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Question écrite n° 5-6514

de Bert Anciaux (sp.a) du 18 juin 2012

à la ministre de la Justice

Loi Lejeune - Application - Faits - Mythes - Exécution des peines - Évolution

libération conditionnelle
exécution de la peine

Chronologie

18/6/2012Envoi question
21/12/2012Réponse

Question n° 5-6514 du 18 juin 2012 : (Question posée en néerlandais)

La « loi Lejeune » (loi du 31 mai 1888 établissant la libération conditionnelle dans le système pénal) suscite des réactions en sens divers de la part des personnes concernées. On évoque souvent ses côtés positifs mais aussi - et de plus en plus, surtout dans les médias - ses aspects négatifs. L'impression est donnée que l'application de cette loi édulcore l'exécution des peines en Belgique. D'innombrables mythes font état d'une large impunité, même en cas de condamnation. Des racontars parlent d'assassins remis en liberté au bout de quelques mois ou années, etc. Par ailleurs, des témoignages affirment que souvent, la loi Lejeune n'est pas ou guère appliquée, entre autres parce que les détenus ne répondent pas aux critères sévères.

En même temps, bien des experts confirment que l'essor (ou la création ?) de ces mythes produit ses effets. Le Ministère public proclamerait de plus en plus souvent qu'il requiert une peine particulièrement lourde, puisque la condamnation prononcée est quand même réduite à un minimum. L'air du temps, plus répressif, ferait en sorte que des crimes comparables sont maintenant punis bien plus sévèrement qu'il y a, mettons, deux décennies. Mais peut-être s'agit-il, ici aussi, de mythes et de demi-vérités.

Voici mes questions :

1) De quelles études longitudinales sur l'exécution des peines dans notre pays la ministre dispose-t-elle ?

2) De 2000 à 2011, quelle a été l'évolution annuelle de l'application de la loi Lejeune ? Quelles conclusions peut-on en inférer ? Peut-on parler d'une tendance à plus ou moins de libérations conditionnelles, plus précoces ou plus tardives ?

3) Comment le nombre de demandes rejetées a-t-il évolué, et quelles raisons peut-on y associer ?

4) Durant la décennie écoulée, quelle a été l'évolution des peines prononcées pour des délits comparables ? Peut-on en tirer des conclusions significatives ?

5) À quel bilan global la ministre aboutit-elle lorsqu'elle considère l'évolution de l'exécution des peines en Belgique durant la décennie écoulée ?

Réponse reçue le 21 décembre 2012 :

1. L'étude sur l'évolution de l'exécution des peines (ou d'aspects spécifiques de celle-ci) sur une plus longue période est notamment réalisée par la direction opérationnelle Criminologie de l'Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC). Des contributions sont régulièrement publiées à ce sujet dans la littérature spécialisée ou lors de forums destinés à un public plus large. Pour un résumé de quelques tendances majeures, il peut être renvoyé par exemple à :

2. En ce qui concerne l'application de la libération conditionnelle, les éléments suivants peuvent être communiqués.

Voir par exemple à ce sujet :

Cette donnée ne signifie en soi pas pour autant que les tribunaux de l'application des peines mènent une politique plus restrictive en matière de libération conditionnelle. D'autres explications sont en effet également possibles, comme : d'éventuels retards dans l'accomplissement de la procédure, de longues périodes de détention préventive (ou arrestation à l'étranger), la survenance de révocations de la libération conditionnelle, au simple motif du non-respect de conditions particulières (avec renouvellement immédiat de l'admissibilité), des difficultés pour trouver une structure d'accueil et/ou de guidance extra muros adéquate.

3. Il peut être déduit de chiffres non publiés officiellement, tenus par les tribunaux de l'application des peines eux-mêmes, que proportionnellement, environ un quart du nombre de demandes de libération conditionnelle fait l'objet d'une décision positive (nombre de décisions positives par rapport au nombre total de décisions d'octroi ou de refus de LC). Ce pourcentage (d'octroi) est certes inférieur à celui des anciennes commissions de libération conditionnelle (les précurseurs historiques des tribunaux de l'application des peines). Il convient cependant de tenir compte d'un certain nombre de modifications intervenues sur le plan de la procédure et de la compétence qui peuvent avoir une influence. D'abord, les tribunaux de l'application des peines ont désormais connaissance de tout dossier qui remplit les conditions de temps prévues par la loi (indépendamment de la nature de l'avis de la direction de la prison). Cela signifie que, contrairement à ce qui prévalait par le passé, il n'existe plus de « filtre » préalable. Par le passé, la procédure n'était engagée qu'après avis positif de la conférence du personnel de la prison. Ensuite, ces tribunaux disposent également de la compétence d'octroyer d'autres modalités d'exécution de la peine telles que la détention limitée et la surveillance électronique. Dans la pratique, le recours à ces modalités est assez fréquent avant qu'une libération conditionnelle soit octroyée.

Nous ne connaissons pas en détail les motifs de refus de libération conditionnelle. Un refus de libération conditionnelle ne peut toutefois intervenir que si une ou plusieurs contre-indications définies par la loi sont présentes. Ces contre-indications se rapportent à l'absence de perspectives de reclassement social, au risque de perpétration de nouvelles infractions graves, au risque que le condamné importune les victimes, à l'attitude du condamné à l’égard des victimes et, dans le cas de certains délinquants sexuels, au refus de participation ou à l'inaptitude au traitement.

4. Une analyse de statistiques disponibles en matière de condamnations révèle que le nombre de longues peines privatives de liberté (de plus de cinq ans) prononcées par les cours et tribunaux durant la période 1980-2003 a considérablement augmenté. Des chiffres plus récents ventilés en fonction de la durée de la peine ne sont pour l'instant pas disponibles. L'augmentation du nombre de longues peines privatives de liberté explique aussi, en partie certainement, celle du nombre de condamnés à de longues peines dans les prisons belges au cours des dernières décennies.

L'évolution des peines prononcées pour des délits comparables durant la décennie écoulée n'est, quant à elle, pas connue.

5. L’essence d'une exécution des peines concluante est une chaîne de sécurité concluante, dont l'exécution des peines constitue le dernier maillon : police-parquet-tribunal-exécution des peines. L'accord Octopus de 1998 a entraîné de grands changements sur ce plan avec les réformes de la police, le ministère public ainsi que de nouvelles initiatives en matière d'exécution des peines. Ainsi, le tribunal de l’application des peines a été créé, l'arsenal répressif s'est diversifié avec, entre autres, la peine de travail et les maisons de justice ont été créées afin de centraliser l'exécution des peines en matière de surveillance électronique, de peine de travail et de probation. Mais il reste encore du travail. Le flux des affaires judiciaires dans les tribunaux devrait être encore plus rapide. Pour ce faire, je prévois la création de tribunaux statuant en procédure accélérée dans chacun des nouveaux arrondissements judiciaires. La surpopulation carcérale persiste également. Je prévois pour cela l'ouverture, dans les prochaines années, de trois nouvelles prisons à Marche, à Beveren et à Leuze-en-Hainaut, soit 900 places en tout. Parallèlement, l'ouverture de deux centres spécialisés pour internés est également prévue à Gand et à Anvers, soit 452 places en tout.