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Question écrite n° 4-3147

de Paul Wille (Open Vld) du 11 mars 2009

au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères

Pakistan - Accord de paix avec les Talibans - Vallée du Swat - Menaces

Pakistan
Afghanistan
terrorisme
intégrisme religieux
islam
règlement des différends
cessez-le-feu
guerre
région frontalière
séquestration de personnes

Chronologie

11/3/2009Envoi question (Fin du délai de réponse: 9/4/2009)
15/4/2009Réponse

Question n° 4-3147 du 11 mars 2009 : (Question posée en néerlandais)

Les autorités pakistanaises ont récemment conclu un deal douteux après de longues négociations avec les Talibans. Le gouvernement a signé un accord de paix inquiétant relatif à la région la plus touristique du Pakistan: la vallée du Swat. En échange de la stabilité et de la paix, les militants talibans ont reçu le droit d'appliquer à nouveau la charia dans la région. Il s'agit bien entendu d'une grosse gifle pour tous ceux qui possèdent des ambitions démocratiques dans le pays et la région. Plus grave encore: cet accord récompense les attaques terroristes menées par les jihadistes au cours de ces derniers mois et lors desquelles 70 agents de police et 150 soldats auraient été tués, tout comme 1 200 civils. En outre, environ 500 000 habitants ont fui la vallée, 170 écoles pour filles auraient été détruites et la censure a à nouveau été instaurée sur les DVD.

La région constitue aujourd'hui une base d'opérations idéale pour l'extension de la sphère d'influence des jihadistes dans la plaine du Punjab. Malgré l'accord, la paix n'y régnerait toujours pas puisque les extrémistes sont en conflit entre eux pour le partage du pouvoir.

En outre, tant avant qu'après l'accord, des enlèvements d'immigrants pakistanais retournant temporairement chez eux dans la vallée du Swat ont été systématiquement rapportés. Ils sont accusés par des groupes radicaux de collaboration avec les Etats-Unis et détenus jusqu'à ce leur famille paie une rançon. Les activistes politiques ou les Pakistanais “occidentalisés”, originaires de la vallée du Swat et résidant à l'étranger, sont eux aussi menacés sur place ou par téléphone. On leur demande de payer, lors de leur prochaine visite dans leur pays d'origine, des sommes absurdes aux Talibans en échange de la sécurité des membres de leur famille qui habitent dans la vallée du Swat.

J'aurais souhaité obtenir une réponse aux questions suivantes.

1. Que pense le ministre de l'accord qui a été conclu?

2. Quelles sont les motivations du gouvernement pakistanais pour conclure un tel accord?

3. Les chiffres précités relatifs aux morts et aux réfugiés sont-ils confirmés? Si c'est le cas, par qui?

4. Quel est le point de vue officiel de la Belgique vis-à-vis des conflits certes internes au Pakistan?

5. Quelle est la situation actuelle dans la vallée du Swat?

6. Connaît-il les différentes menaces proférées par les Talibans à l'égard des immigrants occidentaux? Si oui, ces pratiques sont-elles également connues en Belgique?

7. Quelles mesures doit-on prendre selon lui au niveau international pour mettre un terme à la terreur dans cette région?

Réponse reçue le 15 avril 2009 :

Réflexions générales

La situation au Pakistan est préoccupante. Le gouvernement démocratique pakistanais du président Zardari est conscient de l'importance cruciale que revêt pour la stabilité du Pakistan la lutte contre l'extrémisme islamiste. Le risque est bien présent de voir l'autorité du gouvernement se dégrader et le phénomène gagner un nombre croissant de régions. L'armée pakistanaise a livré ces derniers temps dans la région frontalière des combats sur plusieurs fronts contre des militants talibans et des groupes alliés. De nombreux citoyens pris à partie dans la lutte entre l'armée et les militants ont fui la région. Les avancées opérées sur place par les militaires semblent toutefois ne pas être suffisamment suivies de mesures adéquates en termes de maintien de l'ordre, de création d'institutions civiles et de développement socio-économique.

Après une période d'intenses combats dans le district de Swat (province de la frontière du Nord-Ouest -NWFP), le groupe militant pakistanais Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi a proclamé il y a peu un cessez-le-feu suite à un accord conclu avec les autorités locales. Le groupe a mis fin aux hostilités en échange entre autres de l'introduction de la charia. L'armée pakistanaise qui avait subi de lourdes pertes durant ces deux dernières années, a annoncé respecter le cessez-le-feu pour le moment. Il est peu probable qu'un tel accord ramène la stabilité dans le pays. On a vu dans des situations similaires des groupes de militants profiter de tels accords pour organiser leur regroupement. Il subsiste en outre de fortes inquiétudes quant aux conséquences de ce changement sur les droits de l'homme, en particulier les droits des femmes et des fillettes.

Réponse aux questions de l'honorable membre.

1. Le gouvernement de la NWFP a estimé, en concertation avec le gouvernement fédéral, que l'accord ramènerait un calme bénéfique pour la population locale. Il semble qu'à court terme cela soit le cas. Il règne cependant une impression selon laquelle les autorités ont cédé devant les Talibans et que ce précédent pourrait servir d'exemple à d'autres.

2. Le gouvernement pakistanais a perdu son autorité sur la région malgré l’intervention de l'armée et les importantes pertes encourues. Le gouvernement provincial local a signé l'accord afin de protéger la population prise entre deux feux et qui devenait la première victime des combats. Le président a promis d'approuver cet accord. Les premiers résultats ont, pour le court terme du moins, donné raison au gouvernement.

3. Les chiffres mentionnés par l'honorable membre sont confirmés par les agences de presse locales et les ONG actives sur place.

4. Le gouvernement belge se préoccupe en premier lieu du sort de la population civile locale ainsi que de la protection des droits de l'homme, en particulier ceux des femmes et des fillettes de la région. Le deuxième souci de notre gouvernement concerne l’utilisation de cette région frontalière comme repaire pour les groupes terroristes et talibans qui opèrent en Afghanistan, pays où sont déployés des militaires belges dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS).

5. Les tribunaux islamistes de la vallée de Swat sont entrés en activité le 17 mars 2009. Les juges ordinaires ne se sont pas présentés par mesure de sécurité et le barreau local qui compte environ 350 avocats craint qu'ils ne perdent leur emploi. La situation est calme et la trêve semble se maintenir bien que le 3 mars dernier deux militaires aient encore été tués et deux fonctionnaires locaux kidnappés. Les autorités provinciales ont mis à disposition des tentes à l'intention des 200 écoles qui ont été détruites ou endommagées. Dans les prochaines semaines, la charia sera introduite dans six autres districts. Le président n'a toujours pas signé l'accord entre le gouvernement provincial et les Talibans.

6. Je n'ai connaissance d'aucun cas individuel en Belgique de menaces lancées à l'encontre d'immigrés de la province de Swat. De telles pratiques ne sont toutefois pas limitées géographiquement aux activistes politiques de la région de Swat et n'ont pas uniquement des visées politiques. Des conflits familiaux peuvent également entraîner ce type de menaces.

7. Tous les interlocuteurs internationaux abordent systématiquement cette problématique lors d'entretiens bilatéraux avec le Pakistan. Le 13 mars, la troïka de l'Union européenne (comprenant les ministres des affaires étrangères de la Tchéquie et de la Suède, et la commissaire Ferrero-Waldner) a rencontré à Prague le ministre pakistanais des affaires étrangères Qureshi. Cette rencontre a été l'occasion d'interroger le ministre sur la situation dans la région de Swat. Comme vous le savez, grâce à l’arrêt in extremis, le 16 mars dernier, de la « longue marche », le gouvernement pakistanais a échappé sans dommages à de graves embarras politiques, et peut donc se préoccuper plus intensément de l'ensemble de la région frontalière avec l'Afghanistan.