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Sénat de Belgique

SESSION DE 1995-1996

28 FÉVRIER 1996


Audition de M. J. Attali sur les conclusions de son rapport aux Nations Unies concernant la problématique du plutonium et les risques de prolifération


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR MME LIZIN


I. EXPOSÉ DE M. J. ATTALI

Si le secrétaire général des Nations Unies a demandé à l'orateur d'établir un rapport sur ce sujet, c'est à la suite des travaux qu'il avait effectués avec la B.E.R.D. pour tirer les sonnettes d'alarme concernant la situation de Tchernobyl. En effet, on pouvait constater l'absence totale à l'époque, et malheureusement encore aujourd'hui, d'action internationale réelle sur Tchernobyl et on prenait conscience du désordre qui commençait à s'installer en Russie, non seulement en matière de centrales nucléaires, mais aussi dans l'appareil militaire et parmi les experts russes.

Lorsqu'on lui a demandé cette étude, M. Attali ne s'attendait pas à trouver également dans la réflexion sur les dangers de la prolifération, tous les problèmes que pose la politique nucléaire de l'ensemble des grands pays.

Introduction

Au départ, M. Attali comptait se concentrer sur la situation en ex-U.R.S.S., mais il a naturellement été amené à aller dans tous les pays concernés par cette problématique, c'est-à-dire, aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Inde, au Pakistan, en Israël, en France, etc.

De plus, il a rencontré toutes les agences concernées comme celles de Vienne et de Bruxelles.

Il a rapidement compris que cette question ne pouvait être traitée qu'à condition de la replacer dans le contexte plus général de la politique énergétique, dans la mesure où les problèmes de trafic et de prolifération du plutonium posent des problèmes si gigantesques et de si gros dangers potentiels qu'ils pourraient remettre en question l'existence et l'usage du nucléaire.

M. Attali rappelle quelle est la situation actuelle. Nous sommes dans une très forte croissance de la demande énergétique de la planète et nous entrons dans une période assez inquiétante étant donné que les prix du pétrole sont en baisse assez rapide. Ils sont déjà inférieurs aux prix pratiqués après le premier choc pétrolier et la part de l'O.P.E.P. en matière pétrolière est actuellement supérieure à ce qu'elle a jamais été dans l'histoire, tant en termes de production qu'en termes de réserves connues. Cette situation recrée les conditions d'une dépendance du type de celle de 1973. C'est un argument utilisé par les partisans de l'énergie nucléaire pour affirmer que la diversification est importante, et c'est un fait qu'il ne faut jamais l'oublier.

Il ne s'agit pas ici de dire si on est pour ou contre l'utilisation de l'énergie nucléaire.

Il est clair que toute la problématique du trafic et de la prolifération nucléaire va tourner autour de la question de la gestion des déchets nucléaires. Mais il faut avoir conscience que nous ne sommes pas dans un univers où nous avons le choix entre avoir des déchets nucléaires ou ne pas en avoir du tout. Le choix se pose entre les déchets nucléaires et d'autres déchets.

Aujourd'hui les déchets nucléaires posent d'immenses problèmes, mais, par rapport aux autres, ils présentent l'avantage d'être visibles.

Les déchets des autres sources d'énergies ne sont pas stockés sur le sol, mais d'une manière invisible, dans le ciel, dans la couche d'ozone. Le réchauffement climatique, qui semble actuellement admis par les pires sceptiques, est une conséquence de l'usage des sources d'énergie non nucléaires, essentiellement le charbon, le pétrole et le gaz (en particulier, le gaspillage énorme du gaz russe). Il faudra donc toujours peser les risques immenses que posent les problèmes du nucléaire par rapport aux certitudes de l'absence de solutions, à ce jour, du stockage des déchets extraordinairement nocifs du charbon, du pétrole et du gaz, ailleurs que dans la couche d'ozone.

Ces préalables formulés, M. Attali expose les conclusions auxquelles il était parvenu.

Conclusions du rapport

Tout d'abord, le trafic nucléaire n'est devenu sérieux qu'après la chute du mur de Berlin.

Ce trafic se mesure dans trois domaines :

­ le trafic d'experts;

­ le trafic de technologies;

­ le trafic de matières.

D'autre part, il faut noter que le trafic est inséparable de la prolifération. On ne peut comprendre la dynamique de l'une sans étudier l'autre.

En matière de prolifération, les choses sont assez claires. En dehors des cinq pays nucléaires officiels, il y en a trois non officiels, mais quasiment avoués : l'Inde, Israël et le Pakistan. Même si certains grands experts pensent que ces pays affichent plus d'armes qu'ils n'en ont en réalité, ou qu'ils n'en ont même pas du tout. Ils revendiquent implicitement une centaine d'armes chacun.

Il faut noter également qu'en matière de prolifération on a assisté dans les dernières années au fait que certains pays proliférants ont renoncé à l'arme nucléaire : l'Argentine, le Brésil et l'Afrique du Sud. Ceci en corrélation avec l'apparition de la démocratie dans ces pays, la pression occidentale ayant joué un rôle majeur dans cette décision.

En outre, les technologies militaires et les technologies civiles fusionnent de plus en plus. Actuellement, la tendance de l'industrie mondiale de l'armement n'est plus de réaliser une informatique ou des technilogies spécifiquement militaires.

Les coûts en sont trop importants et on utilise donc les technologies civiles pour le militaire. Par conséquent, en matière de technologie, les armes sont de plus en plus extrêmement difficiles à détecter. Il ne faut plus dire qu'un pays approche de l'arme nucléaire, il faut parler en termes d'années ou de mois pour déterminer le temps qui sépare la décision d'un pays de faire l'arme et le moment où celle-ci est disponible.

Par exemple, si par pure hypothèse la Belgique décidait de se doter de l'arme nucléaire, avec les moyens dont elle dispose, et en comptant très large, il lui faudrait moins de deux ans. Pour la Belgique, la Suisse, l'Espagne ou d'autres pays, il s'agit d'un cas d'école mais pas pour l'Iran ou le Japon. Pour M. Attali, le Japon a actuellement toute sa stratégie nucléaire civile tournée vers la constitution de l'arme nucléaire, sans jamais le dire. D'après ce qu'il a pu constater et ce que disent les experts, ce pays pourrait l'avoir en moins de quatre mois. C'est également le cas du Canada, de la Corée et de l'Iran, qui chercheront à être indétectables.

Une autre forme de prolifération doit aussi être présente à l'esprit, c'est celle des armes quasi-nucléaires. À ce propos l'orateur cite quelques chiffres. Pour faire une arme nucléaire il faut officiellement 25 kg d'U.H.E. (uranium hautement enrichi) et 8 kg de plutonium. En réalité, tous les experts reconnaissent aujourd'hui que 4 kg de plutonium suffisent. De plus, ce qui suit est capital. En effet, non seulement 4 kg de plutonium militaire suffisent, mais 4 à 5 kg de plutonium civil suffisent.

Naturellement, ni la France, ni les États-Unis ne feront des armes nucléaires avec du plutonium civil. Ce n'est pas facile, mais les États-Unis ont démontré, à titre expérimental, que c'était possible. Il faut donc reconnaître que, si un pays se dotait d'une arme nucléaire avec du plutonium civil, politiquement l'effet dissuasif serait le même.

Il est important de noter qu'il existe une deuxième catégorie d'armes, appelée dans le langage militaire l'arme radiologique, mais qui peut s'appeler radioactive. Elle consiste simplement à ajouter à une charge classique du plutonium ou de l'U.H.E.

Pour en donner un exemple, supposons qu'une fusée chimique de 2 500 à 3 000 km de portée soit vendue à un pays du Maghreb et que ce dernier y place 500 kg de T.N.T. et 500 g de plutonium. Si une telle fusée menace une ville, au Nord, personne ne fera la différence entre cette menace et celle d'une arme nucléaire. D'autant plus que les débats entre experts sur l'effet d'une telle arme sont extrêmement contradictoires. Selon certains d'entre eux, si on faisait exploser 500 g de plutonium à Bruxelles, il faudrait évacuer la ville pendant trois semaines avant de pouvoir y vivre normalement. Selon d'autres, il faudrait un délai de trois semaines avant de pouvoir revenir en ville, mais dans des conditions de protection extrêmes.

Si, en plus, on y ajoute 500 kg de T.N.T., pour pouvoir revenir dans cette ville dans des conditions de radioactivité sévères, telles que celles des usines nucléaires elles-mêmes, il faudrait entre 50 et 100 ans. On pourrait y vivre avant, mais dans des conditions dangereuses. C'est dire qu'il s'agit donc d'une arme déjà très dissuasive.

Ces chiffres sont importants à retenir pour la suite, par rapport au danger que représente le plutonium.

Actuellement il ne semble pas que ce genre d'arme soit l'objet d'une demande réelle. Mais il est clair que l'Irak en disposait et aurait pu en utiliser lors de la guerre du Golfe. Si elle ne l'a pas fait, c'est vraisemblablement parce qu'Israël avait l'arme nucléaire et l'aurait très certainement utilisée.

Cette arme est donc susceptible de se développer dans des pays difficiles, mais peut-être aussi dans des pays considérant que l'arme nucléaire n'est pas à leur portée et que cette arme radioactive est nécessaire comme instrument de dissuasion (cf. un pouvoir islamique dans les pays du Maghreb ou le triangle Pakistan-Inde-Bengladesh, dont les deux premiers ont l'arme nucléaire ou le Vietnam par rapport à la Chine).

D'autres pays s'orientent plutôt clairement vers l'arme nucléaire. Ce sont la Corée du Nord et l'Iran.

Dans cette problématique, où en sommes-nous aujourd'hui, en matière de contrôle de toute cette production de plutonium ?

Avant d'en arriver plus en détails aux problèmes que posent le MOX et l'usage du nucléaire civil, M. Attali rappelle qu'en 1944, il n'y avait pas de plutonium sur la planète, sauf à l'état de traces. Aujourd'hui, d'après lui, il y a quelque 1 300 tonnes de plutonium. Il faut cependant noter qu'un peu plus de la moitié ne sont pas accessibles puisqu'ils se trouvent dans des déchets non retraités.

Ce plutonium existe sous deux formes :

­ militaire : 112 tonnes aux U.S.A.; 125 tonnes en ex-U.R.S.S.; 6 tonnes en France; 4 tonnes en Chine; 11 tonnes en Grande-Bretagne.

­ civile : dans les combustibles irradiés (quelque 100 000 tonnes).

L'ordre de grandeur simple est qu'ils contiennent 1 p.c. de plutonium et 3 p.c. de déchets hautement radioactifs, le reste est de l'uranium, qui n'est pas lui-même utilisable directement. Cela fait environ 6 300 tonnes de plutonium disponible. Ce chiffre va augmenter extrêmement vite, puisque les déchets produits par nos nombreuses centrales ne cessent de croître. Il est prévu que les 100 000 tonnes de combustible irradié, retraité ou non retraité, vont passer à 240 000 tonnes en 2005. Les stocks de plutonium augmentent d'environ 140 à 150 tonnes par an.

Le plutonium provient soit de la production militaire, actuellement pratiquement implicitement arrêtée partout dans le monde, soit du retraitement des déchets.

Le retraitement est loin d'être général. En effet, il a été abandonné, presque avant d'avoir été essayé, par les États-Unis. Il a été développé en ex-U.R.S.S. et surtout en France. On y considère le retraitement comme la solution à l'égard de l'usage des déchets.

Personne n'a aujourd'hui de solution définitive dans la gestion des déchets, quels qu'ils soient.

Un des pères de l'industrie nucléaire française disait récemment qu'en 1950, on pensait que la solution des déchets était pour dans dix ans, et aujourd'hui on pense qu'elle est pour dans cinquante ans.

Chaque pays a une stratégie différente de gestion de ses déchets, sachant que personne n'a de solution définitive. Il est très important de bien comprendre la stratégie américaine qui, dès avant le Président Carter, avait commencé à tout arrêter. Les États-Unis considéraient le retraitement comme trop dangereux. Il isole le plutonium. Et le plutonium, même civil, ce sont des armes. Il faut donc stocker le plutonium en attendant de trouver une solution. Ils ont même fait quelque chose d'extraordinaire pour un gouvernement de cette idéologie, qui est de nationaliser les déchets. La décision a été prise il y a huit ans et prendra ses effets dans deux ans. Entre-temps, pendant vingt ans, les gestionnaires du secteur privé ont pu gérer tranquillement le nucléaire. Donc, le privé n'a pas appliqué de solution du type MOX et l'administration s'est uniquement souciée du stockage définitif. Elle s'est évidemment heurtée au problème de la localisation de ce stockage. Actuellement, le seul lieu envisagé, dans le Nevada, se heurte à un blocage absolu de la part des autorités politiques et administratives locales.

En conclusion, les déchets s'accumulent, avec une impossibilité de stocker dans les piscines des centrales au-delà de l'an 2000.

Le fait est que l'administration américaine n'a pas de solution de rechange, et que, scientifiquement, il n'y a pas de solution reconnue comme telle.

Depuis peu, un ou deux scientifiques commencent à évoquer le MOX comme étant une solution. Mais l'objectif des États-Unis reste de trouver une formule d'emballage universel. On en reste donc au stockage local.

D'autres pays ont choisi des stratégies différentes.

L'ex-U.R.S.S. avait une stratégie assez simple; c'était le retraitement en vue d'utiliser le plutonium dans les surgénérateurs (pas dans les centrales classiques). Cela ne marche pas dans les surgénérateurs, et cela crée un excès de plutonium (et d'U.H.E.) à cause du démantèlement des armes, ce qui donne lieu à un double blocage.

Cette situation crée beaucoup de problèmes auxquels les pays européens sont confrontés en termes de politique étrangère.

Quand il s'est agi de gérer le plutonium et l'uranium de l'ex-Union soviétique, s'est posée la question de savoir ce qu'on allait faire du plutonium et de l'uranium issus des armes, et du plutonium issu du retraitement.

Dans l'état actuel des choses, en ce qui concerne l'U.H.E., un contrat a été signé, consistant à racheter l'U.H.E. soviétique pour le diluer en uranium faiblement enrichi dans des usines soviétiques, et ensuite l'utiliser dans des usines américaines comme combustible.

Il s'agit d'un contrat énorme, qui porte sur 12 000 tonnes de déchets en 20 ans, ce qui est une opération gigantesque. Cela vient à peine de commencer et cela fonctionne avec difficulté parce que le coût de cette opération était à peu près rentable au cours de l'uranium, il y a quelques années. Mais ce cours a beaucoup baissé et l'opération n'est plus rentable. Et comme l'agence chargée de l'achat de l'uranium est en voie de privatisation, elle renâcle beaucoup à le faire. L'administration américaine la subventionne encore actuellement, mais il n'est pas certain qu'elle continuera au cours des vingt prochaines années.

Curieusement, beaucoup de voix se sont élevées pour dire que les européens devraient participer à cet achat. Mais les Américains viennent encore de confirmer qu'ils ne sont pas d'accord, sous prétexte que, bien que les pays européens ne soient pas des lieux de prolifération, cela pourrait être un mauvais exemple et pousser les Russes à vendre de l'U.H.E. à n'importe qui.

Les Américains veulent donc garder le monopole de l'achat de l'U.H.E. russe, pour en contrôler l'usage.

Pour les 125 tonnes de plutonium militaire en excès en Russie actuellement, sans compter celui qu'elle continue à produire, il n'y a pas d'accord, ni de possibilité de l'utiliser. D'autant plus qu'utiliser du plutonium militaire dans les centrales civiles sous forme de MOX, ne se fait nulle part. Ce serait théoriquement faisable, mais extrêmement complexe et cher.

Pour la Russie, cela supposerait des mutations qui n'ont pratiquement pas de sens. Primo, parce qu'il n'y a pas d'usine de MOX en Russie. Secundo parce que les centrales russes R.B.M.K. et V.V.E.R. sont incapables d'en utiliser.

De ce fait se joue actuellement entre les Français et les Allemands une concurrence très intéressante pour la construction en Russie d'une usine de production de MOX.

Ce MOX serait peut-être utilisé ultérieurement dans les centrales russes, bien qu'on reconnaisse que ce soit impossible, si ce n'est dans le surgénérateur. Nous nous trouvons donc dans une énorme incertitude quant au plutonium russe. Pourquoi, dès lors, l'Allemagne désire-t-elle tellement construire une usine de MOX en Russie ? Parce que celle qu'on vient de terminer en Allemagne est pratiquement fermée avant de commencer, et, politiquement, il ne semble pas y avoir la moindre chance qu'elle soit utilisée.

Bref, les propositions de l'industrie allemande sont :

­ soit de construire une usine de MOX en Allemagne pour utiliser le plutonium civil ou militaire;

­ soit de transférer l'usine démontée en Russie;

­ soit d'utiliser l'usine de MOX en Allemagne pour transformer en MOX le plutonium militaire russe et le renvoyer en Russie avec pour conséquence l'énorme danger posé par le transport.

Pour le reste de l'Europe, plusieurs pays font du retraitement dans la perspective d'utiliser du MOX dans les centrales. La France en utilise dans sept de ses centrales et va passer à dix-sept prochainement. Elle envisage de l'utiliser plusieurs fois. D'autres pays européens tels que la Suisse et la Grande-Bretagne utilisent également le MOX.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Le MOX pose un grand nombre de problèmes liés à la problématique de la gestion des déchets. Quelle que soit la manière dont on les envisage, aujourd'hui, les déchets nucléaires représentent un des principaux dangers de prolifération. D'autre part, on ne sait comment les stocker, en tant que tels. Tout en constatant que, dans cet état, ils sont infiniment moins dangereux en termes de prolifération (pas en termes de danger écologique) que s'ils étaient traités.

Personne ne peut faire une arme du combustible irradié.

Par contre, le combustible retraité, c'est-à-dire séparé en trois (uranium, plutonium et déchets radioactifs) est militairement utilisable.

Cette stratégie du retraitement n'a de sens comme gestion des déchets que si les produits qui en résultent sont réutilisés.

La logique voudrait que le retraitement soit infini. Sur 100 p.c. de déchets, il y a 3 p.c. d'actinide inutilisable qu'on stocke de manière définitive. L'uranium et le plutonium sont utilisés sous forme de MOX. Une fois repassés dans les centrales, ils redeviennent des déchets. Les partisans de cette solution proposent de tout utiliser et espèrent que, d'ici 35 ans, on aura trouvé une solution permettant de tout utiliser une deuxième fois, et de recommencer 30 ans plus tard.

Sauf à imaginer que les usines de MOX soient toutes sur les lieux de retraitement, ce qui serait la garantie absolue de la minimisation du transport, la probabilité d'avoir à faire circuler des quantités considérables de plutonium est très grande.

L'orateur ajoute que l'agence de Vienne, chargée de contrôler cette prolifération, ce qu'elle fait de façon remarquable, compte tenu des moyens dérisoires dont elle dispose, a fixé pour les usines de retraitement le seuil des erreurs tolérées. Dans l'état actuel des technologies, le seuil d'erreurs tolérées est de 250 kg par an dans une grande usine de retraitement de plutonium. On voit ce que cela représente en comparaison des quantités nécessaires pour faire une arme.

Nous nous trouvons donc dans une double impasse, car, en termes écologiques, il n'y a pas de solution au stockage des déchets non retraités et, en termes de prolifération, les risques que représentent le transport de ces déchets et celui de se lancer dans la généralisation du MOX (circulation du plutonium entre l'usine de retraitement, les usines de fabrication de MOX et les lieux d'usage) sont considérables.

M. Attali rappelle qu'il existe trois formes de trafic dangereux : le trafic des matières nucléaires dont on vient de parler, et les trafics des technologies et des experts.

Toutes les technologies annexes nécessaires à la fabrication d'une arme sont disponibles dans le civil et ne font l'objet d'aucun contrôle.

Un contrôle n'est possible, quoiqu'encore insuffisant, que dans deux domaines : celui des lanceurs (vente de fusées) et celui des ingénieurs.

Pour ces derniers, le problème réside en Russie. Les dirigeants russes en sont très préoccupés. En effet, sur la totalité de leurs ingénieurs, 3 000 sont capables de faire l'arme nucléaire. Leurs salaires sont dérisoires et ils sont totablement disponibles. S'ajoute à cela l'inquiétude de la possibilité du financement occulte d'un ingénieur russe, relié à Internet, par exemple par un narcotrafiquant de Bolivie qui désirerait avoir l'arme nucléaire, sans qu'aucun contrôle soit possible.

L'idée d'une personne se promenant avec une mallette contenant du plutonium (4 kg ayant la taille d'un pamplemousse) ou des documents, est de la pure fiction.

Il existe donc un très grand nombre de fuites potentielles. Les rumeurs les plus extrêmes circulent à Moscou à ce sujet. Certains prétendent que 153 savants sont déjà partis en Corée du Nord, que l'Iran a fait son choix, etc. Beaucoup, parmi les meilleurs, sont d'ailleurs partis aux États-Unis ou en Israël. D'autres sont certainement tentés d'aller ailleurs.

Il semble à M. Attali qu'il y ait un vide juridique en cette matière en droit international. Il existe des conventions d'extradition pour certains crimes, mais pas pour celui-là.

Tant en droit international que pour les recommandations des Nations Unies et qu'en droit européen, il faudrait procéder à l'inscription du crime de trafic de sa propre expertise. Cela signifie que quelqu'un ayant choisi un certain métier n'aurait pas le droit de s'expatrier librement. Cela crée naturellement des problèmes en droit.

Des mesures de ce genre devraient être prises également dans les domaines génétique ou chimique se rapportant à la fabrication de la drogue. Il est indispensable de pouvoir contrôler les mouvements de ces personnes.

En ce qui concerne le trafic des matières, M. Attali a fait plusieurs propositions : augmenter les moyens que l'assistance internationale accorde à la Russie et à l'Ukraine, soucieuses de ces dangers et qui font ce qu'elles peuvent. Mais, l'organe de contrôle russe, le Gosatomnadzor , dispose, pour contrôler toute la Russie sur les plans civil et militaire, toutes les centrales et tous les lieux de production et d'usage nucléaire, de 50 experts. Ceux qui fixent les normes et les vérifient, sont au nombre de 15. Et le mois dernier, ils pensaient que leur budget allait être amputé d'un tiers, comme ce fut déjà le cas l'an dernier. Ce devrait être pour nous une priorité fondamentale.

L'assistance internationale devrait aussi intervenir dans le programme de rénovation des centrales russes.

La sécurité n'y est absolument pas respectée. Ni en ce qui concerne leur fonctionnement ni quant à la comptabilité de ce qui y entre et de ce qui en sort (cf. le Japon, où il semble que plusieurs kg de plutonium ont disparu, vraisemblablement au profit de l'armée).

La deuxième priorité serait de mettre en place une véritable politique d'arrêt de production de plutonium militaire.

Des décisions unilatérales existent, mais pas d'accords internationaux. On devrait également mettre le plutonium militaire en excès existant sur la planète sous contrôle, au gramme près.

Faut-il ou non interdire la production de plutonium civil, c'est-à-dire le retraitement et donc le MOX, et choisir ainsi définitivement la voie du stockage des déchets ?

Après mûre réflexion, M. Attali estime qu'il faut avoir le courage de dire qu'il faut, au minimum, adopter à l'égard du plutonium civil une attitude consistant à dire que certains pays peuvent en produire et d'autres pas, comme on l'a fait pour les armes nucléaires.

Le vrai problème du plutomium, comme on l'a déjà souligné, est le transport. Donc, l'idéal est de mettre la production et le retraitement de MOX dans les centrales elles-mêmes, mais c'est impossible. En effet, une fois retraités, les combustibles irradiés sont à peu près quinze fois plus encombrants que non retraités. De ce fait, il circulera et l'essentiel est d'interdire la généralisation du retraitement. Il suffirait d'avoir une centrale nucléaire pour avoir droit au plutonium, ce qui est inacceptable. Voilà la position minimale.

La position extrême serait d'interdire le retraitement. L'orateur n'est pas persuadé que ce soit une bonne solution dans l'état actuel des choses.

Nous sommes à ce jour devant deux inconnues :

­ celle de la technologie du stockage définitif;

­ celle du MOX.

Il est intimement convaincu que cela se terminera par le stockage définitif des déchets non retraités.

Mais nous n'avons pas encore de solution pour procéder à ce stockage définitif, à l'heure actuelle. On n'y consacre pas assez d'argent et plus on développe le MOX, moins on consacre d'argent à trouver une solution de remplacement. Le MOX ne sert qu'à gagner du temps.

On oppose les notions de cycle ouvert et de cycle fermé. C'est une absurdité.

Le cycle ouvert consiste à utiliser de l'uranium et à considérer que les déchets sont inutilisables. Le cycle fermé est le MOX. Comme si on réutilisait tout. C'est faux. On ne réutilise qu'1 p.c. des déchets, le plutonium.

Mais cela a l'énorme avantage de nous faire gagner 30 ans.

II. ÉCHANGE DE VUES

1. Contexte énergétique global

Une sénatrice pense que le problème se situe par rapport aux choix politiques qui doivent être faits. M. Attali a dit que plus on dépense pour le MOX, moins on a d'argent pour les solutions de remplacement.

Or pour satisfaire à la croissance de la demande énergétique, le premier gisement que l'on devrait exploiter est celui du potentiel d'économie énergétique qui est considérable (de l'ordre de 30 à 50 p.c. dans le monde occidental et même de 50 à 75 p.c. en ex-U.R.S.S.), il en va de même pour les énergies renouvelables.

M. Attali répond que si on place la base 100 en 1960, en 2020 la population de la planète aura augmenté de 50 p.c., la consommation de l'énergie également et celle de l'électricité de 100 p.c.

Il ne faut pas perdre de vue le problème de la nature des réserves géopolitiques de pétrole et de gaz.

Ce qui est frappant et étrange pour ce qui est du pétrole, est que l'O.P.E.P. représente 77 p.c. des réserves. Pour ce qui est du gaz, elle ne représente que 41 p.c. et l'ex-U.R.S.S. 40 p.c. des réserves.

Il faut comparer et bien distinguer ces deux énergies et savoir que nous sommes entièrement aux mains de l'O.P.E.P. en matière de pétrole, notre dépendance étant moins grande pour le gaz.

En cas de crise, c'est là que se fera l'arbitrage. Et si l'Europe a un choix géopolitique à faire, c'est de se brancher sur les réserves gazières de l'est.

D'autant plus qu'il y a en ex-U.R.S.S. des gaspillages gigantesques. S'il y a un domaine ayant la priorité absolue, c'est la lutte contre ce gaspillage. En effet, les gaspillages en énergie de la région de Moscou sont évalués à la consommation globale française. Il semble que le principal facteur de réchauffement de la planète soit le gaspillage du gaz russe, loin devant tous les autres. En effet, le gaz est le principal facteur de réchauffement de la planète, parce que le méthane est à peu près cinquante fois plus polluant que le carbone. En termes de ce qui est la première angoisse écologique, l'effet de serre, cela plaide en faveur de l'économie massive d'énergie.

La pire source de pollution est le gaspillage d'hydrocarbure.

L'intervenante fait remarquer que c'est à la fois un gaspillage en termes de ressources, et en terme de morale.

M. Attali ajoute que c'est surtout la dimension de suicide collectif que représente le réchauffement de la planète qui est inquiétante.

D'autre part, si le gain à faire en économies d'énergies n'a pas été fait, il y a à cela des raisons. En effet, ce n'est pas simplement par ignorance. Cela représenterait la nécessité d'une augmentation massive du coût de l'énergie pour le consommateur qui, dans l'état actuel de la Russie, serait intolérable pour 50 à 60 millions de personnes. Ce ne serait tolérable que si on prévoyait un système de compensations.

Mais les éléments nécessaires à sa mise en place n'existent pas, et la société russe préfère continuer à vivre avec l'énergie à bon marché. Cela vaut également, par exemple, pour la Bulgarie.

Un commissaire fait remarquer qu'il est très difficile de faire un choix entre le pétrole et le gaz, parce que même si, à l'heure actuelle, les réserves certaines de pétrole sont de quelque 45 ans, celles du gaz ne sont que de 62 ans, alors que le rythme de croissance de la demande de ce dernier est beaucoup plus important. Le problème ne sera plus de pétrole ou de gaz, mais d'hydrocarbures.

En outre, les problèmes d'approvisionnement en gaz sont beaucoup plus difficiles à résoudre puisqu'il se fait principalement par canalisations d'où des rigidités supplémentaires. Le nombre de navires méthaniers et de ports équipés pour ce transport sont réduits. Pour l'instant, évidemment, et depuis 1986, nous nous trouvons dans une période d'abondance, les périodes de pénurie et d'abondance s'étant succédées depuis la guerre.

Un membre aimerait connaître l'opinion de M. Attali sur la position de l'Irak en cette matière.

La fin de l'embargo modifierait-elle l'équilibre actuel ? Comment perçoit-il l'évolution de la position de l'Algérie ?

M. Attali répond qu'il est clair qu'on peut interpréter l'embargo sur l'Irak comme un moyen pour les américains et leurs alliés saoudiens de tenir les cours du pétrole.

Tant que les négociations qui doivent se dérouler entre les Américains et les Irakiens sur le contrôle par les compagnies américaines du pétrole irakien ne seront pas terminées, jamais les américains n'autoriseront la réouverture du marché au pétrole irakien. Cela ferait s'effondrer les cours saoudiens.

Un autre membre précise que la situation actuelle n'est pas une situation d'équilibre. L'arrivée du pétrole irakien sur le marché ne ferait que renforcer ce déséquilibre et créerait une situation du genre de celle qu'on a connue entre 1958 et le premier choc pétrolier, où, en coût réel, le pétrole ne cessait de diminuer.

Cela aurait pour effet de rendre plus urgente encore la recherche d'énergies alternatives, et cela précipiterait le troisième choc pétrolier.

M. Attali confirme que nous nous trouvons dans une situation d'excès d'offre, que la guerre du Golfe a en partie masqué. Le vrai problème est qu'il est géré par des rapports entre compagnies et non en fonction d'une vision globale, et qu'elle est de plus en plus centrée sur l'O.P.E.P.

L'intervenant souligne cependant que la Mer du Nord s'est révélée plus prolifique qu'on ne l'imaginait au départ. Cela ne change évidemment pas les choses à long terme.

M. Attali fait remarquer que cela incite à aller encore chercher ailleurs.

Le même membre ajoute que la technologie a également beaucoup évolué. On pensait que le pétrole deviendrait beaucoup plus cher. Or, actuellement, même en forant à de très grandes profondeurs, on le produit à des prix bien meilleurs que durant la période des deux chocs pétroliers (1973-1986). À cette époque, on croyait que l'on arriverait à un prix de 100 dollars le baril à la fin du siècle, alors qu'en 1995 on paie le baril 15 dollars actuels contre 34 dollars en 1985.

2. L'électricité nucléaire

Un commissaire constate que M. Attali fixe à 1973 le point d'inflexion alors qu'il estime que c'est vraiment à partir de la catastrophe de Tchernobyl que se situe le choix qui a marqué l'arrêt de l'expansion nucléaire civile en Europe.

M. Attali précise que 1973 marque plutôt l'arrêt de l'expansion nucléaire aux États-Unis et sur le plan mondial.

Le même intervenant ajoute qu'aux États-Unis, vers 1975, c'est la compétitivité du charbon comme source d'électricité qui a stoppé la croissance du nucléaire. Par contre les progrès du nucléaire en dehors de l'Europe et des États-Unis restent considérables aujourd'hui.

M. Attali déclare que la puissance du nucléaire installée sur la planète est de 350 gigawatts. Ce qui est en construction est de 50 gigawatts.

Ce qui est en constuction ou en commande, en pourcentage de ce qui existe déjà :

1 p.c. aux États-Unis;

10 p.c. en France;

0 p.c. en Grande-Bretagne;

9 p.c. au Japon;

0 p.c. au Canada;

60 p.c. en Corée du Sud;

142 p.c. en Chine;

206 p.c. en Inde;

55 p.c. en Russie;

100 p.c. en Slovaquie;

120 p.c. en Amérique du Sud.

La moyenne est de 14 p.c. Il ne s'agit pas d'une croissance annuelle. Cela indique clairement que la zone de croissance est l'Asie.

Lors de son voyage en Chine, les dirigeants chinois ont déclaré à M. Attali que leur objectif était d'avoir autant de centrales nucléaires que la France en pourcentage, ce qui fait environ mille centrales.

L'intervenant fait remarquer que ce qui le frappe est que, dans le monde des adversaires du nucléaire, le fait que l'effet de serre soit de plus en plus visible et tangible dans ses conséquences, n'a pas levé l'hostilité à l'égard du nucléaire comme étant un moindre mal.

M. Attali déclare que cela s'explique par le fait que le nucléaire reste un danger immense, même si l'autre danger est tout aussi immense, d'ailleurs sous-estimé, et plus immédiat (moins de 40 ans). Ils constituent des dangers suicidaires, à long terme, de gravité équivalente.

Une sénatrice estime qu'effectivement, entre ces deux dangers, on ne se rabat pas sur le nucléaire. Les solutions sont ailleurs, pour réduire l'effet de serre. D'ailleurs, le nucléaire ne concerne que l'électricité. Les économies d'énergie et les énergies renouvelables sont des réponses à l'effet de serre.

Un membre précise que l'avantage du nucléaire n'est pas la modicité de son coût, mais réside surtout dans la stabilité du prix du courant électrique nucléaire par rapport aux aléas présentés par le gaz ou le pétrole.

3. Différentes formes de stockage
par rapport au retraitement (MOX)

Une sénatrice voudrait savoir où on en est dans l'étude de la gestion des déchets du MOX. La grande question est de savoir s'il faut continuer à en produire.

M. Attali constate qu'en France, les points de vue ne sont pas les mêmes, d'une autorité à l'autre. Mais la stratégie adoptée par ceux qui sont partisans du MOX est de dire qu'il ne produit pas de déchets. Il doit être retraité et recyclé, mais nous n'en sommes pas encore arrivés à retraiter une première fois tous les déchets, car il nous faudra 30 ou 40 ans pour transformer et utiliser en MOX les 1 300 tonnes de déchets par an, en France ! En plus, étant donné les contrats existant avec d'autres pays, uniquement 80 p.c. des déchets sont retraités en France. Dès lors, il restera toujours des déchets non retraités qui seront stockés.

Quant aux possibilités de retraitement du MOX, le point de vue de ses partisans est : au minimum 2 fois, au maximum à l'infini.

Selon M. Attali, au contraire, dans l'état actuel des connaissances, le MOX irradié pose des problèmes de stockage plus graves que l'uranium, dans la mesure où sa composition en certains produits particulièrement nocifs est en moyenne 7 à 8 fois plus élevée que les combustibles irradiés.

Un membre se demande si, en réalité, on ne peut pas qualifier le traitement qui conduit à la production du MOX comme la stratégie du « no-regret » en matière d'environnement. N'est-il pas la formule qui conduira ­ mais ceci est un pari sur l'avenir ­ à avoir moins de déchets et des déchets moins nuisibles à long terme ?

M. Attali n'est pas partisan de l'abandon du MOX Dans l'état actuel des choses, le MOX représente en termes de recherche une voie qu'il serait déraisonnable de ne pas approfondir.

En ce qui concerne son usage industriel et sa généralisation, personne ne sait si le MOX pourra être recyclé une deuxième fois (on ne l'a jamais fait); de plus, le coût d'une première fois est déjà prohibitif et économiquement absurde, sans oublier que les déchets du MOX sont plus nocifs que les déchets des combustibles normaux. Mais encore une fois, ceci ne signifie pas que la voie ne doit pas être étudiée. Le surgénérateur était une voie idéale et le MOX peut être considéré comme le surgénérateur du pauvre.

L'intervenant fait remarquer qu'aucun surgénérateur ne fonctionne à la satisfaction de ses concepteurs.

Un commissaire décrit le cadre belge : depuis trois mois, le MOX est installé dans les centrales belges. Cela provoque un grand débat sur le stockage parce que, pour nous, le stockage n'est pas un débat théorique ou purement financier, mais un débat matériel.

Pour l'instant, les piscines de stockage comprennent des crayons de MOX en attente d'introduction dans le coeur, des crayons irradiés, sortis du coeur, qui ont donc une partie de plutonium et qui attendent une désactivation pour partir vers La Hague dans le cadre de contrats encore en vigueur. Ce pays a accepté l'utilisation du MOX, mais a décidé un moratoire de 5 ans sur le contrat Synatom-Cogema.

Durant les 3 années qui restent du moratoire, nous devons essayer de clarifier l'orientation à prendre pour le stockage des combustibles. Ou bien reprendre les contrats dans des conditions extrêmement coûteuses, ou bien ne plus continuer la filière de ce retraitement coûteux qui supposerait pour la génération de MOX usagé de prendre ce risque sans connaître la nature exacte des composants du MOX ainsi utilisé.

Entretemps, le stockage transitoire devient un lieu de stockage définitif dans des conditions de sécurité qui relèvent de la toute première appréciation, faite il y a 20 ans, sur la nature de ces piscines, qui ne sont pas du tout adaptées au MOX.

En Belgique, le stockage n'est même pas encore négocié ! On résoud le stockage sur le dos de piscines non-adaptées, sans même tenir compte du financement de ce stockage.

Or, le stockage des déchets devrait être fait dans des conditions normales et être pris en compte, financièrement et technologiquement, avant la production, comme le stockage d'une autre activité industrielle.

L'intervenante souligne que le coût de ceci n'est jamais intégré réellement dans le coût de l'électricité nucléaire.

Dans l'hypothèse où la Belgique devrait négocier des contrats avec un pays qui accepte le stockage de déchets non-retraités, le coût de cette électricité serait insupportable. Dans son exposé, M. Attali a décrit que l'option sera plutôt d'aller vers le stockage sans retraitement. Dans ce cas, serait-il pensable que la négociation sur toutes les matières soit menée par des gouvernements sur une base bilatérale ? La sécurité des déchets n'est pas un problème national mais concerne la population bien au-delà de la Belgique.

N'y aurait-il pas une possibilité de faire prendre ces négociations en charge par une agence, le coût étant assumé par les producteurs ?

M. Attali conseille d'abord de bien calculer le coût des différentes énergies, en y intégrant tous les éléments, y compris le coût du retraitement et celui du stockage ultérieur.

En France, l'E.D.F. a participé largement à la construction de la centrale de La Hague, et le retraitement ainsi que le stockage sont intégrés dans le coût de l'électricité.

Toutefois, le choix est plus compliqué qu'un choix binaire. Il reste une troisième solution, c'est-à-dire retraiter sans réutiliser. Le retraitement, dans la mesure où il sépare les déchets, peut permettre un stockage sans réutilisation des déchets séparés, qui soit moins nocif que le stockage définitif des déchets non retraités.

À son avis, l'hypothèse qu'un pays quelconque devienne la poubelle des autres est une hypothèse qui doit être exclue. C'est une tentation très forte pour beaucoup de croire que la Russie puisse devenir cette poubelle. Mais, l'industrie nucléaire russe, comme l'appareil politique russe, s'y opposeront. Il faut partir du fait que personne n'acceptera d'être la poubelle des autres. Avoir une industrie nucléaire sans être prêt à stocker les déchets chez soi, est contre nature.

4. Le contrôle et la lutte contre la prolifération dans les différents domaines

Selon un membre, ce quatrième point est en fait le thème majeur du rapport de M. Attali.

Les solutions proposées dans son rapport sont souvent des solutions qui nous heurtent dans notre sensibilité quant à la liberté de circulation des personnes, leur droit de choisir une profession, le pays pour y travailler ou le revenu le plus approprié.

M. Attali ajoute que, dans son rapport, il ne propose pas de s'opposer au libre choix, mais bien de le contrôler et de le surveiller : il faut savoir où sont les experts. À partir du moment où un jeune étudiant de doctorat à Varsovie fait une thèse sur le nucléaire qui peut déboucher sur le militaire, il doit rentrer dans le fichier. L'agence de Vienne doit le suivre pendant toute sa vie et doit toujours savoir où il est. Ceci n'est pas une exigence excessive. Si, à un moment, l'agence de Vienne constate que 5 experts (venus de Varsovie, de Moscou, de Jérusalem, ...) se retrouvent pendant 10 mois ensemble à Bogota, c'est le moment de se poser des questions. C'est là que ce genre d'information peut être utile. Il s'agit, sans conteste, d'une privation de liberté, mais elle est sans commune mesure avec les avantages qu'elle apporte au maintien de la sécurité collective.

L'intervenant fait référence à des crimes civils qui ont été commis avec des matières et matériaux nucléaires, par exemple tuer une personne en déposant des matériaux radioactifs sur son siège.

M. Attali souligne que beaucoup d'exemples du trafic nucléaire ont été grossis de façon excessive par les médias.

Le membre fait référence au cas où le service de sécurité de la République fédérale allemande a fabriqué des pièges avec des matériaux nucléaires.

M. Attali rappelle qu'il est appelé à témoigner devant le Bundestag sur le trafic nucléaire proprement dit. Les services secrets russes estiment qu'en réalité, il a été volé de quoi faire 2 à 3 bombes. Ceci peut être calculé par rapport à ce qu'on a identifié comme vols, sachant que les vols réels ne sont pas ce qu'on croit. Tout ce qui se passe à la frontière ouest de l'ancienne Union Soviétique, n'est pas le plus visible. Le gros du trafic se produit via les frontières sud.

Une sénatrice fait référence à un trafic « légalisé », à savoir le nucléaire civil qui est vendu à des pays « sensibles » (comme l'Irak) qui permet à ces pays d'approcher de l'arme nucléaire. Par exemple des réacteurs de recherche ou d'autres éléments qui ont été vendus par pièces détachées et qui pemettent de reconstituer de quoi faire une arme.

Ne faudrait-il pas interdire la vente de matériel à usage civil, qui peut devenir militaire ?

Selon M. Attali, il est extrêmement difficile de faire la distinction dans beaucoup de domaines. Beaucoup de domaines sont totalement civils et très loin du militaire. Par exemple, les lasers nécessaires à l'industrie pétrolière sont exactement les mêmes que ceux utilisés pour les détonateurs d'armes nucléaires.

Il est clair aussi que nous entrons dans une période assez inquiétante de ce point devue parce que la concurrence va commencer entre la Russie et les pays occidentaux sur la vente de centrales nucléaires. On a pu le constater avec la vente de deux centrales nucléaires russes à l'Iran. Les russes estiment qu'ils n'ont rien fait de plus que les américains avec la Corée du Nord.

Il y a aujourd'hui une très forte poussée à la concurrence. L'industrie russe redresse la tête et repart à la conquête des marchés, ainsi que l'industrie américaine, puisqu'elles n'ont pas de marché intérieur.

Ceci est une justification de plus d'être extrêmement vigilant sur le traitement car on ne peut pas interdire la vente des centrales nucléaires.

Toute technologie de retraitement (qui est l'accès au plutonium) doit être exclue de l'exportation dans l'état actuel des choses.

5. L'appréciation des solutions ou
esquisses de solutions

Un commissaire estime que le plus frappant dans l'exposé, est de constater que nous sortons d'un monde de certitudes pour entrer dans un monde de grandes incertitudes. On regrettera peut-être la guerre froide avec la dissuasion nucléaire entre deux adversaires qui avaient chacun la possiblité d'exterminer 100 ou 150 fois toute la population de l'autre. Nous sommes arrivés à un système plus insidieux où l'incertitude est totale quant aux orientations que prendra ce problème à l'avenir.

M. Attali ajoute qu'avant, on pouvait penser que les 5 « grands » étaient responsables et sages. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Aux État-Unis, l'industrie nucléaire est poussée à l'extérieur de ses frontières par son gouvernement, qui lui interdit d'agir à l'intérieur. En Russie, le gouvernement lui-même devient un agent d'exportation extrêmement actif.

En conséquence, M. Attali plaide pour une augmentation très forte des pouvoirs de l'agence de Vienne. La vraie solution serait aujourd'hui de mettre en chantier un traité de non-prolifération civile comme il y a un traité de non-profilération militaire.

L'intervenant estime, à ce propos, que l'agence de Vienne n'est pas frappée des nombreux vices qui souvent affectent les institutions dépendant des Nations Unies.

M. Attali trouve, en effet, que c'est un tour de force pour une agence de réussir à survivre en ayant un budget qui n'augmente pas en dollars courants depuis 15 ans ! Évidemment l'agence fonctionne parfois à l'envers.

Par exemple : un pays qui est contrôlé, peut choisir la date du contrôle, le programme de visite et la nationalité des contrôleurs. Il est révélateur est que l'Algérie n'a jamais accepté d'être contrôlée par qui que ce soit d'autre que les Pakistanais.

Parmi les pires critiques, certains ont même pensé que l'agence est un lieu de formation à la prolifération. Il n'empêche que, si l'agence avait plus de moyens, en particulier financiers, elle pourrait avoir plus d'autorité, comme l'O.M.C., qui est la première organisation internationale ayant un pouvoir supra-national.

Si on donnait à l'agence de Vienne le pouvoir de l'O.M.C. en termes de visite et de contrôle ­ qu'on a d'ailleurs donné à la commission spéciale pour l'Irak ­, on courrait moins de danger qu'aujourd'hui. En termes de contrôle, les moyens peuvent être trouvés : une taxe sur l'électricité nucléaire générerait des ressources considérables.

Les grandes compagnies d'électricité mondiales sont parfaitement conscientes qu'un autre Tchernobyl ou qu'une autre prolifération menacerait leur survie même et sont prêtes à dégager des ressources si la taxe était bien utilisée et garantissait la survie de l'électricité nucléaire.

Politiquement, on n'a malheureusement pas les moyens de faire avancer cette thèse.

Le présent rapport est approuvé à l'unanimité des huit membres présents.

La Rapporteuse,
Anne-Marie LIZIN.
Le Président,
Paul HATRY.