1-512/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 1996-1997

20 DÉCEMBRE 1996


Proposition de loi insérant un article 171bis dans le Code civil relatif aux mariages blancs

(Déposée par Mme Lizin)


DÉVELOPPEMENTS


Les échevins de l'état civil constatent qu'ils sont de plus en plus fréquemment appelés à célébrer des mariages dont le réel objet est pour l'un des conjoints, étranger, de bénéficier des effets de cette institution sur l'acquisition de la nationalité, la naturalisation, l'accès au territoire, le séjour et l'établissement des étrangers.

Cette situation est préoccupante parce que :

­ l'organisation des mariages simulés est souvent le fait de filières organisant la traite des êtres humains;

­ le conjoint belge, issu la plupart du temps d'un milieu défavorisé, mesure souvent mal toutes les implications de son acte (coût de la procédure en cas de remariage, naissance d'un enfant).

Or, les échevins de l'état civil ont l'obligation de célébrer tous les mariages dès lors qu'ils possèdent les actes de naissance des conjoints et qu'aucun des cas d'opposition prévus par la loi n'est constaté.

Le mariage simulé n'est, en effet, interdit ni par le Code civil, ni par le Code pénal. La jurisprudence admet, cependant, qu'un mariage est nul s'il y a absence ou vice de consentement ou exception d'ordre public.

Malgré cela, il arrive que les officiers de l'état civil refusent de publier les bans, se fondant sur une circulaire (Moniteur belge du 7 juillet 1994) qui les incite, lorsqu'un ensemble de circonstances sont réunies, à refuser de célébrer les mariages « simulés ».

L'application des directives énoncées dans la circulaire demeure délicate dans la pratique car cette faculté n'est pas transcrite dans une loi. Il ont de plus l'obligation de célébrer un mariage tant que le doute subsiste. En outre, les parquets s'opposent rarement à la célébration d'un mariage.

L'objectif de cette proposition est de lutter contre les mariages conclus en vue de bénéficier des effets liés au mariage sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement ou la nationalité des étrangers, tout en préservant le droit aux mariages mixtes.

Les dispositions réglementaires sur lesquelles il est possible d'agir sont les suivantes :

­ dispositions visant à limiter les catégories de personnes à qui l'on reconnaît le droit au mariage;

­ dispositions qui n'affectent pas le droit au mariage, mais limitent l'obligation de célébration de celui-ci dans le chef des officiers de l'état civil;

­ dispositions qui modifient les effets du mariage sur l'établissement, le séjour, le maintien ou l'éloignement du conjoint;

­ dispositions relatives aux causes et procédures d'annulation du mariage présumé « de complaisance »;

­ dispositions visant à ériger en infraction pénale certains comportements aboutissant à des mariages blancs.

Les auteurs ont choisi la seconde option, parce qu'elle ne restreint ni le droit au mariage, ni ses effets sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement ou l'acquisition de la nationalité.

Les auteurs constatent en outre qu'il est préférable d'agir en amont du mariage car les procédures d'annulation s'avèrent difficilement praticables.

Par ailleurs, les auteurs insistent sur la nécessité de mener une politique préventive en la matière. Les officiers de l'état civil peuvent, lorsqu'ils ont un doute sur le caractère d'une union, informer le conjoint belge de l'ensemble des effets que peut avoir un mariage blanc et une « obligation de cohabitation » sur son statut (en cas de chômage, d'attribution d'une aide sociale, de naissance d'un enfant, de volonté de remariage, etc.).

La proposition inscrite dans le Code civil est destinée à limiter l'obligation de célébration des officiers de l'état civil.

Ainsi l'officier pourra refuser de publier les bans ou de célébrer le mariage s'il existe des présomptions graves et concordantes qu'il s'agit d'un mariage blanc.

Cette présomption peut notamment se baser sur la combinaison des indices suivants, qui sont repris dans la circulaire susmentionnée :

­ les parties éprouvent des difficultés de dialoguer, elles ont recours à un interprète;

­ une des parties cohabite maritalement avec quelqu'un d'autre de manière durable;

­ les parties ne connaissent pas leur nom ou nationalité réciproques;

­ une somme d'argent est promise pour contracter le mariage;

­ une des deux parties se livre notoirement à la prostitution.

Les échevins peuvent en outre s'appuyer sur les déclarations qu'ils ont recueillies ou sur des examens effectués par les services de police.

Si l'échevin de l'état civil acquiert la conviction qu'au moins une des deux parties envisage de conclure un mariage blanc, il peut refuser d'accomplir les formalités préalables du mariage ou de célébrer le mariage. Dans ce cas, il doit immédiatement transmettre le dossier au parquet, que les bans aient été publiés ou non.

Ce dernier dispose alors de trois mois pour s'opposer au mariage selon les formes de la procédure d'opposition.

Il ne s'agit pas ici tout à fait de l'opposition telle qu'elle est prévue au chapitre III, titre V, du Code civil, puisque cette dernière requiert la publication préalable des bans, alors qu'en cas de mariage simulé, l'information est directement transmise de l'officier de l'état civil au parquet.

Pour mettre en oeuvre son acte d'opposition au mariage blanc, le ministère public se conforme néanmoins aux articles 176, 177 et 178 du chapitre III du titre V du Code civil quant à la procédure et au recours possible.

Passé le délai de trois mois, si le parquet n'y a pas fait opposition, l'officier de l'état civil doit célébrer le mariage. Le bénéfice du doute doit profiter aux futurs époux.

La procédure décrite ci-dessus n'empêche pas une action en nullité ultérieure.

Les auteurs n'envisagent pas de sanctions pénales particulières pour les mariages blancs, puisque la loi du 15 décembre 1980 (art. 77 et 79) prévoit déjà les infractions et sanctions pénales applicables en cas d'espèce, visant à la fois l'étranger, le conjoint belge qui l'aiderait « sciemment ». Il n'a pas paru opportun aux auteurs de faire du mariage une circonstance aggravante de ces incriminations.

Anne-Marie LIZIN.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est inséré dans le titre V du livre Ier du Code civil un chapitre IIbis et un article 171bis libellés comme suit :

« Chapitre IIbis . ­ Du refus de célébrer le mariage ou d'accomplir les formalités préalables à celui-ci.

Art. 171bis. ­ L'officier de l'état civil peut refuser de célébrer le mariage ou d'accomplir les formalités préalables à celui-ci, lorsqu'il existe des présomptions graves et concordantes que l'union est contractée dans le but principal de bénéficier ou de faire bénéficier des effets liés au mariage avec un conjoint de nationalité belge ou ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, en ce qui concerne l'acquisition de la nationalité ou le titre de séjour.

Les présomptions de l'officier de l'état civil peuvent s'appuyer notamment sur les constatations suivantes :

1º les candidats au mariage éprouvent des difficultés à dialoguer et ont recours à un interprète;

2º l'un des candidats au mariage cohabite maritalement avec un tiers de manière durable;

3º les candidats au mariage ne connaissent pas le nom ou la nationalité de leur futur époux;

4º une somme d'argent a été promise à l'un des candidats au mariage pour contracter celui-ci;

5º l'un des candidats au mariage se livre notoirement à la prostitution.

L'officier de l'état civil avise immédiatement le ministère public de son refus en indiquant les éléments sur lesquels il s'appuie.

Le ministère public dispose d'un délai de trois mois pour former opposition au mariage, conformément aux articles 176, alinéa 1er , 177 et 178, s'il constate fondé le refus de l'officier de l'état civil.

À défaut d'opposition dans le délai prescrit, l'officier de l'état civil célèbre le mariage. »

Anne-Marie LIZIN.