2-10/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1999

14 JUILLET 1999


Proposition de loi relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable (1)

(Déposée par M. Philippe Mahoux et Mme Myriam Vanlerberghe)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi a été précédemment déposée à la fin de la législature passée.

Ses auteurs relevaient que « différentes réponses liées aux problèmes de la fin de la vie existent, qui ne sont pas exclusives les unes des autres ».

Ils soulignaient l'importance des soins palliatifs, mais aussi « qu'il existe des souffrances et des situations qu'aucun traitement ne peut prendre en charge ».

Ils rappelaient également que des euthanasies étaient pratiquées, ensuite de demandes de patients qui ne voulaient pas être maintenus en vie contre leur volonté, parce qu'ils ne supportaient plus la dégradation de leur état.

Le Sénat avait, avant le dépôt de la proposition, donné suite à une demande de débattre de la question en organisant, les 9 et 10 décembre 1997, un colloque consacré à l'euthanasie ou à l'acte intentionnel par lequel une personne autre que l'intéressé met fin aux jours de ce dernier à sa demande.

Les débats ont été organisés autour de l'avis remis par le Comité national consultatif de bioéthique sur l'opportunité d'une réglementation légale de l'euthanasie.

Les débats ont clairement mis en évidence plusieurs aspects de la situation que nous connaissons aujourd'hui.

D'abord l'ambiguïté de la loi actuelle : certains ont en effet affirmé que l'interdit légal devait non seulement être maintenu, mais que rien aujourd'hui ne pouvait justifier sa transgression; d'autres, au contraire, ont souligné qu'un état de nécessité était une justification nécessaire mais suffisante qui permettait au médecin d'échapper aux poursuites ou en tout cas à une condamnation.

À supposer que la deuxième interprétation prévale, ce qui n'était pas certain pour tous les intervenants, les conditions qui permettent de déterminer l'existence d'un état de nécessité demeuraient soit floues, soit contradictoires dans le chef des uns ou des autres.

Les débats ont également mis en évidence les problèmes posés par la pratique.

De nombreuses euthanasies sont aujourd'hui pratiquées, souvent dans de très bonnes conditions, mais en contradiction avec la loi pénale ou les interprétations que l'on peut faire de celle-ci.

Mais il est aussi apparu que des médecins refusent des demandes, par hypothèse légitimes, par crainte de la loi.

D'autres médecins, pour ne pas donner de publicité à leur intervention, pratiquent des euthanasies à la sauvette, dans de mauvaises conditions : le dialogue avec le patient n'est pas approfondi, une prise en charge palliative ne lui est pas proposée, ... . Certains ont affirmé, mais sans que cela soit vérifié, que des euthanasies auraient été pratiquées sur des patients conscients qui n'avaient pas donné leur accord, à la demande de la famille ou de membres de l'équipe soignante.

Il est apparu aux auteurs de la proposition que l'on ne pouvait à la fois maintenir l'interdiction pénale de l'euthanasie, et tolérer une situation qui n'est pas à tous égards satisfaisante.

La présente proposition veut prendre en compte ce problème, et d'abord en clarifiant la portée de la loi pénale : le médecin qui pratiquerait une euthanasie en respectant une série de conditions serait légalement justifié.

Mais la proposition veut aussi, en sortant l'euthanasie de la semi-clandestinité, favoriser au maximum la transparence et le dialogue entre toutes les personnes concernées.

Le colloque du Sénat a montré, à cet égard, un des aspects positifs de la situation hollandaise. Le dialogue approfondi entre le patient et le médecin, à propos de la demande d'euthanasie, conduit souvent à une prise en charge palliative pleinement acceptée par le patient. Souvent, disent certains médecins hollandais, les patients sont rassurés de savoir que nous sommes prêts, s'ils le demandent et dans des conditions fixées ensemble, à pratiquer une euthanasie; cela leur donne le courage de continuer à vivre...

La proposition se penche par ailleurs sur une question qui n'a pas été abordée lors des débats au Sénat : elle a trait à la situation du patient inconscient.

Il semble en effet qu'un grand nombre d'arrêts actifs de la vie soient pratiqués sur des patients inconscients en phase terminale : ces patients n'ont plus, en général, que quelque temps à vivre, dans des conditions particulièrement douloureuses. Mais certains dénoncent, là aussi, des abus, parce que l'intervention se ferait sans la connaissance des convictions et de la volonté du patient. Il semble à cet égard opportun d'organiser un système de déclaration qui permette à chacun, s'il le désire, de s'exprimer anticipativement sur le type de prise en charge, de traitement ou d'intervention qu'il souhaite.

La situation du patient conscient et celle du patient qui a fait une déclaration anticipée font aujourd'hui l'objet d'un consensus large, qui fait penser aux auteurs de la proposition qu'elles peuvent être réglées par la loi.

Il est par contre des situations que les auteurs de la proposition ne souhaitent pas régler dans l'immédiat : celle des patients incapables juridiquement (mineurs d'âge, personnes souffrant de troubles mentaux, ...), et dont la souffrance physique ne peut être apaisée, ainsi que celle des patients inconscients qui n'ont pas fait de déclaration anticipée.

Ces situations sont évidemment problématiques. La réflexion éthique doit en tout cas se poursuivre pour déterminer ce qui pourrait fonder l'intervention du médecin confronté à une demande d'euthanasie qui émane d'une personne juridiquement incapable, ou d'une demande d'arrêt actif de la vie d'une personne inconsciente, qui émanerait de tiers.

Mais il faut évidemment affirmer les principes qui doivent encadrer cette réflexion éthique : rien par exemple ne pourrait justifier une euthanasie pratiquée sur un incapable pour des raisons liées à son incapacité. Une telle intervention serait intolérable, et devrait être condamnée.


Quelles sont les conditions que fixe la présente proposition ?

1. Pour ce qui est du patient conscient et capable :

Nous pensons que le dialogue entre le patient et le médecin doit être au coeur du traitement de la demande d'euthanasie, et que la responsabilité de l'un et de l'autre ne peuvent être amoindries par des interventions de tiers qui pourraient porter un jugement décisif sur une question qui ne les concerne, au mieux, qu'indirectement.

Mais ce dialogue doit évidemment être garanti et approfondi, et organisé autour de l'information la plus large possible donnée au patient à propos de son état de santé et des possibilités de prise en charge palliative existantes.

Quoi qu'il en soit du colloque singulier, dès lors que le patient le souhaite, le médecin doit évidemment consulter d'autres personnes : celles qui sont désignées par le patient. Nous pensons notamment aux proches et aux membres de l'équipe soignante.

Mais il est évident que le médecin doit aussi constater certaines conditions objectives avant d'intervenir.

La maladie qui est à l'origine de la souffrance du patient et de sa demande d'euthanasie doit être incurable, à défaut de quoi la demande n'aurait évidemment pas de fondement acceptable. Il est d'ailleurs exigé que le médecin consulte un confrère quant au caractère incurable de l'affection.

Mais, c'est essentiel, le patient doit être atteint par une souffrance physique ou être dans un état de détresse que rien ne peut apaiser. En vérité, c'est précisément la souffrance ou la détresse durable et inapaisable du patient qui sera au coeur de son dialogue avec le médecin. Celui-ci devra manifestement constater que rien de ce qu'il propose au patient n'est à même d'apaiser celui-ci.

2. Pour ce qui est du patient incapable de manifester sa volonté :

Par ailleurs, la proposition organise un système de déclaration anticipée qui permet à chacun d'indiquer ses préférences pour telle ou telle prise en charge. La déclaration permettrait notamment à toute personne consciente et capable de demander qu'un médecin interrompe volontairement sa vie s'il est incapable de manifester sa volonté, atteint d'une affection incurable, et qu'il n'existe aucun moyen de le ramener à un état conscient.

La déclaration, faite en présence de deux témoins, désignera un mandataire qui se substituera au patient dans la relation avec le médecin. Le mandataire ne peut être le médecin traitant du patient lui-même. Cette déclaration de volonté vaut aussi longtemps qu'elle n'est pas révoquée oralement ou par écrit.

Pour faciliter la manifestation de la volonté du patient la proposition tend à instituer un système d'enregistrement et de communication de l'information similaire à celui qui existe en matière de prélèvement d'organes.


La proposition règle d'autre part les conséquences du décès, notamment en ce qui concerne la communication des circonstances de la mort aux autorités, et en ce qui concerne les contrats d'assurance, et particulièrement d'assurance « vie » qu'aurait pu souscrire le patient.

La proposition précise également que nul n'est obligé de collaborer à une demande d'euthanasie. Mais le médecin qui le refuse doit évidemment informer les personnes concernées de son refus et des raisons de celui-ci : elles peuvent être d'ordre éthique, ou tout simplement liées à la situation du patient.

Enfin, pour que toutes les démarches entreprises puissent, si nécessaire, faire l'objet d'un contrôle, il est exigé du médecin qu'il les consigne au jour le jour dans un dossier médical ouvert au nom du patient.


Les auteurs de la proposition pensent qu'une loi déterminant les conditions de l'euthanasie permettra des pratiques plus homogènes et plus responsables. La loi garantira mieux la relation de confiance entre le médecin et le malade ou ses autres interlocuteurs. Elle permettra de régler avec plus de cohérence les pratiques et mettra fin au refus de pratiquer des euthanasies demandées, fondé uniquement sur l'état actuel du droit.

Cet effort de cohérence et de clarté est souhaitable dans une société démocratique.

Mais au moment où les auteurs de la proposition demandent de prolonger par une loi le débat éthique qui s'est ouvert au Sénat, ils tiennent à faire rappeler deux idées essentielles, qui doivent encadrer toute discussion sur la question.

L'euthanasie n'est concevable que dans une société qui à la fois respecte l'autonomie des individus, et s'organise pour protéger de la même manière la vie de chaque individu, quelle que soit sa condition économique, sociale, son âge, son état de santé. Le refus de soigner pour des raisons économiques, entre autres, doit être d'autant plus combattu que l'euthanasie ou l'acte intentionnel posé à la demande volontaire et persévérante de l'intéressé devient possible.

Il est clair enfin que la loi ne réglera pas tous les cas de conscience, toutes les situations de fin de la vie. Même si elle apportera à la pratique médicale une sécurité juridique nouvelle, elle laissera toujours le médecin face à son magistère, face à une responsabilité qui sera difficile à cerner.

Philippe MAHOUX.
Myriam VANLERBERGHE.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

CHAPITRE Ier

La prise en charge palliative

Art. 2

Le médecin qui traite une personne pour laquelle aucun traitement curatif n'est envisageable, ou une personne qui refuse la poursuite d'un traitement curatif, doit envisager avec son patient et avec les personnes que celui-ci désigne, les différentes possibilités de prise en charge palliative existantes.

L'ensemble des démarches du médecin et leur résultat sont consignés au jour le jour dans le dossier médical ouvert au nom du patient.

CHAPITRE II

La requête du patient ou de son mandataire

Art. 3

Lorsqu'un patient majeur ou mineur émancipé, capable et conscient, demande que sa vie soit volontairement interrompue, un médecin peut, en conscience, accepter de donner suite à cette requête si le patient fait état d'une souffrance ou d'une détresse constante et insupportable, qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique incurable, et que le médicin ne peut apaiser.

Le médecin est, en outre, préalablement tenu :

1º d'informer complètement le patient de tous les aspects de son état de santé, ainsi que des différentes possibilités de prise en charge palliative existantes et de leurs conséquences;

2º de consulter un autre médecin quant au caractère incurable de l'affection, en précisant les raisons de la consultation;

3º de s'assurer, au cours de plusieurs entretiens, de la souffrance ou de la détresse du patient et de sa volonté persistante.

À la demande du patient, le médecin est également tenu de s'entretenir de la requête avec les proches du patient, ainsi qu'avec les membres de l'équipe soignante avec laquelle le patient est en contact régulier.

Lorsque le patient a déclaré anticipativement, par écrit et conformément à l'article 4, sa volonté qu'un médecin interrompe sa vie s'il est inconscient et atteint d'une affection accidentelle ou pathologique incurable, et qu'il se trouve dans cette situation, le mandataire désigné dans la déclaration exerce les droits du patient.

La requête du patient ou celle de son mandataire, ainsi que l'ensemble des démarches du médecin et leur résultat, sont consignés au jour le jour dans le dossier médical du patient.

CHAPITRE III

La déclaration anticipée

Art. 4

Tout majeur ou mineur émancipé, capable, peut, pour le cas où il ne pourrait plus manifester sa volonté, déclarer par écrit ses préférences ou ses objections pour certains types de prise en charge médicale.

Il peut également déclarer sa volonté qu'un médecin interrompe volontairement sa vie s'il est inconscient, atteint d'une affection accidentelle ou pathologique incurable et qu'il n'existe aucun moyen de le ramener à un état conscient.

La déclaration désigne le mandataire qui sera garant de la volonté du déclarant. Le médecin traitant du patient ne peut être désigné comme mandataire.

La déclaration peut être faite à tout moment. Elle doit, à peine de nullité, être constatée par écrit, dressée en présence de deux témoins majeurs, dont l'un ne pourra avoir aucun lien de parenté avec le patient, datée et signée par le déclarant et par les témoins.

La déclaration constate éventuellement l'incapacité de signer du déclarant et les raisons de celles-ci. Si l'incapacité est temporaire, la déclaration doit être confirmée par la signature du déclarant dès que celui-ci aura la capacité de signer.

La déclaration peut être révoquée par tout moyen et à tout moment.

Le Roi détermine les modalités relatives à la présentation, à la conservation et à la communication de la déclaration aux médecins concernés, via les services du registre national.

CHAPITRE IV

Procédure

Art. 5

Le médecin qui a interrompu la vie d'un patient est tenu de le déclarer sans délai à l'officier de l'état civil du lieu du décès du patient, ainsi qu'au procureur du Roi.

La déclaration comporte :

1º les prénoms, nom, domicile, lieu et date de naissance du patient;

2º la mention de l'affection dont souffrait le patient;

3º la procédure suivie par le médecin;

4º les prénoms et nom de toutes les personnes consultées par le médecin, ainsi que la date de ces consultations;

5º la date et l'heure du décès.

À la demande du procureur du Roi, le médecin communique à celui-ci les éléments du dossier médical du patient relatif à l'interruption de vie.

Le Roi détermine les modalités relatives à la présentation de la déclaration du médecin visée par le présent article.

CHAPITRE V

Dispositions particulières

Art. 6

Aucun praticien de l'art de guérir, ni aucune autre personne quelconque, n'est tenu de concourir à l'application des articles 3 et 4, alinéa 2.

Le médecin sollicité est tenu d'informer ceux qui requièrent son intervention des raisons de son refus. Lorsque celles-ci sont d'ordre médical, elles sont consignées dans le dossier médical ouvert au nom du patient.

Le médecin qui refuse de donner suite à une requête est tenu, à la demande du patient ou de son mandataire, de communiquer le dossier médical du patient au médecin désigné par ce dernier ou par le mandataire.

Art. 7

La personne décédée à la suite de l'application de la présente loi est réputée décédée de mort naturelle pour ce qui concerne l'exécution des contrats auxquels elle était partie, en particulier les contrats d'assurance.

Art. 8

L'application des articles 3 et 4, alinéa 2, est suspendue lorsque la patiente est en état de grossesse et porteuse d'un enfant viable.

CHAPITRE VI

Dispositions modificatives

Art. 9

Il est inséré dans le livre II, titre VIII, chapitre Ier , section 4, du Code pénal, un article 417bis , rédigé comme suit :

« Art. 417bis. ­ Il n'y a ni crime ni délit lorsque les faits visés aux articles 393 à 397 ont été commis par un médecin, et commandés par la nécessité de mettre fin à l'état de détresse ou à la souffrance physique d'un patient incurable, pour autant que le médecin ait respecté les conditions et procédures énoncées dans la loi du ... relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable. »

Art. 10

L'article 77 du Code civil est complété par un alinéa 2, rédigé comme suit :

« En cas de décès survenu à l'intervention d'un médecin, conformément aux dispositions de la loi du ... relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable, l'autorisation d'inhumer est soumise à l'accord préalable du procureur du Roi. Faute d'accord, il est procédé conformément aux articles 81 et 82. »

Art. 11

L'article 79 du même Code est complété par un alinéa 3, rédigé comme suit :

« En cas de décès survenu à l'intervention d'un médecin, conformément aux dispositions de la loi du ... relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable, l'acte énonce la cause du décès. La déclaration du médecin est conservée dans un registre spécial. »

Philippe MAHOUX.
Myriam VANLERBERGHE.

(1) La présente proposition de loi a déjà été déposée au Sénat le 2 février 1999, sous le numéro 1-1261/1-1998/1999.