Procureur général d'Anvers - Proposition d'enregistrement d'échantillons d'ADN des nouveau-nés - Cadre juridique
ADN
ministère public
légalité
21/11/2013 | Envoi question |
12/12/2013 | Réponse |
Le procureur général d'Anvers a récemment proposé, par le biais d'un communiqué destiné au public, qu'on prélève un échantillon d'ADN de tous les nouveau-nés. Selon ce magistrat, la base de données constituée de cette manière serait très utile pour aider à résoudre les crimes.
La ministre a aussitôt réagi en affirmant que cette proposition ne serait jamais avalisée par la Cour européenne des droits de l'homme. Selon la ministre, l'enregistrement et la conservation, sans limite de temps, de données de personnes sur lesquelles ne pèse aucun soupçon seraient interdits.
Indépendamment des nombreuses questions éthiques, morales et sociétales que suscite cette proposition, il semble donc que l'on dispose déjà d'un cadre juridique cohérent en la matière.
Voici mes questions :
1) Comment la ministre explique-t-elle qu'un haut magistrat dont on peut espérer qu'il connaisse la législation lance, dans un communiqué destiné au public, une proposition pour laquelle il n'existe, selon la ministre, aucune base juridique ad hoc et qui serait même contraire à la loi ?
2) La ministre peut-elle traduire en langage clair les arguments juridiques qui s'opposent à la proposition du haut magistrat, ou son allusion à la Cour européenne des droits de l'homme repose-t-elle plutôt sur une présomption de jugement que sur une certitude ?
3) En faisant abstraction du cadre légal existant, comment interprète-t-elle cette proposition ? Bref, la ministre adhère-t-elle ou non à cette proposition compte tenu des seules dimensions éthiques et morales ? Pourquoi ?
4) Soutiendrait-elle une législation autorisant ces prélèvements d'échantillons d'ADN ?
Tout d'abord, je voudrais souligner qu'en tant que ministre de la Justice, je suis très favorable au fait que les magistrats communiquent publiquement.
Le fait que je sois ou non d'accord avec eux n'y change rien.
Avant d'entrer plus en détail sur ce que je pense de l'idée de prélever du matériel ADN chez les nouveau-nés, je voudrais rappeler que la nouvelle loi ADN, approuvée en 2011 au sein de ce parlement, entrera en vigueur au début de l'année prochaine. De ce fait :
en plus de l'ADN de condamnés pour infractions physiques telles que le viol ou le meurtre, nous pourrons également prélever l'ADN de condamnés à d'autres types d'infractions comme l'effraction, le terrorisme, le trafic et la traite des êtres humains… ;
nous pourrons prélever immédiatement des échantillons ADN d'inculpés ;
les analyses ADN seront prêtes dans le délai d'un mois au lieu de trois mois ;
les échantillons ADN de condamnés, d'inculpés et de traces seront comparés automatiquement entre eux et avec des banques de données étrangères.
En ce qui concerne à présent la proposition de monsieur Liégeois, sa faisabilité doit évidemment être mesurée à l'aune du contexte juridique actuel, et ce, tant en droit belge qu'en droit européen.
Je constate en outre que sur ce thème, une jurisprudence contraignante claire a déjà été développée par la Cour européenne des droits de l’homme. Je renvoie à cet égard à l'arrêt Marper du 4 décembre 2008, dans lequel la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné le Royaume-Uni parce que les profils génétiques d'inculpés étaient conservés sans limite dans le temps, bien qu'ils aient bénéficié d'un non-lieu ou aient été acquittés.
Dans son arrêt, la Cour indique notamment que « la conservation des données doit être proportionnée au but pour lequel elles ont été recueillies et être limitée dans le temps ». La Cour estime en outre que la conservation de données relatives à des personnes non condamnées peut être particulièrement préjudiciable dans le cas de mineurs en raison de leur situation spéciale et de l’importance que revêt leur développement et leur intégration dans la société.
Dans le même arrêt, la Cour estime que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais non condamnées, (...) s'analyse en une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. »
L'argumentation ci-dessus se rapporte à la condamnation du Royaume-Uni parce que celui-ci n'effaçait pas les données des inculpés, la Cour ayant estimé à l'unanimité que le Royaume-Uni avait violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette jurisprudence est claire. Cela signifie que si la Belgique appliquait la proposition de monsieur Liégeois, elle serait condamnée pour enregistrement et conservation sans limite dans le temps de profils génétiques de citoyens, alors que ceux-ci n'ont jamais été inculpés dans une affaire judiciaire.