1-199

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Sénat de Belgique

Belgische Senaat

Annales parlementaires

Parlementaire handelingen

SÉANCES DU JEUDI 18 JUIN 1998

VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 18 JUNI 1998

(Vervolg-Suite)

ALLOCUTION DE M. MAHOUX,

PREMIER VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT

TOESPRAAK VAN DE HEER MAHOUX,

EERSTE ONDERVOORZITTER VAN DE SENAAT

M. le président. ­ Mesdames, messieurs, il m'appartient de rendre hommage à MM. Robert Urbain et Charles-Ferdinand Nothomb.

Rendre hommage à Robert Urbain pour ses vingt-cinq ans de mandat parlementaire uniquement, ce serait en quelque sorte ôter à notre jubilaire quelques dimensions essentielles de son action politique qui, elle, s'étend sur une période de trente ans.

Avec votre permission, je voudrais également laisser de côté la voie traditionnelle du passage en revue chronologique des différents mandats et portefeuilles détenus par Robert Urbain à un moment ou un autre de sa carrière. Comme je me refuse à réduire son action à la dimension unique de l'activité parlementaire, je crois inutile de la découper en fines tranches de vie. Mon ambition est de vous camper un personnage entier et non ses multiples facettes isolées.

D'ailleurs, les hommages rendus à Robert Urbain au niveau local et national ont déjà suffisamment fourni prétexte à cet exercice.

Aujourd'hui, l'heure est venue d'une autre démarche. Je veux aller à la rencontre, non pas des nombreuses fonctions de Robert Urbain, mais plutôt de ce qui, à travers ses mandats successifs de bourgmestre, les portefeuilles ministériels, les missions au service du Commerce extérieur de notre pays, l'action au sein de l'Union interparlementaire, la résurrection du Grand Hornu, la libération du docteur Jan Cools de ses ravisseurs au Liban, peut nous apparaître comme le génie animant Robert Urbain.

Ayant lu les notices qui lui sont consacrées dans les manuels biographiques de la Chambre et du Sénat, mais également ses tracts électoraux, et par ailleurs le dossier de presses ­ plutôt fourni, il est vrai ­, qui repose à son sujet aux archives du Sénat, je dois admettre en toute humilité mon premier sentiment : un doux vertige face à un tel tourbillon d'activités suscitant une telle avalanche de réactions, en sens divers d'ailleurs.

Évidemment, et c'est souvent le cas dans un tel exercice : ne comptez pas sur l'intéressé lui-même pour vous orienter!

Ne déclarait-il pas à ceux qui l'interrogèrent après la libération du docteur Jan Cools : « Je ne suis ni un héros, ni James Bond, ni un boy-scout » ? Cela va de soi, direz-vous. Seul avertissement à retenir de ce message : évitons les images réductrices!

Dès lors, au terme de la lecture des diverses entreprises de Robert Urbain, je serais plutôt tenté de citer un autre homme d'action, Antoine de Saint-Exupéry : « Dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent. »

Ce dynamisme perpétuel, ce goût irrésistible de l'action, parfois au doux effroi de ses collaborateurs, qui ont pourtant l'estomac et l'agenda bien accrochés, à ce que je me suis laissé dire, il y a naturellement une façon encore plus imagée de l'illustrer : Robert Urbain, c'est un Franc Borain!

Vous m'objecterez : oui, d'accord, il a été durant de bien longues années président, ô combien enthousiaste, de ce sympathique club de football et il en est le président d'honneur, ô combien inspiré. » Mais encore ?

Pourtant, ce n'est pas de cela que nous parlons, ou bien juste un peu peut-être, et ce sera plus loin.

Revenons à Robert Urbain Franc Borain. Par son père, il y a sûrement en lui la ténacité et le courage qui ont permis aux mineurs du Borinage de se battre pour la dignité que leur refusait le grand capital.

Franc, Robert Urbain l'est également dans le sens le plus ancien : libre par l'ouverture d'esprit, par la multiplicité de l'approche, par la capacité à emprunter les chemins de traverse.

Franc également parce qu'audacieux, ouvert aux réalités différentes de la sienne.

Au-delà d'une certaine audace, la démarche de Robert Urbain témoigne de l'aptitude à transcender le passé. Pour Robert Urbain, comme pour Elsa Triolet, « l'avenir n'est pas une amélioration du présent. C'est simplement autre chose ». C'est cette faculté de renouveau, de nouvelle approche qui incite Robert Urbain à redonner vie au Grand Hornu, à moderniser la Poste et la RTT lorsqu'il en a la responsabilité ministérielle.

C'est ainsi que Robert Urbain, arpenteur impénitent du globe, Wallon à l'aise dans toute l'Europe bien avant les Traités de Maastricht et d'Amsterdam, est toujours revenu à Hornu pour y expliquer les enjeux de son action et les retombées que celle-ci pouvait générer pour sa région.

Robert Urbain entretient d'ailleurs un autre lien fondamental avec sa région. Il s'investit dans l'avenir du Borinage en assumant la présidence du conseil d'administration de la Faculté polytechnique de Mons.

Par ailleurs, et avant bien d'autres, Robert Urbain avait tissé des liens avec le Maghreb, avec les peuples d'Europe centrale et de l'Est avant l'écroulement du mur de Berlin.

Que serait la liberté de pensée et d'action dont témoigne Robert Urbain, s'il ne mettait à leur service un dynamisme ­ admirable ou redoutable ­ c'est selon ? Il s'en est fallu de peu que la date de cet hommage ne doive être reculée. En effet, les missions qu'assume aujourd'hui notre jubilaire, souvent à la demande de l'actuel ministre du Commerce extérieur, ne laissent que peu d'espace aux initiatives n'émanant pas de M. Urbain!

Un des paradoxes qui caractérisent Robert Urbain, c'est qu'au départ, l'on vous avertit qu'il n'a, à vrai dire, plus de temps disponible pour rien, mais qu'à l'arrivée, son agenda se révèle presque toujours juste assez extensible pour tout absorber.

Ainsi ceux qui l'avaient quelque peu cavalièrement classé retraité après les élections de 1995 en sont pour leurs frais. Celui que l'on appelait déjà « l'homme aux quatre bras », quand il était ministre chargé du Commerce extérieur, semble s'en être greffé une paire de plus aujourd'hui. De l'Irak à la Lybie, de Samarcande au dialogue avec Chypre, c'est toujours le même Robert Urbain que l'on retrouve en éclaireur dans de nombreux domaines.

Permettez-nous, monsieur le ministre, de vous rendre hommage aujourd'hui pour le rôle irremplaçable que, par votre identité de Franc Borain de talent, vous assumez brillamment pour le bien de notre État.

Un jour, vous avez déclaré au sujet d'une action qui suscitait la polémique que vous vous sentiez comme « le buteur d'une équipe de football : pas le meilleur joueur, mais lorsqu'il marque, toute l'équipe gagne ».

Eh bien, aujourd'hui, l'équipe tient à vous rendre hommage pour vos vingt-cinq ans de mandat parlementaire et vous remercie bien chaleureusement pour trente ans de démarche individuelle au service de la société. (Très vifs applaudissements.)

Mesdames, messieurs, s'il est un jubilé sénatorial qui ne paraissait pas inscrit dans les étoiles, c'est bien celui de Charles-Ferdinand Nothomb, lui qui, au lendemain des accords dits de la Saint-Michel, lançait : « La Chambre sort renforcée. J'espère que les meilleurs sénateurs la rejoindront. » (Sourires.)

L'arrivée parmi nous du président de la Chambre lui donna toutefois ­ pour reprendre ses expressions ­ « une nouvelle jeunesse », qui, dans son rôle de « lanceur d'idées » et d'« ensemblier », trouvait ici à s'épanouir pleinement.

En rejoignant notre Haute Assemblée, il renouait aussi avec les traditions familiales, puisque son arrière-grand-oncle, Alphonse Nothomb, termina près de quarante années de mandat dans cette enceinte et puisque Pierre Nothomb, son père, y siégea pas loin de trois décennies.

Ce n'est pas le lieu de décrire par le détail le long et chargé cursus honorum du treizième et dernier enfant de l'écrivain et sénateur Pierre Nothomb. Que de chemin parcouru depuis sa sortie d'humanités à l'âge de seize ans, ses études de droit et de sciences économiques, ses débuts comme fonctionnaire en Belgique, au Congo et à l'ONU, puis comme membre des cabinets des ministres Scheyven, de Stexhe et Wigny et son entrée à la Chambre en 1968! À deux reprises, il occupe la charge de président du parti social-chrétien, puis celle de président de la Chambre des représentants et enfin celle de ministre. En 1995, le Roi le nomme ministre d'État.

Cette vie si féconde m'apparaît comme marquée par les quatre éléments fondamentaux de la nature : la terre, l'air, l'eau et le feu.

D'abord, la terre. La terre luxembourgeoise évidemment. En consultant notre officiel manuel biographique, quelle ne fut ma surprise de constater que notre jubilaire est né en un lieu inconnu! Je m'enquis de la raison de cette curieuse lacune et j'appris ceci : en début de législature, notre ami avait, de manière expresse, demandé de biffer la mention de BruxelIes. Sympathique coquetterie, alors qu'aurait pu être envisagé cet autre compromis : « né à Bruxelles, rue d'Arlon, le ... ».

Votre attachement à la verte province n'est plus à démontrer. Ce que certains ont appelé la « dynastie Nothomb » est, de façon indissoluble, liée au Luxembourg : depuis leurs lointaines origines de notables terriens dans ce coin germanique de la Lorraine belge qu'est le pays d'Arlon, les Nothomb ont livré avec ardeur un noble combat pour la survie du « pays d'entre-deux ».

Durant de nombreuses années, vous siégerez comme conseiller communal. Jamais vous ne briguerez la fonction d'échevin ou de bourgmestre, mais vous deviendrez ... ministre de l'Intérieur, fonction où vous vous attacherez, entre autres, à améliorer le sort des communes et provinces. Car la terre des pères, la patrie, signifie quelque chose pour les Nothomb, eux qui sont entrés dans l'histoire de Belgique à la naissance de notre Royaume. Et ainsi, le prénom du plus jeune des pères fondateurs de la monarchie en 1830 est porté par l'aîné de vos petits-enfants, Jean-Baptiste.

Deuxième élément : l'air. En effet, l'air occupe une place primordiale dans votre existence. Une fenêtre n'est-elle pas faite pour être ouverte, qu'il vente ou qu'il gèle ?

Vous êtes même parvenu non seulement à faire la renommée de Habay-la-Neuve, mais à entrer avec votre localité dans le monde du tourisme. Voici en effet ce que j'ai découvert dans un livre intitulé Gids Ardennen-Luxemburg , sous la rubrique « Habay » : « Charles-Ferdinand Nothomb, die nog geregeld optreedt als informateur bij de samenstelling van kabinetten, was minister van Binnenlandse Zaken en Kamervoorzitter. Hij heeft de gewoonte belangrijke staatszaken te bespreken tijdens wandelingen in het bos. » D'évidence, ce guide recèle une erreur et son auteur n'a manifestement jamais accompagné notre ami dans la forêt d'Anlier! Cette marche n'a rien d'une promenade, mais s'apparente à la fois à la course, au trot et au marathon. Et toute discussion ne vire-t-elle pas parfois ... au monologue ? Vos nombreux invités, de Wilfried Martens à Karel Van Miert, en passant par Hugo Schiltz, apprécièrent sans nul doute l'hospitalité luxembourgeoise, mais à propos de la wandeling , ils firent après coup comme le corbeau de la fable : ils jurèrent, mais un peu tard, qu'on ne les y prendrait plus!

Troisième élément : l'eau. L'eau est également omniprésente dans votre vie. L'eau de la Rulles, des étangs et cascatelles du Pont d'Oye de votre enfance. Et bien sûr votre boisson favorite! Certains ont glosé à suffisance sur votre dédain pour les prestigieuses caves du Palais de la Nation. De méchantes langues m'ont pourtant rapporté vous avoir surpris l'une ou l'autre fois à couper d'eau fraîche un nectar millésimé...

Nous savons que c'est une source d'eau minérale naturelle qui est exploitée au coeur des forêts de Gaume, mais il m'est revenu que votre famille et vos amis apprécient votre engagement dans une coopérative lorraine de fabrication artisanale de jus de pomme. Cette boisson, produite à partir de la récolte de votre verger, serait d'ailleurs en passe de détrôner l'eau minérale dans votre régime ascétique.

J'en arrive enfin au quatrième élément : le feu. Le feu de l'âtre qu'il fait bon approcher et humer, de retour des sentes enneigées. Mais surtout le feu sacré, l'enthousiasme, les foucades déroutantes, les idées fulgurantes, l'éclair de l'esprit, le bouillonnement, tout à la fois, de la pensée, du geste et du verbe. Avec vous, c'est « une ardeur d'avance », mais également « cent idées d'avance »!

Tous ont été fascinés par votre tempérament de feu, à l'exception ­ paraît-il ­ de quelques collaborateurs qui furent rebutés, les uns, à l'instar de vos hôtes de la forêt d'Anlier, par votre rythme de travail forcené, les autres, par l'impétuosité de votre caractère.

Mais pour un Nothomb, les quatre éléments ne suffisent point : il y manque le temps et l'espace. En bon Luxembourgeois tenace et malgré votre impatience légendaire, vous savez compter avec le temps. Votre carrière de député, vous l'aviez préparée de très longue date et vous aviez décidé de siéger au premier parlement européen élu au suffrage universel. Et les messages destinés à être lus par vos petits-enfants au jour de leurs dix-huit ans sont déjà cachetés. Tout comme ces arbres que vous aimez offrir en guise de cadeau de mariage, vous les imaginez déjà, sous la génération suivante, faire office de tonnelle durant l'été et, au retour de l'automne, ... alimenter la famille en jus de fruit.

Un Nothomb digne de son nom transcende aussi l'espace. Quoi de plus normal pour un passionné de politique étrangère qui deviendra d'ailleurs en 1980 chef de notre diplomatie! Vous êtes domicilié dans l'arrondissement électoral de Neufchâteau-Virton et êtes évidemment élu député de ... l'arrondissement d'Arlon-Marche-en-Famenne-Bastogne, de même que votre aïeul Alphonse Nothomb qui, partageant son existence entre son hôtel bruxellois et la maison familiale de Pétange au Grand-Duché de Luxembourg, siégea longtemps comme ... député de Turnhout!

C'est tout naturellement lors d'un séjour aux États-Unis que vous concevez une fondation rurale pour le Luxembourg! « (...) Quand une affaire me paraît grave, » ­ avez-vous écrit ­ « je projette dans mon cerveau l'image des galaxies, dans lesquelles le système solaire est un petit point; ensuite (...) l'image du système solaire, dans lequel la terre est un tout petit point; enfin (...) l'image de la Belgique dans laquelle le monde politique de la rue de la Loi est un tout petit point (...) »

Cette projection optimiste de la vision de Teilhard de Chardin dans le microcosme politique belge constitue assurément un des secrets de votre réussite. L'éternité n'est pas oubliée non plus : à Habay-la-Neuve, n'avez-vous pas choisi d'habiter au numéro 1 de la rue du Paradis ?

Sous votre présidence de la Chambre, la procédure budgétaire est redevenue orthodoxe et les relations publiques ont été grandement développées. Chose exceptionnelle, vos efforts ont même suscité à l'époque une initiative des questeurs du Sénat, lorsque vous avez tenté de remettre en honneur lors des cérémonies officielles ... l'écharpe parlementaire.

« La ligne de faîte ». C'est ainsi que votre regretté père intitula un de ses nombreux ouvrages. Il s'agissait ­ je cite ici son autre livre Le prince d'Olzheim ­ de « la ligne de faîte qui sépare le bassin de la Meuse de celui du Rhin » (...) « dominant les deux horizons du monde occidental ». Ces terres à cheval sur la ligne de faîte, ces marches ne sont autres que votre province.

Des lignes de faîte, vous en avez parcouru d'autres dans votre carrière politique et, ainsi, vous avez incarné cette rencontre entre le monde latin et le monde germanique, cette vocation qui est celle de votre Luxembourg comme de notre Belgique. Et si vous êtes parfois apparu comme un signe de contradiction, tous s'accordent à reconnaître votre courage politique et votre indépendance d'esprit, vos dons de conciliateur et votre sens du devoir.

À la suite de votre triple septennat au PSC, à la Chambre et au gouvernement, nous vous adressons nos vives félicitations et, dans la foulée de votre symbolique des nombres, nous formons tous nos voeux d'accomplissement fécond de votre quatrième septennat sur les bancs de la Haute Assemblée. (Très vifs applaudissements.)