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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 15 FÉVRIER 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de M. Jean-Marie Happart à la ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement et au ministre de l'Agriculture et des Classes moyennes sur «les contrôles de qualité pour le grand gibier» (n° 2-342)

M. Jean-Marie Happart (PS). - Depuis plusieurs années déjà, de nombreuses questions se posent quant à la manière d'organiser des contrôles de qualité objectifs pour la venaison, ce terme désignant la chair du grand gibier, voire pour la viande du petit gibier.

La Région wallonne a décidé, par arrêté gouvernemental, de créer une structure pour assurer la traçabilité du grand gibier afin de connaître l'origine de la venaison mais aussi la date à laquelle la bête a été abattue et le circuit qu'elle a suivi avant d'être consommée, ce qui aura pour effet de garantir la qualité de la viande, non sur le plan vétérinaire mais eu égard à sa fraîcheur. Il y aura donc des indications concernant la date à laquelle la bête a été tirée et le délai dans lequel elle arrive chez le boucher ou le traiteur, voire le consommateur.

Un arrêté royal en préparation vise à modifier l'arrêté royal n° 94 relatif à la qualité de la viande du gibier sauvage. J'avoue que ce terme ne me convient pas car le gibier est, me semble-t-il, sauvage par définition. La Région wallonne défendra également cette position afin de mettre fin à l'élevage de gibier, pour éviter que celui-ci soit lâché juste avant le tir ou abattu dans de petits enclos - c'est parfois le cas des sangliers - pour amuser la galerie.

Nous espérons que, via la filière alimentaire et de santé publique, nous atteindrons l'objectif qui est essentiel à nos yeux : le contrôle de qualité.

Par rapport aux propositions contenues dans l'arrêté royal, je reste toutefois assez perplexe, notamment en ce qui concerne la problématique du gibier prélevé de manière isolée. Je pense notamment au tir du brocard - le chevreuil mâle - pratiqué en été, ou encore à la problématique du sanglier, parfois tiré tôt dans la saison.

On se rend compte, à la lecture de l'arrêté royal, que les explications sont pour le moins évasives. On n'établit, par exemple, pas de distinction entre la période à laquelle l'animal est tiré et celle à laquelle il est travaillé. Si je prends l'exemple du chevreuil, il existe, sur le plan de la qualité de la viande, une nette différence entre un animal tiré en juillet et un autre, tiré en novembre. Si le temps ne presse pas en automne et en hiver, il en va tout autrement à la saison chaude. Les animaux traités en été doivent évidemment être travaillés très rapidement.

Le texte suscite donc pas mal d'interrogations. L'obligation d'un contrôle vétérinaire sur une bête isolée tirée en été pose, en outre, un certain nombre de problèmes, car les frais inhérents à ce contrôle rendront la vente de la venaison tout à fait inintéressante. On risque donc de voir certains mauvais chasseurs tirer les animaux, enlever le trophée et laisser la carcasse sur place, en raison du coût trop important de l'expertise.

Il faudra rechercher les solutions qui permettent de rencontrer cette exigence de qualité ; une application stricte de la réglementation poserait problème.

Pour le grand gibier, la question de l'importation est préoccupante. La Belgique importe 60% de sa consommation, car notre production est loin de répondre à la demande. Les gibiers soi-disant frais qui viennent de l'est sont prélevés en octobre, novembre, parfois même plus tard dans la saison, par des températures de -5 à -10°C. Ils sont éviscérés dans certaines conditions, restent à l'extérieur pendant plusieurs jours, sont ramenés dans des camions frigorifiques mais pas à des températures de congélation, pour être revendus ici comme gibiers frais, alors que les ruptures de la chaîne du froid sont évidentes. C'est un risque énorme.

Je me réjouis du contrôle que l'on va imposer au gibier indigène mais je regrette le laxisme dont profite le gibier importé. N'y a-t-il pas là deux poids et deux mesures ?

La presse fait souvent état de risques de peste porcine, notamment à l'Est. Amener des sangliers, en provenance de pays hors CEE, s'ils n'ont pas fait l'objet de tests effectifs en matière de peste porcine, voire d'autres animaux avec d'autres maladies, me semble inacceptable et injuste. Je voudrais que ce gibier fasse l'objet des mêmes précautions.

Or, quand on visite ces pays, on constate qu'il ne faut pas être trop exigeant, car l'équipement n'est pas adapté et les traditions sont différentes.

J'aimerais savoir, madame la ministre, comment vous allez trouver une solution à ces deux problèmes : d'une part, les contrôles de qualité et la charge du coût de ce contrôle par l'IEV pour des gibiers isolés et, d'autre part, la sécurité en ce qui concerne les gibiers importés.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Monsieur Happart, vous faites allusion à un projet de décret wallon visant à mieux contrôler le braconnage par une identification obligatoire de toutes les pièces de grand gibier sauvage mises dans le commerce. A l'heure actuelle, ce projet ne m'a toujours pas été communiqué, malgré des demandes répétées. J'insiste donc - et peut-être pourriez-vous m'y aider - pour que le ministre wallon de l'Agriculture me transmette ce projet de décret afin que je puisse en tenir compte.

D'après ce que j'ai lu dans les journaux, ce décret viserait à contrôler le braconnage et ne donnerait pas de garanties d'expertise ni de contrôle de qualité. Le Fédéral reste d'ailleurs seul compétent pour les contrôles liés à la qualité sanitaire des aliments.

Par contre, pour répondre à vos questions concernant le gibier importé, il est faux de prétendre qu'il n'y aurait d'expertise ni dans le pays d'origine ni chez nous.

Le gibier importé fait obligatoirement l'objet d'une première expertise dans le pays d'origine et d'une expertise complète en peau lors de l'entrée dans la Communauté européenne. De plus, le gibier importé est obligatoirement traité par des établissements agréés et sous contrôle vétérinaire, contrairement à ce qui est aujourd'hui légalement accepté pour le gibier indigène qui peut toujours être vendu dans les restaurants, dans les boucheries sans avoir fait l'objet d'aucune expertise ou d'un contrôle.

Il s'agit là d'un risque que nous ne pouvons continuer à prendre. Si un problème se pose, je serai, à juste titre, tenue pour responsable.

C'est pour remédier à cette carence de la législation que j'ai proposé au Conseil des ministres un arrêté visant à donner dorénavant aux consommateurs belges les mêmes garanties que celles que nous sommes obligés de donner pour le gibier importé.

Le Conseil des ministres a marqué son accord sur le principe, estimant qu'il fallait instaurer un système de contrôle vétérinaire pour le gibier indigène. L'Union européenne nous y oblige d'ailleurs. Nous voulons cependant, dans le souci de la meilleure collaboration possible entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées, tenir compte des situations locales pouvant justifier des mesures techniques appropriées. Nous sommes donc tout disposés à recevoir, dans les meilleurs délais, les informations de la Région wallonne avant de finaliser l'arrêté. Nous sommes prêts à respecter jusqu'à un certain point les habitudes ancestrales des chasseurs. Il ne faut toutefois pas aller au-delà du raisonnable en termes de santé publique.

Le gouvernement fédéral prendra donc cette indispensable mesure dans les meilleurs délais et tous les consommateurs de gibier pourront alors compter sur l'efficacité des contrôles de l'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, quelle que soit l'origine du gibier qu'ils consommeront et non plus seulement lorsqu'il s'agit de gibier importé.

Un collaborateur de mon cabinet espère bien pouvoir finaliser le dossier dans les jours qui viennent.

M. Jean-Marie Happart (PS). - Vous dites que vous n'avez pas connaissance du projet wallon sur la traçabilité. Je suis étonné. Vous devriez, en effet, en disposer depuis un certain temps déjà.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Je vous assure que j'en ai demandé une copie au ministre compétent voici plusieurs semaines.

M. Jean-Marie Happart (PS). - C'est possible. Cela fait également plusieurs semaines que je vous ai demandé un débat sur ce sujet. Apparemment, les agendas ne sont pas toujours compatibles.

En ce qui concerne le gibier importé, vous dites qu'il est garanti. De par mon ancienne profession et de par mes activités, j'ai été amené à manipuler beaucoup de gibier provenant des territoires de l'Est. Je vous assure que lorsqu'on ouvre un camion de venaison, même en peau, venant de l'Est, on est content de laisser aérer le véhicule avant d'y entrer !

Je vous parle par expérience. Je soutiens que les contrôles du gibier importé ne sont pas bons. Ils ne sont pas bien faits, ni au départ, ni à l'arrivée.

Quant au gibier indigène, si aucun contrôle n'est effectué, ce n'est pas parce que la loi ne l'imposait pas. L'arrêté royal précédent imposait déjà un contrôle du gibier. Si, pour des raisons diverses, ces contrôles n'ont pas été réalisés convenablement jusqu'à présent, ce n'est pas la modification de quelques lignes dans un arrêté qui va permettre de trouver objectivement une solution.

Qu'il s'agisse du contrôle d'un gibier groupé en quantité importante, abattu lors de battues, etc., ou du contrôle d'un gibier isolé, le coût - déplacement, frais de vétérinaire ... - est le même alors que la quantité de viande est très différente. C'est compréhensible pour le gibier groupé, cela ne l'est pas pour le gibier isolé.

La loi autorise « heureusement » le chasseur à céder à un particulier une petite quantité de gibier quand il s'agit de petit gibier et une pièce quand il s'agit de grand gibier, mais elle n'indique pas si c'est tous les jours, toutes les semaines, tous les mois ou deux fois par an. Dans ce cas, le contrôle n'est pas nécessaire.

On pourrait pousser la plaisanterie plus loin et dire que le contrôle vétérinaire s'impose lorsque quelqu'un tue sa poule chez lui. Pourquoi en effet ce quelqu'un pourrait-il prendre le risque, parce que c'est lui qui l'a élevée, de consommer une bête qui est peut-être contaminée alors que s'il veut la vendre via une chaîne de magasins ou un boucher, elle doit être contrôlée ? Les choses me semblent disproportionnées.

Il faut essayer de trouver un accord tant avec la Région wallonne qu'avec l'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, qui est nécessaire, voire indispensable. Il faut éviter de tomber dans l'excès contraire et en arriver à la situation où de mauvais chasseurs abandonneraient du gibier sur place parce que le fait de le ramener et d'essayer de le vendre leur occasionnerait davantage de frais. Cela me pose question.

Je sais que vous êtes pressée d'améliorer l'arrêté royal et je puis vous comprendre. Je ne sais pas si huit jours de plus ou de moins régleront le problème, mais il est important de bien faire les choses.

Je crois qu'il faut prendre le temps de conclure un bon accord plutôt que de se borner à remédier à des lacunes, ce qui risque de compliquer les choses plutôt que de les améliorer.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Pour ce qui concerne le gibier importé, je n'ai pas parlé de la qualité des contrôles effectués. Il y a une exigence légale, à savoir que ce gibier doit être expertisé dans le pays d'origine et à l'entrée de la Communauté européenne. Je veux bien croire que certains contrôles ne sont pas effectués convenablement, mais c'est un problème qui se pose dans le monde entier.

En ce qui concerne l'arrêté royal, plusieurs réunions intercabinets avec les ministres et vice-premiers ministres concernés ont eu lieu et se sont bien passées. Au Conseil des ministres, le principe de la nécessité d'effectuer une expertise vétérinaire a été acquis. On laisse la possibilité de vendre au consommateur final, lequel décide s'il y a ou non nécessité d'une expertise vétérinaire, mais pour tout ce qui entre dans la chaîne commerciale, il faut, pour répondre à la législation européenne, prévoir un système adapté d'expertise vétérinaire. L'ensemble du Conseil des ministres a marqué son accord à ce propos. Il ne s'agit pas d'une question de jours, mais il faut aller de l'avant et ne pas remettre aux calendes grecques les exécutions nécessaires. Je ne me bats pas pour quelques jours, mais pour une rapidité normale.

M. Jean-Marie Happart (PS). - J'ai surtout retenu la dernière partie de votre exposé, madame la ministre. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que nous puissions, ce mois-ci encore, arriver à un accord général sur la problématique de la venaison.

-L'incident est clos.