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Sénat de Belgique

SESSION DE 1999-2000

13 JANVIER 2000


Révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR MME TAELMAN


I. INTRODUCTION

A. Procédure

La proposition de révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle a été déposée le 16 juillet 1999.

La commission des Affaires institutionnelles a entamé la discussion de la proposition le 18 novembre 1999 ­ deux jours avant le dixième anniversaire de la signature, à New York, de la Convention relative aux droits de l'enfant. L'on a soulevé une série de questions juridiques au cours de cette première discussion. Le 2 décembre 1999, ces questions furent soumises à plusieurs experts au cours d'une audition :

­ Mme Marie-Thérèse Meulders-Klein, professeur ordinaire émérite à l'UCL;

­ M. Rusen Ergec, professeur ordinaire à l'ULB;

­ M. Paul Lemmens, professeur extraordinaire à la KULeuven;

­ M. Arne Vandaele, collaborateur scientifique à la KULeuven.

MM. Lemmens et Vandaele ont également présenté à la commission une note dans laquelle sont examinées de manière approfondie les questions qui leur avaient été soumises. Les services du Sénat ont, eux aussi, rédigé une note à ce sujet. Ces deux documents sont annexés au présent rapport.

Le 9 décembre 1999, la commission a organisé une audition pour examiner quels sont les problèmes concrets qui se posent en matière de droits de l'enfant et quelles sont les perspectives d'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution. Elle a procédé à un échange de vues à ce sujet avec :

­ M. Cardon de Lichtbuer, président de Child Focus, et Mme Lieve Stappers, directrice de Child Focus;

­ M. Damien Vandermeersch, juge d'instruction à Bruxelles, membre de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants;

­ Mme Katlijn Declercq, ancienne secrétaire de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants et responsable d'ECPAT-Belgique;

­ M. Jan Lathouwers, conseiller adjoint au ministère de la Justice, service « Droits de l'homme », chargé de la rédaction du deuxième rapport belge sur l'application de la Convention sur les droits de l'enfant.

Le 16 décembre 1999, la commission a adopté la proposition amendée de révision. Le rapport de commission a été approuvé le 13 janvier 2000.

B. Considérations introductives

B.1. Exposé introductif de l'auteur de la proposition

L'auteur de la proposition de révision se réjouit d'avoir l'occasion d'entamer l'examen de cette proposition la semaine où, partout dans le monde, est fêté le 10e anniversaire de la signature de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant et à la veille du débat parlementaire qui a lieu au Sénat à l'occasion de cet anniversaire (1). On ne peut pas se contenter de paroles dans le domaine des droits de l'enfant : ces paroles doivent être concrétisées par des actes législatifs clairs. Le texte de la proposition de révision est le même que celui que l'intervenante avait déposé à la Chambre des représentants sous la précédente législature, avec l'appui de l'ensemble des groupes politiques démocratiques de cette assemblée (2).

Une relation sans violence avec les enfants ne peut plus se limiter à une activité informelle ou à un style personnel d'éducation de quelques-uns. Une relation sans violence doit devenir une norme vers laquelle on doit tendre en tant que société, non seulement parce que trop d'enfants sont encore aujourd'hui victimes de violence mais aussi afin que les enfants et leur intégrité soient entièrement respectés à tout moment. L'adoption d'une disposition qui inscrirait le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle dans la Constitution serait l'expression démocratique de la volonté de reconnaître ce droit. C'est ainsi que la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants a introduit dans son rapport final du 23 octobre 1997 sa recommandation d'inscrire un nouveau droit pour les enfants dans la Constitution (3). La Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants avait été instituée par le gouvernement à la suite des événements tragiques d'août 1996. La commission poursuivait dans son rapport que la Convention relative aux droits de l'enfant constituait déjà un bon point de départ : les articles 19, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38 et 39 concernent en effet expressément l'abandon, l'abus, l'exploitation et d'autres formes de violence envers les enfants. Le droit à l'intégrité n'est pas directement prévu. On peut cependant le déduire de l'article 37, qui contient l'interdiction de soumettre les enfants à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Afin d'éviter toutes les interprétations ou échappatoires possibles et donc protéger les enfants contre toutes les formes de violence, la Commission nationale recommande d'inscrire expressément dans la Constitution le droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. Cette commission a élaboré dans son rapport final une liste de propositions concrètes visant à mettre sur pied une série de mesures de nature à combattre la violence à l'égard des enfants. Les événements tragiques d'août 1996 étaient un choc pour tout le monde. À cette occasion, chacun a dû s'interroger sur l'état de notre société et surtout sur la place des enfants dans celle-ci. Dans une société où tout se vend et s'achète, on a pu constater que des enfants aussi pouvaient être des marchandises. On pensait que cela se passait ailleurs, loin d'ici et que les enfants d'ici étaient en sécurité. Triste réveil, mais qui a renvoyé tout le monde à un débat de fond sur la place des enfants dans notre société, débat entamé au travers de la Convention de 1989, et qui doit être poursuivi en Belgique.

L'inscription dans la Constitution du droit pour chaque individu à l'intégrité devrait constituer une étape essentielle en vue d'un large débat public concernant la violence en général et la violence à l'égard des enfants en particulier. Dans une société où la violence est devenue une donnée structurelle, qu'elle soit intrafamiliale ou extrafamiliale, le fait pour le Parlement d'introduire dans la Constitution une disposition telle que celle qui est proposée est le signe d'un choix de société : le choix indispensable de protéger les plus faibles, le choix de mieux garantir les libertés individuelles dans le respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle de tout être humain.

En ouvrant à révision une série de titres et d'articles de notre Constitution, le préconstituant a précisé un certain nombre de choses. Il a clairement indiqué dans sa déclaration de révision que le titre II de la Constitution était ouvert à révision en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. La proposition devrait être recentrée de manière à correspondre mieux à la volonté du préconstituant du 5 mai 1999. C'est pour cette raison que l'auteur compte déposer un amendement (Doc. Sénat, 1999-2000, 2-21/2, amendement nº 2) qui remplacerait le texte initial par ce qui suit :

« Art. 23bis. ­ Chaque enfant a le droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit. »

B.2. Première discussion

Une membre souligne qu'il est très important de reprendre effectivement les termes du rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants. Ce rapport suggérait d'inscrire dans la Constitution le droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. On peut bien admettre qu'un texte pareil est loin des dispositions classiques de la Constitution de 1831 qui parlait des libertés en général. Mais de plus en plus, dans toutes les constitutions, on ouvre de nouveaux chapitres sur les droits économiques et sociaux en général et, plus largement, sur des droits politiques qui sont inspirés de nouvelles philosophies et de textes internationaux. Puisqu'on célèbre le 20 novembre 1999 le 10e anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, l'intervenante propose de transposer une disposition de cette Convention dans notre Constitution. Il faut cependant s'interroger sur l'opportunité de se limiter à choisir une idée sur les droits de l'enfant. Ne faut-il pas réfléchir plus avant pour consacrer d'autres droits dans la Constitution ? Certes, la maltraitance des enfants est une question excessivement importante. En Belgique, on a été touché particulièrement par cette problématique ces dernières années. Néanmoins, il ne faut pas légiférer sous le coup d'un événement. Une approche globale semble préférable. Cela vaudrait la peine de relire l'ensemble de la Convention et surtout le dernier rapport de la Belgique sur l'application de cette Convention en Belgique. Il y a un travail constitutionnel, voire législatif, à faire pour voir en quoi notre arsenal juridique dans son ensemble devrait être complété afin de rencontrer les dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Le rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants n'a pas encore été mis suffisamment à profit. Ce rapport a été rédigé par la société civile : par des magistrats, des acteurs de terrain, des gens particulièrement spécialisés en psychologie de l'enfant. Il appartient à la commission de relire ce rapport et de voir dans quel cadre le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle a été proposé. Il ne suffit pas de mettre une disposition d'ordre symbolique dans la Constitution, mais il faut bien au contraire aller plus loin au niveau législatif et au niveau des sanctions positives de ce droit. Ce rapport final a le mérite de dire que le droit a ses limites, que c'est dans les systèmes d'éducation, à l'école, dans les familles, que les enfants doivent être considérés comme sujets. Ces sujets ne sont toutefois pas égaux à des adultes. Le rapport indique bien que les enfants ne sont pas des adultes et qu'il ne s'agit pas de dire simplement que tout individu a droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle : il faut sans doute accentuer la dimension « enfant » parce qu'on a tendance, aussi par une mauvaise interprétation de la Convention relative aux droits de l'enfant, à mettre sur un pied d'égalité enfant et adulte. Il faut vraiment faire une bonne lecture de la Convention relative aux droits de l'enfant en disant que les enfants sont des sujets de droit mais aussi des sujets à protéger. Le mot protection doit intervenir dans la disposition constitutionnelle qui sera élaborée. Il faut absolument faire une distinction entre la disposition générale « tout individu a droit... » et la protection spécifique et particulière que l'enfant mérite.

C'est dans ce cadre-là que la membre dépose un amendement (doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-21/2, amendement nº 1), libellé comme suit :

« Il est inséré dans le titre II de la Constitution un article 22bis, libellé comme suit :

« Art. 22bis. ­ Chacun a le droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Chaque enfant doit être protégé contre toutes les formes de violence. »

Il est proposé d'insérer un nouvel article 22bis et non un article 23bis parce que la disposition proposée n'a rien à voir avec les droits économiques et sociaux au sens de l'article 23 de la Constitution. L'amendement vise à conserver la phrase initiale proposée par l'ensemble des partis politiques démocratiques sous la précédente législature.

Après un examen de droit comparé, l'auteur de l'amendement a constaté que peu de constitutions disposent déjà d'un chapitre consacré aux droits de l'enfant. La constitution la plus explicite sur ce sujet est la constitution portugaise. Cette constitution est très lourde mais la méthode du constituant portugais consiste à mettre dans la constitution beaucoup de principes symboliques qui se trouvent dans des lois. Il convient donc d'examiner si l'on s'en tient aux deux phrases proposées ­ son groupe tient vraiment à ce que le mot « enfant » soit présent ­ ou s'il n'y a pas d'autres droits de l'enfant à insérer dans la Constitution.

Une sénatrice considère que la proposition à l'examen est une tentative louable de lancer le débat concernant l'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution. Elle n'en a pas moins signé elle aussi l'amendement nº 1. Il est en effet très important de préciser qu'il s'agit d'enfants. Il faut en outre que le texte contienne également la notion d'« intégrité morale ».

La proposition n'aborde la notion de droits de l'enfant que dans une optique assez limitée. Il faudrait ménager une place plus grande aux droits de l'enfant dans la Constitution. L'intervenante renvoie à sa proposition de déclaration de révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions assurant la protection des droits de l'enfant (doc. Senat, 1996-1997, nº 1-496/1). Ce texte visait à une reconnaissance constitutionnelle plus large des droits de l'enfant. Les enfants doivent avoir droit non seulement à la protection, mais également à la participation, bien entendu dans la mesure de leurs capacités. La recherche de la formulation constitutionnelle correcte de ces droits constitue un défi astreignant, mais captivant.

Un membre estime que la commission sera probablement d'accord avec le contenu de la proposition, mais les vraies questions à se poser concernent l'introduction de ce genre de droits dans la Constitution. Certains constitutionnalistes résument ce genre d'initiative en disant que c'est joli. C'est toute la question qu'on doit se poser par rapport à l'inscription de ce genre de dispositions très généreuses. Pareilles dispositions ne sont pas forcément la meilleure garantie dans un État de droit.

En plus, si l'on s'inscrit dans la logique de faire joli, autant le faire correctement et le faire le mieux possible. Où faut-il insérer la question relative à la protection du droit à l'intégrité : dans la lignée de l'article 22 (droit à la vie privée) ou dans celle de l'article 23 (droits économiques et sociaux) ? Ceci n'est pas une question purement formelle.

Faut-il viser chacun et considérer que cela vise aussi les enfants, ou faut-il introduire un chapitre spécifique centré sur les enfants ? Dans cette seconde hypothèse, faut-il libeller la disposition de façon ouverte ou faut-il cibler sur les questions de violence ? Le résultat peut donner des leviers intéressants pour la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 de la Constitution.

Selon une autre membre, les observations qui précèdent montrent que la proposition à l'examen soulève bien des questions. Il serait probablement indiqué d'évaluer la proposition à la lumière des réflexions formulées par des personnes qui s'occupent quotidiennement de la protection de l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle des enfants. Elle propose que l'on entende Mme Lieve Stappers, la directrice de « Child Focus ».

Un membre attire l'attention sur le danger de faire s'éterniser inutilement la discussion. L'on célèbre actuellement le dixième anniversaire de la Convention relative aux droits de l'enfant, ce qui constitue une incitation supplémentaire à donner aux droits de l'enfant un fondement constitutionnel. La commission doit cependant trancher certaines questions. Le droit à l'intégrité s'inscrit-il dans le prolongement d'un des droits fondamentaux qui sont déjà définis dans la Constitution ? Ne faut-il pas axer davantage le texte sur les enfants ? La formule « Chacun, en particulier chaque enfant, a droit à... » donnerait peut-être le plus de satisfaction, dans la mesure où elle accorde à tous le droit à l'intégrité, tout en soulignant qu'il y a lieu d'accorder une attention particulière aux enfants. Quant à l'amendement nº 1, il présente l'avantage d'imposer une obligation positive aux divers pouvoirs publics. Une des missions des pouvoirs publics consiste en effet à protéger les enfants contre la violation de leur droit à l'intégrité.

L'auteur de l'amendement nº 1 plaide pour garder les deux alinéas du texte proposé dans l'amendement. Il convient de compléter le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle tel que formulé dans la proposition initiale par un second alinéa qui renforce ce droit à l'égard des enfants, ceci conformément aux souhaits contenus dans le rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Le choix de la place de l'article n'est pas un point crucial. L'article 22 traite de la vie privée et de la vie familiale de tout un chacun, l'article 23 traite des droits économiques et sociaux. Il est plus judicieux d'insérer la disposition sur le droit à l'intégrité en tant qu'un nouvel article 22bis .

L'auteur de la proposition espère que l'on trouvera une manière de concilier les préoccupations de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants et la volonté de traduire dans notre Constitution la Convention relative aux droits de l'enfant. Il faudra enlever une ambiguïté dans le débat : soit on recentre sur l'enfant, soit on élargit à tout individu. De toute façon, il paraît préférable de s'en tenir aux termes utilisés par le préconstituant. Ceci n'empêche que l'on prépare une nouvelle déclaration de révision en vue d'insérer des droits de l'enfant plus étendus.

Le débat concernant la place du nouvel article n'est pas un débat neutre. Il ne serait cependant pas utile de recommencer toute la discussion sur les droits économiques et sociaux.

Un membre est d'avis que l'amendement nº 1 risque de donner à tort l'impression que tout enfant doit certes être protégé contre la violence, mais qu'il ne peut invoquer le droit à l'intégrité. L'enfant jouirait ainsi d'une protection juridique moindre que celle de l'adulte. Pour éviter tout ambiguïté, il serait sans doute préférable d'opter pour une formulation qui fasse apparaître de manière incontestable que chacun a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle, et à la protection contre toute atteinte à cette intégrité.

Selon un sénateur, c'est précisément dans le souci de ne pas placer les enfants en position d'infériorité que la Constitution doit reconnaître les droits de l'enfant en général. À l'heure actuelle, en effet, on ne sait pas clairement si l'enfant est porteur des droits et libertés que le titre II de la Constitution accorde à tous les Belges, et s'il l'est, dans quelle mesure. Se pose en outre la question de savoir dans quelle mesure l'enfant est capable d'exercer ces droits personnellement. La réglementation internationale, et en particulier la Convention relative aux droits de l'enfant, n'offre pas toujours une solution en la matière. Les dispositions d'une convention ne sont pas toutes obligatoires pour les parties contractantes. Certaines dispositions ne sont que des déclarations d'intention, d'autres exigent l'intervention du législateur national afin de rendre le droit international applicable en droit interne. Il paraît effectivement souhaitable que la commission se fasse conseiller par quelques experts. Plusieurs universités sont d'ailleurs en train d'étudier la mise en oeuvre des droits de l'enfant et le contrôle de leur respect dans le cadre d'un réseau de recherche.

Une sénatrice rappelle que l'UCL a organisé en 1990 un débat sur la Convention relative aux droits de l'enfant. La commission pourrait entendre certains experts qui ont contribué à ce débat.

B.3. Conclusion

La commission constate que les principes sur lesquels repose la proposition de révision ne sont pas contestés, mais que plusieurs questions relevant de la technique juridique se posent :

a) Vaut-il mieux insérer la disposition relative au droit à l'intégrité dans un article 22bis, un article 23bis ou d'une autre manière ?

b) La déclaration de révision de la Constitution, qui se limite à l'insertion de droits de l'enfant, permet-elle à la constituante d'accorder ces droits à chacun ?

c) Suffit-il d'inscrire ce droit dans la Constitution, comme prévu dans la proposition, ou est-il utile d'ajouter que tout enfant doit être protégé contre la violation de ce droit ? Un amendement tend à compléter le texte proposé par la disposition suivante : « Chaque enfant doit être protégé contre toutes les formes de violence. » Cette disposition ajoute-t-elle quelque chose à la proposition initiale au niveau du fond ?

d) Dans quelle mesure la Constitution et la Convention relative aux droits de l'enfant accordent-elles déjà des droits aux enfants ? Les enfants peuvent-ils obtenir par voie de justice le respect des droits et libertés fondamentales énumérés dans la Constitution ?

La commission décide de soumettre ces questions à quatre experts :

­ Mme Marie-Therèse Meulders-Klein, professeur ordinaire émérite à l'UCL;

­ M. Rusen Ergec, professeur ordinaire à l'ULB;

­ M. Paul Lemmens, professeur extraordinaire à la KULeuven;

­ M. Arne Vandaele, collaborateur scientifique à la KULeuven (4).

Les deux premières questions sont en outre soumises pour avis aux services du Sénat.

La commission décide par ailleurs d'organiser une audition afin de vérifier quels sont les problèmes concrets qui se posent en matière de droits de l'enfant et quelles sont les attentes par rapport à l'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution. Elle a décidé de procéder à un échange de vues à ce sujet avec :

­ M. Cardon de Lichtbuer, président de Child Focus, et Mme Lieve Stappers, directrice de Child Focus;

­ M. Damien Vandermeersch, juge d'instruction à Bruxelles, membre de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants;

­ Mme Katlijn Declercq, ex-secrétaire de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants et responsable d'ECPAT-Belgique;

­ M. Jan Lathouwers, conseiller-adjoint au ministère de la Justice, chargé de la rédaction du deuxième rapport sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant.

II. AUDITION D'UN CERTAIN NOMBRE DE PERSONNES CONCERNÉES PAR LA PROBLÉMATIQUE DES DROITS DE L'ENFANT

A. Déclarations préliminaires

1. Exposé introductif de Mme Lieve Stappers, directrice de Child Focus

Mme Stappers, directrice de Child Focus, considère l'invitation de la commission comme une marque d'appréciation, de la part du Sénat, du travail accompli par Child Focus.

« Chacun a droit au respect de son intégrité physique, psychique et sexuelle. » Child Focus, le Centre européen pour enfants disparus et sexuellement exploité, a réfléchi aux implications de l'introduction de cet article dans la Constitution par rapport à l'application de ses objectifs, à savoir, lutter 24 heures sur 24 contre les phénomènes de disparition et d'exploitation sexuelle d'enfant.

Mme Stappers préfère ne pas se prononcer sur la terminologie de cette proposition, mais laisser cette évaluation aux experts juridico-techniques.

Elle se demande néanmoins si l'article proposé est suffisamment complet par rapport à la liste presque exhaustive des droits de l'enfant repris dans la Convention relative aux droits de l'enfant.

Les droits de l'enfant ne devraient-ils pas être repris de façon plus complète dans la Constitution, pour que les lacunes actuelles à ce niveau soient révélées ou pénalisées, mais de préférence évitées ?

Le centre constate dans sa pratique quotidienne que le non-respect de l'intégrité des enfants est malheureusement habituel. Les plus de 1 800 dossiers déjà traités par Child Focus le démontrent. En effet, le traitement de ces problèmes demande davantage que le respect des enfants. Leur implication est fondamentale lorsqu'on traite leurs problèmes. Pour illustrer ceci, Mme Stappers cite quelques exemples des dossiers du centre.

­ L'histoire de Charlotte (7 ans) : à la suite d'une interminable procédure de divorce, Charlotte est victime d'un enlèvement parental international. Charlotte est toutefois retrouvée à l'étranger, et retourne vivre auprès du parent résidant en Belgique. Ce dernier interdit tout contact entre Charlotte et l'autre parent. Un parent peut-il se permettre de priver son enfant du contact avec l'autre parent ? Un parent peut-il entraver si profondément le développement serein de son enfant en toute impunité ? Où et quand écoute-t-on les besoins et les ressentiments d'un enfant, si jeune soit-il, dans de telles situations ?

­ Le récit de Dieter : il s'agit d'un jeune homme de 14 ans qui a déjà fugué à deux reprises, d'abord de chez lui, puis de l'institution. Une fois qu'ils l'avaient retrouvé, les services de police le ramenaient manu militari chez ses parents ou dans l'institution. Un fugueur n'est évidemment pas l'autre, mais a-t-on prêté une oreille suffisamment attentive à l'histoire complète du jeune homme ? Peut-être n'était-il pas question simplement de lassitude scolaire ? A-t-on suffisamment tenu compte des expériences, contées ou non, de ce jeune homme ?

­ Le récit de Jurgen (10 ans) : ce garçon est victime d'abus sexuels commis par un voisin âgé. Est-il acceptable que l'on mette l'auteur en liberté conditionnelle sans que le parquet ne prévienne ni le garçon ni sa mère ? N'est-ce pas porter une seconde fois atteinte violemment à la sérénité psychique de ce garçon et entraver son processus de guérison ?

Bien que le centre ne puisse se prévaloir que d'une expérience de 18 mois sur le terrain, Mme Stappers souhaite mettre l'accent sur le danger réel que le monde politique n'envisage la situation des enfants que sous un seul angle ou dans les limites d'une seule compétence.

Quand Child Focus s'attaque à un problème, elle tient compte également de la personne de l'enfant et se soucie de sa dignité humaine. Child Focus part du principe que la voix d'un enfant a suffisamment de valeur pour qu'on l'entende lorsqu'il s'agit de défendre ses intérêts.

Telle est l'essence du débat que doit mener le monde politique. Et, comme il s'agit d'un débat important, il conviendrait que l'on fasse également appel à l'expérience d'autres organisations qui se préoccupent du bien-être des enfants en l'envisageant sous d'autres angles.

Il va de soi que Child Focus voit d'un oeil favorable l'inscription dans la Constitution du droit à la protection contre toutes les formes de violence. Mais il ne faudra pas que le monde politique se contente de combattre les violations de ce droit. Mme Stappers plaide en faveur d'une application proactive, axée sur la stimulation de la discussion à tous les niveaux de la société et sur le développement d'un enseignement des droits de l'enfant en général, et ce, dans la perspective d'une amélioration permanente des conditions de vie de l'enfant.

2. Exposé introductif par M. Damien Vandermeersch, juge d'instruction à Bruxelles, membre de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants

La proposition nº 2 du rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants vise l'introduction du droit à l'intégrité dans la Constitution. D'où vient cette proposition ? Une des premières réflexions de la commission et un des points de départ était de reconnaître davantage à l'enfant une place d'acteur dans sa vie par rapport à l'ensemble des autres membres de la société. Jusqu'à présent, on lui avait reconnu simplement une place d'objet de droit.

Il est évident que l'introduction d'un droit implique deux versants. Avec le droit à l'intégrité, on a toujours essayé de rechercher l'équilibre nécessaire entre, d'une part, l'autonomie (il est important que l'enfant puisse se développer, puisse acquérir une certaine autonomie, condition sine qua non d'un épanouissement) et, d'autre part, une protection en cas d'abus à son égard. Il faut rechercher ce difficile équilibre entre le respect de l'enfant, et une protection contre l'abus. Le respect implique le respect d'un certain développement et d'une acquisition d'une autonomie.

Faire de l'enfant un acteur à part entière est un programme qui commence avec la Constitution. Mais il ne suffit pas de reconnaître certains droits à l'enfant si on ne lui donne pas les moyens de les exercer. Pour les exercer, différentes pistes existent, notamment l'information de l'enfant. Le forum avec les enfants a montré qu'ils sont eux-mêmes demandeurs pour être partie dans l'exercice de ces droits.

Il faut ­ puisque l'enfance couvre et des enfants très jeunes et des « enfants » de presque 18 ans ­ une certaine souplesse dans l'exercice de ces droits. Ce n'est pas parce qu'on est un enfant qu'on ne peut pas exercer ses droits directement. Mais, parfois, on a besoin de canaux, de relais pour pouvoir les exercer de façon effective. On retrouve de nouveau le nécessaire équilibre entre autonomie et protection : les enfants doivent pouvoir revendiquer eux-mêmes des droits, mais, pour les exercer, ils ont parfois besoin de mécanismes protecteurs, soit les parents, soit parfois des organismes extérieurs (par exemple le délégué aux droits de l'enfant de la Communauté française ou le commissaire aux droits de l'enfant de la Communauté flamande).

La Commission nationale a constaté que, dans la Convention relative aux droits de l'enfant, le droit à l'intégrité en tant que tel n'était pas reconnu. La Commission nationale était d'avis que la reconnaissance du droit dans la Constitution serait une plus-value. L'inscription d'un tel droit dans la Constitution impliquerait toute une série d'obligations au niveau de l'État.

Il faut savoir en outre que la Convention relative aux droits de l'enfant a un effet direct, au moins partiellement, en droit interne. Il n'y a donc pas une nécessité juridique de reprendre in extenso dans la Constitution les droits consacrés par la Convention.

Sur la question de savoir s'il est préférable d'utiliser la formulation générale « toute personne » ou la formule spécifique « chaque enfant », M. Vandermeersch se demande pourquoi on ne mettrait pas dans la Constitution une disposition stipulant que « tout enfant est sujet de droit ». C'est ça la question fondamentale. C'est très bien de reconnaître des droits de l'enfant, mais on rate l'objectif si les enfants n'en sont que l'objet.

3. Exposé introductif de M. Lathouwers, conseiller adjoint au ministère de la Justice, service « Droits de l'homme », chargé de la rédaction du deuxième rapport belge sur l'application de la Convention des droits de l'enfant

3.1. Le cadre dans lequel le rapport est élaboré

Conformément à l'article 44.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, les États parties s'engagent à soumettre au comité, par l'entremise du secrétaire général, des rapports sur les mesures qu'ils auront adoptées pour donner effet aux droits reconnus dans la convention et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits. Le premier rapport doit être émis dans les deux ans de l'entrée en vigueur de la convention pour l'État partie concerné. Par la suite, un nouveau rapport doit être émis tous les cinq ans.

Le rapport doit également indiquer les difficultés relatives au respect des obligations. On accorde généralement trop peu d'attention à cette partie du rapport. Souvent, les États parties attachent beaucoup d'intérêt à la manière dont la convention est appliquée et beaucoup moins aux difficultés qui accompagnent l'application de la convention.

La rédaction du premier rapport a été largement improvisée. En raison de la brièveté du délai (deux ans) dont la Belgique disposait, le ministère de la Justice a été désigné comme rédacteur final du rapport. Les divers départements ont transmis un texte sur l'application de la convention. En raison du manque de temps, l'on n'est pas parvenu à organiser une large concertation avec d'autres composants de la société au sujet du rapport.

Après l'examen du premier rapport, le comité a formulé des recommandations, notamment en vue de mettre en place une structure permettant d'organiser une concertation avec les diverses composants de la société. La Commission nationale des droits de l'enfant a été créée à la suite de ces recommandations. Sur l'initiative des communautés, l'on a aussi créé à l'époque la Commission interdépartementale pour la protection des droits de l'enfant.

Le deuxième rapport a été rédigé avec la collaboration des départements, des cabinets, des organisations non gouvernementales (ONG) et des universités. Il a, en outre, été approuvé par la Commission nationale des droits de l'enfant et la conférence interministérielle pour la protection des droits de l'enfant. Le deuxième rapport sera soumis au comité au milieu de l'an 2001. Il devra dès lors encore être complété sur plusieurs points.

Par l'intermédiaire de l'initiative « What do you think ? » de l'Unicef, on vise à ce que les enfants soient associés eux-mêmes plus étroitement à la rédaction du rapport. Ils doivent pouvoir contribuer personnellement à ce rapport.

3.2. Commentaire du rapport

Le rapport adopte une structure imposée par le comité même :

Première partie. Règles d'application générale

Deuxième partie. Définition de l'enfant

Troisième partie. Principes généraux

Quatrième partie. Libertés et droits civils

Cinquième partie. Environnement familial et protection de substitution

Sixième partie. Santé et bien-être

Septième partie. Éducation, temps libre et activités culturelles

Huitième partie. Mesures spéciales relatives à la protection de la jeunesse.

Cette table des matières donne déjà une idée du champ d'application de la Convention des droits de l'enfant. Bien plus encore que ce n'est le cas de nombreuses autres conventions relatives aux droits de l'homme, le champ d'application de la convention en question couvre un très large secteur de la société.

La partie introductive du rapport définit les lignes de force. Elle a été ajoutée notamment sur l'initiative des ONG. L'on tente aussi d'y faire droit aux recommandations que le comité a formulées à l'occasion de la présentation du premier rapport. L'on a donné ainsi un début de réponse à la question relative à la situation des demandeurs d'asile mineurs. Par ailleurs, la Commission nationale des droits de l'enfant a été créée à la suite de la recommandation visant à organiser la coopération d'une manière structurelle. Un nouvel arrêté royal définira prochainement plus en détail la mission de la commission nationale et en améliorera la composition et le fonctionnement.

Outre l'initiative « What do you think ? » de l'Unicef, de nombreuses autres organisations gouvernementales et non gouvernementales sont actives et les universités ont effectué beaucoup de recherches sur les droits de l'enfant. Une référence en la matière, aussi en dehors des frontières de notre pays, est constituée par exemple par le Centre pour les droits de l'enfant du professeur Verhellen à Gand, qui est chargé d'examiner notamment comment les enfants pourraient être mieux informés à propos de leurs droits. Étant donné la grande diversité du groupe cible ­ enfants de 0 à 18 ans ­, cette tâche n'est pas des plus simples, et doit en première instance être confiée à des professionnels pour l'être ensuite à tout un chacun qui s'occupe d'enfants.

3.3. La proposition de révision

Il importe de reconnaître l'enfant comme sujet de droit. On peut évidemment se demander pourquoi on reconnaît les enfants et pas d'autres groupes faibles de la société. Cependant, l'importance historique et juridique de la Convention relative aux droits de l'enfant réside précisément dans le fait qu'elle se concentre sur la problématique de l'enfant lui-même. La mise en oeuvre concrète de cette convention souligne chaque jour l'importance de cette reconnaissance spécifique. Il est donc essentiel que le mot « enfant » soit inscrit dans la Constitution.

4. Exposé introductif de M. Cardon de Lichtbuer, président de Child Focus

M. Cardon de Lichtbuer souligne l'importance de la consultation des ONG dans la société d'aujourd'hui. Rien ne peut être fait sans un très large dialogue. Cette société ouverte à la voix des enfants est terriblement importante. Mais, pour l'instant, on assiste à des expériences dans d'autres pays qui exagèrent dans ce domaine, qui créent des assemblées particulières d'enfants, non représentatives, qui s'expriment. Cela peut avoir des effets négatifs. La voie à suivre consiste à donner partout la voix aux enfants. C'est dans cette direction-là qu'il faut chercher.

La Belgique a une mauvaise réputation à cause des événements de ces dernières années. Puisque la Belgique se reprend, elle a, sur le plan international, une voix qu'on a tendance à écouter.

Les drames que nous avons vécus ont concentré sur nous l'attention du monde entier. À présent, on observe comment la Belgique tire les leçons de cette expérience. Notre pays parvient ainsi à se réhabiliter et peut même jouer un rôle de précurseur dans la protection effective des droits de l'enfant. En dotant les droits de l'enfant d'une base constitutionnelle mûrement réfléchie, le constituant peut montrer l'exemple.

5. Exposé introductif de Mme Katlijn Declercq, ancienne secrétaire de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants et responsable d'ECPAT-Belgique

La Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants a été créée à l'occasion de formes d'exploitation principalement extrêmes, telles que les meurtres d'enfants, dont des criminels s'étaient rendus coupables. La commission nationale a toutefois orienté ses travaux vers toutes les formes de violence sexuelle à l'égard des enfants. En outre, elle place le problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans le contexte beaucoup plus large de leur position sociale et juridique générale. L'exploitation sexuelle et la maltraitance des enfants ne sont pas des actes qui échappent aux jugements de valeur. Ces phénomènes ne peuvent être combattus victorieusement que si l'on fait intervenir dans le débat les valeurs individuelles et sociales sous-jacentes. Deux valeurs élémentaires sont l'illégitimité de la violence comme moyen de communication et de défense et le respect des enfants en tant qu'êtres humains à part entière.

On préviendra l'exploitation sexuelle et la maltraitance des enfants en étant plus attentif à leur opinion. La prévention se fonde dans une large mesure sur la participation. C'est là également une des conditions concrètes d'ECPAT, une organisation qui lutte contre la prostitution des enfants, le trafic d'enfants et la pornographie enfantine.

Les jeunes ont bel et bien des propositions de mesures préventives à formuler. À l'heure actuelle, les autorités n'interviennent bien souvent que quand le mal est fait. Si l'on accordait systématiquement une plus grande attention à la participation, on préviendrait bon nombre de problèmes.

Il serait donc déplorable que l'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution ne soit que l'expression du souci de protéger les enfants. Si la Belgique entend dégager un rayonnement positif sur la scène internationale, elle se doit de renforcer les droits des jeunes à participer et à anticiper.

B. Échange de vues

1. L'équilibre entre droits et devoirs

Un membre préfère qu'on vise l'exploitation plutôt que l'exploitation sexuelle, car il y a toutes sortes de formes d'exploitation. Il estime aussi qu'il est important de parler des droits de l'enfant, mais il ne faut pas oublier que les enfants ont aussi des devoirs. Trop souvent, les parents ont tendance à reporter sur les écoles l'éducation de leurs enfants. Il serait bon de redéfinir le rôle de tout un chacun. Il faut aussi apprendre aux enfants qu'ils ont des devoirs : par exemple le devoir de respecter les enseignants, de respecter leurs parents, de respecter les lois et les situations établies dans une société. Faire croire aux enfants qu'ils n'ont que des droits, risque à terme de se retourner contre eux. Il faut un équilibre dans la société. L'intervenant entend de plus en plus parler des pouvoirs des enfants : des conseils communaux consultatifs pour les enfants sont créés, on leur demande de plus en plus leur avis. C'est une tendance positive, mais cela n'empêche que, quand on a du pouvoir, on a aussi des responsabilités. Il faut aussi limiter les devoirs et les pouvoirs aux responsabilités qu'on peut exercer. Il est important d'avoir une vision de la société où l'enfant est roi. Mais il faut aussi apprendre aux enfants que si la société existe, c'est parce que les gens qui ont essayé de faire cette société, se sont mis des règles et ont essayé de les respecter.

M. Vandermeersch est d'avis que l'équilibre entre droits et devoirs correspond à l'équilibre entre autonomie et éducation. On constate souvent que la délinquance est le fait de gens qui n'ont pas été respectés dans leur jeunesse. La dimension de respect est essentielle. Si on reconnaît des droits à une personne, celle-ci reconnaîtra plus facilement des droits aux autres personnes.

M. Lathouwers avoue qu'en matière de droits de l'homme, la relation entre droits et responsabilités revêt de l'importance. Il faut évidemment essayer de faire en sorte que les gens, et donc aussi les enfants, soient formés à prendre leurs responsabilités dans la vie. Mais on ne peut faire dépendre les droits des responsabilités : c'est un principe essentiel en droits de l'homme. Il faut absolument exclure de faire dépendre les uns des autres.

Le membre ajoute que pour récolter, il faut semer. Il faut apprendre aux enfants qu'ils ne pourront pas récolter s'ils ne sèment pas. Il faut donc leur donner le plus de droits possible, mais leur inculquer aussi les responsabilités.

Un sénateur réplique que c'est une épée à deux tranchants. Les enfants traiteront les adultes avec respect si ces derniers témoignent eux aussi du respect pour les enfants.

2. Les rapports belges sur l'application de la convention

Un membre estime que le deuxième rapport belge sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant pourrait alimenter un large débat public. Le premier rapport a été fait dans une certaine urgence. Il est regrettable que le deuxième rapport n'ait pas été officiellement notifié au Parlement. Il serait intéressant aussi de faire connaître ce rapport aux jeunes concernés.

M. Lathouwers fait observer que le rapport sera communiqué aux présidents de la Chambre et du Sénat après la présentation orale devant le comité. Le rapport sur la mise en oeuvre de la convention est une photo d'une situation à un moment donné. Il est impossible de tenir compte de toutes les évolutions. Le rapport doit être déposé à une certaine échéance, et on ne peut le présenter que deux ou trois années plus tard, alors qu'il est déjà largement dépassé. Il est utile d'avoir un débat au Parlement au moment du dépôt et au moment de la présentation du rapport. Par ailleurs, lorsqu'on constitue la commission chargée de la rédaction du rapport, il serait intéressant d'y inclure une certaine représentation du Parlement, afin d'avoir un lien avec le Parlement dès la préparation du rapport.

3. Le dialogue avec les jeunes

De l'avis d'un membre, l'initiative d'ECPAT d'établir le dialogue avec les jeunes est très fructueuse. Les jeunes expriment le sentiment qu'on ne s'occupe de leurs problèmes que lorsque cela devient très grave. Les dialogues entrepris doivent être poursuivis, pas uniquement dans des cercles fermés mais dans un forum le plus ouvert possible. Il faudrait rendre attentif le ministre de la Justice à ce que toutes les discussions sur le rapport se fassent dans des forums ouverts.

4. L'intégrité

Un membre se demande si le terme « intégrité », comme proposé par la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants, est suffisamment large pour intégrer dès à présent l'élan qu'on veut donner à la disposition constitutionnelle. Ce terme avait-il pour but de viser essentiellement tous les droits de l'enfant, auxquels on pourrait raccrocher un maximum de droits de l'enfant qui se trouvent dans la Convention relative aux droits de l'enfant, ou l'idée était-elle plutôt de se limiter à la protection contre la violence et les mauvais traitements ?

Un autre membre fait observer que la déclaration de révision et la proposition de révision s'inspirent de la formulation proposée par la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants. Pourquoi celle-ci a-t-elle opté pour une protection du droit à l'intégrité « morale, physique, mentale et sexuelle » ? Y a-t-il une raison spécifique pour le choix de ces adjectifs ?

M. Vandermeersch répond à la dernière question que cette terminologie est utilisée dans la Convention relative aux droits de l'enfant, mais selon une formulation différente par rapport au niveau de vie. L'article 27.1 de la CDE dispose que « les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social ». Au niveau de la Belgique se posait évidemment la préoccupation d'ajouter la dimension sexuelle, qui est présente à l'article 34 de la convention.

Le droit à l'intégrité n'est pas repris en tant que tel dans la convention. Il y a donc une plus-value qui pourrait être apportée par une disposition nouvelle, mais qui n'exclut évidemment pas les autres droits. La convention était déjà applicable lors des travaux de la commission nationale. En plus, elle est directement applicable en droit interne. Par conséquent, les droits qu'elle consacre sont déjà reconnus.

On a aussi repris dans la Constitution les droits économiques et sociaux. Ils étaient déjà reconnus par des lois particulières, mais l'inscription dans la Constitution leur conférait une plus grande force symbolique.

Mme Stappers explique que la Convention des droits de l'enfant est une convention globale. Elle attribue aux enfants une position juridique qui repose sur trois piliers : la prévention, le droit à la protection et le droit à la participation. La convention est entrée en vigueur en Belgique le 15 janvier 1992. Le débat sur la question de savoir si les enfants sont ou non titulaires de droits est donc définitivement clos. Aujourd'hui, il faut surtout se demander comment et dans quelle mesure les adultes laissent aux enfants la latitude d'exercer leurs droits. Par conséquent, l'exercice des droits des enfants dépend en premier lieu de la mentalité des adultes. Pour cette raison, on ne peut pas trop focaliser le débat sur la notion de protection. Or, c'est précisément ce qui arrive lorsqu'on accorde trop de poids à la notion « d'intégrité ». Cette notion fait en effet largement l'impasse sur l'idée de participation. Dans le passé ­ mais aussi dans le présent, comme Child Focus le constate continuellement ­, les enfants ont été considérés comme des objets. On ne change pas cela en mettant unilatéralement l'accent sur la protection. Les enfants doivent avoir leur mot à dire et il faut leur donner l'occasion d'exprimer leurs sentiments. Toutefois, on doit aussi leur laisser la possibilité de rester des enfants. Il ne faut en effet pas s'attendre à ce qu'ils puissent systématiquement évaluer à l'avance les conséquences de leurs actes.

Child Focus assume le rôle d'avocat des enfants, en privilégiant l'intérêt de ceux-ci. Pour que cet intérêt signifie quelque chose, il faut considérer l'environnement dans lequel l'enfant grandit. Ainsi, lorsqu'un juge permet à un parent de faire revenir son enfant de l'étranger, Child Focus s'efforce également de faire respecter le droit de visite de l'autre parent, même si ce n'est que par courrier ou par téléphone.

L'affaire Dutroux a certes braqué les projecteurs sur les droits de l'enfant, mais d'une façon quelque peu faussée. Car le public s'intéresse aujourd'hui trop à un seul aspect de la position juridique des enfants. Ceux-ci ont en effet le droit d'être protégés et il est bon que ce droit soit reconnu par la Constitution, mais le débat sur leurs droits ne peut pas être réduit à cet unique aspect. La position juridique des enfants doit refléter un équilibre entre prévention, participation et protection. Il serait utile que le législateur ouvre un dialogue à ce sujet avec d'autres organisations qui militent pour les intérêts des enfants.

5. L'enfant est sujet de droit

Un membre demande des précisions en ce qui concerne la proposition d'inscrire dans la Constitution le principe selon lequel tout enfant est un sujet de droit. L'inscription de ce principe devrait-elle être considérée comme un ajout détaillé au texte proposé ou comme une proposition de rechange, aux termes de laquelle la reconnaissance constitutionnelle des droits de l'enfant prendrait la forme d'une clause générale à développer ensuite dans les diverses branches du droit ?

Une autre membre s'interroge aussi sur la proposition de M. Vandermeersch de commencer l'article par un alinéa plus large dans lequel on dirait que l'enfant est sujet de droit. Est-ce utile ? L'intervenante partage aussi l'idée de lier droits et devoirs. Mais quels sont les droits subjectifs qu'un enfant pourrait tirer d'une telle formulation, et qui amélioreraient sa situation en droit civil, pénal, judiciaire ? En commission de la Justice est discutée une proposition de loi de Mme de Bethune insérant un article 371bis dans le Code civil (Doc. Sénat nº 2-98, SE 1999) et contenant une énumération des droits et devoirs entre parents et enfants. Il faut décider du style que l'on veut adopter. Ou on prévoit un chapitre plus consistant dans la Constitution, ou on se limite à une disposition très simple et on en tire les conséquences au niveau du droit civil, pénal, etc. On pourrait alors imaginer de mettre dans le Code civil des dispositions plus programmatiques. L'article 371 du Code civil, par exemple, traite de l'obligation générale de respect entre parents et enfants. C'est la seule disposition de nature programmatique dans cette matière. Ne serait-ce pas maintenant l'occasion d'insérer dans le Code civil une énumération de droits et devoirs précis ?

M. Vandermeersch déclare que la commission nationale s'est posé la même question de savoir si la reconnaissance du droit à l'intégrité valait pour tout le monde. La réponse est oui, mais, peut-être pour les enfants, faut-il attirer spécialement l'attention sur toutes les formes de violence, même insidieuses. L'accent mis sur l'enfant dans la Constitution peut avoir une dimension symbolique. C'est pourquoi il suggérait d'introduire la disposition selon laquelle chaque enfant est sujet de droit ­ il ne pense pas que c'est une évidence ­ et de préciser ensuite que l'enfant a notamment tel ou tel droit.

Par contre, M. Vandermeersch est assez réservé quant à l'idée d'une énumération détaillée. Il y aura forcément des droits qui se recoupent. Au moins, une disposition consacrant l'intégrité ne recouvre pas du tout l'ensemble des droits reconnus par la convention.

M. Lathouwers estime qu'il est quasi impossible de faire, dans la Constitution, une énumération exhaustive des droits de l'enfant. La solution proposée par M. Vandermeersch semble être nettement plus pratique. On peut également envisager de prévoir dans la Constitution que la convention a un effet direct dans l'ordre juridique interne. D'autres pays ont déjà utilisé cette formule dans leur Constitution.

6. Insérer les droits de l'enfant d'une manière plus large

Une membre se souvient de la manière dont la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants avait présenté sa proposition d'insérer une disposition dans la Constitution. Il avait été dit que cela pouvait être l'occasion d'un large débat sur la situation des enfants et leurs droits et d'une réflexion approfondie sur la convention. C'est ce que le Sénat essaie de faire dans le cadre de ces auditions. Sa préoccupation essentielle est qu'on ne laisse pas tomber la question d'une législature à l'autre. Elle reconnaît que l'introduction d'une disposition dans la Constitution est symbolique, mais nécessaire. C'est la législation la plus importante, c'est par là qu'on commence. Mais il est bien entendu qu'elle doit être mise en oeuvre d'une manière proactive.

Il y a certaines responsabilités au niveau fédéral. On pourrait songer notamment à la législation concernant la protection pénale des mineurs, qui a fait l'objet, en fin de législature, de nombreux débats qu'il faudrait poursuivre. La réflexion doit être continuée. En outre, les différents niveaux de pouvoirs, régions, communautés, communes, ..., ont également des responsabilités dans la mise en oeuvre progressive de la Convention relative aux droits de l'enfant.

En tant que constituant, il faut rester dans les limites esquissées par le préconstituant. L'intervenante partage l'opinion de M. Lathouwers selon laquelle il est très important de prévoir le mot « enfant » dans la Constitution.

Quant à trouver un moyen d'intégrer de manière plus large la Convention relative aux droits de l'enfant dans notre Constitution, on se heurte aux limites de la déclaration de révision de la Constitution. On pourrait cependant préparer une nouvelle déclaration de révision permettant d'insérer dans la Constitution les droits de l'enfant d'une façon plus générale. Sur la base de la réflexion actuelle, on pourrait adopter lors de la prochaine législature un texte plus large reprenant de manière succincte la volonté de mettre en oeuvre la convention dans notre ordre juridique.

Un autre membre souscrit à l'appel de M. Cardon de Lichtbuer d'adopter un texte large et exemplaire.

Un sénateur se réjouit d'entendre plusieurs intervenants plaider pour une intégration plus large des droits de l'enfant dans la Constitution. Il faudrait en effet inscrire les lignes de force de la convention dans la Constitution. Il demande aux intervenants quels sont, selon eux, les droits qu'il faudrait en tout cas mentionner dans la Constitution.

Un autre sénateur déclare qu'il est lui aussi partisan d'une large intégration des droits de l'enfant dans la Constitution. Il estime qu'il ne faut pas nécessairement une longue énumération pour le faire. Il faut le faire de manière concise en ne limitant pas les droits de l'enfant au droit à l'intégrité. La mention des droits de l'enfant dans la Constitution pourrait, par exemple, contenir une référence à la convention.

7. Les lacunes dans le statut juridique de l'enfant

Un membre se demande quelles sont les lacunes à combler. Au niveau de l'audition de l'enfant, l'article 931 du Code judiciaire doit-il être revu ? Doit-on aller vers des actions plus personnelles ? Prévoir le droit de l'enfant d'être assisté par un conseil spécifique, un avocat des droits de l'enfant ? Y a-t-il des actions personnelles que l'enfant n'a pas et qui se révèlent un problème dans la pratique judiciaire ? Il faut voir dans quelle mesure notre droit pèche encore par défaut.

À cela, un membre ajoute qu'en ce qui concerne la participation des enfants, l'incapacité des mineurs d'âge à intervenir dans un procès est en tout cas une chose frappante. En raison de leur jeune âge, ils sont considérés comme n'étant pas en mesure de comprendre l'importance de la décision d'engager une procédure et ils doivent dès lors faire appel à un représentant légal. Certes, le droit d'être entendu constitue déjà une importante amélioration, mais le juge continue à disposer d'un large pouvoir d'appréciation. Il peut en effet refuser d'entendre l'enfant s'il estime que celui-ci manque de discernement. Ce refus n'est susceptible d'aucun recours. Cette situation n'entraîne-t-elle pas d'abus dans la pratique juridique ? Ne ferait-on pas mieux de prévoir que le juge est tenu d'entendre les enfants dès qu'ils ont un certain âge ?

En tant que praticien, M. Vandermeersch estime que les gros problèmes ont trait à la représentation et la participation. Il ne faut surtout pas inscrire d'âge. Un enfant de six ans peut parfois apprendre des choses à un magistrat. L'important est de créer le champ d'écoute. Pour cela, il y a un travail à faire du côté de la justice (information, renforcement de certains droits), mais également du côté de l'enfant, afin que ce dernier se sente à l'aise. Il y a un travail d'information à poursuivre dans la société civile.

La commission nationale avait fait une proposition plus audacieuse, à savoir l'instauration d'avocats des enfants, spécialisés, qui seraient dégagés de toute préoccupation financière de rentrée d'honoraires, et qui pourraient ainsi avoir la disponibilité nécessaire. On a rétorqué qu'on ne trouverait pas de candidats. Or, il y a bien des candidats juges de la jeunesse. C'est certainement une possibilité intéressante pour les avocats qui ont cette sensibilité. Au Canada, il y a ainsi des avocats payés par l'État, mais il reste toujours la possibilité de faire appel à des avocats privés, au tarif fixé par l'État. En Belgique aussi, on laisserait les deux possibilités. Si l'enfant préfère choisir son avocat, ce sera aux conditions fixées par affaire. Des barèmes existent déjà dans le système de l'assistance judiciaire. Quoi qu'il en soit, la possibilité d'avoir des avocats spécialisés serait un plus en termes de participation des enfants à la justice. L'enfant ne sera jamais acteur réel dans la justice si on ne lui en donne pas les moyens. Cela reste le point sensible pour l'exercice de tous les droits.

M. Lathouwers estime qu'il serait très difficile de dresser une liste complète des problèmes concrets. Il suffit déjà de lire le rapport de la commission nationale pour se forger une idée de l'ampleur d'une telle liste. En outre, elle évolue constamment car de nouveaux problèmes surgissent. La problématique de la violence dans les écoles, par exemple, n'existait pas il y a une dizaine d'années. C'est dans des enceintes telles que le Parlement, la commission nationale, ou des organisations non gouvernementales que cette liste peut être tenue à jour et discutée.

Un sénateur déclare que le Sénat créera sous peu un comité d'avis concernant les droits de l'enfant. Ce comité pourrait établir un inventaire des problèmes concrets qui se posent en ce qui concerne la situation juridique des enfants. Il pourra s'inspirer utilement, à cet égard, du deuxième rapport concernant l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Un membre envisage l'idée d'un forum. Il faut en tout cas que le sujet soit discuté régulièrement, à défaut de quoi les choses ne progresseront pas.

Mme Stappers fait part d'une certaine frustration due au fait que les dossiers traités par Child Focus sont plus nombreux que prévu. Un cas sur trois a une dimension internationale. Cela signifie que les 25 personnes employées vingt-quatre heures sur vingt-quatre doivent toutes faire des gardes pour répondre aux besoins. À la naissance du centre, on avait prévu une activité d'étude, mais on a dû la différer à cause du nombre de cas. Child Focus a une expérience cas par cas, mais cela ne suffit pas. Il faut analyser ces phénomènes. D'ailleurs, il y a une expérience chez de nombreuses personnes, au sein des services de police, de la magistrature, des services d'aide aux victimes. C'est pourquoi Child Focus demande à avoir les moyens nécessaires pour centraliser cette expérience, au niveau belge et au niveau européen. Si on veut un réseau opérationnel européen, ainsi qu'un observatoire européen qui centralise et analyse toutes les expériences, on peut développer une véritable connaissance des phénomènes. Cette connaissance est un préalable indispensable au développement de projets de prévention. À l'époque de l'affaire Dutroux, des projets ont rapidement été mis sur pied, mais ils n'avaient pas fait l'objet de réflexions approfondies et ils ont parfois des effets non désirés, créant la panique.

Les États-Unis avaient recommandé de tenir des statistiques dès le début des activités. C'est un exercice très difficile car il faut gérer ces statistiques, les données doivent être introduites de la même façon. Cela fait partie de la formation de l'équipe de Child Focus. Mais après dix-huit mois de fonctionnement, il est trop tôt pour tirer des conclusions de ces statistiques. Chaque semaine, on essaie aussi de détailler de plus en plus ces statistiques. Ce sera aussi un instrument très important. Actuellement, Child Focus s'intéresse à la pornographie et la prostitution : quelle est la législation belge en la matière, quelles sont les organisations qui luttent contre ces phénomènes, quelles études scientifiques ont été réalisées ? Lorsqu'on aura une vue générale, on pourra détecter les lacunes et chercher des solutions. Le but final de Child Focus est de devenir un centre d'expertise, pour partager cette expérience avec tous les acteurs du terrain.

III. AUDITION D'EXPERTS JURIDIQUES

Le professeur Lemmens

A. La protection juridique de l'enfant : état de la question

Le professeur Lemmens fait une distinction entre la protection juridique générale qui s'applique à tout un chacun (et donc aussi aux enfants) et la protection juridique spécifique des enfants.

Protection juridique générale

a) S'agissant de la protection juridique générale, l'on se reportera tout d'abord à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) qui garantit toute une série de droits civils et politiques et qui est applicable à toute personne aux termes de son article 1er . Cette convention ne fait donc aucune distinction entre adultes et enfants. Les enfants peuvent eux aussi invoquer les droits garantis par la CEDH. L'on trouve, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour européenne DH) plusieurs exemples de situations dans lesquelles des enfants ont invoqué ­ parfois avec succès ­ les droits garantis par la CEDH. Il y a eu ainsi le cas d'un adolescent qui avait subi un châtiment corporel que la Cour européenne DH qualifia de traitement dégradant. Dans plusieurs autres cas, la Cour a toutefois conclu qu'un châtiment corporel ne constituait pas un traitement dégradant.

Certains arrêts de la Cour européenne DH abordent la question de l'intégrité des mineurs. Dans l'arrêt X et Y contre les Pays-Bas, de 1985, la Cour européenne DH a souligné que les États ont, sur la base de l'article 8 CEDH, l'obligation positive de protéger les personnes contre les atteintes à leur intégrité, en particulier en maintenant ou en instaurant une loi pénale exerçant un effet réellement dissuasif.

Dans l'arrêt A contre le Royaume-Uni, de 1998, qui avait trait au traitement inhumain infligé à un enfant, la Cour a déclaré que les États avaient l'obligation positive d'offrir une protection contre les traitements inhumains administrés par des particuliers. Ce raisonnement reposait sur l'article 3 CEDH qui interdit tout traitement inhumain.

Ces exemples tirés de la jurisprudence de la Cour européenne DH montrent qu'il existe, au niveau des normes internationales, une protection du droit à l'intégrité dans le cadre du droit à la vie privée, d'une part, et dans le cadre de l'interdiction des traitements inhumains, d'autre part.

b) Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels contiennent une série de dispositions que les enfants peuvent invoquer. Les comités de surveillance internationaux des Nations unies, qui veillent au respect de ces pactes, se penchent régulièrement sur la situation des enfants, en particulier pour ce qui est de leurs droits économiques et sociaux.

c) Les droits et libertés énumérés au titre II de la Constitution belge valent également pour les enfants. C'est ainsi que la Cour d'arbitrage a reconnu que les parents mais aussi les enfants peuvent invoquer l'article 22 de la Constitution, qui a trait au respect du droit à la vie privée.

Protection spécifique des droits de l'enfant

a) La CEDH comporte des références sporadiques à la situation des mineurs, par exemple en ce qui concerne la possibilité de leur appliquer une mesure privative de liberté. Du reste, la Belgique a été condamnée en 1988 par la Cour européenne dans l'affaire Bouamar, pour avoir procédé à de brèves réclusions successives d'un mineur détenu.

Aux termes de l'article 24 du PIDCP, les enfants ont droit à des mesures de protection de la part de leur famille, de la société et de l'État.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît également quelques droits spécifiques aux enfants.

b) La Convention relative aux droits de l'enfant est évidemment le principal document international. Elle considère les enfants, non seulement comme des individus à protéger, mais surtout comme des sujets de droit, qui sont titulaires de droits qui leur sont propres. La liste des droits reconnus par la convention est impressionnante : il s'agit de droits civils, de droits politiques, de droits économiques, de droits sociaux et de droits culturels. Plusieurs dispositions formulent des droits qui sont déjà reconnus aux adultes. Elles le font parfois au moyen d'un ajout spécifique concernant les enfants.

Il y a en outre des dispositions dans lesquelles sont définis des droits très spécifiques qui sont inspirés par la situation particulière des enfants, comme celles de l'article 19 qui protège les enfants contre la violence en général et de l'article 34 qui les protège contre la violence sexuelle en particulier. Cette convention a recueilli une adhésion quasi universelle : presque tous les États membres des Nations unies l'ont ratifiée. Les exceptions notoires sont les États-Unis et la Somalie.

Il n'est pas facile de dire si cette convention sortit directement ses effets en Belgique. La jurisprudence ne donne pas de réponse univoque en l'espèce. La Cour d'arbitrage a déjà fait référence à plusieurs reprises dans ses jugements à des dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant non pas tellement pour vérifier si les lois, les décrets et les ordonnances sont conformes à la convention mais surtout pour en faire des critères d'interprétation des lois, des décrets et des ordonnances. La Cour de cassation a toutefois déjà vérifié si des jugements et des arrêts étaient conformes à la Convention relative aux droits de l'enfant. Elle a même vérifié si un arrêté royal (relatif à la vaccination obligatoire contre la polio) était conforme à la convention. Elle a estimé, à cette occasion, que l'obligation prévue ne constituait pas une violation du droit de l'enfant au respect de sa vie privée. D'autres cours et d'autres tribunaux vérifient régulièrement si des arrêtés d'exécution et des lois sont conformes à la convention. Le Conseil d'État a rendu, en ce qui concerne le contentieux des étrangers, une série d'arrêts qui témoignent d'une tout autre conception des choses. Il considère généralement que les dispositions de la convention qui ont été invoquées devant lui n'ont pas d'effet direct. Selon lui, la convention crée des obligations pour les seuls États, et ceux-ci doivent la transposer en droit interne. Les citoyens ne peuvent par contre pas se prévaloir directement de la convention.

En résumé, la jurisprudence offre un tableau très contrasté. La doctrine n'est pas unanime non plus, même s'il y a une nette tendance ces dernières années à reconnaître l'effet direct. La controverse à son égard est encore fort grande. Si l'effet direct de la convention n'est pas pleinement reconnu, l'effectivité immédiate de la convention dans l'ordre juridique belge est fortement limitée.

c) Outre l'article 24 ­ qui concerne le droit à l'enseignement ­ la Constitution ne comporte pas de dispositions spécifiques relatives aux droits de l'enfant. Il y a donc un vide que l'on pourrait combler en insérant une disposition relative aux droits de l'enfant. L'on peut toutefois se demander quelle serait la plus-value de l'insertion de pareille disposition. Ce n'est pas parce qu'il existe déjà une protection au niveau international qu'il n'en faudrait plus au niveau national. En ce qui concerne les droits de l'homme en tout cas, la règle générale veut que la protection qui est garantie au niveau international n'a qu'un caractère subsidiaire et que la protection de première ligne doit être organisée au niveau interne.

La reconnaissance des droits de l'enfant par la Constitution attesterait en tout cas de leur importance. C'est, bien entendu, toute la question de l'opportunité, à laquelle les événements qui sont survenus ces dernières années en Belgique permettent sans doute de donner une réponse positive. L'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution n'est toutefois pas sans effet juridique. Ce ne sera pas une opération gratuite. Elle créera des obligations négatives et des obligations positives. De par l'obligation négative, les pouvoirs publics doivent s'abstenir en principe de s'ingérer dans le domaine de ces droits. Mais, bien que les droits fondamentaux ne soient pas absolus, on ne peut les limiter que s'il y a une raison suffisante de le faire. Tout arbitraire est dès lors exclu.

La reconnaissance d'un droit fondamental peut toutefois aussi générer des obligations positives, en ce sens que les pouvoirs publics doivent parfois prendre des mesures pour le protéger.

Cette obligation n'est toutefois pas illimitée. L'obligation qu'ont les pouvoirs publics de prendre ou non une mesure déterminée dépend du poids relatif que l'on donne aux droits de l'individu et aux intérêts de la communauté. C'est ainsi que l'on peut être amené à ne pas prendre immédiatement une mesure positive, parce qu'elle serait contraire à l'intérêt de la communauté sur le plan budgétaire.

La reconnaissance d'un droit par la Constitution a aussi des conséquences en ce qui concerne l'interprétation d'autres normes. Une fois inscrit dans la Constitution, le droit en question sert de critère pour ce qui est de l'interprétation de toutes sortes d'autres normes.

B. Quelle marge de manoeuvre la déclaration de révision de la Constitution offre-t-elle ?

Le professeur Lemmens souligne que la partie de la déclaration de révision qui permet d'insérer, dans le titre II de la Constitution, des dispositions nouvelles assurant la protection du droit de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle comporte une double limitation en ce sens qu'il s'agit des droits précis de l'enfant et de son intégrité. Il n'est nullement question des droits de chaque individu ni d'autres droits de l'enfant. Cette conclusion est confirmée par les travaux parlementaires au cours desquels fut préparée la déclaration de révision de la Constitution. Les propositions et les amendements qui visaient à étendre la déclaration de révision aux droits de l'enfant en général ont été rejetés tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat. Les propositions et amendements qui visaient à accorder à chaque individu le droit au respect de son intégrité ont également été rejetés, tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat. Force est de conclure que la possibilité qu'offre la présente constituante de modifier la Constitution est relativement limitée.

La déclaration de révision permet toutefois aussi d'insérer, dans le titre II de la Constitution, des dispositions nouvelles qui doivent assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'on pourrait toutefois difficilement tirer de cette déclaration des arguments qui permettraient d'élargir la portée très claire de la déclaration de révision en ce qui concerne les droits de l'enfant.

La Convention européenne des droits de l'homme ne comporte guère de dispositions concernant les droits de l'enfant. Il y en a par contre dans la Convention relative aux droits de l'enfant, mais la déclaration de révision n'y fait pas référence. Elle ne permet pas non plus d'inscrire dans la Constitution le droit de chaque individu à la protection de son intégrité. Il s'agit bien sûr d'un aspect de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui traite du droit au respect de la vie privée, mais, comme ce droit est déjà reconnu par l'article 22 de la Constitution, l'on peut difficilement admettre que c'est justement à ce droit-là que la préconstituante aurait pensé.

Selon le professeur Lemmens, il faut déplorer la marge restreinte dont dispose la constituante. Le droit de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle n'est qu'un droit parmi d'autres que le droit international reconnaît aux enfants. En outre, il est formulé en termes très concrets, contrairement à la plupart des autres droits qui sont mentionnés au titre II de la Constitution. L'on ne trouve aucune justification claire pour la portée limitée de la déclaration de révision dans les travaux préparatoires. Dans son projet de déclaration de révision, le gouvernement renvoyait certes à une décision de la Conférence interministérielle pour la protection des droits de l'enfant et reproduisait en la matière la recommandation de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle d'enfants (doc. Sénat, nº 1-1374/1, 1998-1999, p. 2). Le rapport final de cette commission nationale insistait effectivement pour que l'on inscrive le droit à l'intégrité physique, psychique et sexuelle dans la Constitution. Selon la commission nationale, ce droit doit du reste être reconnu à chaque individu. Il va de soi que le fait que la commission nationale ait formulé une telle proposition est lié à sa mission particulière. La commission s'est penchée sur le problème de l'exploitation sexuelle des enfants, et non pas sur l'ensemble du statut juridique de ceux-ci.

L'intervenant estime qu'il convient de faire en sorte que la prochaine déclaration de révision permette de consacrer plus de place aux droits de l'enfant dans la Constitution. En effet, l'inscription d'un seul droit de l'enfant dans la Constitution pourrait donner à penser à tort qu'en Belgique, les enfants ne peuvent prétendre que de manière fort limitée aux bénéfices des droits reconnus à l'échelon international. L'on pourrait également opter pour une énumération plus concrète des droits de l'enfant, même si la liste serait alors assez longue.

La proposition de révision

L'on trouve, dans la proposition de Mme de T'Serclaes et consorts (doc. nº 2-21/1), le terme « chacun » (le droit de chacun au respect de son intégrité). Cette proposition dont le champ d'application dépasse largement le cas des enfants semble outrepasser les limites de la déclaration de révision de la Constitution.

L'amendement nº 1

L'amendement nº 1 de Mmes Nyssens et consorts (doc. nº 2-21/2) vise également l'insertion, dans la Constitution, d'une disposition concernant chaque individu. Le premier alinéa de l'amendement nº 1 ne s'écarte pas substantiellement de la proposition de Mme de T'Serclaes et consorts et il se heurte à la même objection constitutionnelle de celle-ci.

L'amendement nº 1 prévoit que chaque enfant doit être protégé contre toutes les formes de violence et, en cela, il s'inscrit dans les limites de la déclaration de révision. La disposition en question obligerait les pouvoirs publics à prendre des mesures positives pour protéger les enfants contre la violence. En soi, pareille disposition constitutionnelle peut présenter une certaine valeur ajoutée. Force est pourtant de se demander si une définition plus positive des droits de l'enfant ne s'impose pas. Il est en tout cas bizarre que l'on commence par confirmer le droit au respect de l'intégrité et que l'on considère ensuite que ce droit ne sera pas respecté. Il est certes question de la protection contre la violence à l'article 19, premier alinéa, de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais elle n'y constitue qu'un élément d'un très vaste ensemble.

L'amendement nº 2

L'amendement nº 2 de Mme de T'Serclaes (doc. nº 2-21/2) concerne le droit de chaque enfant à la protection de son intégrité. Cet amendement prévoit également que la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 de la Constitution garantissent la protection de ce droit.

Le premier alinéa de l'amendement nº 2 est tout à fait conforme à la déclaration de révision et utilise pleinement la marge de manoeuvre dont dispose le constituant.

Le deuxième alinéa s'inspire manifestement de l'article 22 de la Constitution, qui garantit le droit au respect de la vie privée. Il appert des travaux préparatoires relatifs à l'article 22 de la Constitution que cet ajout vise à mettre l'accent sur l'obligation positive qui incombe aux autorités et à souligner que chaque autorité a compétence en la matière dans les limites de sa sphère de compétences. L'article 23 de la Constitution ­ qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux ­ parle, lui aussi, de l'intervention des divers législateurs, mais il s'inscrit dans un tout autre contexte.

Il est toutefois utile de préciser, à l'article 22, que la loi, le décret et l'ordonnance assurent la protection. En effet, le premier alinéa de l'article 22 dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi. Les exceptions peuvent donc être déterminées par la loi (premier alinéa), alors que les mesures positives doivent être introduites par une loi, un décret ou une ordonnance (deuxième alinéa).

Dans l'amendement nº 2, l'obligation de protéger le droit à l'intégrité découle déjà du premier alinéa proposé, qui parle d'un droit à la protection. En outre, les droits fondamentaux ne constituent pas une matière en soi au sens du règlement concernant les compétences respectives du pouvoir fédéral, des communautés et des régions. La Cour d'arbitrage et le Conseil d'État, section de législation, ont déjà souligné à plusieurs reprises que toute autorité est habilitée, dans les limites de sa sphère de compétences, à concrétiser les droits fondamentaux sous la forme requise. Il semble dès lors suffisant d'inscrire dans la Constitution le premier alinéa de l'amendement nº 2 sous la forme d'une disposition succincte.

C. Où faut-il inscrire le droit à l'intégrité dans la Constitution ?

Étant donné que le droit à l'intégrité peut être considéré comme un aspect particulier du droit au respect de la vie privée, il convient, semble-t-il, d'insérer la nouvelle disposition en question immédiatement après l'article 22, sous la forme d'un article 22bis nouveau. Il n'est pas indiqué d'insérer la nouvelle disposition à l'article 23 ni sous la forme d'un article 23bis nouveau. En effet, le droit à l'intégrité n'a pas grand-chose à voir avec les droits économiques, sociaux et culturels qui font l'objet de l'article 23.

D. Conclusion

Le professeur Lemmens conclut que l'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution semble utile, dans la mesure où le constituant indiquerait que les droits de l'enfant sont également reconnus en tant que droits fondamentaux dans l'ordre juridique interne. L'inscription dans la Constitution rendrait dans une large mesure superflue la discussion relative à l'effet direct des dispositions des conventions internationales en la matière.

Malheureusement, la déclaration de révision est très restreinte et elle n'offre, au constituant actuel, aucune possibilité de reconnaître pleinement les droits de l'enfant. Il ressort de la réglementation internationale que le droit à l'intégrité n'est qu'un aspect partiel, certes important, de l'ensemble des droits de l'enfant tels qu'ils ont été mentionnés, entre autres, dans la Convention relative aux droits de l'enfant. Si le constituant souhaitait quand même procéder à une révision de la Constitution, mieux vaudrait qu'il s'en tienne le plus possible au texte de la déclaration de révision. Cela présenterait l'avantage de la concision. Pour le reste, il n'est pas nécessaire de faire référence à la protection contre la violence ou à l'obligation positive qui incombe aux pouvoirs publics.

Le professeur Ergec

A. La place de la disposition à insérer dans la Constitution

Le professeur Ergec est d'accord avec le professeur Lemmens pour dire que la proposition de révision de Mme de T'Serclaes a sa place dans le cadre du droit à la vie privée.

La question est de savoir s'il faut insérer la nouvelle disposition après l'article 22 de la Constitution ou avant. Le professeur Ergec serait plutôt favorable à un article 21bis . En effet, le droit à la vie privée est un des aspects du droit à l'intégrité de chacun. Il est évident qu'il ne faut pas instaurer de hiérarchie entre les droits fondamentaux, mais il n'empêche que, du point de vue symbolique et juridique, le droit à l'intégrité de la personne est un droit tellement important qu'il doit figurer juste avant le droit à la vie privée. Le droit à la vie privée est un prolongement logique du droit à l'intégrité et en élargit la portée à d'autres aspects.

B. La déclaration de révision, qui est limitée à l'introduction des droits de l'enfant, permet-elle au constituant de reconnaître ces droits à tout un chacun ?

Le professeur Ergec répond affirmativement à cette question pour les motifs suivants : en principe, le constituant ne peut traiter d'une matière autre que celle qui a été visée par les chambres préconstituantes. Mais dans la pratique, les chambres législatives ont interprété cette exigence de façon souple. Le professeur Ergec donne deux exemples tirés de la révision de la Constitution de 1970. Le célèbre article 86bis (actuellement article 99, alinéa 2) qui instaure la parité linguistique au sein du Conseil des ministres a été inséré dans la Constitution alors qu'il n'était nullement question de parité linguistique dans la déclaration des chambres préconstituantes. Le célèbre article 107quater (actuellement l'article 3) a instauré les régions, alors que la déclaration de révision de la Constitution ne visait que les régions linguistiques. Or, il y a une différence fondamentale entre les régions et les régions linguistiques.

Le fait d'étendre un droit fondamental à tout un chacun, comme le suggère la proposition de révision, vise à renforcer la garantie constitutionnelle des droits et libertés au profit de tout le monde. On ne peut pas présumer que la volonté des chambres préconstituantes consistait à s'opposer à une telle démarche. C'est d'autant plus vrai qu'une telle démarche s'inscrit dans la philosophie générale de la Constitution, singulièrement celle qui découle des articles 10 et 11 qui consacrent le principe d'égalité au profit de tous.

Limiter un droit aussi fondamental que le droit à l'intégrité physique à une catégorie de personnes ­ si fragiles soient-elles ­ irait à l'encontre de la philosophie générale de la Constitution.

C. L'amendement visant spécifiquement les enfants ajoute-t-il quelque chose ?

Le professeur Ergec est d'avis que l'amendement n'ajoute pas grand-chose au texte. Le professeur Lemmens a rappelé la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont la célèbre affaire Tyrer, dans laquelle la Cour a appliqué aux enfants le droit à l'intégrité physique consacré à l'article 3 de la convention.

Si on s'inspire de cette jurisprudence, il ne fait pas de doute que la proposition de révision s'applique aussi aux enfants. La référence spécifique aux enfants proposée dans un alinéa 2 risque d'avoir un effet non désiré. La Constitution ne faisant référence expresse aux enfants que dans un seul article, on pourrait en déduire qu'a contrario , les autres droits et libertés consacrés dans la Constitution ne s'appliquent pas aux enfants. On peut contrer cette interprétation par l'argument selon lequel la Constitution doit s'interpréter à la lumière des instruments internationaux qui lient la Belgique, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant qui garantit des droits aux enfants. En outre, exclure les enfants du bénéfice des droits et libertés serait contraire à la philosophie des articles 10 et 11 de la Constitution. Les autres articles constitutionnels doivent en effet s'interpréter à la lumière du principe de non-discrimination. Malgré cela, le professeur Ergec estime inutile d'insérer une référence explicite aux enfants en ce qui concerne le droit à l'intégrité physique.

Quid de certains traitements dont font l'objet les enfants et qui ne s'appliquent spécifiquement qu'à ces catégories fragiles de personnes ?

Il faut s'inspirer de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Selon celle-ci, il faut un minimum de gravité pour qu'il y ait violation du droit à l'intégrité physique. Mais ce minimum s'apprécie de manière relative. Plus la personne est fragile, plus facilement on admet que le traitement est dégradant ou inhumain. À titre d'exemple, des policiers bousculent des adultes et un enfant au cours d'une manifestation : on estimera qu'il y a eu atteinte à l'intégrité physique dans le cas de l'enfant, alors qu'on estimera que le minimum de gravité n'est pas atteint en ce qui concerne les adultes.

Le professeur Ergec ajoute une remarque. La Constitution belge était un chef-d'oeuvre de rédaction. Elle a connu un rayonnement extraordinaire au XIXe siècle, de par son style concis, dépouillé et clair. Au fil des réformes institutionnelles, le texte s'est enrichi de dispositions complexes, ce qui est normal, mais le titre II consacré aux droits et libertés a gardé son style concis et sobre. En matière constitutionnelle, et singulièrement en matière de droits de l'homme, mieux vaut être concis et garantir des droits effectifs. À défaut, le constituant va perdre de sa crédibilité et engendrer des difficultés d'application.

D. Dans quelle mesure la Constitution reconnaît-elle déjà des droits aux enfants ?

Le titre II de la Constitution s'intitule « Des Belges et de leurs droits ». Combiné avec l'article 191 de la Constitution, le titre s'applique aussi aux étrangers. Les étrangers ne jouissent cependant pas de certains droits politiques que la Constitution réserve explicitement aux Belges. Il résulte du titre II que la garantie des droits et libertés s'applique à toute personne. Si le constituant entend soustraire certaines personnes du bénéfice des droits et libertés, il le dit expressément.

Par ailleurs, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, interdisant toute discrimination, vise spécifiquement l'âge. Comme les cours et tribunaux belges appliquent les articles 10 et 11 de la Constitution à la lumière de la jurisprudence européenne sur l'article 14 de la Convention, il est évident que, dans l'application des droits et libertés garantis par la Constitution, toute discrimination fondée sur l'âge est interdite.

En outre, les droits et libertés doivent s'interpréter à la lumière des conventions internationales, parmi lesquelles la Convention relative aux droits de l'enfant. Cette convention garantit des droits et libertés qui se trouvent également dans la Constitution, comme la liberté d'opinion et d'expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'association et de réunion pacifique, le droit à la vie privée, au respect de son domicile et de sa correspondance, qui sont consacrés dans les deux textes. Les droits économiques, sociaux et culturels sont garantis en des termes particulièrement larges par la convention; l'article 23 de la Constitution les prévoit également.

Les dispositions du titre II de la Constitution sont libellées en termes généraux. Soit elles utilisent les termes « Nul ne peut » (articles 12, 13, 16, 20), soit elles recourent au terme « Chacun » (articles 23, 24, § 3, 28, 32). À l'article 24 (droit à l'enseignement), on vise expressément « les élèves ». Aux articles 26 et 27, il est question des Belges en général.

De toutes ces constatations, on peut conclure que les droits et libertés s'appliquent à tout le monde, en ce compris les enfants. Bien entendu, il faut introduire une nuance de bon sens : les libertés d'opinion et d'expression ne visent que les enfants dotés de discernement. Cela va de soi et ne doit pas figurer dans le texte juridique.

Mme Meulders-Klein, professeur émérite de l'UCL

A. Est-il utile d'introduire dans la Constitution un article relatif au droit à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle de tout un chacun ou particulièrement des enfants ?

La professeur Meulders-Klein est d'avis que la question à l'origine des propositions et des amendements est celle des violences commises envers des mineurs, notamment dans l'affaire Dutroux. Le droit pénal n'a pas suffi pour protéger les enfants de ces violences. S'il fallait songer à compléter le système juridique de protection, il faudrait sans doute envisager d'ajouter certaines dispositions dans le Code pénal lui-même, à propos de ces violations d'intégrité.

Sur le plan international existe la Convention européenne des droits de l'homme, qui s'applique à tout homme et a fortiori aux enfants. S'y ajoute la Convention relative aux droits de l'enfant qui allonge et proclame la liste des droits spécifiques à l'enfant. Si cette convention a été adoptée avec autant de solennité et d'éclat à travers le monde, c'est, selon l'intervenante, parce qu'on a considéré que la catégorie des enfants était une catégorie spécialement vulnérable et qui a, en tant que telle, besoin d'une protection juridique spéciale.

La première convention est pourvue d'un recours juridictionnel et a une forme qui s'est traduite notamment par l'arrêt Marckx, très clair sur la notion de vie familiale appliquée en matière de filiation. La convention n'est cependant pas très pratique à manipuler si l'on doit arriver jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme pour obtenir la sanction d'une violation de ses droits. Sauf si on reconnaît à la convention un effet direct en droit interne. Mais lorsque les dispositions d'une convention sont trop vagues ou imprécises pour pouvoir être appliquées directement par le juge, l'effet direct ne peut pas jouer, à moins d'entraîner une cacophonie invraisemblable dans la jurisprudence. Cela s'est vu aux Pays-Bas où les juridictions de fond et la Cour de cassation ont interprété l'article 8 de la convention, pour démonter l'une après l'autre les dispositions de leur Code civil, sans cohérence entre leurs décisions.

En conclusion, la professeur Meulders-Klein estime qu'il y a matière à introduire un article dans la Constitution belge. Le droit international est subsidiaire par rapport au droit national, et, en tout état de cause, il est important de manifester clairement et symboliquement dans la Constitution le droit à l'intégrité de tout individu, et en particulier des enfants.

Elle ajoute que le terme « protection » introduit dans l'amendement nº 1 de Mme Nyssens et consorts (Doc. nº 2-21/2) a l'avantage de souligner l'obligation positive de l'État de prendre des mesures pour faire en sorte que ces droits soient respectés. Ceci serait en harmonie avec la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'effet horizontal a été discuté par certains auteurs, notamment le professeur Rigaux, mais qui existe aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Cet effet horizontal implique des obligations, négatives et positives, de la part de l'État, non seulement contre ses propres violations, mais aussi contre celles des particuliers entre eux.

La professeur Meulders-Klein conclut qu'il est donc utile d'introduire un article de cette nature dans la Constitution.

B. La déclaration de révision permet-elle une extension du droit à « tout un chacun » ?

Le professeur Lemmens, faisant une interprétation littérale de la déclaration, a estimé que non. La professeur Meulders-Klein juge cette lecture trop formelle, trop littérale et elle estime qu'elle va à l'encontre de ce que souhaite la commission contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Si la Convention relative aux droits de l'enfant est venue se superposer à la Convention européenne des droits de l'homme, c'est qu'il y avait une raison à cela. L'enfant n'est pas un citoyen comme les autres, à cause de sa vulnérabilité. L'enfant est un objet de consommation en général et un être éminemment fragile. À ce titre, il mérite une protection spéciale. On sait qu'en matière sexuelle, les enfants sont plus vulnérables que les adultes. C'est pourquoi la professeur Meulders-Klein ne verrait pas d'un mauvais oeil qu'un article de la Constitution vise spécifiquement les enfants.

Sur le plan symbolique mais aussi juridique, il se justifierait d'avoir, en parallèle avec la Convention relative aux droits de l'enfant, un article spécifique montrant que l'État belge accorde une attention spéciale à la protection des enfants.

Si on donne la préférence à l'amendement nº 1 de Mme Nyssens et consorts, il faut le formuler autrement et, en tout cas, maintenir l'idée que chaque enfant doit être spécialement protégé contre toute forme de violence. Toutefois, il ne faut pas viser uniquement la violence car ce serait beaucoup trop étroit. C'est l'intégrité physique, morale, psychique et sexuelle, qui doit être protégée. C'est une notion plus riche.

C. À quel endroit de la Constitution est-il préférable d'insérer cette nouvelle disposition ?

La professeur Meulders-Klein se prononce en faveur d'un article 22bis , spécialement consacré aux enfants. Le droit à l'intégrité ne relève, en effet, pas des droits économiques, sociaux et culturels, mais bien des droits civils. Il se rattache immédiatement à l'article 22, en vertu duquel chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans le cas et conditions à fixer par la loi. Cet article est fondamental et s'inscrit directement dans la ligne de l'article 8 de la Convention européenne, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme. On ne peut en effet pas dissocier la convention de son interprétation. Un arrêt de la Cour a, à tout le moins, autorité de chose interprétée, qui doit ensuite être respectée par l'État condamné mais aussi par tous les États qui ont ratifié la convention.

D. Les enfants pourraient-ils invoquer directement cet article de la Constitution ?

En d'autres termes, cet article permet-il aux enfants d'introduire une action directement devant les tribunaux pour en obtenir le respect ?

La question est soulevée par la Convention relative à l'exercice des droits de l'enfant du Conseil de l'Europe (1996), qui prévoit un droit d'action directe de l'enfant devant les tribunaux pour réclamer par lui-même le bénéfice de ses droits.

La professeur Meulders-Klein est beaucoup plus modérée. Certains mouvements de défense des droits de l'enfant considèrent l'enfant comme un petit adulte et estiment que, dès qu'il a un certain discernement, il doit pouvoir faire valoir ses droits lui-même . Or l'enfant est à la fois un sujet de droit et un être à protéger, qui n'est pas encore un citoyen armé de pied en cap d'une capacité juridique pour agir. La professeur Meulders-Klein est réticente à l'idée qu'un enfant de douze ans introduise une action directe contre ses parents ou contre une administration. Il faut assurer sa représentation.

E. Quel doit être le contenu de la nouvelle disposition ?

La professeur Meulders-Klein répète que la notion de violence est trop étroite par rapport à l'ampleur du problème. Il faut viser l'intégrité physique, psychique, mentale, morale et sexuelle. Sur le plan psychique et mental, cela implique le droit à l'identité, le droit à la vie privée et familiale comme l'a dit la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'avoir un statut civil, non discriminatoire. Or, ce statut civil commence par la filiation.

Si on joint ce droit à l'intégrité au droit au respect de la vie familiale, on débouche sur le droit à avoir une filiation non discriminée. En 1995, la professuer Meulders-Klein a été appelée comme expert par le Conseil de l'Europe pour la troisième Conférence européenne sur le droit de la famille. Sa tâche consistait à examiner les problèmes de mise en oeuvre de la Convention sur le statut des enfants nés hors mariage. Il s'agissait de revoir la convention ouverte à signature en octobre 1975. Ce faisant, elle s'est aperçue qu'il avait une multitude de discriminations, non seulement pour les enfants nés hors mariage par filiation naturelle, mais aussi pour les enfants nés par procréation médicalement assistée (5). L'arrêt Marckx est suffisamment clair dans sa définition de la vie familiale et du droit à la filiation en corrélation. Si la Belgique veut se mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme, il ne suffira pas de réviser la Constitution, il faudra aussi en tirer les conséquences pour tous les enfants risquant d'être discriminés dans leur statut civil, leur identité et leur vie familiale, faute de loi adéquate en Belgique.

II. Échange de vues

Les enfants ou tout un chacun ?

Une commissaire constate que les orateurs ne se sont pas prononcés tout à fait de la même manière sur la portée de la dispositioin en projet. Le professeur Ergec a plaidé pour une disposition générale (« chacun »). Elle veut savoir quel est l'inconvénient de prévoir une référence spécifique à l'enfant ? Au niveau international, il y a des conventions relatives aux droits de l'homme, mais il y a aussi une Convention relative aux droits de l'enfant. La membre ne voit donc pas ce qu'il y aurait de discriminant dans un article faisant référence spécifiquement aux enfants, dans le droit fil de la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire dans une nouvelle philosophie reconnaissant l'enfant comme une personne à part entière, ayant un statut particulier.

Le professeur Ergec répond qu'il faut se placer sous deux angles. D'abord, sous l'angle du droit à l'intégrité, tel que proposé dans le texte initial, la référence aux enfants n'est pas absolument nécessaire. Si, par contre, on veut ajouter d'autres droits visant spécifiquement l'enfant (exemple : droit à un traitement adéquat de la part des parents), la réponse est plus prudente. La déclaration de révision de la Constitution est malléable, mais elle contient néanmoins deux points majeurs : 1º insertion d'une disposition sur le droit à l'intégrité des enfants; 2º insertion de dispositions transposant la CEDH dans le titre II.

Le préconsistuant n'a pas autorisé à donner aux enfants d'autres droits que le droit à l'intégrité. La CEDH ne contient, quant à elle, aucune disposition spécifique aux enfants.

En résumé, le professeur Ergec est d'avis qu'actuellement, on ne peut conférer aux enfants de droits autres que le droit à l'intégrité.

Autre question : dans la disposition relative au droit à l'intégrité physique, peut-on se référer spécifiquement aux enfants ? Ce n'est pas nécessaire, mais si le constituant décide de le faire, le professeur Ergec n'y voit pas d'objection majeure.

La commissaire demande si cela en ferait un droit spécifique aux enfants, qui ne pourrait pas s'appliquer aux adultes.

Le professeur Ergec répond qu'il est évident qu'il faut une disposition générale, suivie d'un second alinéa faisant référence de manière spécifique aux enfants. Mais il faut libeller le second alinéa de telle sorte qu'on vise la fragilité particulière de cette catégorie de personnes, qui doivent bénéficier d'un traitement spécifique. Ce n'est qu'avec un tel libellé que l'ajout est nécessaire. Mais on ne peut pas en déduire a contrario un affaiblissement de la protection offerte aux adultes.

Le professeur Ergec fait d'ailleurs remarquer qu'il y a d'autres catégories de personnes tout aussi vulnérables, notamment les personnes âgées.

En résumé, le texte proposé, en deux alinéas, paraît excellent, selon le professeur Ergec. Il faut simplement montrer, dans le second alinéa, en quoi une protection particulière se justifie pour les enfants.

La professeur Meulders-Klein partage la même opinion. En disposant que l'enfant a droit à une protection spéciale, on fait la distinction entre la protection normale et la protection renforcée.

M. Vandaele fait remarquer que la commissaire semble suggérer dans sa première question que, si l'on insérait un article spécifique consacré aux droits de l'enfant, les enfants ne pourraient plus invoquer les droits fondamentaux généraux. Une discussion semblable a déjà eu lieu dans le cadre des travaux préparatoires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 24 confère des droits spécifiques aux enfants. Une délégation voulait éviter que cet article soit repris dans le pacte, de crainte que l'on n'hypothèque la faculté des enfants d'invoquer les autres droits. L'application concrète du pacte a toutefois montré que cette crainte était totalement injustifiée.

Un sénateur se demande si, de par l'instauration d'un article relatif à l'intégrité des enfants, les adultes ne pourraient plus se prévaloir de ce droit.

M. Vandaele répond que l'exposé du professeur Lemmens montre clairement que l'intégrité constitue un élément de la vie privée. Dans ce sens, chacun peut invoquer la protection de cette intégrité sur la base de l'actuel article 22. La notion d'intégrité fait partie intégrante de la notion de « vie privée », comme l'a indiqué entre autres la Cour européenne des droits de l'homme.

Le professeur Lemmens ajoute qu'il est dès lors justifié d'instaurer un droit à l'intégrité qui ne soit pas réservé aux enfants. Sinon, on pourrait soutenir, a contrario, que ce droit ne vaut pas pour les adultes. D'ailleurs, le droit à l'intégrité est déjà protégé par l'article 22 de la Constitution. Si l'on insert, dans la Constitution, une disposition spécifique relative aux droits de l'enfant, il faut qu'elle ajoute quelque chose à ce qui est déjà prévu dans la Constitution et non pas qu'elle serve simplement à confirmer une disposition existante.

Est-il nécessaire d'inscrire les droits des enfants dans la Constitution ?

Un autre sénateur se demande s'il ne faut pas quand même que la Constitution reconnaisse expressément certains droits aux enfants. Le professeur Ergec a en effet expliqué que si les droits fondamentaux valent aussi pour les enfants, ils ne valent pas pour eux dans la même mesure que pour les adultes. À titre d'exemple, l'on a cité le droit à la liberté d'expression. Or, la Convention relative aux droits de l'enfant prévoit que tout enfant a droit à la liberté d'expression. L'intervenante craint dès lors qu'une disposition générale que l'on aurait inserée dans la Constitution ne s'appliquerait pas dans la même mesure aux enfants et aux adultes.

Le professeur Ergec répond qu'il est fermement convaincu que le Titre II de la Constitution garantit des droits au profit des enfants également, et ceci pour deux motifs. D'abord, ces dispositions sont libellées en des termes généraux. Le constituant s'adresse en principe à toute personne, et s'il souhaite exclure certaines catégories de personnes du champ d'application de la disposition, il le dit expressément. C'est le cas de l'exclusion des étrangers de la jouissance de certains droits politiques. Ensuite, il faut interpréter les dispositions du Titre II de la Constitution à partir du principe de non-discrimination. Là où le constituant n'a pas introduit de distinction, il ne faut pas en faire. Enfin, les dispositions constitutionnelles doivent être appliquées à la lumière des traités internationaux signés par la Belgique. Or, ces traités internationaux garantissent des droits aux enfants et il y a en outre la Convention relative aux droits de l'enfant. Cependant, il est vrai que la Constitution belge ne garantit pas tous les droits consacrés par la Convention relative aux droits de l'enfant, mais ceci est un autre débat puisque les Chambres constituantes ne sont pas habilitées à introduire des dispositions dont le champ serait plus étendu que le droit à l'intégrité.

La professeur Meulders-Klein ajoute qu'il est évident que les enfants ont en principe les mêmes droits que les adultes. Il est évident aussi qu'ils ne peuvent pas les mettre eux-mêmes en application. Même avec des instruments juridiques existants, il y a des lacunes phénoménales, ne serait-ce que parce que ces instruments ne sont pas respectés. C'est pourquoi il est bon d'insister sur les droits des enfants de manière solennelle et symbolique, comme l'a fait la Convention relative aux droits de l'enfant qui a reçu l'adhésion de plus de cent pays dans le monde. Même si la Convention n'est pas respectée, du moins les droits des enfants sont-ils proclamés, ce qui est essentiel. Certaines conventions internationales ont une valeur proclamatoire. Ensuite, il appartient aux États de les mettre en oeuvre. Si les dispositions de droit belge ne sont pas suffisantes pour protéger les droits de l'enfant solennellement proclamés au niveau international, il est bon et même nécessaire de consacrer expressément ces droits dans la Constitution pour que la Belgique puisse dire qu'elle s'efforce de remplir ses obligations. Le deuxième rapport sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant en Belgique ne fait pas apparaître les choses essentielles. Les vrais problèmes ne s'y trouvent pas. Il reste donc du travail à faire, selon la professeur Meulders-Klein.

Une sénatrice souhaite faire de la proposition initiale une reconnaissance constitutionnelle générale des droits de l'enfant. Idéalement, la convention relative aux droits de l'enfant devrait être reconnue dans son intégralité par la Constitution. Au cours de la législation précédente, l'intervenante a déposé une proposition de déclaration de révision de la Constitution en vue d'accorder aux droits de l'enfant une reconnaissance constitutionnelle beaucoup plus large. Cette proposition n'a toutefois pas été adoptée. Dans quelle mesure la déclaration de révision actuelle permet-elle d'inscrire malgré tout dans la Consitution davantage qu'un simple droit des enfants à l'intégrité ? Les professeurs sont-ils tous partisans d'une telle inscription générale ? À quel endroit cet article général doit-il être inséré dans la Constitution ?

La professeur Meulders-Klein répond que les termes de la déclaration de révision sont clairs et limitatifs, mais explicites néanmoins. Il s'agit des droits de l'enfant à l'intégrité. Elle ferait un article 22bis prévoyant que tout enfant a droit à une protection spéciale de son intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. De la sorte, elle pense qu'on reste fidèle au texte et à l'intention du préconstituant. Si on va plus loin, on sort des termes de la déclaration.

Le professeur Ergec pense qu'il y a peut-être une technique pour parvenir à ce que suggère la sénatrice. La déclaration de révision de la Constitution autorise les Chambres constituantes à transposer les droits et libertés garanties dans la Convention européenne des droits de l'homme. Cette Convention comporte un article 1er qui dispose que « les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre 1er de la présente Convention ». On pourrait transposer cela mutatis mutandis dans la Constitution belge : « Les droits garantis dans le présent Titre sont garantis à toute personne relevant de la juridiction du Royaume de Belgique », en faisant dans un alinéa suivant une référence explicite aux enfants : « Les droits garantis dans le présent Titre le sont également aux enfants ». Ainsi, tous les droits garantis dans le Titre II s'appliquraient aux enfants. Naturellement, il y a d'autres droits applicables aux enfants, qui ne sont pas garantis dans la Convention européenne des droits de l'homme, mais au moins on élargit clairement aux enfants la portée de tous les droits consacrés.

Le professeur Lemmens s'oppose à une interprétation trop large de la déclaration de révision. L'article 195 de la Constitution précise clairement les limites dans lesquelles le constituant peut agir. Il peut y avoir de bonnes raisons d'inscrire tel ou tel article dans la Constitution, mais une constitution implique des règles de procédure fondamentales que l'on ne peut purement et simplement ignorer. En l'espèce, la fin ne justifie pas tous les moyens. À l'heure actuelle, il n'y a de declaratione lata aucune possibilité d'inscrire dans la Constitution une disposition générale relative aux droits de l'enfant. De declaratione ferenda , une disposition générale serait très utile et souhaitable. Pour un article général sur les droits de l'enfant, on peut s'inspirer de l'article 24, premier alinéa, du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette disposition est libellée comme suit : « Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l'État, aux mesures de protection qu'exige sa condition de mineur. » Une formulation plus succincte pourrait par exemple être la suivante : « Tout enfant a droit à la protection qu'exige sa condition particulière. » Un tel texte a une portée générale.

La professeur Meulders-Klein revient sur la proposition u professeur Ergec. Elle ne voit pas bien l'utilité d'inscrire dans la Constitution les droits de la Convention européenne des droits de l'homme puisqu'elle a été ratifiée par la Belgique et que ses dispositions sont déjà incluses dans le droit interne. De plus, elle trouverait curieux d'inscrire cette référence expresse dans la Constitution : cela pourrait éventuellement amener à des conflits d'interprétation entre le juge belge, notamment la Cour d'arbitrage, et la Cour européenne des droits de l'homme. C'est une duplication inutile. Surtout, elle s'interroge sur la raison pour laquelle on voudrait ainsi évincer l'enfant du texte de la Constitution. Le professeur Ergec suggère d'insérer la Convention européenne des droits de l'homme dans la Constitution, « y compris pour les enfants », comme s'ils n'étaient pas visés automatiquement. La professeur Meulders-Klein pense qu'une telle démarche aurait carrément l'effet contraire à celui recherché.

L'intégrité

Une autre commissaire s'interroge à propos de l'expression « droit à l'intégrité ». Les auteurs du rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants auraient été surpris d'entendre tout ce que les professeurs tirent de leur idée d'intégrer dans la Constitution le droit à l'intégrité physique et sexuelle, dans la mesure où ils avaient raisonné dans un cadre beaucoup plus étroit de protection. Elle voudrait savoir ce que recouvre cette notion d'intégrité pour les orateurs. Si on met dans la Constitution une seule phrase centrée sur la notion d'intégrité, est-ce la philosophie des auteurs du rapport, qui se limitent à envisager les formes de violence ? Dans l'esprit du rapport, la protection s'envisageait de façon très physique, psychique et sexuelle, au regard des faits qui s'étaient produits en Belgique. Mais la notion qu'on va introduire dans la Constitution peut-elle recouvrir une réalité beaucoup plus large que ces formes de violence ? La professeur Meulders-Klein a notamment parlé des nouveaux problèmes liés à la procréation médicalement assistée. La consécration dans la Constitution du droit à l'intégrité ouvrira-t-elle un droit extrêmement large ? Le droit à l'intégrité ne figure pas dans la Convention relative aux droits de l'enfant. La Constitution belge ira-t-elle plus loin en consacrant ce droit ?

La professeur Meulders-Klein répond que la Convention relative aux droits de l'enfant est plus vague pour une raison évidente : elle ne s'applique pas seulement aux pays occidentaux. Cependant, un droit est formulé de façon certaine, c'est celui du principe de non-discrimination. Qu'est-ce que l'intégrité physique, psychique, mentale ? Sur quoi repose le sentiment d'identité ? Sur quoi reposent les droits de chacun de nous ? Ils reposent avant tout sur la filiation. C'est de là que découlent l'identité civile et les droits. On trouve le droit à l'intégrité dans le droit à la vie privée et familiale.

Avec la procréation assistée, on a introduit une révolution dans la reproduction. La conception d'un enfant n'a plus lieu en privé, mais avec le secours de médecins, le soutien financier de l'État. À ce moment, l'enfant n'est encore personne, il n'a pas de droits. Mais on sait qu'au moment de sa naissance, il risque d'être privé de ses droits fondamentaux. On fabrique des sujets de droit volontairement privés de leurs droits fondamentaux à une vie familiale normale, privés de filiation, de généalogie, de racines. C'est une espèce de cruauté mentale et la professeur Meulders-Klein considère qu'il s'agit d'une atteinte à l'intégrité psychique et mentale. Ce paradoxe n'a encore jamais été soulevé.

Le professeur Lemmens estime que l'intégrité est un concept difficile à cerner. L'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle dont il est question ici, a trait au psychisme et au physique de la personne. L'intégrité consiste à maintenir une situation en l'état. Il y a atteinte à l'intégrité dès l'instant où l'on tente de modifier cette situation. Pour le corps, cette atteinte peut revêtir la forme d'actes de violence mais aussi celle d'immixtions moins violentes telles que des vaccinations obligatoires. On parle d'atteinte à l'intégrité psychique lorsque la personne est victime de manoeuvres de déstabilisation psychologique. Il convient de distinguer les atteintes à l'intégrité d'autres formes d'ingérence dans la personnalité de la personne. C'est précisément à cause de cette différence que le professeur Lemmens a des objections à l'encontre d'une disposition constitutionnelle qui porterait uniquement sur l'intégrité. Des circonstances historiques peuvent expliquer pourquoi, en Belgique, on se focalise sur ce point, mais tous les autres aspects de la personnalité s'en trouvent éclipsés.

Le respect et la protection

Un membre rappelle que la proposition de révision avait déjà été déposée sous l'ancienne législature, avant la déclaration de révision. Elle reprenait telle quelle la proposition de la commission nationale, qui parlait du droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle, et utilisait le terme « respect ». Dans la déclaration de révision, il est question de la « protection » des droits. Peut-il en découler une différence en termes d'effectivité ?

Le professeur Lemmens répond qu'en ce qui concerne les droits de l'homme, on parle souvent de plusieurs obligations qui incombent aux États. Le droit au respect au sens strict peut signifier une obligation plutôt négative : celle de respecter un droit en ne s'ingérant pas dans son exercice. Le droit à la protection est plutôt l'obligation positive : celle d'agir. Enfin, le droit à la protection est aussi une forme d'obligation positive dans un sens encore plus large. Si on n'insère dans un texte que le droit au respect, sans évoquer les autres possibilités, ce droit au respect s'entend alors dans un sens large. C'est dans ce sens qu'on l'entend dans les conventions internationales et, eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme notamment, il faut conclure qu'il couvre alors les obligations aussi bien négatives que positives.

La professeur Meulders-Klein rappelle la formule de l'arrêt Marckx de la Cour européenne des droits de l'homme : selon la Cour, tel que le conçoit l'article 8 de la Convention, le respect de la vie familiale implique en particulier l'existence en droit national d'une protection juridique rendant possible, dès la naissance, l'intégration de l'enfant dans sa famille. L'État, en fixant dans l'ordre juridique interne le régime applicable à certains liens de famille, doit agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale. C'est la première fois que la Cour tirait de l'article 8 une obligation positive, et non une simple obligation de non-ingérence.

L'enfant

Un sénateur s'interroge sur la définition de l'enfant. Il ressort clairement des exposés que l'on se réfère à la Convention relative aux droits de l'enfant qui, même si elle n'est pas d'effet direct, fait néanmoins autorité sur le plan de l'interprétation. Aux termes de cette Convention, les enfants sont les personnes âgées de moins de 18 ans. L'insertion d'un tel article dans la Constitution ne risque-t-il pas de créer une contradiction avec d'autres articles qui accordent des droits à certaines catégories d'enfants à partir d'un certain âge ? À partir de 14 ou de 16 ans, on accomplit sciemment certains actes. Un tel article ne pourrait-il pas instaurer une certaine gradation dans la protection ?

M. Vandaele fait remarquer que le système actuel n'est pas cohérent non plus. Le Code civil utilise plusieurs limites d'âge différentes. Certaines décisions judiciaires admettent l'intervention volontaire dans un procès de mineurs de douze ans et moins. L'insertion de la notion d'« enfant » dans la Constitution n'y changera rien.

Le professeur Lemmens ajoute que l'insertion d'une disposition générale relative aux droits de l'enfant n'empêche pas le législateur d'appliquer des gradations. Il n'est pas indispensable que le constituant définisse la notion d'« enfant ». Le législateur peut alors instaurer des gradations qui tiennent compte du contexte spécifique.

Exemples à l'étranger

Un sénateur demande si les droits de l'enfant sont déjà reconnus dans la constitution de certains pays étrangers.

M. Vandaele cite l'exemple de la Constitution de l'Afrique du Sud, qui n'est vieille que de quelques années et qui accorde aux enfants des droits spécifiques de nature civile et politique de même qu'économique et sociale. Les droits de l'enfant sont généralement consacrés par les constitutions plus modernes.

Capacité d'ester de l'enfant

Une membre souligne que la Convention relative aux droits de l'enfant définit l'enfant comme un sujet juridique porteur de droits. Étant donné que l'effet direct de la convention est très controversé, l'intervenante se demande dans quelle mesure l'enfant peut effectivement exercer ces droits. La convention reconnaît par exemple le droit de fréquentation. Si un enfant souhaite rétablir le contact avec, par exemple, ses grands-parents, il doit agir par le truchement de ses représentants légaux car il n'est, en principe, pas capable d'ester lui-même en justice. L'inscription du droit de l'enfant à l'intégrité a-t-elle une signification concrète pour la pratique judiciaire ou faut-il définir d'autres modalités de mise en oeuvre de la Constitution, par exemple en droit civil ?

Le professeur Lemmens fait une distinction entre la reconnaissance d'un droit et l'exercice de ce droit. La question de l'intervenante porte sur l'effet direct d'un droit reconnu. S'agissant de la convention, l'effet direct est problématique. L'inscription de ce droit dans la Constitution résoudrait déjà ce problème-là. Mais cela signifierait-il que les enfants pourront exercer leurs droits eux-mêmes ?

Tout dépendra du législateur. Le législateur peut assortir d'effets concrets les droits que la Constitution reconnaît aux enfants. Ces effets peuvent toutefois varier en fonction de l'âge de l'enfant. Le législateur peut, par exemple, donner une énumération concrète de cas dans lesquels l'enfant peut ester lui-même. Mais comme il ne lui sera pas possible de définir tous les cas concrets dans la loi, il faudra déterminer, à la lumière notamment de l'article concerné de la Constitution, si, dans certaines circonstances, l'enfant a ou non la capacité d'ester.

Le Conseil d'État se rallie par exemple en général à la règle selon laquelle les mineurs n'ont pas capacité d'ester. Il peut cependant arriver dans certains cas que les intérêts de l'enfant soient directement en jeu ou que les intérêts de l'enfant entrent en conflit avec ceux de son représentant en justice. En pareil cas, le Conseil reconnaît à l'enfant la capacité d'ester lui-même en justice.

IV. DISCUSSION FINALE

Mme de T'Serclaes et consorts déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 21/3), libellé comme suit :

« Art. 22bis. ­ Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit. »

L'auteur de l'amendement déclare que la note rédigée par les services ainsi que les discussions menées à la suite des auditions montrent que le nouvel article proposé a plutôt sa place directement après l'article relatif au respect de la vie privée et familiale.

L'introduction du mot « enfant » dans le texte rencontre la volonté du préconstituant qui parle d'« enfant » et non pas d'individu. De même, l'introduction de la notion d'« enfant » serait la concrétisation d'une volonté de voir l'enfant reconnu comme sujet de droit dans notre Constitution.

Cette notion de « respect » est plus large que celle de protection. Elle indique que ce droit n'est pas seulement un droit passif mais implique pour les autorités de mener une politique active dans la matière. Elle reprend dans un souci de cohérence la même formulation que l'article 22 relatif au respect de la vie privée et familiale.

Le deuxième alinéa pourrait être supprimé, si l'on veut un texte bref. Il est repris dans un souci de parallélisme avec l'article 22. De plus, en utilisant le mot « protection », on insiste auprès du législateur sur le fait qu'il a vraiment un rôle actif dans la mise en oeuvre concrète de ces droits.

La déclaration de révision de la Constitution ne permet pas d'aller plus loin et d'insérer de manière plus globale les droits de l'enfant dans la Constitution, comme certains membres de la commission le souhaitaient. Toutefois, l'oratrice est prête à préparer une déclaration de révision de la Constitution pour la prochaine législature.

Une membre déclare qu'elle adhère au texte de l'amendement nº 3. Elle se réjouit d'y trouver les mots « respect » (premier alinéa) et « protection » (deuxième alinéa). Ces deux termes sont complémentaires : en utilisant la notion « droit au respect », l'enfant est considéré comme sujet de droit et pas seulement comme objet de droit ou personne à protéger. Elle aussi est soucieuse de rester dans les limites prescrites par le préconstituant, tout en étant favorable à l'idée de déposer une proposition visant à rouvrir la Constitution à révision pour y inscrire d'autres droits sur les enfants.

Un sénateur partage l'avis de la préopinante selon lequel l'amendement nº 3 est une bonne proposition, mais il souligne qu'il est important de reconnaître sans équivoque l'enfant en tant que sujet de droit. C'est pourquoi il conviendrait de parler, au deuxième alinéa, de « l'exercice de ce droit » plutôt que de « la protection de ce droit ».

Mme Lindekens dépose à cet effet un amendement (doc. Sénat, nº 21/3, amendement nº 5), qui est un sous-amendement à l'amendement nº 3.

L'intervenante considère également que la révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et des libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être l'occasion de disposer explicitement que la jouissance des droits et libertés est indépendante de l'âge de la personne. Cela consacrerait constitutionnellement l'égalité des enfants par rapport aux autres personnes, de sorte qu'il ne puisse plus subsister la moindre équivoque quant au fait que les enfants bénéficient par exemple aussi du droit à la liberté d'expression.

Une commissaire se rallie à l'amendement nº 3. Bien qu'on ait eu le sentiment, après les auditions, qu'il faudrait inscrire dans la Constitution des dispositions plus larges concernant les droits des enfants, il convient de s'en tenir aux limites fixées par la déclaration de révision. On pourra, en effet, dès à présent préparer une nouvelle déclaration de révision permettant d'inscrire dans la Constitution des droits d'une portée plus large pour les enfants.

Elle ajoute que l'exercice d'un droit ne doit pas être inscrit dans la Constitution, comme le propose l'amendement nº 5. Ce serait contraire à la philosophie de la Constitution. Celle-ci se limite à la protection des droits. Ainsi, l'article 22 de la Constitution parle-t-il de la protection du droit à la vie privée. Il est toutefois utile par ailleurs d'insérer le mot « enfant ». La Cour d'arbitrage dispose ainsi d'une base supplémentaire pour le contrôle de conformité.

L'amendement nº 3 présente la plus large formulation possible dans le cadre de l'actuelle déclaration de révision de la Constitution et constitue effectivement une plus-value pour l'ordre juridique interne belge.

Mme de Bethune et M. Vandenberghe déposent un amendement nº 4 qui reconnaît que chaque enfant jouit de droits garantissant sa protection, son développement et sa participation au sein de la famille et de la société ainsi qu'à l'égard de l'État.

L'auteur principale de l'amendement déclare que la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 est entrée en vigueur en Belgique le 15 janvier 1992. L'article 4 de cette convention dispose explicitement que les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus par cette convention. L'insertion d'un article 22bis nouveau vise à concrétiser les trois lignes de force essentielles qui sont définies dans la Convention relative aux droits de l'enfant.

La première ligne de force concerne la protection des enfants contre l'enlèvement, l'exploitation commerciale, la maltraitance, l'asservissement, l'exploitation sexuelle ou la peine de mort.

La deuxième ligne de force concerne les dispositions en faveur des enfants. Ceux-ci ont droit aux soins de santé, à l'éducation et à l'enseignement, à la sécurité sociale, à des possibilités de recours, à des garanties en matière de procédures judiciaires et à des soins particuliers s'ils sont handicapés, appartiennent à des groupes minoritaires ou sont victimes de violences ou de conflits armés, toutes choses qui s'inscrivent dans le concept plus large de développement, qui ne pourra être appliqué que si lesdites dispositions existent.

La troisième ligne de force, qui est la plus récente, concerne la participation des enfants à la vie sociale. Les enfants ont le droit d'avoir leur propre opinion, ils ont droit à l'information, le droit de s'associer, droit au respect de la vie privée, le droit de participer à la vie socioculturelle. Ils ont également le droit d'être entendus dans toutes les procédures qui les concernent.

Le texte de l'amendement nº 3 est déjà nettement meilleur que celui de la proposition initiale. L'amendement nº 3 parle en effet de « chaque enfant ». Ces mots apportent la seule plus-value par rapport aux dispositions actuelles de la Constitution. Au sujet des autres dispositions de l'amendement nº 3, à savoir le « respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle », plusieurs experts ont affirmé au cours des auditions qu'elles n'apportent aucune plus-value réelle au texte actuel de la Constitution, si ce n'est de les expliciter. Personnellement, l'intervenante reste partisane d'une interprétation plus large de la déclaration de révision de la Constitution. Il ne faut pas interpréter trop étroitement la volonté de la préconstituante : l'esprit de la modification que l'on projette d'apporter à la Constitution est que l'on entend reconnaître sans réserve les droits de l'enfant, ce à quoi tend l'amendement nº 4.

Une membre est d'avis que le mot « protection » tel qu'il figure dans le texte de l'amendement nº 3 est préférable à la notion « exercice ». Elle préfère conserver le parallélisme avec l'article 22 de la Constitution où il est question aussi de « droit au respect de » et où on trouve « la loi garantit la protection de ce droit ». La notion « exercice de droit », est utilisée dans l'article 23 qui a trait aux droits économiques, sociaux et culturels des adultes. Parler de l'exercice des droits est déjà un pas en avant par rapport à la protection des droits. Comme il s'agit des enfants, il faut être très attentif aux conséquences juridiques que la jurisprudence pourrait tirer de ce texte constitutionnel. Il est évident que, dans notre ordre juridique, des droits sont attribués aux enfants dans certaines matières, mais l'enfant est une personne incapable jusqu'à ses 18 ans. La doctrine sur la Convention relative aux droits de l'enfant a un double discours : l'enfant a des droits dans certaines matières mais il n'est pas un adulte, il reste un incapable sur le plan juridique. On ne peut pas assimiler l'enfant à un adulte.

La sénatrice qui a déposé le sous-amendement nº 5 renvoie aux déclarations que M. Vandermeersch a faites au cours d'une des auditions : selon la Convention relative aux droits de l'enfant, l'enfant est un sujet de droit. La législation belge doit se conformer à cette convention dès lors que la Belgique l'a ratifiée.

L'auteur de l'amendement nº 3 ne peut pas souscrire au sous-amendement nº 5. Elle est d'avis qu'il est important que la notion de protection prévale. En ce qui concerne l'amendement nº 4, l'intervenante souligne que le préconstituant a été extrêmement clair. Il parle, d'une part, de la possibilité d'inscrire dans la Constitution des dispositions dans le droit fil de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, d'ajouter une disposition concernant le respect de l'intégrité ou la protection de l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle des enfants. Lors des auditions, les différents intervenants ont montré qu'il y avait là une limitation. Ceci n'empêche pas de préparer une proposition de déclaration de révision pour la législature suivante qui irait dans le sens de l'inscription des droits de l'enfant dans notre Constitution. Mais il faut réfléchir à la manière dont ces droits y seront inscrits. L'amendement nº 4 contient trop de notions juridiques imprécises, qui méritent une réflexion approfondie. L'intervenante plaide pour retenir le texte de son amendement nº 3. Le texte dit « chaque enfant a droit ... ». De cette phrase, on peut clairement déduire que l'enfant est sujet de droit et non objet de droit, ce qui est une avancée par rapport au texte actuel de la Constitution.

Un autre membre partage entièrement les arguments de l'auteur de l'amendement nº 3. Il soutient cet amendement et estime qu'il est correctement formulé sur le plan constitutionnel.

Un membre reconnaît que le constituant est prisonnier de ce qu'a dit le préconstituant. Il est cependant un peu embarrassé à l'idée de rédiger un article consacré spécifiquement aux enfants ­ dont le but est tout à fait louable et qu'il partage ­, dans la mesure où la Constitution doit se lire comme un ensemble. Il pense en particulier aux personnes du quatrième âge qui, très souvent, sont confrontées à des problèmes de même nature et qui mériteraient une protection constitutionnelle au même titre que les enfants. Il ne voit pas pourquoi on ferait des différences entre les êtres humains dans ce cadre-là.

En ce qui concerne le texte de l'amendement nº 3, le membre est d'avis que le mot « sexuel » est un peu superflu. Il comprend cet ajout vu l'émotion que la Belgique a connue à la suite des drames de pédophilie. Mais il se demande si les mots « physique, psychique et morale » ne couvrent pas de fait l'intégrité sexuelle. Le texte proposé sera lu comme une disposition constitutionnelle d'un pays traumatisé.

Une membre se réfère aux mots de M. Cardon de Lichtbuer qui l'ont fort frappée : « Nous avons vécu quelque chose qu'il ne faut pas nier. » À cause de ces événements, la Belgique a maintenant une voix importante dans les institutions internationales et on attend d'elle un exemple. Certes, si l'affaire Dutroux n'avait pas existé, peut-être les membres n'auraient-ils pas pensé à ajouter les mots « intégrité sexuelle ». Mais les faits sont là. L'intégrité sexuelle pose problème et elle plaide pour garder cette notion à titre symbolique. Par ailleurs, elle est favorable à ce que cet article soit également appliqué, dans un stade ultérieur, aux adultes parce que l'intégrité sexuelle est une problématique propre à notre époque.

Une sénatrice se rallie à ce propos. La Belgique est effectivement un pays traumatisé à cet égard, mais aussi un pays qui entend en tirer les leçons qui s'imposent. Cela peut se faire notamment en insérant dans la Constitution des dispositions qui respectent les victimes. Le mot « sexuelle » ne peut pas être supprimé, non seulement à cause de l'affaire Dutroux et de ses prolongements mais surtout pour protéger les victimes qui sont confrontées quotidiennement à la violence sexuelle dans leur milieu familial et dans leur entourage immédiat.

Une membre se rallie aux propos de la préopinante. La modification projetée de la Constitution peut être un signal par lequel la Belgique montre qu'elle se soucie des droits de l'enfant. Elle partage l'avis de M. Cardon de Lichtbuer, qui affirme que la Belgique doit faire oeuvre de pionnier en la matière. De plus, la notion d'« intégrité sexuelle » se retrouve dans divers textes internationaux. Toute modification de la Constitution est en outre une réaction à un problème de société que l'on entend résoudre de la sorte.

Une autre sénatrice plaide pour le maintien de la notion d'« intégrité sexuelle ». De plus, en matière de violence, la littérature scientifique parle souvent de « violence physique et sexuelle ». À cet égard, on ne peut d'ailleurs pas placer les personnes du quatrième âge sur le même pied que les enfants. Les personnes d'âge avancé sont des adultes et il ne fait aucun doute qu'elles sont des sujets de droit. Le cas des enfants a ceci de spécifique que tout le monde s'accorde à dire qu'ils doivent être protégés mais qu'il y a discussion sur la question de savoir dans quelle mesure ils sont des sujets de droit. C'est là que réside, selon l'intervenante, la grande différence entre les enfants et tous les adultes, bien que certaines personnes de ce dernier groupe aient parfois besoin de protection. Elle souligne que plusieurs constitutions contiennent des dispositions qui font explicitement référence aux personnes du quatrième âge : la Constitution portugaise en est un bon exemple.

Un membre reconnaît que, strictement parlant, le mot « sexuelle » est superflu dans l'amendement nº 3 mais il prône de ne pas supprimer cette notion. Les circonstances qui ont amené à insérer cette notion dans la Constitution sont en effet trop importantes.

Compte tenu de ces arguments, le membre qui avait posé la question de savoir quel sens cela avait d'insérer la notion d'« intégrité sexuelle », reconnaît que cette insertion a en effet tout lieu d'être.

V. VOTES

Les amendements nºs 1 et 2 sont retirés.

L'amendement nº 4 est rejeté par 7 voix contre 2 et 1 abstention.

L'amendement nº 5, qui est un sous-amendement à l'amendement nº 3, est rejeté par 8 voix contre 2.

Le premier alinéa proposé par l'amendement nº 3 est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Le deuxième alinéa proposé par l'amendement nº 3 est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

La rapporteuse,
Martine TAELMAN.
Le président,
Armand DE DECKER.

ANNEXE 1


EXTRAIT DU RAPPORT FINAL DE LA COMMISSION NATIONALE CONTRE L'EXPLOITATION SEXUELLE DES ENFANTS

Le droit à l'intégrité

Chaque individu, donc chaque enfant, a droit à son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle doit être inscrit dans la Constitution.

Les violations de ce droit doivent pouvoir être constatées aussi bien dans le chef des citoyens individuels que dans le chef des autorités.

Le respect du droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle n'est pas toujours évident, même par rapport aux enfants. Une première étape importante vers ce respect est la sensibilisation. Un débat permanent, serein et largement public peut aider à y contribuer. La violence, la maltraitance et l'exploitation doivent, autant que possible, faire l'objet d'une approche critique et favoriser le comportement non violent. Les médias peuvent y jouer un rôle important.

Le respect du droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle doit, avant tout, être favorisé par des sanctions positives. Les familles et les écoles doivent, en particulier, être activement soutenues dans leur quête de formes non violentes de relations avec les enfants.

Un droit dans la Constitution

Une relation sans violence avec les enfants ne peut plus se limiter à une activité informelle ou à un style personnel d'éducation de quelques-uns. Une relation sans violence avec les enfants doit devenir une norme vers laquelle nous devons tendre en tant que société, non seulement parce que trop d'enfants sont encore aujourd'hui victimes de violence, mais aussi afin que les enfants et leur intégrité soient entièrement respectés à tout moment.

L'adoption d'une disposition qui inscrirait le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle dans la Constitution serait l'expression démocratique de la volonté de reconnaître ce droit.

La Convention internationale sur les droits de l'enfant (1989) constitue déjà un bon point de départ sur le plan légal. Les articles 19, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38 et 39 concernent, en effet, expressément l'abandon, l'abus, l'exploitation et d'autres formes de violence envers les enfants. Le droit à l'intégrité n'est pas directement prévu. On peut cependant le déduire de l'article 37 qui contient l'interdiction de soumettre les enfants à la « torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Afin d'éviter toutes les interprétations ou échappatoires possibles et donc protéger les enfants contre toutes les formes de violence, la Commission recommande d'inscrire expressément dans la Constitution le droit de chaque individu à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Si, en tant que société digne de ce nom, nous voulons effectivement prendre les enfants au sérieux (l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant ne devrait d'ailleurs en être qu'une expression incontournable), il convient de ne pas tolérer plus longtemps la violence envers les enfants.

La violence envers les enfants et le respect des enfants ne peuvent jamais aller de pair. Si une des caractéristiques d'une société souhaitant être qualifiée de civilisée est l'absence de violence envers les enfants, il n'y a pas la moindre raison de justifier la violence envers ces derniers.

Or, les enfants sont aujourd'hui, trop souvent, l'objet de violence sous toutes ses formes et non seulement sous ses formes les plus extrêmes. La violence envers les enfants n'est cependant pas toujours visible et elle n'est pas toujours perçue en tant que telle.

Bien que la violence envers les enfants soit un phénomène de toutes les époques, elle nous choque dans notre société « moderne » en raison de la conviction, profondément enracinée, que tout est fait aujourd'hui dans l'intérêt de l'enfant. La violence envers les enfants risque ainsi, dans la société que nous vivons, de devenir moins identifiable, moins discutable, moins perceptible ou même de devenir excusable (cf. la gifle pédagogique).

Les enfants ont en même temps besoin de clarté. La condamnation nécessaire et sévère par la société de la maltraitance d'enfant et de l'exploitation (sexuelle) des enfants ne sera entièrement comprise par les enfants eux-mêmes, que si nous condamnons toutes les formes de violence ou si, pour le dire d'une manière positive, nous favorisons également, à tout moment, des relations avec les enfants qui soient empreintes de respect.

Traiter les enfants avec respect doit être fondé sur un principe d'équivalence et non d'égalité : les enfants ne sont, en effet, pas des adultes; les adultes et les enfants sont cependant, les uns et les autres, des êtres humains.

Traiter les enfants avec respect peut également aider les enfants à traiter leurs compagnons d'âge avec respect et à comprendre pleinement que les adultes doivent être respectés. La socialisation sans violence des enfants peut constituer aujourd'hui une contribution précieuse à la société sans violence de demain.

Contre la violence sous toutes ses formes

Meurtre et assassinat d'enfant, exploitation sexuelle et également toutes les autres formes, parfois beaucoup moins spectaculaires, de maltraitance d'enfant sont clairement des expressions extrêmes de brutalités envers les enfants. Mais la violence apparaît parfois aussi dans la relation normale entre adultes et enfants. Curieusement, cette violence est parfois légitimée « pour le bien de l'enfant ». Les châtiments corporels, qui sont encore et toujours en vigueur ou tolérés dans certains pays, en constituent ici la forme la plus connue.

Cependant, la violence envers les enfants est également une donnée structurelle. Une société dans laquelle les citoyens sont de plus en plus considérés comme des objets crée une violence structurelle. Les gens perdent de plus en plus le droit à un travail à part entière; le droit à la sécurité sociale ou à la solidarité se voit démantelé; la fourniture de services (administratif, juridique, ...) glisse vers la bureaucratie. Notre société est, en outre, régie, de plus en plus, par et pour les adultes.

Les nombreux mineurs d'âge victimes d'accidents de la route montrent, par exemple, clairement que, lors de la planification des infrastructures routières, il est trop peu tenu compte des enfants qui doivent aussi se déplacer chaque jour.

Il ressort ainsi du dernier rapport annuel de l'Institut belge pour la sécurité routière qu'en 1995, dans notre pays, 1 342 enfants de 0 à 18 ans ont été tués ou gravement blessés sur la route, en tant qu'usagers de la route les plus faibles (piéton ou conducteur d'un vélo ou d'un vélomoteur). Ce chiffre représente 34 % du nombre total d'usagers faibles de la route qui ont été tués ou gravement blessés. Les jeunes de 0 à 18 ans ne représentent pourtant qu'un cinquième de la population totale. Pour 21 % des enfants de 0 à 14 ans qui ont été tués en Flandre en 1994, la cause en était un accident de la route. La Flandre s'en sort nettement moins bien que les pays voisins comme la Hollande, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne.

Même dans les institutions qui s'adressent exclusivement aux enfants (l'enseignement par exemple), il n'est pas toujours certain que les enfants soient pris comme référence. La violence structurelle peut s'exprimer, par exemple, par une pression trop forte ou une compétition excessive.

Les sanctions positives

Si le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle est inscrit dans la Constitution, des sanctions peuvent naturellement en découler à l'égard de ceux qui transgressent ce droit dans le cadre d'une relation structurelle ou d'une relation individuelle avec les enfants. Si le droit pénal ouvre déjà aujourd'hui un certain nombre de possibilités, il est cependant important de pouvoir aussi rendre responsables les autorités lorsque leur responsabilité peut être engagée dans la violation des droits des enfants.

La Commission recommande d'utiliser les sanctions positives, surtout dans les relations avec les enfants. Élever des enfants n'est en effet pas évident, ni aisé. Les enfants sont des êtres à part entière avec leurs propres qualités et défauts.

La législation pourrait encourager les individus adultes à avoir une relation non violente avec les enfants, par une éducation aux droits de l'homme, par exemple, ou un ensemble d'activités de formation concernant la possibilité d'une éducation sans violence, rendue attractive et accessible (notamment le congé d'éducation pendant le temps de travail, la compensation financière pour les chômeurs, etc.).

Les familles, et également les écoles, devraient être soutenues de manière permanente dans leur recherche d'alternatives à la violence. En même temps, on devrait s'attaquer à toute une série de facteurs (structurels) de stress (circonstances de travail, pression en vue du rendement, logement, ...) qui contribuent à favoriser le recours spontané à la violence.

Dans le cadre de son appel à des sanctions positives, la Commission souhaite également soutenir la proposition des enfants et des jeunes eux-mêmes qui consiste à attribuer chaque année, dans chaque commune, un prix à l'adulte ou à l'institution qui fut le plus méritoire dans le traitement sans violence des enfants.

Un large débat public

L'inscription dans la Constitution du droit de chaque individu à l'intégrité peut signifier une étape essentielle en vue d'un large débat public concernant la violence en général et la violence envers les enfants en particulier.

Les médias également peuvent jouer un rôle important.

Ils devraient être encouragés, en permanence, à approcher de manière aussi critique que possible la violence et l'exploitation. Il convient d'éviter au maximum des représentations humiliantes des personnes, en particulier des enfants et des femmes, ainsi que des relations interpersonnelles.

Par l'intermédiaire de différents programmes didactiques ou généraux, les médias peuvent stimuler et encourager positivement un comportement non violent. La Commission nationale souhaite attirer l'attention sur les dispositions de la Convention internationale sur les droits de l'enfant et rappeler les obligations qui en résultent. L'article 17 de la Convention stipule par exemple ce qui suit : « Les États parties reconnaissent l'importance de la fonction remplie par ces médias et veillent à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. »

La signification profonde de ce texte est l'apprentissage du respect des droits de l'homme et la préparation de l'enfant à « assumer les responsabilités de la vie, dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes » (cf. article 29, 1d), de la Convention).


ANNEXE 2


AVIS CONCERNANT LA RÉVISION DU TITRE II DE LA CONSTITUTION, EN VUE D'Y INSÉRER DES DISPOSITIONS NOUVELLES PERMETTANT D'ASSURER LA PROTECTION DES DROITS DE L'ENFANT À L'INTÉGRITÉ MORALE, PHYSIQUE, MENTALE ET SEXUELLE

I. INTRODUCTION

1. Le 16 juillet 1999, Mme de T' Serclaes a déposé une proposition visant à compléter l'article 23 de la Constitution par une disposition concernant le droit de chacun au respect de son intégrité physique, psychique et sexuelle (6).

Dans l'avis qui vous est soumis, j'essaierai de répondre à une série de questions qui ont été soulevées au cours de la discussion de la proposition précitée en commission des Affaires institutionnelles. Je donnerai d'abord un bref aperçu de l'actuelle protection juridique de l'enfant dans le contexte international global et dans la Constitution belge; j'examinerai ensuite la proposition de Mme de T' Serclaes et les amendements dont elle a fait l'objet, à la lumière notamment des possibilités qui sont offertes par l'actuelle déclaration de révision de la Constitution; enfin, j'aborderai brièvement la question de savoir à quel endroit de la Constitution il faudrait insérer la novuelle disposition.

II. PROTECTION JURIDIQUE GÉNÉRALE DES ENFANTS

A. Protection juridique générale en application des conventions générales relatives aux droits de l'homme

2. Les conventions relatives aux droits de l'homme sont applicables à toute personne. En principe, les enfants peuvent donc, eux aussi, s'en prévaloir. C'est ainsi que s'est développée une jurisprudence détaillée en ce qui concerne l'application de la Convention européenne de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux enfants. En son article 1er , la CEDH prévoit en effet expressément que « les hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés » définis dans la CEDH (7).

C'est principalement à propos de l'interdiction de soumettre une personne à la torture et à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, laquelle est prévue par l'article 3 de la CEDH, que des arrêts ont été prononcés. Dans l'affaire Tyrer/Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé, à propos d'une punition corporelle qu'un tribunal de l'île de Man avait infligée à un mineur d'âge, qu'elle constituait une atteinte à la dignité et à l'intégrité physique de la personne, et, dès lors, une peine dégradante au sens de l'article 3 de la CEDH (8). Dans l'affaire Campbell et Cosans/Royaume-Uni, dans laquelle une école privée écossaise avait menacé d'infliger une punition corporelle à deux élèves, la Cour a dû se prononcer sur la question de savoir s'il y avait eu violation de la CEDH. Elle a estimé que la menace en question ne pouvait pas constituer à elle seule une violation de l'article 3, mais qu'il y avait eu violation de l'article 2 du premier protocole à la CEDH, qui concerne le droit à l'instruction. Elle a jugé notamment que l'on avait méconnu le droit des parents à assurer à leurs enfants l'éducation et l'instruction qui correspondent à leurs propres convictions religieuses et philosophiques (9). Enfin, dans l'affaire A./Royaume-Uni, le Royaume-Uni a été condamné pour n'avoir pas offert suffisamment de protection à un mineur d'âge qui avait reçu régulièrement des coups de bâtons de son beau-père. La Cour a souligné que les États doivent prendre des mesures préventives pour mettre les enfants et les autres personnes vulnérables à l'abri de formes aussi grave d'atteinte à l'intégrité de la personne, même lorsque celles-ci sont le fait de personnes privées (10).

L'affaire X et Y/les Pays-Bas concernait la plainte d'une jeune fille handicapée mentale qui avait subi des abus sexuels dans l'institution où elle vivait. La Cour a examiné cette affaire sous l'angle, notamment, du droit au respect de la vie privée qui est garanti par l'article 8 de la CEDH. La Cour a, en effet, estimé que la notion de « vie privée » englobe les notions d'intégrité physique et d'intégrité morale de la personne. Elle a prononcé qu'en l'absence d'une réglementation pénale cohérente à l'égard de l'auteur d'un crime, les autorités néerlandaises avaient failli à leur obligation positive de préserver cette intégrité de manière concrète et effective (11).

Dans l'affaire Bouamar/Belgique, la Cour a condamné la Belgique pour violation de l'article 5, §§ 2 à 5, de la CEDH, parce qu'elle avait emprisonné un mineur d'âge neuf fois de suite, sur la base de l'article 53 de la loi sur la protection de la jeunesse. La Cour a relevé que l'internement n'enfreignait pas forcément l'article 5 de la CEDH, si l'emprisonnement débouchait à bref délai sur l'application effective d'un régime d'éducation surveillée dans un milieu spécialisé, ce qui n'avait pas été le cas en l'espèce (12).

Il y a toutefois lieu de noter à cet égard que, dans d'autres affaires, la Cour européenne n'a pas été aussi disposée à reconnaître certains droits aux mineurs. C'est ainsi que, dans l'affaire Nielsen/Danemark, la Cour a été invitée à répondre à la question de savoir si l'internement répété, dans une institution psychiatrique, d'un garçon mineur en bonne santé mentale, ne constituait pas une violation de l'article 5 de la CEDH par l'État. La Cour a jugé que non, étant donné qu'il n'était question que d'un différend purement privé entre le garçon et sa mère (13).

3. D'autres conventions relatives aux droits de l'homme sont en principe aussi applicables aux enfants.

L'article 2, § 1er , du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), prévoit que les États parties s'engagent à garantir les droits reconnus dans le pacte à tous les individus qui se trouvent sur leur territoire, « sans distinction aucune ».

Dans la même optique, l'article 2, § 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit que les États parties s'engagent à garantir l'exercice des droits énoncés dans le pacte « sans discrimination aucune ».

B. Protection juridique générale sur la base de la Constitution belge

4. Dans le système juridique belge, l'enfant peut, en principe, se prévaloir, outre des dispositions générales des conventions internationales, des droits fondamentaux définis au titre II de la Constitution.

L'effectivité de ces droits, qui sont protégés par la Constitution, est assurée, notamment grâce au contrôle, par la Cour d'Arbitrage, de la conformité des lois, des décrets et des ordonnances aux dispositions du titre II de la Constitution, par l'intermédiaire des articles 10, 11 (et 24) de la Constitution. La Cour d'arbitrage a déjà dû se prononcer souvent, surtout dans le cadre d'affaires de filiation, sur le sort d'enfants. Or, l'enfant est généralement l'objet, en l'espèce, d'un litige entre ses parents, si bien qu'il n'est pas toujours impliqué directement.

Dans d'autres cas, la Cour d'arbitrage a aussi déjà reconnu l'enfant comme étant un porteur actif de droits (fondamentaux). C'est ainsi qu'elle a estimé que l'enfant avait lui aussi droit au respect de sa vie privée, tel qu'il est garanti par l'article 22 de la Constitution (14).

III. PROTECTION JURIDIQUE SPÉCIFIQUE DES ENFANTS

A. Droits spécifiques de l'enfant dans le cadre des conventions générales relatives aux droits de l'homme

5. La CEDH comprend une série de dispositions qui concernent spécifiquement les mineurs. L'article 5, § 1er , d, CEDH, définit les cas dans lesquels un mineur peut être privé de sa liberté. L'article 6, § 1er , nuance le principe suivant lequel un jugement doit être rendu publiquement pour les cas où la publicité est contraire aux intérêts des mineurs.

6. En ce qui concerne le PIDCP, il y a lieu de mentionner principalement l'article 24. Cet article dispose de manière générale que tout enfant, sans discrimination, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l'État, aux mesures de protection qu'exige sa condition de mineur (§ 1er ); il précise que tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance, qu'il doit avoir un nom (§ 2) et qu'il a le droit d'acquérir une nationalité (§ 3). Le Comité des droits de l'homme, qui est chargé de contrôler le respect du PIDCP, a constaté des violations de l'article 24, § 1er , entre autres dans des affaires dans lesquelles des enfants ont été enlevés et l'État a manifestement omis de faire le nécessaire pour empêcher qu'ils le soient ou pour mener une enquête concernant les circonstances des enlèvements (15).

L'on peut attirer l'attention, en passant, sur les circonstances dans lesquelle l'article 24 a été inscrit, dans le PIDCP, par la voie d'un amendement. Initialement, certains États s'étaient opposés à ce qu'on y inscrive une disposition concernant spécifiquement les enfants parce qu'ils craignaient que des doutes surgissent au sujet de l'applicabilité aux mineurs des autres articles du pacte. Leurs craintes ont finalement pu être dissipées et il s'est avéré par la suite qu'elles étaient sans fondement (16).

Le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels fait référence aux mineurs dans son article 10, § 3, qui oblige les États membres à prendre des mesures spéciales de protection et d'assistance en faveur des enfants et des adolescents, notamment en ce qui concerne leur mise au travail. L'article 12, § 2, a) , du pacte, dispose que les États prennent des mesures pour réduire la mortinatalité et de la mortalité infantile et pour assurer le développement sain de l'enfant. Enfin, l'article 13 contient diverses dispositions relatives au droit à l'enseignement. Il prévoit notamment que l'enseignement primaire est obligatoire et gratuit pour tous et qu'il faut instaurer progressivement la gratuité de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur [§ 2, a) , b) et c) ]. Ces dispositions concernant le droit à l'enseignement ont déjà été appliquées dans le cadre de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage (17), de la Cour de cassation (18) et du Conseil d'État (19).

B. La Convention relative aux droits de l'enfant

7. La Convention relative aux droits de l'enfant (CDE) est la première convention de protection des droits de l'homme qui concerne les mineurs. Elle a été adoptée le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Elle est en fait la résultante de deux mouvements, à savoir celui de la protection des droits de l'enfant et celui de la protection des droits de l'homme. Elle a été ratifiée par la Belgique le 16 décembre 1991 et est entrée en vigueur en ce qui la concerne le 15 janvier 1992.

L'on attribue souvent trois particularités à la CDE.

La première réside dans son caractère universel : à l'exception des États-Unis et de la Somalie, tous les pays l'ont ratifié.

La deuxième réside dans son caractère extensif : elle reconnaît l'enfant, non seulement comme un individu à protéger, mais aussi comme un sujet de droit individuel à part entière. Cela signifie notamment que la CDE reconnaît à l'enfant des droits économiques, des droits sociaux et des droits culturels, comme le droit d'être protégé contre l'exploitation (article 32), le droit à l'éducation (articles 28 et 29), le droit aux soins de santé (article 24) et le droit à la sécurité sociale (article 26) ainsi que des droits civils et des droits politiques. Ainsi, lui reconnaît-elle notamment les droits suivants : le droit à la vie (article 6), le droit à un nom et à une nationalité (article 7), le droit de préserver son identité (article 8), le droit à la liberté d'opinion (article 12) et à la liberté d'expression (article 13), le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 14), le droit à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique (article 15), le droit au respect de sa vie privée, de sa famille, de son domicile et de sa correspondance (article 16), le droit d'accès à l'information (article 17), l'interdiction de soumettre un enfant à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 37, a ).

Des mesures particulières de protection de l'enfant s'imposent, notamment « contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle » (article 19), et « contre toutes autres formes d'exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être » (article 36).

La troisième réside dans son caractère contraignant, en ce sens qu'elle impose aux parties contractantes des obligations à propos desquelles elles devront rendre compte devant la communauté internationale. En vertu de l'article 44 CDE, les États doivent soumettre périodiquement des rapports au Comité des droits de l'enfant. À l'issue de l'examen de ces rapports, le Comité formule des observations finales dans lesquelles il attire l'attention sur les développements positifs et les points difficilement conciliables, voire inconciliables avec la CDE, et il adresse des suggestions et des recommandations à l'État concerné (20).

8. Les obligations auxquelles un État souscrit en adhérant à une Convention sont parfois de telle nature qu'elles ont pour pendant des droits dont les citoyens peuvent se prévaloir devant les autorités nationales et surtout devant le juge national. La question du respect des dispositions de la convention devient alors une question de droit interne. L'on n'a pas encore pu répondre clairement à la question de savoir si cela vaut en ce qui concerne la CDE ou, en d'autres termes, si la CDE a un effet aussi direct.

Bien que la littérature spécialisée soit assez partagée sur la question, il convient de faire remarquer que la littérature récente surtout semble pencher pour une réponse affirmative (21).

La jurisprudence a déjà reconnu à plusieurs reprises l'effet direct de la convention relative aux droits de l'enfant. L'on a, par exemple, déjà fait valoir devant la Cour de cassation qu'à l'occasion de l'octroi d'un droit de visite à une mère, le père n'avait pas eu la possibilité d'exposer son point de vue, ce qui serait contraire à l'article 9, § 2, de la CDE. La Cour de cassation a constaté que, comme le père avait fait opposition à la mesure en question, il n'y avait pas eu violation de la disposition précitée de la convention. Elle a reconnu ainsi implicitement l'effet direct de l'article 9, § 2, de la CDE (22). Dans un arrêt du 1er octobre 1997, la cour a apprécié l'obligation de vacciner les enfants contre la poliomyélite à la lumière, entre autres, de l'article 16 de la CDE, qui reconnaît à l'enfant le droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale. Elle a conclu qu'en l'espèce, il n'y avait pas d'atteinte arbitraire ou illégale à ce droit (23). Enfin, la cour a confronté une disposition du Code civil et son application par le juge du fond à l'article 21 de la CDE, qui prévoit qu'en cas d'adoption, l'intérêt de l'enfant doit être la considération primordiale (24).

La Cour d'arbitrage a également fondé plusieurs de ses arrêts sur la CDE. Dans deux affaires concernant le consentement indispensable de l'enfant ou de la mère pour ce qui est de l'établissement de la filiation paternelle (25) et dans une affaire d'adoption (26), l'on a invoqué expressément, entre autres, l'intérêt de l'enfant au sens de l'article 3, § 1er , et de l'article 21 de la CDE en confrontant la loi aux articles 10 et 11 de la Constitution. L'on a par ailleurs aussi interprété l'article 24 de la Constitution à la lumière des articles 28 et 29 de la CDE (27).

L'effet direct de la CDE (28) ressort aussi régulièrement des jugements et des arrêts de juridictions inférieures.

L'effet direct de la CDE n'est toutefois pas toujours admis. Le Conseil d'État a examiné principalement dans le cadre du contentieux à propos des étrangers si certaines dispositions de la CDE avaient ou non un effet direct. Il a denié, dans plusieurs arrêts, tout effet direct aux articles invoqués, tout en précisant qu'il ne considérait pas nécessairement pour autant que les autres dispositions de la CDE (29) n'en ont pas non plus. Il a néanmoins considéré dans certains arrêts que la CDE en tant que telle n'avait aucun effet direct (30).

C. Droits spécifiques de l'enfant dans la Constitution

9. La Constitution ne comporte actuellement qu'un seul article traitant de droits spécifiques des enfants. Il s'agit de l'article 24, qui règle en détail le droit à l'enseignement.

L'on peut se demander quelle serait la plus-value de l'insertion, dans la Constitution, d'un article spécifique concernant les droits de l'enfant, étant donné que ces droits font déjà l'objet de conventions internationales qui lient aussi la Belgique.

Elle serait surtout d'ordre politique en ce sens que le constituant soulignerait qu'il attache une importance particulière aux droits de l'enfant.

Elle serait aussi d'ordre juridique dans une mesure limitée. L'on considère, en effet, que les dispositions constitutionnelles ont en principe un effet direct dans l'ordre juridique interne. L'on a, dès lors (un peu) plus de garanties en invoquant des droits fondamentaux définis dans la Constitution qu'en invoquant des droits fondamentaux inscrits simplement dans une convention internationale telle que la CDE.

10. Il faut faire remarquer en l'espèce que la reconnaissance de droits se distingue de leur exercice. En d'autres termes, ce n'est pas parce que la Constitution reconnaît des droits de l'enfant que les enfants pourront dorénavant les exercer sans plus, notamment en justice.

La question de savoir dans quelle mesure les mineurs en général, et les enfants en particulier, peuvent exercer leurs droits dépend de la mesure dans laquelle la capacité juridique est accordée aux mineurs. Tant la législation que la jurisprudence sont déterminantes sur ce point. En principe, les mineurs sont incapables; cette règle connaît toutefois de nombreuses exceptions (31).

C'est ainsi que la Cour de cassation a décidé par exemple qu'il résultait de l'ensemble des lois sur la milice que le mineur jouissait en principe de la capacité civile en ce qui concerne ses obligations militaires, si bien qu'il pouvait, sans l'assistance ou la représentation de ses parents, introduire un pourvoi en cassation contre une décision du conseil de révision (32). À remarquer aussi, un arrêt du Conseil d'État par lequel celui-ci a décidé qu'un mineur pouvait interjeter appel chaque fois que le recours portait sur des droits liés à sa personne et que son âge permettait de présumer qu'il était à même de les exercer avec l'intelligence nécessaire; il a ainsi estimé qu'un jeune homme de 18 ans (à l'époque, encore mineur) pouvait contester une mesure disciplinaire qui avait une incidence sur son droit à l'instruction garanti par l'article 2 du premier protocole à la Convention européenne des droits de l'homme (33).

Cette dernière décision prouve du même coup que la reconnaissance d'un droit d'un mineur en tant que droit fondamental peut bel et bien être un élément dont le juge pourra tenir compte dans l'appréciation de la capacité de ce mineur à ester en justice.

IV. LA DÉCLARATION DE RÉVISION
DE LA CONSTITUTION D'AVRIL-MAI 1999

11. Pour une modification de la Constitution, il faut que la révision cadre avec la déclaration de révision adoptée par la préconstituante.

Il convient de tenir compte à cet égard des déclarations de révision qui ont été adoptées par les Chambres les 29 et 30 avril 1999 et sanctionnées par le Roi le 4 mai 1999 (23).

12. La déclaration la plus significative est celle qui concerne la révision « du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle ».

Il ressort de la manière dont cette déclaration est formulée qu'elle concerne (non pas les droits de chacun) mais simplement les droits de l'enfant et, qui plus est, qu'elle vaut uniquement pour ce qui est de son droit à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle.

Les travaux préparatoires à cette déclaration montrent que la préconstituante ne voulait pas d'une portée plus large. En effet, l'on a déposé des propositions et des amendements visant à l'insertion de dispositions relatives aux droits de l'enfant en général (c'est-à-dire dépassant les limites du droit à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle) (34), tant à la Chambre qu'au Sénat, mais ils ont été rejetés ou sont devenus caducs de par l'adoption du texte du gouvernement (35).

L'on a, en outre, déposé des propositions ou des amendements visant à la reconnaissance du droit de chacun (et non pas des seuls enfants) au respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle (36), tant à la Chambre qu'au Sénat, mais ils ont, eux aussi, tous été rejetés (37).

Il ressort donc du texte de la déclaration de révision et des travaux préparatoires que la possibilité qu'a la constituante de modifier la Constitution sur ce point est limitée. La préconstituante n'a pas voulu élargir cette possibilité.

13. On ne saurait objecter à cela qu'il y a aussi la déclaration selon laquelle il y a lieu de réviser « le titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Étant donné la référence explicite à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, cette déclaration n'offre aucune possibilité supplémentaire d'inscrire dans la Constitution des dispositions spécifiques concernant les droits de l'enfant : l'on ne trouve en effet aucune disposition de ce type dans ladite convention européenne, mais il y en a dans la Convention relative aux droits de l'enfant.

La déclaration invoquée n'ouvre pas non plus la possibilité d'insérer dans la Constitution une disposition concernant le droit de chacun au respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle. Ce droit constitue, il est vrai, un aspect du droit au respect de la vie privée, qui est garanti par l'article 8 de la convention européenne (38).

Comme ce droit plus étendu est déjà reconnu à l'article 22 de la Constitution, il est peu probable que ce soit à celui-ci que la préconstituante a pensé.

14. La marge de manoeuvre étroite dont dispose aujourd'hui le constituant est à déplorer.

Le droit qu'a l'enfant au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle n'est en effet qu'un des droits appartenant aux enfants selon le droit international.

L'on n'a donné aucune justification concernant la portée limitée de la déclaration de révision au cours des travaux préparatoires. Le gouvernement s'est borné à mentionner que la Conférence interministérielle pour la protection des droits de l'enfant a décidé de suivre les recommandations de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants (39).

Le rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants prône effectivement d'inscrire le droit à l'intégrité morale, physique, psychique et sexuelle dans la Constitution. Le fait que cette commission estime qu'il conviendrait de reconnaître que « chaque individu » a droit à l'intégrité (40) est d'ailleurs frappant. Si la commission nationale a parlé exclusivement du droit à l'intégrité, c'est sans aucun doute parce qu'elle a dû s'occuper non pas de la problématique globale des enfants, mais exclusivement de la question de l'exploitation sexuelle des enfants. En effet, la décision gouvernementale du 30 août 1996 prévoit que la commission nationale est investie d'une triple mission : apprendre à mieux connaître l'ampleur et l'importance du phénomène de l'exploitation sexuelle des enfants, évaluer la politique menée en Belgique à ce sujet et formuler des propositions concrètes face au constat établi (41).

Le constituant devra se demander si, dans les circonstances données, il ne serait pas opportun d'attendre la prochaine législature. Il convient, semble-t-il, eu égard au contexte juridique des droits de l'homme, de faire référence aux droits de l'enfant. L'on éviterait ainsi de donner à penser que la Constitution belge ne reconnaît aux enfants qu'une partie des droits qui leur sont reconnus au niveau international.

V. LA PROPOSITION DE RÉVISION
DE LA CONSTITUTION ET LES
AMENDEMENTS À CETTE PROPOSITION

15. La proposition de modification déposée par Mme de T'Serclaes et les amendements à cette proposition peuvent être examinés à présent en fonction de la plus-value qui résulterait de la reconnaissance des droits de l'enfant dans la Constitution, d'une part, et des possibilités limitées qu'offre la déclaration de révision de la Constitution, d'autre part.

16. La proposition de Mme de T'Serclaes tend à insérer dans la Constitution une disposition prévoyant que « chacun » a le droit au respect de son intégrité physique, psychique et sexuelle (42).

La disposition proposée a un champ d'application qui dépasse le cas des enfants. Telle qu'elle est rédigée, la proposition semble outrepasser les limites de la déclaration de révision.

17. L'amendement nº 1 de Mmes Nyssens, Willame et de Bethune tend à insérer dans la Constitution un article selon lequel « chacun » a le droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle (alinéa 1er ) et « chaque enfant » doit être protégé contre toutes les formes de violence (alinéa 2) (43).

La première disposition ne s'écarte pas fondamentalement de la proposition de Mme de T'Serclaes et se heurte à la même objection.

La deuxième disposition s'inscrit dans les limites de la déclaration de révision. Elle obligerait les autorités à prendre des mesures positives pour protéger les enfants contre la violence, y compris ­ et peut-être surtout ­ celle d'autres personnes privées. Une telle disposition constitutionnelle peut, en soi, apporter une certaine plus-value. Il faut toutefois se demander si l'on ne pourrait pas imaginer une définition plus positive des droits de l'enfant. Il est assez inhabituel de suggérer d'entrée de jeu dans une disposition qui reconnaît des droits fondamentaux, que ces droits ne seront pas respectés (« formes de violence ») (44).

18. L'amendement nº 2 de Mme de T'Serclaes tend à insérer un article prévoyant que « chaque enfant » a le droit au respect (45) de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle (alinéa 1er ). Il prévoit en outre que la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit (alinéa 2).

L'alinéa 1er correspond parfaitement à la déclaration de révision. Il épuise en outre entièrement la possibilité qui est offerte par la déclaration de révision.

L'alinéa 2 s'inspire manifestement de l'article 22 de la Constitution. Il met l'accent sur l'obligation « positive » qu'ont les autorités, c'est-à-dire l'obligation de prendre des mesures positives (46). Il souligne en outre que chaque autorité est habilitée, dans le cadre de sa sphère de compétences, à prendre de telles mesures (47).

Or, l'obligation pour l'autorité de protéger le droit à l'intégrité découle déjà de l'alinéa 1er , dans lequel il est question du « droit au respect ».

En effet, le droit au respect d'un droit au sens large n'entraîne pas simplement un devoir d'abstention de l'autorité (obligation négative). Il emporte aussi, sous certaines conditions, une obligation de prendre des mesures positives, dont des mesures de protection (obligation positive) (48). En outre, le fait que la protection du droit à l'intégrité incombe à chaque autorité, qui doit l'assurer dans les limites de sa sphère de compétences, découle du fait que les droits fondamentaux ne constituent pas une matière en soi au sens des règles de répartition des compétences entre l'autorité fédérale, les communautés et les régions : « C'est à chaque autorité qu'il appartient d'assurer le respect (des droits et libertés fondamentaux) en les concrétisant lorsqu'elle exerce les compétences qui sont les siennes (49). »

On peut se demander dès lors si l'on ne pourrait pas se contenter d'insérer l'alinéa 1er .

VI. LA PLACE DE LA NOUVELLE DISPOSITION DANS LA CONSTITUTION

19. En supposant que l'on adopte un texte consacrant, par essence, le droit de l'enfant à la protection de son intégrité, il faudrait encore déterminer l'endroit de la Constitution où il trouverait la meilleure place.

Comme le droit à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle est un aspect particulier du droit au respect de la vie privée, il semble indiqué d'insérer la nouvelle disposition directement après celle qui concerne le dernier droit cité, et d'en faire un article 22bis .

Il ne semble pas opportun d'insérer la nouvelle disposition à l'article 23 ou dans un article 23bis . Le droit à l'intégrité est en effet totalement indépendant des droits économiques, sociaux et culturels, qui sont visés à l'article 23.

VII. CONCLUSION

20. Il serait utile d'insérer une disposition relative au droit des enfants dans la Constitution. Le législateur montrerait ainsi que, dans l'ordre juridique intérieur aussi, les droits de l'enfant sont considérés comme fondamentaux ­ ou d'ordre supérieur. Certes, il existe déjà toute une panoplie de normes internationales. L'on ne peut toutefois pas répondre catégoriquement à la question de savoir si ces normes ont un effet direct en droit interne; l'avantage d'une reconnaissance constitutionnelle des droits de l'enfant serait en tout cas de couper court à toute discussion sur l'effet direct de la disposition constitutionnelle en question.

Les droits de l'enfant s'inscrivent dans un très vaste domaine. Le droit à l'intégrité, si important soit-il, n'est qu'un des droits fondamentaux pour les enfants, selon la réglementation internationale. La déclaration de révision de la Constitution ne permet cependant pas, dans l'état actuel des choses, d'insérer dans la Constitution une disposition portant sur l'ensemble de ces droits. Voilà peut-être une des raisons pour lesquelles on doit exclure pour l'instant une telle révision.

Au cas où l'on opterait malgré tout pour une révision, il conviendrait d'adopter un texte qui soit le plus proche possible de la déclaration de révision de la Constitution. Le libellé de la déclaration a l'avantage d'être concis. Il n'est pas nécessaire d'expliciter le texte, par exemple en faisant référence à la notion de protection contre la violence ou à l'obligation positive des pouvoirs publics.

Paul LEMMENS.

Professeur extraordinaire à la KU Leuven

Arne VANDAELE.

Groupe de recherche Droits de l'homme concernant les enfants, collaborateur scientifique à la KU Leuven


ANNEXE 3


NOTE DES SERVICES DU SÉNAT

1. Sous quelle forme faut-il privilégier l'inscription des droits de l'enfant dans la Constitution ?

­ un article 22bis nouveau

­ ou un article 23bis nouveau ?

a) L'article 22 de la Constitution dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale.

Le droit au respect de la vie privée vise à garantir à l'individu un domaine dans lequel il peut épanouir librement sa personnalité (50). Lato sensu , et la Cour de cassation s'est déjà prononcée dans ce sens (51), le droit à la vie privée englobe également le droit à l'intégrité physique, psychique et morale de l'individu.

b) L'article 22 a d'ailleurs le même contenu et doit être interprété de la même manière que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (52). D'après la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 8 implique également le droit à l'intégrité physique et morale de la personne (53).

c) Il ressort de ces constatations qu'un lien très étroit existe entre le droit à la vie privée et le droit à la protection de l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. Il semble dès lors logique d'inscrire dans la Constitution le droit (des enfants ou de tout individu) à la protection de l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle sous la forme d'un article 22bis nouveau. Peut-être pourrait-on même envisager d'inscrire ce droit à l'actuel article 22.

Le lien avec l'article 22 paraît en tout cas plus étroit que le lien avec l'article 23 de la Constitution. Ce dernier concerne principalement les droits économiques, sociaux et culturels. Les droits fondamentaux socio-économiques sont les droits de tout individu à un épanouissement personnel et social complet. Le droit à la protection de l'intégrité, par contre, porte plutôt sur la création d'une zone préservée dans laquelle un individu est protégé contre une atteinte indésirable à sa spécificité physique ou morale.

Cependant, le premier alinéa de l'article 23 pourrait préfigurer le droit à l'intégrité. Cette disposition accorde à chacun le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Il s'agit toutefois là d'une formulation très générale et vague qui, prise à la lettre, peut s'apparenter à tout droit fondamental.

2. Le droit à l'intégrité peut-il être octroyé à tout un chacun ?

I. Contexte

La déclaration de révision de la Constitution habilite la constituante notamment à réviser le titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle.

La proposition nº 2-21/1 de Mme de T'Serclaes se fonde sur cette partie spécifique de la déclaration de révision. Le texte de la proposition nº 2-21/1 est libellé comme suit :

« Chacun a le droit au respect de son intégrité physique, psychique et sexuelle. »

L'amendement nº 1 de Mmes Nyssens, Willame-Boonen et de Bethune opte pour une autre formulation :

« Chacun a le droit à la protection de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. »

L'amendement nº 2 de Mme de T'Serclaes et consorts remplace le texte proposé par un texte plus proche de l'énoncé de la déclaration de révision :

« Chaque enfant a le droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. »

En commission, la question s'est posée de savoir si le constituant peut accorder le droit à l'intégrité à chacun ou uniquement aux enfants. Le constituant outrepasse-t-il la compétence que la préconstituante lui a octroyée en reconnaissant à chacun le droit à l'intégrité ?

II. La théorie

1. En vertu de l'article 195, quatrième alinéa, de la Constitution, les Chambres législatives statuent, d'un commun accord avec le Roi, « sur les points soumis à la révision ».

La compétence du constituant est donc limitée par la déclaration de révision. Si le constituant révise des dispositions qui ne figurent pas dans la déclaration de révision, il outrepasse son pouvoir.

Ce n'est que s'il existe des doutes sérieux et objectifs sur la portée effective de la déclaration de révision que le constituant peut interpréter la déclaration et, par exemple, choisir l'interprétation qui lui accorde la compétence la plus large (54).

2. Lorsque la préconstituante inscrit un article déterminé dans la déclaration de révision, ce n'est pas tant cet article qui est soumis à révision que l'objet de cet article, ou, en d'autres termes, la matière que règle cet article (55).

Parfois, la préconstituante habilite la constituante à régler un objet nouveau, qui n'était pas réglé antérieurement par la Constitution. L'autorisation d'insérer dans celle-ci une disposition (un article, un alinéa, une phrase) doit s'accompagner d'une directive qui indique quelle matière peut être réglée par cette disposition nouvelle. La constituante est liée par l'objet qui est inscrit dans la déclaration de révision au moyen de la directive (56).

De telles directives ne peuvent toutefois pas être détaillées au point d'orienter dans une mesure significative le contenu de la révision (57). La préconstituante ne peut donner que des directives générales, de sorte que la constituante garde une marge suffisante pour élaborer le contenu de la disposition constitutionnelle nouvelle (58).

III. Concrètement

1. La préconstituante a déclaré le titre II de la Constitution soumis à révision, notamment en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. L'autorisation d'insérer des dispositions nouvelles va donc de pair avec une directive. Le constituant est lié par l'objet qui a été fixé par la directive.

Quel est, en l'espèce, l'objet de la disposition à insérer ? La nouvelle disposition doit assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. On peut difficilement prétendre qu'il existe des doutes sérieux et justifiés objectivement sur la portée effective de cette partie de la déclaration de révision. En effet, le droit belge attribue à la notion d'« enfant » une signification assez univoque : le mineur est l'individu de l'un et l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis (article 388 du Code civil). Cette disposition est confirmée à l'article 1er de la Convention relative aux droits de l'enfant. Pour application de la convention, « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». S'il peut déjà exister une contestation quant à l'étendue précise de la déclaration de révision, cela ne paraît en tout cas pas pouvoir justifier que le constituant étende la notion d'« enfant » à « tout individu ».

2. La déclaration de révision permet toutefois aussi de réviser le titre II de la Constitution :

« en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Cette partie de la déclaration de révision offre-t-elle une base suffisante à l'insertion, dans la Constitution, d'une disposition qui assure la protection des droits de tout individu à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle ?

Avant tout, il faut remarquer que le texte de la déclaration de révision ne fait pas apparaître clairement s'il s'agit des droits et libertés tels qu'ils sont énumérés par la Déclaration européenne des droits de l'homme ou des droits et libertés tels qu'ils sont interprétés par la Commission et la Cour européenne des droits de l'homme. En d'autres termes, cette partie de la déclaration de révision est-elle simplement une autorisation d'inscrire littéralement dans la Constitution les formulations de la convention ou le constituant dispose-t-il du pouvoir beaucoup plus large d'insérer dans la Constitution des dispositions qui doivent assurer la protection des droits et libertés tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence ?

Les travaux préparatoires de la déclaration de révision nous apprennent uniquement que par Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il y a lieu d'entendre également les protocoles additionnels (59). Pour le reste, ils comportent un renvoi à la déclaration de révision du 12 avril 1995, dans laquelle figurait également cet élément.

Lors des travaux préparatoires de la déclaration de révision de 1995, en commission de Révision de la Constitution, des Réformes institutionnelles et du Règlement des conflits de la Chambre, on avait posé la question de savoir « dans quelle mesure il est nécessaire d'insérer de telles dispositions dans la Constitution ». Le premier ministre avait répondu que, certes, la convention européenne est directement applicable en Belgique, mais qu'il paraît souhaitable « de veiller au parallélisme des textes » (60). Il semble qu'il faille déduire de cette déclaration que la préconstituante visait uniquement à une transcription littérale des dispositions de la convention et des protocoles additionnels.

Les travaux préparatoires d'une déclaration de révision ne lient toutefois pas le constituant. Ils peuvent tout au plus constituer une source d'inspiration. Le constituant n'est tenu que par le texte de la déclaration de révision, et non par les intentions de la préconstituante qui n'ont pas été exprimées dans ce texte, même si ces intentions ressortent clairement des travaux préparatoires de la déclaration de révision (61).

3. La Déclaration européenne des droits de l'homme et les protocoles additionnels ne mentionnent pas explicitement la protection des droits à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle. Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme a développé une jurisprudence en vertu de laquelle (certains de) ces droits ont été intégrés dans le champ d'application de la convention.

L'article 3 de la CEDH est libellé comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Ce droit s'applique à tout un chacun.

Par leur interprétation dynamique de ce droit, la Commission et la Cour des droits de l'homme en ont considérablement élargi le champ d'application. Dans l'arrêt Tomasi du 27 août 1992 (nº A-241-A), la Cour a déclaré que, dans le cadre de la convention, l'intégrité physique de la personne faisait l'objet d'une garantie absolue (62).

L'article 8, premier alinéa, de la CEDH dispose :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »

La notion de vie privée comprend également l'intégrité physique et morale de la personne (63).

Le droit au respect de la vie privée oblige en outre l'État à prendre des mesures pour protéger l'intégrité sexuelle (64).

Partant de la déclaration de révision qui permet de réviser le titre II de la Constitution en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il est donc possible d'insérer dans la Constitution une disposition nouvelle assurant la protection des droits de chaque personne à l'intégrité physique et morale, dans la mesure où l'on admet que la préconstituante habilite le constituant à insérer les droits et libertés, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence.

Conclusion

1. Sur la base de l'élément de la déclaration de révision qui habilite le constituant à réviser le titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle, le constituant n'est sans doute pas compétent pour insérer dans la Constitution une disposition assurant la protection des droits de toute personne à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle.

2. Sur la base de l'élément de la déclaration de révision qui habilite le constituant à réviser le titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le constituant est compétent pour insérer dans la Constitution une disposition assurant la protection des droits de toute personne à l'intégrité physique et morale, dans la mesure où l'on admet que la préconstituante habilite le constituant à insérer les droits et libertés énumérés dans la convention et ses protocoles additionnels, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence.


(1) Ann., Sénat , 19 novembre 1999, 2-14.

(2) Doc., Chambre , 1997-1998, nº 1456/1.

(3) « Les enfants nous interpellent... » , Rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants, 23 octobre 1997, p. 11-14. Voir l'annexe 1.

(4) M. Vandaele effectue des recherches dans le cadre du réseau de recherche « Pôles d'attraction interuniversitaires ». Quatre unités de recherche collaborent à ce réseau, deux de l'Université de Gand (« Centrum voor de rechten van het kind » sous la direction du professeur E. Verhellen d'une part et l'unité de droit public sous la direction du professeur J. Vande Lanotte d'autre part), une de l'Université de Louvain-la-Neuve (unité de criminologie sous la direction du professeur H. Bosly) et une de l'Université de Louvain (« Instituut voor constitutioneel recht » sous la direction du professeur A. Alen). Depuis 1997, le réseau examine, dans le cadre de diverses disciplines et unités de recherche, la mise en oeuvre des droits de l'enfant et le contrôle de celle-ci. M. Vandaele est chargé en particulier d'examiner le caractère obligatoire de la Convention relative aux droits de l'enfant dans l'ordre juridique belge.

(5) Conseil de l'Europe, Troisième conférence européenne sur le droit de la famille, Cadix, 1995. Rapport M.T. Meulders-Klein, IIe Partie, « Les filiations par procréation médicalement assistée », p. 53-64, Conf./FA (1995)1.

(6) Doc. Sénat, SE 1999, nº 2-21/1.

(7) Voir M. Buquicchio-De Boer, « Children and the European Convention on Human Rights. A survey of Case-Law of the European Commission and Court of Human Rights », in F. Matscher et H. Petzold (eds.), Protecting Human Rights : The European Dimension , Keulen, Carl Heymanns, 1988, p. (73), 73.

(8) Cour européenne DH, 25 avril 1978, Tyrer, Publ. Cour , Série A, nº 26.

(9) Cour européenne DH, 25 février 1982, Campbell et Cosans, Publ. Cour , Série A, nº 48.

(10) Cour européenne, DH, 23 septembre 1998, A c. Royaume-Uni, Rec. , 1998-VI, p. 2692.

(11) Cour eur. D.H., 26 mars 1985, X et Y/Pays-Bas, Publ. Cour, Série A, nº 91.

(12) Cour eur. D.H., 29 février 1988, Bouamar, Publ. Cour, Série A, nº 129.

(13) Il n'est pas exclu que, dans l'affaire A./Royaume-Uni, précitée, la Cour soit revenue sur cette conception plutôt restrictive de la responsabilité de l'État.

(14) Cour d'arbitrage, 12 juillet 1996, nº 47/96, Jaarboek Mensenrechten 1996-1997, p. 353, note Ph. Vansteenkiste.

(15) Comité DH, 3 avril 1995, Monaco et Vicario/Argentine; Comité DH, 25 mars 1996, Laureano/Peru.

(16) G. Van Bueren, The International Law on the Rights of the Child , Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1995, 21.

(17) Cour d'arbitrage, 7 mai 1992, nº 33/92.

(18) Cass., 20 décembre 1990, Arr. Cass. , 1990-1991, p. 445, nº 215.

(19) Voir par exemple, Conseil d'État, 6 septembre 1989; M'Feddal, nº 32.989 et Elbahja, nº 32.990, avec le rapport et les avis de l'auditeur général adjoint M. Dumont, A.P.T. , 1989, pp. 276 et 282; Rev. trim. , DH, 1990, 184, note M. Leroy.

(20) Le premier rapport de la Belgique a donné lieu à des observations finales du Comité qui ont été adoptées le 9 juin 1995, doc. CRC/C/15/Add. 38. Le deuxième rapport, qui a été déposé en 1999, n'a pas encore été examiné par le Comité.

(21) Pour une réponse négative, voir E. Krings, « La mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant en droit interne » dans M.T. Meulders-Klein (ed.), La Convention sur les droits de l'enfant en Belgique, Bruxelles, Story-Scientia, 1992, (71) 86; V. Pouleau, « Propos sur l'applicabilité (directe ?) de la convention des droits de l'enfant dans l'ordre juridique interne belge ». Rev. Trim. Dr. Fam. , 1991, 495-511; J. Verhoeven, « La mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Observations en droits des gens », dans M.T. Meulders-Klein, o.c. (62), 67. Pour une réponse affirmative, voir A. Alen et W. Pas, « De directe werking van het VN-Verdrag inzake de rechten van het kind », dans E. Verhellen e.a. (red.), Kinderrechtengids : Commentaren, regelgeving, rechtspraak en nuttige informatie over de maatschappelijke en juridische positie van het kind, Gand, Mys et Breesch, feuillets volants, partie 1-1.1, nºs 25-26; E. Verhellen, Verdrag inzake de rechten van het kind, Louvain, Garant, 1997, troisième édition, 104-108.

(22) Cass., 11 mars 1994, Arr. Cass. , 1994 p. 253, nº 117, note J. du Jardin.

(23) Cass. 1er octobre 1997, Arr. Cass., 1997 , p. 876, nº 378, et JLMB. , 1998, 796 note C. Meunier.

(24) Cass., 4 novembre 1993, Arr. Cass. , 1993, p. 919, nº 445.

(25) Cour d'arbitrage, 14 juillet 1994, nº 62/94, JLMB , 1995, 164, note D. Pire; Cour d'arbitrage, 6 juin 1996, nº 36/96, JT , 1996-1997, note F. Aps; JMLB , 1996, 1684, note D. Pire.

(26) Cour d'arbitrage, 20 mai 1998, nº 50/98.

(27) Cour d'arbitrage, 22 avril 1998, nº 48/98; Cour d'arbitrage, 4 novembre 1998, nº 110/98, JT , 1998/1999, 1242, note.

(28) Pour un aperçu, voir A. Vandaele, « De directe werking van het VN-Verdrag inzake de rechten van het kind : een stand van zaken », dans E. Verhellen e.a. (red), Kinderrechtengids , o.c. Partie 1-1.1, 1998, pp. 8-46.

(29) Voir, entre autres, Conseil d'État, 24 janvier 1996, D., nº 57.793 (articles 6, 27, § 1er , et 28); Conseil d'État, 7 février 1996, B. et P., nº 58.032 (articles 2, § 1er , 3, § 1er , 6, § 2, 20 et 22); Conseil d'État, 15 février 1996, B. Ch. S., nº 58.166 (articles 4, 11, 22, 38 et 39); Conseil d'État, 11 juin 1996, O.O., nº 60.097 (articles 1, 3, 5, 9, 10 22 et 38).

(30) Voir, entre autres, Conseil d'État, 1er avril 1996, D.O., nº 60.010; Conseil d'État, 20 mars 1997, E.N., nº 65.348, Conseil d'État, 21 octobre 1998, M.K., nº 76.553.

(31) Voir, en général, notamment T. Moreau, « L'autonomie du mineur en justice », in P. Jadoul et J. Sambon (eds.), L'autonomie du mineur , Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1998, p. 161-214; I. Vervoort, « De procespositie van minderjarigen : onbekwaam dus (on)beschermd ? », Jura Falc. , 1999-2000, pp. 31-77.

(32) Cass., 23 juillet 1987, Arr. Cass. , 1986-1987, p. 1495, nº 662. Voir également la jurisprudence du Conseil d'État, notamment Conseil d'État, 28 janvier 1953, Carrette, nº 2 144.

(33) Conseil d'État, 22 février 1989, Van Eynde et Cellier, nº 32 054, J.L.M.B. , 1989, note Chr. Panier; J.T. , 1989, p. 677, note F. Rigaux.

(34) À la Chambre : proposition de déclaration de M. Bourgeois et consorts (« en vue d'y insérer un article relatif aux droits de l'enfant »), doc. Chambre, 1998-1999, nº 1932/1; amendement nº 26 de M. Dewael (« en vue d'y insérer des dispositions nouvelles assurant la protection des droits et libertés garantis par la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant »), doc. Chambre, 1998-1999, nº 2150/2, p. 6. Au Sénat : proposition de déclaration de Mme de Bethune et consorts (« en vue d'y insérer des dispositions assurant la protection des droits de l'enfant »), doc. Sénat, 1996-1997, nº 1-496/1; proposition de déclaration de M. Loones et consorts (« en vue d'y insérer un article relatif aux droits de l'enfant »), doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1238/1; proposition de déclaration de M. Boutmans et consorts (« en vue d'y insérer une disposition nouvelle garantissant la protection des droits de l'enfant »), doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1299/1.

(35) Rapport De Clerck, doc. Chambre, 1998-1999, nº 2150/3, p. 19; rapport Nothomb, doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1374/2, p. 13.

(36) À la Chambre : amendement nº 1 de MM. Lozie, Deleuze et Tavernier (« droit au respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle »), doc. Chambre, nº 2150/2, 98/99, p. 1. Au Sénat : proposition de déclaration de M. Boutmans et consorts (« droit au respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle »), doc. Sénat, nº 1299/1, 98/99; amendement nº 1 de MM. Boutmans et Daras, doc. Sénat, nº 1-1374/4, 98/99, p. 1 (même formulation). Au cours de l'examen en séance publique, M. Boutmans a souligné que le droit au respect de l'intégrité physique, psychique et sexuelle ne valait, aux termes du projet du gouvernement, que pour les mineurs, alors que ce droit devait être garanti aussi aux majeurs (Annales, Sénat, 28 avril 1999, p. 7736).

(37) Rapport De Clerck, o.c., p. 18; Annales, Chambre, 29 avril 1999, p. 12089; rapport Nothomb, o.c., pp. 12-13; Annales, Sénat, 30 avril 1999, p. 7850.

(38) Cour européenne des droits de l'homme, 26 mars 1985, X et Y/Pays-Bas, Publ. Cour. , Série A, nº 91, p. 11, § 2, discutée supra , nº 2. Voir également Cour européenne des droits de l'homme, 22 octobre 1996, Stubbings, Rec. , 1996-IV, (1487), p. 1505, § 61.

(39) Projet de déclaration de révision de la Constitution, doc. Chambre, nº 2150/1, 98/99, p. 2, et doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1374/1, p. 2.

(40) Les enfants nous interpellent... , Rapport final de la Commission nationale contre l'exploitation sexuelle des enfants, Bruxelles, 1997, p. 11.

(41) Rapport final précité, p. 1.

(42) Doc. Sénat, SE, nº 2-21/1, 1999.

(43) Doc. Sénat, SE, nº 2-21/2, 1999.

(44) On fera la comparaison avec l'article 19, § 1er , CDE, dans lequel il est également question de mesures contre toute forme de violence mais où ladite disposition n'est qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste.

(45) Dans le texte néerlandais de cette disposition, l'on utilise le mot « bescherming », alors qu'il y a lieu d'utiliser le terme « eerbiediging » pour traduire la notion de « respect ».

(46) En ce qui concerne l'article 22 de la Constitution, voir le rapport Goovaerts, doc. Sénat, SE, nº 100-4/5º, 1991-1992, pp. 2, 3, 6 et 8; exposé de M. Vandenberghe, Annales, Sénat, 23 décembre 1993, p. 673; rapport Van der Maelen, doc. Chambre, nº 1278-2, 93/94, pp. 3 et 4.

(47) En ce qui concerne l'article 22 de la Constitution, voir aussi le rapport Goovaerts, précité, pp. 5 et 7; rapport Van der Maelen, précité, pp. 4-5.

(48) Voir notamment Cour européenne D.H., 13 juin 1979, Marckx, Publ. Cour , Série A, nº 31, p. 15, § 31; Cour européenne D.H., 9 octobre 1979, Airey, o.c. , nº 32, p. 17, § 32.

(49) Cour d'arbitrage, 25 novembre 1999, nº 124/99, considérant B.4.4.

(50) A. Alen, Handboek van Belgisch Staatsrecht, Kluwer, Deurne, 1995, p. 580.

(51) Cass., 7 mars 1975, Pas., 1975, I, 692, note E.K.

(52) W. Pas, B. Seutin, J. Theunis, G. Van Haegendoren en J. Van Nieuwenhoven, De Grondwet , Die Keure, Bruges, 1998, p. 42.

(53) Cour européenne des droits de l'homme, 25 novembre 1994, Costello-Roberts c. Royaume-Uni, A 247-C, § 36.

(54) J. Van Nieuwenhove, « De herziening en de coördinatie van de Grondwet », in M. Van der Hulst et L. Veny, Parlementair recht. Commentaar en teksten, Mys en Breesch, 1998, A.2.5.1.1., p. 46.

(55) Ibidem, p. 47.

(56) A. Alen, « Voornaamste procedurale problemen », TBP ., 1979, p. 286; J. Velu, Droit public, I, Le statut des gouvernants , Bruylant, Bruxelles, 1986, p. 174 : « En tant que la déclaration de révision envisage l'insertion de dispositions nouvelles relatives à tel objet, le pouvoir constituant est limité par cet objet. »

(57) F. Delperee, Droit constitutionnel, I, Les données constitutionnelles, Bruxelles, Larcier, 1980, 97-98.

(58) J. Van Nieuwenhove, l.c., p. 54.

(59) Doc., Senat, nº 1-1374/1, 1998-1999, p. 2.

(60) Doc., Chambre, nº 1740/4, 1994-1995, p. 14.

(61) J. Van Nieuwenhove, l.c., p. 52-53, avec références à J. Velu, o.c., p. 168, en J. Masquelin, « Etapes et procédure de la récente révision de la Constitution », Ann. Dr. Sc. Pol., 1972, 91-118.

(62) F. Sudre, « Article 3 », in L.-E. Petiti, E. Decaux en P.-H. Imbert (eds.), La Convention européenne des droits de l'homme, Economica, Paris, 1994.

(63) CEDH, 25 novembre 1994, Costello-Roberts c. Royaume-Uni, A 247-C, § 36. La Cour a jugé que le « traitement incriminé n'a pas nui à l'intégrité physique ou morale du requérant au point de relever de l'interdiction de l'article 8. »

(64) CEDH, X et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, A 91.