le volume des missions de police judiciaire, le nécessaire a aussi été fait, selon lui : dès que la décision budgétaire aura été obtenue, il pourra avancer dans la mise en oeuvre. Qui plus est, des garanties seront prévues pour prévenir tout excès de la part des autorités judiciaires, en ce sens que l'on ne pourra imposer à la police locale des missions démesurées qui seraient contraires à l'esprit de la loi du 7 décembre 1998. Cependant, il faut vérifier arrondissement par arrondissement s'il ne se pose pas des problèmes qui soient de nature à justifier l'octroi de moyens financiers supplémentaires. Cet exercice est en cours et il sera terminé dans le courant du mois d'avril 2001. Les transferts de détenus (400 à 500 hommes sont mobilisés en Belgique à cette fin) et la surveillance de certains immeubles, comme les palais de justice, sont autant d'autres problèmes qui nécessitent la recherche de solutions. Le premier ministre a aussi pris des engagements à cet égard.

8º En ce qui concerne l'installation du conseil fédéral de police, il faut qu'au moins un chef de corps de police locale en fasse partie. Les procédures de désignation de cette personne sont en cours. Dans les prochaines semaines, elle sera désignée, ce qui permettra au conseil d'entamer ses travaux.

9º L'organisation de la formation est sur le métier : tous les textes sont prêts. La police fédérale a donc lancé hier sa première campagne de recrutement et de sélection. Les candidatures concerneraient un effectif de quelque 1 300 unités. Les nouvelles procédures entreront en vigueur dès le 1er avril 2001. Autrement dit, cette réforme se déroule selon le schéma prévu. Et les écoles de police ne devront faire face à aucune surprise, car elles ont été associées à l'élaboration des nouvelles dispositions réglementaires en la matière.

10º Il se dit un peu lassé de devoir constamment trouver des idées pour informer les bourgmestres. Par deux fois, il a sillonné la Belgique, de la documentation a été envoyée, un centre d'appel a été créé, divers types de matériel d'information ont été mis à disposition. De plus, un projet de circulaire ministérielle aux bourgmestres a été élaboré qui fait « pédagogiquement » le résumé de l'ensemble de la réforme. Cette circulaire sera envoyée incessamment à tous les bourgmestres.

En conclusion, le ministre dit pouvoir marquer son accord sur un amendement qui apporterait une réponse aux préoccupations exprimées par l'intervenant précédent.

Le membre remercie le ministre pour sa réponse favorable et se dit prêt à rechercher un texte consensuel d'article 184 de la Constitution.

En ce qui concerne les réponses du ministre au dix points complémentaires, le membre réserve sa réponse. Il propose que soit organisée une concertation entre certains partis de l'opposition, le premier ministre et le ministre de l'Intérieur.

Une intervenante précédente souhaiterait que le ministre précise si, à l'avenir, et indépendamment de la disposition transitoire prévoyant la confirmation par la loi de l'arrêté « Mammouth », le principe selon lequel le statut de la police intégrée doit être réglé par la loi, sera préservé. Elle demande s'il n'est pas possible d'inscrire plus explicitement pour l'avenir, dans le nouvel article 184 de la Constitution, les « éléments essentiels » et les garanties fondamentales du statut. On pourrait insérer une énumération de ce qui doit être réglé obligatoirement par la loi et de ce qui pourrait l'être en vertu de la loi. Elle souhaite que l'on réfléchisse attentivement à la question. L'avis du Conseil d'État, section de législation, serait utile pour baliser le terrain.

Le ministre répond que l'on ne peut pas prétendre que la notion d'« éléments essentiels » soit vide de sens après avoir tiré argument des arrêts de la Cour d'arbitrage. La Cour d'arbitrage utilise précisément cette notion d'« éléments essentiels ».

Le préopinant fait néanmoins remarquer que la Cour d'arbitrage a dit clairement que l'on ne pouvait conférer au Roi qu'un pouvoir de délégation limité. La Cour indique que c'est en principe le législateur qui est compétent et que le Roi peut se voir attribuer un pouvoir de délégation limité. Il n'est dès lors pas partisan d'insérer une liste limitative de points dans la Constitution.

Le ministre partage ce point de vue et estime que la notion d'« éléments essentiels » ­ telle quelle a été amplement explicitée plus haut ­ a une signification juridique précise. Par ailleurs, il estime que le texte d'un article de la Constitution doit être rédigé en termes suffisamment larges pour pouvoir suivre les évolutions du temps.

M. Vandenberghe et consorts déposent un amendement nº 7 (doc. Sénat, 2000-2001, nº 2-657/2) en vue de remédier à un problème qui pourrait se poser en cas de modification de l'article 184 de la Constitution dans le sens proposé par le gouvernement. En effet, le nouvel article 184 ne visera pas seulement la police fédérale mais aussi la police locale. Or, l'article 135, § 2, de la nouvelle loi communale dispose ce qui suit : « De même, les communes ont pour mission de faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics ... ». Autrement dit, la notion de police est plus large au total qu'elle ne l'est selon la définition qui en est donnée dans la loi du 7 décembre 1998. Il faut par conséquent se garder d'assujettir, par exemple, la police administrative au législateur fédéral. Les bourgmestres ont en effet aussi leur compétence en la matière.

Un coauteur de l'amendement nº 7 souhaiterait que le ministre lui dise dans quelle mesure les régions pourront intervenir à l'égard de la police locale, par exemple dans le cadre de l'exercice de la tutelle, dans l'hypothèse où la proposition gouvernementale de révision de la Constitution serait adoptée. Il renvoie aux Accords octopartites, lors desquels on a clairement indiqué que les régions auraient une compétence en la matière. Le mot « loi » utilisé dans la proposition gouvernementale de révision de l'article 184 désigne-t-il uniquement la « loi fédérale » ou aussi le décret et l'ordonnance ? Le sénateur craint que ce point ne prête à discussion, ce qu'il faut éviter. Il estime personnellement que le mot « loi » utilisé dans un article 184 nouveau de la Constitution ne vise que la « loi fédérale ». Pour lui, il est inconcevable que la compétence des régions à cet égard soit bridée. Il aimerait connaître le point de vue du gouvernement à ce sujet.

Le ministre de l'Intérieur reconnaît la nature du problème et précise que cette problématique doit en tout cas trouver une solution dans le cadre de la mise en oeuvre des accords de la Saint-Polycarpe. Il ne lui semble pas souhaitable, néanmoins, de les régler dans la précipitation. La question fait en outre l'objet de discussions au sein du Comité de concertation du gouvernement fédéral et des gouvernements de communauté et de région. Selon le ministre, il existe un risque de conflit de compétence entre la compétence des régions (tutelle générale en matière de budget) et celle du ministre fédéral de l'Intérieur (tutelle spécifique, notamment en matière de budget relatif aux dépenses obligatoires). Des groupes de travail interministériels ont été créés en vue d'examiner et de résoudre ces problèmes. On tente de trouver une solution pour la conclusion d'un accord de coopération.

Un autre membre ne peut marquer son accord sur un règlement ultérieur du problème qu'il a soulevé. Il faut le résoudre avant l'adoption de l'article 184 nouveau de la Constitution. En effet, sa solution passe à son avis nécessairement par un amendement de l'article 184 proposé de la Constitution.

Le ministre précise que l'on réfléchit effectivement au niveau du gouvernement à une nouvelle révision de l'article 184 de la Constitution. L'article est soumis à révision et peut par conséquent être révisé à plus d'une reprise par le constituant au cours de l'actuelle législature.

Le membre juge cette façon de faire très délicate et il est partisan d'une révision rapide mais en profondeur de l'article 184 de la Constitution, mais pas en phases successives. Selon lui, l'exemple évoqué par le ministre illustre précisément à la perfection pourquoi une solution doit être apportée par l'entremise du nouvel article 184 de la Constitution. Le risque de conflit à ce propos entre le gouvernement fédéral et les gouvernements régionaux est loin d'être imaginaire. Il faut une Constitution qui soit ouverte aux évolutions futures et il y a d'ores et déjà des conflits de compétence latents dont il faut tenir compte. Le risque que comporte la révision de l'article 184 de la Constitution proposée par le gouvernement est de ne plus permettre qu'une tutelle spécifique du ministre de l'Intérieur tandis que la tutelle générale des régions en la matière disparaîtrait. On ne peut pas en arriver là. Il faut par conséquent, selon le membre, réfléchir sérieusement à la proposition de l'amendement nº 7.

Selon l'auteur principal de l'amendement nº 7, il faut examiner en outre dans quelle mesure la loi spéciale pourrait octroyer des compétences aux régions sans que l'on ne mentionne le décret ni l'ordonnance à l'article 184 de la Constitution, dans l'hypothèse où l'on donnerait au mot « loi » du nouvel article 184 de la Constitution l'interprétation classique de « loi fédérale ». Le texte proposé à l'amendement nº 7 n'impose pas aux régions d'agir en la matière, mais leur en donne la possibilité. L'on permet ainsi au législateur spécial d'utiliser ou non cette opportunité constitutionnelle en fonction des circonstances politiques.

M. Vandenberghe et consorts déposent un amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-657/2) qui vise à insérer un alinéa nouveau à l'article 184 proposé de la Constitution pour permettre de régler par une loi spéciale une présence minimale des francophones et des néerlandophones au sein des conseils de police de la Région de Bruxelles-Capitale. L'un des coauteurs précise que comme les élections aux conseils de police se font au suffrage indirect, un des deux groupes linguistiques n'est pas représenté pour l'instant dans certains conseils de police de la Région de Bruxelles-Capitale. Telle n'était certainement pas l'intention du législateur.

Un membre partage le souci des auteurs de l'amendement nº 8. Il regrette la situation actuelle dans certains conseils de police de la Région de Bruxelles-Capitale, mais, selon lui, il faut envisager ce problème dans le cadre de l'ensemble des discussions communautaires en cours au sein de la Région de Bruxelles-Capitale.

Il n'est pas possible de régler ce problème dès à présent par voie d'un amendement à l'article 184 de la Constitution.

Mme Nyssens dépose l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 2-657/2), qui vise à remplacer le deuxième alinéa de l'article 184 proposé, de la Constitution par ce qui suit : « Les règles essentielles du statut des membres du personnel du service de police intégré, structuré à deux niveaux, sont réglées par la loi. » L'auteur précise qu'elle est disposée à collaborer à la recherche commune d'un bon équilibre entre les attributions du législateur et celles du pouvoir exécutif. L'amendement nº 9 vise à atteindre cet objectif. Il est dicté par le seul souci de voir les garanties fondamentales et les éléments essentiels du statut des services de police réglés par une loi, et non en vertu d'une loi. Inclure les mots « éléments essentiels » dans la Constitution provoquera peut-être des problèmes d'interprétation, mais, d'un autre côté, ces notions sont également employées dans les arrêts de la Cour d'arbitrage et dans les avis du Conseil d'État, section de législation.

Le ministre déclare que ce serait une bonne idée de combiner certains éléments de l'amendement nº 6 et de l'amendement nº 9. Il formulera une proposition de texte qui sera examinée au cours de la réunion de commission de l'après-midi.

Mme Nyssens précise qu'elle a également déposé les amendements nºs 1 à 3 (doc. Sénat, nº 2-657/2), qui expriment le même souci que son amendement nº 9. Il s'agit d'autres formules de modification de l'article 184 de la Constitution.

Elle renvoie à l'exposé qu'elle a fait au cours de la discussion générale pour éclairer les trois amendements (voir ci-dessus, pp. 4 et suivantes).

Le ministre précise qu'il est d'accord pour que l'on remplace le terme « position juridique » par « le statut ». Selon lui, le dépôt, par la membre, de l'amendement nº 9 fait que l'amendement nº 1 n'a plus de raison d'être. En ce qui concerne l'amendement nº 2, le ministre précise que l'article 184 proposé de la Constitution reprend la terminologie de la loi du 7 décembre 1998, à savoir le service de police intégré, structuré à deux niveaux. Le ministre estime dès lors qu'il ne peut y avoir aucun risque que l'on évolue vers une police unique.

Les amendements nºs 4 et 5 (doc. Sénat, nº 2-657/2), déposés par Mme de T' Serclaes et consorts, concernent des corrections de texte : l'amendement nº 4 vise à remplacer, dans le texte français, les mots « sont réglées par la loi » par les mots « font l'objet d'une loi ». L'amendement nº 5 de Mme de T' Serclaes et consorts vise à remplacer les mots « position juridique » par les mots « le statut ». Le ministre répète qu'il est d'accord pour que l'on remplace les mots « position juridique » par le mot « statut ».

La commission décide de reporter la discussion des amendements nºs 7 et 8 à une autre réunion.

B. Réunion de l'après-midi du 8 mars 2001

1. Discussion

À la suite de la discussion de l'amendement nº 6 de M. Vandenberghe et consorts (doc. Sénat, nº 2-657/2), le ministre dépose un amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 2-657/2), visant tout d'abord à remplacer la deuxième phrase de l'article 184 proposé par la disposition suivante : « Les éléments essentiels du statut des membres du personnel du service de police intégré, structuré à deux niveaux, sont réglés par la loi. » Deuxièmement, l'amendement tend à compléter l'article 184 proposé par une disposition transitoire, rédigée comme suit : « Le Roi peut toutefois arrêter les éléments essentiels du statut des membres du personnel du service de police intégré, structuré à deux niveaux, pour autant que cet arrêté soit confirmé, quant à ces éléments, par une loi adoptée avant le 31 décembre 2001 » (amendement nº 10, doc. Sénat, nº 2-657/2).

Le ministre fait observer que la notion « les éléments essentiels du statut » est empruntée à l'arrêt nr. 134/99 de la Cour d'arbitrage du 22 décembre 1999 (considérant nr. B.6.1.).

L'inconvénient de la formule retenue par M. Vandenberghe et consorts dans leur amendement nº 6 tient à ce que la disposition transitoire, proposée par eux, prévoit la ratification de l'arrêté royal dans son ensemble. Un grand nombre des dispositions de cet arrêté qui comptera plus de 1 700 articles, sont toutefois des dispositions mineures qui, si l'on adopte l'amendement nº 6, ne pourront être modifiées à l'avenir que par une loi. Une telle exigence est excessive.

L'auteur principal de l'amendement nº 6 estime que la justification que le ministre a fournie concernant son amendement nº 1 n'éclaire pas les choses.

Concernant l'article 184 de la Constitution, la Cour d'arbitrage a mis l'accent sur deux éléments dans son arrêt nº 134/99. Tout d'abord, affirme la Cour, « en attribuant au pouvoir législatif la compétence de régler l'organisation et les attributions de la gendarmerie, l'article 184 de la Constitution garantit que cette matière fera l'objet de décisions prises par une assemblée délibérante démocratiquement élue ». Et la Cour de poursuivre : « Bien que cette disposition réserve ainsi, en cette matière, la compétence normative au législateur fédéral ­ lequel doit en régler lui-même les éléments essentiels ­, elle n'exclut toutefois pas que soit laissé un pouvoir limité d'exécution au Roi » (considérant B.6.1.).

Le pouvoir d'exécution normal dont dispose le Roi en vertu des articles 105 et 108 de la Constitution ne vaut donc pas pour l'application de l'article 184 de la Constitution.

Par conséquent, il faut se demander dans quelle mesure l'amendement nº 10 du gouvernement répond à la deuxième remarque de la Cour d'arbitrage.

Le ministre répond que le statut du personnel de la gendarmerie encore en vigueur devait être fixé par la loi en vertu de l'article 182 de la Constitution, parce que la gendarmerie faisait partie des forces armées. Ce statut est contenu dans deux lois relatives au statut administratif et au statut pécunaire, qui comptent tout au plus 80 articles, mais dont l'exécution est assurée par des centaines d'articles d'arrêtés royaux et ministériels. Le Conseil d'État n'y a jamais fait d'objection. Le fait que les éléments essentiels du statut du personnel de la gendarmerie figurent dans les lois précitées suffit donc pour que soit remplie la condition prévue à l'article 182 de la Constitution.

À la demande de l'auteur principal de l'amendement nº 6, le ministre confirme que si la commission devait approuver l'amendement nº 10 du gouvernement, on en communiquerait immédiatement le texte à la section de législation du Conseil d'État pour qu'elle puisse vérifier, à l'occasion de l'examen du projet d'arrêté royal qui lui a été envoyé pour avis, si la disposition transitoire adoptée par la commission répond à ses préoccupations. Au demeurant, le Conseil ne souhaite émettre son avis que lorsqu'il connaîtra les intentions d'au moins une des deux Chambres.

Le Conseil devra du reste faire le même exercice pour l'avant-projet de loi contenant les éléments essentiels du statut et pour l'ensemble des arrêtés d'exécution qui lui seront soumis pour avis.

Le ministre ajoute que la liste des éléments essentiels figurant dans la justification de l'amendement nº 10 n'est pas exhaustive. Si tel avait été le cas, il aurait dû y inclure en tout cas les éléments déjà énumérés auparavant qui figurent dans les articles 119 à 140 de la loi du 7 décembre 1998.

Il s'agit des points suivants :

­ le statut disciplinaire;

­ le statut syndical;

­ les droits et obligations du personnel;

­ les restrictions aux droits et libertés justifiées par la fonction;

­ les incompatibilités;

­ l'exercice du droit de grève;

­ la désignation à certaines functions dirigeantes;

­ le serment;

­ l'octroi de la qualité d'officier de police judiciaire;

­ l'exercice de l'autorité;

­ l'égalité des hommes et des femmes;

­ le secret professionnel;

­ la mobilité.

Un membre déclare qu'il n'a pas d'objections au contenu de la disposition transitoire, mais que sa formulation lui cause du souci. Il propose dès lors de prévoir que le Roi peut fixer les éléments essentiels du statut des membres du personnel de la police intégrée, structurée à deux niveaux, jusqu'au 31 décembre 2001, pour autant que les arrêtés en question soient confirmés par une loi dans un délai de six mois suivant leur publication au Moniteur belge.

Le ministre a en effet l'intention d'adopter rapidement un arrêté royal contenant les éléments essentiels du statut.

Suivant l'amendement nº 10, cet arrêté devrait être confirmé par une loi avant le 31 décembre 2001. Quid si, à la fin du mois de décembre 2001, le gouvernement souhaite adopter un nouvel arrêté royal apportant des corrections au premier ? Étant donné la complexité de cette matière, ce scénario n'est pas purement hypothétique. L'intervenant estime que sa proposition ne change pas grand chose à l'amendement du gouvernement pour ce qui est du contenu, mais qu'il est plus pratique en ce sens qu'il donne au gouvernement une marge de manoeuvre plus grande qui lui permet d'adopter éventuellement de nouveaux arrêtés jusqu'au 31 décembre 2001. Par conséquent, le premier arrêté qui sera publié bientôt sera confirmé par une loi dans les six mois suivant sa publication. Si l'on devait constater ultérieurement des lacunes ou des incohérences ou si des modifications devaient s'avérer nécessaires à la suite de nouvelles négociations, on pourrait régler le problème avant le 31 décembre 2001 au moyen d'un nouvel arrêté royal, étant entendu que celui-ci devrait lui aussi être confirmé dans un délai de six mois.

Le ministre confirme que l'arrêté « mammouth » qui est soumis actuellement au Conseil d'État pour avis est extrêmement complexe et qu'il a déjà été modifié à plusieurs reprises à la suite des négociations avec les syndicats. Il n'exclut pas dès lors qu'il puisse être nécessaire par la suite de corriger l'arrêté. En tout cas, il ne tardera pas à déposer au Parlement un projet de loi contenant les éléments essentiels du statut du personnel des services de police. L'arrêté « mammouth » pourra encore être corrigé alors sur les plans technique et juridique par un deuxième arrêté jusqu'à la fin de 2001.

Le préopinant rétorque que, si, en décembre 2001, le Gouvernement dépose encore un arrêté royal modifiant l'arrêté « mammouth », il ne parviendra plus à le faire confirmer par le Parlement s'il a trait à des éléments essentiels du statut.

Un autre membre souligne que la formule proposée par le dernier intervenant revient à dire que le Parlement devra adopter une loi d'exécution contenant les éléments essentiels du statut et confirmant, conformément à la disposition transitoire, l'arrêté royal relatif à ces éléments essentiels. Si les modifications que l'on propose d'apporter à l'arrêté « mammouth » relèvent de la compétence réglementaire du Roi, il n'y a évidemment pas de problème.

Si les modifications en question portent sur des éléments essentiels du statut et doivent dès lors être confirmées par une loi, il y aura lieu de vérifier s'il ne vaudrait pas mieux, pour des raisons pratiques, reporter l'échéance prévue par l'amendement nº 10 pour ce qui est de la confirmation, soit le 31 décembre 2001, par exemple au 31 mars 2002.

L'intervenant ne voit cependant pas bien comment le Roi pourrait modifier l'énumération des éléments essentiels du statut figurant dans l'arrêté « mammouth ».

Le ministre fait remarquer qu'il se peut qu'un problème purement juridique surgisse dans une disposition relative à un élément essentiel du statut et qu'il faille dès lors la reformuler sans toucher au fond.

Il répond par la négative à la question de savoir si le gouvernement prendra, outre l'arrêté « mammouth », un arrêté contenant une énumération des éléments essentiels du statut.

Un intervenant précédent trouve que cette réponse constitue un argument en faveur de sa proposition de reformulation de la disposition transitoire prévue par l'amendement nº 10. Le Parlement va donc adopter un projet de loi prévoyant, en son article 2, la confirmation de l'arrêté royal.

Le ministre répond que cela n'est pas suffisant. La loi reprendra les articles de l'arrêté « mammouth » relatifs aux éléments essentiels du statut. Du point de vue de la technique législative, se pose alors la question de savoir s'il faut également adapter cet arrêté.

Un membre souhaiterait obtenir des précisions sur la manière dont se dérouleront les opérations prévues par l'amendement nº 10. La première opération est décrite dans la disposition transitoire, la deuxième dans la seconde phrase de l'article 184 proposé.

a) Vu le caractère urgent de la révision ­ les dispositions légales relatives au statut entrent en vigueur le 1er avril 2001 ­, un membre a proposé de reformuler la disposition transitoire prévue par l'amendement nº 10 de manière que le gouvernement puisse régler les éléments essentiels du statut par arrêté royal jusqu'au 31 décembre 2001 pour autant que l'arrêté « mammouth » en cours de préparation et d'éventuels arrêtés modificatifs soient confirmés par une loi, quant à ces éléments, dans les six mois de leur publication.

b) La seconde opération consiste à mettre à exécution l'article de la Constitution proprement dit, aux termes duquel les éléments essentiels du statut sont réglés par la loi.

Reste à savoir si la loi de confirmation doit nécessairement être la même loi que celle qui est visée à l'article 184, deuxième phrase, de la Constitution. Il lui semble qu'il faudrait que les deux opérations soient concrétisées par une seule et même loi.

Un autre membre considère qu'il est primordial que le Parlement ait la possibilité de déterminer les éléments essentiels du statut des membres du personnel du service de police intégré qui seront inscrits dans une loi. Cela signifie que l'énumération de l'arrêté « mammouth » doit pouvoir être étoffée.

Le ministre estime qu'il est évident que le Parlement doit pouvoir ajouter des éléments à la liste des éléments essentiels du statut au cours de l'examen du projet de loi de confirmation.

À propos de la question de savoir si la loi de confirmation peut être la même que la loi visée à l'article 184, deuxième phrase, et si la loi de confirmation doit concerner l'arrêté « mammouth » dans son ensemble, la préopinante fait observer que cet arrêté comportera nombre de dispositions qui ne concerneront pas des éléments essentiels du statut. Le but est en effet de permettre au pouvoir exécutif d'exercer sa compétence réglementaire dans certaines matières.

Elle souhaite dès lors savoir si, lors de la discussion du projet de loi qui sera déposé en application de la disposition transitoire, le Parlement pourra entériner et, éventuellement, étendre l'énumération des éléments essentiels figurant dans l'arrêté « mammouth » annoncé, ou s'il est habilité à confirmer cet arrête dans son ensemble.

Le ministre propose de faire figurer dans une seule et même loi la confirmation prévue par la disposition transitoire et la détermination des éléments essentiels du statut visée à l'article 184, alinéa 2. La confirmation formelle de l'énumération des éléments essentiels figurant dans l'arrêté « mammouth » doit être l'occasion de mener simultanément un débat au fond sur les éléments essentiels du statut. Le constituant a donné une indication claire et nette à cet égard. Les éléments essentiels figurant aux articles 119 à 140 de la loi du 7 décembre 1998 ainsi que ceux qu'énumère la justification de l'amendement nº 10 seront donc inscrits dans cette loi. On peut aller jusqu'à y intégrer des dispositions de l'arrête « mammouth ». Le Parlement aura en tout cas la possibilité de discuter, à cette occasion, de la liste des éléments essentiels du statut.

Pour répondre à la préoccupation d'un préopinant, qui a proposé de formuler différemment la disposition transitoire prévue par l'amendement nº 10, le ministre suggère de prolonger du 31 décembre 2001 au 30 avril 2002 le délai dans lequel la loi de confirmation doit être adoptée.

Un commissaire se rallie à la thèse selon laquelle l'article 184 proposé, tel que le gouvernement souhaite l'amender, demande deux opérations, à savoir une loi d'exécution énumérant les éléments essentiels du statut et une loi de confirmation de l'arrêté royal qui comporte ces éléments. Cette procédure doit permettre l'entrée en vigueur dudit arrêté au 1er avril 2001.

L'intervenant est partisan de la formule dans laquelle la loi d'exécution confirme en même temps l'arrête royal. En procédant par étapes, on sera confronté à de graves problèmes juridiques. Si le législateur intègre dans la loi d'exécution d'autres éléments essentiels que ceux figurant dans l'arrêté royal confirmé par une loi, cet arrêté risque de comporter une série de dispositions qui n'ont pas été confirmées mais qui sont considérées comme essentielles dans la loi d'exécution. C'est la raison pour laquelle il convient d'adopter une loi d'exécution comportant une disposition qui confirme que l'arrêté royal correspond à cette loi en ce qui concerne les éléments essentiels.

Le ministre rappelle que le gouvernement a défendu ce point de vue dans la dernière phrase de la justification de son amendement nº 10.

L'intervenant suivant soutient cette façon de procéder, pour autant que les éléments essentiels du statut soient réglés intrinsèquement par une loi. Une simple énumération ne suffit pas.

Au vu de la discussion qui précède, le ministre présente, au nom du gouvernement, deux sous-amendements à la disposition transitoire proposée à l'amendement nº 10.

Le premier vise à remplacer les mots « 31 décembre 2001 » par les mots « 30 avril 2002 » (amendement nº 11, doc. Sénat, nº 2-657/2).

Le deuxième vise à remplacer le mot « arrêter » par les mots « fixer et exécuter » (amendement nº 12, doc. Sénat, nº 2-657/2).

En ce qui concerne ce dernier sous-amendement, un membre estime que lorsque les éléments essentiels du statut ont été fixés par une loi, le Roi peut exercer son pouvoir d'exécution en vertu de l'article 108 de la Constitution.

Un autre membre répond que le mot « loi » tel qu'il est employé à l'article 184 de la Constitution octroie au législateur une compétence plus large que le mot « loi » tel qu'il figure à d'autres articles de la Constitution. Selon la doctrine classique, l'article 108 de la Constitution n'est pas applicable à l'article 184 de celle-ci. Le pouvoir d'exécution du Roi est donc limité en ce qui concerne ce dernier article. Le sous-amendement nº 12 confirme cette interprétation, à condition, toutefois, que l'on remplace dans le texte néerlandais, les mots « belangrijkste onderdelen » qui figurent dans les dispositions proposées à l'amendement nº 10 par les mots « essentiële elementen » conformément à la terminologie employée par la Cour d'arbitrage dans son arrêt nº 134/99 du 22 décembre 1999.

À cet effet, le ministre dépose, au nom du gouvernement, un sous-amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 2-657/2).

Un membre estime qu'il ne faut pas s'accrocher à l'ancienne conception de l'article 184, selon laquelle la fonction de police doit toujours être réglée par des actes législatifs. Selon lui, le pouvoir que l'article 108 de la Constitution donne au Roi de faire des règlements, doit valoir également en l'espèce, étant entendu évidemment que les éléments essentiels du statut doivent être fixés par la loi.

Le ministre est d'accord avec ce qui précède. Toutefois, il faut reconnaître, avec la Cour d'arbitrage, que le pouvoir d'exécution du Roi est plus limité en ce qui concerne l'article 184 (Cour d'arbitrage, arrêt nº 134/99 du 22 décembre 1999, considérant B.6.1. cité ci-avant, p. 25).

À la demande d'un membre, le ministre confirme que les éléments non essentiels du statut ainsi que l'exécution de la loi portant les éléments essentiels de celui-ci, seront réglés par arrêté royal.

Avant de passer au vote, un membre demande au ministre s'il est disposé à poursuivre avec certains partis de l'opposition la discussion des dix points qu'il a soulevés concernant l'exécution de la réforme des polices. Un geste du ministre dans ce sens jouera un rôle essentiel dans l'attitude qu'il adoptera concernant la proposition de révision de l'article 184 de la Constitution.

Le ministre confirme les réponses qu'il a données aux remarques précédentes. Il se tient à la disposition des membres pour discuter à court terme de la poursuite de la réforme des polices.

2. Votes

Les amendements nºs 1 à 6 et l'amendement nº 9 sont retirés par leurs auteurs.

Les sous-amendements nºs 11, 12 et 13 sont adoptés chacun à l'unanimité des 8 membres présents.

L'amendement nº 10, ainsi sous-amendé, est également adopté à l'unanimité des 8 membres présents.

Eu égard au caractère politiquement délicat des amendements nºs 7 et 8, la commission décide d'en reporter l'examen à une réunion ultérieure.

C. Réunion du 13 mars 2001

1. Discussion

Le vice-premier ministre et ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale dépose en séance une note dans laquelle est exposé le point de vue du gouvernement à propos de l'amendement nº 7 de M. Vandenberghe et consorts. Elle est rédigée en ces termes :

« Note du gouvernement relative à l'amendement nº 7 de l'article 184 proposé de la Constitution, déposé par MM. H. Vandenberghe, L. Caluwé et P. Vankrunkelsven

L'amendement vise à ajouter un nouvel alinéa à l'article 184 de la Constitution coordonnée, disposant qu'en exécution d'une loi spéciale, la police administrative peut, en tout ou en partie, être réglée par le décret ou par la règle visée à l'article 134 de la Constitution.

Conformément à l'article 184 de la Constitution, l'organisation et les attributions de la gendarmerie font l'objet « d'une loi ». Les auteurs de l'amendement veulent éviter que les mots « d'une loi » soient interprétés en ce sens qu'ils visent uniquement la loi fédérale.

Le gouvernement est toutefois d'avis qu'un amendement, déposé dans cette intention, est superflu. Dans sa rédaction actuelle, l'article 184 de la Constitution veut, en visant la « loi », placer la gendarmerie sous la tutelle du pouvoir législatif. Il en résulte entre autres que les caractéristiques essentielles du statut du personnel de la gendarmerie et, par conséquent, de celui de la police fédérale sont réglées par la loi.

La rédaction actuelle de l'article 184 de la Constitution n'empêche pas que le législateur spécial peut d'ores et déjà confier la compétence de régler certains aspects de la police administrative aux communautés ou aux régions.

L'interdiction au législateur décrétal de s'attribuer certaines compétences réservées au législateur fédéral ­ lesdites compétences réservées ­ ne trouve, en effet, pas son fondement dans les articles de la Constitution qui, comme l'article 184, disposent qu'une matière déterminée fait l'objet d'une loi, mais dans l'article 19 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Cet article prévoit que le législateur décrétal exerce ses compétences « sans préjudice des compétences que la Constitution réserve à la loi ».

Comme il peut être dérogé à une loi spéciale par une autre loi spéciale, il ne faut pas passer par une révision de la Constitution pour permettre aux communautés et aux régions de régler certains aspects de la police administrative. Il suffit par contre que le législateur spécial habilite les communautés et les régions à régler cette compétence.

Cependant, le gouvernement souhaite faire remarquer que, dans son avis émis sur l'avant-projet de loi spéciale « portant transfert de diverses compétences aux régions et communautés », la section de législation du Conseil d'État n'a suivi qu'en partie ce point de vue. Dans son avis, le Conseil a en effet opéré une distinction entre les compétences matérielles et instrumentales.

Quant aux compétences instrumentales, le Conseil semble admettre le point de vue que l'interdiction au législateur décrétal de s'attribuer des compétences que la Constitution réserve à « la loi » ne découle pas de la Constitution même, mais de l'article 19 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

Quant aux compétences matérielles, la section de législation du Conseil d'État adopte toutefois une vision plus restrictive. Le Conseil reconnaît que, en ce qui concerne les compétences matérielles, la Cour d'arbitrage a admis, entre autres dans ses arrêts 5/91 et 56/92 du 26 mars 1991 et du 9 juillet 1992, qu'une loi spéciale peut habiliter les communautés et les régions à régler ces compétences (la jurisprudence citée de la Cour concernait l'article 162, alinéa 4, de la Constitution relatif à la coopération intercommunale). Le Conseil observe toutefois que, malgré cette jurisprudence de la Cour, le constituant a décidé de consacrer expressément ce régime de compétences dans la Constitution. Il semble que, pour cette raison, le Conseil a des difficultés à admettre que le législateur spécial peut lui aussi habiliter les communautés et les régions à régler ces compétences.

On ne peut cependant accepter le raisonnement du Conseil. Il est évident que le constituant peut, s'il le souhaite, habiliter expressément les communautés et les régions à régler certaines compétences. La possibilité pour le constituant d'inscrire une telle habilitation explicitement dans la Constitution, n'affecte cependant en rien la possibilité de conférer cette habilitation, comme il a été exposé ci-dessus et comme il a été admis par la Cour d'arbitrage, par la loi spéciale.

Il convient dès lors de conclure que l'amendement, pour autant qu'il vise à permettre au législateur spécial de confier la compétence aux communautés et aux régions de régler certains aspects de la police administrative, n'apporte rien à la situation existante. Au contraire, l'amendement vise à rendre possible ce qui est déjà possible. Les membres de la commission sont dès lors invités à ne pas adopter l'amendement. »


Un membre estime que le point de vue du gouvernement est basé sur le texte de l'article 184 actuel de la Constitution (et donc pas sur la nouvelle version). Il faut se demander quelle est l'intention du constituant lorsqu'il utilise le mot « loi ». En ce qui concerne le constituant de 1831, la chose est simple : le mot « loi » était à prendre au sens le plus large, celui de norme législative. Mais la réforme de l'État de 1980 a créé des normes nouvelles : les décrets et les ordonnances. Lorsqu'après 1980, le constituant parle de « loi », il entend expressément « loi fédérale ». On pourrait néanmoins, selon l'intervenant, soutenir même aujourd'hui que le mot « loi » est à prendre dans son acception la plus large, c'est-à-dire au sens matériel. On aurait pu prévenir le problème depuis la création du décret et de l'ordonnance, en utilisant explicitement la notion de « loi fédérale » dans la Constitution chaque fois qu'il s'agit d'attribuer une compétence exclusive au législateur fédéral.

Le membre trouve que la note du gouvernement n'est pas convaincante à cet égard. Le groupe politique auquel le membre appartient rejettera cependant les amendements nºs 7 et 8 de M. Vandenberghe et consorts parce qu'il ne les juge pas opportuns.

Le vice-premier ministre et ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale précise que la modification de l'article 184 actuel de la Constitution consiste à réserver à la loi le soin de régler l'organisation et les attributions de la police intégrée. Or, l'amendement nº 7 de M. Vandenberghe et consorts a trait à la police administrative. Il s'agit de la police au sens fonctionnel et non au sens organique. Il importe de garder à l'esprit que la notion de « police » peut avoir une signification organique et une signification fonctionnelle.

La proposition de révision de l'article 184 de la Constitution confie l'organisation et les compétences de la police intégrée au législateur fédéral. Le reste, qui n'est pas expressément réservé au législateur fédéral, peut être transféré par la loi spéciale au pouvoir décrétal, étant entendu qu'il y a lieu de faire une distinction entre service de police au sens organique (compétence réservée au législateur fédéral) et service de police au sens administratif (compétence partagée).

Le membre déclare que les informations complémentaires fournies par le ministre lui paraissent beaucoup plus convaincantes que la note du gouvernement. Mais il faut bien se rendre compte des conséquences de cette interprétation : sur la base du texte de la première phrase de la proposition de révision de l'article 184 de la Constitution, l'organisation de la police locale est, elle aussi, confiée exclusivement au législateur fédéral. Tout ce qui touche à la structure, à l'organisation et aux attributions de la police est exclusivement réservé au législateur fédéral. C'est là un élément nouveau par rapport au texte actuel de l'article 184 de la Constitution, qui ne parle que de la gendarmerie. S'agissant de la police au sens administratif, le membre comprend que l'on maintienne le statu quo. Il peut souscrire pleinement à cette interprétation.

Le vice-premier ministre et ministre du Budget, de l'Intégration sociale et de l'Économie sociale confirme l'interprétation donnée par le membre. L'attribution au bourgmestre de pouvoirs supplémentaires lui permettant de confier des missions à la police locale dans le cadre des attributions de police judiciaire nécessite une loi fédérale. Il s'agit d'attributions de la police intégrée. Un autre exemple est l'octroi du pouvoir de dresser des procès-verbaux. L'article 184 proposé de la Constitution ne réserve pas au législateur fédéral la compétence des bourgmestres en matière de police administrative.

Ainsi, à l'heure actuelle, le bourgmestre est compétent notamment en matière d'ordre public, de santé publique et de nuisances. Si les régions souhaitent prendre une initiative dans ces matières par voie de décret, on peut résoudre le problème en votant une loi spéciale transférant les compétences de police du bourgmestre aux régions.

Le membre ajoute que cela ne pourra se faire qu'à la condition de ne pas toucher à l'organisation et aux attributions du service de police intégré. Le vice-premier ministre acquiesce.

Le membre en déduit que la marge de manoeuvre du législateur spécial pour transférer des compétences en la matière aux régions, est plutôt limitée.

Un autre intervenant estime que la note du gouvernement est assez sommaire alors qu'il s'agit d'un problème tout de même assez complexe. Cela ne veut pas dire que le point de vue du ministre ne soit pas défendable, mais le membre considère que ce point de vue doit malgré tout être explicité. Selon l'intervenant, la signification politique de la note du gouvernement réside dans la réponse qu'elle formule aux observations du Conseil d'État, section de législation, concernant l'article 162 de la Constitution. Le membre commence par examiner la portée de l'article 19, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (1). Il rappelle que cette disposition a été modifiée par l'article 7 de la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l'État.

C'est important pour l'évolution de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage sur la question. Il est exact que la Constitution dispose que certaines matières doivent être réglées par ou en vertu de la loi. C'est la théorie classique des matières réservées. Lorsque le constituant de 1831 réservait une matière à la loi, il n'avait à l'esprit aucune distinction entre un législateur fédéral et un législateur auteur de décrets ou d'ordonnances. Le but était de réserver une matière au législateur fédéral et de ne pas autoriser une délégation au Roi. La question qui se posait après la réforme de l'État de 1980 était de savoir si, quand la Constitution dit « réglé par la loi », cela signifie que, sans révision de la Constitution, le législateur auteur de décrets ou d'ordonnances n'entre pas en ligne de compte pour régler la matière en question, s'il y a lieu de donner au mot « loi » le sens large couvrant aussi, en toute circonstance, celui de décret et d'ordonnance. La Constitution n'apporte pas elle-même de réponse à cette question. Selon la deuxième interprétation, le mot « loi » aurait la signification de « toute norme ayant force de loi ».

En outre, la Cour d'arbitrage dit elle-même, dans les arrêts cités dans la note du gouvernement, que l'on pourrait même transférer une compétence au législateur auteur de décrets ou d'ordonnances au moyen d'une loi ordinaire. L'intervenant aimerait connaître l'opinion du vice-premier ministre au sujet de cette interprétation.

Le ministre réplique que le membre fait référence en l'espèce à la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes instutionnelles.

Le membre poursuit en déclarant que la section de législation du Conseil d'État a également émis beaucoup d'avis après 1980. La discussion a finalement été tranchée par l'arrêt nº 44 du 23 décembre 1987 de la Cour d'arbitrage qui a modifié la signification de la notion de « compétences réservées » visée par la Constitution : « Considérant B4. Les articles 3ter, 59bis et 107quater de la Constitution et les articles 4 à 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 ont conféré au législateur décrétal le pouvoir de régler par décret un certain nombre de matières. L'article 19, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose cependant que « le décret règle les matières visées aux articles 4 à 11, sans préjudice des compétences que la Constitution réserve à la loi ». Il en résulte que, sauf le cas où une habilitation spéciale et expresse a été donnée par les lois spéciale et ordinaire de réformes institutionnelles, le décret ne peut régler les matières qui lui ont été attribuées qu'à la condition de n'empiéter en aucune façon sur les compétences réservées à la loi par la Constitution. »

Le membre en déduit que la référence faite par le vice-premier ministre à l'application exclusive de l'article 19, § 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles n'est pas tout à fait pertinente en l'espèce, car la Cour d'arbitrage a déjà, dans le passé, déclaré que le législateur ordinaire était compétent pour transférer des matières aux communautés et régions.

En outre, il affirme que l'article 19, § 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles n'est en aucune manière une règle répartissant des compétences à laquelle le constituant devrait se tenir. Le constituant n'est pas tenu par cet article. Depuis 1980, il pourrait prévoir, dans l'article de la Constitution, qu'une matière est attribuée au législateur dont émane les décrets ou les ordonnances.

Le vice-premier ministre ne le conteste pas.

Le membre estime dès lors que l'amendement nº 7 de M. Vandenberghe et consorts est indubitablement utile. Il précise en effet à quelles conditions et pour quelles matières le législateur spécial pourrait intervenir s'il le juge utile.

Le membre souligne une fois de plus l'importance d'une solution nuancée. Selon lui, il faut se garder de suivre le raisonnement suivant lequel, quand il est question de « loi » dans la Constitution, cela signifie que le législateur spécial peut toujours transférer aux communautés et aux régions ­ par le biais de l'article 19, § 1er de la loi spéciale de réformes institutionnelles ­ une partie de la matière réglée par la loi. L'intervenant estime que telle ne peut pas être l'interprétation de l'article 19, § 1er de la loi spéciale des réformes institutionnelles visé par la réforme de 1993. Les membres de l'opposition de l'époque ­ qui font aujourd'hui partie de la majorité ­ s'y étaient en tout cas opposés à la Chambre des représentants.

Le membre examine en second lieu la portée de l'article 184 proposé de la Constitution : il rappelle que, selon tous les commentaires sérieux issus de la doctrine, l'article 184 en vigueur de la Constitution concerne une matière fédérale réservée. Conformément à la déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999, il faut réviser l'article 184 de la Constitution en vue d'y remplacer le mot « gendarmerie » par les mots « police intégrée ». En tout cas, on avait maintenu l'idée selon laquelle le statut de la police devrait être réglé exclusivement par la loi. Par l'insertion d'une disposition transitoire, on a en outre accédé au souhait du gouvernement de pouvoir prendre des mesures complémentaires par la voie d'un arrêté royal.

Le membre désire en tout cas obtenir des précisions de la part du vice-premier ministre au sujet de la note qui a été déposée par le gouvernement.

L'intervenant attire l'attention sur le fait qu'il faut répondre en termes juridiques différents à la question du sens de la notion de « loi » aux articles 162 et 184 de la Constitution. En effet, l'article 162, alinéas 3 et 4, fait mention d'une « loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, » alors qu'à l'article 184 proposé, il est question de « la loi ».

Un autre intervenant réagit à la déclaration du vice-premier ministre selon laquelle l'amendement nº 7 tomberait en partie en dehors du cadre de l'article 184 proposé. Il en déduit que la police administrative échappe au contenu de l'article 184. Il faut donc se demander pourquoi le gouvernement n'a pas exprimé ce point de vue de cette manière-là dans sa note.

Quoi qu'il en soit, tous les doutes ne sont pas levés pour autant. L'article 184, tel qu'adopté provisoirement par la commission, prévoit en effet que l'organisation, mais également les attributions du service de police intégré, structuré à deux niveaux, sont réglées par la loi.

Des conflits ne peuvent-ils pas surgir si, sur la base d'un règlement communal de police, un bourgmestre souhaite faire appel à la police locale pour faire respecter ce règlement ? Celui-ci peut par exemple porter sur le contrôle de l'hygiène des habitations et la gestion des objets perdus, c'est-à-dire sur des matières qui, stricto sensu, ne concernent pas vraiment la police. La question est de savoir si le législateur fédéral peut disposer que pareilles matières ne relèvent pas de la compétence de la police locale. Le législateur pourrait donc définir strictement la liste d'attributions en vertu de l'article 184 de la Constitution, ce qui crée un risque de conflit avec les autorités locales lorsque celles-ci souhaiteront faire appel à la police locale pour exécuter les missions de police administrative fixées par elles.

Ensuite, il souhaite savoir si, dans la mesure où l'on ne touche pas aux compétences de la police intégrée, telles que prévues dans la loi du 7 décembre 1998 issue de la concertation octopartite, on pourra à l'avenir régler par décret la mission que l'article 135, § 2, de la nouvelle loi communale a confiée aux communes et qui consiste à faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sécurité et de la tranquilité dans les rues, lieux et édifices publics, dont il estime qu'elle est une mission de police administrative.

L'intervenant précédent rappelle qu'en fait, l'article 135 de la nouvelle loi communale s'inspire des décrets révolutionnaires de 1789 et 1790. Doit-on déduire de la question de l'intervenant précédent que la compétence figurant à l'article précité a été complètement régionalisée ou qu'elle le sera ?

Le vice-premier ministre souhaite d'abord corriger quelque peu la note du gouvernement et les explications qu'il a fournies à ce sujet. Quand le constituant a prévu, après la réforme des institutions de 1980, qu'une matière doit être réglée par la loi, cette matière relève de la compétence de l'État fédéral. Si donc on utilise, dans l'article 184 modifié, le terme « loi », cela signifie que l'organisation et les attributions du service de police intégré ne pourront pas êre réglées par décret. Seul le législateur fédéral sera habilité à le faire.

Il ne fait aucun doute que l'organisation et les attributions du service de police intégré sera le domaine réservé du législateur fédéral et des autorités fédérales.

En deuxième lieu, l'article 19 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ne limite pas la compétence du constituant. Il limite par contre celles des communautés et des régions, à moins que la loi spéciale elle-même ne prévoie une exception. L'article 19 est une règle générale à laquelle on peut déroger par des dispositions spécifiques contenues dans une loi spéciale.

Le vice-premier ministre confirme que la Cour d'arbitrage a parlé aussi d'un loi ordinaire et que dans la pratique, on y recourt également. C'est ainsi que la compétence des communautés et des régions d'imposer des obligations aux communes figure dans la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles. Même si elle est contraire à l'ensemble des théories défendues à ce sujet, la formule a manifestement été appliquée en permanence sans que cela n'ait donné lieu à discussion. En 1980, l'on a passé outre cette question en considérant qu'une loi ordinaire suffisait. Ce n'est que plus tard que l'on a estimé que cela posait problème.

En ce qui concerne l'article 135, § 2, de la nouvelle loi communale, il faut se demander si l'on peut confier par une loi spéciale, aux communautés, en matière de monuments et sites, par exemple, et aux régions, en matière environnementale, par exemple, la compétence d'élargir les compétences des communes, figurant à l'article précité. La réponse est clairement affirmative, pour autant, bien sûr, qu'il existe un accord politique à ce sujet et que la loi spéciale définisse clairement cette compétence. Ce que l'on ne peut pas transférer, en revanche, c'est la compétence réservée au législateur fédéral, figurant dans la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, en ce qui concerne par exemple les conditions dans lesquelles les menottes peuvent être utilisées ou les conditions dans lesquelles une personne peut être arrêtée. Le législateur décrétal ne saurait donc se baser sur pareille compétence pour régler lui-même l'utilisation des menottes par la police en cas d'infraction aux règles relatives aux monuments et sites.

Cette dernière matière relève en effet de la notion d'« attributions du service de police intégré » qui en vertu de l'article 184 proposé de la Constitution, doivent être réglées par le législateur fédéral. Les pouvoirs de police du bourgmestre au sens fonctionnel du terme pourront par contre être modifiées par le décret. Cela a déjà été fait en partie sur la base des compétences implicites des communautés en matière d'environnement.

La conclusion finale est que, dans les limites définies ci-dessus, la loi spéciale peut attribuer aux communautés et aux régions la compétence d'octroyer au bourgmestre des moyens supplémentaires en ce qui concerne les compétences de police administrative qui lui sont conférées, par exemple en matière de monuments et sites et d'environnement.

Un membre réplique que l'exemple décrit ci-avant par le vice-premier ministre est malgré tout d'une autre nature que la question de principe du transfert direct de compétence. L'exemple qu'il cite ne pose effectivement aucun problème. La Cour d'arbitrage a d'ailleurs suivi ce raisonnement pour l'interprétation de l'article 16 de la Constitution sur les conditions d'expropriation. La Cour a fait, à cet égard, une distinction entre compétences instrumentales et compétences matérielles.

L'intervenant aimerait savoir si, en cas de régionalisation de la nouvelle loi communale, le décret pourra régler le statut du bourgmestre de même que le contenu de l'article 135, § 2.

Le vice-premier ministre répond qu'il appartient au législateur spécial d'en décider.

L'intervenant précédent rappelle que l'obligation de sécurité dans les rues et la responsabilité des autorités en la matière étaient réglées par les décrets révolutionnaires de 1789, qui ont été reconfirmés en 1935. Si la nouvelle loi communale était régionalisée, et donc aussi l'article 135, § 2, se poserait la question de savoir si les obligations susvisées seront régionalisées dans la foulée ou si elles resteront compétence fédérale.

Le vice-premier ministre répond que l'avant-projet de loi spéciale portant transfert de compétences diverses aux régions et aux communautés prévoit une exception en l'espèce. Il appartient néanmoins au législateur spécial de décider jusqu'où il veut aller. Les motivations politiques joueront un rôle essentiel à cet égard. La même discussion peut avoir lieu à propos de la régionalisation, par le législateur spécial, du règlement sur la circulation routière et du régime de responsabilité. Si cela ne soulève aucune objection constitutionnelle, il y a en a de nature politique. Il en va de même de l'article 135 de la nouvelle loi communale. Le législateur spécial devra apprécier jusqu'où il compte aller dans la scission des compétences de cet article qu'il envisage de faire ressortir au pouvoir normatif des régions. Le débat n'est pas juridique mais bien politique.

L'intervenant précédent ne partage pas tout à fait ce point de vue. Il faut veiller à la cohérence juridique de la disposition avec d'autres articles de la Constitution. Il en revient à son exemple de l'obligation de sécurité sur la voie politique. La responsabilité du bourgmestre en la matière en est un aspect; Il s'agit toutefois d'une compétence partagée, ce qui signifie que l'autorité fédérale comme l'autorité régionale ont des obligations, par exemple en matière de la circulation routière. La conjonction de ces éléments fait que la question est plus complexe que le simple fait de déclarer que la régionalisation de la loi communale n'est en fait rien d'autre qu'une décision politique.

L'intervenante suivante souhaiterait obtenir du gouvernement la confirmation que l'adoption de l'article 184 proposé ne modifiera en rien l'organisation et les attributions du service de police intégré telles qu'elles sont définies à l'heure actuelle. Le débat sur la régionalisation des lois provinciale et communale, sur la politique en matière de police et sur la distinction entre les compétences matérielles et instrumentales dont doit disposer le législateur spécial pour permettre aux communautés de modifier la loi communale et d'attribuer de nouvelles compétences au bourgmestre, doit naturellement encore avoir lieu, mais cela n'a aucun rapport avec la révision de l'article 184. Le gouvernement devrait donc déclarer que l'amendement nº 7 est non seulement superflu mais qu'il est de surcroît hors de propos dans le débat sur la révision de l'article 184, dans le cadre duquel on ne touche pas à la distinction entre police administrative et police judiciaire.

Un autre membre aimerait avoir des précisions sur les conséquences éventuelles de l'article 184 pour l'exercice de la tutelle sur les services de police. À l'heure actuelle, il existe un système de tutelle spécifique qui s'exerce en vertu de la loi. Dans le système qui est sur le point de disparaître, c'est le ministre de l'Intérieur qui nomme le commissaire de police en chef. Comme aucune tutelle spécifique n'était prévue pour la nomination aux fonctions hiérarchiquement moins élevées, il y avait une tutelle régionale. Avec la structuration de la police, on se retrouve en terrain glissant. Supposons que l'on décide, par exemple, d'engager une série d'agents auxiliaires dans un corps de police. Dans l'état actuel des choses, la région doit approuver cette mesure en tant qu'autorité de tutelle. Mais cette extension du corps par engagement d'agents auxiliaires relève de l'« organisation du service de police ». Que devient la compétence de la région en tant qu'autorité de tutelle par rapport à l'organisation de la police locale ? Le nouvel article 184 de la Constitution n'aura-t-il pas pour effet de faire perdre à la région sa compétence actuelle de tutelle en matière d'organisation de la police ?

Le vice-premier ministre répond que la loi du 7 décembre 1998 a déjà privé les régions de cette compétence. Elle a institué un contrôle spécifique de tout ce qui concerne la police. Le Conseil d'État a déclaré à ce propos que, comme le service de police intégré constitue dans son ensemble, selon le Gouvernement, une matière fédérale et non pas communale, un contrôle spécifique pouvait être institué.

Le membre demande s'il ne risque pas d'y avoir un problème si un ministre interdit, pour des raisons budgétaires, à une commune d'encore faire des dépenses, alors qu'un ministre fédéral la force à prévoir un budget déterminé pour la police locale. C'est pourquoi il estime qu'il convient de conclure des accords de coopération entre les différents niveaux de compétence, de manière à harmoniser dans la pratique leurs compétences respectives.

Le vice-premier ministre répond que la loi du 7 décembre 1998 oblige les communes à voter un budget pour le corps de police locale suivant les normes budgétaires minimales que le Roi fixe par arrêté délibéré en Conseil des ministres. Outre la composante communale, il y a aussi la contribution fédérale (article 39 et suivants).

Il remarque par ailleurs que l'article 184 en discussion ancre dans la Constitution le pouvoir, pour le législateur fédéral, de réglementer le service de police intégré que prévoit la loi du 7 décembre 1998. Si des difficultés devaient surgir à l'occasion de l'exercice des compétences dans le cadre du contrôle général des finances communales et du contrôle spécifique du budget du corps de police locale, les diverses autorités doivent, selon la Cour d'arbitrage et le Conseil d'État, même si chacune d'elles intervient dans sa propre sphère de compétences, exercer celles-ci suivant le principe de la proportionnalité, qui devient, dans ce cas, un principe de répartition des compétences.

Sur cette base, une décision peut être annulée en cas de conflit de compétence.

L'accord octopartite prévoit également que les diverses autorités de tutelle doivent conclure un accord de coopération pour prévenir l'apparition du problème précité.

Le ministre de l'Intérieur souscrit à la thèse du vice-premier ministre selon laquelle l'organisation et les compétences du service de police intégré ainsi que les éléments essentiels du statut des membres de son personnel doivent être fixés par le législateur fédéral.

Par organisation, il y a lieu d'entendre la structure, le contrôle du service de police auquel les autorités locales sont étroitement associées, son fonctionnement et son financement.

Les compétences englobent les cas et les conditions dans lesquels diverses autorités peuvent faire appel à la police fédérale et locale, tant pour des missions administratives que pour des missions judiciaires. Les services de police sont habilités en l'espèce à constater les infractions aux différentes normes juridiques.

Le service de police intégré, structuré à deux niveaux, dépendra de diverses autorités, mais le personnel sera soumis à un statut unique qui garantira leur mobilité entre les deux niveaux.

Le ministre confirme qu'une loi spéciale a privé les autorités communales et régionales d'une série de compétences en les confiant au pouvoir fédéral, par exemple en matière disciplinaire.

En ce qui concerne les bourgmestres, le ministre fait remarquer qu'ils sont étroitement associés a l'organisation de la police locale et au contrôle de celle-ci. Ils jouissent en outre d'une série de compétences de police qui leur sont attibuées directement par la loi ou qui leur ont été transférées par les autorités fédérales, communautaires ou régionales.

Il est implicitement admis que ces autorités doivent avoir le pouvoir d'exercer les compétences de police dans les domaines relevant de leurs compétences. Cette question mérite toutefois un examen plus approfondi. Le débat sur la question de savoir s'il y a lieu de s'engager plus avant sur cette voie est ouvert. Lorsque le bourgmestre exerce une compétence de police, il doit le faire dans le cadre fixé par le législateur fédéral et par les décrets révolutionnaires. Si l'on estime qu'il y a lieu d'offrir aux bourgmestres des possibilités spécifiques ou supplémentaires de faire appel a la police dans des matières relevant de la compétence des communautés et des régions, il est juridiquement possible de le faire par la voie d'une loi spéciale, comme le vice-premier ministre l'a déjà dit.

La révision de l'article 184 n'emporte aucune modification de la répartition des compétences entre l'État fédéral et les entités fédérées, ce qui n'exclut toutefois pas que certains glissements puissent être opérés ensuite.

S'agissant de la tutelle sur les services de police, l'intervenant déclare qu'en application de la loi du 7 décembre 1998, le ministre de l'Intérieur exerce une tutelle spécifique tant en matière de financement qu'en matière de nominations. Pour ce qui est du problème que pourrait susciter un éventuel conflit entre un ministre régional qui impose un plan d'assainissement à une commune et le ministre fédéral de l'Intérieur qui exige le respect du budget consacré a la police locale, la loi prévoit la conclusion d' accords de coopération qui font actuellement l'objet de négociations. A cet égard, la tâche n'est toutefois pas aisée.

Un membre demande si les Régions peuvent encore adopter un décret ou une ordonnance organisant de la tutelle regionale sur les zones de police. Plusieurs projets ont déjà été élaborés à cet égard.

Le ministre de l'Intérieur répond par la négative. Un avis du Conseil d'État est attendu sur ce point.

Le même membre demande à quelle autorité de tutelle il y a lieu de notifier la composition du conseil de police et du collège de police de la zone de police dont font partie les communes de la Région de Bruxelles-Capitale. En tant que bourgmestre, l'intervenant a décidé, par mesure de précaution et par courtoisie, d'en donner notification tant au gouverneur de l'arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale qu'au ministre-président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Mais existe-t-il une obligation légale d'en donner notification a ce dernier ?

Le vice-premier ministre repond que non, parce que, dans cette matière, la tutelle relève du fédéral.

Un membre déclare qu'il s'abstiendra lors du vote final, parce que certains points de la réforme de la police font encore l'objet de discussions. Il n'a toutefois aucune objection de fond contre l'article 184 amendé.

2. Votes

L'amendement nº 7 est rejeté par 10 voix contre 2.

L'amendement nº 8 est retiré.

Pour des raisons technico-juridiques la commission décide de remplacer, dans la disposition transitoire, le membre de phrase « pour autant que cet arrêté soit confirmé, quant à ces éléments, par une loi adoptée avant le 30 avril 2001 », par ce qui suit : « pour autant que cet arrêté soit confirmé, quant à ces éléments, par la loi avant le 30 avril 2002 ».

V. VOTE SUR L'ENSEMBLE

L'article unique, tel qu'il a été amendé et modifié, est adopté par 9 voix et 3 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les rapporteurs.
Clotilde NYSSENS.
Frans LOZIE.
Le président,
Armand DE DECKER.

(1) Sauf application de l'article 10, le décret règle les matières visées aux articles 4 à 9, sans préjudice des compétences que la Constitution réserve à la loi.